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VIvRe ensemBLe BULLETIN DE LIAISON EN PASTORALE INTERCULTURELLE • CENTRE JUSTICE ET FOI

VOLUME 20, N° 67 AUTOMNE 2012

Mesures gouvernementales récentes et stratégies de lutte pour les droits des travailleurs migrants Éugénie Depatie-Pelletier1 La majorité des travailleurs étrangers admis au Canada pour une intégration sur le marché du travail se voit accorder, à l’arrivée, non pas le statut légal de résident permanent, mais bien celui de travailleur étranger temporaire

Au Québec, malgré les modifications réglementaires de 20112, une partie des travailleurs étrangers se voit interdire le changement d’employeur (voir graphique II). Parmi eux, certains seront obligés de résider chez leur employeur ou à l’endroit désigné par ce dernier pour pouvoir conserver le droit de travailler au Québec (secteur agricole) ou pour accéder plus tard au statut permanent (secteur des services domestiques). Les travailleurs en emplois « peu spécialisés » ne

sont pas admissibles aux procédures de permis de travail et d’études pour le conjoint et les enfants. Ils sont aussi non-admissibles aux procédures de demande de statut permanent à partir de l’étranger ou après 12 mois de travail au Québec. De plus, les travailleurs occupant un emploi de main-d’œuvre agricole sont en outre forcés, par l’administration québécoise, d’accepter un contrat de travail accordant à l’employeur ou à l’agence de placement le privilège de provoquer, le

cas échéant, en 24 heures le rapatriement dans le pays d’origine, ou l’exclusion future du programme de travail temporaire au Canada. Compte tenu de ces mesures restrictives 3 appliquées par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec (MICC), la Commission des droits de la personne et de la jeunesse (CDPDJ) a conclu, dans un avis juridique daté de décembre 20114, que le gouvernement actuel viole le droit à l’égalité de certains travailleurs migrants dans l’exercice de leurs droits et libertés fondamentales - notamment dans l’exercice de leur droit à la liberté, de leur droit à des conditions de travail qui respectent la santé et l’intégrité physique et psychologique, de leur liberté d’association syndicale et autre. De plus, la Commission reconnaît que les programmes d’immigration permanente du MICC sont susceptibles de violer le droit de ces travailleurs à ne pas être discriminés sur la base de leur condition sociale. En effet, malgré une croissance anuelle des admissions de

vail des autres travailleurs québécois pouvant y être associée. La violation systémique fédérale des droits et libertés des travailleurs migrants

travailleurs étrangers en vue d’un emploi dans le secteur agricole et dans celui des services domestiques, l’expérience pertinente pour ces types d’emploi n’est pas valorisée dans la grille de sélection pour l’octroi du statut permanent à l’arrivée. De plus, contrairement aux travailleurs étrangers temporaires en emploi spécialisé, ces travailleurs étrangers en emploi « peu spécialisé » ne sont pas invités à venir avec enfants et conjoint ni à demander le statut permanent après 12 mois de travail au Québec. Mobilisation au Québec à la suite de l’identification de cette discrimination systémique

Après la dénonciation par la CDPDJ des principaux éléments normatifs à la base de la discrimination des travailleurs migrants par le gouvernement du Québec, les associations communautaires et les organisations de défense de droits et fédérations syndicales se sont regroupées au sein de la Coalition pour l’abolition de la discrimination systémique des travailleurs migrants (CADIM) afin

de se préparer, d’une part, à une bataille judiciaire visant à forcer le gouvernement du Québec à suivre les recommandations de la CDPDJ et à rendre son traitement des travailleurs migrants respectueux de la Charte québécoise et, d’autre part, à une campagne publique visant à faire connaître à la population québécoise les principaux éléments de discrimination systémique qui constituent des obstacles, pour les travailleurs migrants, à l’exercice des droits et libertés fondamentales. De plus, l’unité de recherche Réseau d’études des dynamiques transnationales et de l’action collective (REDTAC-(im)migration) du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM) tiendra un séminaire le 7 décembre prochain afin d’évaluer dans quelle mesure le préjudice systémique touchant les travailleurs migrants peu spécialisés au Québec a ou est en train d’être documenté. Ce séminaire étudiera dans quelle mesure les restrictions gouvernementales concernant ces personnes peuvent être considérées justifiées, compte tenu du préjudice causé et de la pression à la baisse générale sur les conditions de tra-

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Des mesures restrictives équivalentes sont appliquées par le gouvernement fédéral dans les autres provinces à l’égard des travailleurs étrangers peu spécialisés5. Malgré des critiques importantes formulées en 2009 par le Comité permanent sur la citoyenneté et l’immigration de la Chambre des Communes du Canada, notamment au niveau de l’interdiction de changer d’employeur, de l’obligation de résider chez l’employeur et du non-accès à la résidence permanente6, le gouvernement Harper a réformé en 2010 le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires, mais sans modifier la nature des obstacles administratifs à leur accès à la justice au Canada7. Au cours des derniers mois, le fédéral a décidé de simplifier les procédures pour les employeurs qui ont déjà embauché des travailleurs étrangers sous permis restrictifs. Cette dernière mesure ne s’applique pas au Québec, mais le MICC a par ailleurs décidé d’exempter de l’effort de recrutement initial auprès de la main-d’œuvre québécoise les employeurs québécois visant à combler certains types de postes (44 occupations spécifiques, y compris directeur des ressources humaines, directeur du marketing et enseignant au secondaire).

