lean santé - OIIQ

Ils se disent préoccupés de la qualité des soins qui en découle et de .... contrôle de la qualité de l'activité professionnelle et de développement de la pratique.
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PROJETS DE RÉORGANISATION DES SOINS DE TYPE « LEAN SANTÉ »

Position de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec Adoptée par le Conseil d’administration le 13 décembre 2012

Projets de réorganisation des soins de type « Lean santé » Position de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec

 LE CONTEXTE Lors de la dernière Assemblée générale annuelle de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), tenue le 29 octobre 2012, l’approche « Lean santé » a été l’un des sujets abordés par des membres à la période de questions. Ces membres se sont exprimés sur ce sujet, reflétant les réactions partagées - positives comme négatives qui ont cours au Québec. Madame Régine Laurent, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec, a adressé une lettre à la présidente de l’OIIQ, le 13 novembre dernier, dans laquelle elle avançait que cette méthode pourrait contrevenir au Code de déontologie des infirmières et infirmiers, notamment à l’article 21 du code qui a trait à l’indépendance professionnelle. Comme cette question semble préoccuper des infirmières et infirmiers, le Conseil d’administration de l’Ordre (CA) a cru bon apporter son éclairage dans le cadre de son mandat de protection du public. Pour ce faire, l’OIIQ fait le point, dans le présent texte, sur : •

la responsabilité légale de la directrice des soins infirmiers (DSI) et du Conseil des infirmières et infirmiers (CII);



l’importance que ces deux instances soient associées étroitement à chacune des étapes de tout projet de réorganisation de soins;



le Code de déontologie des infirmières et infirmiers, particulièrement au regard de l’indépendance professionnelle.

Au préalable, il y a toutefois lieu de résumer brièvement en quoi consiste l’approche « Lean santé » et de relater certains constats.  Q U’ES T-CE QUE L’AP P ROCHE « LEAN S ANTÉ »? Plusieurs centres hospitaliers au Québec et dans le monde ont implanté ces dernières années les principes de « Lean Healthcare ». L’application de ces principes, mieux connus sous le nom de « méthode Toyota », vise à améliorer l’efficacité et l’efficience du système de santé, tout en réduisant les coûts, les retards et le gaspillage, par petits pas, et en impliquant l'ensemble du personnel. Les méthodologies et les outils auxquels cette approche réfère permettent de déceler et d’éliminer les activités qui n’apportent pas de valeur telles que les déplacements inutiles, les temps d’attente trop longs et divers risques d’erreurs afin de se concentrer sur les activités à valeur ajoutée. La méthode « Lean » propose une meilleure utilisation des

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ressources en place par une organisation du travail axée sur les soins au patient et une valorisation accrue du travail des intervenants. Dans la littérature sur le sujet, on rapporte aussi que le « Lean » est une approche « bottom-up » et que les solutions viendront des gens qui connaissent parfaitement leur environnement de travail. L’implication directe des employés est une source de motivation et apparaît comme un élément clé du succès d’une telle approche 1.  C ONS TATS S UR L’AP P ROCHE « LEAN S ANTÉ » Des indicateurs de performance rendus publics indiquent des implantations réussies et des hausses significatives d’efficacité dans des milieux. Des établissements de santé relatent avoir obtenu des résultats concrets, notamment sur les temps d’attente, le désengorgement des urgences, une meilleure utilisation du bloc opératoire, une accessibilité nettement accrue, une satisfaction de la clientèle, une diminution des coûts opérationnels et la réduction des inventaires. Voici quelques exemples : •

un total de 850 patients de plus ont pu être opérés cette année à l'Hôpital de Hull (du CSSS de Gatineau) par rapport à 2007-2008, une hausse de 25 %. L'occupation des salles du bloc opératoire a augmenté de 32 %, ce qui correspond à une utilisation supplémentaire de quelque 1 500 heures 2;



dans la foulée d’une démarche de type « Lean », le CSSS de la Pointe-de-l’Île a revu ses processus cliniques et a mis en place des télésoins pour le maintien à domicile des malades chroniques. Cette démarche a permis au CSSS d'augmenter la prise en charge des usagers de 68 % et d'atteindre un taux de 90 % de satisfaction de la clientèle. Une étude de Guy Paré, des HEC de Montréal, montre aussi les gains suivants pour les usagers des services de télésoins : diminution de 25 % du nombre de consultations à l’urgence et diminution de 61 % du nombre de séjours à l’hôpital 3.

