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sans cruauté; mais les données qui précisent les raisons de ... antimicrobien ou au sein d'un système de gestion ne ..... l'acquisition et la transmission de RAM.
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L’utilisation des antimicrobiens et la résistance chez les porcs et les poulets Une revue de la science, des politiques et des pratiques de contrôle – Bilan de l’élevage à l’abattage

Préparé par :

Rosengren Epidemiology Consulting Ltd. Leigh Rosengren Sheryl Gow Scott Weese Avec la participation de : Jamie Sofoifa Ashley Spencer Cheryl Waldner Novembre 2009

L’utilisation des antimicrobiens et la résistance chez les porcs et les poulets Une revue de la science, des politiques et des pratiques de contrôle – Bilan de l’élevage à l’abattage Leigh B. Rosengren1, Sheryl P. Gow 2, J. Scott Weese3 1

Rosengren Epidemiology Consulting Ltd., 2 Agence de la santé publique du Canada, 3 Université de Guelph

Résumé Au cours d’un siècle, l’évolution des antimicrobiens est passée d’une panacée contre les infections bactériennes à un outil en voie de disparition en raison de la résistance croissante. Les bactéries résistantes chez les animaux représentent une source de résistance aux antimicrobiens (RAM) pour les personnes et le lien privilégié qui existe entre les Canadiens et les animaux se trouve dans l’alimentation quotidienne. Le présent rapport résume et évalue les connaissances scientifiques et les politiques pertinentes à l’échelle mondiale sur la résistance aux antimicrobiens (RAM) et sur l’utilisation des antimicrobiens (UAM) chez les porcs et les poulets. Cet ouvrage servira de document de référence au secteur de la santé publique, aux responsables de règlements et de politiques agricoles, et on espère qu’il suscitera de vives discussions à l’intérieur et à l’extérieur de ces groupes. Il se pourrait que les praticiens de la santé publique y trouvent des renseignements utiles pour ce qui est des risques notables posés par la RAM à la population canadienne liés à l’alimentation et à l’agriculture. Les principales recherches et lacunes en matière de politique qui portent atteinte à notre capacité de contrôler ce problème ont été définies. Il est indéniable que les bactéries résistantes aux antimicrobiens peuvent être transmises aux personnes qui consomment des aliments d’origine animale. Ce qui est moins certain c’est la fréquence de la transmission de bactéries pathogènes et commensales aux êtres humains et de savoir si ces bactéries provoquent des maladies ou transmettent

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des éléments de résistance aux bactéries chez les personnes. Un écart des savoirs connexe se veut l’effet de l’UAM sur les montants relatifs qu’on trouve dans les animaux et les êtres humains, et comment les montants de chaque groupe contribuent à la RAM chez les êtres humains. Les projets de recherche futurs devraient développer la recherche actuelle sur les deux extrémités du continuum de la ferme à la table. On pourrait parvenir à un tel objectif en étudiant les répercussions sur la santé entraînées par les bactéries résistantes et en étudiant les raisons pour lesquelles les producteurs, les nutritionnistes et les vétérinaires utilisent les antimicrobiens aussi bien que les facteurs qui influent sur leurs décisions. Cette recherche devrait être jumelée aux études sur l’évaluation de diverses pratiques agricoles en milieu réel dont l’une serait l’UAM pour déterminer le taux et la gravité des maladies d’origine alimentaire, en général, et les infections causées par des bactéries résistantes, en particulier. En développant nos connaissances sur la salubrité des aliments à la ferme, nous pourrons donc élargir les politiques et les interventions en passant d’une approche axée sur l’UAM et sur la RAM à une approche qui nous permettrait d’améliorer de façon globale la salubrité des aliments. Les antimicrobiens constituent un outil nécessaire aux soins vétérinaires appropriés des animaux destinés à l’alimentation. Sans doute, certaines utilisations des antimicrobiens pourraient être supprimées dans le cadre de l’élevage des animaux sans cruauté; mais les données qui précisent les raisons de l’utilisation spécifique d’antimicrobiens et les effets possibles de leur utilisation sont

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limitées, donc l’évaluation du caractère approprié de l’UAM agricole est une question qui suscite des débats. Par exemple, l’UAM qui permet d’améliorer la productivité n’est pas nécessaire au traitement adéquat des animaux. Pourtant, on pourrait soutenir que l’utilisation prophylactique et métaphylactique le serait. L’industrie agricole et les personnes chargées de la réglementation doivent continuer d’aborder ce problème ensemble pour faire en sorte que les politiques de l’UAM puissent maintenir une utilisation appropriée assurant ainsi la production d’aliments sains et l’élevage des bestiaux sans cruauté tout en éliminant les pratiques de l’UAM inappropriées sans nuire à la viabilité économique de l’industrie. Il est incontestable que l’UAM cause la RAM. Par contre, il est tout aussi incontestable que le rapport entre l’UAM et la RAM est complexe. Il est clair que l’utilisation de certains antimicrobiens chez certaines espèces dans certaines situations entraîne une résistance chez certaines bactéries. Cependant, ce qui se produit chez une espèce animale, une bactérie, un antimicrobien ou au sein d’un système de gestion ne se produit pas forcément chez d’autres. Les données probantes qui indiquent une augmentation de la résistance avec une UAM accrue sont beaucoup plus concluantes que celles qui indiquent la diminution de la résistance avec l’abandon de l’utilisation. Nous avons une compréhension rudimentaire des pressions sélectives complexes de la résistance chez le bétail, du taux de transmission de la RAM entre animaux et êtres humains, et des pratiques de gestion qui aident ou qui entravent l’émergence et le caractère rémanent de la résistance à la ferme. Un tel écart des savoirs fait que l’évaluation des risques posés par l’UAM chez les animaux à la santé publique se veut un sujet de discussion qui se prête au débat d’idées. Par conséquent, les interventions axées sur des données probantes sont imprécises et controversées. Le contact qui résulte du voyage et de l’échange fait de la RAM un problème mondial chez les personnes et les animaux. Les organismes internationaux appuient les solutions nationales à cette question mondiale en adoptant des lignes directrices

judicieuses sur l’UAM, des stratégies de surveillance et des techniques d’évaluation des risques normalisée. Sur le front domestique, le Canada administre un programme de surveillance intégré sur l’UAM et sur la RAM chez les êtres humains et dans les principaux produits carnés. Ce programme, en plus d’une communauté de recherche active, fournit une base scientifique aux représentants gouvernementaux et aux stratèges de l’industrie pour leur permettre de trancher des décisions. Une étude minutieuse de nos règlements liés aux drogues vétérinaires a donné une politique provisoire et des modifications réglementaires permettant de mettre fin à l’accès inapproprié aux antimicrobiens ainsi que leur utilisation inappropriée, mais le processus s’est avéré lent et il reste beaucoup d’autres progrès à réaliser. Il incombe au gouvernement canadien d’assurer la santé des Canadiens au moyen de politiques et de règlements pour assurer une production alimentaire salubre. Le gouvernement doit s’acquitter de cette responsabilité tout en appuyant une industrie des productions animales durable qui est en mesure de produire des aliments d’une façon qui tient compte des principes financiers et de l’environnement. Cette tâche demande un engagement continu relatif à une politique axée sur les données probantes et à l’importance de faire valoir aux autres pays de faire de même. Il n’y a aucun doute que l’UAM qui n’est pas nécessaire ou appropriée est présente dans le domaine de l’agriculture. Actuellement, il n’existe aucune formation judicieuse sur l’UAM à l’intention des producteurs ou des nutritionnistes. Il existe un besoin urgent en matière de formation à l’intention des personnes qui sont responsables d’une grande part de l’UAM dans le secteur agricole au Canada. Toujours est-il que les bonnes nouvelles du secteur de l’industrie éclipsent souvent les préoccupations sur l’UAM inappropriée. Il y a eu des avancées dans la santé animale réalisées par les domaines de l’agriculture et de la médicine vétérinaire qui réduisent leur dépendance sur les antimicrobiens. Les éleveurs de bestiaux ont adopté volontiers les améliorations réalisées en matière de technologie relative à l’hygiène, à l’alimentation et aux vaccins.

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La biosécurité permet aux bandes et aux troupeaux de rester à l’abri des maladies endémiques au sein de l’industrie - des maladies que l’on contrôlait anciennement à l’aide d’antimicrobiens. Les groupes de producteurs ont adopté une approche proactive pour ce qui est de la salubrité des aliments. Les éleveurs de poulets et de porcs ont eux-mêmes mandaté des programmes de salubrité des aliments à la ferme. Ces programmes appuient les pratiques de gestion exemplaires et l’UAM appropriée. Parallèlement à ces améliorations agricoles, l’industrie de l’abattage et de transformation de la viande a fait des progrès considérables dans la réduction de la contamination bactérienne de la viande. En Amérique du Nord, le taux des maladies d’origine alimentaire a baissé suite à la mise en œuvre de systèmes d’analyse des risques et de maîtrise des points critiques (HACCP) au sein des abattoirs et des usines de transformation. Sans doute, ces interventions ont diminué le fardeau des maladies d’origine alimentaire liées aux bactéries résistantes chez les personnes, mais elles n’ont pas été quantifiées étant donné que notre surveillance se termine à « la table » plutôt qu’aux répercussions sur la santé. Bien que des progrès importants aient été réalisés, il reste toujours beaucoup de travail à effectuer. Nous avons recommandé une recherche continue, mais nous reconnaissons également qu’une telle recherche n’a pas d’effets s’il n’y a pas d’améliorations à la gestion du savoir. Nous devons trouver des techniques novatrices qui nous permettraient d’assimiler de façon systématique l’immense volume de recherche divergente, d’assurer que les conclusions de la recherche soient évaluées dans leur contexte et de distribuer les

données de sortie contextualisées aux praticiens et aux responsables des politiques. À part cela, les principales recommandations du présent rapport sont les suivantes : • trouver des projets de recherche sur l’efficacité des interventions et les appuyer, y compris, sans s’y limiter, l’abandon de l’UAM dans le but d’atténuer la RAM actuelle; • trouver des projets de recherche qui développent l’approche actuelle « de la ferme à la table » et les appuyer dans le but d’expliquer les répercussions diverses sur la santé humaine; • recommander des règlements justes et transparents sur les drogues vétérinaires, sur la surveillance mondiale de la RAM et de l’UAM axée sur des données probantes scientifiques, sur l’évaluation des risques et sur une précaution adéquate qui assureraient des marchés libres et ouverts de produits carnés sains; • modifier les règlements sur les drogues vétérinaires du Canada dans le but d’assurer une UAM judicieuse et sécuritaire tout en acceptant de s’engager dans une évaluation transparente des politiques; • offrir une formation sur l’utilisation des antimicrobiens aux producteurs et aux nutritionnistes; • favoriser une collaboration novatrice faisant intervenir les personnes chargées de la réglementation, les responsables de la santé publique et les représentants de l’industrie agricole.

