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GILBERT GAGNON m.ps

Façonner le troisième millénaire

Avec l’aimable participation de Lise Desbiens

Du même auteur : Au cœur de l’identité (nouvelle application de la P.N.L.) Éditions L C Éditeur, 1996.

La Plume d’Oie Édition Gilbert Gagnon © Tous droits de reproduction réservés. ISBN : 2-922183-77-7 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 1999 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada, 1999 Page couverture : Gilbert Gagnon Conception graphique et mise en pages : Micheline Pelletier Cette publication est dirigée par :

ÉDITION – CONCEPT

199, des Pionniers Ouest Cap-Saint-Ignace (Québec) G0R 1H0

À Suzanne À Josée À mes filles :

Émilie, Émy Gabrielle Je vous aime...

Merci à Lise Desbiens, ma collaboratrice, qui a su, par ses questions et ses marques d’intérêt, entretenir la flamme qui m’a habité à l’idée de rédiger ce livre. Lise est un papillon 1 avec tout ce que cela implique de fragilité, de force et de beauté. Merci à Roger Duhaime qui est pour moi un véritable catalyseur ; en sa présence, j’ai le goût de me dépasser et de prendre mon envol. Merci à André Tremblay pour la pertinence et l’honnêteté de ses commentaires sur mon travail. Je lui suis particulièrement reconnaissant de m’avoir vu et reconnu... Merci à ma famille et à mes amis. Je suis parce que vous êtes...

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En parcourant ce livre, le lecteur aura l’occasion de découvrir le sens particulier que je donne au mot papillon. Selon moi, les papillons qui poursuivent leur évolution deviennent des bâtisseurs du troisième millénaire.

Table des matières Introduction ...................................................................... 15 Partie I

Se transformer en utilisant les outils du troisième millénaire Chapitre I

La puissance de l’engagement Engagez-vous .................................................................... 23 Fuyez la facilité et la complaisance .................................... 27 Chapitre II

Les papillons Apprenez à vous connaître et à vous reconnaître comme bâtisseur potentiel du troisième millénaire ............ 34 J’intègre l’énergie des autres à ma lumière .................. 35 Je suis un phare .......................................................... 35 J’aide les gens à se situer ............................................ 36 Je suis fier de la lumière que je dégage ........................ 38 Je donne l’impression de dépenser mon énergie pour les autres ........................................................ 39 Je « ressens » le temps qu’il fait .................................. 40 Je m’intéresse aux motivations des marins à naviguer .............................................. 43 Je maintiens le cap malgré la tempête ......................... 45 Je semble solidement ancré dans le roc ....................... 46 Je désire être vu et reconnu de tous ............................ 48

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Je m’assure que le nord, le sud, l’est et l’ouest ne seront pas confondus ................... 49 J’intègre l’énergie des autres à ma lumière .................. 50 Apprenez les règles qui façonnent les papillons ................. 51 Voilà comment ils deviennent ce qu’ils sont ...................... 52 Soyez conscient des risques associés à la personnalité du papillon .......................................... 57 Évaluez le niveau de votre propre évolution en tant que papillon ....................................................... 70 Chapitre III

Opter pour deux valeurs qui soutiennent l’engagement : le courage et le sens de l’honneur Acceptez de devenir incompétent (ne tentez pas de contrôler votre univers interne) ........... 76 Agissez sans tout contrôler (ne tentez pas de contrôler votre univers externe) ..................................... 80 Composez avec les valeurs guerrières et communautaires .. 83 Donnez un sens à votre vie plutôt que de chercher « le » sens de la vie ........................................................ 89 Redéfinissez le bonheur et la stabilité ................................ 93 Chapitre IV

Rechercher les occasions d’évoluer et de changer Affranchissez-vous de l’opinion des autres ........................ 99 Alternez entre l’état de maître et d’apprenti .................... 101 Appliquez à vous-même ce que vous aspirez à appliquer aux autres (congruence, intégration, équilibre personnel) ..................................................... 104 Évitez l’eau tiède lorsqu’elle risque de bouillir ................ 109 Ne croyez pas ceux qui prétendent qu’il y a pénurie, choisissez de vivre dans un univers d’abondance .......... 114 Passez d’une vague à l’autre lorsqu’il est temps ............... 119 10

Partie II

Aider son environnement à se transformer en utilisant les outils du troisième millénaire Chapitre V

Mettre en place les ingrédients nécessaires au changement Composez avec les conditions qui bloquent le changement ......................................... 131 Exploitez deux attitudes qui mènent le monde : la recherche du plaisir et l’évitement de la douleur ....... 139 Sachez pourquoi les gens retombent toujours dans le même modèle de comportement ....................... 145 Utilisez le pouvoir de la quatrième décimale .................... 149 Apprenez à détecter les règles auxquelles obéissent ceux qui vous entourent ............................................... 153 Apprenez à penser de façon fractale ................................. 162 Le « pattern » du changement selon Elliott ....................... 165 Ajustez votre action en fonction du niveau des changements à effectuer ......................................... 169 Mettez à profit les capacités d’autoorganisation .............. 175 Utilisez des mécanismes d’autoévaluation ....................... 177 Chapitre VI

Utiliser différentes grilles de lecture de la réalité et de la vue Soyez d’abord des rêveurs, puis des réalistes, et finalement des critiques ........................................... 179 Apprenez à détecter le moment où il faut mettre l’accent sur le passé, le présent ou le futur ................... 184 Sortez de la boîte ............................................................ 192 11

Prenez en considération le facteur « hommerie » ............... 194 Sachez que chaque serviteur a deux maîtres ..................... 197 Chapitre VII

Se protéger Constatez la présence de dix pour cent de «cons» ............ 201 Souvenez-vous de votre passé, mais ne le revivez pas constamment ......................................................... 203 Travaillez avec ceux qui sont prêts à le faire .................... 207 Réalisez que ce n’est pas l’environnement qui détermine comment vous vous sentez .................... 207 Sentez-vous bien avec vous-même, malgré la présence de sentiments contradictoires et «négatifs» .................. 211 Utilisez les représailles lorsque nécessaire ....................... 214 Acceptez et fixez vos limites ........................................... 216 Arrêtez d’être des complices silencieux ........................... 219 Utilisez les questions qui changent le monde ................... 224 Agissez sur les processus ................................................ 240 Centrez-vous sur les solutions élégantes ......................... 242 Conclusion ...................................................................... 245 Bibliographie ................................................................... 247

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Partie 1

Se transformer en utilisant les outils du troisième millénaire

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Introduction Ce livre est démodé. Il traite d’honneur, de courage et d’engagement. Il y est question de renoncement à court terme et de foi en l’avenir. Il invite à fuir la facilité et à garder la tête haute en toute circonstance. Il parle des lois de la nature qu’il faut apprivoiser et respecter. Bref, il parle de valeurs et de tout ce que l’on a tendance à négliger. Paradoxalement, il est résolument branché sur l’avenir. Il s’inspire des nouvelles sciences de la complexité pour présenter une façon novatrice d’aborder, de comprendre et d’activer le changement. Il s’inspire des récentes approches en développement humain et organisationnel pour offrir de puissants outils de transformation. J’ai décidé de l’écrire lorsque je me suis retrouvé à un carrefour. Ma conjointe venait d’être emportée par la maladie, et sa fille, que je considère mienne, venait de me quitter pour aller vivre avec son père biologique. J’étais branché sur le côté sombre des choses et ainsi, je pouvais sentir, voir et entendre la petitesse et les faiblesses des gens. J’étais révolté de constater que de très nombreuses personnes pensent avant tout à leur intérêt personnel et que leurs actions sont essentiellement motivées par la peur. J’avais le choix : je me laissais dériver dans cette colère et je tentais de pulvériser ceux qui rampent ou je tentais de la canaliser de façon constructive. J’ai choisi cette deuxième option, en partie parce que la pre15

mière me faisait peur et aussi parce que j’ai la conviction qu’il y a une justice immanente. J’ai donc pris un engagement formel envers moi-même : je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour sortir la tête de l’eau et j’aiderais tous ceux qui veulent se tenir debout et faire une différence positive dans leur milieu. C’est l’objectif ultime de ce livre. Si vous faites partie de ces gens qui aident les autres parce que cela leur est aussi naturel que de boire ou de manger, si vous assumez déjà l’ensemble de vos rôles et de vos responsabilités, si vous faites preuve d’une grande capacité d’adaptation, vous faites sans doute partie d’un groupe que j’appelle les papillons. La première partie de ce livre vous est spécifiquement destinée. Pour vous aider à prendre votre envol, je me propose de vous faire connaître certains outils de transformation personnelle qui seront utilisés au cours du troisième millénaire. Je veux aussi vous présenter certaines personnes qui ont réussi à se réaliser, car leur façon de vivre peut devenir pour vous une véritable source d’inspiration. Que vous soyez ou non un papillon, si vous décidez de faire partie de cette catégorie de personnes qui se prennent en main et qui, fièrement, considèrent qu’elles ont un pouvoir sur l’avenir, je vous offre mon support. Il existe des informations et des stratégies que vous avez intérêt à connaître. Dans la seconde partie de ce livre, je vous présenterai des outils qui sont actuellement disponibles et qui faciliteront votre démarche. Nous sommes à l’aube d’un nouveau millénaire et nous devons nous préparer à le façonner si nous ne voulons pas le subir. Collectivement, nous sommes 16

rendus à un carrefour et nous avons des choix à faire : soit que nous nous accrochions au statu quo en essayant de freiner le changement, soit que nous acceptions d’aller de l’avant et que nous utilisions l’information disponible pour modifier profondément le rapport que nous entretenons avec notre entourage. La première option nous condamne à devenir obsolètes. La seconde nous offre une multitude de possibilités, mais exige courage et ténacité, car il y a beaucoup à faire. Nous devons, tout d’abord, redécouvrir l’importance de certaines valeurs. Notre recherche effrénée de la satisfaction personnelle et de la facilité nous a menés à une impasse. Même quand nous connaissons les solutions à nos problèmes, nous évitons de les mettre en application, car cela exige efforts et sacrifices. La gratification des besoins immédiats l’emporte presque systématiquement sur les besoins de toute nature. Nous devons infléchir cette tendance et nous fixer des objectifs qui tiennent compte d’un contexte plus large. Il importe que l’honneur et le courage fassent partie de notre quotidien. Nous devons, ensuite, changer profondément notre manière d’aborder les événements, car notre vision actuelle de la vie appartient à une époque révolue. Jusqu’à présent, nous avons essayé de comprendre les choses en les découpant, en essayant de les contrôler. Les médecins sont devenus hyper-spécialisés. Le travail a été divisé en quarts. Les chaînes de montage sont apparues. Nous avons disséqué les animaux pour les comprendre. Or, il est de plus en plus évident que ce type d’approche ne permet plus de cerner suffisamment les événements pour les com17

prendre et les influencer. La vie et le changement sont des phénomènes complexes qui ne peuvent être analysés de façon linéaire, c’est-à-dire en considérant que chaque événement a une cause précise et que chaque élément obéit à une « logique » déterminée. Il nous faut retourner voir la nature pour comprendre comment certains principes universels contribuent à l’évolution. Par ailleurs, les humains sont aussi des êtres complexes et, pour façonner le futur, il est utile de se centrer sur le tout plutôt que sur les parties, d’apprendre comment les choses et les personnes sont profondément connectées les unes aux autres, de comprendre le rôle de la subjectivité et d’identifier comment les éléments d’un système interagissent pour croître, stagner ou régresser. Il est également important de renoncer à contrôler et à prévoir les événements. Il importe plutôt de connaître les défis auxquels sont confrontés les gens, les personnes et les organisations. Nous ne sommes pas que des observateurs ; nous sommes, nous aussi, régis par les lois et les étapes de la nature. Finalement, nous devons apprendre à tirer profit des avantages prodigieux que nous offre la technologie. Jamais auparavant l’information n’a été aussi facilement disponible. L’informatique nous permet de simuler le développement de phénomènes qui étaient jusqu’à maintenant impossibles à étudier. De plus, les résultats d’une multitude de recherches sont aujourd’hui accessibles presque simultanément sur l’ensemble de la planète. Il est donc inconcevable que nous n’utilisions pas les informations auxquelles nous permettent d’accéder ces technologies. Il existe actuellement des réponses satisfaisantes à la très grande 18

majorité des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Curieusement, nous ne les recherchons pas ou plutôt nous ne nous engageons pas à les rechercher. Qui plus est, nous ne les voyons pas parce que notre vision est trop restreinte. Heureusement, il y a de par le monde des hommes et des femmes qui ont déjà commencé à influencer profondément leur entourage. Je les appelle des bâtisseurs parce que c’est bel et bien ce qu’ils sont. Ils contribuent à bâtir un avenir meilleur. Ces personnes vont nous servir de modèles. Nous allons voir qu’elles possèdent plusieurs caractéristiques et qu’il est possible de nous en inspirer. Les bâtisseurs, ces gens qui ont déjà commencé à façonner le troisième millénaire : ❖ ❖









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connaissent l’importance de s’engager ; se connaissent très bien et sont conscients des risques associés à leur personnalité ; utilisent le courage et l’honneur pour soutenir leur engagement ; recherchent les occasions d’évoluer et de changer ; connaissent les ingrédients qui doivent être présents pour que le changement survienne ; possèdent plusieurs grilles de lecture de la réalité et de la vie ; savent se protéger ; utilisent de puissants outils pour aider leur entourage et les organisations dans lesquelles ils gravitent à se transformer ; intègrent les plus récents développements de la science à leur compréhension de leur environnement. 19

Nous allons explorer chacune de ces dimensions, tantôt pour aider les papillons à se transformer, tantôt pour aider les bâtisseurs à avoir un impact sur leur environnement.

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PARTIE 1

Se transformer en utilisant les outils du troisième millénaire

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Chapitre I

La puissance de l’engagement ENGAGEZ-VOUS Avec les informations que vous trouverez dans ce livre, vous pourrez manger tout ce que vous voulez sans engraisser. Vous pourrez même perdre du poids et développer des abdominaux incroyables1 sans faire preuve de persévérance. Vous changerez complètement vos relations interpersonnelles et votre condition financière, et cela, sans faire le moindre effort. Vous prendrez soin de vous en ne déplaisant à personne. Vous serez satisfait de tous les aspects de votre vie sans que vous ayez à vous fixer des objectifs ou à mettre en œuvre des moyens pour les atteindre. J’espère que j’ai réussi à capter votre attention, car c’est bien la seule chose valable que l’on puisse faire avec de telles affirmations. En fait, changer sans s’impliquer est impossible. Pendant longtemps, j’ai pensé que les gens ne changeaient pas parce qu’ils ne savaient pas comment s’y prendre. J’ai donc cherché à identifier les méca1

J’ai moi-même développé un programme qui fonctionne admirablement bien... à condition de l’utiliser sur une base régulière. Il s’agit du programme Aérosculpter® vos abdominaux, qui combine la contraction musculaire avec un type particulier de respiration. 23

nismes qui permettent de réaliser les changements souhaités. La programmation neurolinguistique et l’approche systémique sont deux disciplines dans lesquelles j’ai trouvé des outils fantastiques. Bandler, Grinder et Dilts, pour la P.N.L., Watzlawick, Madanes et Auloos, pour l’approche systémique, ont été mes maîtres à penser. Dans mon livre Au cœur de l’identité, j’ai d’ailleurs utilisé des éléments de ce modèle et de cette approche pour développer de puissants outils de changements. J’ai aussi consulté de nombreux ouvrages sur le management et me suis intéressé de près à la théorie du chaos. Dans le premier cas, j’ai appris beaucoup de stratégies de changement et j’ai trouvé dans le second des métaphores fort intéressantes qui aident à comprendre le changement et suscitent le goût d’y adhérer. Je me suis finalement intéressé à la science neuroassociative de Robbins, qui intègre de façon très claire plusieurs des éléments impliqués dans le changement. Au cours de mes années de recherche, j’ai surtout acquis une conviction profonde. Je suis absolument convaincu que nous possédons toutes les technologies nécessaires à notre propre changement et au changement de nos institutions. Pourtant peu de gens utilisent les technologies qui sont présentées dans les livres ou enseignées par des maîtres. La plupart acceptent d’être moins que ce qu’ils peuvent être. Ils acceptent d’avoir cinquante ou cent livres en trop. Ils acceptent de stagner, de demeurer dans des situations inacceptables. Ils se contentent de relations tièdes, voire négatives. Bref, ils subissent leur vie. 24

Je suis un de ceux qui prétendent que le changement peut être rapide et élégant. Nous avons aujourd’hui à notre disposition toutes les informations nécessaires pour transformer notre corps, nos relations, notre condition mentale et notre situation financière. Pourtant, nous ne le faisons pas ou presque pas. Pourquoi ? Parce qu’il faut faire des efforts et que nous détestons collectivement faire des efforts. Si nous désirons réellement changer, nous devons avoir le courage d’admettre que nous avons besoin de modifier un aspect de notre vie et nous devons faire les efforts nécessaires pour apporter les correctifs qui s’imposent. Le changement est un phénomène naturel, mais il peut aisément être bloqué si certains ingrédients sont absents ou si les conditions ne sont pas favorables. Dans ce livre, je parlerai à plusieurs reprises des éléments qui doivent être réunis pour que l’évolution fasse son œuvre. Pour l’instant, je souhaite attirer votre attention sur l’engagement, cet élément essentiel qui fait cruellement défaut dans notre société actuelle. Cette action est si importante qu’en son absence aucune stratégie d’évolution ne peut fonctionner. Si vous ne vous engagez pas envers vous-même, envers les autres ou envers une cause, oubliez les recettes magiques et les technologies nouvelles. Elles ne fonctionneront pas. L’engagement, c’est la force qui nous permet de vaincre l’inertie, d’aller de l’avant et de nous inscrire dans le mouvement naturel de l’évolution. Nous devons nous engager à rechercher des solutions, à les essayer et à vivre avec les conséquences qu’elles entraînent. Nous devons aussi nous 25

engager à changer de moyens si cela ne marche pas et à maintenir les efforts suffisamment longtemps pour atteindre les résultats souhaités. L’importance de l’engagement va bien au-delà des qualités que devront posséder les personnes qui vont façonner le prochain millénaire. Les années qui s’en viennent seront celles qui verront le retour de l’être au détriment de l’avoir et du paraître. Nous avons été gavés d’images et de chimères au cours des dernières décennies. Nous avons développé une véritable obsession des apparences en tentant d’aseptiser tout ce qui pouvait l’être. Nous avons acheté une nouvelle voiture en pensant que cela nous rendrait plus heureux. Nous avons banni les méchants des contes de fées parce que nous voulions donner une image plus propre aux enfants. Aux États-Unis, la nomination d’un juge, par ailleurs très compétent, a été renversée parce qu’il a admis avoir déjà fumé un joint de marijuana dans son adolescence. Il y a quelques années, au Québec, une animatrice de la télévision a été congédiée pour avoir fait la même « révélation ». À l’époque du paraître, l’honnêteté n’est pas un facteur pris en considération. De plus en plus, il devient clair que les apparences seront insuffisantes pour relever les défis qui nous attendent. Ce sont les hommes et les femmes engagés qui devront faire surface. Ceux qui, dans leur for intérieur, savent qu’ils sont plus que ce que leurs comportements laissent deviner. Curieusement, ces gens risquent fort d’être frappés d’ostracisme, car, jusqu’à présent, la société n’a pas été très tendre à l’endroit de ceux qui parlent d’être plutôt que de paraître. Je souhaite ardemment 26

que cette discrimination cesse et que les gens courageux et valeureux se lèvent de plus en plus nombreux pour prendre la place qui leur revient. Non, au cours du prochain millénaire, il ne sera plus vieux jeu ou rétrograde d’avoir des valeurs et d’agir en conséquence.

FUYEZ LA FACILITÉ ET LA COMPLAISANCE Dans ce livre, je parle d’effort, de convictions et de renoncement. Mon discours risque de décourager plusieurs lecteurs potentiels. C’est bien... C’est bien, car j’ai décidé de ne pas m’adresser à ceux qui recherchent la facilité, qui tentent désespérément de rester dans le confort de ce qu’ils connaissent, qui pensent qu’on leur doit tout et qu’ils peuvent impunément puiser dans les ressources collectives. Je ne propose pas la facilité. Bien au contraire, je propose de la fuir et de renoncer du même coup à la complaisance, cette détestable habitude de se satisfaire de peu et de vouloir faire plaisir à tout le monde pour éviter les vagues. Ce n’est pas là une mince tâche. Partout, il y a des gens malheureux, insatisfaits, frustrés et impatients de voir leur condition s’améliorer. Logiquement, on pourrait penser que la majorité d’entre eux agissent pour rectifier la situation. Ce n’est pas le cas. La plupart préfèrent blâmer les autres ou le destin pour ce qui leur arrive. Ils reportent les décisions qu’ils ont à prendre parce que cela exige 27

effort et engagement. Ils demeurent dans un état d’expectative et leur insatisfaction ne cesse de s’accroître. D’autres sont plus subtils. Ils font des choix mais changent d’idée, ils se découragent avant d’avoir obtenu le résultat souhaité. Ils se laissent séduire par les promesses des commerçants qui proposent des changements sans efforts, des miracles instantanés et des solutions utilisables par tous à tout moment. La recherche de la facilité et la fuite de l’effort sont des comportements paradoxaux dans la mesure où, la plupart du temps, ils entraînent de l’insatisfaction et du désarroi. Jour après jour, je vois des gens reporter des décisions qu’ils doivent prendre. Jour après jour, je les vois essayer de s’adapter ou faire de petites modifications sous prétexte que cela est plus facile. Puis je les vois devenir un peu plus amers, plus courbés par le poids de leurs rêves inassouvis et de leurs espoirs déçus. En psychologie, on a abondamment parlé de la résistance des clients à changer et on leur a prêté toutes sortes d’intentions : désir inconscient d’échouer, peur de réussir, volonté de maintenir des gains secondaires, etc. On a également parlé de l’attitude des thérapeutes devant la résistance. On a parlé de leur incapacité à dépasser les résistances des clients. On leur a enseigné à jouer au chat et à la souris avec eux en « déjouant » les résistances. Bref, tout y est passé, de la culpabilisation jusqu’à l’acceptation inconditionnelle en passant par la condescendance. Nul besoin d’aller si loin dans les interprétations. Les gens ne changent que s’ils s’engagent fermement à le faire, que si leur engagement est suffisamment 28

puissant pour les amener à rechercher les solutions qui fonctionnent, à écarter celles qui s’avèrent inadéquates et à maintenir leurs efforts assez longtemps. Quand une clé ne fonctionne pas, il ne sert à rien de l’essayer cent fois. Elle ne fonctionne tout simplement pas. Dans certaines situations, c’est une autre clé qu’il faut essayer. Parfois, il faut même abandonner l’idée d’ouvrir la porte devant laquelle nous sommes placés et en choisir une autre plus conforme à nos aspirations. Choisir la facilité, c’est regarder passer la parade et se contenter de porter des jugements sur ce qui se produit. Être dans la parade, c’est s’exposer aux jugements des autres, c’est accepter que tous ne nous aiment pas. Choisir la facilité, c’est aussi projeter la responsabilité de nos actes sur des facteurs extérieurs. Quand nous blâmons notre passé, les personnes de notre entourage ou la destinée, nous décidons de subir passivement notre vie. Nous acceptons de ne pas avoir les rênes entre nos mains. Nous sommes installés sur le siège du passager et nous nous surprenons pourtant de ne pas arriver à bon port. La possibilité de choisir n’est-elle pas l’un des plus nobles attributs de l’espèce humaine ? C’est notre capacité à suivre ou non nos instincts et à résister aux influences néfastes qui nous distingue des autres espèces. Agir est le contraire de subir. Nous devons agir, c’est-à-dire être à la fois le metteur en scène et l’acteur principal de la superproduction de notre vie. Ce faisant, nous ouvrons la porte aux critiques et aux rapaces de toutes sortes. Si c’est le prix à payer pour reprendre en main notre destinée, c’est un très bon marché. D’ailleurs, il est possible d’apprendre à se protéger 29

de ce genre de personnes qui se nourrissent des angoisses et des peurs de leurs congénères et à les dérouter. Ces gens ont besoin de dominer les autres comme l’accro a besoin de sa drogue. Je reparlerai plus tard de la façon de les tenir à distance. Choisir la facilité, c’est choisir de se taire. C’est surtout ne pas dire ce que l’on pense, car d’autres pourraient s’en offusquer. Les gens qui vont façonner le prochain millénaire sont ceux qui n’ont pas peur de s’engager, ceux qui mobilisent tout leur être vers la direction qu’ils choisissent de prendre. Mais avant de s’engager à faire quoi que ce soit pour les autres, il faut s’engager à s’occuper de soi-même. Ce sujet fera l’objet du prochain chapitre.

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Chapitre II

Les papillons Les papillons font de formidables bâtisseurs. Ils possèdent des caractéristiques qui les prédisposent à assumer ce rôle. Le malheur, c’est que nombre d’entre eux se refusent à compléter leur transformation. Ils préfèrent continuer à évoluer dans les territoires qu’ils connaissent même si ceux-ci deviennent souvent trop petits. Certains ne sont pas conscients de leur potentiel, ils se sentent comme le vilain petit canard de l’histoire. D’autres ont tellement fait de compromis qu’ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. À force de faire des ajustements pour plaire à tous, ils se sont éloignés de leur essence et n’ont pas la force et le courage d’effectuer le virage qui s’impose. Enfin, il y a ceux qui décident de ne pas s’engager parce qu’ils ne sont pas prêts à vivre avec les conséquences d’un tel geste. Bien qu’il soit possible pour la majorité des personnes de s’engager, de faire preuve de courage et d’appliquer les méthodes de ce livre, il peut être utile d’identifier celles qui sont plus disposées à le faire, car elles possèdent certaines caractéristiques remarquablement stables. Ces personnes que je nomme ici les papillons sont des êtres :

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vers qui se tournent les autres lorsqu’ils ont des difficultés ;



qui trouvent habituellement des réponses satisfaisantes aux questions des autres et à leurs propres préoccupations ;



qui aident les autres parce que cela leur est aussi naturel que de boire et de manger ;



qui retirent beaucoup de satisfaction à aider les autres ;



qui ont une compréhension intuitive de ce que vivent les autres ;



qui sont intéressés à comprendre les motivations et les aspirations humaines ;



qui maintiennent le cap malgré les difficultés ;



qui dégagent l’impression d’être solides et stables ;



qui désirent être vus et appréciés de tous ;



qui s’assurent que les difficultés rencontrées dans l’un des secteurs de leur vie n’auront pas de répercussions dans d’autres sphères de leur existence ;



qui intègrent directement à leur identité les commentaires de ceux qu’ils aiment.

Les papillons sont également des êtres « à risques », car ils ont, en raison de leur personnalité, certaines dispositions à se perdre de vue. Aussi utiles soient-elles, leurs capacités à se débrouiller et à s’adapter peuvent devenir leur principal handicap dans la mesure où elles les empê32

chent de rechercher des solutions totalement nouvelles. Ils ont les défauts de leurs qualités, et cela peut non seulement compromettre leur évolution, mais également provoquer de très importants bouleversements dans leur vie. L’équation est simple : plus vous possédez ces caractéristiques, plus il vous est facile de devenir un bâtisseur du troisième millénaire et en même temps, plus vous êtes vulnérable aux pièges associés à ce type de personnalité. Il est impératif d’en prendre conscience si vous souhaitez actualiser votre potentiel et devenir un bâtisseur. Comme il est rare de retrouver à l’état pur toutes ces caractéristiques chez un même individu, j’ai choisi de les attribuer à un personnage fictif et de lui céder la parole. Mon personnage possède à la fois toutes les qualités et tous les défauts de sa catégorie. J’ai fait le pari que les papillons pourront, à travers lui, se reconnaître, se poser les bonnes questions et, surtout, trouver des réponses. En tant qu’auteur et personne, il est évident que la description du papillon me rejoint. Par contre, je ne possède pas toutes ses qualités ni tous ses défauts. Il ne s’agit donc pas ici de ma propre description, mais de celle d’un personnage créé dans le but de représenter la quintessence de tous ceux qui ont ce type de personnalité. Si vous ne vous reconnaissez pas à travers cette description, sachez que ceux qui vont façonner le prochain millénaire n’appartiennent pas uniquement à la catégorie des papillons. Vous aussi, quelle que soit votre personnalité, aurez vraisemblablement à vivre une transformation si vous utilisez les stratégies et 33

les informations présentées dans ce livre. Il ne sera pas vain, alors, de connaître le cheminement normal de toute personne ayant à faire face à un changement draconien. Les papillons sont un bon exemple dans le sens où ils reportent tant qu’ils le peuvent leur transformation et qu’ils vivent intensément chacune des étapes de leur passage à un autre niveau.

APPRENEZ À VOUS CONNAÎTRE ET À VOUS RECONNAÎTRE COMME BÂTISSEUR POTENTIEL DU TROISIÈME MILLÉNAIRE

Autoportrait du papillon (personnage fictif) ❖

Je suis un phare ;



J’aide les gens à se situer ;



Je suis fier de la lumière que je dégage ;



Je donne l’impression de dépenser mon énergie pour les autres ;



Je « ressens » le temps qu’il fait ;



Je m’intéresse aux motivations des marins à naviguer ;



Je maintiens le cap malgré la tempête ;



Je semble solidement ancré dans le roc ;



Je désire être vu et reconnu de tous ;



Je m’assure que le nord, le sud, l’est et l’ouest ne seront pas confondus ;

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J’INTÈGRE L’ÉNERGIE DES AUTRES À MA LUMIÈRE C’est là une façon un peu romanesque de me présenter, j’en conviens. Pourtant, pour ce qu’ils ont d’évocateur, ces énoncés suffisent amplement à me décrire et, à travers moi, à décrire l’ensemble des papillons. Parce qu’il faut bien faire quelques compromis au nom de la clarté, je me propose de reprendre, dans les prochaines pages, chacun de ces énoncés afin d’expliquer en quoi ils illustrent une caractéristique de ma personnalité. En me dévoilant ainsi, je m’expose au jugement, mais ce n’est pas en vain. En tant que papillon, si je veux continuer à cheminer, je dois d’abord me sentir interpellé et me reconnaître parfaitement.  Examinons d’un peu plus près la personnalité du papillon.

JE SUIS UN PHARE Les gens se tournent spontanément vers moi lorsqu’ils se trouvent en situation difficile. Bien que je privilégie les relations interpersonnelles dans mon travail, et ce, depuis plusieurs années, mon implication auprès des autres est de beaucoup antérieure à l’obtention de mon diplôme. D’aussi loin que je me souvienne, les gens se sont toujours tournés vers moi quand ils ont eu besoin de support, de conseils et d’assistance. Je pense avoir toujours été un aidant. Ma formation n’est venue que confirmer un état de fait. Il m’est difficile de déterminer exactement ce qui pousse les gens à recourir à mes services de la sorte. Peut-être sentent-ils que je suis disponible à leur ac35

corder temps et énergie. Peut-être aussi ressententils que je vibre à leur souffrance et qu’il m’est possible de les comprendre. J’essaie de faire preuve d’une certaine prudence en donnant des conseils ou en faisant des remarques, car plusieurs m’accordent de la crédibilité. Je me souviens d’une jeune femme à qui j’ai fait une blague concernant son écriture et qui a travaillé pendant de longs mois pour corriger cette « lacune ». Je n’avais pourtant aucune autre intention que celle de blaguer... Le fait que les autres se tournent tout naturellement vers moi démontre que l’aide est inscrite au cœur même de ce que je suis, c’est-à-dire au niveau de mon identité. Dès mon plus jeune âge, les transactions que j’ai effectuées avec mon environnement ont été marquées par le sentiment de pouvoir aider les autres. La collaboration continuelle avec mes proches est devenue, peu à peu, un élément central me servant à diriger mes actions.

J’AIDE LES GENS À SE SITUER La plupart du temps, j’ai des réponses aux questions des autres et à mes propres questions. Même si cela peut avoir l’air prétentieux, c’est l’un des éléments qui me qualifient le mieux. Il est excessivement rare que je sois totalement pris au dépourvu par une situation, aussi délicate soit-elle. En prenant du recul, j’arrive à faire ressortir des éléments passés, demeurés inaperçus jusqu’à présent. Lorsque la situation m’apparaît difficile à dénouer, je me retire et je cherche de nouvelles conclusions en tenant compte du maximum de paramètres. En cherchant 36

bien, il est toujours possible d’identifier un angle sous lequel il est plus facile de travailler. Ma facilité à trouver des réponses est sans doute liée à mon absolue conviction qu’il y a une solution pour chaque problème posé par l’homme. Il suffit d’y mettre le temps, l’effort, et de demeurer centré sur les résultats que l’on souhaite obtenir. Plusieurs personnes hésitent à faire part de leur point de vue, car elles ont peur de s’exposer à la critique et de devoir assumer la responsabilité de leurs positions. Je pense avoir dépassé depuis longtemps cette retenue. Lorsqu’on me demande mon avis ou qu’un sujet fait l’objet d’une discussion, je fais part volontiers de mes réflexions. J’en suis graduellement venu à la conclusion qu’il est à peu près toujours préférable de faire les commentaires qui me viennent puisque, de toute façon, ils « sont dans l’air » et que quelqu’un finit systématiquement par exprimer quelque chose de similaire. En ce qui concerne la responsabilité inhérente au fait de donner des conseils, j’ai développé une approche qui me permet de me sentir bien en tout temps. Je m’assure de faire plus d’une suggestion de manière à offrir le plus grand éventail de possibilités envisageables. En agissant de la sorte, je ne contrains pas mon interlocuteur, j’élargis ses horizons. C’est d’ailleurs sensiblement la même approche que j’utilise lorsque j’aborde une problématique qui m’est propre. Je tente de recueillir beaucoup d’informations sur le sujet et je choisis parmi les options qui me sont disponibles. Dans le chapitre qui traitera des « murs » que j’ai rencontrés, j’expliquerai qu’il 37

m’arrive occasionnellement d’être incapable de considérer certaines options, car elles ne font pas partie de ce que je considère possible. C’est là une des limites évidentes de mon approche de résolution de problèmes ; je me refuse à voir certaines avenues.

JE SUIS FIER DE LA LUMIÈRE QUE JE DÉGAGE Le fait qu’un pommier produise des pommes lorsqu’il se trouve dans un environnement propice est un phénomène tout à fait naturel. Le fait que j’apporte mon aide aux gens qui m’entourent l’est tout autant. Je réagis selon ma nature. C’est lorsque l’arbre cesse d’offrir ses fruits qu’il faut s’inquiéter. Cette petite métaphore illustre bien comment l’action d’aider est une chose naturelle pour moi. J’éprouve beaucoup de satisfaction à aider les autres. Ce n’est pour moi ni une contrainte ni une corvée. Lorsque j’aide quelqu’un, je n’ai absolument pas l’impression de faire quelque chose de remarquable ou d’extraordinaire. D’ailleurs, cela ne me demande pas un effort particulier. Récemment, j’ai eu à vivre une situation particulièrement pénible et cela a amené mes proches à moins solliciter mon aide. Mais toutes les fois où ils se sont décidés à me demander conseil ou assistance, j’en ai été ravi. Cela a été pour moi une occasion de dépasser les contraintes de la situation dans laquelle j’étais plongé. Je me suis retrouvé, de nouveau, dans une zone confortable avec le plein accès à mes ressources. Être associé à ce point à un comportement a aussi un désavantage. Lorsque je ne peux pas agir ou que 38

je ne crois pas en ce que je fais, j’ai de la difficulté à me sentir utile et j’ai tendance à perdre le sens de ma propre valeur. J’ai dû quitter de nombreuses occupations pour cette raison. Même si je sais que c’est une croyance inadéquate, j’en suis venu à croire que je suis ce que je fais.

JE DONNE L’IMPRESSION DE DÉPENSER MON ÉNERGIE POUR LES AUTRES

Je donne l’impression de faire passer les besoins des autres avant les miens. C’est un trait de ma personnalité qui me permet d’être bien perçu, mais en même temps, c’est probablement celui au sujet duquel je demeure le plus secret. Depuis toujours, je semble faire passer les besoins des autres avant les miens, et pourtant, je ne suis pas si sûr que ce soit le cas. Il m’arrive régulièrement de me demander si j’aide par altruisme ou par égoïsme. D’habitude, j’arrive à calmer ce doute en regardant les autres évoluer et en me disant que c’est peut-être un peu grâce à moi. Je me dis aussi qu’il n’y a rien d’égoïste au fait de désirer ce qu’il y a de mieux pour les autres. Quand je réussis à me convaincre, je me sens bien. Il y a cependant des moments où je n’arrive pas à m’enlever de la tête que c’est probablement pour moi, avant tout, que j’agis. J’ai alors l’impression que je joue un jeu et que je ne suis pas celui que je prétends être. Dans la nature, il y a des organismes qui s’associent d’une façon symbiotique et qui retirent mutuellement des avantages de leur association. Chacun apporte une contribution différente, mais les actions de l’un permettent à l’autre d’évoluer. J’aime à pen39

ser que j’ai le même genre de rapport avec mon entourage. Nous gagnons tous, quoique de façon différente, à fréquenter l’autre. Ainsi, contrairement à ce que l’on peut penser, j’ai autant besoin des autres que ceux-ci ont besoin de moi. Je facilite leur croissance, mais l’approbation, l’amour et le respect que je récolte en retour me permettent de grandir et de continuer mon évolution. J’ai compris, récemment, que je posais le problème de la mauvaise façon. Il est en effet inutile de chercher à mesurer qui retire le plus d’une telle association puisque nous sommes tous unis d’une manière indissociable. Lorsque je prends soin des autres, je m’aide, et lorsque je prends soin de moi, je suis dans de meilleures dispositions pour aider les autres. La division entre le « moi » et les autres est imposée par nos sens et nous plonge dans un dilemme où culpabilité et insatisfaction alternent dans une valse-hésitation. Pour mettre fin à cette ambivalence, il importe de porter notre attention sur ce qui nous unit tous à un certain niveau. Je parlerai davantage de cette dimension dans la section qui traite de ma transformation.

JE « RESSENS » LE TEMPS QU’IL FAIT J’ai une compréhension intuitive de ce que vivent les autres, même si je n’ai jamais vécu une situation analogue. Quand je regarde en arrière et que je revois les principales étapes de ma vie, je constate que, déjà dans l’enfance, je « percevais » ce que vivaient les autres. 40

D’instinct, je « sais » ce qui les rend heureux ou malheureux et ce qui les met en déséquilibre ou, au contraire, les comble d’aise. Il ne s’agit pas d’une compréhension rationnelle mais plutôt intuitive, qui me vient davantage comme une impression que comme une certitude. J’ai dû apprendre à composer avec ce type d’information puisque cet état de fait a été et demeure un facteur présent dans l’ensemble de mes relations interpersonnelles. J’hésite à parler d’empathie pour qualifier ce trait de ma personnalité, car c’est un terme galvaudé qui prend souvent une coloration très technique. À l’école, on m’a donné des définitions de l’empathie en m’enseignant des trucs pour devenir empathique. J’ai toutefois eu l’impression que l’on m’avait obstrué la vue pour m’expliquer ensuite comment distinguer les couleurs ! Ce n’est certainement pas à l’école que j’ai appris à utiliser la capacité naturelle à laquelle je fais ici référence, puisque l’on m’a plutôt appris à me méfier de mes émotions et de mes sentiments. En invoquant le prétexte de l’objectivité scientifique, on m’a enseigné à me fier uniquement à ce qui est mesurable et quantifiable. Dans son sens original, l’empathie est la capacité de comprendre les autres en se mettant à leur place. C’est un art qu’il faut cultiver certes, mais il ne faut pas confondre cette attitude avec une action mécanique à reproduire sur demande. J’ai dû réapprendre à me fier à ce je ressens, mais le résultat est plus que probant. Je considère aujourd’hui que c’est l’un des principaux avantages de ma personnalité de papillon. Je suis consterné par les prétentions de plusieurs personnes selon lesquelles il faut nécessairement avoir 41

vécu une situation pour être en mesure de la comprendre. Je ne me suis jamais suicidé. Je ne me suis jamais fait avorter. Je n’ai jamais tué quelqu’un. Pourtant, lorsque je me trouve en présence d’une personne qui est aux prises avec ce genre de difficultés, je ressens ce qu’elle doit endurer. Je sens que ses émotions sont souvent confuses. Je sens que la colère et l’agressivité côtoient régulièrement le désespoir et la tristesse. Je sens que la douleur, quoique cela puisse paraître antinomique, est souvent proche de l’euphorie. Par-dessus tout, je ressens la souffrance et je « comprends » viscéralement ce qui pousse à agir. Si c’est cela l’empathie, alors je suis empathique de naissance. Quand on ressent de la sorte ce que vivent les autres, il n’est pas étonnant qu’on se tourne vers le domaine social lorsque vient le moment de choisir sa carrière. Pour ma part, je suis certain que, peu importe mon orientation professionnelle, j’aurais cherché à mettre au service des autres cette capacité innée à les aider dans leur cheminement. Cette sensibilité apporte également son lot de désagréments. J’ai, par exemple, souvent été obligé de jouer le jeu, tout en sachant qu’un des joueurs trichait. L’histoire suivante est une bonne illustration des situations dans lesquelles je me suis déjà retrouvé : Je suis dans mon milieu de travail et je déborde de bonnes intentions. Sans que je sache vraiment pourquoi, il y a une personne qui se sent menacée par ma simple présence. Je n’ai pas besoin de dire ou de faire quelque chose, je la dérange et je le sens très bien. J’essaie de jouer le jeu et lors42

qu’elle me fait des reproches ou des remarques, j’en tiens compte. Rien n’y fait. Pour la satisfaire, je tente alors de m’effacer. Cela a l’effet contraire à celui qui est souhaité. C’est maintenant ma réputation qui semble la déranger et elle se livre à des manœuvres visant à miner ma crédibilité. N’en pouvant plus, je fixe mes limites. La situation s’améliore (du moins pour moi), et le jeu s’arrête... Ce type de situation est pénible pour tout le monde, mais ce qui rend les choses encore plus difficiles à vivre pour moi, c’est de découvrir que le but véritable de mon vis-à-vis est caché. J’essaie parfois de jouer sur les deux tableaux, c’est-à-dire de tenir compte du discours de surface et du discours implicite. Habituellement, le résultat n’est pas très probant. Il me faut presque invariablement en venir à mettre au jour la véritable motivation de mon interlocuteur. Bien que la capacité de percevoir les agendas cachés soit une chance pour la personne qui vit ce genre de situation, il n’en demeure pas moins qu’une telle découverte porte un dur coup à l’évaluation qu’elle fait des motivations humaines.

