LES MARQUEURS TUMORAUX

Le dosage de l'antigène CA 19-9 est un bon outil de dépistage du can- cer du pancréas. (. (. 2. L'antigène carcino-embryonnaire constitue un bon marqueur ...
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LES MARQUEURS TUMORAUX POUR QUI, POURQUOI ET QUAND ? « Docteur, j’ai lu dans une revue qu’il y avait des prises de sang pour le cancer ! ». Que répondez-vous à ces patients qui vous demandent de passer une batterie de tests sanguins pour dépister le cancer ? Josie-Anne Boisjoly et Annie Lacroix

VRAI

FAUX

1.

Le dosage de l’antigène CA 19-9 est un bon outil de dépistage du cancer du pancréas.

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2.

L’antigène carcino-embryonnaire constitue un bon marqueur sérique du cancer colorectal.

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3.

Le dosage de l’antigène carcino-embryonnaire est recommandé dans le suivi du cancer du côlon réséqué.

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4.

Le dosage de l’alpha-fœtoprotéine est conseillé dans le dépistage de l’hépatocarcinome.

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5.

Pour l’instant, le dosage du CA 125 n’est pas recommandé comme outil de dépistage du cancer de l’ovaire.

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6.

Le ß-hCG et l’alphafœtoprotéine ont une valeur diagnostique et pronostique dans le dépistage du cancer du testicule.

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7.

Il est possible de détecter des cellules tumorales dans le sang.

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La Dre Josie-Anne Boisjoly, hémato-oncologue, exerce au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke et est professeure et chargée d’enseignement en hémato-oncologie. La Dre Annie Lacroix, hémato-oncologue, exerce à l’Hôpital du Haut-Richelieu. lemedecinduquebec.org

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1. LE DOSAGE DE L’ANTIGÈNE CA 19-9 EST UN BON OUTIL DE DÉPISTAGE DU CANCER DU PANCRÉAS. FAUX. L’antigène CA 19-9 est normalement exprimé à la surface de l’épithélium digestif où il joue un rôle dans l’immunosurveillance. Dans certains cancers, la synthèse du CA 19-9 est anormale, ce qui permet l’adhésion des cellules tumorales et favorise le processus métastatique. L’élévation du taux de CA 19-9 n’est toutefois pas propre au cancer du pancréas. Il est aussi élevé dans les cholangiocarcinomes et autres tumeurs des voies biliaires ainsi que dans d’autres maladies non cancéreuses, comme les cholédocholithiases, les kystes ovariens, la thyroïdite de Hashimoto, les diverticulites, la polyarthrite rhumatoïde et l’insuffisance cardiaque1. Le dosage du CA 19-9 demeure un test de référence pour le cancer du pancréas, en raison de sa valeur pronostique en période préopératoire, d’une corrélation entre l’augmentation du taux de CA 19-9 et le stade de la maladie et du fait qu’il s’agit d’un marqueur prédictif de survie. Néanmoins, il ne peut pas être utilisé comme méthode de dépistage, car il est peu spécifique (82 % – 90 %)1 et peu sensible (79 % – 81 %) en l’absence de symptômes1. D’ailleurs, il sera même absent chez de 5 % à 10 %1 des patients atteints. Le cancer du pancréas est rare. En 2013, au Canada, il était en effet classé au 10e rang des nouveaux cancers, ce qui représente 4700 nouveaux cas (2,4 %) par année2. Étant donné que les symptômes apparaissent souvent à un stade avancé, le pronostic est sombre. En 2013, au Canada, ce cancer a causé 4300 décès. À ce jour, aucun test de dépistage n’est recommandé1,2.