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Table des Matières Résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . i Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 Méthodes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Chapitre 1 : Les dangers de la résistance aux antimicrobiens chez les bactéries d’origine alimentaire. . . . . . . . . 8 Introduction aux aspects écologiques de la résistance aux antimicrobiens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 RAM chez les bactéries d’origine alimentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Bactéries zoonotiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Bactéries commensales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 Bactéries de second plan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 Nouveaux enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 Chapitre 2 : Utilisation d’antimicrobiens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Considérations d’ordre général, terminologie et bien-fondé de l’UAM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Estimations de l’utilisation d’antimicrobiens dans l’industrie de l’élevage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Utilisation d’antimicrobiens : Voies d’administration, antimicrobiens et raisons d’utilisation . . . . . . . . . . . . . . . 39 Lien entre l’utilisation d’antimicrobiens chez le porc et la volaille et la résistance aux antimicrobiens . . . . . . . 43 Lacunes dans les connaissances et difficultés liées à la compréhension des effets sur la santé humaine de l’utilisation d’antimicrobiens chez les animaux d’élevage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Chapitre 3 : Aperçu de la résistance aux antimicrobiens ou programmes de surveillance et politiques subséquentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Réponse des organisations internationales à la RAM dans le domaine agricole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 Politique, stratégie, réglementation et législation visant à répondre au problème de la RAM dans le domaine agroalimentaire en Europe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Surveillance et contrôle de la résistance aux antimicrobiens et de leur utilisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 Chapitre 4 : Interventions dans le domaine agricole et agroalimentaire visant à diminuer les effets sur la santé humaine de la résistance bactérienne aux antimicrobiens chez le porc et le poulet . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Production de poulet et de porc et industries connexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Systèmes d’analyse des risques et de maîtrise des points critiques (HACCP) : à la ferme et à l’abattoir. . . . . 81 Programmes de salubrité des aliments à la ferme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82 Lignes directrices sur l’utilisation prudente d’antimicrobiens ������������������������������������������������������������������������������ 83 Solutions de rechange aux antimicrobiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Meilleures pratiques de gestion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 Abattage et transformation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 Chapitre 5: Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Principales recommandations et besoins en matière de connaissances. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106 Annexe 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

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Introduction On pourrait soutenir que l’une des plus importantes découvertes en médecine a été la mise au point des antimicrobiens. C’est uniquement depuis le début de « l’ère des antibiotiques » que la médecine humaine et la médecine vétérinaire sont bien outillées pour traiter avec succès diverses maladies bactériennes. L’introduction des antimicrobiens a eu des effets importants sur la morbidité et la mortalité des patients, et elle a marqué le début d’une période de grand optimisme. En fait, l’optimisme était si grand qu’en 1967, le Directeur du Service de santé publique des États-Unis a déclaré qu’il était « temps de tirer un trait sur les maladies infectieuses »(1). En rétrospective, des déclarations comme celle-là semblent ridicules puisque nous faisons actuellement face au retour du balancier. Certaines personnes ont soulevé des inquiétudes à l’effet que la fin de « l’ère des antibiotiques » pourrait être proche, et ces personnes se sont demandé si l’émergence d’agents pathogènes multirésistants représente une « guerre impossible à gagner »(2,3). Comme dans la plupart des cas, la réalité se situe probablement quelque part entre ces deux situations extrêmes, mais les préoccupations à l’égard de l’émergence et de la transmission d’agents pathogènes résistants aux antimicrobiens chez les humains et les animaux sont considérables. C’est peu de temps après que l’utilisation des antimicrobiens soit devenue largement répandue que la résistance aux antimicrobiens est apparue chez les agents pathogènes humains. D’un point de vue biologique, il n’y avait aucune raison de croire que la réponse des bactéries chez les animaux serait différente en cas d’exposition à des antimicrobiens; en effet, l’utilisation d’antimicrobiens chez les animaux a certainement mené à l’apparition et à la dissémination de résistances aux antimicrobiens (RAM) chez divers agents pathogènes animaux et organismes commensaux. Il est irréfutable que l’utilisation des antimicrobiens (UAM) est un composant clé du développement de RAM. Cependant, il est également clair qu’il n’y a pas de relation simple et constante entre l’UAM et la RAM.

L’utilisation de certains antimicrobiens chez certaines espèces et dans certaines situations entraîne clairement une résistance chez certaines bactéries. Cependant, ce qui se produit chez une espèce animale, une bactérie, un antimicrobien ou au sein d’un système de gestion ne se produit pas forcément chez d’autres, ce qui illustre la complexité du domaine. Les précédents efforts visant à contrôler la RAM et fondés uniquement sur l’UAM ont débouché sur différents résultats en raison de cette variation biologique complexe et plutôt imprévisible, ce qui souligne la nécessité de mener des études détaillées interdisciplinaires (et internationales) afin de traiter cette question de façon optimale. L’utilisation des antimicrobiens chez les animaux et l’identification subséquente de RAM chez les agents pathogènes et les bactéries commensales ont soulevé de nombreuses inquiétudes. Les inquiétudes les plus importantes ont trait à la possibilité que l’UAM chez les animaux se traduise en RAM chez les agents anthropopathogènes. Pour la plupart des gens, le contact le plus étroit qu’ils ont avec le bétail a lieu par la manipulation et la consommation d’aliments, et ce contact est généralement la principale voie d’exposition des humains aux bactéries provenant d’animaux destinés à l’alimentation. Tandis que la RAM augmente chez les animaux et que les bactéries résistantes contaminent les aliments, la probabilité que des humains soient exposés à de telles bactéries augmente. Cependant, bien qu’il soit possible qu’une UAM mène à une RAM et que la présence de bactéries résistantes chez les animaux cause des infections chez l’humain, il s’avère problématique de définir en quoi consiste une telle « possibilité » en termes d’incidence et de risque réels. Nous avons besoin de plus de renseignements objectifs pour quantifier le risque sur la santé et pour élaborer des mesures d’intervention liées à la transmission de bactéries résistantes chez les humains par l’entremise d’aliments. Une approche élargie doit être mise au point pour prendre en charge la relation entre l’UAM et la RAM, car ce sujet est en constante évolution sur le plan des pratiques de gestion, de l’UAM, de la distribution des

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agents pathogènes, des méthodes de surveillance et des techniques de recherche. Le présent document donne un aperçu des questions, préoccupations, recherches, politiques, règlements, stratégies et lois ayant trait à l’UAM et à la RAM chez les porcs et la volaille, et il présente une évaluation des lacunes importantes du point de vue des connaissances et des efforts déployés. En ayant recours à l’examen et à l’évaluation critique de la documentation scientifique relative à la recherche, aux politiques et aux stratégies pertinentes pouvant être ou ayant été utilisées pour aborder la RAM chez les porcs et la volaille, de même qu’en consultant des experts en la matière, ce document suit une approche par étapes pour comprendre et évaluer ce sujet. La première étape consiste à effectuer une description fondamentale de la RAM du point de vue écologique, incluant les mécanismes de résistance et les moyens d’acquisition ou de transmission de résistance, afin de fournir le contexte scientifique requis en vue de faire l’évaluation de ce domaine. Il est essentiel de comprendre les zoopathogènes les plus préoccupants sur le plan de l’UAM et de la RAM chez les porcs et la volaille, mais il est également indispensable de reconnaître le rôle de la microflore commensale dans l’acquisition et la transmission de RAM. Les bactéries zoonotiques les moins préoccupantes sont également abordées, tout comme le rôle potentiel de certains agents pathogènes émergents pouvant représenter des préoccupations importantes pour les industries porcine et avicole. Ce document présente aussi une description des pratiques actuelles et historiques en matière d’utilisation des antimicrobiens chez le bétail, notamment sur la justification de l’utilisation des antimicrobiens et sur la façon dont ils sont administrés. La solidité des preuves sur le caractère approprié de l’UAM dans les exploitations d’élevage est également évaluée dans ce document. Le prolongement logique de cette approche consiste à fusionner les deux sujets initiaux et à évaluer les liens entre l’UAM et la RAM chez la volaille et les porcs. De fait, un élément important de ce sujet est l’évaluation critique de la documentation scientifique actuelle afin d’aborder la question contestée suivante : dans quelle

mesure l’UAM chez les porcs et la volaille contribue-telle à la RAM chez les agents anthropopathogènes? Différentes politiques, règlementations et lois ont été élaborées ou adoptées en vue de contrôler l’UAM et la RAM, avec différents degrés de preuves et d’efficacité. La complexité du domaine, les différentes perspectives et l’absence de données objectives dans de nombreux domaines clés ont entretenu la polémique à propos des méthodes de contrôle antérieures, actuelles et proposées. Ce document présente également les divers organismes touchés par l’UAM et la RAM ainsi que leur rôle, ce qui comprend les organismes internationaux et les systèmes nationaux. De plus, les activités de surveillance de ces groupes sont aussi comparées. Les approches variées utilisées par les groupes soulignent les différences quant aux préoccupations, aux perceptions, aux ressources et au leadership au sein des différent pays et organismes. La structure et le fonctionnement des systèmes actuels sont importants pour l’évaluation des pratiques actuelles. Ce document met particulièrement l’accent sur la perspective canadienne, notamment pour ce qui est de la surveillance, de la responsabilité réglementaire en matière d’UAM et de RAM, des pratiques et questions réglementaires actuelles et des forces et faiblesses établies au sein de ce système. Bien que les données objectives sur les liens entre l’UAM et la RAM soient variables et que l’information sur des interventions efficaces soit sporadique et parfois contradictoire, l’industrie des productions animales et les organismes de réglementation ont élaboré diverses approches en vue de réduire l’impact pour la santé humaine de la RAM chez les poulets et les porcs. De plus, ce document présente les principales mesures d’intervention. Certains traitements potentiels comme les prébiotiques et les probiotiques sont attrayants, mais ils ne sont clairement pas assez éprouvés et n’ont pas fait l’objet de suffisamment d’études. Les mesures de gestion visant à réduire le recours aux antimicrobiens en améliorant la santé animale représentent un domaine d’intérêt évident. Les mesures de gestion peuvent avoir un effet incroyable sur la santé animale,

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mais la recherche est limitée à plusieurs points de vue; de fait, une approche élargie tenant compte de la santé animale, du bien-être des animaux et de l’aspect économique de la production doit être élaborée, ce qui complique davantage ce domaine. La recherche menée sur ce sujet est évaluée et présentée avec une description des différences pouvant avoir des effets sur la faisabilité, les résultats et les mesures requises entre les porcs et la volaille sur le plan des systèmes de production, de gestion et de commercialisation. En outre, les lignes directrices actuelles sur l’UAM qui ont été élaborées font l’objet de discussions quant à leur contenu, à leur application pratique et à leurs conséquences potentielles. Les zoonoses demeureront sûrement une importante préoccupation en médecine humaine, tandis que les maladies animales seront aussi importantes en médecine vétérinaire. L’équilibre entre la santé animale et la santé humaine est un concept complexe puisque les mesures prises dans un groupe peuvent avoir des effets imprévus ou inconnus dans l’autre groupe. De toute évidence, il n’y a aucune solution simple permettant de gérer cette situation. L’arrêt de l’utilisation des antimicrobiens n’est pas une solution pratique pour la santé animale, le bien-être des animaux et l’aspect économique de la production. Le maintien du statu quo est

également inacceptable en raison des preuves relatives à l’impact de l’UAM sur certains aspects des maladies humaines. L’élaboration d’une position intermédiaire appropriée est requise afin d’optimiser la santé humaine tout en assurant des élevages porcins et avicoles sans cruauté, sûrs et rentables. La rhétorique, les opinions et les anecdotes ne sont pas des fondements acceptables pour les politiques, les réglementations et les lois élargies, mais l’écart actuel sur le plan des connaissances crée un environnement où de tels renseignements subjectifs peuvent avoir un impact important. Ce document établit les pratiques et les concepts importants qui doivent être pris en compte au moment de fixer les priorités, d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques, des règlements et des lois, et de former tous les intervenants pertinents.

