LES CULTURIADES - REMISE DU PRIX ... - Culture Outaouais

18 nov. 2016 - encore une biographie sont autant de moyens de changer le monde. Permettez-moi quelques réflexions sur ces trois domaines. La biographie ...
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LES CULTURIADES - REMISE DU PRIX RÉSIDENCE DE CRÉATION Allocution prononcée par le maire de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin Montebello, 18 novembre 2016

Seule la version lue fait foi.

On m’a permis de partager avec vous quelques réflexions personnelles avant de passer à la remise du prix. Merci à l’organisation, car j’ai rarement l’occasion de m’adresser simultanément à autant de gens du monde de la culture. Le 6 novembre 2013, je faisais ma première sortie publique comme maire de Gatineau : c’était aux Culturiades. J’avais choisi l’événement pour marquer l’importance de la culture dans le développement de la ville et indiquer ma volonté d’avoir un mandat où elle prendrait une place importante. Je laisserai les observateurs juger du bilan du conseil municipal dans le domaine. Il nous reste un an de travail à accomplir, mais mardi au conseil, nous franchissions une autre étape dans le projet des résidences d’artistes au centre-ville. Jeudi, Régis Labeaume était chez nous pour dire que la culture était un des secteurs économiques les plus payants à Québec et dimanche, Action Gatineau prépare son prochain programme électoral avec un forum sur la culture comme moteur de développement. La culture continue de faire partie de mes projets – et de nos débats ! – au quotidien. Mais parlons de vous. On dit que l’acte d’écrire est solitaire, qu’il se produit un peu en marge du monde. Gilles Vigneault aurait peut-être dit que vous écrivez… « Pendant que les bateaux font l’amour et la guerre avec l’eau qui les broie. Pendant que les ruisseaux, dans le secret des bois, deviennent des rivières. […] » Pourtant si l’acte d’écrire peut se situer en quelque sorte en dehors du monde, son résultat transforme ce dernier profondément. La littérature en général, la poésie en particulier ou encore une biographie sont autant de moyens de changer le monde. Permettez-moi quelques réflexions sur ces trois domaines. La biographie d’abord.

Certains auteurs parmi vous ont mis sur papier une partie de l’expérience acquise durant leur vie pour que les gens d’aujourd’hui et ceux de demain puissent en profiter. Dès les premières minutes de ma vie, j’ai eu un « coup de cœur » pour un des auteurs dans la salle. C’est un amour qui ne s’est jamais démenti. Pour situer l’homme, je vous dirais que peu de gens auraient cru qu’un jour, Jacques Jobin, mon papa, écrirait un livre. Il est avant tout un praticien, un « gars de terrain », comme il l’affirme lui-même avec fierté. Heureusement pour nous tous, il aura eu le courage de s’asseoir pendant de longues heures devant son ordinateur pour transmettre des connaissances acquises durant toute une vie. Au Rwanda, on m’a dit que mon père était un sage, un conseiller, ce qu’on appelle là-bas un Mutâma. C’est un don précieux que de partager cette sagesse, cette somme de connaissances, pour que celui qui a changé le monde de son vivant continue à le faire éternellement. Je lui en suis reconnaissant, un peu pour la famille, beaucoup pour la communauté des humains. La littérature en général. L’auteur Mario Vargas Llosa a écrit un livre qui est maintenant un de mes livres de chevet, il s’intitule La Civilisation du spectacle. Ce prix Nobel de littérature 2010 y dénonce avec force le glissement de la culture vers le divertissement, celui de l’information vers le spectacle, et il défend avec vigueur l’importance des arts et des lettres. Sur ce dernier point, permettez-moi de le citer longuement : « Les idées de spécialisation et de progrès, inséparables de la science, sont brouillées avec les lettres et les arts, ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que la littérature, la peinture et la musique ne changent ni n’évoluent. Mais on ne peut dire d’elles, comme de la chimie et l’alchimie, que celle-là abolit celle-ci et la dépasse. L’œuvre littéraire et artistique qui atteint un certain degré d’excellence ne meurt pas avec le temps […] elle reste vivante et enrichit les nouvelles générations, en évoluant avec elles. C’est pourquoi les lettres et les arts ont constitué jusqu’à présent le dénominateur commun de la culture, l’espace où la communication entre les êtres humains était possible malgré la différence de langues, de traditions, de croyances et d’époques, car ceux qui aujourd’hui sont émus par Shakespeare, rient avec Molière et sont éblouis par Rembrandt et Mozart dialoguent avec ceux qui dans le passé les ont lus, entendus et admirés. » 2

