L'e-sport veut dorénavant attirer des marques hors de

sociaux de Lion Céréal, la communauté française d'e-sport a pu suivre l'aventure des Wildest Fans, de leur recrutement à leur ex- périence dans le stadium ...
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L’e-sport veut dorénavant attirer des marques hors de son ADN Du 12 au 14 février, le Palais des Festivals de Cannes, plus habitué aux stars en robe de soirée du septième art qu’aux patrons décontractés (à 99 % de la gente masculine) de l’e-sport, a accueilli la deuxième édition de l’Esports Bar, le rendez-vous de cette industrie qui entre dans une nouvelle phase. Par Emma Mahoudeau-Deleva

L’e-sport et les constructeurs automobiles, une belle histoire d’amour Daimler et Turtle Entertainment (via sa marque Mercedes-Benz, partenaire de l’ESL One Hambourg 2017), BMW, sponsor des Championship Series de League of Legends, Toyota Motor (section US) le sponsor américain de l’Overwatch League de Blizzard… et maintenant Renault qui met sur pied sa propre équipe Vitality sur Rocket League. Les constructeurs automobiles font les yeux doux aux fans d’e-sport. Ces marques sont dans une logique implacable : le gamer a entre 25 et 30 ans, l’âge idéal pour s’équiper d’une voiture. Mais c’est aussi du gagnant-gagnant : « Nous avons hésité à créer notre propre structure, mais l’univers est si différent du notre qu’on a décidé de s’allier aux meilleurs en France. Cela fait entre six et huit mois que nous discutons ensemble. Notre entrée dans l’e-sport avec Vitality a deux objectifs principaux : le premier est marketing, nous voulons découvrir cette discipline et son audience jeune, importante pour Renault ; le deuxième est technique, avec le réel et le La nouvelle équipe s’appelle la « Renault Sport Team Vitality ». virtuel qui se confondent, notre équipe de F1 qui passe beaucoup de temps sur les simulateurs, nous voulions nous associer aux meilleurs de ce monde-là », a ainsi expliqué Bastien Schupp, directeur du marketing et des marques du groupe Renault. Le constructeur devient également fournisseur officiel du Team Vitality pour deux ans et sera présent, au même titre qu’Adidas, Omen by HP, Volvic ou encore Canal+, sur les maillots portés par l’équipe lors des compétitions de League of Legends ou encore Fifa.

« La marque doit comprendre que c’est une stratégie à long terme » Angela Natividad est à la tête de Hurrah, une des toutes premières agences créatives entièrement dédiées à l’e-sport. Elle revient sur le travail d’évangélisation nécessaire pour faire comprendre aux marques les spécificités de ce secteur extrêmement convoité.

Les premiers primés des Esports Game Shakers 2018 sont Nate Nanzer, Commissioner de l’Overwatch League, les représentants du Comité international Olympique, ceux de Twitch & Valve et de The Walt Disney Company, en compagnie du jury international composé d’acteurs majeurs de l’e-sport. © Y. Coatsaliou - 360 Medias

Pas moins de quarante pays avaient envoyé des représentants. Près de 128 sociétés étaient au rendez-vous et quelque 1 100 rendez-vous en face-à-face ont eu lieu dans le carré VIP. Il y eut même une réunion à huis clos entre des politiques et des régulateurs de France, d’Allemagne, d’Espagne et du Royaume-Uni. Parmi les sujets abordés, ils se sont interrogés sur les réglementations à affiner pour soutenir cette industrie et fluidifier l’organisation des tournois. Autre point intéressant soulevé : la place des femmes dans l’e-sport. Mais côté business, la question que se posent tous les acteurs est  : « Comment faire venir des marques non endémiques dans l’e-sport ? » Selon Nielsen et Nicole Pike (en charge de Nielsen Esports), lors de dix-sept compétitions en 2017, 39 % des marques étaient non endémiques. Tout en poursuivant sa professionnalisation, c’est donc en 2018 que l’e-sport doit imaginer d’autres sources de revenus ; elles passent, selon Ralph Reichart, le PDG d’ESL, par une plus grande diffusion. La société vient d’ailleurs de