JE M’INTÉRESSE AUX MOTIVATIONS DES MARINS À NAVIGUER

J’ai un intérêt pour les motivations et les aspirations humaines. Depuis toujours, je cherche à comprendre ce qui pousse les hommes à agir et à réagir. En fait, mon intérêt à les comprendre est à ce point aiguisé qu’il est probablement à la base de plusieurs 43

de mes propres comportements. J’aime être en mesure de prévoir les réactions d’autrui ou, à tout le moins, de les analyser. Si je n’y parviens pas aisément, j’ai l’habitude de chercher et de persévérer tant et aussi longtemps que je n’aurai pas trouvé une réponse qui me satisfasse. Certains diront que je me casse la tête, je dirai plutôt que je mobilise mes ressources... Plusieurs des choix que j’ai effectués dans ma vie ont été influencés par cette soif de connaissances. Cela a été le cas notamment pour le choix de ma formation scolaire, de ma carrière et de mes lectures. Que l’on ne se méprenne pas, je n’ai jamais tenté d’obtenir de l’information afin de résoudre mes problèmes. J’ai plutôt tenté de donner un sens à ce qui m’entoure et de jouer un rôle actif auprès de mon entourage. Les sciences dites « pures » ne m’ont jamais vraiment intéressé, car elles se basent sur des faits objectifs alors que c’est la subjectivité qui m’intéresse. Je cherche constamment à m’adapter aux différentes situations qui se présentent. Le fait d’anticiper les réactions des autres est, à cette fin, un atout majeur. Je peux dire qu’il est rare que je sois surpris par la réaction d’une personne lorsque je la connais un tant soit peu. Je cerne habituellement assez bien le cadre à l’intérieur duquel les gens agissent et cette connaissance me permet de les accompagner et de les guider. J’ai la conviction que plus j’acquiers de connaissances, plus je suis en mesure d’aider les autres de façon judicieuse. 44

Avant d’entreprendre la description d’un autre aspect de ma personnalité, je dois confesser que de parler ainsi de ma soif de connaître fait surgir le spectre de la seule peur consciente dont je n’ai pas réussi à me débarrasser. J’ai peur de déclencher des changements et de ne pas être capable d’en contrôler les impacts. Cette peur m’habite et me force parfois à spéculer longuement avant d’entreprendre un changement ou à préparer le terrain le plus possible afin de réduire les impacts. Je cherche non seulement à améliorer les choses, je tente aussi de faire en sorte que les changements s’effectuent avec le moins de remous possible. C’est là, je crois, mon côté sauveur...

JE MAINTIENS LE CAP MALGRÉ LA TEMPÊTE La plupart du temps, je suis capable de faire face à mes propres difficultés au fur et à mesure qu’elles se présentent. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette caractéristique est à la fois ma plus grande force et mon talon d’Achille. C’est ma force puisque je réussis à composer assez aisément avec des difficultés qui posent de sérieux problèmes à plusieurs personnes. Étant sensible aux changements dans l’environnement, j’anticipe rapidement les éventuels problèmes et je mets en place des mesures préventives ou correctives dans les meilleurs délais. En agissant dès que se pointent les problèmes, j’évite les impacts négatifs trop importants. Quand un irritant demeure dans l’environnement, j’essaie d’en tirer quelques profits et je m’accommode en trouvant une zone de confort. Le problème devient alors non avenu. Il m’arrive d’être en 45

déséquilibre, mais je retombe rapidement sur mes pieds. C’est mon talon d’Achille puisque l’éventail des problèmes que je peux régler à l’aide de mes stratégies d’adaptation me semble si grand que j’en arrive à négliger la possibilité qu’il puisse exister une zone sombre. Pourtant, ces moments où je perds mes moyens existent bel et bien comme nous le verrons plus loin. Lorsque l’improbable survient, je me trouve particulièrement démuni. Il faut dire que je n’ai pas de plan « B » à mettre en application si le plan « A » ne fonctionne pas. En tant que représentant de tous les papillons , j’ai beaucoup développé la capacité d’adaptation que requiert la résolution de problèmes. J’ai élaboré des stratégies pour faire face à la plupart des situations de ma vie professionnelle et personnelle. Au fil des années, si elles sont apparues à d’autres de simples techniques, elles sont devenues pour moi une partie intégrante de ma personnalité. Mes réussites sont devenues une importante source de fierté en même temps qu’une manière d’être.

JE SEMBLE SOLIDEMENT ANCRÉ DANS LE ROC Je dégage l’image d’une personne stable et solide sur qui l’on peut se fier. Afin de bien situer le cadre dans lequel je fais la présentation de cette caractéristique, je me permets de vous présenter la transcription approximative d’une discussion que j’ai eue un jour avec l’auteur de ce livre à ce sujet. Voici comment il m’a abordé et quelle fut la teneur de notre propos : 46

« C’est drôle, j’ai l’impression que ce n’est pas vraiment un trait de personnalité dont il est question ici. C’est plutôt une intention que tu prêtes aux autres. Si je te voyais comme un être orgueilleux, je dirais que tu tentes de t’attirer des éloges. – Il y a longtemps qu’on dit de moi que je suis rassurant, que j’ai l’air calme et en pleine possession de mes moyens. Il doit bien y avoir quelque chose de vrai dans ce discours. Même quand je me sens nerveux, les gens me disent que je les sécurise. – Il n’en demeure pas moins que c’est une observation indirecte. C’est comme si tu avais besoin de l’opinion des autres pour te définir. – Oui, c’est exactement ça. Si je ne tiens pas compte de l’opinion des autres, je sens que ma présentation est incomplète. – Si tu y tiens, je veux bien que tu présentes cette composante comme faisant partie de ta personnalité. Je me réserve cependant le droit de revenir ultérieurement sur cette dimension. Je trouve pour le moins curieux que tu aies besoin des autres pour te définir... – Si je tiens tant à prendre en considération l’opinion des autres, c’est que je me reconnais parfaitement dans l’image qu’ils me reflètent. Ils me disent fiable et fidèle. Je le suis. Ils se tournent vers moi. Je suis toujours très disponible. Bref, j’ai l’impression de correspondre à l’image qu’ils se font de moi. »

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Comme cette conversation l’indique, moi, le papillon, on me désigne souvent comme l’un des piliers de l’organisation, un poteau de la famille ou une assurance contre l’imprévu. Lorsque l’on m’applique ces épithètes, je sais qu’il y a un revers à la médaille. Je dois, premièrement, me montrer à la hauteur des attentes exprimées et cela est parfois exigeant. Deuxièmement, je dois dépendre des autres pour me définir. Je ne peux, en effet, être un pilier ou un poteau si je n’ai personne à soutenir. Tant que je suis en mesure d’aider, cela ne pose pas trop de difficultés...

JE DÉSIRE ÊTRE VU ET RECONNU DE TOUS Je cherche à être accepté du plus grand nombre de personnes possible. Depuis mon enfance, j’ai constamment tenté d’être accepté de tous, de faire l’unanimité. L’ignorance me blesse et le rejet me déroute totalement. Si je me trouve dans une salle où quatrevingt-quinze pour cent des personnes présentes semblent m’accepter, je concentre mes énergies auprès du cinq pour cent d’individus qui me semblent indifférents et je tente d’obtenir leur approbation. Je n’y peux rien, c’est plus fort que moi. J’ai déjà, par le passé, dépensé considérablement d’énergie pour rencontrer les exigences de certaines personnes. Malgré mes efforts, je n’ai pu plaire à tous. J’aimerais pouvoir dire que j’ai accepté qu’elles ne m’aiment pas, mais ce serait faux. Je me suis, tout au plus, résigné à ce qu’il y ait quelque part, une ou des personnes qui ne m’apprécient 48

pas. Un jour, je trouverai peut-être une façon de rencontrer leurs exigences. Ma tendance à vouloir plaire est fort probablement liée à ma soif d’affection et d’approbation. Il est certain que plus le nombre de personnes à qui je réussis à plaire est élevé, plus je retire de satisfaction. Cet élément ne suffit toutefois pas à expliquer que je cherche à plaire non seulement aux personnes de mon entourage, mais à tout le monde. J’imagine que je considère comme un échec le fait de ne pas réussir à établir un contact satisfaisant. Cette explication ne me satisfait pas entièrement, mais c’est la plus plausible qui me vient à l’esprit. Nous verrons plus tard que pour trouver une réponse plus complète à cette mise en situation, il importe de changer radicalement le point de vue.

JE M’ASSURE QUE LE NORD, LE SUD, L’EST ET L’OUEST NE SERONT PAS CONFONDUS Ce qui se passe au bureau reste au bureau ! Les autres n’ont pas à payer pour mes difficultés ! Ne mélangeons pas les cartes ! Attention à la contamination ! L’un de ces énoncés pourrait très bien être ma devise puisque chacun illustre comment je m’y prends pour demeurer relativement stable quelle que soit la situation. Quand des nuages viennent assombrir une sphère de ma vie, je me fais toujours un point d’honneur d’éviter que les autres aspects soient également obscurcis. Cela me permet de m’acquitter de mes responsabilités, tout en sentant que je garde le con49

trôle sur des secteurs dans lesquels je me sens compétent. Je suis capable de tracer une nette démarcation entre mes différents rôles et lorsque je suis affecté par une difficulté particulière, je ne la laisse pas influencer les autres dimensions de ma vie. Lorsque j’ai éprouvé des difficultés dans ma vie de couple, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour que mes enfants n’en soient pas affectés. Pendant toute la période de tourmente, je me suis efforcé de remplir adéquatement mon rôle de parent et je pense y être parvenu. C’est là une réalisation dont je suis extrêmement fier. D’ailleurs, le fait de me sentir adéquat dans mon rôle de parent m’a été salutaire, car j’ai ainsi réussi à garder ma trajectoire. Les embûches que je rencontre dans le cadre de mon emploi passent souvent inaperçues à l’extérieur de mon milieu de travail. J’aime que ma famille et mes amis soient épargnés de ces soucis. De toute façon, il ne sert à rien que tout le monde panique. Les fois où ils l’ont su, j’ai reçu des conseils et j’ai eu droit à des manifestations d’encouragement qui m’ont fait penser à de la pitié. Lorsque j’éprouve une difficulté quelconque, les conseils et la pitié sont les deux choses que je souhaite le moins recevoir. Je ne veux aucunement signifier que mon entourage est mal intentionné ou qu’il a pitié de moi, j’explique seulement que c’est de cette manière que je perçois son support.

J’INTÈGRE L’ÉNERGIE DES AUTRES À MA LUMIÈRE Lorsqu’une personne à qui j’accorde de la crédibilité me livre une information, celle-ci s’intègre directement à ma personnalité. Je me souviens d’un com50

mentaire fait par mon père il y a de cela plusieurs années. Un jour, au hasard d’une conversation, il a déclaré : « Il ne sert à rien de se plaindre. » Bien que cette phrase ne m’ait pas été personnellement destinée, j’ai alors pris pour acquis que je ne devais jamais me plaindre. C’est d’ailleurs ce que j’ai tenté de faire, au mieux de mes capacités, toute ma vie durant. J’ai su, très jeune, que j’aurais beaucoup de difficulté à composer avec les commentaires négatifs de mon entourage. J’ai donc déployé beaucoup d’efforts afin de ne pas m’exposer aux reproches. J’ai répondu rapidement à toutes les demandes explicites et implicites de mes proches. Je savais que ma personnalité était en cours d’élaboration et que la couleur de chaque commentaire venait en affecter la composition. Si on me disait « ce que tu fais n’est pas bien », je comprenais « ce que tu es n’est pas bien. » J’ai longtemps cru que tous les gens éprouvaient les mêmes émotions lorsqu’ils font l’objet de commentaires ou de remarques. Même lorsqu’on me comparait à quelqu’un et que la comparaison m’était favorable, je me souviens d’avoir ressenti de l’injustice.

APPRENEZ LES RÈGLES QUI FAÇONNENT LES PAPILLONS Les papillons, ces enfants comme les autres, commencent tôt à suivre trois règles très simples : aide les autres, assume tes rôles, adapte-toi ;

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Ils répètent ces trois règles à la première occasion ; le temps fait son œuvre.

VOILÀ COMMENT ILS DEVIENNENT CE QU’ILS SONT... J’aurais2 aimé être en mesure d’expliquer pourquoi ces gens deviennent ce qu’ils sont. J’aurais ainsi pu clarifier le rôle de leurs parents, préciser l’impact de leur situation socio-économique, parler de leurs différentes influences, etc. À vrai dire, je n’ai jamais pu déterminer avec précision les éléments qui les ont amenés à devenir des papillons. Chaque fois que j’ai essayé de répondre à cette question, je me suis perdu dans un labyrinthe de causes et d’effets. J’ai commencé à comprendre un peu mieux la situation lorsque j’ai cherché à mettre en lumière comment les forces présentes dans leur environnement se marient pour façonner leur identité. Ce qui est plus important encore, j’ai commencé à comprendre que toutes les personnes soumises aux mêmes conditions deviennent des papillons. Ceux qui, très tôt dans leur vie, aident les autres, assument leurs rôles et savent s’adapter aux événements deviennent presque systématiquement des papillons. J’en suis venu à cette conclusion en m’inspirant d’une fascinante expérience effectuée par Craig Reynolds. Il est informaticien et concepteur de programmes informatiques destinés à la diffusion multimédia. Je me permets d’en tracer ici les grandes lignes.

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Le lecteur aura compris que c’est l’auteur qui s’exprime à la première personne et non plus le papillon. 52

En 1987, Reynolds a tenté de simuler, grâce à l’informatique, le vol des oiseaux. Ayant représenté les oiseaux par des triangles qu’il a nommés « boids », il a ensuite entrepris d’élaborer une série d’opérations et de les codifier afin de trouver la programmation appropriée à son projet. Pour créer une simulation convaincante, il a tenté de prendre en considération tous les paramètres possibles, de prévoir toutes les exceptions et toutes les situations. Ce faisant, la programmation est devenue de plus en plus élaborée, mais les résultats sont demeurés décevants. La progression des « boids » est demeurée rigide et artificielle. Compte tenu des résultats obtenus, Reynolds a décidé d’explorer la direction opposée. Plutôt que de doter les « boids » d’une multitude de consignes, il a décidé d’identifier le plus petit nombre d’informations nécessaires à leur progression. C’est ainsi qu’il a donné les consignes suivantes à chaque « boid » : 1- Maintiens une certaine distance avec les objets et les autres « boids » qui se trouvent dans l’environnement ; 2- Ajuste ta vitesse à celle des « boids » qui se trouvent dans le voisinage ; 3- Dirige-toi vers le centre du groupe des « boids ». En dehors de ces trois règles, aucune autre information n’a été donnée aux « boids », pas même la consigne de former une volée d’oiseaux. Contre toute attente, les « boids » de Reynolds ont commencé à voler en groupe de façon à contourner des obstacles, en se divisant en sous-groupes, puis en se regroupant. À une certaine occasion, l’un 53

des « boids » a même heurté un obstacle, repris son vol en titubant et rejoint le reste du groupe ( DE ROSNAY, 1995). Cette expérience est intéressante sous bien des aspects. Elle démontre que les règles qui régissent le comportement en communauté ne sont pas aussi élaborées que l’on pourrait s’y attendre. Elle démontre également qu’il ne sert à rien de chercher à comprendre la cause des comportements puisque cela génère des modèles et des explications rigides. Finalement, et c’est de loin l’élément le plus important, elle démontre que les phénomènes complexes peuvent être compris si l’on identifie, sur une longue période, les directives fondamentales qui régissent les actions des individus. Quand j’ai cherché à prendre en considération l’ensemble des facteurs impliqués dans la genèse de l’identité des papillons, j’ai rencontré le même genre de problème que Reynolds avec sa première génération de « boids ». Je n’ai pu arriver qu’à une compréhension stéréotypée et partielle de leur développement. En m’inspirant de son expérience, j’ai abandonné la recherche des causes et du pourquoi pour me concentrer sur le comment. Tout comme Reynolds a cherché à trouver le plus petit nombre d’informations nécessaires à la progression des « boids », j’ai cherché à déterminer les règles de base autour desquelles la personnalité de papillons s’est formée et organisée. J’ai la conviction d’y être arrivé. Lorsque nous sommes enfants, la vie est un véritable chaos. Nous avançons sans trop comprendre ce qui se passe, nous essayons de prévoir, tant bien que 54

mal, la réaction des autres et nous faisons toutes sortes d’expériences pour lesquelles nous n’avons que peu de références antérieures. En fait, tout se passe comme si nous jouions un jeu sans en connaître les règles, sans même être certains qu’il s’agit d’un jeu. « Aide les autres » est la première règle que les papillons ont commencé à suivre pour s’inscrire dans le jeu et donner un sens à leur environnement social. En se répétant constamment cette consigne simple, ils ont su quoi faire pour être un joueur actif, et ce, peu importe le contexte. S’ils avaient suivi la règle « sois meilleur que les autres » ou « obtiens plus que les autres », il est plus qu’évident qu’ils ne seraient pas devenus des papillons. « Assume tes rôles » est la deuxième règle qu’ils ont suivie, et elle s’est avérée très efficace pour leur permettre d’obtenir l’approbation des autres et de se situer dans la communauté. Ils se sont donc efforcés d’être de bons enfants, des étudiants consciencieux, des compagnons fidèles, des travailleurs efficaces, bref, de répondre à toutes les attentes que tous ont entretenues directement ou indirectement à leur endroit. « Adapte-toi » est une consigne qui a tôt fait de devenir leur façon de composer avec les difficultés. Plutôt que de chercher à agir sur l’environnement ou à obtenir de l’aide, ils ont commencé à s’ajuster pour tenir compte des obstacles qui se sont présentés. Ainsi, ils ont pu se débrouiller seuls et faire face à un grand nombre de situations pénibles. 55

Ces trois règles qui déterminent le comportement caractéristique des papillons permettent à elles seules de rendre compte de la genèse de leur identité d’adulte. Elles sont devenues le ferment grâce auquel les ingrédients de leur vie se sont mariés et harmonisés. S’ils avaient eu des parents différents, un bagage différent ou s’ils avaient grandi dans un contexte socio-économique différent, ils auraient eu une histoire différente, mais ils seraient tout de même devenus des papillons en appliquant les mêmes directives. J’affirme d’ailleurs que tous ceux qui appliquent ces trois directives deviennent des papillons, et ce, quel que soit l’apport de leurs ressources personnelles. La personnalité du papillon n’a donc rien à voir avec le fait que celui-ci vienne au monde dans tel ou tel environnement ou qu’il possède tel ou tel bagage génétique. Ces éléments donnent de la couleur et de la texture à la personnalité, mais c’est la manière dont on met ces ressources à profit qui détermine la forme définitive de la personne. Le temps joue, quant à lui, un rôle non négligeable, car c’est la répétition des règles de base sur une longue période qui permet la structuration d’une personnalité sous une forme définie. Seuls ceux qui appliquent ces règles depuis leur tendre enfance développent l’identité d’un papillon. Ceux qui, sur le tard, adoptent ces règles peuvent avoir des comportements identiques – dans leur vie professionnelle ou tout simplement à titre de personnes-ressources dans leur vie personnelle –, mais ils ne font que superposer, sur une structure de personnalité déjà existante, des comportements qui sont socialement valorisés. 56

SOYEZ CONSCIENT DES RISQUES ASSOCIÉS À LA PERSONNALITÉ DU PAPILLON

Les papillons, comme d’ailleurs toutes les autres personnes et les organisations, arrivent un jour à une étape où ils doivent cesser de s’adapter aux événements. Ils doivent se transformer pour accéder à un stade ultérieur d’évolution. Plusieurs compagnies, surtout lorsqu’elles ont eu du succès, répugnent à se transformer et tentent de procéder à des ajustements à l’intérieur des structures existantes. Or le problème réside justement dans ces structures. Pour assurer leur survie, les organisations doivent modifier profondément leurs fondements et leur identité. C’est exactement le même dilemme auquel sont exposés les papillons. Ils vivent tous, un jour ou l’autre, une période de déséquilibre pendant laquelle ils sentent qu’ils doivent procéder à des changements profonds pour continuer leur évolution. Mais comme ils ont toujours eu du succès en s’adaptant aux événements, ils choisissent plus souvent qu’autrement de reporter à un moment « plus favorable » leur démarche de transformation, même s’ils sont conscients de sa nécessité. Toutes les fois que les papillons sont confrontés aux limites propres à leur identité, ils pénètrent, bien malgré eux, dans une zone sombre où leur personnalité est fortement ébranlée. Dans cette région de leur vie, ils ne souhaitent pas être vus, parce qu’ils ne se reconnaissent plus dans ce que leur reflètent les autres et qu’ils se sentent vulnérables. Pour quitter cette zone, ils n’ont que deux avenues possibles. Il y a tout d’abord 57

la sortie en boucle qui permet de retrouver le confort de ce qui est connu. C’est la voie de l’accommodation ou de l’adaptation. Puis, il y a la sortie qui débouche vers l’inconnu. C’est la voie de la transformation. Cette avenue les tente, mais l’idée de s’y engager les terrifie. Tout au long de leur vie, ils se sont efforcés de devenir compétents et de le demeurer, quelles que soient les circonstances. Ils ont donc évité, avec une relative efficacité, la tourmente et les situations trop périlleuses. Ils n’ont jamais été de ceux qui glorifient la douleur et les problèmes sous prétexte qu’il faut souffrir pour comprendre. Malgré leurs efforts, il arrive des moments dans leur vie où ils ne sont pas en mesure de composer avec les contraintes de l’environnement. Comme ils sont habitués à contrôler ce qui se passe, ils vivent chacune de ces situations comme une grave menace à leur identité, même s’ils savent que tous les humains ont leur lot de souffrance. Souvent, les problèmes sont limités à un seul secteur, et pourtant, ils se trouvent en déséquilibre dans toutes les sphères de leur vie. Quand ils y entrent pour les premières fois, généralement aux abords de la trentaine, ils tentent systématiquement de nier l’existence d’une telle zone, mais à force d’y retourner, ils se rendent à l’évidence : il y a des moments où ils n’ont plus accès à leurs ressources. Quand certaines conditions sont présentes, ils ne sont plus capables d’aider ou d’assumer leurs rôles comme ils en ont l’habitude. C’est d’ailleurs là une réalité avec laquelle ils ont beaucoup de difficulté à composer. 58

Après la négation vient l’évitement. Ils tentent, en utilisant toute l’énergie disponible, de contourner cette zone pour ne plus ressentir de sentiment d’échec et de déroute. Ils s’efforcent d’apprendre de leurs erreurs, de faire des choix plus judicieux, et surtout de ne plus se laisser envahir par leurs sentiments. Encore une fois, ils doivent avouer qu’ils n’y parviennent que partiellement. À intervalles réguliers, ils se retrouvent là où ils ne désirent pas être, confrontés à des situations déstabilisantes. Les forces dont ils sont habituellement si fiers ne leur sont pas d’une grande utilité. Quand ils pénètrent dans cette zone, il se passe quelque chose de très particulier : leur identité devient incertaine et cette situation bouleverse profondément leurs croyances, attitudes et comportements. Ils cessent alors d’être des aidants et adoptent leur comportement d’animal blessé. Un peu comme le loup qui quitte sa meute après un combat meurtrier, ils se retirent parce qu’ils doivent panser leurs plaies, mais également parce qu’ils considèrent ne plus avoir la légitimité nécessaire pour aider les autres. Ils fuient le plus possible le contact de leurs proches, au risque de se couper de leur principale source de gratification : l’approbation. Lors de ces périodes d’ambivalence, leurs sentiments s’entrechoquent. D’une part, ils se sentent coupables de ne pas avoir de solutions satisfaisantes à leurs propres difficultés et, d’autre part, ils sont en colère parce qu’ils savent qu’ils ont négligé des indices qui auraient pu leur indiquer l’imminence d’un retour dans cette zone. Souvent, leur entourage les trouve non accessibles lorsqu’ils sont dans la zone sombre. À leur dé59

fense, il faut préciser que s’ils paraissent si peu réceptifs, c’est qu’ils se sentent extrêmement mal à l’aise dans cette situation. Il n’est pas dans leurs habitudes de se laisser aider et ils ont beaucoup de difficulté à accepter cette situation. Leur identité change, et comme si cela n’était pas suffisant, ils deviennent soudainement habités par des croyances très surprenantes. Alors qu’ils ont l’habitude d’encourager les autres à aller chercher de l’aide, ils considèrent que, dans leur cas, c’est un signe de faiblesse. Alors qu’ils passent une bonne partie de leur temps à s’occuper des autres et à leur prodiguer des conseils, ils commencent subitement à considérer l’assistance et le support comme des formes de pitié. Alors que la réussite n’est pas, en temps normal, un critère primordial, ils commencent à évaluer toutes les sphères de leur vie en faisant le bilan de celles où ils ont échoué et de celles où ils ont réussi. Dans ces moments, bien peu de sphères se retrouvent dans cette dernière catégorie. Quand ils deviennent un animal blessé, ils se comportent d’une manière pour le moins particulière. Ils deviennent soudainement passifs devant les événements et se contentent d’espérer que « ça passe ». Ils cherchent à comprendre, mais plutôt que de chercher ce qui ne va pas, ils tentent d’identifier leurs erreurs de parcours. Ils ruminent sans cesse les mêmes idées. Ils s’isolent parce qu’ils ne savent pas quoi faire d’autre. Ils ont peur et ils ont mal... Le tableau que je dresse de la situation n’est guère reluisant et j’aimerais pouvoir dire aux papillons qu’il est possible de ne pas séjourner dans cette zone. Mais ce ne serait pas honnête de ma part. Je suis con60

vaincu que tous les papillons, en raison de certaines caractéristiques de leur personnalité, sont appelés, tôt ou tard, à devenir semblables à un animal blessé. D’ailleurs, la véritable difficulté ne réside pas dans le fait que cette zone existe bel et bien, mais plutôt dans l’attitude des gens qui y entrent. Ils tentent de l’éviter à tout prix alors qu’ils devraient considérer qu’il s’agit d’une étape normale, voire inévitable, de leur cheminement. À la rigueur, ils pourraient considérer que l’approche de cette zone est salutaire dans la mesure où elle annonce la possibilité pour eux d’accéder à une étape différente de leur évolution personnelle. Je ne sais pas comment éviter cette zone. Par contre, je connais les facteurs qui y entraînent les papillons : le doute, l’ambivalence et la déroute. LE DOUTE Un jour, les papillons commencent à douter. Ils remettent en question l’efficacité des règles auxquelles ils se conforment depuis l’enfance. Ils ont l’impression qu’on leur a imposé les comportements « aide les autres, assume tes rôles et adapte-toi ». Ils croient réentendre leur père et leur mère leur dire quoi faire. Ils développent la peur de s’être éloignés de leur véritable route, d’être passés à côté de leur vie. Ils remettent alors en question la pertinence de ces règles et ils tentent de ne plus se laisser dicter ce qu’ils ont à faire. Sans que les papillons le sachent, leurs doutes les entraînent, lentement mais sûrement, vers la zone sombre. En refusant d’utiliser leurs règles de base, ils se retrouvent devant un programme vierge ; 61

ils n’ont plus d’indications relatives à la marche à suivre. Leurs actions leur paraissent toutes plus futiles les unes que les autres. Il en viennent à remettre en question la pertinence et le sens de leur propre vie. Des émotions, qu’ils considèrent pourtant parfaitement contrôlées, resurgissent de leur passé et viennent colorer chacune de leurs pensées. Pire encore, ils sont hantés par l’image de la personne qu’ils auraient pu devenir s’ils n’avaient pas systématiquement aidé les autres, assumé leurs rôles et tant cherché à s’adapter. Ils ont la conviction que s’ils n’étaient pas devenus un être socialisé, ils auraient pu rester eux-mêmes et se réaliser pleinement. L’AMBIVALENCE S’il y a quelque chose que les papillons n’aiment pas, c’est faire de la peine aux autres ou les décevoir. Généralement, ils arrivent à combler leurs propres besoins tout en étant respectueux des besoins de ceux qui les entourent. Il y a malheureusement des moments où ils ne peuvent rencontrer les attentes des autres en même temps que les leurs. Ils se retrouvent devant le dilemme suivant : soit qu’ils réalisent pleinement leurs objectifs en sachant que cela attriste ou déçoit certaines personnes, soit qu’ils continuent à se montrer à la hauteur des attentes d’autrui en acceptant de reporter ou de modifier la réalisation de leurs objectifs. Ce genre de situation les plonge régulièrement dans la zone sombre. Ils assistent, en tant que 62

spectateurs, à une lutte entre deux tendances d’égale force : une lutte entre leur côté passionné et leur côté raisonnable. Le côté passionné, qui fait appel à l’intuition et au cœur pour prendre des décisions, ne souhaite qu’une chose : que, pour une fois, ils s’occupent entièrement d’eux, sans tenir compte de l’opinion des autres, et qu’ils parcourent des routes remplies de surprises et de découvertes. Somme toute, qu’ils vivent et se réalisent pleinement. Parfois, la passion prend le dessus et les papillons choisissent de partir ou de changer complètement de direction. Les victoires de la passion sont toutefois de courte durée, car la raison revient revendiquer sa place. Ils choisissent alors de rester et de continuer sur la même voie ou de faire des ajustements mineurs. Chaque fois qu’une des tendances prend le dessus, ils espèrent que ce sera pour de bon, que la décision sera enfin prise. Mais cela n’est que rarement le cas, puisqu’ils ont la profonde conviction de perdre quelque chose d’important, quelle que soit l’option choisie. Il suffit qu’ils s’engagent sur une voie pour qu’aussitôt ils regrettent l’autre. Lorsqu’ils se regardent dans un miroir pendant ces périodes d’ambivalence, c’est un animal blessé qu’ils voient. Meurtris, déchirés et craintifs, ils entretiennent l’espoir que ces incessants tiraillements vont bientôt s’arrêter et qu’ils retrouveront enfin une paix intérieure. En temps normal, le fait de s’occuper constamment des autres ne leur pose aucun problème. Par contre, lorsqu’ils sont dans la zone, ils ressentent tous les sacrifices que cela 63

implique. Le prix à payer est énorme puisqu’il leur faut, chaque fois, taire leurs ambitions et leurs aspirations les plus profondes. LA DÉROUTE Finalement, il y a des moments où les règles de base s’avèrent inefficaces. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette situation les désorganise au point de les précipiter dans la zone sombre, où ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ces moments de déroute, ils les doivent surtout à l’intervention d’éléments extérieurs et à certains contextes malsains. Lorsqu’ils n’ont aucun pouvoir sur les événements, par exemple lors de problèmes de santé ou de perte d’emploi, leurs règles habituellement si fiables ne leur servent à rien. En fait, quand ils essaient d’adapter leur personnalité à une nouvelle réalité de ce type, ils en arrivent fatalement à se remettre en question et à se culpabiliser. Pourtant, ils savent pertinemment que ce ne sont pas eux qui sont en cause, mais plutôt un concours de circonstances. Ils ressentent aussi un sentiment de déroute chaque fois qu’ils se retrouvent dans un environnement très compétitif. N’y trouvant aucun renforcement positif, ils développent la conviction que, dans ce genre d’environnement, leurs efforts d’adaptation se retournent contre eux, qu’on les exploite pour profiter de leurs idées et de leur énergie. Ce qui, généralement, est hautement valorisé est considéré par les personnes compétitives comme des signes de faiblesse. 64

Que ce soit dans un milieu en bouleversement ou dans une jungle de compétition, les papillons ressentent souvent qu’ils perdent pied et que leurs mécanismes habituels ne leur permettent pas de composer adéquatement avec tout ce qui se passe. Peut-être y a-t-il trop de nouvelles règles du jeu. Peut-être y a-t-il aussi des règles qu’ils se refusent à considérer. Quoi qu’il en soit, ce genre de situation les conduit dans la zone de la déroute. Ils deviennent alors incapables de décider quoi que ce soit, de conserver l’assurance qui les caractérise normalement. Plus ils restent blessés pendant une longue période, plus le risque qu’ils remettent en question leurs compétences s’accroît. Qui, en effet, peut se targuer de pouvoir aider les autres alors qu’il a peine à s’aider lui-même ? Cet état de désarroi les amène, plus que tous les autres, à douter de leurs capacités de papillons. Graduellement, l’écart entre ce que les gens leur reflètent et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes se creuse. Plus on leur reflète leurs forces et compétences, plus les papillons ressentent cruellement leur incapacité à faire face aux situations qui se présentent. Ils sentent, à tort, que leur réputation est surfaite et que derrière l’image se cache une très grande fragilité. Ainsi, toutes les fois où le doute, l’ambivalence ou la déroute se manifeste avec une forte intensité, ils se retrouvent dans la zone. Avec toutes les ressources dont ils disposent, on pourrait s’attendre à ce que les papillons comprennent rapidement, en temps et lieu, que quelque chose ne va pas dans leur fonctionnement, que des changements importants sont né65

cessaires, que leurs règles de base ne leur permettent plus d’être aussi efficaces. Eh bien, non, ils sont prisonniers de leur propre capacité à s’adapter et comprennent que le temps de la transformation est arrivé seulement lorsqu’ils y sont contraints. Habituellement, dès qu’ils sortent de la zone, ils recommencent à contrôler les événements et leurs émotions, à avoir la conviction qu’ils « savent »... À force de redevenir périodiquement un animal blessé, ils prennent conscience du caractère cyclique de leur situation : Ils aident, ils assument leurs rôles et ils s’adaptent ; L’ambivalence, la déroute et les doutes surgissent ; Ils entrent dans la zone et deviennent un animal blessé ; Ils s’accommodent et recommencent à contrôler leur environnement. Dans leur période adulte, les papillons vivent cette séquence à plusieurs reprises. Chaque cycle complété est une épreuve difficile, car le poids de la répétition et l’usure du temps se font cruellement ressentir. Ils ont beaucoup de difficulté à accepter le fait d’être incapables de se sortir de ce tourbillon. Plus ils ont l’impression de maîtriser leurs émotions et de se mettre à l’abri d’une éventuelle rechute, plus leurs séjours dans la zone leur apparaissent pénibles.

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Il importe que tous les papillons sachent qu’il y a dans ce cycle une période cruciale, une occasion qu’il leur faut saisir s’ils veulent briser la séquence. Cette période se situe juste à la sortie de la zone, à la croisée des chemins qui mènent, l’un à l’accommodation, et l’autre à la transformation.

TEST Jusqu’à quel point êtes-vous un papillon ? En utilisant les chiffres de 1 à 10, indiquez votre degré d’accord avec les énoncés suivants : 0-3 Vous n’êtes pas du tout en accord avec l’énoncé, il ne s’applique pas à vous. 4-7 Vous êtes partiellement en accord avec l’énoncé, il s’applique moyennement à vous. 8-10 Vous êtes tout à fait en accord avec l’énoncé, il s’applique très bien ou totalement à vous.

1- Les gens se tournent vers moi lorsqu’ils ont des difficultés. ( ) 2- Je trouve habituellement des réponses satisfaisantes aux questions des autres et à mes propres préoccupations. ( ) 3- J’aide les autres parce que cela est aussi naturel pour moi que de manger et de boire. ( ) 67

4- On dit souvent de moi que je fais passer les besoins des autres avant les miens. ( ) 5- Je suis utile aux autres, donc ma vie a un sens. ( ) 6- J’ai une compréhension intuitive de ce que vivent les autres. ( ) 7- Je cherche à comprendre ce qui pousse les autres à agir. ( ) 8- Les gens me disent qu’ils me trouvent rassurant et sécurisant. ( ) 9- Je souhaite me faire remarquer pour mes réalisations. ( ) 10- J’ai toujours senti que je pouvais accomplir des choses hors du commun. ( ) 11- J’ai parfois eu l’impression d’aider les autres davantage pour moi-même que par grandeur d’âme. ( ) 12- J’ai toujours assumé les rôles qui m’ont été confiés dans mon travail et dans ma vie personnelle. ( ) 13- Je suis tout à fait allergique aux conseils. ( ) 14- Dans la très grande majorité des situations auxquelles je suis exposé, je suis en contrôle. ( ) 15- J’ai beaucoup de difficulté à supporter l’idée de faire de la peine aux autres. ( ) Additionnez tous vos résultats et reportez le total ici ____________

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Si vous obtenez entre 100 et 120 points, vous avez plusieurs des caractéristiques des papillons. Si vous obtenez 120 points et plus, pas de doute, vous êtes un papillon. Dans ce cas, passez aux énoncés suivants : 1- Je refuse de jouer le jeu de la compétition. ( ) 2- Je considère que la façon dont on se rend à destination est plus importante que la destination ellemême. ( ) 3- Je pense que si les gens avaient les moyens de régler leurs problèmes, ils le feraient. ( ) 4- S’il y a dans une salle quatre-vingt-dix pour cent des gens qui m’apprécient, je me concentre sur le dix pour cent d’individus qui me semblent indifférents pour qu’ils en viennent à m’apprécier. ( ) 5- Si j’assume tous mes rôles, je serai nécessairement satisfait de ma vie. ( ) Additionnez vos résultats des cinq dernières questions et reportez le total ici __________ Si vous avez 20 points ou moins, vous êtes probablement en démarche de changement et en voie de devenir un bâtisseur du troisième millénaire. Ce livre peut vous permettre de continuer élégamment votre démarche. Si vous avez 30 points et plus, soyez prudent. Vous serez éventuellement confronté aux risques présentés dans le chapitre précédent. Si vous êtes prêt à vous engager, ce livre peut vous aider à franchir la distance qui vous sépare des bâtisseurs du troisième millénaire. 69

ÉVALUEZ LE NIVEAU DE VOTRE PROPRE ÉVOLUTION EN TANT QUE PAPILLON

À ce stade-ci, si vous vous êtes reconnu comme papillon, vous vous demanderez sans doute s’il est préférable de continuer à vous adapter ou s’il est préférable que vous complétiez votre transformation pour accéder au niveau supérieur de votre évolution. Je vous propose certains critères pouvant vous aider à prendre une décision. D’une façon générale, vous pouvez considérer qu’il est temps d’amorcer ou de continuer votre transformation lorsque vous vous sentez à l’étroit dans votre peau et dans votre vie. Vous avez alors l’impression que le quotidien se resserre sur vous, que vous avez de plus en plus de difficulté à respirer et à revenir à un état d’esprit calme après vos séjours dans la zone sombre. De façon spécifique, il faut cependant apporter des nuances, car l’urgence d’amorcer votre transformation ou de la compléter est très intimement liée à votre condition actuelle. Pour clarifier mes propos, voici différentes situations fréquemment rencontrées et sur lesquelles je me permettrai certains commentaires. 1re hypothèse : Vous avez obtenu moins de 100 points au test du chapitre précédent. Dans votre cas, il n’y a aucune urgence à opérer une transformation, du moins pas celle qui vous amènerait à terminer votre développement en tant que papillon. Allez à votre propre rythme et prenez connaissance des prochaines pages en vous disant qu’elles livrent des informations sur des personnes de vo70

tre entourage. Vous pourrez mieux les comprendre et les supporter dans leur cheminement. Inspirezvous librement du matériel présenté. 2e hypothèse : Vous vous êtes reconnu parfaitement dans la définition du papillon, mais vous avez une relative facilité à redevenir serein après vos séjours dans la zone. De plus, vous retirez encore beaucoup d’avantages de votre condition actuelle. Mettez ce livre de côté ou lisez-le avec détachement. Vraisemblablement, vous n’avez pas de motifs suffisants de changer les fondements de votre identité. En fait, les inconvénients liés à votre transformation seraient plus importants que ceux qui sont inhérents à votre situation actuelle. Si vous changez radicalement, rappelez-vous que votre environnement sera bousculé. Certaines des personnes que vous aimez éprouveront de la peine et ressentiront un fort sentiment de déroute. Honnêtement, je vous suggère de maintenir ce qui fonctionne encore. Vous n’avez pas besoin de déclencher une tempête qui vous ébranlera, de même que vos proches, si les problèmes que vous éprouvez demeurent circonscrits. Considérez les prochaines pages comme une mise en garde à laquelle vous pourrez toujours vous référer ultérieurement, comme un guide que vous pouvez utiliser pour augmenter votre efficacité. 3e hypothèse : Vous avez déjà commencé à vous sentir à l’étroit et à réaliser que vous devrez éventuellement sortir de votre cocon pour vous exprimer. La situation est cependant tout à fait supportable puisque vous avez atteint plusieurs des standards sociaux de réussite. 71

J’ai pour vous un petit exercice. Imaginez que vous demeurez sur la voie qui est la vôtre actuellement et projetez-vous dans le futur : dans dix ans..., dans vingt-cinq ans..., dans quarante ans... Ressentez ce que vous allez éprouver à ces différents moments de votre vie. Efforcez-vous de ne pas rester cérébral et répondez aux questions suivantes : Si vous demeurez au stade de votre développement de papillon (la voie sur laquelle vous êtes actuellement engagé), serez-vous satisfait dans dix, vingt-cinq et quarante ans ? ❖

Allez-vous être fier de vous, de vos réalisations et de votre accomplissement ?



