Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et ...

Troubles de la concentration. Troubles de la mémoire. Difficultés d'idéation. Autoréflexion/moindre spontanéité. 15. Baisse de la tolérance au stress. Intolérance ...
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L’Encéphale (2012) xxx, xxx—xxx

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CLINIQUE

Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative Prodromal symptoms in schizophrenic relapse: A descriptive and comparative study S. Bouhlel ∗, Y. Jones , E. Khelifa , M. Msolly , W. Melki , Z. El-Hechmi Hôpital Razi La Manouba, rue les Orangers, La Manouba, 2010 Tunisie Rec ¸u le 16 mars 2011 ; accepté le 5 octobre 2011

MOTS CLÉS Schizophrénie, Récidive, Prévision, Évolution

KEYWORDS Schizophrenia, Relapse,



Résumé Introduction. — La détection des prodromes des rechutes schizophréniques a un intérêt préventif, toutefois les études consacrées à ce sujet restent rares. But du travail. — Décrire la fréquence et les délais d’apparition des symptômes prodromaux des rechutes schizophréniques qui sont comparativement plus fréquents que les symptômes présentés par des patients en rémission. Méthodes. — L’étude a porté sur 30 sujets atteints de schizophrénie en rechute et 30 en rémission, chez qui les prodromes ont été recherchés rétrospectivement à partir d’une liste composée de 93 symptômes. Résultats. — La durée moyenne de la phase prodromale était de 160,5 jours. Les prodromes significativement plus fréquents dans le groupe « rechute » que dans le groupe « rémission » étaient les idées surinvesties/délire (93,3 % des sujets en rechute), les troubles du sommeil (80 %), les symptômes de désorganisation (80 %) et les symptômes d’excitation/labilité thymique (73,3 %). Les symptômes non spécifiques précédaient les symptômes spécifiques (149,4 jours versus 94,8 jours). Les prodromes les plus précoces étaient le syndrome d’influence (113,4 jours avant la rechute), l’hétéroagressivité non physique (108,1 jours) et les idées suicidaires (94,8 jours). Conclusion. — Un dépistage plus précoce des prodromes par le médecin, la famille ou le patient lui-même est nécessaire. © L’Encéphale, Paris, 2011. Summary Introduction. — Schizophrenia is a severe, chronic psychiatric disorder. After recovery from a first psychotic episode, 70% of patients have exacerbations. These exacerbations are preceded in 66 to 100% of cases by early signs. Prevention of relapses is the main object of dealing with schizophrenia. In fact, after a psychotic relapse, 17% of patients develop residual symptoms

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Bouhlel).

0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2011. doi:10.1016/j.encep.2011.12.005

Pour citer cet article : Bouhlel S, et al. Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative. Encephale (2012), doi:10.1016/j.encep.2011.12.005

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S. Bouhlel et al.