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Méthodes Ce projet passe en revue la documentation scientifique portant sur l’aspect écologique de la RAM, la RAM chez les bactéries zoonotiques et commensales ayant le potentiel de causer des maladies d’origine alimentaire, l’UAM chez les porcs et les poulets, ainsi que la surveillance de l’UAM et de la RAM chez les porcs et les poulets. Il évalue la documentation scientifique décrivant la relation entre l’UAM et la RAM de même que les politiques, stratégies et interventions visant à contrôler la RAM chez les bactéries dont sont porteurs les poulets et les porcs. Tout au long du document, le terme « antimicrobien » est défini comme « toute substance d’origine naturelle, semi-synthétique ou synthétique qui tue ou inhibe la croissance d’un micro-organisme mais cause peu ou pas de dommages à l’hôte », (4) et cette définition est utilisée dans le contexte de l’inhibition ou de l’élimination de bactéries. Les publications utilisées dans ce projet ont été obtenues à partir des bases de données de publications auxquelles la bibliothèque de l’Université de la Saskatchewan avait accès ou par l’entremise de ressources (écrites et personnelles) que les auteurs connaissaient, ou avec lesquelles ils étaient en contact, en raison de leur expérience dans ce domaine. De préférence, les auteurs ont utilisé des documents scientifiques évalués par des pairs. Quand les publications étaient non disponibles ou insuffisantes, les auteurs ont eu recours à des rapports, à des sites Web et à des communications personnelles. Les bases de données pertinentes ont été déterminées et classées en ordre de priorité pour s’assurer que la recherche dans la documentation scientifique était complète mais pas redondante. Les critères d’inclusion et d’exclusion à l’étude ont été déterminés (tableau 1) et utilisés pour établir a priori des termes de recherche, des chaînes de recherche et des termes MeSH (Medical Subject Heading) [annexe 1]. Les recherches se sont limitées aux publications anglophones et aux années 1990 à 2009. Un bibliothécaire professionnel a effectué chaque recherche, consigné les références détectées

et acquis les textes complets nécessaires. Trois bases de données ont fait l’objet de recherches de façon systématique à l’aide de termes de recherche constants : CAB, Embase et Medline. Deux bases de données ont été consultées de façon systématique avec des termes adaptés en fonction du contenu de la base de données : Agricola et Scopus. Ces recherches ont généré un grand nombre de références (> 3 500) et un taux élevé de références générées en double (environ 40 %); donc, les autres bases de données ont été utilisées uniquement pour traiter des critères d’inclusion particuliers. Les références générées par les recherches ont été évaluées à l’aide de critères de sélection a priori fondés sur la pertinence qui tablaient sur les critères d’inclusion et d’exclusion. Toutes les publications pertinentes ont été brièvement résumées en fonction des critères d’inclusion auxquels elles répondaient. En raison du grand nombre de publications obtenues, une stratégie de recherche supplémentaire a été utilisée pour s’assurer de traiter en priorité les publications importantes. Une série de recherches a été réalisée en utilisant seulement la base de données Medline afin de déterminer les articles indexés en fonction de ce qui suit (note au lecteur : les recherches ont été effectuées à l’aide de termes anglais; les termes suivants représentent la traduction française des termes utilisés) : i) termes semblables à d’origine alimentaire, aliment, d’origine animale, résistance aux antimicrobiens ou résistance aux antibiotiques; termes semblables à Escherichia coli, Enterococcus, Salmonella, Campylobacter; SARM ou Clostridium difficile; termes semblables à porcs, cochons, volaille, poulet à griller ou poulet; ii) termes liés à l’utilisation d’antimicrobiens dans l’industrie porcine ou l’industrie de poulets à griller, à l’écologie microbienne ou à la relation entre l’UAM et la RAM; iii) termes désignés pour évaluer l’association potentielle entre la RAM chez les poulets et les porcs et la RAM et la santé chez les humains. Cette recherche s’est limitée aux documents publiés depuis 1999 afin de mettre l’accent sur les plus récentes avancées dans le domaine. Encore une fois, les chaînes de recherche et le nombre de références générées ont été consignés. Les articles

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générés en double ont été éliminés et les résultats ont été sauvegardés dans un logiciel de gestion des références (Refworks®). Les fichiers de données résultants ont été exportés dans une base de données conçue sur mesure, à l’aide de Microsoft Access, afin que les examinateurs puissent décrire et examiner le contenu de chaque article pour en déterminer la pertinence par rapport au projet. Deux épidémiologistes vétérinaires ont examiné de façon indépendante les titres de référence et les résumés, et ils ont exclus les références qui ne respectaient pas les critères d’inclusion. Le titre et le résumé des références restantes ont été utilisés pour décrire la publication par une série de variables dichotomiques qui comprenaient les espèces bactériennes, les espèces d’élevage, le stade de production ou de transformation, les données sur l’UAM et les types de données sur la RAM (prévalence, associations avec la santé humaine, l’écologie microbienne ou la relation avec l’UAM). Les examens indépendants ont été combinés et les écarts ont fait l’objet d’une discussion et d’une entente. Les publications complètes ont été acquises et examinées par les auteurs des sections pertinentes. Après la conclusion de ces recherches, et pendant la description et l’évaluation de la documentation scientifique, les auteurs ont occasionnellement mené au besoin des recherches dans des bases de données de publications, sur internet ou dans de la documentation parallèle connue. Les résultats de ces recherches menées au besoin n’ont pas été consignés. Tous les auteurs ont passé en revue l’ensemble du document. Un examen externe a été gracieusement réalisé par des épidémiologistes vétérinaires spécialisés dans le domaine des porcs, de la volaille, de la résistance aux antimicrobiens et des techniques de surveillance techniques de l’Agence de la santé publique du Canada.

À la suite de ce processus, le présent rapport cite 539 références. La majorité des références (n = 360, 67 %) sont des articles publiés dans des revues. Parmi ces références, 252 (47 %) décrivent la recherche originale, 98 (18 %) sont des examens scientifiques et 10 (2 %) décrivent des programmes ou recherches du gouvernement. Ces articles de revue ont été publiés entre 1977 et 2009; 13 % ont été publiés avant 2000, 65 % ont été publiés entre 2000 et 2007, tandis que 22 % ont été publiés en 2008 ou 2009. Les 179 autres références désignaient des livres (26, 5 %), des sites Web (44, 8 %), des comptes rendus de conférence (29, 5 %) et des rapports ou monographies provenant d’internet (80, 15 %). En plus des articles de revues, la recherche originale a été décrite dans 21 comptes rendus de conférence, 19 rapports et 5 sites Web. Ainsi, 297 des 539 (55 %) références renvoient à la recherche originale. Les autres 242 références (45 %) désignaient des rapports gouvernementaux (72, 33 %), des examens scientifiques (136, 56 %) et de la documentation parallèle (27, 11%). La proportion des références désignant une recherche originale est démesurément faible par rapport aux références de recherche originale obtenues a priori dans la recherche documentaire, car de nombreuses références de documents parallèles et de rapports gouvernementaux ont été recherchées de façon intentionnelle afin de répondre aux objectifs du projet.

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Tableau 1. Critères d’examen complets pour l’inclusion et l’exclusion de documents scientifiques. Catégorie

Inclusion

Exclusion

Voie d’exposition D’origine alimentaire Voie d’exposition Consommation directe Exposition à de la viande crue

Pas d’origine alimentaire Contact direct avec des animaux Exposition en milieu de travail Environnementale

Bactéries

Agents pathogènes animaux Bactérie environnementale Agents anthropopathogènes infectant des animaux Bactéries commensales non inscrites sur la liste

Zoopathogènes Salmonella Campylobacter jejuni Campylobacter coli Clostridium difficile Yersinia enterocolitica Listeria monocytogenes SARM Bactéries commensales Escherichia coli Enterococcus

Agents Antimicrobiens pharmaceutiques Antimicrobiens utilisés en médecine humaine ou vétérinaire Additif antimicrobien pour alimentation animale Ionophores

Antifongiques Antiviraux Hormones Vaccins

Secteurs

Porcs Exploitation Abattoir Agences de commercialisation

Porcs reproducteurs Exploitations de sangliers Animaux sauvages

Poulets à griller Poulets à griller reproducteurs Couvoir Producteurs Abattoir Agences de commercialisation

Pondeuses Œufs Dindes Espèces mineures (canards, cailles) Oiseaux sauvages Tous les autres secteurs de l’alimentation ou du bétail

Gouvernements Ministères de l’Agriculture Ministères de la Santé Organismes internationaux

Gouvernements sous le niveau fédéral

Industries de soutien Associations vétérinaires Industrie pharmaceutique Entreprises en nutrition / alimentation du bétail

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Chapitre 1 : Les dangers de la résistance aux antimicrobiens chez les bactéries d’origine alimentaire Introduction La résistance des bactéries alimentaires aux antimicrobiens s’est accrue dans le monde; de fait, les gens peuvent être exposés à des bactéries par l’entremise de nombreux facteurs environnementaux, notamment par la nourriture qu’ils consomment quotidiennement. Par la nourriture, les humains peuvent être exposés à des agents pathogènes zoonotiques et à des bactéries commensales résistants aux antimicrobiens. Le lieu de prédilection des bactéries alimentaires est généralement le tractus gastro-intestinal d’un animal, et elles peuvent être transmises à l’humain s’il y a contamination de la viande par les matières fécales durant l’abattage. Le tractus gastro-intestinal de l’animal constitue un véritable réservoir écologique peuplé par une population bactérienne diversifiée. La plupart des bactéries qui composent cette population sont bénéfiques ou inoffensives pour l’organisme de l’hôte animal, et elles ne sont pas ciblées par les médicaments antimicrobiens. Toutefois, l’administration d’antimicrobiens dans le but de tuer des agents pathogènes ou d’accroître leur prolifération a également des répercussions sur ce type de bactéries. Ainsi, la flore normale devient une cible involontaire ou développe/acquiert une résistance. Lorsque les gens consomment de la nourriture contaminée et qu’il y a transmission de bactéries entériques, ces dernières se retrouvent dans une niche écologique similaire et peuvent causer une maladie ou échanger des gènes de résistance avec divers résidents de la flore bactérienne de l’humain (5–7).