Aurez-vous utilisé votre potentiel à votre satisfaction ?



Aurez-vous été le modèle que vous aviez souhaité être pour vos enfants ?

Si vous êtes satisfait de vos projections, reportezvous aux commentaires de la deuxième hypothèse. Profitez des avantages qu’une réussite sociale procure. Si vous n’êtes pas du tout satisfait de vos projections, si vous êtes incapable de supporter l’idée de passer votre vie ainsi, je vous rassure tout de suite : vous n’avez pas besoin d’attendre que les événements vous aient mis au pied du mur pour agir. Vous pouvez dès maintenant amorcer ou parfaire votre cheminement. Vous trouverez dans les pages à venir quantité d’informations que vous pourrez mettre à l’essai et adapter, le cas échéant, à votre propre réalité. Le courage et la foi en l’avenir seront importants pour vous, car vous découvrirez que ce n’est pas nécessai72

rement simple de vivre des changements quand la situation est encore confortable à plusieurs égards. Beaucoup de renoncements à court terme devront être acceptés si vous souhaitez des objectifs à long terme. 4e hypothèse : Vous savez, depuis longtemps, que vous aurez à sortir du carcan de votre propre « perfection », mais vous avez décidé de faire passer les besoins de vos enfants et de votre famille avant les vôtres, du moins pour un temps. Dans ce cas, il est très important que vous ne reportiez pas votre décision trop loin dans le temps. Si vous attendez trop, vous risquez de vous perdre de vue et de vous réveiller en éprouvant énormément de culpabilité. Vous ressentirez aussi le besoin de formuler des griefs à l’endroit des gens de votre milieu de vie. Quand on sait combien il faut d’énergie pour sortir de son cocon, il vaut mieux s’assurer de ne pas avoir, en plus, à vivre de regrets majeurs. Si, malgré ces précautions, vous éprouvez des remords, prenez soin de vous et entourez-vous de personnes qui sont prêtes à vous écouter sans vous donner de conseils. Vous n’avez surtout pas besoin que quelqu’un vous rappelle ce que vous devez faire. Soyez indulgent à votre égard, centrez-vous sur ce que vous avez fait de bien jusqu’à présent et sur ce que vous souhaitez faire dans le futur. 5e hypothèse : Vous avez obtenu 120 points ou plus au test. Vous êtes dans l’eau bouillante. Si quelque chose ne se passe pas, vous avez l’impression que vous allez imploser. Si vous ne complétez pas votre développement de papillon bientôt, vous risquez de rester à jamais dans votre cocon pourtant devenu trop petit. 73

Il n’est plus le temps pour vous de préserver la chèvre et le chou. Vous devez impérativement vous préoccuper de vos besoins. Votre image de conjoint et de travailleur parfaits ne vous convient plus. Vous devez briser les liens de dépendance qui vous lient aux autres de façon aussi subtile qu’ambiguë. Vous ne pouvez pas continuer à vivre par procuration en vous occupant principalement des autres. Faites confiance aux capacités des êtres aimés à prendre soin d’eux-mêmes. Ils ont le droit d’être tristes, de réagir et de ne pas être d’accord. Utilisez les pages suivantes comme un guide. Vous auriez probablement fait la plupart de ces découvertes vous-même, mais il vous aurait fallu passablement plus de temps et de larmes. Vous pouvez faire certains changements dès maintenant, d’autres nécessiteront que vous soyez en interaction avec votre entourage et exigeront du temps. 6e hypothèse : Vous êtes déjà avancé dans votre transformation. Profitez des informations qui suivent pour valider votre démarche et vous renforcer dans votre décision. Vous êtes beaucoup moins seul que vous ne le pensiez. Plusieurs vivent ces changements à la fois stimulants et éprouvants. Continuez à agir en direction de vos buts, car même s’il y a des pertes à court terme, l’investissement que vous faites en vous ne peut que porter des fruits. Vous allez un jour ou l’autre entrer dans une région de votre vie, peut-être y êtes-vous déjà allé, où tout a une saveur et une texture plus riche. C’est à partir de ce moment que vous pourrez véritablement vous épanouir.

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Chapitre III

Opter pour deux valeurs qui soutiennent l’engagement : le courage et le sens de l’honneur Vous savez maintenant que vous devez absolument vous engager si vous souhaitez augmenter votre qualité de vie et celle des gens qui vous entourent. Vous connaissez également les caractéristiques des papillons ainsi que les dangers qui les menacent. Si vous ne vous êtes pas pleinement reconnu dans leur description, considérez le reste de votre lecture comme une illustration de la façon dont les humains se transforment. Quelle que soit notre personnalité, nous faisons tout ce que nous pouvons pour maintenir intacte notre identité. Puis, quand nous n’avons plus le choix, nous lâchons prise et nous nous réorganisons à un niveau plus avancé. Étant donné leurs caractéristiques, les papillons sont tout simplement plus outillés pour reporter le moment de lâcher prise (ce qui n’est pas nécessairement une très bonne chose en ce qui a trait à leur cheminement). Vous devez sans plus tarder passer à l’action et votre engagement ne doit pas devenir un vœu pieux. Je vous invite à poursuivre votre lecture et à utiliser les informations que vous détenez maintenant comme des balises. Je vous propose de vous accompagner dans le cheminement que vous entrevoyez suivre pour prendre votre envol. 75

Dans cette quête, vous allez éprouver toutes sortes de difficultés et de craintes. Vous allez faire l’expérience de l’incertitude et du doute. Mais en même temps, vous allez vous rapprocher de ce que vous êtes vraiment. Vous allez faire jaillir la flamme qui couve sous la cendre, vous allez libérer la passion qui sommeille en vous et ne demande qu’à s’exprimer. Si vous possédez plusieurs caractéristiques des papillons, vous avez certainement effectué des séjours dans la zone sombre. Dans ce cas, vous avez déjà ressenti la sensation d’étouffer de l’intérieur, d’être à l’étroit dans votre propre vie et dans votre propre peau, et le besoin de sortir à tout prix de votre cocon. Les papillons qui ont pris leur envol ainsi que tous ceux qui se sont engagés personnellement à devenir des bâtisseurs du troisième millénaire ont dû s’armer de courage et faire preuve d’honneur pour accomplir leur destinée. Je vous propose de vous inspirer de leur conduite puisque les deux valeurs qui les distinguent sont pratiquement indissociables de la véritable démarche d’un bâtisseur.

ACCEPTEZ DE DEVENIR INCOMPÉTENT (NE TENTEZ PAS DE CONTRÔLER VOTRE UNIVERS INTERNE) Vous devrez faire preuve de courage particulièrement pour vous défaire du carcan de votre propre compétence. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est là votre premier défi. Si vous passez votre temps à rechercher les situations dans lesquelles vous êtes à l’aise, vous serez continuellement dans ce que vous connaissez déjà, dans le confort du connu. 76

Habituellement, nous nous sentons compétents lorsque nous sommes en mesure de contrôler notre univers interne, lorsque nous maîtrisons nos émotions et nos réactions dans des situations précises. Cette conception de la compétence est un piège dans la mesure où elle nous pousse à rechercher les situations qui suscitent cet état de confort et à fuir les situations qui comportent de véritables défis. Prenons l’exemple suivant : une jeune femme dans la trentaine, qui a eu à composer depuis son enfance avec un père violent et a aussi vécu avec des conjoints violents, se retrouve dans un bar. Selon vous, auprès de quel genre d’homme risque-t-elle de se sentir à l’aise ? Auprès de quels hommes a-t-elle le plus de chance de se sentir « compétente » ? La réponse est presque pathétique : auprès des hommes qui ont un très haut potentiel de violence. Bien sûr, cette femme ne recherche pas consciemment les mêmes situations, pas plus qu’elle n’aime répéter les mêmes erreurs. Elle réagit en fonction d’un message viscéral qui lui indique qu’elle se trouve en terrain connu et sécurisant. Quand, en contrepartie, elle se retrouve près d’un homme qui ne correspond en rien à ce qu’elle connaît, dont elle n’est pas en mesure de prédire les comportements, tout son corps génère un malaise pour indiquer qu’un territoire inconnu vient d’être découvert. Paradoxalement, la seule véritable chance pour cette jeune femme de se sortir de cette situation est de réagir de façon contraire à ce qui semble logique. Il faut qu’elle en vienne à interpréter sa sensation de bien-être auprès de certains hommes 77

comme l’indice qu’elle risque de se retrouver de nouveau dans la situation qu’elle connaît. Il faut également qu’elle commence à considérer la sensation liée à la « nouvelle situation » comme une alliée précieuse. La chance de rencontrer quelqu’un qui n’est pas violent augmente quand elle ressent cette sensation, ce qui n’exclut pas la possibilité qu’elle rencontre des hommes ayant d’autres comportements tout aussi désagréables. J’ai choisi cet exemple parce qu’il illustre bien comment il est humain de rechercher sa zone de confort et comment les changements importants exigent foi, conviction et détermination. La réaction de déroute dont il est ici question est un sujet très peu documenté. Pourtant, il est essentiel d’en comprendre toute la portée lorsqu’on désire planifier des changements personnels ou aider les autres personnes et les institutions à évoluer. Fondamentalement, les gens ne résistent pas au changement, ils tentent seulement de conserver le contrôle de leur univers interne, de ce qu’ils connaissent le mieux. Qui plus est, lorsque tout semble s’effondrer autour d’eux, la tentation de vouloir maintenir au moins une dimension sous contrôle est extrêmement forte. Il s’agit d’une réponse réflexe profondément ancrée dans notre physiologie et bien antérieure aux réactions conscientes. La prochaine fois que vous suggérerez à une personne de changer une dimension importante de sa vie, rappelez-vous que vous lui suggérez d’abandonner ce qu’elle connaît, de se jeter dans la vague avec ce que cela comporte d’incertitudes et de doutes. 78

Les changements mineurs ne provoquent pas de malaises importants et ne demandent que des ajustements partiels. En ce sens, ils ne constituent pas un défi important. Les transformations sont, quant à elles, profondément déroutantes et exigent des ajustements fondamentaux. Elles peuvent, bien sûr, être grisantes par moments, mais habituellement, elles provoquent un tourbillon dans lequel il n’est pas toujours simple de se retrouver. Il est impératif d’apprendre à composer avec cette sensation qui s’apparente à une perte d’équilibre et à un état de panique. Il faut pour ce faire que le courage soit au rendez-vous, car quitter le connu n’est pas une démarche simple en soi. Même les changements considérés comme positifs impliquent ce genre de réactions. Les enfants qui retrouvent une figure parentale positive, les adultes qui bénéficient de promotions, qui se retrouvent dans une nouvelle relation satisfaisante ou dont la situation financière s’améliore subitement se retrouvent tous avec une désorganisation interne. Dans ces nouveaux espaces, ils ont à composer avec des réactions et des émotions dans lesquelles ils ne se reconnaissent pas et qui sont tout à fait déroutantes. J’ai d’ailleurs vu de nombreuses personnes saboter leur propre progression parce qu’elles étaient incapables de tolérer cette agitation intérieure. Dans la majorité des situations, il est plus facile de composer avec les changements positifs, car des gratifications extérieures viennent habituellement compenser le tourbillon intérieur. Les gains en affection, en attention, en argent ou sous toute autre forme 79

viennent rendre ces périodes troubles plus acceptables. Les bâtisseurs du troisième millénaire ont appris à définir autrement leurs compétences. Ils anticipent et utilisent leurs réactions viscérales pour se guider dans leur quête d’évolution. Plutôt que de qualifier leur sensation de « malaise », ils préfèrent parler d’« informations supplémentaires » et en faire un usage productif.

AGISSEZ SANS TOUT CONTRÔLER (NE TENTEZ PAS DE CONTRÔLER VOTRE UNIVERS EXTERNE) Je sais, d’expérience, que les papillons sont des maîtres du contrôle. Ils respectent les autres, leur autonomie et leur individualité, mais ils tentent de contrôler tous les facteurs possibles afin d’éviter le moindre inconfort à chacun. Ils font tout en leur pouvoir pour éviter de créer des vagues et surtout pour continuer à faire l’unanimité. D’ailleurs, le contrôle des facteurs extérieurs est un comportement fortement répandu chez la majorité des personnes adultes. Voilà donc un autre secteur où vous aurez à changer radicalement vos habitudes. Il vous faut apprendre à vivre avec les vagues, à les rechercher même. Les autres personnes ont droit à leurs réactions, car, en définitive, réagir est un droit inaliénable. Lorsque vous aurez résolu de ne plus contrôler votre univers interne, il vous faudra vous convaincre aussi de la futilité des efforts effectués dans le but de contrôler votre environnement. 80

Il est relativement facile de prévoir les réactions des autres, d’anticiper leur tristesse, leur colère et leur désarroi. Il est tout aussi facile d’éviter les difficultés et les conflits reliés à la présence de ces éléments. Il suffit de protéger les gens de tout ce qui peut les déranger. Combien de fois ai-je vu des papillons s’adapter à une situation qui les dérangeait sous prétexte d’éviter aux autres des désagréments ! Il faut dire qu’ils ont une peur presque maladive d’être directement ou indirectement à la source des souffrances des autres. Le problème avec une telle attitude — contrôlante et protectrice — est qu’elle entraîne toute une succession de comportements d’évitement. Les papillons se contentent d’éviter ce qui risque de causer des problèmes et négligent de poursuivre les idéaux qui les animent. Tranquillement, insidieusement, ils s’éloignent de leurs rêves. Un jour pourtant, il faut cesser de ménager la chèvre et le chou. À trop flirter avec les compromis, on en arrive à frôler la compromission. Il faut se positionner, prendre le risque de se tromper et cesser de vouloir faire plaisir à tout le monde. Bref, il faut avoir le courage de ses convictions. Contrôler les réactions des autres peut être gratifiant, voire sécurisant, mais c’est un fort mauvais investissement. En se centrant sur les réactions des autres pour déterminer ce qui est juste, les papillons négligent de considérer leur principale source d’information : leur identité profonde. Ce n’est qu’en se centrant sur leur essence, sur ce qui les différencie des autres tout en les maintenant « connectés » à eux qu’ils peuvent aspirer à se diriger adéquatement.

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Quoiqu’ils soient bien intentionnés, leur attitude par rapport à l’environnement n’est pas correcte puisqu’elle part du principe qu’ils doivent à tout prix éviter de décevoir les autres ou de déroger à l’un de leurs rôles. Ils demeurent de « bons » parents, de « bons » conjoints, de « bons » travailleurs. Chaque fois que la satisfaction de leurs besoins entre en conflit avec leur image ou leurs rôles, ils choisissent systématiquement de préserver leurs relations avec les autres et se plient aux conventions en faisant taire leurs aspirations. Les gens sont pleinement responsables de leurs réactions. Décider des émotions qu’ils doivent vivre ou ne pas vivre est un manque profond de respect. D’ailleurs, le fait de vouloir contrôler tous les événements est une stratégie qui entrave les forces naturelles d’autoorganisation propres à tout système. Plus précisément, il n’est pas nécessaire d’abandonner complètement le contrôle, mais il est essentiel de changer d’axe. Plutôt que de continuer à se centrer sur le contenu, il convient d’être très actif au niveau du processus. Un peu comme le fait un metteur en scène, il faut s’assurer que les acteurs connaissent leur rôle, que le contexte est propice, mais il faut laisser la place aux artistes. Au besoin, il ne faut pas hésiter à évaluer la performance des acteurs et à procéder aux ajustements qui s’imposent. En tant que papillon, je sais que vous vous imposez de très hauts standards, il est donc tout à fait légitime que vous soyez exigeant avec les autres.

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COMPOSEZ AVEC LES VALEURS GUERRIÈRES ET COMMUNAUTAIRES

On reconnaît les bâtisseurs à la façon dont ils traduisent les valeurs en actions concrètes. Plutôt que de suivre les modes, ils ont le courage de clarifier franchement et sérieusement les valeurs auxquelles ils souscrivent en prenant grand soin d’en considérer les possibles implications. Les papillons se contentent souvent de privilégier certains types de valeurs, les bâtisseurs vont plus loin et apprennent à jongler avec des valeurs qui apparaissent antinomiques ou mutuellement exclusives. Ils préfèrent aider, mais sont capables de sanctionner. Ils ne recherchent pas le pouvoir comme un but en soi, mais ils l’utilisent régulièrement pour obtenir des résultats. Ils recherchent le bien collectif, mais ils acceptent les honneurs individuels. Pour continuer votre travail de transformation, il importe que vous soyez à même de reconnaître les valeurs qui font courir les papillons et celles qui les font fuir. Vous devez clarifier votre position par rapport à ces valeurs, car vous aurez à vous en affranchir, du moins en partie. Les valeurs communautaires sont celles qui impliquent une primauté des intérêts de la collectivité sur les intérêts individuels. Les individus doivent assumer certains rôles afin d’assurer la survie et le développement de la communauté. L’entraide, la collaboration, le recyclage et le partage sont des exemples de ce type de valeurs. 83

Les valeurs guerrières sont, quant à elles, beaucoup plus associées au culte de l’ego et aux intérêts individuels. Les individus s’associent aux autres dans la mesure où leurs intérêts sont bien servis. La compétition, la rivalité, le recours au pouvoir et la quête de gratifications individuelles sont des exemples probants de ce type de valeurs. Bien entendu, les papillons ont une très nette préférence pour les valeurs de type communautaire. Ils commencent tous très jeunes à faire passer les intérêts des autres avant les leurs. Ils y retrouvent bien sûr leur compte, puisque c’est pour eux un formidable moyen de s’attirer un capital de sympathie et d’amour. Graduellement, ils en viennent à privilégier systématiquement les activités et les professions qui leur permettent de vivre en conformité avec ces valeurs. Ils carburent à l’empathie. S’il y a dans une salle une personne aux prises avec des difficultés émotives, il est presque certain qu’un papillon va se trouver à ses côtés tôt ou tard. A contrario, ils répugnent à s’inspirer des valeurs guerrières. Les activités qui les mettent trop à l’avant-scène, qui mènent aux honneurs individuels et qui visent essentiellement à obtenir des gains personnels sont soigneusement évitées. De même, les professions qui impliquent de la compétition n’ont pas beaucoup d’adeptes chez ce groupe d’individus. Il suffit d’évoquer la compétition et la loi du plus fort pour provoquer chez eux de très fortes réactions négatives. S’ils assistent à un événement sportif, il y a fort à parier que les papillons auront une préférence pour l’équipe négligée. 84

En apparence très louable et difficile à contester, le choix de privilégier ainsi un type de valeurs et d’en écarter un autre peut avoir des répercussions fort négatives pour les papillons. En effet, les valeurs communautaires n’ont pas que des avantages et les valeurs guerrières n’ont pas que des inconvénients. Plusieurs l’apprennent à leurs dépens. Si l’investissement en faveur des valeurs communautaires permet de retirer beaucoup de bénéfices importants sur le plan personnel et professionnel, dans certaines circonstances, les dividendes diminuent. Ainsi, lorsque le pouvoir et l’influence sont en jeu, les papillons ont de la difficulté à se faire valoir à juste titre. D’autres individus, souvent moins compétents qu’eux, accèdent à des postes stratégiques tout simplement parce qu’ils acceptent de jouer le jeu politique en vigueur. Les papillons font d’ailleurs preuve d’une très grande naïveté en ce qui concerne les motivations humaines. Parce que c’est leur cas, ils croient généralement que tous les êtres humains font passer les intérêts supérieurs de la collectivité avant leurs propres intérêts, ce qui, bien entendu, leur réserve une multitude de déceptions. Ils s’attendent également à ce que leurs compétences et leur dévouement soient reconnus par tous. Or, certaines personnes n’ont pas d’intérêt à utiliser la compétence comme critère ultime de sélection. Quand on s’approche de la zone d’influence majeure, d’autres intérêts, nettement moins élevés, sont présents. Qu’on le veuille ou non, le prestige et les avantages associés au pouvoir attirent beaucoup de prétendants aux motifs plus ou moins nobles. La navigation dans ces eaux tumultueuses exige davantage qu’une attitude juste et des sentiments honorables. 85

Considérer les valeurs communautaires comme une priorité, c’est risquer également de provoquer, au niveau professionnel, un subtil glissement vers une attitude idéologique frôlant l’utopie. Oui, il est bien de vouloir le développement optimal de tous, de chercher à faire ressortir le potentiel qui sommeille en chacun. Par contre, il est irréaliste de considérer tous les êtres humains sur le même pied d’égalité et d’avoir les mêmes exigences pour tous. Cette vision donne lieu à un nivellement par le bas qui empêche les principes naturels de sélection de s’appliquer. Les gens sont différents, certains sont plus efficaces et mieux adaptés. Le nier au nom d’une hypothétique égalité, c’est passer complètement à côté d’une belle perspective. Au niveau personnel, lorsque les papillons mettent l’accent sur les valeurs communautaires, ils en viennent à négliger leurs propres besoins de croissance, ce qui les entraîne dans la zone sombre. Ils deviennent ainsi des papillons blessés. Le maintien des acquis et du statu quo, la recherche du bien-être de tous sont des réflexes éminemment communautaires. L’individu, dans une telle perspective, n’a pas les horizons nécessaires à son épanouissement. Les papillons connaissent les valeurs guerrières, mais refusent d’adopter les comportements qui en découlent. Imbus de leur préjugé, ils ont l’impression qu’en souscrivant à ce type de valeurs, ils s’écartent de leurs idéaux. Le problème avec un tel raisonnement, c’est que pour arriver à compétitionner avec les autres, il faut accepter de jouer en appliquant les mêmes règles et en se soumettant aux critères qui déterminent les gagnants et les perdants. Plusieurs 86

restent sur la ligne de côté parce qu’ils s’offusquent de voir que la partie ne s’effectue pas selon les règles de l’art. Pourtant, ils savent qu’ils pourraient apporter une contribution appréciable si seulement on leur passait la balle. Le dilemme est de taille : soit qu’ils s’entêtent à conserver intégralement leur position et ils sont alors écartés lorsqu’il y a des enjeux véritables, soit qu’ils acceptent de modifier leur position et ils courent le risque de perdre leur intégrité, du moins ce qu’ils considèrent être leur intégrité. Les valeurs guerrières sont à la base de découvertes fort intéressantes et utiles à la collectivité puisque les individus qui s’en inspirent cherchent constamment à se démarquer et à dépasser le statu quo. Quoi qu’on en dise, la compétition a un effet positif sur les individus : elle les pousse à toujours rechercher les améliorations et à s’affirmer. Il importe peu, en définitive, que les motivations à la base des inventions et des innovations soient égocentriques dans la mesure où tous peuvent en bénéficier largement. Lorsqu’on se prive de l’apport des valeurs guerrières, on se prive de cette irrésistible force qui peut nous propulser à un autre niveau d’évolution. Si vous souhaitez devenir un bâtisseur, vous devez, comme lui, apprendre à composer avec les valeurs guerrières et communautaires. Vous pourrez ainsi bénéficier d’un avantage, quelle que soit la situation dans laquelle vous vous retrouverez. Il est en effet extrêmement précieux de pouvoir recourir au meilleur des deux mondes. Rapidement, vous serez à même de constater que ces deux groupes de valeurs sont complémentaires et qu’ils se renforcent mutuellement. Ceux qui réussissent tout ce qu’ils entrepren87

nent ne se laissent pas limiter par des valeurs prédéterminées, mais s’inspirent de principes beaucoup plus fondamentaux qui transcendent les époques et les modes, comme l’excellence, l’intégrité, l’honnêteté et la droiture. L’adage selon lequel « les bons finissent seconds » s’applique très bien aux papillons, mais pas aux bâtisseurs. Si ces derniers optent aussi pour l’entraide et la collaboration en premier lieu, au moindre signe d’agression, ils répondent avec une force égale ou supérieure, puis reviennent à leur attitude initiale. Leur message est le suivant : je préfère l’aide, mais je suis parfaitement capable de recourir à la sanction. Cette attitude a un effet foudroyant pour autant que leurs interlocuteurs comprennent généralement qu’ils ont tout intérêt à accepter l’offre de collaboration. Les bâtisseurs ont appris à se connaître et surtout à se reconnaître pour ce qu’ils sont. Sans fausse modestie, ils assument leur différence et acceptent ce qui leur a été offert, c’est-à-dire la capacité d’influencer les autres. Ils savent que tous les êtres humains ne sont pas égaux, mais que chacun a quelque chose à offrir et que c’est justement sur cette individualité qu’il importe de miser. Ils sont des leaders et, à ce titre, ils contribuent à créer un environnement dans lequel les gens peuvent s’épanouir. Ils encouragent le dépassement et la saine compétition. Ils ont cependant à cœur que tous trouvent leur place et puissent se réaliser en participant à une œuvre plus importante que la leur. Ils ont régulièrement recours à une évaluation de leur propre performance et de celle des autres, car cette information leur permet de 88

procéder rapidement aux ajustements qui s’imposent. Contrairement aux papillons qui cherchent à satisfaire cent pour cent des gens, quitte à passer la majorité de leur temps auprès des dix à vingt pour cent d’entre eux, les bâtisseurs investissent massivement dans ceux qui veulent aller de l’avant. Les bâtisseurs continuent à puiser leur source dans les valeurs communautaires et à rechercher le bienêtre de la collectivité. Ils ont cependant choisi de recourir également aux outils véhiculés par les valeurs guerrières pour accomplir leur mission. Si, dans cette entreprise, des gratifications ou des honneurs individuels les attendent, ils les acceptent. Tout comme ils acceptent librement de récompenser les efforts individuels des autres. Le pouvoir n’est pas plus important en soi qu’il ne l’était avant leur transformation, mais maintenant, ils font ce qu’il faut pour l’obtenir. S’il faut compétitionner, ils compétitionnent. S’il faut se faire valoir, ils se font valoir. Ils recherchent en fait les leviers qui sont nécessaires à la réalisation de leurs rêves.

DONNEZ UN SENS À VOTRE VIE PLUTÔT QUE DE CHERCHER « LE » SENS DE LA VIE Devant les événements en général, l’attitude des papillons et des bâtisseurs est singulièrement différente. Les premiers pensent que le fait de se conduire de façon honorable suffit à les mettre sur la route de l’épanouissement et de la réalisation. Les seconds pensent que le sens de la vie se tisse au fil des jours et qu’il prend 89

la couleur et la texture des décisions qui sont prises d’une façon consciente et responsable. Pour les bâtisseurs, il n’y a pas un seul bon chemin, une seule bonne façon de faire. Chaque situation, chaque contexte peut s’avérer une précieuse occasion de cheminer. Ils considèrent que la vie est un vaste éventail de possibilités qui ne cesse de se déployer. Chaque décision ferme des fenêtres, mais en ouvre en même temps une multitude d’autres. Quand une option est privilégiée, l’accès à certaines réalisations se rétrécit ou se ferme à jamais. Par contre, ce choix libère l’accès à d’autres accomplissements considérés jusquelà comme irréalisables. Le champ des œuvres possibles est donc, selon leur perspective, constamment en évolution. Au travail comme dans leur vie personnelle, les papillons mettent généralement l’insistance non pas sur la destination, mais sur la façon dont va s’effectuer le voyage. Ils sont en quelque sorte responsables du climat qui règne au sein de leur famille et de leur entourage en général. Ainsi, lorsque la destination est donnée par d’autres, ils excellent dans l’art de s’y rendre de façon harmonieuse. Ils sont prévoyants, ingénieux et tenaces. Ce sont de formidables lieutenants. Par contre, il est illusoire d’attendre d’eux qu’ils déterminent des objectifs à long terme. Ils se concentrent sur le moment présent et sur les conséquences à moyen terme puisque c’est l’horizon temporel qui leur permet de contrôler le plus les événements. Nombreux sont les papillons qui se réveillent un matin et constatent qu’ils ne sont pas du tout où ils souhaiteraient être. Ils ont fait plaisir à tous, ils se 90

sont montrés dignes de la confiance qu’on leur a témoignée, ils ont été de bons parents et de bons travailleurs et pourtant... leur vie ne leur ressemble pas. À force de faire toujours un pas devant l’autre, ils ont perdu la perspective nécessaire à la correction de la trajectoire et ont avancé vers ce qu’ils connaissaient déjà. Ils ont suivi l’autoroute qui se dessinait devant eux, et lorsque des doutes sont survenus quant à la pertinence de garder le cap, ils les ont mis de côté et se sont « adaptés ». Les routes que choisissent les bâtisseurs ne sont pas nécessairement linéaires. Parfois, ils vont accepter de faire un détour ou même de reculer s’ils estiment que c’est là une bonne stratégie pour atteindre la destination qu’ils se sont fixée. Il faut dire qu’ils mettent l’accent sur les objectifs et que cela leur permet d’avoir beaucoup de recul par rapport aux événements. Pour avoir la conviction qu’ils vont de l’avant, ils n’ont pas toujours besoin d’avoir le parfait contrôle des situations. Tout comme le navigateur qui accepte de louvoyer parce qu’il doit composer avec le vent, ils acceptent de composer avec les éléments qui influencent leur vie. Avoir une destination en vue permet d’anticiper des résultats à plus long terme. N’est-ce pas là un avantage majeur ? Les bâtisseurs peuvent ainsi composer plus facilement avec les pertes qui surviennent à brève et à moyenne échéance. Gardez cette information en mémoire, car elle vous sera très utile lorsque vous aurez amorcé votre transformation ou l’aurez presque accomplie. Vous connaîtrez, comme tous les humains, votre lot de difficultés, mais contrairement à ceux qui subissent leur vie, vous aurez le réflexe 91

d’envisager consciemment les différentes options. Vous renoncerez de façon volontaire aux projets qui sont intéressants à court terme, mais vous éloignent de votre but à long terme. Ainsi, lorsque vous aurez agi de la sorte à quelques occasions, vous serez bien content de pouvoir anticiper des jours meilleurs. Puis vous vous centrerez sur les événements et prendrez les décisions qui vous permettent de vous exprimer réellement et de vous rapprocher de vos idéaux. Vous atteindrez alors les cibles que vous vous êtes fixées et vous serez content d’avoir la capacité de planifier à long terme. Comme le souligne Anthony Robbins (L’éveil de votre puissance intérieure, 1993), la majorité des gens surestiment ce qu’ils peuvent faire en un an et sous-estiment gravement ce qu’ils peuvent faire en dix ans. Les bâtisseurs, en proie à des périodes de doute, se demandent souvent pourquoi ils s’imposent des limites et des renoncements alors que d’autres semblent profiter de tout ce qui se présente sans se soucier du lendemain. Le sens de leurs actions leur apparaît cependant très clairement lorsque, après des mois ou des années, ils comparent le chemin qu’ils ont parcouru avec celui qu’ont suivi les fêtards. Ces derniers semblent être exactement au même point où ils en étaient auparavant, à ceci de différent : leurs comportements apparaissent maintenant comme des tentatives puériles de demeurer adolescents. Pour accéder à ce niveau de choix conscient, les bâtisseurs ont dû renoncer au mythe de la famille parfaite, de la mère et du père parfaits et d’une vie sans histoires. Lorsqu’ils étaient uniquement des papillons, ils chérissaient plus que tout le contrôle 92

qu’ils exerçaient sur les différents aspects de leur vie. Tant qu’ils ont pu faire taire le malaise qui sommeillait en eux, ils l’ont fait. Ils n’étaient pas prêts à assumer la responsabilité de perturber la vie des autres, pas plus qu’ils n’étaient prêts à vivre tous les impacts de leurs nouveaux choix de vie. Lorsqu’ils n’ont plus eu le choix, lorsqu’ils se sont retrouvés devant le dilemme, changer ou imploser, ils se sont résolus à briser la perfection dans laquelle ils se drapaient. Tout en se souciant des autres, ils ont commencé à donner un sens à leur vie en choisissant ce qui était bon pour eux et en faisant confiance aux capacités d’adaptation de leur entourage. Ils ont vécu des pertes, mais ils ont gagné la possibilité d’aspirer à un avenir qui leur ressemble.

REDÉFINISSEZ LE BONHEUR ET LA STABILITÉ Jusqu’à tout récemment, il était légitime d’aspirer à conserver le même emploi toute sa vie durant et à garder le noyau familial intact. Il était aussi normal de ne changer de lieu de résidence qu’à une ou deux reprises au cours de sa vie. C’était cela le bonheur et la stabilité. Aujourd’hui, il est hautement improbable que vous conserviez le même emploi, étant donné le caractère très changeant du marché. Il est même tout à fait concevable que vous n’obteniez jamais de poste permanent dans une entreprise et que vous deveniez travailleur autonome. En ce qui concerne votre lieu de résidence, que vous soyez propriétaire ou non, il est également vraisemblable que vous 93

ayez à déménager une dizaine de fois ou plus au cours de votre vie. Au niveau familial, la notion même d’un noyau (les parents) autour duquel gravitent les enfants ne passe plus la barre. Maintenant, plus de la moitié des unions se modifient au fil du temps, entraînant de profondes modifications dans la composition des familles. Selon les critères utilisés traditionnellement pour évaluer la stabilité et le bonheur, la très grande majorité de la population serait aujourd’hui considérée comme instable et malheureuse. D’ailleurs, beaucoup de gens qui continuent à utiliser ces critères se considèrent eux-mêmes malheureux parce qu’ils n’ont pas l’emploi convoité, que leur vie familiale ne ressemble pas à leur idéal et qu’ils doivent changer régulièrement d’environnement pour s’ajuster aux impératifs de la vie en général et de l’emploi en particulier. Ils attendent, pour être heureux, d’avoir atteint des objectifs idéalisés : « Je serai heureux lorsque j’aurai fini de payer ma maison, lorsque les enfants auront fini leurs études, lorsque j’aurai rencontré toutes mes obligations financières, etc. » Les bâtisseurs ont le courage de faire ce que la plupart des gens devront éventuellement faire, c’està-dire changer radicalement les critères à partir desquels ils définissent le bonheur et la stabilité. Avec la circulation de l’information et le multiculturalisme, il y a maintenant une multitude de modèles à suivre et beaucoup plus d’options que par le passé. Les bâtisseurs ont choisi de ne pas remplacer l’ancien modèle par un nouveau modèle statique, mais plutôt d’opter pour une conception du bonheur mouvante et souple. Ils le définissent maintenant comme « la sensation d’aller de l’avant, de progresser vers le niveau 94

d’évolution suivant ». Tant qu’ils ont cette impression de progresser, d’aller dans le sens de leurs aspirations, ils se considèrent comme heureux. Ils deviennent en quelque sorte des explorateurs à la recherche de situations dans lesquelles ils retrouvent cet état. En optant pour une définition aussi souple, ils évitent le piège des moules dans lesquels il faut à tout prix entrer et augmentent de façon considérable leurs chances de se sentir heureux. Nombreux sont les bâtisseurs qui choisissent sciemment de quitter des situations qui correspondent en tous points aux critères du couple parfait, de la famille parfaite et du travail parfait parce qu’ils n’y retrouvent plus cette impression de progresser. La normalité et les modes ne suffisent pas à définir, à l’avance, ce qui permet de se sentir heureux. Nous pouvons très bien nous sentir heureux et avoir la conviction d’avancer en prenant un café, en faisant du jardinage ou en dirigeant une multinationale. L’avantage d’avoir une définition plus interne du bonheur est que cela permet une grande latitude. Évidemment, la perception de la stabilité diffère selon que nous considérons le bonheur comme une destination ou comme une expédition. Lorsque nous croyons que notre bonheur est lié à l’atteinte d’objectifs dictés par les conventions sociales et les traditions, il est normal que nous cherchions à tout contrôler et à retrouver le confort du moule. Tout comme il est légitime que nous tendions à éviter les vagues et les écarts par rapport aux normes sociales. Dans cette perspective, n’est stable que ce qui est maîtrisé, acquis et contrôlé. Quand, par contre, nous considérons que notre bonheur est lié au sentiment de grandir, nous retrouvons la stabilité et le confort dans l’ac95

tion. Toutes les décisions et tous les gestes qui sont conséquents avec nos aspirations deviennent autant d’occasions de grandir et d’être heureux. Vue sous cet angle, la stabilité est tout ce qui est en mouvement et conforme à nos aspirations. Les bâtisseurs sont prudents et recherchent les situations sécurisantes, mais ils ne choisissent pas systématiquement les chemins connus ou reconnus, car ils savent que les lois de l’évolution exigent que de nouvelles avenues soient explorées. Ils essaient de prévoir les coups et d’anticiper l’ensemble des conséquences prévisibles, mais du même élan, ils acceptent aussi de faire confiance à la vie. Rappelez-vous ce qu’il advient des enfants que l’on couve trop et qui n’ont pas la possibilité de faire leurs expériences. Ces enfants que l’on empêche de fréquenter les autres pour qu’ils n’attrapent pas de maladies ou que l’on protège de l’escalier pour leur éviter de tomber. Ils se retrouvent, bien sûr, dans un environnement stable et sécurisant, mais qu’en est-il de leur apprentissage et de leur évolution ? Certains d’entre eux souffrent de carences importantes, et ce, malgré de très bonnes intentions. En parents efficaces, nous devrions laisser aux enfants la possibilité de faire de nouvelles expériences. Nous devrions les placer devant des défis qui sont à leur portée ou juste un peu au-delà de leur capacité pour qu’ils puissent ainsi se dépasser et grandir. Oui, il y a des risques et c’est là une question de jugement, mais c’est également un contexte propice pour eux. Les bâtisseurs sont à la fois des enfants friands de nouvelles connaissances et des parents prudents qui, tout en faisant confiance à la vie, s’assurent que le contexte familial est favorable au développement de leurs jeunes. 96

Chapitre IV

Rechercher les occasions d’évoluer et de changer Selon William Glaser (http://www.wglasserinst.com), qui a développé la thérapie de la réalité, les hommes et les femmes cherchent tous à satisfaire les quatre mêmes besoins fondamentaux : l’appartenance, la liberté, le pouvoir et le plaisir. Par contre, ils ne les recherchent pas nécessairement dans cet ordre et avec une intensité comparable. Certaines personnes recherchent en priorité le plaisir et subordonnent l’ensemble des autres besoins à leur quête de gratification et de satisfaction immédiate. D’autres mettent l’accent sur la liberté et passent leur vie à éviter les engagements et à rechercher l’aventure. Quand on arrive à établir la carte des besoins d’une personne, c’est-à-dire lorsqu’on détermine l’ordre et l’intensité de ses besoins, il est possible de prévoir ses comportements avec une relative exactitude. Si, par exemple, une personne cherche à combler ses besoins de plaisir et de liberté en premier lieu, et ceux d’appartenance et de pouvoir ensuite, il y a fort à parier qu’elle choisira systématiquement les comportements qui lui apporteront le plus de satisfaction à court terme et qu’elle évitera le plus possible de prendre des responsabilités.

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Quand on établit cette carte pour les papillons, les deux mêmes besoins apparaissent systématiquement comme prioritaires : l’appartenance et le pouvoir. Ils cherchent, en effet, à combler leur besoin d’aimer et de se sentir aimés avec une insistance peu commune. Le sentiment d’appartenance est vital pour eux. Ils recherchent également les possibilités d’aider leur entourage et d’avoir un impact positif sur leur environnement. C’est ce que Glaser nomme le pouvoir et ce que je préfère nommer la possibilité de contribuer. Il suffit d’analyser le parcours des papillons pour constater que la recherche de l’amour et de la contribution constitue la trame qui unit chacune de leurs actions, de leurs déceptions et de leurs opinions. La liberté et le plaisir sont importants, mais ils ne constituent pas des facteurs déterminants dans la majorité des choix auxquels sont confrontés les papillons. Vous devrez, si vous souhaitez vous épanouir et devenir un bâtisseur, voir à ce que ces besoins soient comblés régulièrement. Assurez-vous d’être très souvent en présence de personnes que vous aimez et qui vous aiment ou vous apprécient. Assurez-vous de pouvoir participer à au moins un projet qui vous passionne et qui vous permet d’apporter une contribution à votre entourage. N’attendez pas qu’on vous sollicite pour le faire, prenez les devants. Recherchez des occasions de contribuer et de partager avec d’autres sur une base quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, bref, le plus souvent possible. Le présent chapitre porte justement sur les stratégies qu’adoptent les bâtisseurs pour satisfaire leurs besoins fondamentaux tout en évitant les écueils ; vous pourrez vous en inspirer. 98

AFFRANCHISSEZ-VOUS DE L’OPINION DES AUTRES Au moment de compléter leur transformation, les papillons prennent conscience d’une erreur fondamentale qu’ils ont faite plusieurs années plus tôt : ils se sont « branchés » sur les personnes de leur entourage en pensant que l’énergie, l’amour et l’approbation viennent de l’extérieur et doivent être constamment renouvelés. Tout naturellement, ils ont donc mis en place les conditions nécessaires à leur « approvisionnement » régulier. Ils ont commencé à rendre service et à être raisonnables parce que ce sont des comportements hautement valorisés et renforcés. Ensuite, ils se sont montrés responsables en s’acquittant de leurs différents rôles, ce qui est aussi une attitude susceptible d’attirer l’attention d’une manière positive. Avec le temps, ils ont bâti la presque totalité de leurs rapports sur cette base. Ils ont beaucoup donné, mais ils ont beaucoup reçu. Cette stratégie s’est d’ailleurs avérée extraordinairement utile pendant toute la période allant de l’enfance à l’âge adulte. À partir de 25-30 ans, il est cependant devenu évident qu’ils ne pouvaient pas continuer à dépendre de l’opinion des autres. Lorsqu’ils ont commencé à se promener dans les terres où règnent la compétition, leur stratégie est devenue à peu près inopérante. On encourage et on encense volontiers un jeune fringant qui éparpille son énergie. Par contre, on adopte une tout autre attitude vis-à-vis un rival potentiel. 99

À l’occasion de leur transformation, les papillons ont dû adopter une attitude plus indépendante. Ils n’ont plus besoin maintenant que les autres leur donnent de l’énergie en leur démontrant leur affection. Ils n’ont plus besoin d’être approuvés constamment. Ils savent que les cadeaux que leur ont faits leurs parents et amis, lorsqu’ils les ont aimés et acceptés, résident en eux. Ils peuvent, en se tournant vers l’intérieur, y puiser indéfiniment. C’est d’ailleurs là, à l’intérieur d’eux-mêmes, qu’ils auraient dû se « brancher » étant plus jeunes. Maintenant, c’est fait... En étant centrés sur eux-mêmes de la sorte, ils ne sont plus à la remorque de personne. Il suffit qu’ils voient ou qu’ils entendent quelque chose de beau pour qu’aussitôt ils se sentent de nouveau remplis d’énergie. Bien sûr, ils sont encore capables d’apprécier un compliment ou une marque d’appréciation. Ils peuvent d’autant plus les apprécier qu’ils n’en ont pas besoin, ce sont des « plus » dans leur vie. Ils ont longtemps cru, plus ou moins consciemment, qu’ils avaient de la valeur parce que les gens leur témoignaient leur amour. C’est tout à fait le contraire qui est vrai. Si les gens leur témoignent leur affection et leur amour, c’est parce qu’ils ont de la valeur. C’est au plus profond d’eux que réside ce sentiment et ils n’ont nul besoin qu’on le leur rappelle constamment pour en être convaincus. Ils savent qu’ils sont « aimables », car ils se sentent dignes de l’affection et du respect que leur témoignent les gens. Chaque être qui aspire à devenir un bâtisseur doit s’affranchir tôt ou tard de l’opinion des autres parce que l’approbation est beaucoup moins fréquente dans les avenues nouvelles. Tout ce qui est hors normes 100

dérange. Les bâtisseurs doivent apprendre à se fier aux principes qu’ils ont intériorisés pour déterminer ce qui est juste et adéquat. Même s’ils sont sensibles aux commentaires, il est important qu’ils basent leur estime d’eux-mêmes sur une conviction personnelle et sur leur propre évaluation de leurs actions.