Early sign, Prodroma

which did not exist before the relapse. Moreover, symptoms resistant to antipsychotics appear in 35% of patients after a relapse. Each relapse increases the risk of future relapses. Finally, the cost of treating patients with relapses is four times higher than in patients without relapses. Prevention of relapses is possible if we detect early signs. In fact, when specific interventions are applied in time, relapses can be avoided. Surprisingly, there is a scarcity of data on prodromal symptoms of schizophrenic relapses in the literature. Objective. — In this study, we aimed to describe early signs of schizophrenic relapses, which are comparatively more frequent than those in stabilized outpatients. Methods. — We conducted a retrospective, descriptive and comparative trial. We included 30 patients with schizophrenia who had recently experienced a psychotic relapse and a member of their families. We also included a control group of 30 stabilized outpatients with schizophrenia. All of the patients were diagnosed schizophrenic according to the DSM IV and had no secondary diagnosis. Only patients aged from 18 to 55 years and having an illness with an episodic evolution were included. The relapse group must have had a period off illness of more than one year and duration of the last remission greater than 3 months. We built a structured interview based on the data of the literature on early symptoms of relapses and on our clinical experience. It contained 93 items describing symptoms and feelings relevant to the period of relapse. The interview lasted about 1 h. We collected demographic information from both groups. The relapse group was composed of 21 men and nine women. Their average age was 34 years and their level of education was 9.3 years. The mean number of hospitalizations was 3.8 and 73.3% of patients had interrupted their medication. The stabilized outpatients group included 25 men and five women with an average age of 40.3 years. The mean level of education was 8.3 years, the number of hospitalizations was 2.7 and 16.7% of patients had interrupted their medication. Results. — The mean time interval between the beginning of symptoms and the need for hospitalization was 160.5 days. The more frequent symptoms in the relapse group than in stabilized patients were: overinvested ideas/delusions (93.3% of relapsing patients), trouble sleeping (80%), symptoms of disorganization (80%), and excitement/mood changes (73.3%). Globally, non-specific symptoms precede specific symptoms (149.4 days vs. 94.8 days). The earlier signs were influence syndrome (113.4 days before relapse), verbal aggressions against others (108.1 days) and suicidal thoughts (94.8 days). The latest signs were physical aggression against others (37.3 days), unmotivated smiles (35.4 days), aggression against self (35 days), strange thoughts (30.7 days) and breaking things (25.3 days). Conclusion. — The time between perception of symptoms and hospitalization in schizophrenic patients in this study was very long (approximately 6 months). Non-psychotic prodromal symptoms precede psychotic symptoms. We recommend a major focus on teaching the patient and his/her family how to recognize early signs of decompensation and what steps to take to ensure effective treatment. We also recommend further research to determine the predictive positive value of early signs of relapse. © L’Encéphale, Paris, 2011.

Introduction La schizophrénie est un trouble psychiatrique sévère, d’évolution chronique. Après un premier épisode psychotique, l’évolution peut se faire de quatre manières différentes [11]. Une absence de symptômes résiduels durables et absence de rechutes ultérieures dans 22 % des cas ; alternance de rémissions et de rechutes, avec peu ou pas de symptômes résiduels au cours des rémissions, dans 35 % des cas ; alternance de rémissions et de rechutes avec aggravation des symptômes résiduels au fil des rechutes dans 35 % des cas et absence de rémission, avec une évolution continue, dans 8 % des cas. La présence de rechutes schizophréniques concernerait donc 70 % des patients atteints de schizophrénie. La prévention de ces rechutes est un objectif majeur de la prise en charge de cette pathologie. En effet, après une rechute, 17 % des patients gardent des

symptômes résiduels qui étaient absents avant la rechute [18]. De plus, des symptômes résistants aux traitements psychotropes apparaissent chez 35 % des patients après une rechute [11,15]. Par ailleurs, chaque rechute accroît le risque de rechutes futures [6,13,16]. Enfin, les dépenses liées au traitement chez les patients qui rechutent sont quatre fois plus importantes que chez ceux qui ne rechutent pas [1]. La prévention des rechutes schizophréniques est possible grâce au repérage des prodromes qui précèdent ces rechutes dans 66 à 100 % des cas [4]. En effet, des interventions appliquées précocement, lors de l’apparition des prodromes, pourraient prévenir une rechute [10]. Une meilleure connaissance de la nature des prodromes, et de leur lien temporel avec les rechutes, s’avère ainsi intéressante.

Pour citer cet article : Bouhlel S, et al. Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative. Encephale (2012), doi:10.1016/j.encep.2011.12.005

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Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative

Objectifs Les objectifs de ce travail étaient de décrire les symptômes prodromaux des rechutes schizophréniques qui sont comparativement plus fréquents que ceux rapportés par une population de patients en rémission schizophrénique.