3. LE DOSAGE DE L’ANTIGÈNE CARCINOEMBRYONNAIRE EST RECOMMANDÉ DANS LE SUIVI DU CANCER DU CÔLON RÉSÉQUÉ. VRAI ET FAUX. Le dosage de l’antigène carcino-embryonnaire devrait être fait tous les trois à six mois chez les patients ayant subi une résection d’un cancer de stade II (envahissement des tissus péricolorectaux ou des organes adjacents sans atteinte des ganglions) ou de stade III (atteinte des ganglions)3. Ce suivi est suggéré pendant au moins trois ans, accompagné d’une anamnèse, d’un examen physique et d’une surveillance par tomodensitométrie et coloscopie selon le risque de récidive du patient. Les différents guides de pratique en vigueur dans le monde comportent quelques différences, mais préconisent les mêmes outils à différents intervalles. L’objectif est de démasquer une récidive afin de la trai­ ter sans délai, par exemple en procédant à la résection de métastases hépatiques isolées, ce qui peut prolonger la survie. De plus, plusieurs études et méta-analyses ont révélé que le traitement de la maladie métastatique peut améliorer la qualité de vie et la survie, même chez les patients sans symptômes. L’énoncé est donc à la fois vrai et faux puisqu’il ne s’applique qu’aux patients chez qui un traitement supplémentaire est envisageable.

2. L’ANTIGÈNE CARCINO-EMBRYONNAIRE CONSTITUE UN BON MARQUEUR SÉRIQUE DU CANCER COLORECTAL. VRAI.

4. LE DOSAGE DE L’ALPHA-FŒTOPROTÉINE EST CONSEILLÉ DANS LE DÉPISTAGE DE L’HÉPATOCARCINOME. FAUX.

L’antigène carcino-embryonnaire, une protéine, est habituellement sécrété à l’étape embryonnaire de la vie, son taux devenant quasi nul dès la naissance. Cependant, il peut être présent chez l’adulte, notamment chez les fumeurs, ainsi que lors d’affections non cancéreuses, comme la cholécystite, la diverticulite, la pancréatite, la cirrhose, les maladies inflammatoires de l’intestin, les cystadénomes séreux de l’ovaire ou de l’appendice et les infections pulmonaires. De plus, il peut être élevé en cas de cancers du sein, de la thyroïde, du pancréas et du poumon3,4.

En 2010, l’American Association for the Study of Liver Disease préconisait le suivi échographique du foie tous les six mois chez les patients présentant un risque élevé d’hépatocarcinome, notamment en cas d’hépatite B ou C chronique et de cirrhose.

C’est enfin le marqueur sérique le plus employé dans le suivi du cancer du côlon. Son dosage est recommandé en période préopératoire à la suite d’un diagnostic histologique de cancer colorectal, lors du suivi postopératoire (confirmation à la question 3) et au stade métastatique.

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Néanmoins, en raison de sa faible sensibilité à détecter les tumeurs peu avancées et de son augmentation en présence de certaines tumeurs bénignes, l’American Society of Oncology et l’European Group on Tumor Markers recommandent aux médecins de ne pas s’en servir comme outil de dépistage3.

Le Médecin du Québec, volume 49, numéro 11, novembre 2014

Cependant, elle ne recommande pas le dosage de l’alphafœtoprotéine, qui manque à la fois de sensibilité et de spécificité. De plus, l’association du dosage avec l’échographie accroît les coûts du dépistage, sans en améliorer les avantages5. L’alpha-fœtoprotéine, une glycoprotéine, habituellement sécrétée par le sac vitellin et le foie à l’étape embryonnaire, augmente en cas d’hépatocarcinome, de cirrhose ou d’hépatite virale. Par ailleurs, quelque 40 % des patients souffrant de cancer n’ont pas d’élévation de ce marqueur sérique5,6.

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TABLEAU

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PROBLÈMES ASSOCIÉS À L’ÉLÉVATION DU TAUX D’ALPHA-FŒTOPROTÉINE (AFP) ET DE ß-hCG7

Causes d’élévation

AFP

ß-hCG

Cancers

Carcinome hépatocellulaire Cancer de l’estomac Plus rarement : cancers du poumon, du côlon et du pancréas

Tumeur neuro-endocrine, de la vessie, du rein, du poumon, des sphères ORL et digestive, du col de l’utérus, de la vulve Plus rarement : lymphome et leucémie

Autres causes

Abus d’alcool, hépatite, cirrhose, obstruction des voies biliaires

Marijuana Hypogonadisme

Le dosage de l’alpha-fœtoprotéine reste donc utile dans le suivi d’un patient atteint d’hépatocarcinome chez qui une variation sérique peut être réévaluée en cours de traitement.