ALTERNEZ ENTRE L’ÉTAT DE MAÎTRE ET D’APPRENTI Les bâtisseurs sont toujours à l’affût de nouveaux apprentissages, car ils souhaitent augmenter leur efficacité et apporter une contribution toujours plus importante à leur entourage. Ils doivent cependant utiliser une stratégie spéciale car, avec le temps, ils sont devenus difficiles à impressionner et à satisfaire. Ils utilisent, pour combler leur goût d’apprendre, une méthode qui consiste à adopter, de façon alternative, les attitudes et dispositions propres aux maîtres et aux apprentis. Ils passent d’un état à l’autre de façon successive, mais contrairement aux apprentis ouvriers ou artistes qui passent beaucoup de temps dans cet état avant d’accéder à la condition de maître, ils alternent rapidement entre les deux états. C’est ce va-et-vient entre les deux réalités qui leur permet de profiter des avantages des deux positions. S’ils étaient limités à une seule de ces positions, ils ne pourraient pas continuer leur progression. De l’avis des bâtisseurs, l’homme intelligent sait qu’il ne sait pas. Dans la persque l’on peut égaposition d’expert,

pective du maître, lement qualifier de les bâtisseurs envi101

sagent les différentes facettes d’une situation et agissent de façon globale. Ainsi, quand ils enseignent une matière ou qu’ils font une démonstration, ils ne se centrent pas sur les différents éléments, ils insistent davantage sur les liens dynamiques qui existent entre ces éléments. Par exemple, avant même de donner un cours sur la construction domiciliaire, ils connaissent l’ensemble des étapes à franchir pour ériger une maison. Ils savent qu’il faut excaver, faire les fondations, élaborer la structure puis la toiture, etc. Plus important encore, ils connaissent la séquence qu’il importe de respecter et la nécessaire complémentarité des différentes composantes. Ainsi, ils savent qu’il est parfois possible de permuter les étapes de la construction, de construire un mur plutôt qu’un autre, d’opter pour des pilotis au lieu des fondations, etc. Cette liberté implique cependant que l’on connaisse non seulement l’ensemble des aspects techniques de la construction, mais également les principes physiques qui régissent ce type de travaux. L’approche des bâtisseurs qui adoptent la position du maître peut être qualifiée de systémique dans la mesure où ils cherchent à cerner l’ensemble des éléments d’un système donné et à comprendre les liens qui existent entre ceux-ci. Dans la perspective de l’apprenti, les bâtisseurs abordent les situations et les nouveaux apprentissages d’une manière beaucoup plus linéaire. Ils se présentent pour ainsi dire tabula rasa, c’est-à-dire libres de toute présupposition par rapport à ce dont il est question. Ils sont dans un état de grande réceptivité et centrés sur ce qu’ils ne connaissent pas déjà. S’ils suivent un cours, s’ils écoutent des consignes ou des 102

explications, ils se contentent d’assimiler la matière au fur et à mesure qu’elle est présentée. Cette approche est analytique puisque les éléments sont abordés séparément et les phénomènes compris à partir de leurs constituantes. En passant ainsi de la position du maître à celle de l’apprenti, les bâtisseurs peuvent accéder tantôt à une vision globale, tantôt à une vision plus circonscrite, opter pour une approche à long terme pour recourir ensuite à une approche à court terme. La situation inverse est évidemment tout aussi vraie. Au fil du temps, les bâtisseurs ont développé leur sensibilité pour détecter presque à coup sûr les personnes susceptibles de leur apprendre quelque chose. Ils se mobilisent et adoptent la position de l’apprenti dès qu’ils se trouvent en leur présence. Il n’est cependant pas rare de les voir quitter cet état pour accéder à l’état de maître ou à un état plus neutre au cours d’une seule conversation. Ils prennent grand soin de fuir les personnes qui ont un beau discours, mais qui ne passent pas à l’action. Malheureusement, il y en a beaucoup. Souvent, ils trouvent des compétences là où d’autres ne voient absolument rien. Auprès des enfants, ils renouvellent leur réserve de spontanéité et de fraîcheur. Auprès des personnes simples, ils apprennent comment il est possible de vivre sans artifices et conventions de toutes sortes. Parfois, ils s’inspirent des compétences de certaines personnes même si, par ailleurs, ils ne les apprécient pas nécessairement comme êtres humains. C’est cette volonté d’augmenter continuellement leur compétence qui leur permet d’avoir un plus grand impact sur leur environnement et de satisfaire, par effet d’entraînement, leur besoin de se sentir utile. 103

APPLIQUEZ À VOUS-MÊME CE QUE VOUS ASPIREZ À APPLIQUER AUX AUTRES

(CONGRUENCE, INTÉGRATION, ÉQUILIBRE PERSONNEL) Les bâtisseurs sont des cordonniers bien chaussés. Ce qu’ils prescrivent aux autres, ils l’appliquent dans leur vie. Ce qu’ils défendent en théorie, ils le transposent dans la pratique. Fondamentalement, ce sont des personnes intègres qui imposent le respect. Lorsque nous les côtoyons, nous constatons que leurs paroles et leurs gestes se confondent. Ils recherchent la plus grande des congruences parce que c’est un état propice au développement. Ils ont un objectif personnel ultime : que leur « essence » transcende leur vie de tous les jours. Ils veillent sans cesse à ce que leur vie leur ressemble. Prenez quelques minutes pour répondre aux questions suivantes : – Quel pourcentage de vous-même investissezvous dans vos activités professionnelles ? – Quel pourcentage de vous-même investissezvous dans votre vie personnelle ? Un bâtisseur qui répondrait cinquante pour cent ou moins à l’une de ces questions serait déjà en train de chercher une façon de rendre son univers externe (sa vie personnelle et professionnelle) plus conforme à son univers interne (ses aspirations et ses valeurs). Je me propose de rapporter ici ce que les bâtisseurs attendent des autres. Vous pourrez donc saisir l’étendue de leurs exigences et, par la même occasion, vous évaluer par rapport à ces critères. 104

Les gens qui obtiennent le respect des bâtisseurs et qui leur servent de modèles sont des personnes : ❖

qui apprécient ce qu’elles ont, mais sont continuellement en train de rêver à des avenirs meilleurs ;



qui sentent qu’elles ont un pouvoir personnel et savent que l’environnement n’est pas responsable de tout ce qui leur arrive ;



qui font preuve d’ouverture à l’égard d’idées nouvelles ;



qui se respectent et fixent leurs limites ;



qui mettent à l’essai ce qu’elles apprennent ;



qui admettent leurs erreurs et en tirent profit ;



qui n’ont pas peur des compétences des autres et les mettent à profit ;



qui expriment franchement ce qu’elles pensent ;



qui sont capables de dire « je ne sais pas » ;



qui sont suffisamment souples pour changer d’opinion quand on leur amène de bons arguments ;



qui précisent leurs véritables motivations.

Vous remarquerez que ces compétences ne sont pas l’apanage unique des bâtisseurs. Ce sont plutôt des caractéristiques qu’ils apprécient au point de vouloir se les approprier et les utiliser pour choisir leurs amis. Vous remarquerez également que la majorité de ces compétences sont liées à l’authenticité et concernent la personne entière. Seuls les êtres dont les actions, les valeurs, les besoins et l’identité sont congruents possèdent ces attributs. Les bâtisseurs font preuve d’une très grande tolérance à l’égard des gens qui sont entiers et vrais. Si 105

ceux-ci se trompent de bonne foi, ils considèrent que ce n’est pas une erreur, mais bien une information dont ils doivent tenir compte. Si ces mêmes gens ont des « faiblesses » passagères, les bâtisseurs considèrent cela comme tout à fait normal et humain. En cela, ils ne sont pas très différents des papillons, sauf sur un point : s’ils sont capables d’être tolérants envers les autres, ils sont capables de l’être également envers eux-mêmes. C’est un changement d’attitude presque total. Ils acceptent l’idée qu’ils puissent avoir un côté sombre et qu’ils puissent ressentir des sentiments « négatifs » comme la jalousie, la rancune et l’égoïsme. Ils réalisent jour après jour que l’énergie électrique ne survient que si un pôle négatif entre en interaction avec un pôle positif. Bref, ils acceptent davantage leur condition humaine faite de paradoxes et d’ambiguïtés. Imaginez un instant que vous avez entre les mains un diamant d’une très grande beauté. Si, dans sa perfection, vous pouvez le confondre avec un autre diamant ayant une coupe standard et si, de plus, vous êtes étonné de son apparence presque artificielle, vous tenez entre vos mains un papillon. Si, par contre, ce diamant a des défauts, qu’il vous faut le tailler de façon spéciale pour en faire ressortir la beauté et que sa valeur est liée à sa spécificité et à sa singularité, vous êtes probablement le propriétaire d’un bâtisseur. Prenez-en grand soin. Dans mon livre Au cœur de l’identité, j’ai démontré qu’il était possible d’accéder à un véritable état d’équilibre pour autant que l’on prenne en considération l’ensemble des dimensions importantes de sa 106

vie telles que la santé, le travail, l’intimité, la famille, la spiritualité, les finances et l’amitié. Toutes doivent nécessairement être prises en compte pour que l’équilibre soit maintenu. Les bâtisseurs plongent leurs racines dans chacune de ces sources et s’assurent qu’aucune ne tarira. Il arrive, bien sûr, qu’un secteur soit investi de façon plus importante et que les autres s’en ressentent. Les bâtisseurs ont alors à cœur de rectifier la situation et d’apporter les correctifs qui s’imposent. Vous devrez, dans votre quête, vous préoccuper de chacun des secteurs fondamentaux de votre vie, car l’équilibre n’est pas un état statique, c’est un mouvement qu’il faut constamment soutenir. S’il vous arrivait de prendre pour acquis l’un de ces secteurs ou d’en préférer un en particulier, au détriment des autres, vous ressentiriez rapidement une détérioration de votre situation. Quand vous faites de la bicyclette et que vous êtes en équilibre, vous n’y pensez peut-être pas, mais vous faites une série de micromouvements et de mouvements pour rester stable. Si vous prenez votre équilibre pour acquis et que vous cessez de pédaler ou de contourner les obstacles qui se présentent, vous sentirez rapidement le sol qui se rapproche de vous. Vous comprendrez alors que l’équilibre n’est pas compatible avec l’absence de mouvements. L’intimité, la famille et l’amitié sont des terrains plus fertiles que les autres pour combler les besoins d’aimer et d’être aimé. De même, le travail est plus susceptible de fournir l’environnement propice à la satisfaction du besoin de contribuer. Il ne faut ce107

pendant pas oublier que chacun de ces secteurs a le potentiel d’être un lieu d’épanouissement et de réalisation. Quand, pour une raison ou pour une autre, les bâtisseurs n’ont pas l’occasion de se sentir utiles dans leur travail, ils tentent de changer certains paramètres pour en arriver à contribuer davantage. S’ils n’y arrivent pas, ils lâchent prise et trouvent leur satisfaction dans un autre secteur jusqu’à ce que leurs conditions professionnelles se modifient. Cette forme de flexibilité est un grand atout. En évaluant les secteurs individuellement, on peut avoir l’impression qu’ils forment une hiérarchie et que tous n’ont pas la même importance, mais ce n’est pas le cas. Les bâtisseurs savent que les sept secteurs se complètent et se renforcent mutuellement. L’argent, en soi, n’a pas d’importance, mais il prend tout son sens lorsqu’il permet de passer plus de temps avec sa famille ou de veiller à sa santé. De même, la spiritualité est très importante, mais elle ne peut s’épanouir que si les besoins de base sont comblés. Et ainsi de suite. Il est essentiel que les bâtisseurs appliquent pour eux-mêmes ce qu’ils exigent des autres, et ce, pour de nombreuses raisons. Étant centrés sur leur propre « essence », ils doivent être fiers de leurs actions, car c’est à partir d’elles qu’ils peuvent s’évaluer. De plus, une grande partie de leur impact est liée au fait qu’on les considère comme des personnes crédibles. Au-delà des mots, leurs interlocuteurs sentent qu’ils ont affaire à des personnes qui vivent selon leurs convictions. Finalement, ils doivent appliquer les principes qu’ils préconisent pour les autres, tout simplement parce que ce sont des stratégies et des valeurs 108

utiles et qu’ils se sont engagés à tout faire ce qui est en leur pouvoir pour être heureux. Quotidiennement, ils sont à l’affût des petits gestes et des occasions qui vont améliorer leur état et leur permettre de conserver leur estime personnelle, voire de la bonifier.

ÉVITEZ L’EAU TIÈDE LORSQU’ELLE RISQUE DE BOUILLIR Imaginez que vous avez devant vous un récipient contenant de l’eau très chaude et qu’il y a près de vous une grenouille de taille moyenne. Imaginez que vous la plongez dans le récipient3. Qu’arrive-t-il ? Selon toute vraisemblance, la grenouille va sauter à l’extérieur du récipient en faisant appel à son instinct de survie et à la force de ses réflexes. Imaginez maintenant que le récipient contient de l’eau tiède et qu’il y a un dispositif qui la réchauffe lentement. Si vous plongez la grenouille dans l’eau encore tiède, qu’arrivera-t-il ? La grenouille va probablement, cette fois, demeurer dans le récipient et s’adapter au changement de température de l’eau. Cette expérience serait tout à fait banale si ce n’était de la suite. Si vous continuez à faire chauffer l’eau, la grenouille va continuer à s’adapter aux changements ambiants parce qu’ils sont infimes et graduels. Elle va y demeurer jusqu’à un seuil critique où elle va perdre l’accès à ses ressources et devenir prisonnière de son environnement. En fait, elle va s’adapter jusqu’à en mourir... 3

Je ne l’ai pas fait moi-même. J’ai pris connaissance de cette anecdote dans le livre La stratégie du dauphin. Je l’utilise ici à titre de métaphore. 109

Même si cela n’est pas encore totalement clair pour vous, je suis certain que vous pouvez saisir le risque dont il est ici question. Tous les papillons courent le risque de s’adapter au point de s’oublier et de disparaître. Un peu comme la grenouille, ils ont le réflexe de fuir rapidement les contextes malsains. Mais s’ils baignent dans un environnement neutre, ils s’adaptent, même si la situation implique qu’ils stagnent et que leur propre intégrité soit en jeu. Le « syndrome de la grenouille » est observable aussi bien dans la vie personnelle que dans la vie professionnelle. Voyons comment il se manifeste dans les relations de couple. Certaines personnes peuvent se permettre de recourir à des périodes d’essai. Elles investissent au jour le jour dans une relation de couple et si la situation ne leur convient plus, elles mettent tout simplement fin à leur union. C’est un luxe que ne peuvent se permettent les papillons. Non pas parce qu’ils sont meilleurs que d’autres en matière d’intimité, mais tout simplement parce qu’ils ont énormément de difficulté à mettre fin à une relation. À moins que la relation soit carrément désastreuse, auquel cas la situation ne se présentent pas, ils s’adaptent à leur nouvelle relation et font tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’elle fonctionne. Ils investissent avec la même intensité, que la relation soit « tiède » ou beaucoup plus intense. S’ils ne prennent pas garde, ils peuvent donc facilement se retrouver dans une relation de couple peu satisfaisante mais dont ils s’accommodent. Une solution simpliste consisterait à apprendre aux papillons à mettre fin aux relations qui ne les satisfont pas pleinement. Il faudrait cependant, pour 110

ce faire, leur demander de changer radicalement la structure de leur personnalité. Ils n’ont pas l’habitude de s’engager à moitié ni de faire abstraction des sentiments des autres. Ce sont des bâtisseurs parce qu’ils s’engagent et sont habilités à travailler les fondations. S’ils veulent éviter de se retrouver dans des eaux à risques, ils doivent absolument apprendre à contourner les situations tièdes plutôt que d’essayer de changer leur identité. Par ailleurs, il est saisissant de constater que l’intimité est très souvent le creuset où se mélangent les ingrédients nécessaires à la transformation des papillons. Soit qu’ils réussissent à donner à leur vie de couple une énergie qui n’a rien de tiède et ils continuent alors à s’épanouir, soit qu’ils cherchent à s’adapter à l’eau tiède et ils demeurent alors empêtrés dans un inextricable fouillis de tabous, de regrets et de principes. La passion doit être présente au niveau intime pour qu’elle puisse jaillir dans les autres domaines. Il arrive, quoique cela ne soit pas très fréquent, que des papillons acquièrent dans leur vie publique la majorité des compétences des bâtisseurs, mais qu’ils vivent des contraintes dans leur vie personnelle. Cette situation est cependant transitoire, car la transformation ne peut être partielle. Après un certain temps, la situation devient insupportable et le cycle recommence : ils cessent leur évolution et se sentent blessés une fois de plus. Au niveau professionnel, le « syndrome de la grenouille » risque également de se manifester. De très nombreuses personnes arrivent en effet à s’accommoder d’un travail neutre parce qu’elles ne s’y inves111

tissent que partiellement. En agissant ainsi, elles peuvent rechercher la gratification de leurs besoins dans d’autres aspects de leur vie. Les papillons arrivent très difficilement à doser leur ardeur au travail, encore moins à accepter le fait de ne pouvoir se réaliser pleinement au niveau professionnel. S’ils se retrouvent dans un environnement stimulant, ils en profitent pleinement. Par contre, s’ils se retrouvent dans un milieu de travail anonyme, peu stimulant, où leur contribution n’est pas pleinement sollicitée, ils sont tentés de s’y adapter. L’adaptation est pour eux un réflexe viscéral qu’ils développent depuis l’enfance. Ils le savent et sont conscients des limites de cette stratégie. En tant que papillons, ils s’adaptent en espérant qu’avec le temps ils pourront changer le contexte de façon radicale. Se croyant détenteurs d’une bonne partie de la vérité et des solutions, ils rencontrent de nombreuses frustrations et déceptions. Ils peuvent alors s’approcher dangereusement du seuil critique, c’est-à-dire atteindre un niveau de frustration, de tristesse et de désillusion si élevé que les ressources personnelles ne sont plus disponibles. Les papillons qui ont pris leur envol sont beaucoup trop conscients de ce risque pour accepter de demeurer dans l’eau tiède indéfiniment, du moins s’ils ne perçoivent pas quelques signes annonçant une amélioration prochaine. Outre l’adaptation, deux avenues plus prometteuses s’offrent aux papillons qui se retrouvent dans un environnement neutre : ils peuvent tenter d’agir directement sur le dispositif qui réchauffe l’eau ou tout simplement choisir l’évitement à court et à moyen terme. La première éventualité implique cependant 112

qu’ils ne soient plus à l’intérieur du récipient et qu’ils aient un certain pouvoir sur les événements. Quand ils occupent ou accèdent à une fonction stratégique et qu’on leur reconnaît la légitimité d’agir, ils peuvent travailler sur l’environnement. La deuxième solution est, quant à elle, toute nouvelle et directement liée à leur accès à un autre niveau d’évolution. Ils peuvent maintenant, en toute conscience, choisir de changer de contexte et de quitter l’eau tiède. L’évitement, que plusieurs confondent avec la fuite, est une stratégie tout à fait appropriée dans la mesure où elle permet de conserver l’accès aux ressources et de les mobiliser dans la recherche d’un environnement plus propice au développement. Pourquoi, en effet s’acharner à tout prix quand on n’a pas accès aux mécanismes qui rendent l’eau bouillante ? Le simple fait d’avoir accès à de nouvelles stratégies permet un détachement salutaire. Dans votre cheminement, il peut être fondamental que, de temps à autre, vous vous demandiez si vous êtes en train de vous adapter à de l’eau tiède. Et même lorsque vous aurez terminé votre transformation, gardez en mémoire que ce n’est pas un environnement dans lequel il est bon pour vous d’évoluer. Tous ceux qui sont devenus des papillons épanouis se sont retrouvés dans l’eau bouillante ou ont entrevu que l’eau dans laquelle ils évoluaient allait bientôt bouillir. Ils ont tous partiellement atteint le seuil limite et il leur a fallu beaucoup de courage pour bondir hors de cette pénible situation et affronter l’inconnu. C’est pourquoi ils s’engagent tous envers euxmêmes à ne plus se retrouver dans ce contexte. Dès que l’eau risque de chauffer, ils bondissent. 113

Si l’environnement est tiède, mais qu’il n’y a pas de risque de détérioration (un réchauffement), il est tout à fait correct d’y demeurer si vous avez de bonnes raisons. Parfois, les obligations personnelles, familiales et financières justifient un tel choix. Il importe cependant que vous ne vous leurriez pas. La plupart des milieux tièdes ne se réchaufferont que sur une période assez longue, malgré toutes les attentes que l’on peut avoir. Si vous décidez de demeurer dans un tel milieu, faites des aménagements qui vont vous permettre de contrôler la température afin qu’elle demeure dans des limites acceptables.

NE CROYEZ PAS CEUX QUI PRÉTENDENT QU’IL Y A PÉNURIE, CHOISISSEZ DE VIVRE DANS UN UNIVERS D’ABONDANCE À la fin des années 70 et au début des années 80, nombreux étaient ceux qui prédisaient une pénurie épouvantable des produits pétroliers. Nous devions, en extrapolant les ressources disponibles et la consommation de l’époque, en avoir tout au plus pour quelques années. Une véritable hantise s’était installée. Je me rappelle d’ailleurs, avec un brin d’incrédulité, avoir déjà pensé à emmagasiner du pétrole dans un vaste réservoir pour le revendre lorsqu’il serait devenu très rare. Heureusement, cette idée n’a été que passagère. Les pays producteurs de pétrole ont largement profité de cette impression de rareté. Ils ont pu, en toute impunité, se jouer des lois du marché et augmenter 114

indûment les prix. Ils ont entretenu un climat de dépendance avec les pays qui dépendaient d’eux pour leur approvisionnement en produits pétroliers. Puis, la technologie est venue bouleverser complètement les données. De nouveaux moyens ont été mis au point pour détecter plus efficacement les puits de pétrole. On a découvert de nouvelles façons moins onéreuses de développer certaines ressources considérées jusque-là comme non rentables4. Et ce qui est plus important encore, la consommation d’essence des voitures a diminué de façon radicale grâce à l’implantation de nouvelles technologies. Au moment où j’écris ces lignes, le prix mondial du baril de pétrole est à son plus bas niveau depuis dix ans. De plus, la production quotidienne de pétrole est excédentaire de plusieurs dizaines de milliers de barils. D’une situation de grave pénurie, nous sommes donc passés à une situation de surplus important. Que s’est-il vraiment passé ? Y avait-il de véritables raisons de crier famine ? Est-ce que certaines personnes avaient avantage à répandre la rumeur ? Est-ce que c’est la nécessité qui a stimulé l’innovation ? Est-ce que les ressources ont toujours été disponibles ? Les réponses à ces questions sont multiples et dépendent, en définitive, de l’angle sous lequel on évalue les événements. Le pessimiste s’attriste quand il voit sa bouteille à moitié vide. L’optimiste, lui, se

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La hausse du prix du pétrole a également joué un rôle dans le développement de ces ressources. 115

réjouit, car sa bouteille est à moitié pleine. Si vous interrogez le premier, il vous dira que la pénurie était bel et bien réelle et que seule l’intervention de facteurs extérieurs a permis d’éviter une grave crise mondiale. Si vous interrogez le second, il vous dira qu’il n’y avait aucune matière à activer le bouton de panique et qu’il y a toujours une façon de se tirer d’embarras lorsque les situations le commandent. En fait, la façon dont nous abordons la réalité a un impact foudroyant non seulement sur la façon dont nous évaluons les choses, mais également sur la façon dont nous vivons notre vie en général. Les gens qui sont convaincus de vivre dans un univers où règne la pénurie agissent en fonction de ces croyances. Ils adoptent une série de comportements dans le but de conserver ce qu’ils ont et d’en obtenir un peu plus. Ils ont l’impression que si d’autres obtiennent une part du gâteau, il y en aura moins pour eux. La jalousie, la mesquinerie et la compétition sauvage ne s’expliquent d’ailleurs que dans la perspective de la pénurie des ressources. De tout temps, il y a eu des personnes pour annoncer la fin du monde, pour parler des fléaux à venir et pour être des prophètes de malheur. Ces gens anticipent les pires scénarios et agissent en fonction de leurs visions apocalyptiques. Plus exactement, ils réagissent à ce qu’ils entrevoient et espèrent que le ciel ne leur tombera pas sur la tête. Voici une liste (non exhaustive) d’attitudes et de comportements adoptés par des gens qui croient à la théorie de la pénurie : 116



Ils envient les autres ;



Ils sont sur la défensive ;



Ils ouvrent le même commerce qu’un autre pour lui ravir une part des profits ;



Ils prêtent des intentions malveillantes aux autres ;



Ils cherchent à maintenir le statu quo ;



Ils voient principalement les carences et les défauts ;



Ils anticipent le pire ;



Ils critiquent et jugent les autres ;



Ils ont peur du ridicule ;



Ils optent pour des méthodes compliquées de résolution de problèmes ;



Ils voient petit et à court terme ;



Ils essaient « à moitié » ;



Ils économisent.

Les gens qui sont convaincus de vivre dans un univers où règne l’abondance et où les ressources sont illimitées agissent de façon fort différente. Pour eux, les occasions sont partout, il suffit de les saisir. Comme ils considèrent que les ressources sont innombrables, ils cherchent à les partager et à en faire bénéficier le plus grand nombre de personnes possible. Ils savent qu’ils en auront bien assez pour eux. D’ailleurs, ils considèrent qu’ils ont une responsabilité à l’égard de ces richesses et ne font pas partie de la catégorie des dilapidateurs. Bien au contraire, ce sont des gens qui recyclent, qui partagent et qui utilisent au maximum ce qui est à leur disposition. Vivre en éprouvant un 117

sentiment d’abondance leur permet d’envisager l’avenir plus sereinement et d’être proactifs, c’est-à-dire d’anticiper les événements. Voici une liste (non exhaustive) d’attitudes et de comportements adoptés par des gens qui croient à la théorie de l’abondance : ❖

Ils font confiance ;



Ils ont foi en l’avenir ;



Ils encouragent les réussites des autres ;



Ils planifient à long terme ;



Ils investissent ;



Ils ouvrent des commerces novateurs ;



Ils recherchent les solutions les plus simples possible ;



Ils voient grand et à long terme ;



Ils essayent, tirent des conclusions de leurs erreurs et recommencent ;



Ils croient en leurs propres capacités ;



Ils changent de direction, ils explorent.

Bien qu’ils soient tout à fait conscients de l’importance de prévoir des temps de vaches maigres, les bâtisseurs agissent principalement en fonction de la théorie de l’abondance. Vous devrez développer cette attitude vous aussi, si ce n’est pas déjà fait. Pour arriver à façonner le troisième millénaire ou pour y apporter votre contribution, vous devrez envisager la vie avec confiance et éprouver le sentiment de pouvoir faire une différence. C’est important, car chacune de vos actions (et de vos hésitations) sera conditionnée par votre attitude à l’égard de la disponibi118

lité des ressources, que vous en soyez conscient ou non. Il n’est possible de générer l’abondance que si l’on se situe dans la perspective de l’abondance. La vie est un vaste réservoir de potentialités. Il nous appartient de trouver les moyens de les actualiser et de maintenir nos efforts assez longtemps pour en profiter. Les bâtisseurs trouvent dans leur environnement les matériaux qui leur permettent de réaliser des œuvres qui font époque.

PASSEZ D’UNE VAGUE À L’AUTRE LORSQU’IL EST TEMPS Quand je regarde les surfeurs5 glisser sur d’énormes vagues, je suis toujours surpris par l’apparente facilité avec laquelle ils s’exécutent. Ils semblent être au-delà de toute préoccupation. Pourtant, leur fluidité et leur élégance reposent sur une série de compétences et d’habiletés acquises au fil du temps et au cours de longues heures d’entraînement rigoureux. Les surfeurs d’expérience ont acquis la capacité de « lire » les vagues et de déterminer celles avec lesquelles ils pourront aller le plus loin et le plus haut possible, tout en ayant du plaisir. Ils sont capables de détecter des indices subtils dans les vagues ellesmêmes et des indices plus généraux dans leur enchaînement et leurs mouvements séquentiels. Ils savent que certaines vagues, à la forme caractéristique, sont suivies d’autres plus grandes. Ils savent aussi

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Surf : sport qui consiste à se tenir en équilibre, à l’aide d’une planche, sur une vague déferlante. 119

que les vagues ont un rythme qui leur est propre et qu’elles n’ont pas la même amplitude selon les marées, les conditions environnantes et le secteur géographique. Ils ont, en quelque sorte, la capacité de prédire l’avenir, c’est-à-dire de détecter le potentiel des vagues avant qu’elles ne se soient réellement manifestées. Ils doivent cependant être circonspects en tout temps, car il est tentant de projeter ses aspirations dans les vagues et d’y voir seulement ce que l’on souhaite. Les bâtisseurs possèdent et développent cette même capacité à lire les événements et à déterminer les contextes dans lesquels ils vont pouvoir se développer de façon optimale. Quand ils regardent une graine, ils s’efforcent de voir en elle l’arbre qu’elle peut devenir. Ils voient le potentiel chez les autres et imaginent facilement ce qu’ils peuvent devenir. Pour cela, ils font confiance en leur instinct et aux apprentissages qu’ils ont faits. Ils évaluent les perspectives d’avenir avec grand soin, avec un mélange de réalisme et d’idéalisme, car s’ils désirent éviter les chimères, ils ont à cœur de saisir les véritables chances que la vie leur offre. Outre les caractéristiques de la vague, les surfeurs d’expérience prennent également en considération leurs propres particularités. Leurs choix reflètent s’ils sont très aventuriers ou, au contraire, plus conservateurs. Selon qu’ils ont une confiance inébranlable en leurs moyens ou qu’ils entretiennent encore certains doutes, les vagues choisies n’auront pas la même amplitude. Il s’agit en fait pour eux de trouver la vague qui leur procurera le dosage parfait de stimulation, de sécurité et de défi. 120

Les bâtisseurs qui évaluent les options qui s’offrent à eux ont aussi ce souci de prendre en considération des éléments personnels. Leur foi en l’avenir, le prix qu’ils sont prêts à payer pour la réussite, leurs ambitions personnelles ainsi que leurs priorités sont autant de facteurs susceptibles d’influer sur leurs décisions. Selon eux, une évaluation complète ne saurait être uniquement objective. À un moment du processus, il est essentiel que des facteurs subjectifs soient pris en compte. Les surfeurs ont un réflexe qui fait cruellement défaut aux papillons et que les bâtisseurs, eux, s’efforcent de développer : après un certain temps, ils évaluent la vague sur laquelle ils se trouvent. Parfois, celle-ci ne livre pas la marchandise et ne se montre pas à la hauteur de leurs aspirations. Parfois, elle s’avère tout à fait adéquate ou dépasse leurs attentes. D’autres fois, elle n’atteint pas la hauteur espérée ou s’affaisse avant le temps. Quoi qu’il arrive, les surfeurs doivent faire leur propre évaluation, car aussi talentueux qu’ils soient, ils ont besoin d’un support pour soutenir leurs efforts. Quand ils sont sur ces masses en mouvement, ils ne s’étourdissent pas à faire des prédictions ou à entretenir de l’espoir et des regrets. Ils savent qu’on ne peut changer fondamentalement les caractéristiques propres d’une vague. Même leur capacité d’adaptation et leur virtuosité ont des limites ; ils ne peuvent s’aventurer plus loin que la lame qui écume et déferle. Ce réflexe d’évaluation peut paraître simple, mais rares sont les gens qui s’arrêtent pour se demander si les choix qu’ils ont faits dans leur vie personnelle et professionnelle se sont avérés à la hauteur de leurs aspirations. Il est tellement plus simple de suivre le 121

courant, de faire semblant que nos choix ont été les bons. Il est tellement plus tentant de croire que la situation va un jour être conforme à nos aspirations. Tout comme les vagues, les gens que nous côtoyons et les contextes dans lesquels nous évoluons ont des caractéristiques qui leur sont propres et qui ne changent pas de façon radicale. Les bâtisseurs veulent évoluer dans un contexte favorable à l’expression de leur talent, c’est pourquoi ils se livrent occasionnellement à une évaluation de la vague sur laquelle ils avancent. Tout en reconnaissant que les décisions prises antérieurement l’ont été en toute bonne foi et avec les informations disponibles à ce moment, ils ont le courage de les remettre en question et de les mettre en perspective. Parfois les déceptions sont grandes, parfois les surprises sont importantes, mais peu importe ce que réserve ce regard critique, il s’avère toujours, à la longue, très salutaire. Quand les surfeurs (et les bâtisseurs) arrivent à la conclusion que la vague sur laquelle ils se trouvent est idéale pour eux, la suite est évidente. Ils y demeurent et expriment leurs talents en profitant pleinement des conditions dans lesquelles ils se trouvent. Quand ils arrivent à la conclusion que la vague n’a pas été, n’est pas ou n’est plus celle qui leur permet d’aller de l’avant, les événements ne sont plus aussi simples. À ce moment, le statu quo n’est plus une option viable, car le risque de s’échouer est trop grand. Trois options demeurent : 1) Rester sur la vague et changer ses attentes ; 2) Demeurer sur la vague en se préparant à sauter sur une autre ; 3) Changer de vague. 122

La première de ces éventualités, qui implique une forme d’acceptation et de renoncement, n’est assurément pas la voie choisie par les bâtisseurs. Dans ce contexte, ils capitulent et acceptent que le moyen de transport qu’ils ont choisi ne les conduira pas où ils le souhaitent. Pour se protéger des désillusions et des déceptions, ils changent les attentes concernant leur carrière et leur vie intime. La deuxième éventualité est une option viable quoique non idéale pour les bâtisseurs. Si les événements l’exigent, ils restent sur leur vague tout en étant conscients de leurs limites et, parallèlement, ils s’activent à préparer un changement de vague. Concrètement, pour les bâtisseurs, cette option est en quelque sorte une transition. Plutôt que de chercher à s’adapter à une vie intime et professionnelle qui ne leur convient pas, ils procèdent à certains aménagements pour rendre leur vie plus agréable. Ils fixent leurs limites, investissent davantage dans ce qui les passionne et prennent du recul. Ils peuvent ainsi différer plus facilement le changement de vague et espérer qu’il s’effectue plus en douceur. Si vous avez des obligations financières importantes, si vous souhaitez garder la majorité de vos acquis, si vous avez des craintes quant à la possibilité de trouver un nouveau travail ou si vous souhaitez tout simplement vous occuper d’un secteur à la fois, c’est probablement cette option que vous choisirez. Les doutes et les hésitations vont d’ailleurs vous pousser dans cette direction. Ne les ignorez pas au moment où vous faites votre évaluation, mais ne les laissez pas vous freiner. Les transitions peuvent être plus ou moins longues, mais elles doivent impérativement conserver leur caractère provisoire. 123

La troisième perspective, celle du changement, est résolument celle qui permet aux bâtisseurs de se développer. Quand des éléments fondamentaux de la vie professionnelle ou personnelle ne conviennent plus — dans le cas du surfeur, nous dirions : quand la vague ne le supporte plus — il est temps de changer de direction ou d’amorcer sans détour un nouveau virage. Pour discuter des implications d’un tel changement, il faut quitter le mode analogique, car, bien qu’intéressante, la métaphore du surfeur a des limites. Les bâtisseurs doivent en effet composer simultanément avec deux vagues majeures, celle de leur vie intime et celle de leur vie professionnelle. Cependant, je ne voudrais pas laisser croire que l’expression « changer de vague » équivaut nécessairement à quitter sa famille, son conjoint ou son travail. Le jour où nous réalisons que la direction choisie nous mène directement à un cul-de-sac, nous devons rectifier la trajectoire. Pour ce faire, nous devons nous fixer de nouveaux objectifs et commencer à agir en conformité avec la personne que nous souhaitons devenir. En d’autres mots, nous devons : ❖ arrêter de nous comporter d’une façon spécifique uniquement parce que nous en avons l’habitude ou parce que cela ferait jaser si nous agissions autrement ; ❖ arrêter de nous diriger en utilisant des tabous anciens, des croyances inutiles et des limites artificielles ; ❖ agir avec les ressources et les aspirations d’aujourd’hui ; ❖ laisser aux autres le droit de réagir et de s’ajuster ; 124



nous engager à faire ce qu’il faut pour devenir la personne que nous méritons d’être.

Bref, nous devons agir en bâtisseur. En agissant de la sorte et en adoptant cette disposition, vous déclencherez une irrésistible vague de changement. Votre famille, votre conjoint et vos compagnons de travail seront surpris, mais n’auront d’autre choix que de composer avec la nouvelle personne que vous êtes devenue, ou plutôt avec votre véritable personnalité, celle que vous avez enfin décidé de révéler. Vos relations seront modifiées de manière irréversible et vous pourrez profiter pleinement de votre transformation. Souvent, il suffit de se comporter en bâtisseur pour donner à sa vie personnelle et professionnelle une nouvelle direction, un nouveau souffle. C’est l’idéal, puisque même s’il y a des remous et de nécessaires ajustements, il est ainsi possible de continuer à vivre selon ses acquis et de les utiliser pour aller plus loin. Il arrive cependant que l’environnement ne suive pas, par manque de moyens ou par choix. C’est le moment de s’armer de courage pour remettre en question sa relation de couple et ses choix professionnels. Les séparations, les départs et les renoncements sont parfois des sacrifices acceptables.

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PARTIE 2

Aider son environnement à se transformer en utilisant les outils du troisième millénaire

Chapitre V

Mettre en place les ingrédients nécessaires au changement Les bâtisseurs ainsi que tous ceux qui aspirent à façonner le troisième millénaire doivent être des virtuoses du changement, car, dans l’avenir, seuls ceux qui comprendront et maîtriseront les différents éléments associés au processus du changement pourront faire une différence. Vous devrez donc apprendre ou parfaire vos connaissances à ce niveau. Vous devrez notamment : ❖

savoir reconnaître les conditions qui bloquent le changement et savoir comment favoriser l’émergence d’un contexte propice ;



connaître et développer deux attitudes qui mènent le monde, c’est-à-dire l’évitement de la douleur et la recherche du plaisir ;



comprendre comment la résistance au chaos amène les gens à retomber constamment dans les mêmes modèles de comportements ;



apprendre à travailler sur les conditions initiales, car le plus infime écart à ce niveau peut avoir de très lourdes répercussions ;



détecter les règles auxquelles obéissent les personnes et les systèmes en général ;



utiliser les capacités d’autoorganisation des individus et des organisations ; 129

– introduire des mécanismes continus d’autoévaluation ; – penser de façon fractale 6. Avant d’entreprendre la description de chacun de ces éléments, il faut rappeler l’importance de l’engagement et du courage. Ces deux éléments sont à la base de toute démarche de changement conscient. Si une personne ne s’engage pas envers elle-même et si elle n’est pas prête à affronter courageusement les conséquences de ses actions, aucune technique, aucune influence ne l’amènera à changer de façon significative. En fait, le refus de s’engager et la le manque de courage sont deux attitudes qui bloquent souvent le processus naturel de l’évolution. Parfois, aucune technologie n’est requise pour changer, il suffit d’accepter que la nature suive son œuvre. C’est simple, mais cela nécessite en même temps une foi en l’avenir que plusieurs n’ont pas. La première des choses à vérifier lorsque vous souhaitez aider quelqu’un ou une organisation à changer, c’est la volonté à s’engager. Cet individu ou ce groupe d’individus sont-ils prêts à faire ce qu’il faut pour changer « maintenant » ? Sont-ils prêts à maintenir les efforts et à recommencer si nécessaire ? Sinon, arrêtez tout et aidez-les à désirer cet engagement. Ne perdez pas votre temps à mettre en place un plan de changement, vous allez travailler beaucoup trop fort et probablement en vain. 6

Les fractales sont des phénomènes qui possèdent la même structure quelque soit la perspective où on les observe. Penser de façon fractale implique que l’on détecte les scénarios qui se répètent à plusieurs niveaux. 130

Le deuxième facteur à prendre en considération est le courage. Ces gens savent-ils dans quoi ils s’engagent ? Sont-ils prêts à vivre avec les impacts du changement ? Sont-ils conscients de la séquence probable des événements ? Dans le cas contraire, vous devrez les informer de ce qui les attend. Vous devrez aussi les aider à composer de façon sécurisante avec le tourbillon qu’entraîne le vent du changement. Si ces personnes sont engagées, si elles sont courageuses, il ne leur restera qu’à mettre en place un contexte propice à l’évolution. Rappelez-vous que toutes les techniques et stratégies que vous utiliserez ne sont, en définitive, que des artefacts servant à créer ce contexte. Grâce à leur compréhension des mécanismes impliqués dans le changement, les bâtisseurs travaillent activement à susciter l’engagement, à soutenir les actions courageuses et à mettre en place un environnement facilitant.