La littérature reste essentielle pour que les sociétés d’aujourd’hui réussissent. Je vous invite à lire ce livre qui la défend avec brio. La poésie. Encore une fois, je vais répéter les propos d’un autre. Le philosophe Normand Baillargeon racontait récemment sur les ondes de Radio-Canada l’extraordinaire histoire personnelle de John Stuart Mills. Mills est un des plus grands philosophes anglais du 19e siècle. Il naît dans une famille dont le père appartient à un groupe qui s’appellent les radicaux philosophiques, des gens à gauche, très engagés, qui influenceront profondément la société occidentale. Quand Mills naît, le groupe décide que le nouveau bébé sera leur porte-parole, le grand penseur de leur mouvement. Il fait donc l’objet d’une extraordinaire expérience. Le groupe prend en charge son éducation. À trois ans, il commence à étudier le grec, à huit, le latin, et il commence à enseigner à ses frères et sœurs. À 12, il a lu la plus grande part du canon occidental, il étudie l’algèbre, la géométrie, l’histoire, la logique, la science politique, l’économie, le calcul différentiel, et comme le dit Baillargeon, les sciences pures pour se changer les idées. À 17 ans, il aurait l’équivalent aujourd’hui de plusieurs baccalauréats et maîtrises dans différents domaines. Mais à 20 ans, il fait ce qu’il appelle une « crise mentale », une espèce de dépression sur plusieurs années. Ce qui le sauvera ? Une femme, un grand amour, mais autre chose aussi. Il affirme que l’éducation qu’il a reçue est une éducation analytique, mais qu’on l’a privé d’une partie essentielle de la vraie éducation, c’est-à-dire de la poésie. Pourquoi la poésie ? Parce qu’elle nous présente quelque chose qui nous dépasse et qu’on ne peut pas comprendre complètement. La poésie nous pousse à sortir de nous-mêmes, car, dit Mills, quand on a connu la perfection, on est porté vers elle, elle nous incite à avoir un idéal de vie autre que celui de s’élever dans la société. Mills dit, et je cite : « Par l’éducation esthétique, la grandeur sera contemplée, l’héroïsme sera nourri, l’âme sera exaltée et parfois même consolée ». Baillargeon résume la pensée de Mills en disant : « La poésie nous sort du – je – ». C’est la plus belle explication du rôle de la poésie que j’ai eu la chance d’entendre, et la société d’aujourd’hui a peut-être besoin de poètes plus que jamais. 3

Je terminerai en vous disant merci pour ce que vous faites, merci pour ce que vous êtes. Et tant qu’à avoir déjà beaucoup pillé la pensée des autres ce soir, je conclurai par une citation trouvée dans le récent livre de Pierre Thibault et François Cardinal dont le titre est lui-même assez inspirant : « Et si la beauté rendait heureux ». La citation sur laquelle je vous laisse est toute simple, mais elle détonne dans l’air ambiant parfois trop imprégné de marketing et de produits en tous genres pour nous permettre de voir les vraies sources de bonheur. Elle est du prince Mychkine, dans L’Idiot, de Dostoïevski : « La beauté sauvera le monde ». Merci de participer à la belle aventure de la beauté! Bon. On va me chicaner si je fais juste citer des auteurs et que j’oublie de remettre le prix ! Il y a quand même des gens qui attendent cela avec impatience. Je suis très heureux de remettre, ce soir, le prix Résidence de création offert par la Ville de Gatineau. Les lauréats auront le plaisir de passer quatre semaines dans la magnifique maison Fairview, un joyau patrimonial qui appartient à la Ville. Nous y avons investi d’importantes sommes pour la rendre accueillante et nous avons signé une entente avec le Conseil des arts et des lettres du Québec afin d’y tenir des résidences d’artistes. Nous avons également collaboré avec l’Association des auteurs et auteures de l’Outaouais pour y accueillir des auteurs de l’Estrie. En 2016, pour la première année du programme, la maison Fairview a accueilli quatre artistes en résidence, dont un traducteur de la Bavière qui est à Gatineau jusqu’au 30 novembre. Ceci étant dit : Cette année, le prix est remis à… (remise du prix) 4