5. POUR L’INSTANT, LE DOSAGE DU CA 125 N’EST PAS RECOMMANDÉ COMME OUTIL DE DÉPISTAGE DU CANCER DE L’OVAIRE. VRAI. Selon Statistique Canada, une femme sur soixante-huit sera atteinte du cancer de l’ovaire au courant de sa vie et une sur quatre-vingt-quinze en mourra2. Au moment du diagnostic, environ six femmes sur dix en sont au stade III ou IV, associé à une survie au bout de cinq ans de moins de 50 %4. Actuellement, tous les grands organismes internationaux dé­conseillent le dépistage systématique de ce cancer. Puis­ qu’il s’agit d’une maladie à faible prévalence (2,9 % des nouveaux cas de cancer au Canada en 2013, ce qui le place au 8e rang), il faudrait un test ayant une spécificité de 99,6 % et une sensibilité de 90 % pour obtenir une valeur prédictive positive acceptable de 10 % ou plus2,6. Bien qu’il soit peu effractif, facilement reproductible et peu coûteux, le dosage du CA 125 n’est pas assez spécifique. En effet, le taux de CA 125 est élevé chez 1 % des femmes en santé et fluctue pendant le cycle menstruel. Il est haut, entre autres, en cas d’endométriose, de léiomyome utérin, de cirrhose, de maladie pelvienne inflammatoire, d’épanchement pleural, d’ascite et de cancer de l’endomètre, du sein, du poumon et du pancréas. De plus, la valeur moyenne des résultats varie selon l’âge, l’ethnie et le tabagisme. Enfin, la sensibilité du dosage du CA 125 au stade précoce du cancer de l’ovaire est insuffisante, soit de 25 % à 75 % au stade I et de 61 % à 96 % au stade II4.

6. LE ß-hCG ET L’ALPHA-FŒTOPROTÉINE ONT UNE VALEUR DIAGNOSTIQUE ET PRONOSTIQUE DANS LE DÉPISTAGE DU CANCER DU TESTICULE. VRAI. Dans le cadre de la prise en charge des cancers du testicule (séminome et tumeur non séminomateuse), les marqueurs tumoraux (ß-hCG, AFP et LDH) doivent être mesurés avant et après l’intervention chirurgicale. lemedecinduquebec.org

La demi-vie de l’AFP est d’environ cinq à sept jours et celle du ß-hCG est de 1,5 à trois jours. La non-normalisation des marqueurs évoque une maladie résiduelle. À noter toutefois qu’il peut y avoir une hausse de ces marqueurs dans d’autres causes : élévation du taux d’AFP en cas de dommages hépatocellulaires, d’hépatocarcinomes et d’autres tumeurs digestives et légère hausse de la sousunité ß-hCG chez les consommateurs de marijuana et les patients atteints de certains cancers (tableau7). Ces marqueurs tumoraux sont diagnostiques en présence d’une masse testiculaire. Un accroissement du taux d’AFP est pathognomonique des tumeurs non séminomateuses. Cependant, les taux de ß-hCG et de LDH peuvent être élevés dans ces deux situations. Ces marqueurs tumoraux ont aussi une valeur pronostique dans la maladie métastatique. Selon l’International Germ Cell Consensus Classification, les stades métastatiques sont divisés en risque favorable, intermédiaire et élevé selon le site des métastases, mais également selon le degré d’élévation des marqueurs.

7. IL EST POSSIBLE DE DÉTECTER DES CELLULES TUMORALES DANS LE SANG. VRAI. L’identification de cellules tumorales circulantes est un domaine de recherche en pleine effervescence. La com­ mu­n auté médicale est emballée à l’idée de pouvoir éven­tuellement suivre la charge métastatique grâce à des prises de sang, de mieux conseiller les patients sur les bienfaits des traitements adjuvants et peut-être même de dépister certains cancers. Pour l’instant, les études ont porté sur le suivi en contexte métastatique et sur l’importance pronostique en cas de maladie localisée. Bien qu’on trouve des données sur le cancer de la prostate, celles sur le cancer du sein sont plus nombreuses depuis quelques années. En effet, plusieurs essais se sont intéressés à la valeur pronostique des cellules tumorales circulantes chez les patientes dont la maladie est circonscrite et chez qui une intervention chirurgicale ainsi que des traitements de chimiothérapie et de radiothéra-