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signer un partenariat avec Facebook, ce qui lui permet d’avoir accès à un panel de 4  500 marques liées au réseau social. « Cet accord a ouvert des opportunités à ESL », a ainsi précisé Patrick Chapman, à la tête des partenariats Gaming et Esports du groupe présidé par Mark Zuckerberg, ajoutant que c’est aussi un bon moyen de féminiser son audience. L’arrivée de marques n’ayant aucun ADN avec le jeu vidéo et l’e-sport est aussi constatée par Christina Alejandre, la DG de l’Eleague, vice-présidente de la section e-sport de VP de Turner Sports. «  Nous avons triplé le nombre de sponsors », a-t-elle souligné. Même constat pour l’équipe française Vitality qui a dévoilé, lors de ces rendez-vous, un partenariat avec le constructeur automobile Renault, et la naissance de la « Renault Sport-Team Vitality » (sur Rocket League). « Qu’une société aussi importante que Renault entre dans l’e-sport, c’est le signe que le secteur a passé un niveau et nous espérons que cette tendance va continuer », a conclu Jérôme Delhaye, directeur de Reed Midem’s Entertainment Division, organisateur de l’Esports Bar.

Josh Cella, Directeur des partenariats de MLG (The Walt Disney Company). © Y. Coatsaliou - 360 Medias

Mediakwest : Quand et pourquoi avoir créé Hurrah ? Angela Natividad : Avec Mathieu Lacrouts, nous avons monté Hurrah en 2015. Notre but était de lancer une agence créative 100  % consacrée à l’e-sport afin d’apprendre aux marques non endémiques ce qu’est la culture de la communauté et ainsi lutter contre les stéréotypes. Il y avait alors peu de publicité dans le secteur. M. : À quel stade intervenez-vous ? A. N. : Nous sommes vraiment spécialisés sur la partie créative. De nombreuses marques s’intéressent maintenant à l’e-sport. Elles ne savent pas à qui parler et comment s’adresser aux communautés amatrices d’e-sport. Par exemple, nous avons participé à la création de l’Esports Bar afin de mettre en rapport les marques et d’établir l’identité visuelle de cet événement professionnel. En 2016, « Omen by HP » a été lancée, une marque totalement dédiée à l’e-sport. Elle s’est établie en France et en Allemagne en 2017 et nous a demandé de construire son lancement, notamment sur les réseaux sociaux : cette marque est dorénavant le partenaire de l’ESWC (Webedia), de l’équipe Vitality et de l’Overwatch Word Cup (Blizzard). Nous avons aussi travaillé avec Nestlé et monté une délégation d’une centaine de supporters français « brandés Lion », les « Wildest Fans ». Avec le soutien de Riot Games, ils sont partis soutenir la France pendant les finales de l’European League of Legends. De février à mai 2017, à travers les réseaux sociaux de Lion Céréal, la communauté française d’e-sport a pu suivre l’aventure des Wildest Fans, de leur recrutement à leur expérience dans le stadium d’Hambourg. M. : Comment les marques voient-elles le milieu de l’e-sport ? A. N. : Il y a encore beaucoup de stéréotypes : elles voient les amateurs d’e-sport comme des jeunes de 15 ans, qui vivent chez leurs parents, sans argent, sans travail. Or la moyenne d’âge d’un gamer se situe entre 25 et 30 ans et cette communauté représente une cible que toutes les marques veulent atteindre : ils ont déjà des revenus, parfois ont commencé à bâtir une famille, une carrière et commencent à prendre des décisions de consommateurs

Angela Natividad, à la tête de l’agence Hurrah entre la France et les USA.

qui vont les suivre toute leur vie : le choix de leur banque, de leur assurance, de leur voiture, etc. La première étape consiste donc à leur expliquer qui est vraiment le fan d’e-sport et où est l’intérêt de la marque : il est encore très peu ciblé ; soit les marques sont frileuses, soit les publicités sont trop répétitives, alors qu’il y a énormément d’opportunités. L’esport est encore très volatile et peu structuré. C’est un travail en cours. J’entends par là pas uniquement une professionnalisation et mise en place de structures financières, mais actuellement se définit la valeur qu’aura l’e-sport une fois qu’il aura passé le cap du mainstream. Nestlé et HP se reposent énormément sur la valeur de leur marque : ils ont beaucoup à apporter au secteur en termes de structure, mais aussi de valeur.

