Normes comptables : la Commission ouvre enfin les ...

Tous droits réservés - Les Echos 30/1/2013 P.Idees & debats. LE POINT ... manque pas de sel quand on sait que le ... vision, un acte évidemment proscrit.
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Tous droits réservés - Les Echos 30/1/2013 P.Idees & debats

LE POINT DE VUE de Jean-Luc Decornoy

C

’est une information du « Daily Telegraph » qui est largement passée inaperçue. Selon le quotidien britannique, la Commission européenne aurait promis, en réponse à une lettre secrète envoyée par neuf groupes d’investisseurs anglais, de procéder dès cette année à une revue des normes comptables internationales (les célèbres IFRS). Nombre d’experts britanniques reprochent en fait à ces normes de permettre aux entreprises, et en particulier aux banques, de surévaluer leurs profits en différant la constatation de perte de valeur de certains actifs. Ce qui porterait préjudice aux actionnaires et troublerait l’évaluation des entreprises – déstabilisant même l’« équilibre macroéconomique du pays », rien que ça ! On ne saurait disconvenir que les nouvelles normes comptables sont loin, très loin d’être idéales : j’ai moimême suffisamment tiré la sonnette d’alarme sur ce point depuis quelques années… Il n’empêche : que les investisseurs eux-mêmes les critiquent ne manque pas de sel quand on sait que le basculement vers les IFRS, qui s’est accompagné de tant de peine et de labeur du côté des émetteurs et de leurs auditeurs, visait, précisément, à… « faciliter le bon fonctionnement du marché des capitaux, […] la protection des investisseurs et la préservation de la confiance envers les marchés financiers » (règlement CE no 1606/2002 du 19 juillet 2002, qui ordonne la mise en œuvre des IFRS en 2005) ! Il est singulier que les investisseurs alertent la Commission sur les effets néfastes d’un

Normes comptables : la Commission ouvre enfin les yeux… système comptable justement conçu et mis en œuvre pour préserver leurs intérêts. Mais il y a pire. Car, en donnant bonne suite à cette requête des investisseurs, la Commission européenne, qu’on sait pourtant prompte à donner aux auditeurs des leçons d’indépendance, se retrouverait vis-à-vis d’eux, et d’ailleurs de tous les autres utilisateurs des IFRS, dans une curieuse et inconfortable position. Comment peut-elle,

Les investisseurs critiquent aujourd’hui des normes conçues pour préserver leurs intérêts. Depuis dix ans, on alerte la Commission sur les risques inhérents aux IFRS. en effet, sans se renier, proposer de passer elle-même en revue des normes qu’elle a adoptées ? En langage d’auditeur, cela équivaut à pratiquer l’autorévision, un acte évidemment proscrit par la profession au nom de la déontologie la plus élémentaire. Au-delà, la considération subite de la Commission pour certains risques inhérents aux IFRS ne peut manquer d’étonner quand on sait que, depuis une dizaine d’années, on l’alertait sur le sujet au plus haut niveau sans parvenir àl’ébranler.Auniveaufrançais,Jacques Chirac avait dès juillet 2003 interpellé

le président de la Commission européenne, Romano Prodi, sur le fait que « certaines normes comptables en cours d’adoption dans l’Union européenne risquaient de conduire à une financiarisation accrue de notre économie et à des méthodes de direction des entreprises privilégiant trop le court terme ». Sur le plan opérationnel, il a même été établi que l’application généralisée et indifférenciée du principe de valorisation à la « fair value » n’est pas appropriée dans le cas de marchés non liquides, et qu’elle a indirectement amplifié la crise financière en brouillant la perception de la solvabilité des entreprises, comme celle de leur liquidité. Ce constat a conduit le G20, à Washington en 2008, puis à Londres en 2009, à demander une amélioration des normes comptables, conscient que ces enjeux dépassaient les seuls cadres comptable et financier et menaçaient la stabilité et la croissance économique globale. Hélas, depuis 2008, et en dépit de ces évidences, la Commission européenne a préféré jeter l’opprobre sur plusieurs boucsémissairessuccessifs– lagouvernance des banques, celle des sociétés cotées, le rôle des agences de notation, puis des auditeurs légaux –, plutôt que de s’interroger sur la manière de corriger un défaut réel, mais immanent à son propre système de normes comptables et désormais largement regardé comme l’un des facteurs d’aggravation les plus visibles de la crise. Que de temps perdu !

Jean-Luc Decornoy est président du directoire de KPMG France