Domaine d’application et objectifs La présente section vise à fournir suffisamment de renseignements quant aux dangers pour la santé publique, à la provenance des bactéries et aux types de résistance qui suscitent le plus d’inquiétudes, et ce, dans le but de faciliter l’évaluation des programmes, des politiques et des stratégies axés sur le contrôle de

la résistance des bactéries aux antimicrobiens qui ont été élaborés par les organismes de réglementation et les acteurs de l’industrie de l’agriculture. Ce chapitre vise uniquement à décrire le phénomène de résistance des bactéries alimentaires aux antimicrobiens qui est à l’origine de maladies chez l’humain. De plus, ce chapitre traite exclusivement de la résistance de bactéries qui se trouvent dans le tractus gastro-intestinal de volailles et de porcs destinés à l’alimentation. Le fait que la portée de ce chapitre soit limitée ne laisse aucunement supposer que ces produits de base présentent un risque différent pour l’humain par rapport à d’autres produits carnés. Dans un premier temps, nous expliquerons de quelle manière les gens peuvent être exposés à des bactéries résistantes, puis nous aborderons le phénomène biologique de la résistance aux antimicrobiens. Le principal volet de ce chapitre est consacré à la description des agents pathogènes/combinaisons de mécanismes de résistance. Certains sont bien connus, comme Campylobacter et Salmonella, tandis que d’autres sont de moindre importance pour les Canadiens, c’est le cas de Yersinia enterocolitica, ou soulèvent des inquiétudes en matière de salubrité des aliments, comme Clostridium difficile. La pertinence pour les Canadiens de la résistance de ces agents pathogènes transmis par les aliments est le principal sujet du présent chapitre.

Corrélation entre les bactéries résistantes aux antimicrobiens chez l’animal et chez l’humain Les bactéries sont omniprésentes dans notre environnement, et elles infectent souvent de multiples espèces animales, y compris l’humain. La probabilité qu’une personne soit infectée ou colonisée par des bactéries provenant d’animaux dépend de la voie et de la fréquence d’exposition, de la dose et du degré d’adaptation de la bactérie hôte. On qualifie de « zoonotique » toute bactérie qui

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Le principal lien entre les Canadiens et les bactéries viables provenant d’animaux est très probablement la consommation d’aliments. Les aérosols et les déchets d’origine animale sont sans équivoque à l’origine de la propagation des bactéries résistantes (14–16). Toutefois, l’industrie de l’élevage, telle que nous la connaissons de nos jours, a grandement permis de réduire la fréquence et la durée des contacts entre les humains et les animaux d’élevage. Seulement 2,2 % des Canadiens vit de l’agriculture; l’autre 97,8 % n’a qu’un contact direct limité avec les animaux, et leur environnement est nettement séparé de l’espace aérien et des déchets adéquatement gérés associés au bétail (17). Les personnes qui sont en contact direct avec des animaux s’exposent à des dangers de toutes sortes et elles présentent divers facteurs de risque d’infection par des bactéries résistantes aux antimicrobiens, et ce, même si des études plus approfondies doivent être menées afin de démontrer si les bactéries résistantes des animaux peuvent être transmises aux humains. Cela va cependant au‑delà de la portée de notre étude.

il s’agit d’une infection bactérienne réfractaire à tous les traitements médicaux disponibles qui conduira au décès du patient (9,10,18). Bien que l’échec thérapeutique soit l’effet qui puisse être facilement associé au phénomène de résistance aux antimicrobiens, il existe d’autres dangers pour la santé humaine qui peuvent être imputables aux bactéries résistantes aux antimicrobiens. De nombreuses études révèlent que le risque d’hospitalisation et la gravité de la maladie sont plus élevés chez les sujets qui contractent une infection causée par une bactérie résistante, comparativement à ceux qui contractent une bactérie similaire, mais de souche sensible (19–23). Cela a pour effet d’augmenter les coûts liés aux traitements ainsi que le fardeau que représente cette maladie sur le secteur des soins de santé, sans compter que les gens présentent un risque plus élevé de contracter d’autres infections nosocomiales (10,24). Le fait d’instaurer un traitement inefficace au début de la maladie et au cours de sa progression pourrait expliquer, en partie, que la gravité de la maladie soit de plus en plus élevée. Néanmoins, on signale une augmentation des hospitalisations et de la gravité de la maladie, et ce, même après avoir pris en compte l’inefficacité des traitements dans certains cas. Cela peut être attribuable à la co-sélection ou à la régulation positive des traits de virulence, ou encore à la valeur adaptative accrue des souches résistantes (25,26). La résistance aux antimicrobiens entraîne également une incidence accrue des maladies d’origine alimentaire, car les personnes qui utilisent des antibiotiques pour n’importe quelle raison sont davantage susceptibles d’être colonisées par des bactéries résistantes; en effet, les antibiotiques qu’ils prennent détruisent la flore intestinale normale de l’organisme et entraînent ainsi la sélection de souches résistantes (9,18).

La résistance antimicrobienne a des répercussions directes sur la santé humaine lorsque l’infection causée par des bactéries pathogènes provoque une maladie qui nécessite un traitement antimicrobien et que le traitement choisi s’avère inefficace en raison de la résistance. La maladie se prolonge donc et elle peut être accompagnée de symptômes potentiellement plus graves. Dans le pire des cas,

Deux types de bactéries résistantes d’origine alimentaire contribuent à alourdir le fardeau de la maladie sur le système de soins de santé. Les bactéries pathogènes résistantes contribuent directement aux quatre aspects décrits précédemment : échec thérapeutique, hausse des taux d’hospitalisation, gravité accrue de la maladie et augmentation de l’incidence de la maladie. Les

est transmise par les animaux et qui peut causer une maladie chez l’humain. Les maladies causées par ces bactéries zoonotiques peuvent être exacerbées si la bactérie est résistante aux antimicrobiens (8-10). De plus, les bactéries résistantes aux antimicrobiens peuvent être une source d’éléments de résistance pour les bactéries hébergées par les humains (11– 13). Le contact physique direct, les environnements partagés et l’exposition par l’intermédiaire de vecteurs et d’objets inertes contaminés (fomites) sont autant de voies par lesquelles les bactéries peuvent être transmises d’une espèce animale à une autre. Cette étude porte principalement sur les bactéries de nature alimentaire.

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bactéries commensales résistantes contribuent indirectement au problème en hébergeant et en transmettant des gènes de résistance aux bactéries qui sont pathogènes pour les humains (27–30). En théorie, la transmission peut se faire d’une bactérie commensale, présente chez un animal d’élevage, à un agent pathogène pour l’humain, ou inversement, d’une bactérie commensale présente chez l’humain à une bactérie pathogène chez un animal d’élevage. Bien que cette contribution soit indirecte, elle peut présenter un risque pour l’humain comparable, voire supérieur, à celui que présentent les bactéries pathogènes. Les bactéries commensales sont ubiquistes et présentes chez les animaux en santé; elles peuvent contaminer les carcasses au moment de l’abattage. La prévalence élevée de ces bactéries augmente nettement le risque d’exposition, comparativement aux bactéries pathogènes.

Introduction aux aspects écologiques de la résistance aux antimicrobiens Développement de la résistance Les antimicrobiens ont la propriété de tuer les bactéries (bactéricide) ou d’empêcher leur multiplication sans les détruire (bactériostatique). Les antimicrobiens ne sont pas tous efficaces contre toutes les bactéries ciblées : les bactéries qui sont intrinsèquement résistantes ne possèdent pas les mécanismes cellulaires structurels ou fonctionnels requis pour que l’antimicrobien puisse agir (4,31). La résistance bactérienne intrinsèque est une propriété propre à l’espèce ou au genre (32). Bien qu’il soit nécessaire de comprendre que certaines bactéries ont une résistance intrinsèque à certains antimicrobiens, notre étude ne traite pas de ce sujet; par conséquent, les pages qui suivent porteront essentiellement sur la résistance bactérienne acquise, issue de modifications génétiques. Les deux principales façons par lesquelles les bactéries sensibles acquièrent une résistance antimicrobienne sont les suivantes : à la suite de mutations ou d’une transmission horizontale de gènes de résistance (31,33).

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Mutation La mutation est un changement spontané qui se produit pendant le processus de réplication, et ce changement touche le génome et confère la résistance à la bactérie sensible (33). Les mutations chromosomiques entraînent souvent des changements structuraux au niveau de la paroi cellulaire bactérienne, ce qui confère par la suite la résistance (4,31). Selon la nature de l’agent antimicrobien en cause, la mutation peut entraîner le développement rapide d’une résistance ou le développement lent et graduel d’une résistance (4,31). Les mutants pourraient bien être désavantagés par rapport aux parents et, par conséquent, avoir moins de chances de survivre au sein de la population en l’absence de la pression sélective provenant de l’utilisation d’un antimicrobien. En revanche, les mutants pourraient être aussi viables ou plus viables que la souche originale et persister au sein de la population avec ou sans pression la sélective liée à l’utilisation d’un antimicrobien (34). L’émergence de la résistance est le fruit d’événements mutationnels récurrents qui provoquent une résistance à certains médicaments, notamment la streptomycine, l’acide nalidixique et la rifampicine, et non à certains autres, comme la vancomycine et la polymixine B (4).

Transmission horizontale de la résistance Le transfert horizontal des gènes de la résistance d’une bactérie donatrice à une bactérie receveuse constitue une autre façon de transmettre la résistance à une bactérie. Trois grands mécanismes d’échange génétique pratiqués par les bactéries sont connus : la transformation, la transduction et la conjugaison (35). La transformation est l’intégration d’un fragment d’ADN bactérien nu dans une bactérie réceptrice (4,35). Il s’agit d’une importante méthode de transfert génétique in vitro qui est toutefois de moindre importance lorsqu’elle est utilisée in vivo (32). La transformation a généralement lieu entre des genres étroitement liés et peut entraîner une recombinaison génétique, ce qui crée de nouvelles

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formes de gènes de résistance. Cette méthode de transfert de résistance est particulièrement importante dans le cas de certaines espèces de bactéries, comme Streptococcus et Neisseria, qui possèdent un grand pouvoir de transformation naturelle (4). La transduction est le transfert des gènes de résistance par le truchement de virus bactériens ou phages (4,35). On estime que cette méthode a relativement peu d’importance en matière de transfert de résistance, car les bactériophages sont très spécifiques de la bactérie hôte et ne peuvent contenir qu’une quantité limitée d’ADN; mais à l’occasion, les plasmides de résistance peuvent accidentellement être empaquetés dans les têtes de phages pendant l’assemblage et vont, par la suite, infecter de nouvelles cellules en injectant de l’ADN de plasmide dans la cellule réceptrice (4,32). Ni la transformation ni la transduction ne nécessite la présence d’une cellule donatrice viable ou d’un lien entre une bactérie donatrice et réceptrice (31). La conjugaison est le transfert de gènes de résistance d’une bactérie donatrice à une bactérie réceptrice par le truchement d’un canal protéinique temporaire (4,35,36). Lors de la conjugaison, le transfert de gènes permet la transmission d’éléments génétiques mobiles, comme les plasmides, les transposons ou les intégrons / cassettes de gènes (35–37). Ces éléments peuvent avoir de multiples gènes de résistance antimicrobienne et ils peuvent causer la dissémination rapide des gènes de résistance parmi différentes bactéries (28,38,39). Des grappes de gènes de résistance liés présents sur un même élément mobile peuvent s’agglomérer de façon telle que les antimicrobiens appartenant à différentes classes ou même des substances non antimicrobiennes, comme les métaux lourds ou les désinfectants, peuvent cibler les bactéries résistantes aux antimicrobiens (40,41). L’échange de gènes de résistance entre les bactéries pathogènes et non pathogènes ou entre les bactéries à Gram positif et à Gram négatif est documenté (40).