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M. : L’association avec les Jeux Olympiques, a-t-elle donné du crédit à l’e-sport ? A. N. : Cela donne une certaine légitimité, mais l’ironie est que lorsque les marques arrivent emplies d’enthousiasme – car les JO sont un événement très important – nous devons les calmer un peu : pour les vrais fans d’e-sport, les JO n’ont que peu d’importance, puisqu’ils ont déjà leur propre championnat selon les jeux. De plus, le CIO est très politique et les communautés e-sport sont extrêmement sensibles. Le genre de jeu qui a été choisi pour les JO ne serait pas forcément celui que nous aurions mis en avant pour représenter un secteur en développement. C’est compliqué car, contrairement aux sports traditionnels, toutes les propriétés intellectuelles appartiennent aux éditeurs. Pour la popularisation de l’e-sport, on ne peut saluer cette nouvelle légitimité, mais il faut faire attention parce que cela risque de crisper les fans. M. : Les fans d’e-sport sont-ils réticents à la publicité ? A. N. : Nous sommes tous contre la publicité quand celle-ci est trop intrusive, les fans d’e-sport réagissent de la même manière. Ils comprennent qu’il faut des modèles financiers, des apports de marques pour développer le secteur, mais ils ont un œil très critique sur l’approche. C’est pour cela que la marque doit comprendre que c’est une stratégie à long terme, qu’elle doit d’abord gagner la confiance d’une communauté très protectionniste de sa passion. M. : Quand des grosses marques comme Renault investissent dans l’e-sport, est-ce légitime ? A. N. : C’est compliqué. C’est une question de timing. BMW a été l’une des premières marques à créer des courts-métrages sur YouTube, des contenus très beaux, mais qui n’étaient pas en fait adaptés au média. C’est normal que la marque ait envie de faire des expérimentations passives qui parfois ne prennent pas. La vraie question est de savoir comment ils développent leur engagement sur le long terme. Ce n’est pas juste pour la galerie. L’approche doit être sincère et cela ne se voit que sur la durée. Nous allons être matraqués de marques, mais au fil du temps, seules celles qui ont une vraie stratégie de longue traîne resteront dans le secteur, car elles auront gagné la confiance des communautés. M. : Vous travaillez en France et aux États-Unis. Quelles sont les différences ? A. N. : C’est rare que les États-Unis se plongent dans un secteur en retard, mais c’est ce qui se passe. La France et l’Allemagne ont eu une vraie avance sur la structuration de leur entreprenariat et l’écosystème de l’e-sport. Les États-Unis viennent de se réveiller et ils mettent énormément d’argent : on commence à voir les salaires des joueurs augmenter. En ce moment, tout le monde cherche à avoir sa part du gâteau et à devenir l’autorité sur le code de l’avenir du secteur. Ce n’est pas juste une question d’argent, c’est comme dans un jeu. La stratégie à long terme nous dira qui sera le vainqueur.

La TV, le paradis promis de l’e-sport ?

A. N. : C’est vrai. Quand nous avons lancé Hurrah, cela faisait partie de nos priorités. Quand nous allons évangéliser les marques, nous essayons de le faire avec une approche créative inclusive, sans forcément étouffer les gens avec ce concept, mais en le normalisant. Elles sont très réceptives. Comme le jeu vidéo est à 50/50 en termes de partage homme/femme, l’e-sport va suivre.