COMPOSEZ AVEC LES CONDITIONS QUI BLOQUENT LE CHANGEMENT

Les animaux et les plantes suivent le rythme de la nature. Ils muent et se transforment au gré des saisons. Ils évoluent ainsi parce qu’ils sont en relation directe avec leur environnement. On ne peut toutefois pas dire la même chose en ce qui concerne les hommes. Nous sommes en effet la seule espèce qui n’est pas en contact direct avec son environnement, car la représentation que nous nous faisons de la réalité n’est qu’une approximation de celle-ci. Nous n’avons aucun moyen de connaître avec objectivité la 131

réalité extérieure puisqu’elle est constamment filtrée par nos sens, notre personnalité et nos méthodes de mesure. Nous construisons, grâce à nos sens, une carte du monde et c’est grâce à elle que nous pouvons évoluer avec une impression de constance et de permanence. Ce ne sont donc pas les événements qui nous poussent à agir, c’est plutôt la signification que nous leur attribuons. Si, par exemple, j’associe beaucoup de risques et peu de plaisir au parachutisme, il est peu probable que je m’engagerai à sauter. Par contre, si cette activité est pour moi le paroxysme du plaisir et que j’y associe peu de risques, il est clair que je vais sauter bientôt. Il en va exactement de même pour le changement. Ce n’est pas parce qu’une action est objectivement bonne pour moi que je vais nécessairement l’adopter. C’est la valeur subjective que j’attribue à cette action qui va déterminer si je l’adopterai ou non. Si j’associe beaucoup de plaisir au fait de changer, il y a de fortes chances que je m’exécute. Si, par contre, j’associe des efforts, de la douleur et des sacrifices à telle ou telle démarche, je risque fort de maintenir le statu quo. En tant qu’« activateur » du changement, vous devez être à même de reconnaître les contextes qui le bloquent. Vous aurez à agir régulièrement sur l’environnement si vous souhaitez faciliter l’action des mécanismes d’évolution. Il y a quatre contextes de base clairement associés au maintien du statu quo :

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Lorsque les êtres humains — en tant que personnes uniques ou membres d’une organisation —associent trop de douleur à la situation future, c’est-à-dire au changement qu’ils ont à faire, ils ne changent pas. S’ils entrevoient des difficultés, des privations ou des délais dans la gratification de leurs besoins, ils reporteront le changement indéfiniment. Cela est vrai, même si d’un point de vue rationnel, ils sont tout à fait d’accord pour modifier leurs habitudes et leurs comportements. Il faut comprendre que cette réaction est viscérale et préconsciente. Vous, moi et les autres avons tous cette réaction, fort naturelle, de reporter à plus tard les actions auxquelles nous associons des contraintes ou des privations. Pour moi, par exemple, l’entretien régulier d’un jardin a toujours été une corvée. Il suffit que je pense à faire certains travaux en rapport avec cette activité pour qu’aussitôt je trouve quelque chose de plus attrayant à réaliser. Je sais pourtant que cette activité est particulièrement prisée par certaines personnes. Il est clair que nous éprouvons des émotions fort différentes lorsque nous envisageons le fait de jardiner. Lorsque les êtres humains — en tant que personnes uniques ou membres d’une organisation — n’associent pas assez de plaisir à la situation future, ils ne changent pas. Le fait que les gens n’aient pas de réactions négatives à l’égard du changement à effectuer ne constitue en rien une garantie de résultat. S’il n’y a pas de flamme, s’il n’y a pas un ardent désir de 133

passer de l’état actuel à un autre état, les probabilités de transformations seront minimes. Pour y arriver, il faut associer immensément de plaisir au changement. Pas juste un « ce serait agréable si ». Les émotions sont le moteur du changement, et ce, quel que soit le niveau où il s’effectue. Si elles ne sont pas assez puissantes et positives, l’élan ne sera pas suffisant. Lorsque les êtres humains — en tant que personnes uniques ou membres d’une organisation — associent trop de plaisir à la situation présente, ils ne changent pas. Pourquoi le feraient-ils ? Ils se trouvent bien, ils retirent de la satisfaction dans le statu quo, ils sont dans une situation, somme toute, assez confortable. Il n’y a pas pour eux d’urgence à changer. Nos institutions sont d’ailleurs remplies de personnes qui maintiennent l’ordre existant puisqu’elles y associent du plaisir. Le plaisir étant ici défini comme tout ce qui apporte un sentiment de bien-être et de sécurité. Lorsque les êtres humains — en tant que personnes uniques ou membres d’une organisation — n’associent pas assez de douleur à la situation présente, ils ne changent pas. La grande majorité des gens ne changent véritablement que lorsqu’ils sont acculés au pied du mur. Tant et aussi longtemps qu’ils sont en mesure « d’endurer » ou de s’adapter, ils le font. Le confort du connu est si important et la peur de l’inconnu si effrayante qu’ils attendent souvent de ne plus avoir le choix. 134

Gardez en tête ces quatre contextes, apprenez à les reconnaître, car vous allez y être constamment confronté dans votre travail de bâtisseur. Apprenez aussi à envisager les différentes combinaisons possibles ; elles ont un impact important sur l’attitude et les comportements des gens. Quand vous rencontrerez une personne qui associe du plaisir à la situation présente et de la douleur à un éventuel changement, vous saurez que vous venez de tirer la combinaison qui mène assurément au statu quo. Si vous vous êtes déjà demandé pourquoi les régimes alimentaires sont voués à l’échec, vous avez la réponse. Manger est habituellement associé à beaucoup de plaisir dans notre société alors que les régimes sont directement associés à des privations et à des efforts. On demande aux gens d’arrêter de faire ce qu’ils aiment et d’y substituer quelque chose qu’ils n’aiment pas. Si, par ailleurs, vous rencontrez une personne qui associe énormément de douleur à sa situation présente et beaucoup de douleur également à l’idée des scénarios futurs, soyez prudent. Vous avez devant vous un possible candidat au suicide. Si c’est un groupe de personnes que vous rencontrez et qu’elles se retrouvent dans la même situation, c’est-à-dire devant un présent et un futur douloureux, c’est à une révolution que vous assisterez. Pensez à l’Allemagne de l’Est, pensez à l’ancienne URSS et à la nouvelle Russie.

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En vous exerçant de la sorte à jongler avec les différentes combinaisons possibles, vous apprendrez à connaître les forces d’inertie qui sont en jeu. C’est une information qui vous sera très utile. Vous apprendrez également que le seul véritable contexte propice au changement est celui auquel on associe beaucoup de douleur en considérant la situation présente et beaucoup de plaisir en anticipant la situation future. Le fait de ressentir de la douleur ou, à tout le moins, un fort sentiment d’inconfort par rapport à la situation présente génère habituellement assez d’énergie et de motivation pour amener quelqu’un à vouloir changer d’état. C’est la poussée initiale qui est nécessaire pour amorcer le mouvement. C’est le facteur qui fait que l’on change maintenant et pas dans cinq ans. En soi, cependant, la poussée n’est pas suffisante, car elle ne permet pas de donner au changement la direction souhaitée. C’est le fait d’associer beaucoup de plaisir à une situation future qui permet de donner une trajectoire précise à un projet et de la maintenir. Plus le changement souhaité apparaît attrayant, plus la force d’attraction sera importante. Les gens ne changent véritablement que lorsqu’ils sont fortement incommodés par ce qui se passe « ici et maintenant » et fortement inspirés par ce qu’ils anticipent dans le futur. Votre travail en tant que bâtisseur consiste à mettre en place un contexte propice au changement. Si vous avez un mandat clair, vous devez faire en sorte que les personnes avec qui vous travaillez ressentent 136

l’urgence de changer et soient en même temps irrésistiblement attirées par ce que l’avenir leur offre. Oui, vous devrez parfois travailler à augmenter leur état de malaise même si cela n’est pas une approche très orthodoxe. Vous devrez les aider à voir tout ce qu’elles sont en train de perdre et risquent de perdre à moyen et à long terme si elles demeurent sur la voie qu’elles ont choisie. Il y a une quantité incroyable de personnes qui acceptent de vivre dans un environnement qui leur est nocif parce qu’elles se racontent des histoires ou parce qu’elles font semblant de ne pas voir la « réalité ». Il y en a d’autres qui réussissent à tolérer leur misère en vivant un jour à la fois et en évitant de penser aux conséquences à long terme. C’est une stratégie adéquate pour faire de la survie, mais c’est une aberration en ce qui concerne la vie en général. On ne peut vivre en étant constamment ballotté par les événements. Sans cynisme et sans zèle, vous devrez faire ce qu’il faut pour que votre interlocuteur ait le goût de changer immédiatement, qu’il s’agisse d’une personne seule ou d’une communauté de personnes comme une compagnie, une organisation ou un groupe d’intérêt. Vous pouvez augmenter l’état de malaise de plusieurs manières : ❖

Vous pouvez, par exemple, faire le tour de toutes les conséquences de la situation présente ;



Vous pouvez également aider ces gens à se projeter dans l’avenir et à éprouver ce qu’ils vont ressentir s’ils continuent à reporter le changement ;



Vous pouvez mettre en doute leur motivation à changer la situation présente et même leur prédire qu’ils maintiendront le statu quo. Toutefois, 137

assurez-vous que la relation est excellente avant d’opter pour ce moyen ; ❖

Enfin, vous pouvez attendre que la situation se détériore encore un peu plus avant d’agir.

Vous devrez, à d’autres moments, mettre l’accent sur le plaisir associé au fait de changer. Il ne suffit pas que les gens soient moyennement attirés par un objectif, il faut qu’ils soient totalement tournés vers le but visé afin que sa force d’attraction puisse opérer. Il faut que ce but devienne un aimant et que les gens soient guidés par son magnétisme. Pour relever le défi, il importe d’augmenter l’intensité du plaisir associé au changement souhaité. De peur d’être déçus, les gens se refusent souvent à rêver ou, s’ils le font, ils bâtissent des « rêves réalistes », ce qui est l’antithèse d’un véritable rêve. Pour qu’un rêve ou un changement suscite un mouvement vers leur concrétisation, il faut que l’un et l’autre aient certains attributs qui les rendent invitants. Il y a plusieurs façons d’augmenter le plaisir associé au changement : ❖

Vous pouvez, par exemple, aider les gens à se fixer un objectif approprié, c’est-à-dire juste assez ambitieux pour être stimulant et ne pas paraître hors de portée ;



Vous pouvez les aider à anticiper tous les bénéfices auxquels ils vont accéder en changeant ;



Vous pouvez les aider à se projeter dans le futur pour qu’ils réalisent comment ils vont se sentir lorsque leurs objectifs seront atteints ;

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Vous pouvez les aider à composer plus efficacement avec les craintes et les doutes de façon à ce qu’ils puissent aller de l’avant.

En tant que catalyseur du changement, après avoir suscité l’engagement et soutenu les initiatives courageuses, votre première responsabilité est de créer un contexte propice au changement. Accordez à cette tâche l’attention qu’elle mérite tout en préservant la qualité de vos rapports avec l’entourage concerné.

EXPLOITEZ DEUX ATTITUDES QUI MÈNENT LE MONDE : LA RECHERCHE DU PLAISIR

ET L’ÉVITEMENT DE LA DOULEUR

Je n’écrirai pas ici ce que j’aurais voulu écrire. J’aurais voulu dire que tous les gens sont extraordinairement motivés à aller de l’avant et qu’ils recherchent constamment des occasions de grandir. J’aurais voulu dire que le travail des bâtisseurs se limite à faire miroiter des futurs attrayants pour que les gens s’y dirigent. J’aurais voulu dire que la recherche du plaisir est ce qui mène le monde. Mais je ne peux prétendre que ces affirmations sont exactes. Si vous aspirez à être un virtuose du changement, vous devez prendre conscience dès maintenant de ce qui motive les gens dans la très grande majorité des situations : l’évitement de la douleur. La plupart du temps, les gens déterminent leurs actions en fonction de ce qu’ils souhaitent éviter. Ils ne veulent pas faire d’effort, perdre la face ou être 139

marginalisés. Ils ne veulent pas se sentir différents, sortir de la norme, s’exposer aux jugements, etc. D’ailleurs, qu’est-ce qui, selon vous, empêche les personnes de parler devant un vaste auditoire ? Qu’est-ce qui les empêche de donner leurs opinions ? Qu’est-ce qui fait que les gens résistent souvent avec une force incroyable aux changements qui sont proposés, même ceux qui leur semblent favorables ? La réponse est d’une simplicité dérangeante : ils ont peur du bâton7... Ils ont peur d’avoir mal, de se sentir mal et d’être mis à part. Tant et aussi longtemps qu’ils ont l’impression de pouvoir éviter un peu le bâton, ils le font, même s’ils savent qu’à long terme ils vont perdre immensément. Encore aujourd’hui, c’est un constat qui me dérange. Par contre, le jour où j’en ai pris connaissance, j’ai « su » viscéralement que cela était exact et j’ai compris toute une série de réactions qui m’étaient, jusque-là, totalement incompréhensibles. Il y a en effet de nombreux comportements qui n’ont de sens que si on les interprète comme des stratégies d’évitement. C’est la seule façon logique de saisir pourquoi des personnes écartent des occasions extraordinaires et se refusent à bouger quand bien même on leur présente la plus attrayante des récompenses. Quand vous aurez digéré cette information, vous pourrez constater jusqu’à quel point elle peut s’avérer précieuse pour activer le changement. Environ sept fois sur dix, l’évitement de la douleur prime sur

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Je fais ici référence à la métaphore de la carotte et du bâton qui sont successivement utilisés pour faire avancer l’âne. 140

la recherche du plaisir. À vous d’utiliser cette information à bon escient. Les tentatives d’imposer la loi par la force sont vouées à l’échec tôt ou tard. Les dirigeants qui imposent leur autorité en entretenant un climat de peur arrivent quelquefois à se maintenir en poste, mais jamais à faire sortir le meilleur de leurs collaborateurs. On ne peut non plus éduquer adéquatement un enfant en recourant uniquement à des punitions. Il faut créer un lien émotif et renforcer les comportements adéquats. Ce n’est pas un choix que nous avons, c’est une obligation. Ceux qui ont ainsi recours à la peur pour influencer les autres savent que c’est un puissant outil de contrôle, mais ils négligent totalement le côté humain du changement. Statistiquement, ils vont réussir plus souvent qu’autrement à influer sur les décisions des autres, mais n’obtiendront rien en ce qui a trait à la qualité du rendement et au dévouement. À la longue, ils vont inévitablement se retrouver seuls. D’un autre côté, les tentatives visant à influencer les autres en leur présentant carotte après carotte sont également vouées à l’échec. Je parle ici des approches de gestion qui font uniquement appel à la bonne volonté et à une hypothétique égalité de tous. Je fais aussi référence aux méthodes éducatives qui préconisent d’accorder une totale liberté aux enfants. Quoique très louables au point de vue idéologique, ces méthodes s’avèrent très peu efficaces dans la pratique. En regard du changement et de leur potentiel, tous ne sont pas égaux et tous ne se motivent pas à la même vitesse et avec la même intensité.

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Comme vous vous y attendiez probablement, les bâtisseurs font appel alternativement à la recherche du plaisir et à l’évitement de la douleur lorsqu’ils ont le mandat de susciter le changement. Ils commencent tout d’abord par la carotte, c’est-à-dire par la mise en place d’un objectif de changement attrayant. Ainsi, ceux qui en ont le goût peuvent amorcer le changement souhaité. Ils sont peu nombreux, généralement moins de vingt-cinq pour cent. Puis, les bâtisseurs font augmenter graduellement l’état de malaise associé au statu quo en s’appuyant sur les mécanismes d’évitement de la douleur. Parfois, il leur suffit de mettre en lumière toutes les pertes présentes et futures associées au fait de ne pas changer. Parfois, ils doivent imposer certaines contraintes, comme des échéanciers et des dates butoirs. Parfois, il leur faut carrément mettre en place des sanctions. Le message devient simple et clair : « Nous préférons fonctionner par la positive, mais nous pouvons aussi poursuivre les objectifs en faisant augmenter le sentiment de malaise. Choisissez ce qui est le plus motivant pour vous. » Les bâtisseurs n’utilisent la peur de la douleur que pour susciter le mouvement ou corriger une trajectoire erronée. Dès que des gestes concrets sont posés dans le sens souhaité, ils changent rapidement d’attitude et encouragent la recherche du plaisir. Je me rappelle fort bien avoir rencontré un employé qui semblait s’écarter de plus en plus des objectifs collectifs de l’organisation dont nous faisions lui et moi partie. Il devenait vindicatif et blâmait constamment les autres. Sans en avoir pleinement conscience, j’ai alors utilisé une stratégie propre aux bâ142

tisseurs. Je lui ai dit que je préférais travailler avec ses forces (elles étaient nombreuses quoique pas très évidentes à cette époque), mais que si je n’avais pas le choix, je pourrais aussi très facilement faire ressortir ses carences et manquements. Je me suis mis ensuite à faire la liste de ce qu’il ne faisait pas ou exécutait difficilement dans son travail. Évidemment, cette sortie l’a surpris et quelque peu saisi. (J’ai moi-même été surpris de la facilité avec laquelle j’ai listé cette nomenclature et j’ai réalisé qu’il suffit de se brancher sur le négatif pour en voir partout.) Alors que je m’attendais à une fin plutôt orageuse, l’employé en question m’a tout simplement mentionné qu’il préférait la première option, celle où nous axions sur ses forces et aspirations personnelles. L’impact de cette intervention a été très important puisque nous avons pu poursuivre nos objectifs communs en utilisant le plaisir comme carburant. Les éducateurs et enseignants qui réussissent à développer le potentiel des jeunes et à leur transmettre un certain savoir utilisent sensiblement cette approche. Ils commencent par rendre attrayant l’apprentissage et mettent en relief les avantages d’apprendre, d’évoluer et de changer. De cette façon, les jeunes sont libres d’évoluer à leur rythme. Pour rejoindre ceux qui ne sont pas spontanément attirés par l’exploration ou sont paralysés par la peur de se tromper, les éducateurs et les enseignants introduisent graduellement certaines contraintes de temps ou de résultats attendus. Finalement, pour rejoindre les jeunes qui se refusent à bouger, ils n’hésitent pas à évoquer d’éventuelles sanctions. Puis, dès qu’il y a un mouvement dans la direction souhaitée, les édu143

cateurs efficaces recommencent immédiatement à miser sur la recherche du plaisir. L’efficacité d’un éducateur ou d’un enseignant ne se mesure pas à la quantité d’informations qu’il a su inculquer aux jeunes, mais plutôt au goût d’apprendre qu’il a su leur insuffler. C’est d’ailleurs en cela qu’ils se différencient de ceux qui se contentent d’utiliser la peur. Leur but est d’amener les jeunes à se mettre en mouvement vers l’actualisation de leur potentiel et la réalisation de leurs rêves. Que vous soyez avec une organisation, vos enfants ou toute autre personne, vous aurez avantage à vous rappeler que l’inertie fait partie du processus de changement et que vous pouvez réaliser tous les changements imaginables à condition de posséder un levier adéquat. Le fait de constater que les gens sont motivés par l’évitement dans près de soixante-quinze pour cent 8 des cas est quelque peu décourageant. Et il ne faut pas perdre de vue que nous sommes personnellement concernés par cette statistique. Quant aux mobiles de l’action humaine, il est en effet très rare que la recherche du plaisir passe avant l’évitement de la douleur. Par contre, le fait d’en prendre conscience donne aux individus en général et aux bâtisseurs en particulier un pouvoir réel d’agir, le pouvoir de changer leur propre attitude à l’égard du changement et de devenir proactifs. Il est tout à fait possible de changer le rapport soixante-quinze / vingt-cinq. Vous pouvez décider maintenant d’aller vers ce que vous voulez plutôt que de réagir et de fuir ce que vous ne voulez pas. 8

Il ne s’agit pas d’un pourcentage obtenu scientifiquement, mais plutôt d’une estimation basée sur l’observation. Il y a des variations en fonction des individus et des contextes. 144

Les questions suivantes peuvent vous y aider : ❖

Qu’est-ce que vous voulez obtenir dans votre travail ?



Est-ce que votre travail actuel peut vous permettre d’atteindre ces objectifs ?



Sinon, quels moyens pouvez-vous prendre pour vous réaliser professionnellement ?



Qu’attendez-vous d’une relation intime ?



Est-ce que vous faites ce qu’il faut pour que vos relations soient satisfaisantes ?



Est-ce que votre relation actuelle peut vous permettre d’atteindre vos aspirations ?



Quel geste concret comptez-vous faire aujourd’hui pour vous rapprocher de l’atteinte de vos objectifs ?

Juste en répondant à ces quelques questions, vous pouvez constater comment le fait de se diriger vers ce que l’on veut atteindre est une entreprise dynamisante. Les réactifs se placent devant leur filet et essaient de bloquer tout ce qui peut leur faire mal ou les déranger. Ils ne marquent pas de buts. Les proactifs montent au filet et, souvent, arrivent à marquer. Qui plus est, ils peuvent choisir le but dans lequel ils aspirent à compter.

SACHEZ POURQUOI LES GENS RETOMBENT TOUJOURS DANS LE MÊME MODÈLE DE COMPORTEMENT

En cette ère de communication et d’information, il est fréquent de constater que des travaux dans une discipline scientifique trouvent des applications dans 145

un tout autre champ. Aussi, les bâtisseurs recherchent des réponses en ne se limitant pas à un champ spécifique. Certains travaux effectués en science fondamentale offrent par exemple de nouveaux outils qui donnent des résultats formidables lorsqu’il s’agit de cerner la subjectivité humaine. C’est notamment le cas pour les travaux du biologiste Humberto Maturana. Maturana prétend que tous les organismes vivants, qu’il s’agisse des cellules, des personnes, des familles ou des organisations, présentent la même tendance à préserver leur identité (ou leur structure interne). Cette tendance, qu’il nomme « autopoïèse » permet à un individu, à une famille ou à tout autre système de maintenir son identité en dépit des pressions extérieures et du passage du temps. Ce principe, en apparence assez simple, permet de cerner les mécanismes impliqués dans l’une des attitudes les plus surprenantes de l’espèce humaine. Certaines personnes demeurent dans un contexte X, et cela, même s’il est évident que ce contexte est malsain, voire nocif pour elles. Ce qui est plus surprenant encore, c’est que ces personnes se retrouvent souvent dans un contexte similaire à X après avoir réussi à le quitter de peine et de misère. C’est ainsi que des femmes se retrouvent avec un conjoint violent après avoir quitté un autre compagnon abusif. C’est ainsi que des personnes se retrouvent avec le même genre de partenaire amoureux malgré des échecs répétés. C’est ainsi que des gens conservent le même emploi en dépit de conditions difficiles et de nombreuses possibilités de départ. 146

Plusieurs hypothèses ont déjà été avancées pour rendre compte de ce phénomène pour le moins surprenant. Certains chercheurs ont insisté sur les causes ; d’autres ont parlé de peur de la réussite ou du désir inconscient d’échouer ; d’autres encore ont préféré mettre l’accent sur les gains secondaires et sur les leçons à tirer de telles situations. L’avantage de la position de Maturana est qu’elle échappe aux pièges du jugement et de la morale. Plutôt que de se centrer sur le pourquoi, il se centre sur les mécanismes impliqués, c’est-à-dire le comment. Je m’inspirerai ici de son modèle pour mieux cerner le phénomène dont il est question ci-dessus. Même si certains facteurs génétiques entrent en œuvre, il est clair que notre identité se forme dans un environnement spécifique. Nous cherchons à donner un sens aux événements qui nous entourent et à comprendre les actions de nos proches afin d’éprouver un sentiment de bien-être et d’aisance. Contrairement à ce que l’on peut penser, nos efforts ne servent pas à contrôler ce qui se passe à l’extérieur de nous, mais plutôt ce qui se passe à l’intérieur de nous. Chaque fois qu’il se produit un événement inattendu ou imprévisible, nous vivons un déséquilibre interne qui exige que des efforts soient faits afin de retrouver un état satisfaisant. Avec le temps, nous adoptons certaines croyances et certaines valeurs qui nous permettent d’anticiper les réactions des autres et de nous adapter. Nous commençons également à suivre des directives qui nous permettent d’avancer plus aisément dans notre environnement. En fait, nous construisons une structure (notre identité) qui nous permet d’évoluer avec un sentiment de bien-être relatif et d’éviter les trop fréquents déséquilibres. 147

Lorsque nous nous adaptons à un environnement malsain ou neutre, nous modifions notre structure pour composer avec ces conditions. Nous pouvons même en arriver à trouver un certain bien-être dans la tourmente ou la stagnation, car ce qui a été surprenant devient prévisible, ce qui a été bousculant devient routinier. Même si le jeu est rude ou insatisfaisant, nous en connaissons les règles et nous ne sommes plus surpris par les comportements des autres. Il est important de saisir ici que nous ne résistons pas et que nous n’abdiquons pas devant l’environnement. Au contraire, nous nous adaptons à ce que l’environnement provoque en nous. Quand l’entourage nous perturbe, les images se bousculent dans notre tête. Les questions reviennent à une fréquence et à une vitesse folles et des tourbillons surgissent. Il est donc tout à fait légitime que nous cherchions à contrôler cette agitation. Généralement, nous nous attendons à nous sentir bien lorsque l’environnement est positif et à nous sentir mal lorsque l’environnement est négatif. Selon le modèle de Maturana, ce n’est pas aussi simple. Si notre personnalité s’est développée dans un contexte malsain, des changements positifs dans l’environnement peuvent très bien entraîner un grand malaise. Si nous sommes habitués à composer avec un environnement hostile, nous nous sentirons déroutés et menacés de naviguer dans un environnement différent, aussi accueillant soit-il. Les motivations des autres de même que leurs réactions deviennent étrangères. Nous nous trouvons alors dans la situation paradoxale suivante : soit que nous accep148

tions de nous sentir à l’étroit dans un environnement sain, soit que nous choisissions de nous sentir bien dans un environnement malsain ou neutre. En plus de nous permettre de comprendre les mécanismes qui nous amènent à demeurer dans une situation malsaine ou neutre, le modèle de Maturana permet également de cerner comment nous en arrivons à nous trouver constamment dans les mêmes situations. Si, par exemple, nous avons l’habitude de composer avec une relation de couple conflictuelle, il est probable que nous serons complètement désarçonnés par un autre type de relation, et cela, même si cette relation s’avère prometteuse. Le fait de nous retrouver dans une situation totalement nouvelle provoque une forte perturbation qui peut nous empêcher d’aller plus loin dans cette relation. A contrario, et c’est ce qui est triste et pathétique, les seuls contacts qui ne provoquent pas de tourbillons sont ceux qui ressemblent à ce que nous connaissons. Puisque nous ne vivons pas d’inconfort, nous choisissons souvent, à tort, d’investir dans cette relation qui risque d’être une répétition du passé. Curieusement, si nous souhaitons éviter cette boucle qui nous amène à revivre les mêmes comportements, il vaut mieux accepter la présence du tourbillon. C’est, après tout, le signe que quelque chose de nouveau se passe.

UTILISEZ LE POUVOIR DE LA QUATRIÈME DÉCIMALE Si je vous disais qu’un battement d’ailes de papillon en Afrique peut causer une tornade en Amérique du Nord, vous seriez sûrement sceptique. Pour149

tant, cet exemple est repris de plus en plus souvent dans la littérature pour illustrer comment des éléments en apparence négligeables peuvent avoir des répercussions dramatiques. On doit cette affirmation au météorologue Edward Lorentz, qui, dans les années 60, a travaillé à prédire la température en utilisant un programme informatique. Lorentz a accidentellement découvert qu’une différence de quelques millièmes peut avoir de gigantesques conséquences sur les résultats d’une équation. Un jour, pour sauver du temps dans une de ses expériences, il a travaillé avec trois décimales (.506), alors qu’il avait l’habitude d’utiliser six décimales (.506127). Contre toute attente, les résultats ont varié de façon considérable et ont complètement modifié les prévisions météorologiques. Or, cette idée défie le sens commun et la très grande majorité des approches scientifiques, car, habituellement, une différence à la quatrième décimale est considérée comme négligeable et pas plus signifiante que le battement d’ailes d’un papillon. Lorentz a démontré qu’une toute petite différence pouvait provoquer d’énormes bouleversements. Les implications d’une telle découverte sont importantes pour les bâtisseurs dans la mesure où elles les forcent à abandonner complètement la pensée linéaire. Ils savent qu’il est tout à fait futile de rechercher une cause simple aux problèmes actuels puisqu’il n’est pas possible de mesurer l’impact réel des événements. Le plus infime des détails peut avoir une répercussion importante s’il interagit avec d’autres facteurs pendant assez longtemps. Dans votre maîtrise du changement, vous devrez prendre 150

acte de ce phénomène et éviter de perdre un temps précieux à rechercher la cause des problèmes. Vous devrez également garder un certain scepticisme à l’endroit des allégations qui sont présentées comme véridiques parce que fondées sur des raisonnements scientifiques. Même les sciences dites exactes ne le sont pas. Il suffit d’ajouter une seule décimale à un calcul pour en modifier significativement les résultats.  Les découvertes ne sont en définitive que des hypothèses qui s’avèrent plus ou moins utiles. Apprenez à faire passer le test de l’utilité à toute nouvelle information : si une croyance, une affirmation ou une observation vous est utile et si elle vous permet d’avancer, prenez-la en considération. Sinon, écartez-la et recherchez une information plus utile. Voici un exemple de sensibilité aux conditions initiales. Vous êtes au sommet d’une montagne et vous faites rouler une balle en essayant d’atteindre un objectif situé au pied de la montagne. Pas de chance ! La balle rencontre des obstacles sur sa route et s’écarte de la direction que vous lui avez donnée. Avant de faire un deuxième essai avec une balle tout à fait identique, vous enlevez tous les obstacles que vous croyez susceptibles de nuire à la trajectoire de la balle. Puis, vous envoyez celle-ci à partir du même point de départ que la balle précédente. À votre grande surprise, la deuxième balle manque non seulement son objectif, mais se retrouve à plusieurs centaines de mètres de la première. Parce que vous êtes déterminé à réussir, vous essayez une nouvelle fois. Même résultat décevant. Les balles ne sont même pas proches les unes des autres.

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Que s’est-il passé ? Vous avez sans doute modifié les conditions initiales de façon appréciable. Vous avez modifié soit la force de la poussée, soit l’angle de la trajectoire. Et même si la différence était minime au début, elle n’a fait que s’amplifier lorsqu’elle a rencontré les obstacles de la montagne. Ne vous blâmez pas, il est pratiquement impossible de retrouver les conditions initiales exactes. Le fait de considérer la sensibilité aux conditions initiales permet aux bâtisseurs d’adopter une certaine humilité relativement au rôle qu’ils exercent dans le formidable processus du changement. Ils sont souvent les « activateurs » de ce processus, mais ils en font également partie et sont toujours dépassés par le processus même. Les techniques qu’ils utilisent sont bien sûr importantes, mais leurs croyances, leur équilibre, leur congruence personnelle et leur foi dans le potentiel de changement des groupes et des individus font également partie des conditions initiales. Les doutes, particulièrement ceux qui ne sont pas mentionnés verbalement, et les croyances limitatives ont un impact indéniable sur la direction du changement et la destination finale. En abordant une personne ou une collectivité, rappelez-vous que la quatrième décimale peut avoir de lourdes répercussions et qu’elle est souvent difficile à cerner parce qu’elle est invisible. Ceux qui travaillent avec seulement trois décimales sont, par exemple, des médecins qui exercent leur fonction de façon mécanique, des architectes qui dessinent des bâtisses solides mais souvent sinistres, des enseignants qui appliquent des programmes et des parents qui « élèvent » leurs enfants. Ils sont très nombreux. 152

Ceux qui travaillent au-delà de la troisième décimale sont moins nombreux, mais ils font des miracles. Ce sont des médecins qui réussissent à activer le potentiel de guérison de leurs patients, des architectes qui dessinent des monuments à la gloire de l’humanité, des enseignants qui aident leurs élèves à trouver leurs propres réponses et des parents qui accompagnent leurs enfants dans une quête fondamentale. Ces gens aiment ce qu’ils font et ils y croient. Ils aiment pardessus tout leurs semblables. Ceux-là savent qu’un battement d’ailes de papillon peut parfois causer des tornades et mobiliser des ressources aussi puissantes qu’insoupçonnées. Le changement n’est pas un enchaînement mécanique d’événements ou de circonstances, et vous ne pouvez pas vous contenter d’agir en technicien. C’est une tâche systémique et vivante que vous devez aborder dans une perspective quasi artistique. Vous ne créez pas le changement, vous y contribuez. En y souscrivant, vous vous abonnez à la vie elle-même.

APPRENEZ À DÉTECTER LES RÈGLES AUXQUELLES OBÉISSENT CEUX QUI VOUS ENTOURENT

Nous avons déjà vu dans le chapitre portant sur les papillons que ceux-ci obéissent plus ou moins consciemment aux trois mêmes règles, et ce, depuis leur tendre enfance. Règle no 1 : Ils aident les autres afin d’obtenir l’amour et l’affection dont ils ont un grand besoin ;

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Règle no 2 : Ils assument leurs rôles, ce qui leur permet d’obtenir le respect et de réussir relativement bien dans tous les secteurs de leurs activités ; Règle no 3 : Ils s’adaptent, c’est-à-dire qu’ils se changent eux-mêmes plutôt que de changer l’environnement lorsqu’ils rencontrent des problèmes, ce qui leur confère une très grande capacité à rester en équilibre quelles que soient les circonstances. Nous avons également vu que ces règles se sont imposées très tôt dans leur vie comme des moyens efficaces de composer avec l’environnement. Elles ont été à la fois un moyen de donner du sens aux interactions et des principes directeurs qui ont contribué à forger leur identité. L’avantage pour un observateur qui sait reconnaître un papillon, c’est qu’il peut, dans une certaine mesure, prévoir ses réactions. Il sait que, dans un groupe, le papillon aura spontanément tendance à aider ceux qui ont des difficultés, qu’il cherchera des moyens de s’adapter plutôt que de contester, qu’il n’usera pas de représailles parce que cela n’est pas dans ses habitudes, etc. Vous avouerez que la connaissance des règles directrices confère à cet observateur un atout indéniable. Si l’observateur sait faire preuve de discernement, il pourra faire de même avec les bâtisseurs quoique ces derniers aient un spectre de comportements possibles beaucoup plus étendu. Il est possible de se livrer à un exercice similaire avec toutes les personnes puisque nous suivons tous certaines lignes directrices sans en être totalement conscients. Ainsi, nous avons tous réagi au chaos intérieur et à notre propre inconfort d’enfant en créant 154

la carapace que nous appelons notre identité. Pour trouver le sentiment de confort et pour donner un sens à nos interactions avec l’environnement, nous avons commencé à suivre certaines règles et nous les conservons généralement très longtemps. Vous devrez, au cours de votre préparation ou de votre quête de bâtisseur, vous habiliter à identifier les règles auxquelles les gens obéissent. Vous pourrez ainsi non seulement comprendre et prévoir leurs comportements, leurs croyances et leurs valeurs, mais également cerner leur identité. En tant qu’« activateur » de changement, c’est le type d’information susceptible de vous procurer une longueur d’avance. Le fait d’appréhender l’identité d’une personne, en mettant au jour les règles qu’elle applique, a un autre avantage remarquable. Presque inévitablement, ceux qui le font sur une longue période en arrivent à regarder au-delà de l’identité. En partant du principe que l’identité se forme en réaction à un malaise et qu’elle peut être assimilée à un mécanisme de défense, il est tout naturel de chercher chez l’autre son essence. Les bâtisseurs composent avec ce qui est apparent, c’est-à-dire l’identité de leur interlocuteur, mais ils les encouragent à rechercher et à découvrir ce qui est implicite, c’est-à-dire leur essence. Imaginez que vous avez affaire à une personne qui : 1) tend à chercher un coupable ou à blâmer les circonstances chaque fois qu’elle rencontre des difficultés ; 2) cherche à obtenir du pouvoir supplémentaire ou à maintenir celui qu’elle possède chaque fois qu’elle entre en contact avec d’autres personnes ; 155

3) applique avec zèle les rôles qui lui sont confiés par d’autres, mais qui évite de s’engager personnellement. Imaginez maintenant que vous avez affaire à une personne qui : 1) tend à nier constamment l’existence des problèmes ou à en reporter la résolution ; 2) cherche à entrer en relation pour être en relation ; 3) assume consciencieusement les rôles et les missions qui lui sont confiés. Auriez-vous confiance en la première personne ? D’après vous, fait-elle du bénévolat ? Quelle est son attitude vis-à-vis de son patron ? La deuxième personne ferait-elle une bonne animatrice ? D’après vous, a-t-elle un style autoritaire ? Lui feriez-vous confiance ? En vous basant uniquement sur les règles que suivent ces personnes, vous avez tout à fait raison de risquer des réponses. D’ailleurs, vous pourriez aller beaucoup plus loin dans vos prédictions et ce ne serait pas faire preuve de témérité. Ce que je souhaite mettre ici en relief, c’est que la capacité à identifier la constance dans les attitudes et comportements des gens permet de cerner leur identité avec une surprenante efficacité. Vous pourrez donc les deviner et les aider éventuellement à rechercher leur essence, c’està-dire ce qu’il y a au-delà de leur identité. 156

TEST

Identifier les règles de conduite La façon d’utiliser ce test est très simple. Il vous suffit d’identifier une personne dont vous souhaitez connaître les règles de conduite et de répondre aux questions suivantes : Quelle est l’attitude systématique de cette personne lorsqu’elle rencontre des difficultés ? 1 Elle s’adapte, elle se change elle-même pour mieux composer avec les événements ; 2 Elle cherche à modifier les facteurs extérieurs qu’elle considère responsables de ses difficultés ; 3 Elle subit les événements et devient la victime de ce qui lui arrive ; 4 Elle nie, minimise les difficultés ou reporte continuellement la résolution des problèmes ; 5 Autre réponse :_____________________________ Quelle est son attitude lors de ses contacts avec les autres ? 1 Elle les aide et s’en occupe ; 2 Elle entre en compétition avec eux ; 3 Elle entretient seulement des rapports sociaux ; 4 Autre réponse : __________________________ Comment se comporte-t-elle lorsqu’on lui confie des rôles ou des missions ? 1 Elle les assume, si elle en a les moyens ; 2 Elle les fuit ; 157

3 Elle essaie de les refiler à d’autres ; 4 Elle les accepte tous et tente de les assumer ; 5 Autre réponse____________________________ L’objectif de ce test n’est pas de remplacer l’observation, bien au contraire. Je vous suggère plutôt de vous imprégner de sa structure pour ensuite l’utiliser comme une grille d’analyse. Les bâtisseurs ne passent pas leur temps à remplir des tests, mais ils arrivent facilement à cerner leurs interlocuteurs et à composer avec eux. Ils observent beaucoup et, surtout, ils observent bien. Ils savent où faire porter leur attention. C’est là une de leurs cartes maîtresses. Ne vous laissez pas décourager par l’apparente imprévisibilité des comportements de l’homme et par leurs insondables motivations. Centrez-vous sur l’observable et sur la récurrence des comportements. Les comportements et les attitudes qui se manifestent constamment permettent d’inférer la structure de la personnalité. Plus les gens ont des personnalités rigides, plus il vous sera facile de déterminer les principes autour desquels ils se sont structurés. Généralement, l’identification des trois éléments suivants permet de cerner les gens : leur réaction devant les problèmes, leur attitude dans leurs relations avec les autres et leur façon de s’acquitter de leurs rôles. Comme les humains adoptent ces comportements en bas âge et les répètent très régulièrement, ces derniers deviennent cristallisés et aisément observables. Les bâtisseurs façonnent le futur en travaillant auprès des individus, mais ils agissent également auprès des autres systèmes. C’est pourquoi il peut être très utile de postuler qu’une famille, un groupe 158

ou une organisation a une identité propre, distincte des membres qui en font partie. Cela permet de mieux définir les réactions du système et d’anticiper « l’humeur collective ». Dans le cas d’un système plus large, il faut modifier sensiblement l’angle de vision, mais la cible demeure la même : identifier les facteurs qui expliquent pourquoi les membres gravitent autour de ce système et établir les principes à partir desquels ces gens s’organisent. Voici donc une version du test précédent, adaptée aux systèmes.