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Mobilisation au Canada pour l’abolition de la discrimination systémique

Une large campagne a été lancée par le Conseil canadien pour les réfugiés afin de réformer les programmes de travailleurs migrants de façon à leur garantir l’accès au statut de résident permanent et aux programmes d’accueil et d’intégration pour les nouveaux arrivants au Canada. En parallèle, les dernières modifications du Programme des travailleurs étrangers temporaires par le gouvernement conservateur ont fait l’objet de critiques publiques sévères de la part des organisations syndicales et non-gouvernementales suivantes : Congrès du travail du Canada, Alberta Federation of Labour, Canadian Auto Workers, Kairos et Migrante Canada. Ces derniers remettent notamment en question les méthodes d’identification des pénuries de travailleurs et de calcul du salaire à offrir aux travailleurs étrangers par les employeurs canadiens. Finalement, d’autres réseaux informels, en particulier DroitsTravailleursMigrants-Canada, travaillent actuellement à rédiger en priorité un projet de loi fédéral qui pourrait être déposé par l’opposition officielle, de façon à assurer non pas l’abolition des programmes de travailleurs migrants, mais bien l’abolition de leurs éléments discriminatoires tels que : l’interdiction de changer d’employeur, l’obligation de résidence chez l’employeur pour accéder au statut permanent, le non-accès au programme d’accompagnement par enfants et conjoint, le non-accès au programme de demande de statut permanent, le privilège d’employeurs agricoles de

demander le rapatriement des travailleurs à leur emploi et l’impunité des employeurs profitant des agents de placement et de recrutement qui abusent des travailleurs migrants au Canada ou à l’étranger. En conclusion, si les aspects des programmes de travailleurs étrangers temporaires à la base de la discrimination systémique des travailleurs migrants au Québec et au Canada n’ont jamais fait l’objet d’une contestation judiciaire en vertu de la Charte québécoise ou en vertu de la Charte canadienne, le développement exponentiel, durant la dernière décennie, de l’embauche de travailleurs sous interdiction de changer d’employeur a toutefois permis la mise à jour de l’exploitation et des abus dont ces derniers sont victimes au quotidien. S’il est possible de douter, compte tenu de la force de l’organisation des lobbys d’employeurs agricoles et autres, qu’une population même bien informée de cette réalité serait en mesure de forcer les gouvernements fédéraux et provinciaux à respecter les droits et libertés fondamentales de ces personnes, l’état actuel des résultats de recherche nous permet néanmoins de conclure que ces mesures discriminatoires ne résisteraient pas à une éventuelle contestation constitutionnelle. Reste à voir si, ultimement, une reconnaissance officielle de la violation actuelle des Chartes québécoise et canadienne sera suffisante pour convaincre les gouvernements du Québec et du Canada de réformer ces programmes de façon à permettre un respect réel des droits à la liberté, à la dignité humaine et à l’accès à la justice pour tous les travailleurs migrants. ●

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1 Coordonnatrice - CÉRIUM/ REDTAC-(im)migration/travailleurs étrangers temporaires. Candidate au doctorat à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. 2 Eugénie Depatie-Pelletier, (2011). «Normes du MICC pour l’embauche de travailleurs étrangers temporaires (ou comment éviter l’application des lois du travail au Québec en 2011)». Mistreatment of Temporary Foreign Workers in Canada: Overcoming Regulatory Barriers and Realities on the Ground. E. Depatie-Pelletier and K. Kahi. Montréal, Centre Métropolis du Québec, 2011, WP CMQ-IM no 45: 144-165. 3 Puisque ces mesures restrictives se combinent dans certains cas, le régime québécois viole possiblement la Convention de l’ONU sur les pratiques analogues à l’esclavage : Eugénie Depatie-Pelletier, «Sous pratiques analogues à l’esclavage selon les termes de la convention de l’ONU : les travailleurs étrangers « temporaires » « non blancs » dans les professions « peu spécialisées » au Canada». 10e Conférence Metropolis Nationale, Halifax, 2008. 4 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse , La Discrimination systémique à l’égard des travailleuses et travailleurs migrants, Montréal, 2012. 5 Eugénie Depatie-Pelletier, Synthèse du cadre normatif règlementant l’admission et l’intégration au Canada des travailleurs étrangers temporaires, 2008. 6 Comité permanent de la citoyenneté et l’immigration de la Chambre des Communes du Canada, Les Travailleurs étrangers temporaires et les travailleurs sans statut légal, 2009. 7 Eugénie Depatie-Pelletier, (2011). «2011 Federal Reform: Making the Canadian Migrant Workers Pay If Employer Found Abusive». Mistreatment of Temporary Foreign Workers in Canada: Overcoming Regulatory Barriers and Realities on the Ground. E. DepatiePelletier et K. Kahi. Montréal, Centre Métropolis du Québec, 2011, WP CMQ-IM No 45: 7-26.

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