Depuis le 10 janvier dernier, la France s’est dotée d’une chaîne 100 % e-sport, ES1, disponible sur la TV d’Orange. Le groupe AB a annoncé un deal avec Blizzard et prévoit de lancer une chaîne d’e-sport qui sera le diffuseur TV exclusif des programmes de l’éditeur américain d’Overwatch, Call Of Duty, Hearthstone ou World Of Warcraft. Elle commence déjà par tester avec deux blocs programmes de trois heures intégralement consacrés à l’e-sport diffusant le « meilleur des compétitions » basés sur les franchises Activision Blizzard et envisage de créer des événements en France… Après TF1, Canal+ ou beIN Sports, le groupe M6 a annoncé avoir mis les deux pieds dans l’e-sport. Il le fait en investissant au sein de Glory4Gamers, une start-up française fondée en 2012, – incubée par TF1 – qui organise des compétitions de jeux vidéo, majoritairement en ligne. Après l’Équipe, qui fut la première chaîne précurseur à proposer de l’e-sport, cela se bouscule quelque peu au portillon, même si les audiences ne sont pas toujours au rendez-vous, à l’instar de C8 qui est à la peine avec la compétition Counter-Strike proposée par son émission eSports European League. « Nous pensons que l’audience de l’e-sport vient de l’influence. À nos yeux, l’erreur à ne pas faire est de confier une émission d’e-sport à des gens de télévision. Ils n’auront pas la culture et le background. Il est plus facile d’apprendre à faire la télé à des personnes de l’e-sport que l’inverse », nous a expliqué Bertrand Amar, directeur du développement audiovisuel chez Webedia (ES1), précisant aussi que, à l’instar des communautés, les chaînes dédiées à l’e-sport susceptibles de fructifier ne peuvent être que locales. Une pensée que ne semblent pas partager des chaînes telles que Ginx, une chaîne britannique qui ne diffuse pas un signal français, mais compte tout de même quinze millions d’abonnés au signal anglais en France (55 millions dans le monde), ou TBS qui distribue l’Eleague d’Overwatch sur 17 chaînes en 19 langues. Pour Ginx, l’alliance peut être faite avec Twitch et Facebook, ce qu’elle s’apprête à faire pour développer l’e-sport sur le marché canadien. Et pour sortir de la communauté, malgré tout limitée en nombre, pour vraiment rendre l’e-sport populaire, pourquoi ne pas suivre l’exemple du danois Jordi Roig, producteur des « Blast Pro Series » (Rfresh Entertainment) des clips pédagogiques qui rendent LOL limpides comme de l’eau de roche ! « L’e-sport doit sortir du public hardcore et se féminiser », a ajouté Curt Marvis, fondateur de l’équivalent canadien de ESPN, The QYOU. Car comme l’a si justement souligné Catherine Warren, la présidente de FanTrust Entertainment Strategies : « Avec 365 heures sur Twitch en 2017, il est difficile de comprendre que l’e-sport ne soit pas encore mainstream, mais cela va arriver ! »

M. : Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’équipes de filles ou d’équipes mixtes ? A. N. : C’est un problème à double tranchant. C’est compliqué pour les filles d’être prises au sérieux quand elles veulent faire une carrière professionnelle dans l’e-sport. C’est toujours risqué, que l’on soit fille ou garçon. Il y a aussi la phrase classique que je déteste : « on n’arrive pas à trouver des filles ». Dans l’e-sport, ce sera toujours plus simple de trouver des garçons motivés et recherchant des opportunités, car les gens qui embauchent ont avec eux une relation de symbiose. Le rôle de la femme dans l’e-sport est complexe : elles n’ont pas toujours des pseudos féminins pour se cacher, car le secteur n’est pas très ouvert. Elles ont créé leur propre niche, mais il faut faire les efforts pour les trouver. C’est le même discours pour les minorités. C’est un travail qui doit être fait, mais nous avons besoin que le secteur s’engage. Il y a tout de même des femmes qui gèrent des leagues ; la personne qui a lancé Meltdown (bars 100 % e-sport) est une femme. Ce n’est pas simple : quand on avance dans l’égalité, il y a toujours une autre personne qui se sent flouée. Mais cela va passer !