Patients et méthodes Il s’agit d’une étude rétrospective, descriptive et comparative, non randomisée qui a concerné un groupe de 30 patients atteints de schizophrénie en rechute et un groupe témoin de 30 patients en rémission suivis à l’hôpital psychiatrique « Razi » de Tunis. Les patients du groupe « rechute » ont été recrutés parmi les patients hospitalisés alors que les patients du groupe « rémission » ont été recrutés à la consultation externe. Les critères d’inclusion étaient un âge compris entre 18 et 55 ans, le diagnostic de schizophrénie selon les critères du DSM-IV [2], une modalité évolutive épisodique et non continue, une durée de suivi psychiatrique d’au moins un an et le consentement informé du patient pour participer à l’étude. Pour le groupe « rechute », nous avons exigé l’existence d’une rémission schizophrénique précédant la rechute actuelle ayant duré au moins trois mois et la présence d’au moins un membre de l’entourage du patient, consentant à participer à l’étude. Les critères d’exclusion étaient l’abus ou la dépendance à une substance (sauf le tabac), le retard mental et la grossesse. La rechute schizophrénique était définie comme la nécessité d’une hospitalisation au moment de la passation du questionnaire. De plus, les critères ‘Désorganisation conceptuelle’, ‘Comportement hallucinatoire’ et ‘Pensées inhabituelles’ du Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS), devaient tous les trois être demeurés inférieurs ou égaux à trois durant la période de la rémission qui précède la rechute actuelle, et au moins un de ces critères devait être strictement supérieur à cinq lors de la passation du questionnaire. La rémission schizophrénique était définie comme l’absence de nécessité actuelle d’hospitaliser le patient, l’absence d’hospitalisation au cours des six derniers mois, l’absence d’augmentation de la posologie des médicaments psychotropes ou d’adjonction de nouveaux médicaments psychotropes au cours des six derniers mois. Enfin, les critères ‘Désorganisation conceptuelle’, ‘Comportement hallucinatoire’ et ‘Pensées inhabituelles’ du BPRS, devaient tous les trois être demeurés inférieurs ou égaux à trois au cours des six derniers mois, et être tous les trois inférieurs ou égaux à cinq lors de la passation du questionnaire. Les symptômes apparus avant ou pendant la rechute précédente ont été considérés comme des symptômes résiduels et n’ont pas été étudiés. Le questionnaire utilisé était constitué de 93 symptômes répartis en catégories de symptômes. Les symptômes ont été classés en symptômes non spécifiques (Tableau 1) et en symptômes spécifiques (Tableau 2). Les symptômes non

Tableau 1

Nature des symptômes non spécifiques.

Symptômes non spécifiques 1. Symptômes dépressifs Humeur dépressive Anhédonie Dévalorisation Culpabilité Idées suicidaires 2. Troubles de la volition Baisse de l’élan vital Asthénie Limitation des centres d’intérêt Perte des centres d’intérêt Baisse de l’activité motrice/clinophilie Négligence de l’hygiène corporelle ou vestimentaire Réduction du langage spontané Lenteur du langage Baisse de la libido 3. Symptômes d’excitation/Labilité thymique Humeur expansive Humeur labile Irritabilité/nervosité Le fait de trop parler Accélération du langage Augmentation de l’activité motrice Hausse de la libido 4. Symptômes anxieux Anxiété/tension subjective Soucis pour des problèmes mineurs Préoccupation sur la santé Impression de devenir fou 5. Comportement obsessionnel Change trop souvent ses habits Rituels de lavage ou de nettoyage Rituels de vérification des portes 6. Modification du comportement social et professionnel Retrait social Baisse du besoin de contacts sociaux Fléchissement professionnel 7. Hétéroagressivité Hétéroagressivité non physique Agressivité verbale/coprolalie Autoritarisme Hétéroagressivité physique Coups et blessures Bris d’objets Actes incendiaires Manipulation d’armes blanches Désinhibition sexuelle 8. Autoagressivité Automutilations Tentative de suicide 9. Modification du comportement alimentaire Perte de l’appétit Augmentation de l’appétit Amaigrissement Prise de poids Consommation excessive de tabac Arrêt de la consommation de tabac

Pour citer cet article : Bouhlel S, et al. Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative. Encephale (2012), doi:10.1016/j.encep.2011.12.005

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S. Bouhlel et al. Tableau 1 (suite)

Tableau 2

Nature des symptômes spécifiques.