D’autres expériences apparaissent moins positives et suggèrent une insatisfaction de la part des intervenants. Plusieurs infirmières et infirmiers indiquent qu’ils participent peu dans la façon d’appliquer la méthode « Lean » et que celle-ci est planifiée sans égard aux règles de l’art en matière de soins infirmiers. Ils s’inquiètent du minutage des actes qui restreint le temps passé avec le patient, de la fragmentation des soins et de leur déshumanisation. Ils se disent préoccupés de la qualité des soins qui en découle et de la recherche de productivité à tout prix, au détriment de la qualité de la présence 1

Lalonde, Gilles (printemps 2011). « Le Lean : mythes et réalité ». Point en administration de la santé et des services sociaux, vol. 7, no 1, p. 8-13.

2

Woodbury, Patrick et Mercier, Justine (5 avril 2011). « Méthode Toyota » au bloc opératoire. Ottawa, Gatineau, Le Droit

3

[http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/ville-de-gatineau/201104/04/01-4386454-methode-toyota-au-bloc-operatoire.php].

Source : CSSS de la Pointe-de-l’Île.

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infirmière auprès du patient et du respect des normes de pratique, et ce, dans un contexte de soins complexes auprès de clientèles vulnérables. L’OIIQ est sensible aux préoccupations exprimées. Les démarches d’optimisation des soins ne doivent pas avoir pour effet de dénaturer les soins, de mettre au second rang les bonnes pratiques cliniques et de nuire à la qualité et à la sécurité des soins aux patients. Comme pour tout modèle d’optimisation, tout est dans la manière de l’appliquer et l’OIIQ rappelle la nécessité d’une participation étroite des infirmières et infirmiers à tout processus de réorganisation des soins mené par les établissements du réseau de la santé, telle la méthode « Lean santé ».  LES RESPONSABILITÉS LÉGALES DES DSI ET DES CII L’implication des responsables institutionnels de la qualité et de la sécurité des soins de l’établissement, c’est-à-dire les DSI et les CII, est indispensable dans les processus de changement relatifs à la dispensation des soins.  LA DSI La DSI assume un rôle de chef de file des soins infirmiers en créant un environnement propice au développement de l’excellence clinique. Dans ce contexte, elle tient compte des données probantes et est constamment à l’affût des nouveaux besoins de la clientèle, des façons optimales et sécuritaires de soigner et des nouvelles technologies disponibles. À ce titre, elle s’assure que les usagers, leur famille et leurs proches aient accès à une qualité de soins infirmiers répondant à leurs besoins cliniques dans tous les programmes et dans chacun des sites, en surveillant les indicateurs de qualité de soins et en contrôlant les normes de pratique. Elle cherche à optimiser l’ensemble des processus de soins infirmiers dans le contexte organisationnel de son établissement. La Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) lui confère un rôle majeur, déterminant et incontournable dans toutes les décisions stratégiques relatives à l’organisation et à la prestation des soins et des services. « Sous l’autorité du directeur général, la directrice des soins infirmiers doit, notamment pour chaque centre exploité par l’établissement : • surveiller et contrôler la qualité des soins infirmiers dispensés dans le centre; • s’assurer de l’élaboration de règles de soins infirmiers qui tiennent compte de la nécessité de rendre des services adéquats et efficients aux usagers ainsi que de l’organisation et des ressources dont dispose l’établissement; • s’assurer de la distribution appropriée des soins infirmiers dans le centre; • planifier, coordonner et évaluer les soins infirmiers en fonction des besoins du 4 centre. »

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Loi sur les services de santé et les services sociaux, LRQ, c S-2.1. (LSSSS), articles 207 et 208.

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En conséquence, la DSI doit être partie prenante de la planification et de chacune des étapes d’implantation de tout processus de réorganisation de soins au sein de son établissement.  LE CII De son côté, le CII, instance consultative prévue par la LSSSS 5, a pour mandat de formuler des recommandations au Conseil d'administration dans des domaines qui touchent directement la pratique des soins infirmiers, notamment : •

l'appréciation générale de la qualité des actes infirmiers posés dans le centre;



les règles de soins infirmiers applicables aux infirmières;



la distribution appropriée des soins dispensés par les infirmières.