La transmission de la résistance : éléments génétiques mobiles Parmi les trois mécanismes liés au transfert horizontal des gènes de résistance, c’est-à-dire la transformation, la transduction et la conjugaison, la conjugaison est sans aucun doute celui qu’il importe le plus de comprendre. L’acquisition d’éléments génétiques, comme les plasmides, les transposons ou les intégrons / cassettes de gènes, est un élément crucial du transfert horizontal de la résistance antimicrobienne, car ces éléments sont reliés et assurent le réassortiment des mécanismes de résistance, ce qui permet la transmission et l’établissement d’éléments de résistance dans les populations de bactéries. Ces éléments varient considérablement entre eux en ce qui a trait à leur transfert de résistance, à leur réplication et à leur transmission. Les plasmides sont des éléments d’ADN habituellement circulaires distincts de l’ADN chromosomique et capables de réplication autonome. Lorsqu’il y a transfert de résistance par l’intermédiaire des plasmides, une copie du plasmide est conservée par la cellule donatrice. La plupart des plasmides, mais pas tous, contiennent le gène requis pour la conjugaison. En pareil cas, les plasmides peuvent être mobilisés à l’aide de l’appareil de conjugaison d’autres plasmides auto-transférables présents dans la cellule (4,32). Les plasmides peuvent contenir des gènes de résistance de 1 à 10 antimicrobiens différents (résistance antimicrobienne multiple) (4). Les plasmides à résistances multiples sont souvent issus d’une recombinaison interplasmidique, d’une intégration de transposons ou d’une insertion de cassettes de gènes (32). Tous les gènes de résistance sur un plasmide à résistances multiples sont transférés au moment du transfert du plasmide, qu’il y ait une pression sélective à l’égard de tous les gènes de résistance du plasmide ou d’un seul gène de résistance (32). Les plasmides peuvent constituer des vecteurs pour les transposons et les intégrons / cassettes de gènes (36).

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Les transposons (gènes sauteurs) sont de courtes séquences d’ADN capables de passer d’un plasmide à un autre, ou d’un plasmide à un chromosome, et inversement. Les transposons sont dépourvus de système de réplication et doivent s’intégrer dans l’ADN chromosomique ou l’ADN plasmidique (32). Contrairement aux plasmides, aucune copie du transposon ne demeure dans la cellule initiale lorsque le transposon se déplace entre la bactérie donatrice et la bactérie réceptrice. Tous les transposons peuvent se déplacer et intégrer un ADN exogène par recombinaison non homologue, ce qui permet au même transposon de se retrouver dans le génome ou les plasmides d’organismes totalement différents (4). Les intégrons sont des éléments mobiles qui se trouvent souvent sur les plasmides et qui se distinguent des transposons. Ils consistent en un système de recombinaison spécifique de site composé d’une enzyme intégrase, d’un site qui permet la capture de gènes et de cassettes de gènes. Chaque cassette de gènes code pour un seul gène de résistance et un site spécifique de recombinaison (4,41,42). L’intégrase spécifique de site d’un intégron reconnaît les cassettes de gènes et catalyse leur insertion dans un site spécifique. La répétition de cette séquence permet à l’intégron de rassembler plusieurs cassettes de gènes de résistances multiples (4). L’expression des gènes d’un intégron dépend de divers facteurs, notamment la puissance du promoteur associé aux gènes, le nombre de copies des gènes, la distance relative séparant les cassettes de gènes du promoteur, ainsi que la présence de promoteurs internes additionnels. L’expression génétique est habituellement déclenchée par un promoteur commun situé en amont (fragment 5’) des cassettes de gènes, et non par des copies de promoteurs distincts. Des niveaux d’expression des gènes plus élevés peuvent être atteints lorsqu’un deuxième promoteur, adjacent au premier, est inclus dans la séquence, ou lorsque le gène en question est inclus sous forme de copies multiples. La distance relative séparant une cassette de gènes

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et le promoteur joue un rôle déterminant en ce qui a trait à l’expression génétique; les gènes proximaux ont tendance à être exprimés plus efficacement que les gènes distaux. Ainsi, il se peut que les gènes distaux aient un effet très minime sur la sensibilité de la bactérie hôte aux antimicrobiens visés (43,44). La présence de cassettes de gènes de résistance sur les intégrons chez la bactérie hôte peut dépendre de facteurs environnementaux; la bactérie hôte peut potentiellement perdre les gènes de résistance de l’intégron en l’absence de pression sélective pour l’utilisation d’un antimicrobien (45).

Sélection des gènes de résistance : sélection directe, résistance croisée et co-sélection Comme nous l’avons mentionné précédemment, le développement de la résistance aux antimicrobiens est un processus complexe et la vitesse à laquelle il se déroule dépend de la bactérie en jeu, de la pression sélective, ainsi que de la disponibilité et de la capacité de transfert des gènes de résistance (32). Selon de récentes études, la majorité des phénotypes multi-résistants sont obtenus par l’acquisition de gènes externes capables de conférer une résistance à toute une classe d’antimicrobiens (46). L’emploi d’antimicrobiens peut entraîner le développement de bactéries résistantes aux antimicrobiens de trois façons : sélection directe, résistance croisée et co‑sélection. La sélection directe constitue la forme la plus simple de pression sélective et elle survient lorsqu’un médicament sélectionne une bactérie qui lui est résistante. Par exemple, lorsqu’on a recours à la tétracycline et que la bactérie résistante à cette substance survit. La résistance croisée se produit lorsque l’expression d’un gène de résistance antimicrobienne suppose la résistance à plusieurs autres médicaments analogues ayant des cibles ou des mécanismes d’action similaires. Le gène blaCMY-2 est un bon exemple de résistance croisée. Ce gène confère une résistance à de nombreuses bêtalactamines (ampicilline et association amoxicilline-acide clavulanique) et céphalosporines

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(ceftiofur, céfoxitine et ceftriaxone) potentialisées. Par conséquent, l’exposition au ceftiofur entraînera la sélection d’une bactérie contenant ce gène, ce qui aura comme effet indirect d’augmenter l’incidence de la résistance à l’ampicilline. La résistance croisée est également fréquemment observée avec les macrolides et les fluoroquinolones (4). Le phénomène de la co-sélection se produit lorsqu’un antimicrobien est utilisé dans les cas de résistance à des médicaments n’ayant rien en commun. Les bactéries dotées de gènes de résistances multiples peuvent survivre même lorsqu’elles sont exposées à l’un ou l’autre des médicaments touchés par ces gènes. Ainsi, l’emploi d’un de ces médicaments perpétue la résistance à l’ensemble des antimicrobiens non liés et contre lesquels les bactéries ont des gènes de résistance (4). La co-sélection influe de manière significative sur les politiques visant l’élimination de la résistance existante et elle contribue à la complexité des liens qui existent entre l’emploi d’antimicrobiens et le développement de la résistance (l’emploi du médicament A peut entraîner une résistance à ce même médicament; mais étant donnée l’existence du phénomène de co-sélection, cette résistance peut également être dirigée contre les médicaments B, C et D).

Phénotype versus génotype L’information fournie sur les génotypes et phénotypes de résistance est utile au moment d’évaluer la résistance. Les données sur les génotypes illustrent la diversité et la répartition de la résistance, et elles nous permettent d’approfondir nos connaissances sur les notions de transmission et de sélection. Les données sur les phénotypes fournissent des précisions sur la sensibilité des organismes et, en ce sens, elles sont pertinentes sur le plan clinique. Il se peut que les résultats obtenus pour les phénotypes et les génotypes de RAM ne nous permettent pas à tout coup d’établir des corrélations. Les bactéries peuvent avoir un phénotype de résistance et un génotype sensible si les gènes de résistance actifs n’ont pas été pris en compte lors des épreuves

de laboratoire ou s’il s’agit de gènes récents qui n’ont pas été identifiés à ce jour. En revanche, les bactéries peuvent avoir un phénotype sensible et un génotype de résistance si les gènes ne sont que partiellement exprimés, s’ils confèrent une résistance inférieure au seuil phénotypique ou s’ils ne sont pas fonctionnels (47,48). Du fait que chacun fournit des renseignements différents, il importe de se pencher tant sur le phénotype que sur le génotype afin de bien comprendre en quoi consiste la RAM.

RAM chez les bactéries d’origine alimentaire Bactéries zoonotiques Campylobacter Campylobacter est la cause la plus fréquente d’infections entériques attribuables aux bactéries alimentaires dans de nombreux pays développés. La majorité des cas sont légers, résolutifs et ne requièrent aucun traitement antimicrobien. Toutefois, dans les cas graves, la maladie peut se prolonger et entraîner une septicémie ou une infection extraintestinale et nécessiter le recours à un antimicrobien (49). Au Canada, environ 12 000 cas sont signalés annuellement. De plus, on estime que 23 à 29 cas d’infection ne sont pas rapportés pour chaque cas signalé (50,51). Campylobacter peut être contracté par la nourriture et par l’eau, mais les animaux à sang chaud représentent le seul site d’amplification (52). En tout, de 80 à 90 % des infections chez l’humain sont causées par C. jejuni tandis que C. coli est responsable de 5 à 10 % des cas (50,53). Bien qu’il soit moins important que C. jejuni, C. coli se classe parmi les quatre principales causes d’infections entériques chez l’humain, il compte parmi les organismes qui suscitent des inquiétudes en matière de salubrité des aliments (54). Campylobacter cause principalement des maladies sporadiques et, à ce jour, nous ne disposons d’aucune technique de typage efficace. En raison de tous ces facteurs, il est donc difficile d’établir la source (55). On considère que la volaille est la principale

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source d’infection alimentaire à Campylobacter, tandis que le rôle du porc est moins clair (56–59). En règle générale, les poulets sont porteurs de C. jejuni dans leur flore commensale, tandis que les porcs sont plutôt porteurs de C. coli (56,60–63). Bien que les porcs et les poulets soient fréquemment porteurs de Campylobacter au moment de l’abattage, le taux de récupération de Campylobacter dans les échantillons de viande au détail est nettement plus élevé dans la volaille que dans les viandes rouges (64–66), sans doute parce que l’intestin du poulet est plus fragile et plus susceptible de se briser, entraînant ainsi la contamination de la carcasse. Les études cas-témoins effectuées regroupent régulièrement les cas d’infection à C. jejuni et à C. coli. Une telle façon de procéder peut toutefois faire en sorte que des facteurs de risque uniques à C. coli ne soient pas mis en évidence étant donné que les infections à C. coli sont moins nombreuses, ce qui pourrait expliquer, du moins en partie, pourquoi les produits carnés du porc ne sont pas identifiés de façon constante comme étant un facteur de risque d’infection à Campylobacter (67). Les cas humains de campylobactériose résistants aux antimicrobiens seraient généralement causés par l’acquisition d’une souche résistante et non en raison d’un cas de résistance liée à l’utilisation d’un traitement pharmacologique humain (23,68). À première vue, cela semble contre-intuitif, étant donné que, chez l’humain, la résistance se développe rapidement à la suite d’un traitement. Cependant, l’UAM dans les cas non compliqués est contreindiquée, de manière à limiter l’exposition chez l’humain. En revanche, l’UAM avant qu’un diagnostic d’infection ne soit posé augmente le risque de résistance chez le sujet infecté (69), ce qui laisse supposer que l’UAM chez l’humain offre un avantage concurrentiel pour les souches déjà résistantes. Les Campylobacter sont des parasites ubiquistes présents chez les porcs en santé. L’emploi prolongé d’antimicrobiens peut donc se solder par une pression sélective de longue durée et intense sur les Campylobacter afin qu’ils acquièrent une résistance et établissent des souches résistantes. En fait, il est difficile d’attribuer la résistance des Campylobacter