Symptômes non spécifiques

Symptômes spécifiques

Consommation excessive d’alcool Consommation excessive de café 10. Modification du comportement religieux Surinvestissement religieux 11. Symptômes physiques Impuissance sexuelle Algies diverses (céphalées, douleurs thoraciques, douleurs abdominales) Palpitations Hyperventilation 12. Troubles de l’expression des émotions Hyperréactivité émotionnelle Baisse de la réactivité émotionnelle (mimique, prosodie, communication gestuelle) 13. Troubles du sommeil Insomnie d’endormissement Réveils nocturnes Insomnie matinale Insomnie totale Hypersomnie Somnolence diurne Inversion du rythme nycthéméral Cauchemars 14. Troubles cognitifs Lenteur de la pensée Accélération de la pensée Troubles de la concentration Troubles de la mémoire Difficultés d’idéation Autoréflexion/moindre spontanéité 15. Baisse de la tolérance au stress Intolérance au bruit Intolérance aux stimuli multiples Intolérance au travail sous contraintes (de temps, physiques, psychologiques) 16. Troubles moteurs (difficultés à la marche et à la manipulation d’objets)

1. Idées surinvesties/délires Idées de référence Impression qu’on parle de lui Impression qu’on rit de lui Impression qu’on l’observe ou qu’on le surveille Syndrome d’influence Méfiance Pensées inhabituelles/idées bizarres Idées de grandeur Idées de persécution Idées d’ensorcellement Délire de possession 2. Hallucinations/troubles perceptuels Troubles de la perception auditive Troubles proprioceptifs Troubles de la perception visuelle Troubles de la perception tactile Troubles de la perception olfactive Attitudes hallucinatoires 3. Désorganisation Comportement bizarre Soliloquie Sourires immotivés Errances

En gras : catégories de symptômes.

spécifiques ont été subdivisés en 16 catégories de symptômes. Les symptômes spécifiques ont été subdivisés en trois catégories de symptômes : idées surinvesties/délires ; hallucinations/troubles perceptuels et désorganisation. La durée d’évolution d’une catégorie de symptômes a été considérée comme la durée d’évolution du symptôme le premier apparu. La durée de passation du questionnaire était d’environ une heure. Pour les sujets en rechute, le questionnaire était soumis au patient lorsque son état permettait une coopération suffisante avec l’examinateur. En cas de présence d’accompagnants, le questionnaire était soumis au patient et à l’accompagnant simultanément. Lorsque les réponses entre les patients et les accompagnants étaient différentes, la réponse du patient était prise en compte pour les symptômes subjectifs, alors que la réponse de l’accompagnant était prise en compte pour les symptômes objectifs.

En gras : catégories de symptômes.

Si un symptôme est apparu après la rechute précédente, sa date d’apparition était précisée davantage. Afin de faciliter la remémoration des dates d’apparition des symptômes par les patients et leurs accompagnants, des dates de référence leur étaient proposées, telles que la date de la dernière hospitalisation, les dates des consultations, certains évènements médiatisés et des fêtes religieuses. Les données ont été analysées au moyen du logiciel SPSS version 16.0. Pour les variables qualitatives, un calcul des fréquences simples et des fréquences relatives (pourcentages) a été effectué. Pour les variables quantitatives, un calcul des moyennes et des écarts-types a été effectué. Les variables qualitatives ont été comparées à l’aide du test de corrélation de Pearson (Khi2 ) et du test de Fisher. Le niveau de significativité alpha a été fixé à une valeur de 0,05. Les variables quantitatives ont été comparées à l’aide du t-test de Student pour séries indépendantes, avec un intervalle de confiance de 95 % et un niveau de significativité alpha de 0,05.