Par sa fonction qui est d’aider la direction d’un établissement à résoudre un problème, à améliorer une situation ou à faire face à une situation totalement nouvelle, le CII apporte une contribution précieuse à l’efficacité des soins de santé et il représente une instance de participation et de mobilisation à s’associer lors de tout processus de réorganisation des soins infirmiers dans un établissement de santé.  LE CODE DE DÉONTOLOGIE DES INFIRMIÈRES ET INFIRMIERS ET L’INDÉPENDANCE PROFESSIONNELLE

Le Code de déontologie précise les devoirs et les obligations des infirmières envers le client, le public et la profession, et ce, dans une perspective de responsabilité professionnelle individuelle. Qu’en est-il plus particulièrement de l’indépendance professionnelle précisée à l’article 21 du Code de déontologie et invoquée dans un contexte de réorganisation des soins? « L'infirmière ou l'infirmier doit sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle. Il doit notamment exercer sa profession avec objectivité et faire abstraction de toute intervention d'un tiers qui pourrait influer sur l'exécution de 6 ses obligations professionnelles au préjudice du client. »

L’indépendance professionnelle fait appel à l’autonomie professionnelle de l’infirmière. Elle est acquise quand chacun des actes professionnels est déterminé avant tout par le jugement du professionnel, ses connaissances scientifiques et a comme seul objectif l’intérêt du patient. En effet, l'indépendance professionnelle consiste notamment à exercer sa profession avec objectivité, c’est-à-dire exempt de partialité, sans tenir compte de ses propres intérêts, de ses goûts et de ses préjugés.

5 6

LSSSS., articles 219 à 225. Code de déontologie des infirmières et infirmiers, c. I-8, r. 4.1, article 21.

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L'indépendance signifie également de faire abstraction de toute intervention d’un tiers. Par tiers, on entend toute personne (membre de la famille, collègue, consultant, supérieur…) susceptible d'influencer l'intervention sans que ce soit dans l'intérêt propre du client. Tout modèle qui vise à optimiser les processus de soins, dont l’approche « Lean », doit permettre à l’infirmière d’utiliser son jugement clinique qui a comme assise les besoins du patient et les méthodes cliniques jugées efficaces et fondées sur des données probantes. Ainsi, toute situation de soins doit assurer à l’infirmière la marge de manœuvre nécessaire pour sauvegarder son indépendance professionnelle et respecter ses obligations en matière de protection du public. Au sujet de l’indépendance professionnelle, le Tribunal des professions 7 s’est prononcé en précisant qu’elle n’est « ni absolue, ni ne signifie [qu’un professionnel employé] peut faire ce qu'il veut ». L’indépendance professionnelle n'est mise en cause que si les pressions exercées sur le professionnel vont à l'encontre de l'intérêt du patient ou incitent le professionnel à ne pas respecter cette obligation déontologique. Il faut donc que l’infirmière évalue au cas par cas si une demande particulière va à l’encontre de l’intérêt du patient. Il lui appartiendra alors d’être en mesure de démontrer ou de justifier sa décision, s’il y a lieu auprès des personnes concernées, voire la documenter.  C ONCLUS ION L’OIIQ estime que tout projet de réorganisation de soins ne peut être mené sans que la DSI de l’établissement concerné soit impliquée, au premier chef, à toutes les étapes du processus notamment, en raison des responsabilités que lui confère la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS), particulièrement en matière de contrôle de la qualité de l’activité professionnelle et de développement de la pratique clinique. Toujours en vertu de la LSSSS, les CII, instances consultatives auprès de la direction de leur établissement, devraient être associés de près à tout projet d’optimisation des soins. Somme toute, dans le cadre de son mandat de protection du public, l’OIIQ rappelle que deux leviers sont à la disposition des infirmières et des infirmiers, l'un de nature individuelle et l’autre, de nature organisationnelle.

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Couture c. Ingénieurs forestiers (Ordre professionnel des), 2005 QCTP 95, p. 129.

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Dans une perspective de responsabilité professionnelle individuelle, le Code de déontologie des infirmières et infirmiers donne à l’infirmière des assises pour intervenir dans tout contexte, en sauvegardant son indépendance professionnelle. Concernant le levier organisationnel, l’OIIQ invite les infirmières et les infirmiers à informer les responsables de la qualité et de la sécurité des soins de leur établissement, soit les DSI et les CII, de toute situation dans laquelle ils considèrent subir des pressions qui ne leur permettent pas d’intervenir selon les pratiques de soins reconnues.

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