TEST

Identifier les règles de conduite dans un système De façon générale, comment réagissent les membres de ce système (famille, groupe ou organisation) lorsqu’ils sont aux prises avec des difficultés ? 1 Ils s’adaptent, ils se changent eux-mêmes pour mieux composer avec les événements ; 2 Ils cherchent à modifier les facteurs extérieurs qu’ils considèrent responsables de leurs difficultés ; 3 Ils subissent les événements et deviennent les victimes de ce qui leur arrive ; 4 Ils nient, minimisent les difficultés ou reportent continuellement la résolution des problèmes ; 5 Autre réponse :___________________________ 159

Comment les membres de ce système se comportent-ils les uns envers les autres ? 1 Ils s’entraident, chacun s’occupe des autres ; 2 Ils sont en compétition entre eux ; 3 Ils mettent l’accent sur la socialisation ; 4 Autre réponse : ___________________________ Quelles attitudes les membres de ce système adoptent-ils vis-à-vis leur rôle et leur mission ? 1 Ils les assument, s’ils en ont les moyens ; 2 Ils les fuient ; 3 Ils essaient de les refiler à d’autres ; 4 Ils les acceptent tous et tentent de les assumer ; 5 Autre réponse : _________________________ Imaginez que vous êtes l’administrateur d’une organisation dans laquelle les membres : 1) minimisent continuellement les problèmes et reportent leur résolution ; 2) mettent l’accent sur la socialisation ; 3) essaient de refiler à d’autres leurs rôles et leurs missions. Imaginez maintenant que vous êtes l’administrateur d’une organisation dans laquelle les membres : 1) minimisent continuellement les problèmes et reportent leur résolution ; 2) mettent l’accent sur la socialisation ; 3) tentent d’assumer leurs rôles et leurs missions s’ils en ont les moyens.

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La différence entre les deux organisations peut paraître mineure, car une seule des règles diffère. Pourtant, ces deux organisations sont fondamentalement différentes. Sur une longue période de temps, les tentatives soutenues et répétées des membres de la deuxième organisation d’assumer leurs responsabilités vont faire une énorme différence. Les tendances à minimiser les problèmes, à mettre l’accent sur la socialisation et à assumer les responsabilités vont interagir au gré des circonstances et vont toutes trois contribuer à façonner et à renforcer l’identité du système. Dans la première organisation, les tendances agissantes n’étant pas les mêmes, le résultat (la personnalité du système) ne saurait être le même. De la même façon, deux organisations ayant les mêmes règles de conduite ne développeront pas nécessairement une personnalité identique puisque le contexte socio-historique dans lequel elles évoluent a un impact indéniable. Par contre, ces deux organisations seraient « cousines » dans la mesure où elles partageraient certaines croyances et certaines visions. Le rôle des individus qui les composent n’est pas négligeable, mais il faut savoir que les composantes d’un système ne peuvent, à elles seules, modifier la structure dont elle font partie. Pour un bâtisseur, il est essentiel de pouvoir cerner les forces qui opèrent au sein d’un système puisque ce sont elles qui vont colorer toutes les tentatives de changement.

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APPRENEZ À PENSER DE FAÇON FRACTALE Ceux qui sont déjà prêts à façonner le troisième millénaire ne font pas que connaître les mécanismes et les facteurs impliqués dans le changement, ils pensent différemment. Vous devrez vous y exercer vous aussi. En définitive, l’une des caractéristiques fondamentales de l’intelligence humaine est sa capacité de reconnaître des « pattern ». Nous apprenons continuellement à identifier des séquences, des cycles, des processus, des tendances et des probabilités. Exemple de séquences : Dans un jeu de cartes, l’as est suivi du roi, puis de la dame, puis du valet, etc. Exemple de cycles : Les feuilles tombent à l’automne et reviennent au printemps. Exemple de processus : Pour faire du pain, il faut mélanger les ingrédients, pétrir, laisser la levure agir, etc. Exemple de tendances : Les hommes ont tendance à perdre leurs cheveux en vieillissant. Exemple de probabilités : La probabilité d’obtenir le côté pile d’une pièce de monnaie au jeu de pile ou face est de cinquante pour cent. Dans l’exercice de leur fonction, les bâtisseurs ont dû cerner un autre type de « pattern », lié à des règles qui semblent régir la nature elle-même. Ils doivent y être attentifs de plus en plus. À mesure que nous prenons conscience du caractère imprévisi162

ble des choses, nous devons renoncer à essayer de comprendre la nature avec notre pensée déterministe. Nous devons nous centrer davantage sur les principes qui en régissent l’organisation. C’est une erreur de croire que chaque effet a une cause et que l’on peut disséquer les événements pour ensuite tenter de les reconstituer. La vie et l’intelligence ne sont pas des éléments que l’on peut circonscrire et mesurer, ce sont des propriétés émergentes.

Le nouveau modèle de référence que je présente ici est celui des fractales. C’est du moins le nom que le père de la géométrie fractale, Benoît Mandelbrot, a imaginé en 1975. Les fractales sont des structures géométriques qui possèdent une formidable propriété : si on agrandit un détail de leur motif, on retrouve le motif tout entier. Le tout et la partie obéissent aux mêmes principes d’organisation. Quel que soit le niveau auquel nous prêtions attention, la structure est la même. Mandelbrot a émis l’hypothèse, maintes fois supportée depuis, que plusieurs systèmes au développement apparemment aléatoire ont en fait une organisation fractale. Il y aurait de l’ordre dans le désordre apparent... 163

Vous n’avez nul besoin d’un ordinateur perfectionné ou de maîtriser la géométrie fractale pour constater la présence de ce type d’organisation. La nature fournit une multitude d’illustrations, il suffit de se pratiquer à les détecter : ❖

Les arbres ont un tronc qui se divise en branches, qui elles-mêmes se subdivisent en plus petites branches et ainsi de suite ;



Que vous examiniez une fougère avec des lunettes d’approche ou avec un microscope, vous observerez la même structure. Vous verrez une branche centrale munie de branchettes dont la longueur varie très graduellement ;



Si vous allez dans le désert, vous observerez que les petits amas de sable se forment et se modifient exactement selon les mêmes principes et proportions que les énormes dunes ;



Plusieurs composantes du corps humain ont ce type d’organisation, notamment les bronches des poumons.

On utilise aujourd’hui la géométrie fractale pour simuler par ordinateur les séismes terrestres, la croissance des végétaux, l’évolution des montagnes et les limites côtières. L’idée selon laquelle l’organisation fractale est intimement liée aux principes propres à la nature fait de plus en plus de chemin. De toutes les structures fractales observées jusqu’à présent, il y en a une qui apparaît aussi surprenante que prometteuse. Surprenante tout d’abord, parce qu’elle a été observée dans les années trente, bien avant l’arrivée des puissants ordinateurs et bien avant les travaux de Mandelbrot. Prometteuse, car 164

elle concerne non pas un élément isolé de la nature, mais bien la psychologie de masse dans son ensemble. Elle prône que les mouvements sociaux ont une structure et qu’il est possible d’observer cette même structure à toutes les échelles. Il s’agit de la « vague Elliott ».

Le « pattern » du changement selon Elliott

L’économiste Ralph Nelson Elliott a en effet découvert que l’humeur populaire (ou la psychologie collective) alterne du pessimisme à l’optimisme et que ce va-et-vient s’effectue d’une façon si naturelle qu’il est possible de faire des prévisions relatives aux comportements. En observant les fluctuations du marché financier, il a été en mesure d’identifier et de mesurer plusieurs modèles de comportements, qu’il 165

a appelés des vagues, puis il a démontré que ces vagues s’assemblaient les unes aux autres pour former la même structure à une échelle toujours de plus en plus grande. Elliott a découvert les structures de type fractal quarante-cinq ans avant qu’on puisse les simuler grâce à l’informatique. D’ailleurs, il n’a pas reçu de ses contemporains l’attention qu’il aurait pourtant bien méritée. Il a fallu que l’économiste Robert R. Prechter fils utilise ses découvertes, afin de prévoir les mouvements de la bourse, pour qu’on recommence à cerner l’importance de ses travaux. Pour les bâtisseurs, l’intérêt des observations d’Elliott ne réside pas dans les applications qu’il en fait pour le domaine financier, mais plutôt dans leur généralisation possible à l’ensemble des mouvements de la collectivité. Selon lui, les mouvements de la bourse ne font que traduire fidèlement des tendances qui sont agissantes dans la société et que l’on peut tout aussi bien observer dans d’autres secteurs de l’activité humaine. Quand l’humeur collective est au pessimisme, non seulement le marché boursier baisset-il, mais les films d’horreur deviennent plus populaires, les gens deviennent moins tolérants par rapport à leurs leaders, les héros du sport perdent de leur panache, et ainsi de suite. Quand l’humeur est à la hausse, les indices boursiers remontent, les vedettes « propres » obtiennent la cote et les sportifs deviennent l’objet d’un véritable culte. C’est la période de l’omnipuissance, du dépassement et de la performance. Les observations d’Elliott sont utiles dans la mesure où elles suggèrent qu’il y a de l’ordre dans l’immense chaos des transactions humaines. Qui plus est, 166

elles permettent de concevoir la forme que prend le cycle du changement. Comme je l’ai déjà mentionné, le changement n’est ni un processus linéaire ni une progression constante. Selon Elliott, c’est une progression asymétrique qui répond à des lois qui lui sont propres. Apprendre à identifier les différentes formes que prend le changement peut devenir un moyen très efficace de tirer profit des événements, quelle que soit leur direction. Sans détailler davantage chacune des vagues qu’a identifiée Elliott, je me permets d’en tracer ici les grandes lignes. Selon lui, lorsque l’humeur collective est à l’optimisme, on observe une progression de trois pas suivi d’une correction de deux pas (le marché boursier, la popularité des sports et le marché de l’art subissent par exemple trois mouvements à la hausse entrecoupés de deux mouvements à la baisse). Les numéros 1, 3 et 5 du graphique correspondent à cette poussée que même deux légers reculs (les numéros 2 et 4) n’arrivent pas à freiner. Les lettres A et C correspondent à la phase correctrice que le soubresaut, représenté par la lettre B, n’infléchit pas. Lorsque l’humeur collective est au pessimisme, on observe exactement la tendance inverse : il y a un recul de trois pas suivi d’une correction de deux pas. Fort heureusement, les périodes d’optimisme sont systématiquement plus importantes que les périodes de pessimisme. C’est d’ailleurs ce qui explique que, globalement, la société progresse sur tous les plans. Vous remarquerez que la séquence (1, 2, 3, 4, 5, A, B, C) se reproduit à toutes les échelles. On peut 167

voir clairement dans le graphique que cette séquence se subdivise pour former plusieurs petites structures identiques et qu’elle est la première constituante d’une structure plus grande. Concrètement, cela signifie que la structure propre au changement est identifiable sur une période d’une journée, d’un mois, d’une année, d’une décennie ou d’un siècle. Bref, quel que soit l’horizon temporel choisi, il est possible d’observer les vagues d’Elliott. Si vous considérez, par exemple, les cinq dernières années de votre vie, il vous sera plutôt aisé d’identifier si cette période a été pour vous une période teintée d’optimisme ou de pessimisme. Ensuite, quelle que soit votre réponse, vous serez capable d’identifier des périodes plus courtes qui vont dans une direction différente. Si vous avez déterminé que cette période en est une d’optimisme, vous vous retrouverez probablement devant un bilan positif : trois pas de l’avant, suivis ou intercalés de deux pas de recul. L’étude de l’histoire permet également d’identifier, à différentes échelles, des périodes de pessimisme et d’optimisme, et de constater à quel point les événements qui marquent ces périodes sont le reflet fidèle de l’humeur collective. En Occident, le Moyen Âge (Dark Age) correspond à une très longue période de pessimisme pendant laquelle ont régné le contrôle, les sombres conspirations et la persécution. Cette triste période a été suivie par celle de la Renaissance qui, comme son nom l’indique, correspond à une période extrêmement féconde dans plus d’un secteur. L’intérêt renouvelé pour 168

la culture classique a permis le développement de l’art, de la littérature, de la philosophie et de la science. À une plus petite échelle, on a assisté aux ÉtatsUnis à une véritable chasse aux sorcières pendant les années cinquante. À la suite de la croisade du sénateur Joseph McCarthy, des centaines de personnes soupçonnées de sympathies communistes ou d’être tout simplement progressives ont été persécutées. Détecter les structures de type fractal, particulièrement celles mises au jour par Elliott, permet de dépasser le mode réactif. Les bâtisseurs reconnaissent qu’ils ne peuvent prévoir avec exactitude les événements, mais ils deviennent habiles à lire les tendances et à prévoir la direction des changements. Dans la mesure où l’intelligence consiste à détecter des modèles de fonctionnement, apprendre à détecter les structures de type fractal permet de devenir plus « intelligent ».

AJUSTEZ VOTRE ACTION EN FONCTION DU NIVEAU DES CHANGEMENTS À EFFECTUER

Les changements à effectuer ne sont pas tous du même ordre. Parfois c’est un comportement qu’il importe de modifier, parfois c’est une croyance qu’il faut abandonner, parfois c’est la redéfinition complète de la mission d’une organisation qu’il faut revoir. Vous devrez apprendre à identifier le domaine auquel sont reliés les changements, car votre travail sera radicalement différent selon que vous aurez à modifier une habitude ou à aider un groupe à définir son identité. 169

Cette tâche n’est d’ailleurs pas aussi simple qu’elle peut le paraître de prime abord. Considérez les exemples suivants : 1) Vous suggérez à un dentiste d’abandonner sa fraise pour utiliser un procédé chimique ; 2) Vous avez comme tâche d’implanter un nouveau système informatique qui doit complètement modifier le travail des techniciens d’une entreprise de bois de sciage. Si vous abordez ces changements comme de simples modifications comportementales, vous serez surpris de l’ampleur des résistances. En fait, ces changements sont susceptibles de modifier l’identité même des individus qui sont concernés, c’est-à-dire la façon dont ils se définissent. Les dentistes ont l’habitude de travailler avec une fraise et les techniciens savent qu’ils font un bon travail lorsqu’ils contribuent directement à la production. En cernant adéquatement à quel niveau sont les enjeux, vous serez à même de faciliter une transition harmonieuse. Roberts Dilts, un de ceux qui développe le modèle de la programmation neurolinguistique, avance qu’il y a six niveaux de changements possibles et que chacun a une logique qui lui est propre. Par ordre croissant, le premier niveau est celui du contexte, puis viennent ceux des comportements, des stratégies, des croyances et des valeurs, de l’identité et, finalement, de la spiritualité. Selon Dilts, chaque niveau inclut celui qui se trouve à l’échelon inférieur. Ainsi, les comportements se situent nécessairement dans un certain contexte, les stratégies impliquent une série de comportements, et ainsi de suite. 170

Spiritualité Identité Valeur / croyance Stratégie Comportement Contexte

Vous devez tout d’abord savoir que chacun de ces niveaux couvre deux zones distinctes en ce qui regarde le changement : les zones d’adaptation et de transformation. Les enjeux y sont forts différents, de même que les forces en présence et les priorités d’action. Si vous avez pour tâche de modifier un contexte, un comportement, une stratégie ou certaines valeurs et croyances non fondamentales, vous êtes dans une zone d’adaptation. Il est alors possible de modifier un de ces aspects sans que des impacts majeurs n’affectent les individus ou les groupes. Vous devrez cependant composer avec deux forces spécifiques puisque la difficulté dans cette zone est de rompre avec les habitudes et de dépasser le réflexe de choisir la facilité. Votre travail consistera, dans un premier temps, à obtenir une implication suffisante des personnes concernées et à créer un contexte propice au 171

changement, c’est-à-dire un environnement dans lequel la situation actuelle sera associée à de l’inconfort et permettra d’anticiper la situation future, à laquelle sera associé un immense plaisir. Ensuite, vous devrez identifier et utiliser une technologie qui permet d’effectuer le changement. Soit que vous tiriez parti de l’une des techniques présentées dans ce livre, soit que vous optiez pour une autre méthode éprouvée. Les bâtisseurs puisent leur inspiration et leurs outils dans les ouvrages de leadership, de management, de thérapie et de croissance personnelle parce que ceux-ci présentent de nombreuses méthodes qui peuvent être utiles à ceux qui savent quand et pourquoi les utiliser. Les limites de ces technologies sont davantage liées à l’incapacité des utilisateurs à prendre en compte l’ensemble du processus de changement qu’à un problème de conception. Par contre, si vous avez pour tâche de transformer les valeurs ou les croyances auxquelles adhère le système avec lequel vous travaillez, si vous touchez l’identité ou la vie spirituelle de ce système, vous abordez un tout autre continent. Vous entrez alors dans la zone de transformation. Tous les mouvements que vous y ferez auront un impact très important sur l’ensemble des constituantes du système et provoqueront une véritable réaction en chaîne. Dans cette zone, vous serez opposé de plein fouet à la tendance viscérale qu’ont tous les systèmes de maintenir intacte leur propre structure. C’est cette même tendance qui explique que des personnes, en apparence parfaitement saines, retombent constamment dans les mêmes façons de faire et semblent ne pas apprendre de leurs erreurs. On ne peut changer des croyances, des aspects de son identité ou de sa spiritualité sans accep172

ter que sa personnalité ne soit irrémédiablement transformée, avec ce que cela suppose de peurs et d’incertitudes. Ici, votre tâche première est de susciter un indéfectible engagement à changer. Il faut qu’il y ait un engagement très fort, car autrement, les gens avec qui vous travaillez, qu’il s’agisse d’un groupe, d’une famille ou d’une organisation, vont rebrousser chemin et se décourager. Vous devrez probablement leur expliquer à l’avance ce qui les attend pour qu’ils soient en mesure d’accepter l’inconnu vers lequel ils s’avancent. Ensuite, vous devrez encourager toutes les initiatives courageuses qui iront dans la direction du changement choisi. Il en faut beaucoup pour se transformer et passer par les différentes étapes. Lorsque l’engagement et le courage seront au rendezvous, vous pourrez enchaîner avec la mise en place d’un contexte propice au changement et à l’actualisation d’un plan d’action. Le présent livre est en définitive une démonstration du travail qu’il importe de faire dans la zone de transformation. Les lecteurs sont encouragés à s’engager et à faire preuve de courage et d’honneur dans leur démarche de transformation. Ensuite, ils peuvent trouver tous les moyens de : 1) mettre en place un contexte favorable ; 2) de faire appel aux différentes technologies pour concrétiser leur transformation. Dans le graphique ci-dessous, on peut voir qu’en plus de certaines forces qui agissent différemment, selon la zone, d’autres agissent constamment, mais augmentent en intensité lorsque l’on s’élève dans l’échelle des niveaux de changement. Les tendances à rechercher la gratification de ses besoins, à éviter la douleur et à rechercher le confort du connu sont agis173

santes dans toutes les phases du processus de changement. Ces forces se conjuguent aux autres en présence.

Les forces qui agissent à tous les niveaux – Tendance à rechercher la satisfaction des besoins de base – Tendance à éviter la douleur – Tendance à rechercher le confort du connu Zone d’adaptation

Zone de transformation

Les forces spécifiques à cette zone

La force spécifique à cette zone

Susciter l’implication

Susciter l’engagement

– Tendance à choisir la facilité – Tendance à maintenir les habitudes

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– Tendance à maintenir sa structure

METTEZ À PROFIT LES CAPACITÉS D’AUTOORGANISATION Ceux qui réussissent à sortir le meilleur d’euxmêmes et des autres ne sont pas des êtres contrôlants. Nous l’avons déjà établi. Ce ne sont pas, non plus, des gens qui laissent aller les choses en croyant que, de façon magique, tout s’arrange seul. Ce sont des gens qui arrivent à susciter et à encourager les capacités innées d’organisation des systèmes, c’està-dire leurs capacités de mobiliser leurs ressources pour atteindre un objectif déterminé. Si vous souhaitez accompagner un enfant dans son cheminement, vous ne pouvez contrôler toutes ses actions, pas plus que vous ne pouvez l’abandonner complètement à lui-même. Alors qu’il se trouve dans un contexte propice à l’apprentissage, vous devez l’encourager à se débrouiller et à mobiliser ses propres ressources pour atteindre ses buts. Idéalement, vous lui fixerez des objectifs légèrement supérieurs à son niveau actuel de capacité pour qu’il ait le goût de se dépasser et qu’il maintienne en même temps la sensation d’être compétent. Si vous l’aidez de cette façon, l’enfant va puiser dans ses propres ressources et se développer pleinement. De même, si vous accédez à de nouvelles fonctions, vous devrez nécessairement vous fier à votre capacité à vous débrouiller. Vous ne pouvez fonctionner par procuration. Tôt ou tard, vous devrez faire appel à vos ressources et donner vos propres couleurs aux nouvelles tâches qui sont vôtres. 175

Aussi évidents que puissent sembler ces deux exemples, de nombreuses personnes tendent à freiner les capacités d’autoorganisation des individus ou des systèmes parce qu’elles négligent un ou plusieurs des facteurs suivants : ❖

On ne peut mobiliser ses ressources simplement pour le plaisir de le faire. Il faut les mobiliser pour quelque chose, pour réussir à atteindre un objectif qui nous semble intéressant. L’électricité, en soi, ne produit rien, mais quand on la canalise, quand on la dirige vers un appareil quelconque, elle permet des réalisations extraordinaires.



Les personnes sont des sujets et non pas des objets interchangeables servant à produire un résultat prédéterminé. Il importe qu’elles se sentent interpellées pour ce qu’elles ont d’unique à offrir. Si elles sentent qu’elles peuvent apporter leur propre contribution et qu’on les interpelle pour ce qu’elles sont, elles vont se dépasser. Sinon, elles vont produire machinalement sans y mettre leur cœur et leur passion.



L’autoorganisation ne peut se manifester que s’il y a une véritable zone d’autonomie. Les gens doivent se sentir responsables de leur succès comme de leur réussite. Tant et aussi longtemps qu’ils ont l’impression que d’autres sont responsables de leurs propres actions ou que d’autres s’en accaparent le crédit, ils se laissent conduire et deviennent méfiants. De la même manière, si nous pensons que d’autres vont agir à notre place, il est tentant de les laisser faire.

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Il n’est pas essentiel qu’une personne accepte de relever un nouveau défi pour que se mette en marche le processus de l’autoorganisation. Parfois, c’est dans l’adversité et parce qu’ils n’ont pas le choix que les gens trouvent les forces nécessaires pour concevoir une nouvelle forme d’organisation. Il faut cependant demeurer prudent et choisir des situations qui sont relativement saines et à portée d’atteinte. Quand les objectifs sont démesurés, les probabilités d’une désorganisation deviennent plus importantes.

UTILISEZ DES MÉCANISMES D’AUTOÉVALUATION Imaginez que vous êtes au volant de votre voiture neuve et que cette dernière est dotée de la toute dernière technologie en matière de détection par satellite. Où que vous soyez, vous avez toujours la possibilité de vérifier jusqu’à quel point votre trajectoire actuelle est conforme à la destination que vous avez choisie. Si vous vous en éloignez de façon trop importante et que vous passez un certain temps sans vérifier votre cheminement, votre nouvel appareil vous avertit par un signal sonore. Vous avez ainsi la possibilité de rectifier régulièrement la progression vers le but fixé. Contrairement aux papillons, qui confondent souvent le voyage et la destination et sont centrés sur le confort avant toute chose, les bâtisseurs ont le souci d’établir un mécanisme régulier de rétroaction qui leur permet de mesurer la progression en regard des objectifs et, le cas échéant, de rectifier la trajectoire. Ils n’hésitent pas à introduire un élément de contrôle 177

même si cela n’est pas très populaire dans notre société permissive. Ils s’assurent cependant que c’est la personne concernée directement par le changement qui a la possibilité de mesurer si elle est sur une trajectoire adéquate pour atteindre ses buts. Lorsqu’un tel mécanisme d’autoévaluation est en place, le seul contrôle externe nécessaire consiste à vérifier s’il est utilisé régulièrement. C’est l’équivalent du signal sonore dont je viens de parler. Il ne se fait entendre que si la déviation est trop importante. Dans toute démarche de changement, la tentation de vouloir en atténuer l’impact ou de bifurquer de ses buts est présente. Il faut donc installer des mécanismes réguliers et souples qui permettent de corriger les inévitables déviations dues, non pas à des résistances, mais plutôt à l’interaction des différentes forces que nous avons identifiées.

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Chapitre VI

Utiliser différentes grilles de lecture de la réalité et de la vie SOYEZ D’ABORD DES RÊVEURS, PUIS DES RÉALISTES, ET FINALEMENT DES CRITIQUES

Un rêveur, un réaliste et un critique discutent dans une salle : Le rêveur — Avec les terrains que nous venons d’acquérir, nous pourrions développer un tout nouveau projet domiciliaire. Le réaliste — Comment ferons-nous pour vendre nos résidences alors qu’il y a déjà une offre supérieure à la demande ? Le critique — D’autant plus que la conjoncture économique s’annonce plutôt mal. Si nous embarquons dans ce projet, nous courrons à la ruine. Le rêveur — Nous allons créer un environnement de vie formidable. Ainsi, les gens voudront acheter nos demeures et habiter ce quartier parce qu’ils y trouveront un cachet très particulier. Le critique — Si je comprends bien, vous souhaitez qu’on vende des nuages. Aucune institution financière digne de ce nom ne voudra nous financer. Le réaliste — Je pense que nous pourrions nous arranger pour le financement en présentant un bon plan de notre projet. Par contre, j’hésite à investir 179

en faisant la promotion d’un concept. Quand il est question d’argent, les gens mettent facilement les principes de côté, ils achètent ce qu’ils peuvent. Le rêveur — Si c’est tellement compliqué, je suggère qu’on remette les terrains en vente et qu’on laisse tomber. Ce dialogue traduit parfaitement ce qui se produit lorsqu’on met en scène un rêveur, un réaliste et un critique sans coordonner leurs actions : ils se courtcircuitent. Dès que le rêveur apporte des idées nouvelles, le réaliste cherche à identifier les difficultés qui peuvent survenir à l’étape de la mise en œuvre. Le critique, pour sa part, se centre sur les risques propres à l’entreprise et tend à éviter les scénarios apocalyptiques qu’il envisage. Il faut dire qu’il n’est pas facile pour ces trois êtres de se concerter. Le rêveur trouve que le réaliste est trop tatillon et que le critique est limité. Le réaliste considère que le rêveur brûle les étapes et que le critique n’a pas suffisamment d’imagination. Le critique, quant à lui, a tendance à considérer le rêveur comme un « pelleteur de nuages » et le réaliste comme un commettant. Bref, le ménage à trois n’est pas facile. Pourtant, ils ne peuvent se passer l’un de l’autre, car chacun a un rôle à jouer dans le processus de la créativité. Une organisation sans rêveurs est condamnée à stagner, puis à disparaître. Une organisation sans critiques risque de voir ses assises se fragiliser et de disparaître. Une organisation sans réalistes va, tôt ou tard, s’éloigner de sa mission et disparaître, elle aussi. 180

Les fonctions représentées par ces trois personnes ne s’excluent pas mutuellement ; elles sont complémentaires. Elles exigent cependant de la méthode. Il faut laisser rêver les rêveurs sans les ennuyer par des contingences matérielles. Quand les rêves sont formulés, c’est au réaliste qu’il faut les confier pour qu’il trouve les moyens de leur donner vie. Il ne faut jamais demander au critique de juger la production du rêveur : il la trouve d’emblée ridicule. Par contre, si on lui soumet les devis et les plans élaborés par le réaliste, le critique peut apporter une contribution appréciable à l’actualisation du projet et en assurer la viabilité. Somme toute, la contribution de ces trois personnes est unique parce que leurs préoccupations et leurs priorités sont fort différentes : Le rêveur : ❖

se projette dans le futur lointain ;



croit que tout est possible ;



invente de nouveaux horizons et dépasse ceux qui existent ;



dégage des visions et des directions ;



est persuadé qu’il existe de nouvelles solutions à tous les problèmes ;



voit large ;



se fie à ses intuitions ;



est essentiellement créatif et proactif.

Aussi intéressante qu’elle puisse être, la position du rêveur est également très fragile, car, trop souvent, celui-ci devient la cible de jugements et de désapprobations. Si on expose trop rapidement le rêveur aux critiques ou que l’on fait trop rapidement 181

subir à ses idées l’épreuve de la réalité, on court le risque de brûler à la fois le message et le messager. Le réaliste : ❖

se consacre à la mise en œuvre des rêves ;



se préoccupe d’aujourd’hui et de demain ;



cherche à déterminer les procédures à suivre ;



s’intéresse au comment ;



est une personne d’action qui mise sur la stratégie des petits pas ;



est essentiellement pragmatique et proactif.

La productivité du réaliste est intimement liée à la présence d’un rêve à concrétiser. Il ne génère pas la nouveauté, il la gère. Le critique : ❖

cherche à éviter la douleur liée à un échec ou à un trop grand bouleversement ;



cherche les failles et les embûches potentielles ;



se centre tout aussi bien sur le passé, le présent ou le futur, si cela lui permet de mettre les risques en relief ;



est essentiellement réactif et protecteur des acquis.

À la rigueur, le critique a le rôle le plus ingrat, mais c’est un rôle essentiel à la bonne marche de toute organisation. Les bâtisseurs savent maximiser l’apport de ces personnes et s’inspirer de ces connaissances pour utiliser au maximum la créativité individuelle. Ils savent que nous avons tous la capacité de rêver, d’être 182

réalistes et d’être critiques. Le problème, c’est que nous utilisons ces capacités d’une façon qui tend à freiner la créativité au lieu de la susciter. Qui ne s’est pas déjà livré à un monologue semblable à celui-ci ? ❖

J’aimerais aller dans une villa, en Grèce, pour y écrire un roman...



Je sais très bien que ce n’est pas le temps de quitter le travail, il me faut consolider ma place.



D’ailleurs, je n’en ai pas les moyens, je risquerais de tout perdre ce que j’ai accumulé.



Pourtant, je me vois dans la peau d’un romancier...



Rêver, c’est beau, mais ça ne donne pas à manger.



Et ça ne paye pas les dettes.

Même s’il s’agit ici des réflexions d’une personne face à elle-même, il est facile d’observer le passage entre les positions du rêveur, du réaliste et du critique. On peut aussi constater que l’absence de coordination entre les différentes fonctions paralyse presque complètement la créativité. Lorsque les bâtisseurs entreprennent un projet qui leur tient à cœur, ils prennent grand soin de ne pas laisser les différentes étapes interférer les unes avec les autres. Ils se permettent tout d’abord de demeurer des rêveurs pendant un bon moment, le temps que leur vision et leur rêve prennent forme. Ensuite, ils deviennent des réalistes et s’évertuent à trouver des solutions aux nouveaux défis posés. Quand ils sont dans cette position, ils ne remettent pas en question la pertinence des rêves, ils se centrent sur les actions à entreprendre. Finalement, lorsque le projet a pris forme, ils deviennent des criti183

ques. Sous cet angle, ils peuvent mieux voir les failles du projet et mettre en lumière les éventuels pièges. Souvent, il leur faut répéter cette séquence parce que si le réaliste n’arrive pas à répondre aux objections du critique, le projet retourne au rêveur qui doit concevoir de nouvelles avenues de solutions. Le procédé classique du remue-méninges (brainstorming) ne permet pas d’obtenir un tel niveau d’intégration. Il suffit d’être en situation de fait pour constater jusqu’à quel point les propositions faites relèvent à la fois de la position du rêveur et de celle du réaliste. Pour utiliser au maximum le processus créatif, il est de loin plus efficace d’isoler et de circonscrire chacune des positions du rêveur, du réaliste et du critique.

APPRENEZ À DÉTECTER LE MOMENT OÙ IL FAUT METTRE L’ACCENT SUR LE PASSÉ, LE PRÉSENT OU LE FUTUR Maximiser le processus créatif est une chose, savoir où concentrer son énergie pour débloquer une situation problématique en est une autre. Lorsque nous abordons un problème, nous devons savoir sur quoi faire porter notre attention. C’est ce qui fait que nous serons capables ou non de dénouer les impasses, comme en témoigne la métaphore suivante : Aux prises avec un mystérieux bruit et désirant enrayer le problème, le commandant d’un navire marchand fait appel à différents spécialistes. Pourtant équipés des plus récentes technologies, les uns après les autres déclarent forfait. À bout de 184

ressources, le commandant se décide à retenir les services d’un mécanicien d’expérience qui arrive avec un seul outil, un marteau au bout arrondi. Intrigué par l’assurance de l’homme, qui se dit convaincu de pouvoir résoudre le problème, le commandant le suit pendant son séjour à bord. Le mécanicien commence par marcher le long des corridors en gardant l’oreille contre les murs. Parfois, il s’arrête et promène sa main à la recherche d’un indice improbable. Après quelque temps, il s’arrête et donne un grand coup de marteau sur un des murs intérieurs. Contre toute attente, le bruit cesse... Le mécanicien quitte les lieux, devant un commandant éberlué, en mentionnant que ses honoraires sont de mille dollars. Une fois revenu de sa surprise, le commandant répond qu’il s’attend à recevoir une facture détaillée des actions justifiant un tel prix. Une semaine plus tard, la facture arrive, détaillée de la façon suivante : 1) Un dollar pour avoir donné un coup de marteau ; 2) Neuf cent quatre-vingt-dix-neuf dollars pour avoir trouvé l’endroit où il fallait donner le coup de marteau. Les bâtisseurs ne sont pas des experts dans tous les domaines, mais ils arrivent presque instinctivement à mettre le doigt sur ce qui ne tourne pas rond au sein d’un système. La grille qui est présentée plus loin permet de déterminer la nature des problèmes et le type d’action à entreprendre. Ceux qui la maîtrisent possèdent un atout de toute première importance pour dénouer les situations les plus complexes. 185

Malgré l’apparente diversité des problématiques humaines et organisationnelles, on peut identifier trois situations distinctes qui permettent de rendre compte de l’ensemble des problèmes rencontrés. Les personnes et les organisations font du surplace : ❖





lorsqu’elles sont bloquées et freinées par le poids du passé ; lorsqu’elles sont déchirées entre deux tendances qu’elles souhaitent actualiser en même temps ; lorsqu’elles ne savent pas comment se projeter dans l’avenir.

Lorsque les personnes ou les organisations sont bloquées, elles traînent avec elles un fardeau qui les empêche de fonctionner. Visiblement, elles ne se sont pas affranchies des émotions négatives de leur passé et les revivent constamment. Les pertes, les douleurs et les traumatismes sont revécus comme s’ils étaient actuels, ce qui entraîne une sorte de déphasage. Les gens réagissent non pas en fonction du moment présent, mais en fonction de ce qu’ils ont déjà vécu. Les personnes qui vivent dans un milieu où règnent l’anxiété et un fort climat de suspicion ou qui présentent des réactions de type phobique, post-traumatique et d’extrême nervosité doivent se débattre avec ce genre de dilemme. Il est assez simple d’identifier les personnes aux prises avec des blocages, car toutes leurs réactions sont exacerbées et démesurées. Dès qu’elles parlent de leurs difficultés, elles semblent se trouver « dans l’eau bouillante » avec tout ce que cela suggère de réactions : ❖

Elles réagissent avec une amplitude exagérée ; 186



Elles présentent plusieurs manifestations de fortes réactions émotives (rougeurs, pleurs, sanglots, respiration profonde) ;



Elles semblent avoir perdu leur distance critique vis-à-vis les événements et cherchent des coupables dans le passé ;



Elles généralisent à outrance : tout est noir ou blanc, les autres sont pour ou contre elles ;



Elles utilisent des expressions absolues comme toujours, jamais, de tout temps, etc.

Par ailleurs, quand les personnes ou les organisations sont déchirées entre deux tendances contradictoires, les mécanismes impliqués sont très différents. Parce qu’elles veulent obtenir, plus ou moins consciemment, deux choses avec une intensité à peu près équivalente, elles hésitent constamment entre les choix qui s’offrent à elles et demeurent indécises. Elles sont incapables de choisir une option sans le regretter après coup. Les dilemmes auxquels sont confrontées ces personnes se situent dans le moment présent, puisqu’elles doivent composer avec des sentiments contradictoires qui sont liés à des choix présents. Elles veulent arrêter de fumer parce que cela ne correspond pas à leurs valeurs, mais en même temps, elles veulent continuer pour préserver tout ce qu’elles en retirent. Elles veulent quitter leur emploi qui ne correspond plus à leurs aspirations, mais à un autre niveau de conscience, elles souhaitent y demeurer pour conserver leurs acquis. Il en va de même pour les organisations qui savent qu’elles doivent modifier leur façon de faire pour répondre aux nouvelles exigences du marché, mais qui souhaitent conserver les méthodes qui les 187

ont fait connaître. Ce qui complique les choses dans de telles situations, c’est qu’il se joue, de façon plus ou moins consciente, une partie de bras de fer à l’intérieur même des systèmes. Ces derniers affirment haut et fort qu’ils ont une préférence très nette pour une option et ne comprennent pas ce qui les empêche de réaliser ce qu’ils souhaitent. Pourtant, chaque fois qu’ils essaient de choisir une option au détriment d’une autre, ils le regrettent et font inévitablement de douloureux reculs. Tant et aussi longtemps que l’ambivalence persiste, chaque mouvement dans une direction est systématiquement suivi d’une réaction contraire proportionnelle. Les personnes et les organisations qui doivent résoudre une ambivalence présentent quelques-unes des manifestations suivantes : ❖

Elles prennent des décisions, mais les remettent aussitôt en question ;



Elles parlent énormément de leurs obligations : « Nous devons faire ceci, nous avons l’obligation de faire cela, il faut que nous rencontrions les standards de qualité, etc. » ;



Elles se comparent en utilisant des expressions floues telles que être plus efficace, être plus compétitif, être plus performant ;



Elles semblent jongler littéralement avec les différentes options en y faisant référence de façon alternative (sur le plan individuel, cela se traduit par un véritable mouvement de balancement du corps ou des mains) ;



Leurs discours ne vont pas dans le même sens que leurs actions. Elles disent favoriser, par exemple, 188

les initiatives individuelles, mais tendent à uniformiser les procédures. La troisième situation est fondamentalement différente des deux premières, mais peut être tout aussi dévastatrice. Les personnes ou les organisations ne traînent pas le poids de leur passé et ne sont pas déchirées par une lutte interne, mais elles sont dans un état d’expectative. Il leur manque « quelque chose » pour avancer. À court terme, les impacts d’une telle absence de direction sont faciles à supporter. Cependant, à moyen et à long terme, ils peuvent être très importants. Parfois, le « quelque chose » manquant est un objectif. Les systèmes tendent alors à aller de l’avant en l’absence d’un objectif clair ou en recherchant l’atteinte d’un objectif pour lequel ils n’ont pas de pouvoir. En d’autres circonstances, ce sont les moyens appropriés qui manquent cruellement. Dans de telles situations, les systèmes sont condamnés à travailler en vain dans la poursuite d’un objectif qui devient de plus en plus hors de portée. Ou encore, ce sont les habiletés et les informations qui ne sont pas adaptées aux objectifs choisis. Il s’agit alors d’un problème de stratégies ou, si l’on veut, de savoir-faire. Les bâtisseurs qui savent sur quoi faire porter leur attention peuvent moduler leurs actions en fonction de ce qui peut faire une différence. Comme on peut s’y attendre, la façon de résoudre un problème n’est pas la même selon que l’on a affaire à un blocage dans le passé, à une ambivalence dans le présent ou à une absence de direction par rapport à l’avenir. Ceux qui savent comment composer avec ces différentes structures peuvent dénouer les situations les plus diffici189

les, car, ce qui importe, comme nous l’enseigne le mécanicien de l’histoire, c’est de savoir « où donner le coup de marteau ». Quand les bâtisseurs abordent une situation marquée par des blocages, ils savent qu’une bonne partie des réactions sont liées à des événements du passé et qu’ils doivent en tenir compte dans leurs actions et leurs interventions. Lorsque nous regardons dans le ciel et que nous considérons les étoiles, elles nous apparaissent dans toute leur splendeur. Pourtant, l’image que nous observons a pris plusieurs milliers d’années avant de se rendre à nous. Nous regardons les étoiles telles qu’elles étaient. En fait, certaines des étoiles qui veillent sur notre destinée n’existent plus actuellement ; nous voyons seulement le souvenir qu’en a gardé l’univers. Lorsqu’il y a trace de blocages, deux axes d’intervention s’imposent. Il faut tout d’abord aider les systèmes humains et organisationnels à « sortir du chaudron », c’est-à-dire à prendre un certain recul par rapport aux événements, à réaliser que les situations qui les font réagir ne sont peut-être plus présentes. Ensuite, il faut leur permettre d’associer de nouvelles émotions à la situation pour que cesse le décalage. Aucun système ne peut vivre constamment dans le passé et espérer prospérer. Dans le cas de situations où dominent les ambivalences, le travail consiste à mettre au jour les forces agissantes et à les valider. Les gens, les familles ou les groupes qui vivent une ambivalence ont généra-

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lement une version officielle de la situation, qu’ils exposent volontiers, et une version officieuse dont ils sont à peine conscients et qu’ils nient à la moindre occasion. Souvent, ils se déclarent prêts à changer et à modifier leur façon de faire, mais ils ne s’exécutent pas. Dans un tel cas, un bâtisseur n’a pas tendance à faire pression de façon exagérée pour faciliter le changement, car il sait que sa démarche aurait un effet contraire à ce qui est souhaité. Elle renforcerait l’opposition. Il a plutôt tendance à mettre au jour les facteurs qui empêchent les gens de progresser et à leur donner toute la légitimité possible. Il applique les deux principes suivants : 1) Les systèmes sont capables, de l’intérieur, de faire preuve d’une sagesse qui les amène à envisager différentes options ; 2) Cette démarche favorise, chez les personnes concernées, l’accès à leurs ressources et à leurs capacités d’organisation. Habituellement, quand les systèmes sont conscients des enjeux et des règles, ils arrivent à trouver des solutions bien meilleures que toutes celles que l’on aurait pu leur imposer. Finalement, dans le cas où les gens n’arrivent pas à préciser la direction à prendre, la position du bâtisseur est résolument celle de l’expert. Par leurs hésitations et leur attentisme, ces personnes indiquent qu’il leur manque certaines habiletés ou certaines informations. Il ne sert à rien de vouloir les amener à trouver leurs propres solutions, elles ne savent tout simplement pas comment faire. Elles ont besoin que quelqu’un les aide à se fixer des objectifs et à développer les habiletés qui leur font défaut. C’est ce que 191

font directement les bâtisseurs, s’ils en ont la possibilité, ou indirectement lorsqu’ils identifient les ressources appropriées.