Résultats Le groupe des sujets en rechute était composé de 21 hommes et neuf femmes. Leur âge moyen était de 34 ans et 13,3 % d’entre eux étaient mariés. Les sujets en rémission comportaient 25 hommes et cinq femmes, ayant un âge moyen de 40,3 ans, et dont 23,3 % étaient mariés. Le nombre moyen d’années d’instruction était de 9,3 pour les sujets en rechute et de 8,3 pour les sujets en rémission. Des antécédents familiaux psychiatriques étaient présents chez 43,3 % des sujets en rechute et 26,7 % des sujets en rémission. Une

Pour citer cet article : Bouhlel S, et al. Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative. Encephale (2012), doi:10.1016/j.encep.2011.12.005

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Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative consommation de tabac était notée chez 60 % des sujets, et ce, dans les deux groupes. La majorité des sujets avait un diagnostic de schizophrénie indifférenciée (43,3 % des sujets en rechute, 26,7 % de ceux en rémission) ou paranoïde (40 % des sujets en rechute, 50 % de ceux en rémission). La majorité des sujets avait une schizophrénie d’évolution épisodique avec symptômes résiduels entre les épisodes (93 % des sujets en rechute, 100 % de ceux en rémission). Le score de la symptomatologie positive à l’échelle de la Positive and Negative Syndrome Scale (PANSS) était de 19,13 chez les sujets en rechute et de 11,17 chez ceux en rémission. Celui de la symptomatologie négative était de 24,57 pour le groupe « rechute » et de 20,33 pour le groupe « rémission ». Le score total était respectivement de 81,9 et de 62,73. La durée moyenne de la prise en charge psychiatrique était de 105,5 mois pour les sujets en rechute et de 132,9 mois pour les sujets en rémission. Le nombre moyen d’hospitalisations en milieu psychiatrique était de 3,8 pour les sujets en rechute, et de 2,7 chez ceux en rémission. Un arrêt de traitement a été trouvé chez 73,3 % des sujets en rechute et 16,7 % des sujets en rémission. De point de vue statistique, les deux groupes étaient comparables en termes de caractéristiques sociodémographiques et cliniques sauf pour l’âge moyen (p = 0,003) et évidemment pour les scores de la PANSS (p < 0,001). Après le dernier épisode psychotique, le premier symptôme, qu’il soit spécifique ou non, est apparu 160,5 jours avant la rechute actuelle pour les sujets du groupe « rechute » avec des extrêmes allant de deux jours à 365 jours. Pour les sujets en rémission, il est apparu 237,1 jours avant l’évaluation actuelle avec des extrêmes allant de 30 jours à 365 jours. La différence entre les deux groupes était statistiquement significative (p = 0,017). Après comparaison des deux groupes, les prodromes les plus fréquents étaient les idées surinvesties/délires, les troubles du sommeil, les symptômes de désorganisation et les symptômes d’excitation/labilité thymique (Tableau 3). Les symptômes non spécifiques significativement plus fréquents chez les sujets en rechute étaient : les troubles du sommeil ; les symptômes d’excitation/labilité thymique, en particulier l’irritabilité/nervosité ; les troubles de la volition, en particulier la négligence de l’hygiène corporelle et vestimentaire. Les symptômes spécifiques les plus fréquents étaient : les idées surinvesties/délires, en particulier les idées de persécution ; les symptômes de désorganisation, en particulier la soliloquie et le comportement bizarre ; les hallucinations/troubles perceptuels, en particulier les troubles de la perception auditive et les attitudes hallucinatoires. Concernant les délais d’apparition des prodromes, les symptômes les plus précoces étaient le syndrome d’influence, l’hétéroagressivité non physique et les idées suicidaires. Les prodromes les plus tardifs étaient l’hétéroagressivité physique, les sourires immotivés, l’autoagressivité, les pensées inhabituelles/idées bizarres et les bris d’objets (Tableau 4). Les symptômes non spécifiques les plus précoces étaient : l’hétéroagressivité non physique ; les idées suicidaires ; la baisse du besoin de contacts sociaux. Les symptômes spécifiques les plus précoces étaient : le syndrome d’influence ; l’impression qu’on parle de lui ; les idées surinvesties/délires.