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pie sont envisagés. Le risque d’évolution du cancer et de mortalité est significativement plus important lorsque des cellules tumorales circulantes sont trouvées. De plus, ces cellules ne sont pas associées aux facteurs pronostiques classiques, comme le grade et la taille de la tumeur ou la présence d’envahissements ganglionnaires8. Cependant, la science n’en est qu’à ses premiers balbutiements. La difficulté est de bien repérer ces cellules parmi les milliards en circulation et de pouvoir le faire avec exactitude même à de très faibles concentrations. Cette technologie, ainsi que la manière de l’intégrer aux algorithmes décisionnels existants, n’a pas été validée à grande échelle et n’est toujours pas accessible. Il faudra attendre probablement encore quelques années.

CONCLUSION Les marqueurs tumoraux ont certainement leur place en oncologie. Pour certains cancers, ils ont un rôle tantôt diagnostique, tantôt pronostique et sont utiles dans l’évaluation de la réponse au traitement. Toutefois, aucune donnée probante ne justifie leur utilisation dans un contexte de dépistage. // Date de réception : le 24 avril 2014 Date d’acceptation : le 10 juin 2014 La Dre Josie-Anne Boisjoly n’a déclaré aucun intérêt conflictuel. La Dre Annie Lacroix a participé à une réunion multidisciplinaire de consultation sur le cancer du poumon pour Pfizer en juin 2014.

BIBLIOGRAPHIE 1. Ballehaninna UK, Chamberlain RS. The clinical utility of serum CA 19-9 in the diagnosis, prognosis and management of pancreatic adenocarcinoma: An evidence based appraisal. J Gastrointest Oncol 2012 ; 3 (2) : 105-19. 2. Comité consultatif de la Société canadienne du cancer. Statistiques canadien­ nes sur le cancer 2013. Toronto : Société canadienne du cancer, 2013 : Site In­ternet  : www.cancer.ca/~/media/cancer.ca/CW/cancer%20information/ cancer%20101/Canadian%20cancer%20statistics/canadian-cancer-statistics2013-FR.pdf (Date de consultation : avril 2014).

SUMMARY Tumour Markers: For Whom, Why and When? Several tumour markers are available for dosage regimes; however, they must be used according to their benefits and limitations. Cancer antigen 19-9 cannot be used for screening purposes because it lacks specificity and sensitivity. The same applies to carcinoembryonic antigen for colon cancer, alpha-fetoprotein for hepatocellular carcinoma, and CA125 for ovarian cancer. However, carcinoembryonic antigen is recommended in the follow-up of patients with resected colorectal cancer when additional therapy is feasible. In the management of testicular cancers, tumour markers (B-hCG, AFP and LDH) must be measured before and after surgery. Lastly, the detection of circulating tumour cells is a rapidly growing field, mainly in relation to breast cancer and prostate cancer, but it is still in its infancy.

3. Locker GY, Hamilton S, Harris J et coll. ASCO 2006 Update of recommendations for the use of tumor markers in gastrointestinal cancer. J Clin Oncol 2006 ; 24 (33) : 5313-27. 4. Rand Ueland F, LI AJ. Serum biomarkers for evaluation of an adnexal mass for epithelial carcinoma of the ovary, fallopian tube, or peritoneum. UpTo­ Date 2014 (à jour en avril 2014). Site Internet : www.uptodate.com (Date de consultation : mai 2014). 5. Bruix J, Sherman M. Management of hepatocellular carcinoma: an update. Hepatology 2011 ; 53 (3) : 1020-2. 6. Schwartz JM, Carithers RL. Clinical features and diagnosis of primary hepa­ tocellular carcinoma. UpToDate 2014 (à jour en avril 2014). Site Internet : www.uptodate.com (Date de consultation : avril 2014). 7. Gilligan TD, Seidenfeld J, Basch EM et coll. American Society of Clinical Oncology Clinical Practice Guideline on uses of serum tumor markers in adult males with germ cell tumors. J Clin Oncol 2010 ; 28 (20) : 3388-404. 8. Lucci A, Hall CS, Lodhi AK et coll. Circulating tumor cells in non-metastatic breast cancer: a prospective study. Lancet Oncol 2012 ; 13 (7) : 688-95.

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