SORTEZ DE LA BOÎTE Avant de commencer à lire cette section, faites l’exercice suivant : reliez les neuf points en utilisant quatre lignes droites, sans lever le crayon.

À ceux et celles qui ont des doutes je dirai qu’il est possible de réaliser ce dessin, mais qu’il faut sortir des schèmes habituels de pensée. (La solution est à la page suivante.) La très grande majorité des personnes sont incapables de résoudre ce problème parce qu’elles se limitent à rechercher des solutions à l’intérieur d’un carré délimité par les points extérieurs. Or ce carré n’existe pas. Il n’est présent que dans leur cerveau. Cet exemple démontre que ce sont les personnes qui se limitent et qui, accidentellement, restreignent la portée de leur exploration, ce qui les empêche de trouver des solutions totalement nouvelles. Dans votre quête d’efficacité et d’efficience, vous devrez apprendre à penser en dehors de la boîte, à considérer des options que les autres s’empêchent de voir en raison de limites artificielles. 192

Pendant des années, les hommes ont considéré que toutes les planètes, incluant le Soleil, tournaient autour de la Terre. Quiconque s’aventurait à affirmer autre chose était qualifié d’hérétique et condamné publiquement. L’hypothèse d’une Terre qui serait le pivot de l’Univers servait parfaitement bien les prétentions de ceux qui plaçaient l’homme au centre de cet Univers. Par contre, cette hypothèse permettait difficilement de rendre compte des mouvements des planètes dont la trajectoire semblait erratique et capricieuse. Il a fallu que Copernic sorte de la boîte au seizième siècle et qu’il propose une toute nouvelle hypothèse pour qu’on arrive à comprendre les mouvements des planètes. Dès que l’on a considéré le Soleil comme le centre de l’Univers, la trajectoire des planètes est devenue aussi prévisible qu’élégante. Dans cet exemple, il faut nécessairement dépasser le carré imaginaire pour espérer résoudre l’énigme. Les boîtes ou, si l’on veut, les limites artificielles, peuvent être de différentes natures : ❖

Nous voyons souvent ce que nous sommes habitués à voir et cette déformation nous empêche de voir ce qui est nouveau ;



Nous avons une très forte tendance à classer toute nouvelle information dans une case que nous connaissons déjà. Ainsi, quand nous voyons, entendons ou ressentons quelque chose pour la première fois, nous cherchons à faire un rapprochement avec ce que nous tenons déjà pour acquis. Or, selon un vieux maître, pour goûter un nouveau thé, il faut une nouvelle tasse ; 193



Parfois, ce sont nos aspirations et nos peurs qui nous empêchent d’explorer d’autres possibilités. Nous cherchons ce que nous voulons voir et ce qui est conforme à nos croyances ;



Nous avons également une forte propension à suivre les modes et à nous laisser influencer par le « courant dominant ». Si l’humeur générale est au pessimisme, nous explorons plus volontiers les éléments qui tendent à être du même registre. Solution de l’exercice de la page précédente

PRENEZ EN CONSIDÉRATION LE FACTEUR « HOMMERIE » La synergie, c’est l’énergie qui se dégage parfois de la rencontre d’au moins deux personnes et qui permet à ces personnes d’être plus productives ensemble qu’elles ne le seraient séparément. Le facteur « hommerie », c’est très exactement l’inverse. Quand ce facteur est présent, les individus produisent moins ensemble qu’ils ne le feraient individuellement. Même s’ils travaillent très fort, ils n’arrivent qu’à des résultats très moyens. Le facteur « hommerie » regroupe toutes les motivations et les enjeux, plus ou moins nobles, que l’on 194

met rarement sur la table et qui teintent pourtant les relations humaines d’une manière saisissante. L’envie, la colère, le mépris, l’attirance sexuelle, l’antipathie, le profit personnel, le pouvoir et la peur sous toutes ses formes ne sont que quelques-uns des visages que le facteur « hommerie » peut prendre. Quand un ou plusieurs de ces éléments sont présents, la logique et le rationnel ne peuvent guère régner. Tout est distordu et filtré par des éléments souvent inavouables. Nous savons que ce facteur est présent lorsqu’un groupe d’individus produit infiniment moins que ce que nous sommes en droit d’en attendre, lorsque les membres qui le composent réagissent fortement aux actions des autres. Les bâtisseurs prennent en considération le facteur « hommerie » puisque c’est souvent lui qui donne aux événements leur intelligibilité. Quand de fortes émotions sont présentes, il est pratiquement impossible de comprendre ce qui se passe en évaluant les événements de façon objective. Considérons les deux exemples suivants : 1) John et Marie travaillent ensemble depuis plus de deux ans et leur relation professionnelle est particulièrement bonne. On dit d’eux qu’ils forment une belle équipe et que « le courant passe » puisqu’ils réalisent une quantité impressionnante de travail et maintiennent une excellente motivation. Tous deux peuvent légitimement aspirer à une promotion et ils s’encouragent mutuellement. Un jour, John accepte l’invitation de Marie et ils passent ensemble une fin de semaine fort agréable. Tout semble clair, car tous deux déclarent 195

ouvertement vouloir conserver leur relation sur une base purement amicale. Soudain, leur relation professionnelle se détériore rapidement. Marie se plaint du travail de John et ce dernier commence à remettre en question le jugement de sa collaboratrice. La compétition s’installe entre eux à une vitesse surprenante et, bientôt, leur belle complicité n’est plus qu’un souvenir. 2) Geneviève est, quant à elle, une ingénieure très prometteuse. À la suite du départ de certains dirigeants, elle est promue au siège social de la compagnie pour laquelle elle travaille et arrive avec beaucoup de nouvelles idées. À sa grande surprise, elle n’est pas invitée à siéger au comité chargé d’évaluer les capacités de l’entreprise sur le plan technique, ce qu’elle considère être son domaine d’expertise. On lui confie plutôt des dossiers de longue haleine qui demandent plus de transpiration que d’inspiration. Le même genre de situation se reproduit malgré ses tentatives répétées de clarifier ses mandats. Elle est déroutée et commence à remettre en question ses compétences. John, Marie et Geneviève ne pourront donner un sens à ce qui leur arrive que s’ils réussissent à aller au-delà de la logique. S’ils essaient de comprendre la trame des événements en la situant dans une perspective linéaire, en recherchant une cause rationnelle à ce qui se passe, ils vont demeurer dans la pénombre. Il va leur manquer l’élément qui permet de coller tous les éléments du casse-tête les uns aux autres : le facteur « hommerie ». L’histoire professionnelle de John et de Marie n’est plus vraiment celle de la colla196

boration. Visiblement, les émotions ont modifié leur relation d’une manière irréversible au cours de cette fameuse fin de semaine et coloré l’ensemble de leurs interactions. Le côté pathétique de l’histoire, c’est que tant et aussi longtemps qu’ils ne s’avoueront pas cette réalité, ils chercheront des explications là où il n’y en a pas. De manière similaire, Geneviève n’a pas fini de vivre des désillusions au travail. Elle est sans doute empêtrée dans une sordide histoire de jalousie et de lutte de pouvoir. Ses compétences ne sont pas remises en question, bien au contraire, elles sont probablement au cœur des tentatives faites pour la contenir et l’empêcher de déployer ses ailes. Dès qu’une situation semble défier le bon sens, les bâtisseurs commencent à prendre en compte le facteur « hommerie ». Ils peuvent ainsi voir la forêt là où d’autres ne voient que des arbres.

SACHEZ QUE CHAQUE SERVITEUR A DEUX MAÎTRES

Chaque fois qu’une personne fait une demande au nom d’une tierce partie, il est impératif que vous appreniez à distinguer le deuxième maître que sert ce serviteur. Autrement dit, vous devez, si vous ne voulez pas être la dupe de quelqu’un, reconnaître quels sont les véritables enjeux de la situation. Toutes les fois qu’une personne intercède en faveur d’une tierce partie, elle intercède en même temps pour elle, car elle espère nécessairement en retirer quelque chose. D’ailleurs, cette situation est dans l’ordre des choses et ne constitue pas un problème en soi. Même de nos interventions les plus altruistes nous retirons 197

de la satisfaction, de l’estime ou de la reconnaissance. Être plus heureux parce que l’on contribue à soulager le fardeau des autres ou à augmenter leur bonheur est une attitude tout à fait louable. Toutefois, la situation se corse quand les personnes utilisent la cause qu’ils défendent pour en retirer des bénéfices beaucoup plus importants que ceux qu’ils obtiennent pour la cause elle-même. C’est à ce moment que la capacité de reconnaître le deuxième maître peut faire une différence. Des exemples ? En voici deux : 1) Un groupe de professionnels de la santé menacent de démissionner en bloc et de quitter l’établissement dans lequel ils travaillent à la suite d’une série de compressions budgétaires et de réorganisations administratives. Le maître qu’ils affirment servir ou, si l’on veut, la cause qu’ils épousent serait la santé de la population. Ils crient haut et fort qu’ils démissionnent parce qu’ils ne se croient plus en mesure de répondre adéquatement aux besoins de la population locale, qui, incidemment, est desservie par plusieurs autres établissements de santé dans les environs. Apeurée à l’idée que le personnel en place soit dépourvu de moyens ou qu’il n’y ait plus de personnel traitant, une partie de la population descend dans la rue et commence à anticiper un ensemble de scénarios tous plus apocalyptiques les uns que les autres. Quelques personnes s’objectent à ces moyens de pression qu’elles qualifient d’indus de la part du personnel de la santé, mais elles sont vite remises à leur place : comment diable peuton argumenter de la sorte quand la santé de la population est en jeu ? 198

La seule manière de se sortir de cette impasse est de reconnaître le deuxième maître. Ce corps de professionnels, voyant qu’il perd du prestige et des privilèges, utilise la santé de la population pour faire valoir son intérêt parce que c’est une cause très populaire. Il y a fort à parier que ce même groupe n’aurait pas un fort sentiment de sympathie pour ses subalternes si ceux-ci se disaient ouvertement insatisfaits de leurs conditions de travail. Il faut bien comprendre que ce qui fait problème ici, ce n’est pas la revendication d’un groupe spécifique. La démocratie elle-même repose sur le droit inaliénable de faire valoir ses intérêts. La véritable difficulté réside dans le détournement, par une personne ou par un groupe, d’une cause à son propre bénéfice. 2) Imaginez qu’un homme se présente à votre domicile pour vous vendre des billets d’une loterie quelconque au profit d’une organisation de charité. Imaginez maintenant qu’après avoir acheté un billet pour encourager des personnes dans le besoin vous apprenez que seulement quarante pour cent du prix du billet va à l’organisme de charité et que l’autre soixante pour cent va directement au vendeur. Seriez-vous toujours satisfait de votre geste ? Ce genre de situation se produit beaucoup plus souvent qu’on pourrait l’imaginer. Par rapport à ce genre de réalité, l’attitude des bâtisseurs est très simple. Chaque fois que quelqu’un fait une demande à la place d’une autre personne, ils recherchent le deuxième maître, c’est-à-dire les gains que la personne va retirer pour elle-même. Si leur interlocuteur retire autant ou moins que la cause (ou 199

les personnes) qu’il représente, c’est parfait... Si, par contre, il retire plus pour lui que pour la cause qu’il prétend défendre, les bâtisseurs vont insister pour connaître les véritables enjeux de sa démarche avant d’accepter toute forme de négociation ou de transaction. Toutes les demandes sont recevables en autant qu’elles soient formulées directement et au grand jour.

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Se protéger Les bâtisseurs sont des gens qui en dérangent plusieurs. Ils réussissent là où ils devraient échouer 9 et obtiennent de la crédibilité même s’ils ne la recherchent pas particulièrement. Ils se retrouvent donc très souvent en situation de compétition et de rivalité, qu’ils le veuillent ou non. Il est donc essentiel qu’ils soient en mesure de se protéger et qu’ils adoptent des attitudes préventives. Les deux dernières sections traitant du facteur « hommerie » et des doubles maîtres ont sans doute été une révélation pour les personnes candides qui croient que tous sont animés par des sentiments nobles. Au risque d’accentuer les désillusions, le contenu de ce chapitre ira encore plus loin dans cette direction. Il tentera en effet de fournir à ceux qui désirent être des bâtisseurs plusieurs stratégies pour faire face aux ennuis qu’ils ne manqueront pas de susciter et de rencontrer.

CONSTATEZ LA PRÉSENCE DE DIX POUR CENT DE «CONS» Je sais, il n’est pas correct de parler de « cons » ni délicat d’évoquer la possibilité que 9

Ils déroutent souvent leur entourage par leurs capacités à utiliser les processus de changement avec les groupes et les personnes. Ils excellent lorsque les systèmes sont en état de déséquilibre. 201

certaines personnes soient essentiellement négatives. Pourtant, il est essentiel que vous sachiez qu’il y a, dans tous les groupes, un certain pourcentage de personnes qu’il est, en pratique, impossible de satisfaire. Si ces personnes vous demandent de la tarte au sucre et que vous leur donnez de la tarte au sucre, elles vont critiquer votre façon de la leur donner. Si vous modifiez votre présentation, elles vont encore trouver matière à critiquer, car, en définitive, ce qu’elles cherchent, c’est de vous prendre en défaut. Elles ne veulent pas réellement obtenir ce qu’elles demandent, elles utilisent plutôt toutes les occasions qui se présentent pour tenter d’augmenter leur pouvoir et leur influence. Aussi surprenant que cela puisse paraître, nombreux sont ceux qui réagissent au pouvoir et au profit comme à une drogue. Ils en veulent toujours plus et dès qu’une occasion se présente, ils cherchent à conserver et à augmenter leur réserve. Il faut dire que, selon leur vision de la rareté et de la pénurie, tout pouvoir appartenant à une autre personne est une perte potentielle. Le dix pour cent est évidemment une approximation. Il ne sert qu’à illustrer le fait que si vous êtes à l’avant-scène, il y a un certain pourcentage de personnes que vous serez incapable de satisfaire quoi que vous fassiez. En fait, oui, il y a bien une chose que vous pourriez faire : disparaître. Ce n’est cependant pas une avenue très intéressante. Lorsque vous enseignez, que vous faites un discours ou que vous parlez tout simplement de vos réalisations ou de votre famille, vous êtes à l’avant-scène et vous êtes donc automatiquement confronté à ce 202

type de situation. Dès que vous assumez un certain pouvoir, qu’il soit formel ou informel, dites-vous que, sur dix personnes, il y en a au moins une qu’il est inutile de vouloir contenter. Ce n’est pas ce que vous faites qui la dérange, c’est ce que vous êtes. C’est déprimant, j’en conviens, mais il ne faut pas oublier que, conséquemment, il y a neuf autres personnes qui sont parfaitement à l’aise avec ce que vous dégagez et la personne que vous êtes. Les « cons » ne le sont pas toujours. S’ils ne se sentent pas menacés ou dérangés, ils peuvent se comporter de façon adéquate, voire être agréables. Ce sont d’ailleurs des personnes très intelligentes. Je les qualifie de « cons » pour bien démontrer que vous jouez un rôle minime dans leur façon de réagir. Votre simple présence les fait régresser au niveau d’un prédateur avec tout ce que cela implique de perte de moyens et de ressources « civilisées ». Si l’expression « dix pour cent de cons » vous heurte, considérez qu’il y a en tout temps dix pour cent d’insatisfaits et qu’en conséquence vous ne pouvez jamais faire totalement l’unanimité.

SOUVENEZ-VOUS DE VOTRE PASSÉ, MAIS NE LE REVIVEZ PAS CONSTAMMENT

Il vous est certainement déjà arrivé d’être envahi par de fortes émotions sans raisons majeures. En faisant une blague, en commençant une présentation ou dans tout autre contexte banal, vous vous êtes sûrement déjà senti submergé par des sentiments très puissants. Si vous avez tenté de contrôler ces émotions impromptues ou de 203

cerner la cause de leur apparition, vous avez sans doute fait l’expérience d’un fort sentiment d’impuissance. Pour comprendre l’émergence de ces sentiments, il faut en chercher la trace dans votre passé. Tous les souvenirs qui ont une charge émotive importante sont en effet emmagasinés dans votre organisme et peuvent être réactivés si quelque chose dans l’environnement agit comme déclencheur. De plus, les émotions peuvent s’accumuler et prendre une plus grande « densité » avec le temps. Selon les travaux du psychiatre Stanislas Grof, les événements qui possèdent une même qualité émotionnelle ou des composantes physiques comparables sont emmagasinés ensemble. Toutes les situations où vous avez, par exemple, ressenti de l’humiliation ou du rejet se sont regroupées et ont formé ce que Grof appelle un CŒX (pour Systems of Condensed Experience) et ce que j’appelle tout simplement un « nœud ». Non seulement les émotions en provenance de votre passé sont-elles accessibles, mais en plus, si un nœud est présent, il est également possible que vous reviviez simultanément toutes les émotions similaires qui ont été emmagasinées. Ainsi, chaque fois où vous vous êtes retrouvé dans une situation potentiellement humiliante, vous n’avez pas ressenti uniquement le poids de cette situation précise, mais plutôt toutes les humiliations déjà éprouvées. Ce sont de vieilles émotions, héritage de votre passé, qui reviennent périodiquement vous hanter. De comprendre ainsi l’effet cumulatif des émotions peut avoir un effet très salutaire. Vous n’avez plus, dès ce moment, à essayer de maîtriser les émotions 204

qui surviennent ou à les expliquer. Vous devez plutôt prendre les moyens nécessaires pour vous souvenir de vos expériences passées plutôt que de les revivre constamment. Cette décision peut avoir d’importantes répercussions sur votre façon de composer avec votre univers émotif. Lorsque vous êtes dans une nouvelle situation plutôt neutre et que vous ressentez une émotion très forte, dites-vous qu’une partie de vos réactions est liée au passé et qu’à ce titre il importe de mettre les choses en perspective. Les réactions trop fortes, plus souvent qu’autrement, contribuent davantage à envenimer les choses qu’à les régler. Quand vous vous retrouvez dans une situation conflictuelle, rappelezvous que le nœud, composé de toutes les sensations de colère et de frustration, est activé. En toute connaissance de cause, vous n’aurez pas à imputer toute la responsabilité de vos réactions à vos opposants. Il est inutile, voire nocif, de faire « payer » à un seul opposant toutes les frustrations que vous avez vécues au cours de votre vie. Quand un nœud est très serré et que l’accès à leurs ressources est bloqué, les bâtisseurs ont recours à des stratégies qui permettent de libérer les charges émotives, comme les techniques de méditation ou le « lâcher prise » 10. L’objectif, pour eux, est la libération des émotions liées à des événements passés. Ils ne se sentent pas menacés par la présence des nœuds, pas plus qu’ils ne tentent de les nier ou 10

La programmation neurolinguistique offre de puissants outils de changement pour libérer les charges émotives liées au passé. 205

de les contourner. Bien au contraire, ils en recherchent les signes, si minimes soient-ils, pour pouvoir travailler à leur résolution. Parce qu’ils savent comment il peut être ardu de vivre avec des nœuds importants, les bâtisseurs essaient de résoudre les situations problématiques au fur et à mesure qu’elles se présentent et, surtout, ils essaient de ne pas contenir les émotions qui surviennent. Les nœuds se forment uniquement lorsqu’on tente physiquement de contrôler les émotions, de résister à leur venue ou de les faire disparaître. Avoir l’estomac noué, c’est former un nœud et c’est jeter les bases de souffrances futures. Pour éviter que les nœuds se cristallisent, les bâtisseurs prennent l’habitude de considérer toutes les émotions qui se présentent comme de l’information significative. Ils acceptent même les émotions de peur et de tristesse qui déclenchent un mécanisme naturel de protection et de contraction musculaire. Les émotions sont comparables à un petit filet d’eau qui vient en amont et qui poursuit son chemin en aval si rien n’entrave sa progression. Il suffit d’en bloquer le passage pour que ce filet devienne un étang, puis un lac. L’énergie qu’il faut alors déployer pour l’empêcher de suivre son destin doit être de plus en plus importante. Lorsqu’un lac est ainsi formé, la tendance naturelle est de chercher à renforcer les barrages, car il est facile de percevoir que, sous une apparence de calme, se cache une extraordinaire force qui peut s’avérer dévastatrice. Idéalement, il est préférable de ne pas entraver le cours des ruisseaux, mais si cela est déjà fait, il est toujours possible d’ouvrir les valves pour, graduellement, permettre à l’eau de repren206

dre sa route. Les émotions, quelle qu’en soit la nature, doivent être perçues, puis acceptées et finalement libérées, pour qu’elles puissent poursuivre leur route.

TRAVAILLEZ AVEC CEUX QUI SONT PRÊTS À LE FAIRE Une autre façon adéquate de vous protéger est de travailler avec ceux et celles qui sont prêts à le faire. Nous avons déjà vu que le rythme de croisière est fort différent selon les personnes à qui nous nous adressons. Certaines sont prêtes d’emblée à s’impliquer dans un nouveau projet si elles y voient une occasion de croissance et de développement. D’autres vont aller de l’avant si elles se sentent suffisamment compétentes ou sentent que la tendance au changement est irréversible. D’autres encore ne vont bouger que si elles s’y sentent contraintes. Finalement, certaines personnes vont résister jusqu’au bout et, même lorsque la pression sera très forte, vont s’opposer passivement. Si vous prenez en compte cette information, vous devez savoir qu’une stratégie s’impose : misez sur la première et la deuxième catégorie, attendez les personnes qui font partie de la troisième catégorie, et attendez-vous à devoir traîner le wagon de queue (le quatrième groupe).

RÉALISEZ QUE CE N’EST PAS L’ENVIRONNEMENT QUI DÉTERMINE COMMENT VOUS VOUS SENTEZ

Sur la route qui mène au futur que vous souhaitez créer, vous devrez être particulièrement soucieux de la signification que vous donnez aux événements. Ce 207

ne sont pas seulement les événements eux-mêmes qui vont déterminer comment vous allez réagir et vous sentir. C’est aussi en bonne partie votre perception des choses et la signification que vous allez leur donner. Si vous êtes plus ou moins satisfait de vos conditions de travail actuelles et que vous y voyez une occasion de préparer une nouvelle carrière, vous n’aurez certainement pas à vivre les mêmes émotions que si vous considérez que votre insatisfaction au travail est un signe que la malchance s’acharne sur vous. J’ai déjà démontré, dans la section Sachez pourquoi les gens retombent toujours dans le même modèle de comportement, que nous ne réagissons pas directement aux événements extérieurs, mais bien aux perturbations que ces événements provoquent en nous. En ce sens, nous devons être attentifs à la façon dont nous filtrons et interprétons les événements. L’exemple de l’aviateur qui pilote à l’aide de ses instruments est particulièrement éloquent. Lorsqu’un pilote d’avion vole au-dessus des nuages, il dépend entièrement de ses instruments de navigation. Son travail consiste donc essentiellement à surveiller les différents indicateurs et à corriger les écarts qui peuvent survenir. Il ne peut pas agir directement sur ce qui se passe à l’extérieur pas plus qu’il ne peut recevoir de l’information directe. Toutes les informations lui parviennent par le tableau de bord de son appareil, plus précisément par la console à affichage cathodique. Quand le cadran indiquant la direction montre qu’il y a une déviation par rapport à la trajectoire, il doit effectuer les manœuvres appropriées. Même chose en ce qui concerne l’altitude. S’il rencontre 208

des poches d’air qui viennent ébranler l’avion, il les ressent, mais il ne peut agir directement sur ce qui se passe dehors. Il doit se contenter d’effectuer des manœuvres pour compenser les secousses. Les outils étant adéquats, le vol se passe plutôt bien. Subitement, les choses se corsent. Les cadrans indiquent que le train d’atterrissage est bloqué et qu’un obstacle énorme se pointe à l’horizon. Rappelons-nous que le pilote n’a aucun moyen de vérifier visuellement si le train est effectivement bloqué. De plus, s’il attend d’être en vue de l’obstacle avant de commencer les manœuvres correctrices, il risque d’être à court de temps. Par contre, s’il entreprend des manœuvres d’urgence, il court le risque de dévier de sa trajectoire et de ne plus pouvoir la retrouver. Comme si la situation n’était pas assez troublante, l’altimètre indique que l’avion est beaucoup trop bas, puis un autre voyant rouge s’allume... De deux choses l’une : ou cet avion se trouve dans une condition hautement périlleuse ou les outils de navigation sont complètement déglingués. Avant de paniquer, le pilote a tout intérêt à faire valider ses perceptions et ses interprétations par la tour de contrôle. Un deuxième avis ne peut que permettre d’y voir plus clair. En tant que bâtisseur, je ne saurais trop vous conseiller de vérifier régulièrement la qualité de vos perceptions et l’utilité de vos interprétations. J’avais coutume, à mes débuts comme formateur, d’interpréter les silences de mes étudiants comme le signe de mon incapacité à présenter adéquatement le contenu 209

ou à les intéresser. Cela provoquait systématiquement en moi un profond sentiment de désarroi. Avec le temps, j’ai remplacé cette interprétation par une autre plus « agréable ». Quand je demande à mes étudiants s’ils ont des questions, je leur précise avec un sourire que j’interpréterai leur silence comme le signe que j’ai été d’une limpidité remarquable. En fait, cette interprétation n’est pas plus ni moins vraie que la précédente, mais elle a le mérite de provoquer l’hilarité et d’être beaucoup plus agréable pour moi. Encore une fois, retenez que ce ne sont pas nécessairement les événements eux-mêmes qui vont être dérangeants, c’est plutôt la lecture que vous en ferez. Vous n’avez pas à être passif ou réactif devant les autres, vous avez un rôle à jouer. Profitez-en. Avant de terminer cette section, j’aimerais vous raconter la petite histoire suivante. Connaissant la réputation de calme et d’autocontrôle de Bouddha, un homme franchit un jour une très longue distance dans le but avoué de devenir celui qui va réussir à le décontenancer. Finalement arrivé en audience devant lui, le voyageur commence à invectiver Bouddha et à le provoquer de toutes les façons qu’il peut concevoir. Après un certain temps, Bouddha rompt finalement le silence et demande à l’homme s’il est disposé à répondre à une simple question. L’homme accepte, certain qu’il pourra en profiter pour se rapprocher de son objectif. Bouddha demande alors : « Si je souhaite te faire un cadeau et que tu le refuses, à qui ce cadeau appartient-il maintenant ? »

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Surpris par la simplicité de la question, l’homme répond : « Tu en demeures l’unique propriétaire. » Bouddha réplique alors : « Et si je refuse d’accepter tes insultes, à qui appartiennent-elles maintenant ? »

SENTEZ-VOUS BIEN AVEC VOUS-MÊME, MALGRÉ LA PRÉSENCE DE SENTIMENTS CONTRADICTOIRES ET

«NÉGATIFS»

Il n’y a presque plus de méchants dans les contes pour enfants. Et les personnages ne sont plus troublés par la jalousie, la peur, la douleur. Il semble qu’un mot d’ordre ait été donné : protéger l’inconscient de nos jeunes contre tout ce qui peut être nocif. C’est là une triste façon de les protéger contre la vie. Il faut, au contraire, que l’imaginaire des enfants soit aussi peuplé de personnages sombres pour qu’ils apprennent à composer avec les inévitables sentiments « troublants ». Montrer aux enfants à vivre dans un environnement aseptisé, c’est les préparer à vivre une version tronquée de la réalité. Chercher à maintenir ses émotions dans la plus grande stabilité possible, c’est aussi chercher à aseptiser la vie, car la stabilité se rapproche davantage de l’immobilisme que de l’équilibre. Pour qu’il y ait équilibre, il faut que plusieurs forces soient présentes et qu’elles s’annulent ou s’interinfluencent. Il ne s’agit donc pas de rechercher l’absence de mouvements, mais de viser les périodes bénies qui se situent entre les mouvements.

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Il est normal et salutaire d’avoir le goût de faire plus d’une chose à la fois, d’éprouver des pulsions et des désirs qui s’opposent ou qui s’arriment difficilement. Tout comme il est inévitable de faire l’expérience d’émotions et de pensées qui ne vont pas forcément dans la même direction. Parce qu’ils savent qu’il est légitime de douter, de vouloir une chose et son contraire, les bâtisseurs ne cherchent plus à nier ou à éviter à tout prix la présence de sentiments contradictoires en eux. Ils ont compris que l’ambivalence est l’une des caractéristiques fondamentales de l’humanité. Faire en sorte d’éviter systématiquement les émotions contradictoires équivaut à mettre en veilleuse son droit à faire des choix, son droit à l’évolution. D’ailleurs, les aspirations qui sont niées ont tôt fait de se transformer en dilemmes puis en conflits intérieurs. Les dimensions intime, familiale, amicale, professionnelle, spirituelle, financière, ludique et sanitaire nécessitent toutes de l’implication et de l’investissement. Parfois, une progression dans un domaine peut provoquer un déséquilibre dans un autre et entraîner des insatisfactions, voire des inconforts importants. En demeurant attentifs aux informations émotives, les bâtisseurs peuvent considérer rapidement la situation et procéder aux ajustements qui s’imposent. La recherche de l’équilibre est une tâche qui exige continuellement des ajustements puisque tous les investissements effectués dans un secteur ont un impact sur les autres. Le fait que des émotions diverses soient perçues est à la fois un atout important dans cette quête et une réaction normale à une situation qui ne cesse de changer. 212

Pour les bâtisseurs, la présence de sentiments « négatifs » comme la tristesse et la colère est une réaction normale à ce qui est considéré comme menaçant dans l’environnement. Quoique plus ou moins appropriées selon les circonstances, ces émotions ne sont pas en soi dommageables. Comme il a été mentionné précédemment, c’est la résistance à la venue de ces émotions qui provoque des blocages. Et ceux-ci entravent à leur tour l’accès aux ressources physiques et psychologiques. Lorsque nous tentons de contrôler ces émotions, elles s’emmagasinent dans notre corps et deviennent difficiles à contourner. Lorsque, par contre, nous nous contentons de les capter, elles suivent leur route comme l’eau d’un fleuve ou les ondes qui traversent l’espace. La réceptivité dont font preuve les bâtisseurs à l’égard des émotions de toutes sortes leur permet d’avoir accès plus aisément à leurs ressources personnelles. Les bâtisseurs savent que tout changement implique une phase d’hésitation et d’incertitude. Ils acceptent donc que les émotions partagées qu’ils éprouvent fassent partie du processus de changement. Vouloir et ne pas vouloir, désirer avancer et demeurer sur place, avoir le goût de reculer et de se questionner sont des comportements intimement liés à la transition qui mène d’un état à un autre ou d’une situation à une autre. Conserver le statu quo est la seule manière d’éviter les doutes et l’incertitude à court terme. Cette stratégie s’avère toutefois particulièrement périlleuse à moyen et à long terme puisque le statu quo est une illusion. Il n’est pas vraiment possible de maintenir une situation stable. Le temps qui passe et les conditions de l’environnement 213

ont tôt fait de modifier de façon considérable les situations qui évoluent nécessairement vers une plus grande désorganisation, vers un plus grand chaos. En matière d’évolution, ce qui n’avance pas est condamné à reculer. En acceptant de s’inscrire dans la mouvance, d’aborder le changement avec des émotions multiples, les bâtisseurs font preuve d’une connaissance aiguë des mécanismes de l’évolution.

UTILISEZ LES REPRÉSAILLES LORSQUE NÉCESSAIRE Parfois, pas souvent mais résolument, vous devrez agir comme vous l’aviez prévu ou annoncé, c’est-àdire recourir à des sanctions ou à des représailles. Il y va de votre crédibilité et de votre propre protection. La plupart du temps, en votre qualité de bâtisseur, vous allez réussir à susciter l’engagement des autres, si vous en avez le mandat, en leur faisant valoir ce qu’ils peuvent gagner en changeant et en leur faisant réaliser ce qu’ils perdent en résistant à l’évolution. Cependant, certaines personnes vont aller vérifier si vous êtes prêt à aller au bout de vos convictions et vont tester votre cohérence. Elles vont, par exemple, vous confronter, continuer à adopter des comportements inadéquats ou tout simplement offrir de la résistance passive en ne faisant rien d’autre que maintenir le statu quo. Si vous reculez à ce moment, la perte de crédibilité sera importante. En tout temps, il faut que votre interlocuteur sente que vous pouvez utiliser des mesures cœrcitives, mais que vous préférez de beaucoup miser sur la collaboration. Le bluff en matière de relations humaines est une stratégie plus ou moins efficace. Si vous avez des hésitations quant à votre 214

capacité à mettre en application d’éventuelles sanctions, il vaut mieux vous abstenir d’évoquer cette possibilité. D’ailleurs, les doutes peuvent s’avérer de précieux alliés, car ils nous signalent généralement que nous abordons une pente glissante. Si c’est au niveau de votre famille que vous êtes un bâtisseur, il y aura certainement des circonstances où vous devrez utiliser avec vos enfants les mesures que vous aviez annoncées. L’équilibre émanant de la relation entre les parents et les enfants est fragile et doit être constamment entretenu. Que vous le vouliez ou non, vous êtes avec eux dans une relation d’autorité avec tout ce que cela implique de responsabilités. Si vous leur annoncez qu’ils seront privés d’argent de poche s’ils ne font pas leurs tâches, vous devrez passer aux actes11 même si votre décision provoque chez eux de fortes réactions. Si vous leur donnez de l’argent alors qu’ils ne respectent pas le marché qu’ils ont conclu, vous ne faites pas que perdre un peu d’argent, vous laissez dériver la relation qui existe entre eux et vous. Si vous abdiquez régulièrement devant votre rôle parental, il vous sera de plus en plus difficile d’influencer la destinée de vos enfants. Mais je sais qu’en tant que bâtisseur vous n’agirez pas de la sorte. Vous accepterez parfois d’être moins populaire auprès d’eux pour qu’ils continuent à entretenir une saine relation avec l’autorité, une relation basée sur le respect des engagements de chacun.

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À moins, bien sûr, que des facteurs extérieurs les aient empêchés de réaliser leurs tâches ou que vous décidiez consciemment de leur « donner une chance ». 215

ACCEPTEZ ET FIXEZ VOS LIMITES Pour arriver à se protéger adéquatement, il faut fixer ses limites et les respecter. Le problème, c’est que la majorité des gens ne connaissent pas les leurs ou tentent de les nier. Nombreux sont ceux dont les comportements vont à l’encontre de leurs convictions les plus profondes, ou qui tentent de satisfaire leur entourage, même si c’est à leur propre désavantage. Souvent, sans s’en rendre compte, ils se font violence en acceptant de transgresser leurs propres règles. Il s’ensuit une spirale fort négative : les limites personnelles deviennent floues, l’estime de soi baisse et les autres personnes abusent de plus en plus. Il faut dire qu’il n’est pas simple de se regarder dans le miroir et de s’évaluer « subjectivement », de reconnaître que nous avons une part à jouer dans les malheurs qui nous arrivent et dans les abus dont nous sommes victimes. Pas plus qu’il n’est simple d’afficher son désaccord ou de refuser de se sacrifier. Lorsque nous sommes mal à l’aise dans un certain contexte, c’est un signe que nos limites ont été dépassées. Soit que nous ne respections pas nos propres limites, soit que les autres ne les respectent pas. Et dans ce cas, nous devons les amener à les respecter. De toute façon, nous devons nous habiliter à composer avec nos limites, quitte à augmenter graduellement le champ des possibilités. Cette demande n’est possible que si nous sommes conscients de ce que nous considérons comme acceptable, faisable et désirable. 216

Les bâtisseurs sont des gens qui prennent soin d’eux-mêmes. En ce sens, ils s’assurent que leurs actions seront en conformité avec leurs valeurs et leurs convictions personnelles et que l’ensemble de leurs décisions seront parfaitement cohérentes avec leur personnalité. Ce sont des gens qui exigent d’euxmêmes ce qu’ils exigent des autres. Ils savent qu’une bonne partie de leur leadership est liée au fait que les autres ont le goût de les suivre parce qu’ils voient en eux un modèle adéquat. En ce sens, ils se sentent légitimés de s’occuper d’eux et de viser toujours une plus grande congruence. Prenez quelques minutes pour compléter les phrases suivantes : ❖

J’arrête de vouloir absolument aider les autres quand...



Il y a des moments où il est correct de faire passer mes propres besoins avant ceux des autres parce que...



Je sais qu’il est temps de penser prioritairement à moi lorsque...



Même si cela doit faire avancer ma carrière, je refuse de sacrifier...



Mes trois priorités dans la vie sont...



Je sais que je ne pourrai plus me regarder dans un miroir si...



À la fin de ma vie, je veux pouvoir regarder le film de ma vie et me dire que je suis satisfait de...



Dans mon travail, j’ai accepté de dépasser mes limites quand...



Je ne me suis pas respecté la fois où... 217



Voici trois choses que je n’accepterai pas de faire...



Quand les autres abusent de moi en outrepassant leurs droits et que je me tais, je sais que...



Je préfère être plus humain et moins parfait parce que...



S’il y a une sphère de ma vie dans laquelle je ne souhaite pas que mon entourage suive ma trace, c’est...

Le simple fait de compléter ces phrases, peut vous aider : 1) à prendre conscience de vos limites ; 2) à déterminer les secteurs où vous risquez de les dépasser ; 3) à choisir des comportements et des réactions qui sont congruents avec la personne que vous êtes.

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Chapitre 8

Aider l’entourage et les organisations à se transformer Dans ce chapitre, nous allons traiter en détail des attitudes, des stratégies et des outils qu’utilisent les bâtisseurs pour faire une différence autour d’eux. Nous verrons que chacun de ces éléments est en soi un puissant outil de changement, mais que c’est véritablement entre les mains des bâtisseurs que chaque outil permet d’atteindre les résultats les plus remarquables. Rappelez-vous que ce qui distingue un ouvrier d’un artisan, ce n’est pas nécessairement les outils qu’ils utilisent, quoique cela puisse être le cas, mais c’est surtout l’amour que met le second dans son ouvrage et l’intime connaissance qu’il a de la tâche à effectuer. Être ouvrier est une occupation alors qu’être artisan est un état. Nous parlerons notamment de la nécessité de dénoncer les inepties, de l’importance d’entraîner son attention à envisager de nouvelles solutions de rechange ainsi que des avantages liés au fait de se centrer sur les processus et de rechercher les solutions élégantes.

ARRÊTEZ D’ÊTRE DES COMPLICES SILENCIEUX Parce que leur vie est marquée par l’engagement, les bâtisseurs adoptent une attitude droite et fière 219

devant les événements. Ils se tiennent debout, refusent de baisser les bras, et, surtout, de fermer les yeux. Trop souvent, l’attitude adoptée par les gens devant des comportements inacceptables est celle de la passivité. Ils détournent la tête et cherchent à ne pas voir ce qui risque de les heurter. Ils espèrent qu’en ne voyant pas ces choses, ils se convaincront qu’elles n’existent pas. C’est de la pensée magique et c’est un manque de courage. Lorsqu’ils ont accepté leur statut, les bâtisseurs se sont résolument engagés à ne pas être des complices silencieux. Ils ne l’étaient pas vraiment antérieurement, mais ils savent maintenant comment dénoncer les aberrations sans pour autant devenir des boucs émissaires. Les bâtisseurs nomment ce qui ne va pas et dénoncent ceux qui abusent des autres, du système et de l’environnement. Nous sommes des complices silencieux lorsque nous savons que ce qui se passe est malsain et que des conséquences fâcheuses peuvent survenir, mais que nous décidons quand même de nous taire. Sous prétexte que nous ne sommes pas impliqués personnellement dans une situation, nous nous donnons bonne conscience (mêle-toi de tes affaires !). Il y a des gens qui blessent les autres par insouciance et qui ne se rendent pas compte de l’impact de leurs paroles et de leurs comportements sur la vie des autres. Nommer ce que ces gens font permet de leur redonner la responsabilité de leurs actions. Se taire et les laisser dans l’ignorance équivaut à faire en sorte que leurs comportements et attitudes perdurent. C’est aussi leur enlever la chance de comprendre et 220

de grandir. Puis, il y a les autres qui savent que leurs attitudes et leurs comportements sont inadéquats et qui profitent de notre silence pour prendre du pouvoir et élargir leur zone d’influence. Se taire devant ces personnes, c’est accepter implicitement que les valeurs qu’elles véhiculent soient prédominantes. Ces personnes et les valeurs qu’elles préconisent ne peuvent croître que dans l’obscurité. Nous leur fournissons le contexte idéal lorsque nous passons sous silence leurs agissements. Faire porter l’attention sur elles et les dénoncer, c’est les placer devant la lumière, là où elles peuvent être jugées. Les bâtisseurs considèrent qu’ils ont une responsabilité relativement aux comportements des autres, malgré l’opinion qu’ils ont maintes fois entendue et selon laquelle nous n’avons de pouvoir que sur nousmêmes. En effet, tous les grands changements de notre société, particulièrement ceux qui concernent les politiques sociales, ont été amorcés par une dénonciation. Certaines personnes et certains groupes se sont levés. Ils ont dénoncé les inégalités, la mesquinerie et la petitesse de ceux à qui profite la noirceur. Nelson Mandela est un exemple incroyable de courage et de détermination. Cet homme a dénoncé la politique de discrimination qui régnait en Afrique du Sud et a réussi à susciter un mouvement irréversible vers le changement. Il a osé dénoncer l’injustice et a eu un impact sur sa collectivité, voire sur l’humanité. Si Mandela avait eu l’impression qu’il n’avait de pouvoir que sur lui, il n’aurait pas eu le courage d’agir comme il l’a fait.