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Tableau 3 Classement selon la fréquence des symptômes spécifiques et non spécifiques significativement plus fréquents chez les sujets en rechute que chez ceux en rémission. Symptômes Symptômes non spécifiques Symptômes spécifiques Idées surinvesties/délires Troubles du sommeil Symptômes de désorganisation Symptômes d’excitation/labilité thymique Troubles de la volition Hallucinations/troubles perceptuels Soliloquie Irritabilité/nervosité Hétéroagressivité Troubles du comportement social et professionnel Idées de persécution Hétéroagressivité non physique Agressivité verbale/coprolalie Hétéroagressivité physique Troubles de la perception auditive Retrait social Attitudes hallucinatoires Négligence hygiène corporelle et vestimentaire Humeur dépressive Coups et blessures Comportement bizarre Amaigrissement Pensées inhabituelles/idées bizarres Idées suicidaires Impression qu’on parle de lui Sourires immotivés Bris d’objets Baisse du besoin de contacts sociaux Accélération du langage Autoagressivité Syndrome d’influence

n 30 30 28 24 24 22 21 19 19 18 18 15 15 14 14 14 14 13 13 12 11 11 11 10 9 8 8 8 7 6 5 5 5

En gras : catégories de symptômes.

Discussion D’une fac ¸on globale, les données de notre étude tendent à suggérer que la phase prodromale débute cinq mois avant l’hospitalisation, avec l’apparition de symptômes non spécifiques. Quatre mois avant l’hospitalisation, apparaît le premier symptôme spécifique : le syndrome d’influence. Trois mois avant l’hospitalisation, des symptômes d’agressivité non physique apparaissent, suivis d’idées suicidaires. Puis le sujet présente une baisse du besoin de contacts sociaux. Emergent ensuite des idées de référence. Le sujet maigrit, néglige son hygiène et devient agressif verbalement. Viennent ensuite se surajouter des troubles du sommeil et de la volition, puis des troubles perceptuels, des hallucinations et une soliloquie. Deux mois avant l’hospitalisation, le sujet devient irritable et se met en retrait social, puis devient triste et se sent persécuté. Un mois avant l’hospitalisation, son comportement devient bizarre ; il se met à frapper autrui, à sourire sans raison,

Pour citer cet article : Bouhlel S, et al. Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative. Encephale (2012), doi:10.1016/j.encep.2011.12.005

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S. Bouhlel et al. Tableau 4 Classement par ordre chronologique de l’ensemble des symptômes significativement plus fréquents chez les sujets en rechute que chez ceux en rémission. Symptômes

Durée moyenne (jours)

Symptômes non spécifiques Syndrome d’influence Hétéroagressivité non physique Symptômes spécifiques Idées suicidaires Baisse du besoin de contacts sociaux Impression qu’on parle de lui Amaigrissement Négligence de l’hygiène corporelle et vestimentaire Agressivité verbale/coprolalie Troubles du sommeil Troubles de la volition Accélération du langage Idées surinvesties/délires Hallucinations/troubles perceptuels Soliloquie Troubles du comportement social et professionnel Symptômes d’excitation/labilité thymique Symptômes de désorganisation Irritabilité/nervosité Retrait social Humeur dépressive Idées de persécution Attitudes hallucinatoires Troubles de la perception auditive Comportement bizarre Hétéroagressivité physique Coups et blessures Sourires immotivés Autoagressivité Pensées inhabituelles/idées bizarres Bris d’objets

149,4 113,4 108,1 94,8 94,5 92,5 92,1 90,7 89,9 88,8 87,4 84,2 78 75,7 71,4 71,3 71,3 70,9

64,2 63,1 56,8 54,4 53,3 52,8 49,2 39,7 37,3 35,9 35,4 35 30,7 25,3

En gras : catégories de symptômes.