à l’UAM dans le secteur agricole, car cela nécessite des données sur la RAM chez des isolats avant le traitement et il est nécessaire de tenir compte de l’UAM avant l’infection. Le taux de résistance des Campylobacter isolés chez des Canadiens peuvent être obtenus en consultant des travaux de recherches réalisés à l’échelle régionale (70–72), mais non des travaux de surveillance nationale. Les plus récents résultats obtenus dans le cadre d’un programme de surveillance mené aux États-Unis indiquent que plus de la moitié des isolats de Campylobacter analysés étaient résistants à au moins une des classes d’antimicrobiens du Clinical Laboratory Standards Institute (CLSI) et 13,6 % des isolats étaient résistants à au moins deux sous-classes (73). Campylobacter est surtout résistant à deux types d’antimicrobiens : les macrolides et les fluoroquinolones. La ciprofloxacine compte parmi les médicaments de premier recours dans les cas de gastro-entérite d’origine indéterminée; la résistance à la fluoroquinolone pourrait donc causer un échec thérapeutique. Un taux de résistance élevé à la fluoroquinolone peut être observé lors d’une mutation chromosomique en une étape du gène gryA (60,74). La résistance aux fluoroquinolones décelée dans des isolats de C. jejuni chez le poulet et chez l’humain est très courante dans certaines régions du monde, notamment dans les pays de l’Europe méditerranéenne et de l’Asie du Sud-Est (53,75–77). En revanche, une sensibilité presque totale à la ciprofloxacine chez des isolats de C. jejuni a été signalée en Australie, en Norvège et en Suède (78–81). Dans les élevages de volaille, la résistance émergente dans les isolats de C. jejuni nous permet d’établir un lien avec l’utilisation de fluoroquinolones, et cette résistance ne semble pas avoir un impact négatif sur la valeur d’adaptation et pourrait même être favorable (34,49,82). Les fluoroquinolones ne sont pas approuvées chez les porcs et les poulets au Canada, mais l’enrofloxacine injectable y est approuvée pour une utilisation en dérogation des directives de l’étiquette. Le taux de résistance à la ciprofloxacine mesuré chez des isolats de C. jejuni provenant de viande de poulet vendue au détail dans différentes régions du monde en

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2006 oscillait entre 0 et 2,3 % (66). Au Canada, il n’existe aucun programme de surveillance nationale de la RAM d’isolats de Campylobacter prélevés dans la viande de porc. Néanmoins, des projets de recherche canadiens ont signalé que le taux de résistance à la ciprofloxacine mesuré avec des isolats de Campylobacter provenant de viande de porc d’élevage se situe entre 2,4 et 10 % (83,84). La résistance de Campylobacter aux macrolides suscite également des inquiétudes, car les antimicrobiens appartenant à cette classe sont prescrits dans les cas graves de campylobactériose et chez les personnes immunocompromises. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant que l’utilisation des macrolides est très répandue dans le secteur de la santé animale (85,86). D’après des cas d’infection humaine signalés aux États-Unis, 1,6 % des isolats de C. jejuni et 3 % des isolats de C. coli prélevés étaient résistants aux macrolides (87). À l’échelle mondiale, le taux de résistance dans les cas d’infection humaine est très variable; des taux atteignant pas moins de 51 et 80 % ont été signalés à Singapour et au Nigéria, respectivement, dans des isolats de Campylobacter prélevés chez des enfants (88). Les isolats de Campylobacter résistants aux macrolides sont relativement rares (généralement  50 %) (66,79,89). La prédominance de C. coli chez le porc et de C. jejuni chez les poulets à griller explique, en partie, cet écart; en effet, C. coli est génétiquement prédisposé à la résistance aux macrolides. Cette caractéristique est à ce point marquée au sein de l’espèce que 40 % des isolats de Campylobacter prélevés sur des exploitations porcines exemptes d’antibiotiques étaient résistants aux macrolides. Cela pourrait refléter une résistance intrinsèque, la persistance de la résistance acquise à la suite de l’UAM dans le passé ou le transfert de résistance découlant de l’UAM au sein d’autres groupes de porcs de l’exploitation (90,91). Les isolats de Campylobacter prélevés chez des porcs démontrent également une résistance aux macrolides encore plus répandue en

raison de l’utilisation prolongée de ces médicaments chez les porcs (84). La comparaison de l’emploi de macrolides chez le porc et le poulet est rendue complexe en raison de différents paramètres liés à l’utilisation de médicaments, mais plus de la moitié des producteurs porcins canadiens ajoutent des macrolides aux aliments, tandis qu’aux ÉtatsUnis, moins de 5 % des poulets sont exposés aux macrolides (66,85,92,93). Le risque pour la salubrité des aliments que présente Campylobacter résistant aux macrolides pourrait bien augmenter au cours des prochaines années. Plus de 20 gènes erm ont été identifiés. Il s’agit des gènes responsables de nombreuses mutations qui se produisent au niveau des gènes ARNr causant une résistance croisée entre les macrolides, la lincosamide et la spectinomycine. Ces gènes erm sont présents dans les bactéries à Gram positif et à Gram négatif, et bon nombre d’entre eux sont présents sur des éléments génétiques transmissibles. L’acquisition de ces gènes, en plus de la capacité de Campylobacter d’intégrer de l’ADN hétérologue à la suite de transformations, fait en sorte que la probabilité de C. jejuni d’être résistant aux macrolides soulève des préoccupations (88). Étant donné que C. jejuni prédomine dans les maladies humaines, cela pourrait avoir des répercussions beaucoup plus importantes sur la santé humaine que les taux actuellement élevés de C. coli résistant aux macrolides.

Salmonella La salmonellose non typhoïdique représente la majorité des cas de maladies gastro-intestinales bactériennes à l’échelle mondiale. La plupart des cas sont résolutifs, mais les cas graves peuvent évoluer, devenir envahissants et causer des infections extraintestinales. Dans de nombreux pays industrialisés, l’incidence des infections entériques attribuables à Salmonella vient au deuxième rang, tout juste après les infections à Campylobacter. Au Canada, on signale 6 000 cas d’infection à Salmonella annuellement et, pour chacun de ces cas, on estime qu’entre 13 et 37 cas ne sont pas signalés (50,51). L’incidence totale de la résistance dans les cas d’infection à

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Salmonella semble être en hausse; au Canada, plus d’un tiers des isolats cliniques humains sont résistants à au moins un antimicrobien et 11 % sont résistants à au moins cinq de ces médicaments (66,94,95). Au total, 90 % à 95 % des cas de salmonellose non typhoïdique sont d’origine alimentaire (96–99). Salmonella cause des épidémies de maladies ainsi que des infections sporadiques. Les épidémies sont plus susceptibles d’être détectées à l’aide de programmes de surveillance, car le nombre des interventions médicales augmentera avec le nombre de cas diagnostiqués. Toutefois, les épidémies représentent des situations inhabituelles et peuvent fausser considérablement les moyens de déterminer la source étant donné la proportion élevée de cas d’infections non signalés (96). Les programmes de surveillance incriminent souvent la viande, le plus souvent celle de poulet et moins souvent celle du porc, et les œufs comme causes des infections à Salmonella (97–99). La plupart du temps, les programmes de surveillance des aliments isolent Salmonella dans la viande fraîche, encore une fois plus souvent dans celle de poulet que dans celle de porc, et moins fréquemment dans les œufs, le bœuf, les produits de la pêche, les légumes, les fruits et le lait (97). En matière de salubrité, cela démontre que les risques associés à certaines sources, comme les légumes contaminés, peuvent être surestimés en situation d’épidémie. La source des infections à Salmonella peut varier selon le régime alimentaire et la situation géographique et, au fil du temps, la prévalence et la répartition des sérotypes de Salmonella au sein des populations d’animaux destinés à l’alimentation peuvent changer. Tous ces facteurs influent sur la répartition des cas d’infection humaine. Actuellement, aucune donnée canadienne sur la répartition n’est disponible, mais un programme de surveillance des maladies entériques (C-EnterNet) a été mis en place à Waterloo, en Ontario. Au fur et à mesure que ce programme progressera pour assurer, comme prévu, la surveillance de 5 ou 6 sites sentinelles, il donnera un aperçu des sources de nourriture susceptibles d’être contaminées par Salmonella (96).

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Les sérotypes de Salmonella ne provoquent pas forcément tous des maladies chez tous les hôtes. Par exemple, S. Cholerasuis, et parfois, S. Typhimurium, peuvent causer des maladies cliniques chez le porc. Quant à S. Gallinarium, S. Pullorum et, moins fréquemment, S. Enteriditis, ils peuvent être à l’origine de maladies chez le poulet (100,101). Tant chez le poulet que chez le porc, on trouve de nombreux autres sérotypes, lesquels provoquent rarement des dommages apparents chez leur hôte animal, mais causent fréquemment des maladies chez l’humain. À l’échelle mondiale, les sérotypes les plus souvent incriminés dans les cas d’infections humaines sont S. Enteriditis et S. Typhimurium (98,102). En plus de ces derniers, S. Heidelberg est également un sérotype prédominant en Amérique du Nord (66,103). Les programmes de surveillance de Salmonella à la ferme visent essentiellement le contrôle des sérotypes de Salmonella zoonotiques chez les animaux destinés à la consommation, contrairement à la lutte contre les sérotypes épizootiques. La menace la plus directe associée à la résistance de Salmonella aux antimicrobiens est l’échec thérapeutique à la suite de l’emploi d’un antimicrobien auquel la souche infectieuse est résistante. Par conséquent, les infections résistantes sont associées à des taux de mortalité plus élevés ainsi qu’à une hausse des taux d’hospitalisation et à une augmentation de la durée de séjour à l’hôpital (19,20,104,105). En plus d’une gravité accrue des infections, la RAM peut causer une augmentation de l’incidence des maladies. D’après un modèle danois, par rapport à leur prévalence, Salmonella résistant à la quinolone a causé un nombre plus élevé que prévu de maladies comparativement à Salmonella sensible à la quinolone. Toujours par rapport à leur prévalence, Salmonella multirésistant a été associé à un nombre plus élevé que prévu d’infections comparativement à Salmonella sensible à plus d’un médicament. Cette tendance était constante parmi tous les sérotypes modélisés. On a émis l’hypothèse que cette tendance pouvait être dégagée en raison de la capacité accrue des bactéries de survivre à la transformation des aliments ou à une