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Au fil du temps, de nombreuses personnes se sont levées et ont regardé droit dans les yeux de leurs oppresseurs ou des abuseurs de toutes sortes. On leur doit le retrait de nombreuses mesures d’iniquité et la modification de plusieurs façons de faire qui affecteraient notre quotidien. Lorsque nous regardons dans les yeux une personne qui est injuste, égoïste ou abusive et que nous lui disons que nous n’approuvons pas ses attitudes, nous semons le germe d’une douce révolution. Plus il y aura de bâtisseurs qui refuseront d’être des complices silencieux, plus les valeurs positives que cette attitude sous-entend feront surface. Dans les yeux et le cœur du bâtisseur, les responsabilités collectives et individuelles dépassent largement le cadre de « sa » petite personne. Nos enfants ne sont pas toujours avec nous ; il faut espérer que d’autres se sentent suffisamment concernés par leur bien-être pour les empêcher de s’écarter de leur route. L’exploration pour les enfants, c’est bien, mais il est aussi primordial que leur recherche s’effectue à l’intérieur d’un cadre sécurisant. Lorsqu’ils ont perdu l’habitude de ce cadre et qu’un jour ils le retrouvent, ils s’y sentent bien, même s’ils le contestent un peu. Enfance oblige... Au travail, nous avons beau nous berner d’illusions et faire semblant que l’inertie de nos confrères ou leur mauvaise foi n’ont pas d’impact sur nos conditions de travail, nous faisons fausse route. Et cette erreur de perception est beaucoup plus signifiante qu’elle en a l’air de prime abord. Il suffit de quelques personnes négatives pour alourdir le climat dans un 222

groupe et donner l’impression que tous travaillent mal ou adhèrent aux opinions sombres. Je me souviendrai toujours du moment où, dans le cadre d’un travail d’équipe, quatre personnes sur cinq sont venues me rencontrer individuellement pour dénoncer l’attitude de la cinquième. Lors d’une rencontre subséquente, j’ai pris l’initiative de parler de la situation et de l’attitude de cette personne. Comment pensez-vous que j’ai été reçu ? Vous croyez sans doute que les personnes concernées par le problème ont saisi cette occasion pour changer la dynamique de leur groupe. Eh bien non ! Aucune ne m’a supporté. Elles m’ont toutes laissé me « peinturer dans le coin » en ne confirmant aucune de mes allégations. J’ai peiné cette journée-là, mais j’ai aussi beaucoup appris. J’ai compris, entre autres choses, que pour faire cesser des situations inacceptables, je dois m’engager et non pas engager une autre personne. Maintenant, dans une situation analogue, je continue à dénoncer, mais je change de cible. Je dénonce l’ineptie, le climat de peur et les complices silencieux. Je rappelle la loi de la cinquième personne : Une personne ne peut pas prendre trop de place, elle ne prend que celle qu’on lui laisse. Un des effets secondaires extrêmement importants du silence est l’installation d’un climat de compromission. Quand je tais les écarts d’un confrère, d’une consœur, je m’attends à ce qu’ils fassent la même chose si je déroge aux règles et à ma mission. Cette situation se détériore au point qu’il devient extrêmement difficile de dénoncer parce que l’autre a de l’emprise sur moi. Un jour, il faut pourtant le faire. C’est la seule façon de retrouver son intégrité même 223

si c’est très exigeant. Il faut accepter les conséquences de ses propres manquements et briser le cycle de la compromission qui nous entraîne toujours plus en avant vers un gouffre. Il y a de l’espoir. Quand ce cycle est rompu, notre estime revient et notre rectitude s’impose aux autres. La magie s’installe, les gens commencent à se comporter autour de nous comme des êtres responsables et dotés de raison. Certains le font parce qu’ils trouvent que c’est une bonne idée, que c’est gratifiant et que cela rejoint leurs valeurs. D’autres agissent ainsi parce que c’est à la mode et, enfin, le motif d’agir de certains autres n’est que la peur des conséquences. Finalement, la motivation profonde importe peu dans la mesure où tous élèvent leur niveau de dignité. C’est ce genre d’impact qu’ont les bâtisseurs.

UTILISEZ LES QUESTIONS QUI CHANGENT LE MONDE

Ce sont les questions qui changent le monde. De tout temps, il y a eu des personnes engagées, des adeptes de la subversion, qui se sont posé des questions différentes de celles de leurs contemporains. Ces gens sont arrivés à des réponses tout à fait nouvelles et certaines ont donné lieu à de véritables révolutions. Einstein et Copernic, pour ne nommer que ceux-là, ont posé des questions différentes et ont trouvé quelque chose de différent. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette façon de poser des questions atypiques n’est pas nécessairement liée à des dons exceptionnels, mais plutôt à un effort de volonté et à une insatisfaction par 224

rapport aux réponses disponibles. Qui plus est, cela s’apprend. Si vous n’êtes pas entièrement satisfait des réponses actuellement avancées pour expliquer les injustices, les iniquités et le manque d’engagement, vous pouvez entraîner votre attention de façon à ce qu’elle se dirige dans des lieux où abondent les réponses originales. L’objectif de cette section est de proposer un ensemble de questions et de réflexions qui permettent d’atteindre de tels lieux. 1re question : Comment puis-je « dés-organiser » mon organisation ? Oticon, une entreprise qui œuvre au Danemark, est une organisation qui n’en est plus une, du moins dans le sens traditionnel du terme. En 1988, lorsque Lars Kolind a accepté de diriger cette compagnie qui se consacre à la création et à la vente d’appareils auditifs, elle était en sérieuse difficulté. Il a tenté au cours des deux premières années de son mandat de redresser la situation en misant sur des efforts de rationalisation et de planification stratégique. Mais malgré un succès certain, il s’est vite rendu compte que ce type d’approche ne permettrait pas à la compagnie de rivaliser avec les géants de l’industrie de la miniaturisation électronique. Au cours de l’année 1990, il a donc produit un bref document de quatre pages qui proposait littéralement de réinventer l’ingénierie d’Oticon. Rapidement, il est apparu que le principal obstacle à ce nouveau départ était l’organisation ellemême. En parfait iconoclaste, il a décrété l’abolition de toutes les structures formelles au sein d’Oticon. Dorénavant, il n’y aurait plus de titres, plus de départements ni même de bureaux fixes. 225

De 1990 à 1995, les revenus de la compagnie ont pratiquement doublé pour atteindre 160 millions de dollars dans un marché mondial à peu près stable. Qui plus est, en 1995, le profit d’opération atteignait 20 millions de dollars, soit environ dix fois le niveau de 1990. Ce miracle s’explique par l’audacieux pari qu’a fait Lars Kolind. Habituellement, les organisations possèdent une structure pratiquement fixe à laquelle est subordonné l’ensemble des personnes qui y travaillent. Les individus passent, mais la structure demeure. Kolind a proposé une démarche radicalement différente. Plutôt que de chercher à servir la structure, il a « dés-organisé » la compagnie au point où ce sont les individus qui ont dû faire preuve de créativité. L’entreprise est devenue un lieu d’évolution personnelle et professionnelle pour les membres de son organisation. N’étant plus soutenus par une structure, les gens ont dû se tourner vers l’action et les résultats pour donner un sens à leur travail. Diverses stratégies et technologies ont été utilisées pour entretenir cet état de « dés-organisation ». Les systèmes de communication individuelle, les appareils de vidéoconférence ainsi que les systèmes informatiques portatifs ont été utilisés pour maintenir un haut niveau d’échange d’information, tout en permettant de conserver une grande mobilité. Paradoxalement, l’atmosphère est devenue tout à fait détendue, mais l’efficience et l’efficacité ont atteint des sommets de rêve. L’entreprise Oticon carbure maintenant à la passion de son personnel et est résolument branchée sur leurs neurones.

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Quand un bâtisseur occupe une position stratégique dans une entreprise, il peut donc utiliser la première question qui change le monde. Il peut ainsi travailler sur les conditions qui permettent de changer en profondeur n’importe quelle organisation. 2e question : Quel est l’attracteur le plus susceptible de provoquer l’autoorganisation ? Le terme attracteur est utilisé dans la nouvelle science de la complexité pour désigner un état vers lequel évolue un système. Pour illustrer simplement ce en quoi consiste un attracteur, imaginez que vous lancez une bille dans un bol à soupe et que vous observez sa trajectoire. Si vous êtes patient, vous verrez la bille se diriger vers son attracteur, c’est-à-dire le fond du bol, et ce, peu importe la force et la direction que vous lui aurez données. Il s’agit dans ce cas d’un attracteur unique. Chez Oticon, pour multiplier les élans créateurs et susciter l’engagement de son personnel, la direction a décidé d’utiliser la capacité qu’ont les systèmes humains de s’organiser autour d’attracteurs. L’organisation du travail ne repose donc plus sur des fonctions ou des rôles spécifiques, mais relève de projets qui deviennent autant d’attracteurs autour desquels peuvent s’activer les agents de changement que sont les employés. Ceux qui ont des idées peuvent devenir des responsables de projets en autant qu’ils réussissent à intéresser suffisamment de leurs confrères pour former une équipe de travail. Les allocations de ressources financières et matérielles sont liées à l’intérêt que suscite le projet et, bien sûr, à la disponibilité de ces ressources. 227

Cette façon de fonctionner est presque « organique » dans la mesure où les personnes se rassemblent en fonction d’intérêts communs, travaillent ensemble pendant un temps, puis peuvent changer de projet en fonction d’aspirations personnelles et professionnelles nouvelles. Plusieurs projets cœxistent et leurs auteurs se partagent les ressources en fonction de leur capacité à évoluer dans le sens de la demande des clients et des employés. Les alliances sont naturelles et dirigées vers un objectif partagé. Bref, la vie règne. Les bâtisseurs ne sont pas contrôlants, ils tentent de créer un milieu de vie auquel les gens voudront participer. En ce sens, l’utilisation d’attracteurs est particulièrement intéressante pour eux. Leur rôle, quand ils occupent une position stratégique dans une organisation, consiste à s’assurer que les conditions sont propices à l’éclosion d’idées ou de concepts novateurs et que ces projets sont suffisamment stimulants pour susciter les capacités créatrices des gens avec qui ils travaillent. Lorsque de telles idées sont présentes, elles deviennent des attracteurs et ont un formidable effet d’entraînement. Les gens s’activent, avancent, reculent, interagissent et, comme mus par une force intangible, s’approchent toujours un peu plus de leurs attracteurs. Tout se passe comme si chaque membre de l’équipe avait une boussole qui pointe dans la direction du projet commun. Les avantages d’une telle façon de faire sont multiples. L’utilisation des attracteurs permet de maintenir très élevé le niveau d’engagement du personnel et de réduire considérablement le contrôle au sein de l’entreprise. Mais ce qui est plus important en228

core, c’est qu’une telle démarche permet d’introduire le hasard comme partie intégrante du processus de créativité. Tous les événements fortuits et les mouvements de société peuvent être incorporés dans la quête parce qu’ils trouvent leur sens dans la réalisation d’un projet partagé. Même au niveau personnel, nous aurions avantage à nous poser la deuxième question qui change le monde puisqu’elle nous permet de formuler des projets suffisamment motivants pour nous propulser vers de plus grandes réalisations. Ne dit-on pas des projets qui nous passionnent qu’ils sont « attirants » ? Quand des projets personnels sont stimulants au point de devenir des attracteurs, on dirait que tout converge vers leur réalisation : nous tombons exactement sur la lecture qu’il nous fallait, nous rencontrons la personne qui peut répondre à nos interrogations, nous nous réveillons en pleine nuit avec l’idée qui va nous faire cheminer dans la direction souhaitée. Poser cette question et, surtout, y répondre, c’est activer un mécanisme dont la puissance dépasse largement celle que l’on pourrait obtenir en utilisant les méthodes usuelles de planification. 3e question : Comment pourrais-je être un agent « subversif » ? Les deux premières questions sont particulièrement utiles aux bâtisseurs qui occupent des positions stratégiques au sein d’une organisation et qui possèdent, en conséquence, les leviers nécessaires à la mise en œuvre de transformations radicales. Cette troisième question fait appel à un tout autre niveau d’intervention : celui où le bâtisseur n’est pas en position d’autorité. 229

Un agent « subversif » est, dans le sens positif du terme, une personne qui tend à remettre en question les valeurs et l’ordre établi. C’est un empêcheur de tourner en rond. Chaque organisation possède ses propres tabous et ses propres carences. L’agent « subversif » se contente de les nommer en prenant grand soin de ne pas trop insister et en évitant d’être le seul à les corriger. Son seul et unique but est de faire en sorte que les interactions s’effectuent au grand jour et que chacun puisse agir consciemment, sans automatismes ou blocages inconscients. Par exemple, constatant que la compagnie pour laquelle il travaille émet constamment des directives, un agent « subversif » profite d’une réunion syndicale pour faire remarquer, sans hostilité aucune, que, la plupart du temps, seules quelques personnes sont directement concernées, alors que les consignes s’adressent à tous les employés. Mis à part quelques approbations, son intervention passe relativement inaperçue. Pourtant, dans les semaines qui suivent, les directives générales diminuent en nombre et ceux qui dérogent constamment aux règles sont interpellés directement. Peut-être s’agit-il d’une coïncidence... Ce genre de coïncidence arrive justement très souvent lorsque des actions sont entreprises pour introduire un peu de sable dans un engrenage qui fonctionne seul. Le fait de nous demander comment nous pouvons être ou devenir des agents « subversifs » permet d’identifier et de poser de telles actions lorsque cela est souhaité. Si nous n’avons pas les outils qu’il faut pour modifier un jeu, nous pouvons, à tout le moins, y jouer en clarifiant les règles. On ne sait 230

jamais, peut-être les autres joueurs ont-ils aussi quelque chose à faire ou à dire. 4e question : Si je n’avais que trois directives à donner à mon entourage de travail pour qu’il soit fonctionnel, quelles seraientelles ? Cette question fait évidemment référence aux directives dont nous avons déjà parlé à quelques reprises, notamment dans les chapitres 2 et 5. Le fait de la poser oblige à passer outre aux traditionnelles méthodes de contrôle pour s’inspirer directement des principes directeurs qui régissent et stimulent les capacités d’autoorganisation. Si, par exemple, je n’avais que trois directives à vous donner pour vous guider dans votre tâche de bâtisseur, j’opterais pour les suivantes : ❖

Choisissez soigneusement et consciemment vos missions et vos rôles, et engagez-vous à les remplir au meilleur de vos capacités ;



Lorsque vous rencontrez des difficultés, évaluez si c’est l’environnement qu’il faut changer, si vous devez vous adapter à la situation ou si le lâcher prise est l’option à privilégier ;



Lorsque vous êtes en interaction avec les autres, assurez-vous de vous sentir bien avec vous-même en tout temps, puis aidez-les s’ils le souhaitent.

Si, chaque jour, vous appliquez soigneusement ces directives, si vous les laissez guider vos actions et vos réactions et si vous les répétez suffisamment longtemps, vous allez être un bâtisseur. Ces directives représentent en effet la quintessence de ce qu’est un bâtisseur, c’est-à-dire un être qui avance irrésistible231

ment et consciemment vers les objectifs qu’il choisit et qui, tout en se protégeant, aide les autres à grandir à leur rythme. Afin de libérer le pouvoir auquel permet d’accéder cette question, il importe que les directives portent : 1) sur les attitudes à adopter par rapport aux missions et aux rôles ; 2) sur les manières d’aborder les problèmes ; 3) sur la façon de se comporter lors des interactions avec les autres personnes. J’ai utilisé la quatrième question pour déterminer comment guider un bâtisseur. Vous pouvez l’utiliser pour guider vos enfants, votre entourage, votre organisation ou vos clients dans n’importe quelle démarche de changement ou d’évolution. Autant les projets peuvent devenir de puissants attracteurs, autant il est important de posséder des informations relatives à la façon dont doit s’effectuer la progression souhaitée. 5e question : Comment faites-vous pour maintenir votre problème ? L’hypothèse derrière cette question est remarquable de simplicité et en même temps redoutable d’implication : nous jouons un rôle dans le maintien de nos problèmes, soit par la répétition de certains gestes, soit par les scénarios que nous nous faisons dans nos têtes. Une fois que nous avons bien identifié la stratégie que nous utilisons pour entretenir nos problèmes, nous pouvons la changer. Notre décision aura ainsi un impact direct sur la façon dont nous vivons les situations problématiques. 232

Je sais que cette affirmation peut paraître une simplification à outrance de la situation. Pourtant, dans un très grand nombre de cas, cette manière d’aborder les choses permet d’accéder directement à des solutions sans avoir à passer par de douloureux exercices d’introspection. Une jeune fille de quatorze ans se présente à mon bureau (à l’époque, je faisais de la consultation individuelle). Même si je n’avais pas su qu’elle m’était référée en raison d’une timidité presque maladive, j’aurais deviné son problème, car elle est entrée très discrètement, la tête baissée, en regardant vers le sol et en parlant de façon à peine audible. Après quelques minutes, je lui ai demandé de me rendre un service et de me montrer comment elle faisait pour être aussi timide. Quoique surprise par ma question, elle s’y est rapidement intéressée et a bien collaboré. Comme elle disait ne pas savoir comment elle faisait pour être aussi timide, nous avons cherché à clarifier la situation. À ma demande, elle est sortie du bureau puis y est rentrée à deux reprises : la première fois, elle a fait semblant de ne pas être timide, et la deuxième fois, elle s’est efforcée d’être le plus timide possible. En comparant les deux états, nous avons pu déterminer une recette infaillible pour être timide : il faut tout d’abord baisser les épaules et la tête par en avant, regarder vers le sol, puis parler à voix basse tout en se faisant des commentaires négatifs dans sa tête. En répétant ces gestes, la timidité survient à coup sûr. En prenant conscience de la stratégie qu’elle utilisait inconsciemment pour maintenir son problème, 233

cette jeune fille a ainsi pu reprendre le contrôle sur son état. La même question peut aider à travailler au sein de groupes qui sont aux prises avec des difficultés. Évidemment, les gens vont d’emblée répondre qu’ils ne font rien pour maintenir le problème et que ce sont des facteurs extérieurs qui contribuent à ce que les difficultés perdurent. En continuant à faire porter l’attention sur les éléments dont les membres ont le contrôle, vous arriverez à modifier la façon dont est vécu le problème et ultimement le problème lui-même, qu’il y ait ou non des facteurs extérieurs inhérents à la situation. 6e question : Si je ne faisais plus ce que je n’aime pas faire, qu’arriverait-il ? Les bâtisseurs ne subissent pas leur vie. Alors que de nombreuses personnes se contentent de se plaindre lorsqu’elles exécutent des tâches qu’elles répugnent à faire, ils cherchent plutôt comment il serait possible de faire autrement. En se demandant ce qui arriverait s’ils ne faisaient plus ce qu’ils n’aiment pas faire, les bâtisseurs se donnent la chance de remonter la chaîne de causalité, c’est-à-dire de retrouver l’élément ou la personne qui les contraint à poser ce geste. En comprenant l’intention qui se trouve à l’origine d’une certaine façon de faire, ils peuvent plus facilement explorer des solutions de rechange. Souvent, cette question permet d’identifier de curieuses situations. En effet, il est fréquent de constater que la raison qui a prévalu à l’établissement de telle ou telle procédure n’est plus présente, mais que la procédure continue à être appliquée comme si elle avait une vie autonome. Une multitude de lois deve234

nues obsolètes continuent d’être appliquées ou ont été abrogées depuis peu. Il n’y a pas très longtemps, une loi québécoise obligeait les propriétaires de taxi à se munir d’un sac pour ramasser les « traces » laissées par leurs chevaux ! De telles situations perdurent parce qu’il est rare que l’on se pose des questions relatives à la raison d’être des lois ou des procédures. Il y a quelques années, dans le cadre de mon travail de gestionnaire, j’avais, entre autres choses, la tâche de rendre compte de chaque dépense effectuée. Je devais, pour ce faire, remplir une feuille en attribuant à chaque dépense une cote composée de douze nombres : les quatre premiers indiquant le département, les quatre suivants indiquant la division, etc. Comme je trouvais ce travail particulièrement abrutissant, j’ai demandé à un confrère ce qui arriverait si je ne le faisais pas. Il m’a répondu que je devrais certainement m’expliquer avec le personnel administratif du siège social. J’ai donc appelé au fameux siège social en posant de nouveau ma question. Mes deux premiers interlocuteurs ont été incapables de me répondre et la réponse du troisième m’a presque jeté en bas de ma chaise. Selon lui, il ne se passerait absolument rien si je ne remplissais pas cette feuille pour la simple et bonne raison qu’elle était uniquement destinée à notre usage personnel ! En fait, le personnel du siège social compilait ces données au cas où nous aurions besoin d’avoir le détail de nos dépenses. 7e question : Comme puis-je devenir la personne que je suis vraiment à l’intérieur de moi ? Réponse : en la laissant sortir... Tous les systèmes vivent à un moment ou l’autre de leur évolution une période où leur structure de235

vient trop petite pour contenir leur énergie. Les compagnies qui font ce constat devraient en profiter pour modifier complètement leur façon de faire. De leur côté, les familles devraient transformer radicalement les rapports qui unissent leurs membres. Et les personnes devraient accepter que leur personnalité change pour s’ajuster à leurs transformations intérieures. Autrement dit, les chenilles devraient accepter de quitter leurs cocons pour devenir des papillons. Si tout était ainsi, il serait simple d’évoluer. Tel n’est pas le cas. Par déformation professionnelle, tous les systèmes tentent de maintenir intacte la structure qui leur a permis de se rendre à bon port. Plus ils s’approchent de la région de la nécessaire transformation, plus ils s’accrochent désespérément à ce qui a été, jadis, efficace. Il faut dire que la conception traditionnelle du changement, qui suggère que les progressions s’effectuent de façon linéaire et successive, ne nous prépare pas à vivre un tel état de déséquilibre et nous indique encore moins comment il faut franchir cette frontière d’un territoire inconnu. En se demandant régulièrement comment ils peuvent devenir la personne qu’ils sont intérieurement, les bâtisseurs peuvent effectuer le « monitorage » de leur progression et résister à la tentation de se replier et de consolider à tout prix la structure existante. Quand la pression intérieure devient trop grande, il leur faut quitter la zone d’adaptation pour se diriger vers la zone de transformation, là où leur identité sera profondément modifiée.

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8e question : Qu’est-ce qui multiplierait par dix mon efficacité ? Voilà bien une autre question surprenante. Elle nous permet d’outrepasser les limites que nous nous fixons en ce qui concerne notre capacité d’agir et d’avoir un impact significatif sur notre environnement. Nous ne pouvons aller plus loin que les frontières de notre imagination, c’est pourquoi nous devons nous exercer à les repousser régulièrement et chercher à explorer des éventualités totalement nouvelles. Il a déjà été futile de croire que nous ne pourrions voler ; or, cela fait maintenant partie de notre quotidien. Il a déjà été illusoire de croire que nous pourrions communiquer d’un continent à l’autre en composant un simple numéro sur un clavier. Pourtant, nous pouvons maintenant le faire aisément à l’aide d’un ordinateur ou d’un téléphone. Il a déjà été farfelu de prétendre que nous marcherions un jour sur la Lune. Plus personne ne s’étonne d’apprendre que la NASA entreprend actuellement la construction d’une station spatiale permanente qui pourra accueillir des astronautes pendant de longues périodes. La recherche rationnelle et « logique » de nouvelles procédures permet rarement de faire des percées importantes ; tout au plus permet-elle de procéder à des bonifications en rapport avec ce qui existe déjà. La méthode scientifique enseignée et utilisée dans les universités repose d’ailleurs sur une conception de l’évolution qui freine le processus créatif plutôt que 237

de l’encourager. Quand un étudiant a une idée intéressante, la méthode scientifique préconise, grosso modo, qu’il dresse l’inventaire de toutes les recherches et de toutes les découvertes portant sur ce sujet, qu’il émette une hypothèse et qu’il élabore une méthode visant à vérifier son hypothèse. Sont alors considérés comme un avancement significatif uniquement les résultats qui confirment statistiquement les hypothèses avancées. Le problème avec une telle façon d’aborder la recherche, c’est qu’il y a tout lieu de croire que l’étudiant va trouver, pendant son investigation, des réponses satisfaisantes aux questions qu’il se posait. Il n’aura donc pas la chance de fournir ses propres réponses. Guy Ausloos, un de mes formateurs, avait coutume de dire : lisez, puis quand vous avez une bonne question de recherche, arrêtez de lire sur ce sujet jusqu’à ce que vous ayez trouvé votre propre réponse. Le fait de nous demander ce qui pourrait multiplier par dix notre efficacité permet de nous situer très nettement au-delà des réponses logiques et rationnelles. Nous devons commencer à envisager des paysages nouveaux, des objectifs qui semblent inaccessibles et des percées totalement nouvelles. Le quotidien de demain ressemblera à ce que nous considérons aujourd’hui comme de la fiction. 9e question : Et si ce que l’on m’a enseigné n’était pas vrai ? ❖

On nous a appris que la réalité était observable et mesurable...

Nous savons maintenant que le simple fait d’observer un phénomène suffit à le modifier. (Si vous en 238

doutez, essayez d’observer un enfant qui joue sans que son jeu ne soit altéré par votre présence.) ❖

On nous a appris qu’il est possible d’être objectif...

Demandez à cinquante personnes de décrire la même anecdote. Vous allez obtenir cinquante versions légèrement différentes. ❖

On nous a appris à rechercher à tout prix la stabilité...

Quand les organisations stagnent et que les individus étouffent parce que leur pression intérieure augmente, la recherche de la stabilité peut avoir un effet extraordinairement néfaste. Tôt ou tard, le système va finir par imploser pour se diriger tout droit vers une zone de turbulence. ❖

On nous appris à lire de façon linéaire et à rechercher la cause des effets...

Nous savons maintenant que tout ce qui se passe au sein d’un système a des impacts à plusieurs niveaux. Les émotions « retenues » peuvent se transposer en troubles physiques qui, à leur tour, vont altérer la façon de vivre les émotions. Dans le même ordre d’idées, le facteur « hommerie » agit comme un filtre et vient complètement modifier les rapports humains, de sorte qu’il est impossible d’attribuer directement les réactions aux événements « objectifs ». Le doute et l’insatisfaction sont deux états d’esprit qui peuvent avoir des effets très bénéfiques s’ils sont utilisés à bon escient. Les bâtisseurs en tiennent compte couramment pour remettre en question les croyances et les valeurs qui sous-tendent leurs actions. Si, par exemple, ils sont confrontés à des 239

échecs répétés ou interviennent là où de nombreuses personnes se sont cassé les dents avant eux, ils vont spontanément aller questionner les prémices de leurs interventions. On leur a appris quelle était la meilleure manière de fonctionner dans une telle situation ; or, cela ne fonctionne pas. Et si ce qu’on leur a appris n’était pas vrai ? Quelle serait alors l’autre meilleure solution ?

AGISSEZ SUR LES PROCESSUS Il fut un temps où il était légitime d’aspirer à connaître tout ce qu’il y a à savoir sur un sujet. La vitesse avec laquelle l’information circule aujourd’hui rend cette quête aussi futile qu’inutile. Quand on a l’impression d’avoir fait le tour d’une matière, il nous arrive constamment de nouvelles informations qui viennent modifier les données initiales. Même la science de l’optique, cette branche de la physique que l’on croyait avoir totalement maîtrisée, est aujourd’hui en effervescence avec la technologie du laser et des fibres optiques. Ceux qui cherchent à être des experts du contenu sont condamnés à être d’éternels étudiants, ce qui en soi n’est pas un mauvais destin. Ce n’est toutefois pas le destin des bâtisseurs. Même si ces derniers peuvent œuvrer dans un domaine plus pointu d’expertise, ce n’est pas grâce à cela qu’ils font une différence dans leur entourage. Ils s’illustrent par leur capacité à faire sortir le meilleur des autres personnes et par leur connaissance peu commune des liens qui unissent les humains entre eux et donnent un sens à leurs actions. Leur domaine 240

d’expertise est de l’ordre du contenant, pas du contenu. Leur compétence porte davantage sur les interactions entre les éléments des systèmes que sur les éléments eux-mêmes. Le génie d’un peintre ne réside pas uniquement dans sa connaissance des techniques et des couleurs de base. Il sait comment combiner les couleurs pour créer une multitude de nuances et une infinité de dégradés. Il sait comment certaines teintes peuvent en rehausser d’autres ou les masquer. Parfois, ses œuvres prennent une ampleur qui dépasse largement la somme des couleurs qui ont été utilisées. Ces dernières viennent interpeller les observateurs dans leur cœur, voire dans leur âme. Le peintre sait viscéralement quand il faut ajouter ou arrêter de mettre de la couleur. Il possède un sens de l’esthétisme et des proportions. Et ce qui est plus important encore, il repousse constamment les limites de son médium en créant ses tableaux à partir de ses propres émotions. En considérant les actes isolément ou en les évaluant dans une perspective linéaire, il est souvent difficile de comprendre leur signification et encore plus difficile d’intervenir pour dénouer des impasses et générer des solutions. Les bâtisseurs considèrent que derrière chaque comportement et chaque motivation de l’humain se cache un fil invisible qui rattache chacun de ces éléments à une trame de fond. En s’habituant à détecter les motifs qui se dessinent sur ces trames et en analysant ces liens, les bâtisseurs peuvent cerner comment les événements sont liés les uns aux autres, ce qui leur permet d’agir directement à ce niveau.

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Parfois, c’est le facteur « hommerie » qui permet de donner un sens à un ensemble de comportements, de comprendre comment plusieurs événements peuvent être colorés par des émotions ;



Parfois, le fait de rassembler certaines personnes donne lieu à une véritable explosion de créativité et d’énergie. Les liens entre elles et leur entourage se multiplient de façon exponentielle ;



Parfois, les liens entre les membres d’une équipe de travail sont à ce point serrés qu’ils permettent difficilement l’apport d’informations en provenance de l’extérieur ;



Parfois, la répétition de certains gestes simples permet la réalisation d’œuvres remarquables ;



Parfois, l’engagement des personnes ne tient qu’à un fil et se brise facilement ;



Parfois, les tableaux restent inachevés.

Alors que d’autres vivent leur vie comme s’il s’agissait d’une suite d’événements plus ou moins séparés, les bâtisseurs savent reconnaître les motifs qui se cachent derrière les relations humaines. Ils savent reconnaître le début et la fin d’une séquence et connaissent l’art de la combinaison des éléments.

CENTREZ-VOUS SUR LES SOLUTIONS ÉLÉGANTES Dans toutes leurs actions et leurs réactions, les bâtisseurs ont un leitmotiv : ils recherchent constamment les solutions élégantes. Ils sont convaincus qu’il existe, pour tout problème, une infinité de solutions. Ils savent aussi que 242

certaines sont difficiles à appliquer, pénibles même, et que d’autres sont agréables. Il faut dire qu’ils se sont affranchis depuis longtemps du vieux complexe judéo-chrétien qui en force plusieurs à vivre dans la misère pour être « récompensés » plus tard. Non seulement se fixent-ils des objectifs nobles et ambitieux, mais ils s’imposent de surcroît que la route qui les mène à l’atteinte de ces objectifs soit belle et stimulante. La plupart des gens ont des croyances qui les empêchent d’envisager les solutions élégantes, même lorsqu’elles sont aisément accessibles. Ils sont par exemple convaincus : ❖

qu’il faut souffrir pour changer ;



que les changements rapides sont superficiels ;



que les belles occasions cachent des pièges ;



qu’il n’y a pas de mérite à vaincre sans effort ;



que ceux qui réussissent sont des arrivistes ;



qu’ils sont malchanceux et que leur destin est tracé.

Évidemment, avec de telles croyances, il leur est pratiquement impossible d’opter pour des solutions élégantes. Ils ne s’engagent pas ou partiellement parce qu’ils sont convaincus que cela ne vaut pas la peine. Lorsqu’ils entreprennent quelque chose, ils sabordent leurs efforts plus ou moins consciemment en confirmant, par la même occasion, leurs appréhensions. Le fait de se « brancher » ainsi sur des scénarios négatifs les amène à rencontrer plus régulièrement des limites et des contraintes, tout comme le fait de décider d’acheter une certaine marque de voitures nous amène à voir cette marque partout sur les rou243

tes. Inversement, lorsque les bâtisseurs se « branchent » sur des scénarios positifs, ils voient des chances et des possibilités là où d’autres ne voient rien. Il est souvent intéressant, parfois éclairant, de se centrer longuement sur les problèmes. Mais cette démarche est rarement utile lorsqu’on souhaite véritablement les régler. Les bâtisseurs se limitent à bien circonscrire les problèmes, mais dans le but de s’orienter rapidement vers les pistes de solutions.

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Conclusion Il n’est pas simple d’être un bâtisseur. Il faut se remettre en question, faire preuve d’honneur, de courage, d’honnêteté, penser différemment et, finalement, accepter d’agir chaque fois que les situations l’exigent. C’est, par contre, une voie incroyablement stimulante, car ceux qui s’y engagent se réalisent pleinement et contribuent au bien-être de la collectivité. Jour après jour, ils donnent un sens à leur vie. Pierre après pierre, ils bâtissent une cathédrale. Même s’il est tentant d’associer les bâtisseurs à des chevaliers, il faut s’en abstenir, car l’époque féodale a été marquée par une importante lutte de classes. Les bâtisseurs ne sont pas meilleurs que les autres. Ils sont peut-être seulement un peu plus engagés que la majorité et c’est ce qui leur permet de fournir un effort constant. Ils ne recherchent le pouvoir que si leur entourage peut en retirer des avantages aussi grands que ceux qu’ils retirent pour euxmêmes. Si vous utilisez à bon escient les informations contenues dans ce livre, j’ai la conviction que vous pourrez faire une différence dans votre milieu de vie, peu importe le niveau où vous choisirez de mettre vos nouvelles compétences en application. Le simple fait d’agir en bâtisseur avec vos enfants et votre entourage peut générer des résultats sur245

prenants. Peut-être que vos enfants, inspirés par votre exemple, feront une découverte qui va changer à jamais l’humanité. Peut-être vont-ils fonder une famille magnifique. Peut-être réussiront-ils dans les deux domaines. Pourquoi pas ? Si c’est face à vous-même que vous vous engagez, vous accomplirez ce que chaque humain devrait faire, c’est-à-dire devenir celui qu’il mérite d’être. C’est là une merveilleuse façon de s’inscrire dans le changement et de participer à l’évolution. Si vous choisissez d’être un bâtisseur dans votre vie professionnelle, rappelez-vous que vous n’avez pas à fonder une multinationale ou à partir en mission pour démontrer votre utilité. Souvent, il suffit d’un tout petit changement pour en susciter un autre beaucoup plus grand. Si vous occupez un poste de responsabilité, le fait d’être un bâtisseur vous sera très utile. Vous pourrez contribuer à relever les défis qui attendent notre société. Nous devons, en effet, changer profondément nos institutions financières, sociales et politiques pour les adapter à un monde de plus en plus changeant et de moins en moins cloisonné. Nous devons façonner collectivement le troisième millénaire si nous voulons que nos rêves d’aujourd’hui deviennent la réalité de demain.

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Bibliographie ANDREAS, Steeve, et Connirae ANDREAS. Change your Mind and Keep the Change, Moab, Real People Press, 198 DE ROSNAY, Joël. L’homme symbiotique : regards sur le troisième millénaire, Paris, Éditions du Seuil, 1995. DE SHAZER, Steve. Putting Difference to Work, New York, Norton, 1991. DILTS, Robert, et Gino BONISSONE. Skills for the Future : Managing Creativity and Innovation, Cupertino, Meta Publication, 1993. DILTS, Robert B., Todd EPSTEIN, et Robert W. DILTS. Tools for the Dreamers : Strategies for Creativity and the Structure of Innovation, Cupertino, Meta Publication, 1991. EFRAN, Jay S., Lukens, MD., Lukens, RJ. Language structure and change : Frameworks of meaning in psychotherapy, New York, Norton, 1990. GAGNON, Gilbert. Au cœur de l’identité : nouvelles applications de la P.N.L., Saint-Zénon, Louise Courteau, 1996. GELL-MANN, Murray. Le quark et le jaguar : voyage au cœur du simple et du complexe, Paris, Albin Michel, 1995. GROF, Stanislav., Bennett, Halzina. The holotropic mind, San Francisco, Harper Collins, 1993. HUDSON O’HANLON, William, et Michele WEINER-DAVIS. In Search of Solutions : a New Direction in Psychotherapy, New York, Norton, 1989. LYNCH, Dudley, et Paul L. KORDIS. La stratégie du Dauphin : les idées gagnantes du 21e siècle, Montréal, Les éditions de l’homme, 1994. PFALZGRAF, René. NLP : What to do When, 1992. Audiocassettes. ROBBINS, Anthony. L’éveil de votre puissance intérieure, Montréal, Le Jour éditeur, 1993. 247

SIEGEL, Bernie. L’amour, la médecine et les miracles, Paris, Éditions Robert Lafont, 1989. TALBOT, Michael. The Holographic Universe, New York, Harper Perennial, 1992. WALDROP, M. Mitchell. Complexity, New York, Touchstone, 1993. Mon site portant sur la programmation neurolinguistique. Http://pages.infinit.net/ggpnl Les boids en direct... http://www.cse.unsw.edu.au/~conradp/java/Boids/example.html Site de Joël de Rosnay portant sur le troisième millénaire. http://194.199.143.5/derosnay/index.html Liens portant sur les nouvelles sciences de la complexité (incluant la théorie du chaos) et sur leurs applications. http://www.c3.lanl.gov/~joslyn/syssci.html http://www.calresco.org/links.htm http://www.fastcompany.com/online/03/oticon.html http://www.emergent.net http://www.orgmind.com/chaos/ http://www.ndu.edu/ndu/inss/books/complexity/ http://pw2.netcom.com/~nmerry/post1c.htm http://emergence.org/ http://www.acm.org/sigois/auto/Main.html Si vous souhaitez me faire part de vos commentaires et questions ou si vous désirez connaître le calendrier des ateliers de formation portant sur les démarches présentées dans ce livre, vous pouvez me joindre à l’une ou l’autre des adresses suivantes : Gilbert Gagnon 2838, Faraday Jonquière (Québec) G7S 2G7 [email protected] [email protected] 248

Du même éditeur Allaire Patrick, Dérapage, essai. Barcelo Joseph-Pierre, Les chenets du roi, roman d’époque. Beaulieu Florent, La véritable identité du célèbre inconnu ou comment devenir un saint, conte urbain. Bernier Florian, Je suis responsable de ma vie, croissance personnelle. Bolduc Marguerite, La Grand-Rue, roman. Bradley, Richard, À l’école les enfants, récit. Caron-Sirois Étiennette, Un secret bien gardé, roman. Cofsky Louise, Mal de père, roman. Couture-Baumgartner Madeleine, Un regard en arrière, récit. Cotté Mario, L’aurore boréale, roman. Desjardins Georgette, r.h.s.j., Les Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph au Madawaska, 1873-1973, documentaire. Francœur Mélanie, Soie rouge et dentelle blanche, roman. Gagnon Thérèse, Eugénie raconte... la préparation à la vie, croissance personnelle. Gagnon St-Laurent Danielle, N’importe quoi pour de l’$..., théâtre. Gibar Esther, Jasmin sur barbelés, récit. Gosselin Isabelle, Un jour, Lucie a compris..., roman. Guimond France, À Marfil où qu’il soit, lettre fabuleuse. Lalonde Yannick, Passeport pour la liberté, roman. Lamarche Marie-Paule, Cœur tourmenté, roman. Lapierre-Lacasse Élaine, Se battre ou s’abattre, témoignage. Laroche Bernier Thérèse, Empreinte, roman. Leduc Normand, Sens dessus dessous, croissance personnelle. Légaré Clairette et Dominique, L’hiver de la peur, roman. Légaré Clairette et Dominique, L’héritage qui fit des vagues, roman. Levesque Diane, Un long parcours dans l’épreuve... espoir de guérison, témoignage. Lévesque Réjean, Hommage aux célèbres frères Baillargeon, documentaire. 249

Matte Gérard, Un médecin se raconte Vivre à l’Isle-aux-Coudres 1950-1985, témoignage. Michaud Guy R., Sur les ondes... et après, chroniques. Mimeault-Lavoie Jovette, Elle était si jolie... il a volé son enfance, témoignage. Naud Guy, Le chant du hibou, roman. Paradis Kathy / Gagnon Laval, La tournée des vieux moulins à vent du Québec, documentaire. Pineault Suzanne, Tendres souvenirs à la campagne, récit. Provencher Carl, Murmures du cœur, poèmes. Roy Michel, Une présence qui devient transparence, spiritualité. Roy-Côté Janine, Mes oiseaux de rivage, récit. Schwarz Wilhelm, Modèles d’hommes, essais, satires et polémiques. Simard Janine, La saveur des jours, contes. Talbot Raynald, Albéric Migneault – flic dans la moelle, roman. Trudel Mazerolle Lyse, Je dis oui à la vie, témoignage. Trudel Thérèse, Berthier-sur-Mer — Havre de paix, poèmes et photographies en couleurs. Turcotte Marie-Reine, Paula, roman. Vallée Prudent, Ça prend du fumier pour faire pousser les fleurs, roman. COLLECTION L’ENCRE DES MOTS (POÉSIE) Boulet Suzie, Sculpturales marées. Larocque-Nolin Hélène, La main d’Aube. Olivier Jean-Guy, Millénaire zéro. LIVRES DE PAROISSE Cap-Saint-Ignace, 25 ans d’histoire, 1970-1995 Sainte-Félicité, 1945-1995 Saint-Jean-de-Dieu, 1873-1998 Saint-Paul-de-la-Croix, 1872-1997 Saint-Lazare-de-Bellechasse, 1849-1999 Sainte-Françoise, 125 ans d’histoire Saint-Magloire-de-Bellechasse, monographie, 3e édition.

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