à avoir des pensées bizarres et à briser des objets, ce qui l’amène alors à l’hôpital. Le présent travail comporte certaines insuffisances méthodologiques en rapport avec son type rétrospectif. Cela impliquerait des biais de remémoration qui concernaient les prodromes et les critères de rechute et de rémission. Ces biais pourraient être majorés par les troubles cognitifs pouvant compliquer la schizophrénie que celle-ci soit traitée ou non. Nous avons essayé de réduire ces biais par la consultation des dossiers, l’interrogatoire de l’entourage et la proposition de dates repères. Par ailleurs, le recueil

des symptômes prodromaux est nécessairement rétrospectif, même dans les travaux prospectifs [3,7]. La notion de prodromes dans la schizophrénie pose aussi des problèmes d’ambiguïté. En effet, classiquement, les symptômes prodromaux sont définis comme des symptômes non spécifiques précédant l’apparition d’une maladie. Or, dans ce travail, des symptômes psychotiques tels que les hallucinations et les délires, ont été considérés comme des symptômes prodromaux, alors qu’ils sont considérés comme caractéristiques des rechutes schizophréniques. Les données de la littérature justifient l’inclusion de tels symptômes. En effet, Bechdolf et al. [4] ont inclus les idées de référence, les troubles de la pensée et les troubles perceptuels dans les prodromes. De même Tarrier et al. [19] et Herz et al. [11] ont inclus les hallucinations, Subotnik et al. [20] ont inclus les troubles de la pensée, et Birchwood et al. [5] les idées de référence. La durée moyenne de la phase prodromale (cinq mois environ) que nous avons trouvée est plus élevée que celle citée dans la littérature, qui est de deux mois environ [3,4,11]. Cette différence pourrait être expliquée par l’évaluation rétrospective de cette durée, ainsi que les difficultés des patients de notre étude à accéder aux soins spécialisés vu l’éloignement de ces structures de soins, leurs ressources économiques limitées et les délais parfois longs des procédures administratives d’hospitalisation d’office. Toutefois, nous notons que la durée d’évolution des prodromes est similaire à la littérature [8,9,12,14,17,18] en ce qui concerne : l’anxiété/tension subjective (56 jours) ; le retrait social (56 jours) ; les troubles de la concentration (30,8 jours) et l’intolérance aux stimuli multiples (14 jours). Pour la fréquence des prodromes, elle est similaire à la littérature [8,9,12,14,17] en ce qui concerne les troubles du sommeil (67,4 à 83 %) ; les symptômes dépressifs (63,3 à 75,7 %), en particulier l’humeur dépressive (36,6 à 49 %) et l’anhédonie (2 à 3,3 %) ; la négligence de l’apparence corporelle (40 à 41,3 %) ; l’irritabilité (41,3 à 60 %) ; les symptômes anxieux (38 à 43,3 %), en particulier l’impression de devenir fou (3,3 à 4 %) ; la baisse du besoin de contacts sociaux (20 à 29,6 %) ; l’agressivité non physique (45,6 à 46,6 %) ; la baisse de la réactivité émotionnelle (13,3 à 18,5 %) ; les idées de référence (27,9 à 33,3 %) ; les hallucinations/troubles perceptuels (53 à 63,3 %). La disparité des données concernant le type et la fréquence des prodromes de la rechute schizophrénique peut être attribuée aux différences méthodologiques entre notre travail et les autres travaux. Ces différences concernent en particulier le caractère rétrospectif ou prospectif, les définitions de la rechute schizophrénique, le moyen de recueil des symptômes prodromaux (entretiens non-structurés, semistructurés ou structurés), le recueil des prodromes auprès des patients et/ou de leurs familles.

Conclusion Une meilleure prise en charge des rechutes schizophréniques devrait se baser sur un dépistage plus précoce des prodromes de rechute d’autant plus que plusieurs travaux [3,6,7] ont montré que les séquences des symptômes prodromaux se répètent d’une fac ¸on similaire d’une rechute à l’autre chez

Pour citer cet article : Bouhlel S, et al. Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative. Encephale (2012), doi:10.1016/j.encep.2011.12.005

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Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative le même sujet. Le dépistage pourrait être effectué par le psychiatre, par la famille, voire par le patient lui-même. L’intégration de la liste de prodromes que nous venons d’identifier dans des programmes de psychoéducation pourrait améliorer la capacité à reconnaître ces symptômes et à recourir à l’aide nécessaire.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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Pour citer cet article : Bouhlel S, et al. Les prodromes des rechutes schizophréniques : étude descriptive et comparative. Encephale (2012), doi:10.1016/j.encep.2011.12.005