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augmentation de la sensibilité chez les personnes utilisant des antimicrobiens à d’autres fins (98). Dans l’ensemble, ces études démontrent que la résistance de Salmonella aux antimicrobiens représente un fardeau appréciable pour la santé qui s’ajoute aux cas de salmonellose signalés au départ. Les résultats de ces travaux indiquent également que ce fardeau de plus en plus lourd ne se limite pas à un sérotype en particulier. Selon les responsables de la santé publique, la résistance de Salmonella serait de deux types et représenterait une menace considérable pour la santé humaine. Ces types de RAM incluent la résistance aux fluoroquinolones, qui servent principalement à traiter les salmonelloses envahissantes ainsi que la résistance aux céphalosporines de nouvelle génération, qui constituent le traitement de première intention contre la salmonellose chez les femmes enceintes et les enfants (86,106). Par le passé, la résistance aux fluoroquinolones était conférée à la suite de deux mutations chromosomales séquentielles; ainsi, la résistance se développait uniquement lorsqu’une bactérie était exposée à une fluoroquinolone et, par la suite, elle était transmise seulement verticalement à la descendance. Au cours des dernières années, des gènes de résistance à la fluoroquinolone transmis par les plasmides ont été décelés en Europe, en Asie et aux États-Unis (107–111). L’émergence des gènes de résistance à la fluoroquinolone transmis horizontalement est un phénomène préoccupant pour deux principales raisons. Premièrement, la transmission de ces gènes peut s’effectuer entre Salmonella et E. coli in vitro, et sans doute in vivo (107). Cela contribue à élargir, de manière exponentielle, le réservoir de bactéries pouvant héberger ces gènes, à éliminer des espèces ou à abolir des barrières géographiques empêchant la transmission de la résistance. À ce jour, on a rarement signalé la présence de gènes de résistance à la quinolone transmis par les plasmides chez des animaux, mais il semble inévitable que ces gènes seront transmis aux animaux d’élevage et à la volaille (74,107). Cela entravera davantage les efforts

visant à contrôler la résistance aux fluoroquinolones. Deuxièmement, l’émergence des gènes qnr, qui modèrent la résistance aux fluoroquinolones, peut être associée à des éléments génétiques mobiles, présentant de nouvelles combinaisons de gènes de résistance, y compris des gènes conférant une résistance aux bêta-lactamines à spectre étendu (107,112,113). Cela cause une augmentation marquée du risque d’échec thérapeutique, étant donné qu’il s’agit de deux classes de médicaments auxquelles on a le plus souvent recours pour traiter les infections à Salmonella. Par ailleurs, le fait que l’emploi de médicaments n’appartenant pas à la classe des fluoroquinolones puisse désormais fournir la pression sélective nécessaire pour transmettre la résistance aux fluoroquinolones constitue également une source de préoccupations. Les responsables de la santé publique s’inquiètent aussi de la résistance de Salmonella aux bêtalactamines à spectre étendu. Au cours des années 1980, la résistance était principalement causée par les bêta-lactamases à large spectre capables d’hydrolyser les pénicillines et les céphalosporines de générations antérieures (TEM-, SHV-, CTX-M-). Au cours des années 1990, la résistance aux céphalosporines plus récentes a émergé par deux voies distinctes : la première, à la suite de légères mutations touchant les bêta-lactamases à large spectre, qui sont ainsi devenues des bêtalactamases à spectre étendu; la deuxième, à la suite de l’émergence d’enzymes de la classe C de Ambler (AmpC) à médiation plasmidique, surtout par l’entremise des gènes CMY. Chaque enzyme hydrolyse un groupement de céphalosporines légèrement différent (114). Chez l’humain, les types de résistance tendent à se regrouper géographiquement, mais la résistance liée aux bêta-lactamases à spectre étendu et à l’AmpC a été signalée à la fois en Europe et en Amérique du Nord. Chez les animaux, les gènes de Salmonella conférant une résistance aux bêta-lactamines à spectre étendu prédominent en Europe, tandis que les quelques cas de résistance liée à l’AmpC observés chez des animaux d’élevage en Europe ont été

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diagnostiqués chez des animaux importés (111,114). En Amérique du Nord, les enzymes de la classe C de Ambler prédominent chez les animaux destinés à l’alimentation, et ils sont généralement transmis par le gène blaCMY-2. En Amérique du Nord, la principale source alimentaire d’exposition à Salmonella résistant aux bêta-lactamines à spectre étendu varie. Ainsi, au Mexique, S. Typhimurium multirésistant porteur du gène blaCMY-2 est la principale cause de d’infection à Salmonella résistant aux bêta-lactamines à spectre étendu. Le gène blaCMY-2 a été identifié chez des enfants atteints de diarrhée, et on a pu établir un lien avec la présence de bactéries alimentaires dans la viande porcine (19). Au Canada et aux États-Unis, le sérotype qui soulève les plus d’inquiétudes pour ce qui est de la résistance aux bêta-lactamines à spectre étendu est S. Heidelberg, et le principal réservoir d’animaux destinés à l’alimentation semble être celui de la volaille, comme l’indiquent les programmes de surveillance de la viande destinée à la vente au détail dans ces pays (66,73,115). En plus du prélèvement d’échantillons de produits carnés destinés au commerce de détail, l’Agence de la santé publique du Canada effectue l’analyse d’isolats et transmet des données concernant l’incidence de la RAM à partir de cas cliniques d’infection à Salmonella diagnostiqués au sein de la population. À la fin de l’année 2003, 30 % des cas d’infection humaine à S. Heidelberg diagnostiqués au Québec étaient résistants aux bêta-lactamines à spectre étendu. En 2004, ce type de résistance était signalé dans presque la moitié des cas. Cette hausse était accompagnée d’une augmentation marquée de S. Heidelberg résistant au ceftiofur dans les isolats prélevés dans l’Est du Canada dans de la viande de poulet vendue au détail (voir Chapitre 2, Figure 2) (116,117). Au Canada, le rôle de la volaille comme principale source de S. Heidelberg a été mis en évidence à l’aide de données probantes provenant d’études cas‑témoins (118). L’épidémiologie de la RAM chez Salmonella permet d’établir une corrélation avec un sérotype. Cela a clairement été mis au jour avec la propagation à l’échelle mondiale de la souche clonée de S. Typhimurium DT 104 comportant une résistance à

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l’ampicilline, au chloramphénicol, à la streptomycine, au sulfaméthoxazole et à la tétracycline (ACSSuT) [119,120]. Le profil de résistance ACSSuT était porté sur un îlot chromosomique, transmis verticalement et intégré à ce sérotype (120). Par contre, la prédominance du gène blaCMY-2 présent dans des isolats de S. Heidelberg indique que certains sérotypes de Salmonella peuvent avoir une affinité pour des résistances plasmidiques ou des plasmides en particulier. Certains sérotypes et certains clones de Salmonella peuvent muter, indépendamment de l’UAM, mais ces mutations peuvent également être influencées par l’UAM (121). Par conséquent, il est difficile de comprendre l’impact que peut avoir l’UAM sur l’épidémiologie de Salmonella en général et sur la résistance en particulier. Il est également difficile d’émettre des considérations d’ordre général au sujet de la prévalence ou des modèles de résistance de Salmonella étant donné la corrélation existant entre le sérotype et la RAM. Cette difficulté est éludée en axant les discussions sur un seul sérotype ou, comme il en sera d’ailleurs question plus loin, en la contournant en utilisant E. coli générique comme indicateur pour Salmonella en particulier et les bactéries à Gram négatif en général.

Bactéries commensales E. coli Des isolats de Salmonella et de Campylobacter indiquent clairement que les bactéries alimentaires peuvent être transmises de l’animal à l’humain. Ces zoopathogènes causent des maladies chez l’humain et, si la souche est résistante, cela peut augmenter le fardeau de la maladie. Toutefois, ces bactéries représentent une petite proportion du taux possible de transmission d’éléments de résistance chez les personnes qui consomment des aliments d’origine animale. La flore bactérienne normale réagit en cas d’exposition aux antimicrobiens en favorisant le développement de populations résistantes. La contamination de la viande par les matières fécales durant l’abattage est une des voies de transmission des bactéries aux humains. Après l’ingestion de bactéries alimentaires, il peut se produire un échange

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de matériel génétique avec la bactérie pathogène ou commensale dans le tractus gastro-intestinal de la personne contaminée. Bien que les taux de transmission ne soient pas connus, l’important volume de ces bactéries pousse de nombreux experts à croire que la menace globale liée à la RAM peut être davantage perturbée par ce réservoir de bactéries commensales que par la résistance émergente de certains pathogènes (12,122). La contamination des aliments par les matières fécales est généralement surveillée par la récupération d’E. coli (123). En plus de son rôle d’indicateur de contamination de la viande, E. coli prélevé chez des animaux sains a également été choisi comme indicateur de la RAM des bactéries à Gram négatif. E. coli sert à expliquer le phénomène de résistance des bactéries ayant des caractéristiques écologiques complexes, comme Salmonella. Bien qu’il y ait un lien entre le sérotype et les types de résistance dans le cas d’E. coli, on fait souvent abstraction de ce lien dans le cas d’isolats d’E. coli prélevés chez des animaux sains (aussi appelé E. coli générique). Ce postulat est valide car, contrairement à la prolifération de pathogènes, une autre population d’E. coli peut être présente simultanément dans l’intestin, ce qui diffère des populations de clones observées lors d’une prolifération de pathogènes. L’ubiquité, l’isolation simple et la diversité d’E. coli font que cette bactérie est l’exemple tout indiqué pour expliquer la RAM chez Salmonella, étant donné que les gènes agissant chez Salmonella agissent aussi chez E. coli et qu’ils peuvent être transmis parmi ces espèces bactériennes (27,107). Malgré le fait qu’E. coli soit un bon exemple pour expliquer la RAM chez Salmonella, il existe néanmoins des différences. Il est vrai qu’on trouve les mêmes phénotypes de résistance, et souvent les mêmes gènes, dans ces bactéries, mais leur comportement et leur mode de transmission peuvent être différents. Par exemple, les gènes codant le phénotype ACSSuT chez S. Typhimurium sont situés sur le chromosome bactérien, tandis que lorsque le phénotype de résistance est identifié chez E. coli, les gènes se trouvent généralement sur les plasmides.

De plus, la pertinence de recourir à E. coli pour comprendre la RAM chez Salmonella n’est plus justifiée lorsqu’il s’agit de prédire la résistance chez Salmonella d’après la résistance observée chez E. coli sur une exploitation ou à l’échelle régionale (124). Cette limite quant à l’utilisation de ce modèle s’explique en partie par les différences liées à l’emplacement et à la transmission de ces gènes dans chacune des bactéries, ainsi que par une incapacité à tenir compte du lien existant entre la résistance et le sérotype de Salmonella. Escherichia coli sert à l’étude de la pression sélective exercée sur la population de bactéries à Gram négatif en vue de développer et de maintenir la résistance. La flore intestinale normale n’est pas la cible des traitements antimicrobiens, mais ces bactéries sont exposées et acquièrent une résistance – un peu à l’image des dommages collatéraux dans une guerre. Le degré de résistance d’E. coli reflète cette pression sélective sur les bactéries intestinales (48,125,126). Par conséquent, le principal avantage de l’étude de la RAM chez E. coli est d’améliorer la compréhension des risques que posent les antimicrobiens sur la santé humaine. En tant que micro-organisme indicateur, les principaux résultats sur la résistance qui soulèvent des inquiétudes sont les mêmes pour E. coli et Salmonella. La résistance aux fluoroquinolones et aux céphalosporines de nouvelle génération fait l’objet d’une étroite surveillance. Contrairement aux signalements relativement rares de cas de résistance aux fluoroquinolones à médiation plasmidique chez Salmonella dans le secteur agro-alimentaire, on signale plusieurs cas de résistance à médiation plasmidique chez E. coli (108,127–129). Il s’avère beaucoup plus simple de détecter une résistance émergente chez E. coli que chez Salmonella, pour la simple et bonne raison que les collections d’isolats importantes et représentatives peuvent être assemblées rapidement et de manière rentable. E. coli est également utile pour comprendre la variation de la RAM chez Salmonella. En 2004, grâce à la surveillance de la volaille destinée à la vente au détail, le Programme intégré canadien de surveillance

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de la résistance aux antimicrobiens (PICRA) a découvert que la résistance accrue de S. Heidelberg au ceftiofur était également observée chez E. coli (66). Cette découverte a fourni des données probantes montrant que le phénomène de résistance changeait davantage en raison de pressions exercées par l’utilisation d’antimicrobiens qu’à cause de l’émergence et de la propagation d’un clone de Salmonella résistant. Les bactéries à Gram négatif résistantes, dont E. coli, font partie du réservoir d’organismes résistants capables d’assurer la transmission d’éléments de résistance des animaux aux humains. Des isolats d’E. coli prélevés chez des souris, des poulets et des humains peuvent s’échanger des gènes de résistance (130). Les intégrons d’isolats d’E. coli multirésistants prélevés chez des animaux et des humains dans des cas d’infection des voies urinaires possédaient des cassettes de gènes et des configurations identiques, et ces cassettes de gènes étaient également identiques aux isolats observés ailleurs dans le monde. Les auteurs ont soulevé la question sur la possibilité que les animaux destinés à l’alimentation pouvaient constituer un réservoir d’intégrons, avec transmission globale et interespèces, pour la dissémination de la résistance des bactéries commensales et pathogènes humaines aux antimicrobiens (30). La transmission des gènes de résistance ne se limite pas à E. coli pathogène. Des éléments de résistance peuvent être transmis à de nombreux pathogènes, qu’ils appartiennent ou non à la famille des entérobactériacées (27,28). De fait, les infections causées par des bactéries à Gram négatif multirésistantes sont de plus en plus importantes en médecine humaine (131). Si ces agents pathogènes acquièrent des gènes de résistance à partir de bactéries commensales à Gram négatif, l’étude de la prévalence et des déterminants de la RAM chez E. coli peut améliorer notre compréhension de l’épidémiologie de la RAM chez un groupe diversifié de pathogènes humains. Bien entendu, E. coli n’est pas seulement important pour son rôle d’indicateur de contamination. En effet, E. coli peut être pathogène. E. coli producteur de

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vérotoxine (ECPV) provoque certains symptômes, notamment de la diarrhée, une colite hémorragique et un syndrome urémique. Ce type de virulence est souvent exprimé par le sérotype O:157, mais il n’est pas associé exclusivement à cette souche (25,132). Les infections causées par les ECPV sont principalement d’origine alimentaire et sont associées à la viande bovine. Chez l’humain, les infections attribuables à ECPV ne sont pas associées à la RAM. Les antimicrobiens sont contre-indiqués dans les cas d’infections à ECPV, car ils peuvent provoquer la libération de vérotoxines. Donc, l’échec thérapeutique suscite peu de préoccupations (133). La fraction attribuable (c.-à-d. les cas d’infection chez les patients traités au moyen d’antimicrobiens ciblant un pathogène alimentaire résistant) semble également minime étant donné que les résultats d’études ayant comparé les taux de RAM dans les cas d’infection à ECPV et ceux attribuables à d’autres pathogènes chez des animaux sains ont indiqué des taux de résistance moins élevés dans les isolats d’ECPV (bien que des taux de résistance plus élevés puissent être isolés chez des animaux infectés, ils ont sans doute été exposés à l’UAM thérapeutique et ne sont pas représentatifs des taux normaux de bactéries pouvant contaminer les aliments) (134,135). Chez le porc, le fait que les antimicrobiens utilisés puissent cibler une souche virulente d’E. coli a suscité des inquiétudes, d’autant plus que des liens ont pu être établis sur le plan statistique entre les gènes de résistance et les gènes de virulence (26,136). Des isolats virulents ont été prélevés chez des porcs infectés, ce qui a soulevé bien des questions en lien avec la santé animale. Cependant, l’existence de liens de cette nature entre les gènes de résistance et de virulence chez E. coli à partir d’isolats prélevés chez des animaux sains serait source d’inquiétude en matière de salubrité des aliments, car cela laisserait supposer que l’emploi d’antimicrobiens pourrait augmenter la prévalence d’isolats virulents ainsi que les risques de maladies d’origine alimentaire. Selon une étude visant à évaluer E. coli chez des porcs sains destinés à l’alimentation, aucune corrélation ne peut être établie entre les gènes de virulence et de résistance (48). Étant donné que la viande bovine est la principale

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source d’ECPV et que les préoccupations sont relativement faibles à l’égard de la RAM pour la santé humaine, E. coli pathogène n’est pas pris en compte davantage dans le cadre de ce projet. La contamination des aliments par E. coli peut également être associée à des souches d’E. coli pathogènes extra-intestinales. Étant donné le signalement de grappes de cas d’infections des voies urinaires attribuables à des clones d’E. coli de souche uropathogène, l’hypothèse voulant que les humains partagent une même source d’infection, soit la nourriture, a été émise (137,138). Cette hypothèse a été examinée sous l’angle de l’épidémiologie classique et moléculaire : une étude cas-témoins visait à comparer les habitudes alimentaires des femmes présentant des infections sensibles et résistantes, et les résultats ont indiqué que la consommation de porc et de poulet était un facteur de risque de transmission de phénotypes de résistance spécifiques (139). De récentes recherches sur les infections à E. coli aviaire pathogène et uropathogène diagnostiquées chez l’humain révèlent que pour une souche en particulier, O1:K1:H7, les génomes d’isolats aviaires et humains ont été très similaires. Ces résultats semblent donc corroborer l’hypothèse voulant que certains E. coli aviaires de souche pathogène puissent être une source d’exposition humaine à E. coli uropathogène, par la consommation d’aliments. Johnson et ses collaborateurs ont conclu qu’aucune donnée probante sur le plan génétique ne montrait la présence de pathotypes d’E. coli pathogène extra-intestinale propres à un syndrome ou à un hôte. Les chercheurs précisent que des études plus approfondies doivent être menées afin de déterminer la nature des liens existant entre les pathogènes animaux et humains (140). Ces résultats ont eu pour effet de soulever d’autres inquiétudes en matière de contamination des aliments par des bactéries alimentaires, et ils feront sans aucun doute l’objet de projets de recherche futurs. Lorsque l’on prend en considération la capacité d’E. coli de souches pathogènes à causer des infections extra-intestinales, en plus de la possibilité

que des organismes E. coli d’origine animale partagent des gènes de RAM avec une variété de bactéries commensales et pathogènes humaines, il est évident que les effets des bactéries alimentaires résistantes sont nombreux (27,30,130). Grâce à l’épidémiologie et à la génétique moléculaire, nous sommes en mesure d’élucider les véritables liens existant entre les humains et les animaux, ainsi qu’entre les bactéries et leurs gènes transmissibles, des sujets qui ont été abordés jusqu’ici mais pour lesquels on ne dispose pas actuellement de données suffisantes. Par conséquent, ce qui était plausible nous semble de plus en plus possible, bien que la prévalence de ces associations ne soit pas connue. Ces récents développements montrent à quel point les risques associés à la résistance bactérienne sont imprévisibles et soulignent la nécessité de penser différemment afin de bien comprendre les liens existant entre la RAM chez l’animal et chez l’humain. Notre compréhension de l’épidémiologie des infections alimentaires associées à E. coli est loin d’être exhaustive et, d’après les informations dont nous disposons, aucune étude n’a porté sur l’évaluation de la gravité ou du coût lié au traitement des infections résistantes ou sensibles lorsque la résistance est directement ou indirectement attribuée à la transmission de gènes provenant de bactéries commensales. D’après ce résumé, il est évident que nous en savons encore trop peu sur le sujet.

Enterococcus La RAM des entérocoques fait l’objet d’une surveillance pour trois principales raisons. Premièrement, parce que les entérocoques sont des indicateurs de contamination fécale et qu’ils servent à mettre en évidence les bactéries à Gram positif. À l’instar d’E. coli, les entérocoques sont des bactéries commensales ubiquistes présentes chez les animaux sains, y compris les humains. Ils peuvent survivre dans l’environnement après la libération à l’extérieur de leur animal hôte, et ils peuvent indiquer le degré de pression sélective exercée par un antimicrobien chez leur hôte (141–143). Deuxièmement, parce que les entérocoques peuvent intégrer et transférer rapidement des gènes de RAM. Les transposons

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congruents ont été décelés chez des porcs et des humains, ce qui indique que les éléments de résistance peuvent passer d’une espèce animale à une autre (144). Les entérocoques peuvent également transmettre des gènes de résistance à d’autres bactéries. En particulier, le fait que la résistance à la vancomycine puisse être transmise des entérocoques à Staphylococcus aureus multirésistant est aussi préoccupant. Une telle transmission s’est produite dans le cadre d’études expérimentales, et un nombre limité de cas d’infection humaine a été signalé (145–148). Enfin, la troisième raison qui justifie l’étude du phénomène de RAM chez les entérocoques, et il est permis de penser qu’il s’agit de la plus importante, est que ces bactéries comptent parmi les pathogènes opportunistes les plus importants que l’on observe chez l’humain et qui peuvent avoir des répercussions sur les protocoles thérapeutiques. Environ 60 % des infections à Enterococcus sont de nature nosocomiale (149). Les infections sont principalement causées par E. fæcalis (80 à 90 %) et, dans une moindre mesure, par E. fæcium (5 à 10 %), bien que la proportion attribuable à E. fæcium soit en hausse (149–151). Les entérocoques sont intrinsèquement résistants aux céphalosporines, aux fluoroquinolones, à la clindamycine, aux associations triméthoprime‑sulfonamides, ainsi qu’aux faibles doses d’aminoglycosides. De plus, E. fæcium possède une sensibilité variable aux bêta-lactamines (106,150). La résistance acquise à une variété de médicaments restreint davantage les options thérapeutiques pour la prise en charge de ces infections (150). Pour l’heure, la résistance à la vancomycine et la résistance à la quinupristine/dalfopristine comptent parmi les phénomènes qui s’avèrent les plus préoccupants en matière de traitement des infections causées par les entérocoques. Ces inquiétudes sont reliées, car on a eu recours aux streptogramines pour tenter d’élucider la résistance à la vancomycine. Cette discussion concerne en grande partie E. fæcium, car la résistance acquise est moins fréquente dans le cas d’E. fæcalis (150).

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De nombreux gènes confèrent la résistance à la vancomycine : le gène vanA confère également une résistance à la téicoplanine, et il s’agit d’un des gènes les plus courants et les plus préoccupants (150). La résistance à la vancomycine est apparue à la fin des années 1980. En l’espace de 10 ans, elle représentait 25 % des infections à entérocoques véhiculées par le sang aux États-Unis (24,152,153). Étant donné que les infections nosocomiales à E. fæcium sont moins fréquentes que celles causées par E. fæcalis, et que la résistance à la vancomycine est plus courante chez E. fæcium, en l’an 2002, le taux de résistance chez E. fæcium avait atteint 75 % dans certains hôpitaux des États-Unis (152). L’ampleur de ce problème varie d’un pays à l’autre. Plus de la moitié des pays d’Europe qui assurent la surveillance des infections nosocomiales ont signalé des taux de résistance à la vancomycine