« La question n’est pas l’écran, mais la monétisation »

L’e-sport en chiffres en 2018 Selon la dernière étude de Newzoo (publiée le 21 février 2018), les revenus de l’e-sport atteindront 906 millions de dollars en 2018, soit 38 % de plus qu’en 2017. Le point le plus important est que les marques vont investir 694 millions dans ce secteur (ce qui représente 77 % de ses revenus). Newzoo prévoit une hausse de ces investissements à 1,4 milliard de dollars d’ici à 2021, soit un taux de 84 %. Il faut dire que le nombre d’amateurs d’e-sport devrait atteindre 165 millions (15 % de plus) de personnes, et son audience mondiale 380 millions. En 2017, pas moins de 588 événements majeurs d’e-sport ont été organisés dans le monde, générant près de 59 M$ (contre 32 M$ en 2016). Enfin, le montant total des cash prices a atteint 112 millions de dollars.

M. : Est-ce que dans les pays tels que la Corée du Sud, la publicité est partout ? A. N. : La Corée du Sud est un pays de rêve où l’e-sport est déjà devenu populaire : ils ont même un ministère consacré à l’e-sport. Ce n’est pas compliqué là-bas de vendre une campagne à une marque sur ce secteur.

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Mediakwest : Vous avez découvert l’e-sport il y a deux ans. Comment êtes-vous entré dans ce secteur ? Ian Smith : J’ai découvert l’e-sport grâce à un ami qui était sponsor ; il m’a fait rencontrer des médias qui montaient des partenariats avec des équipes. Ils avaient des interrogations légales et comme j’ai une solide connaissance du droit du sport traditionnel, ils m’ont demandé de réaliser une évaluation des risques sur l’esport et plus particulièrement sur les questions de son intégrité. Cela n’avait jamais été fait et ils ne trouvaient aucune étude sur ce sujet puisqu’il n’existe pas de fédération, ni d’instance dirigeante. Même si cela ressemblait à mon champ de compétence, j’ai d’abord dû comprendre ce qu’est réellement l’e-sport. Je connaissais son existence, mais sans vraiment pouvoir définir ce que cela englobait. Heureusement, ils m’ont laissé assez de temps pour que je m’imprègne bien de ce sujet, puis j’ai pu examiner les risques spécifiques de ce secteur. J’ai rencontré les dirigeants d’ESL à Cologne, ils m’ont présenté Blizzard, Valve, Ubisoft, puis j’ai rencontré des équipes, des annonceurs, je suis allé à des compétitions. J’ai rencontré le maximum d’acteurs de ce marché naissant. Je connaissais parfaitement le secteur du pari sportif et ESL m’a ouvert toutes les portes de l’e-sport. M. : En France, parier de l’argent sur l’e-sport n’est pas légal. Est-ce autorisé au Royaume-Uni ? Si oui, comment cela fonctionne-t-il ? I. S. : Oui, c’est autorisé. Les parieurs sportifs et les parieurs e-sportifs sont très différents, mais les systèmes sont identiques et comparables sur le plan du pari en lui-même. Le produit est identique, le but est de gagner. Du coup, côté régulation, nous sommes sur le même schéma.

M. : Pensez-vous que la France arrivera à ce niveau avec un ministère dédié ? A. N. : Ce serait beau. C’est un secteur plein de potentiel qui, contrairement aux sports classiques, peut évoluer en permanence, de par sa nature digitale. De plus, il a des problématiques légales, que ce soit les questions de visa, de propriété intellectuelle… Les joueurs participent à des championnats dans le monde entier avec à la clé des cash prices très importants. Il va falloir une gestion gouvernementale ; cela commence déjà. Mais la plupart des gens qui essaient d’instaurer des règles ne comprennent pas les enjeux de l’e-sport. M. : Pensez-vous que ce secteur va se féminiser ? Pour l’instant, les femmes sont extrêmement rares…

Ian Smith est avocat spécialisé dans les sports traditionnels. Depuis juillet dernier, il est le commissaire en charge de l’intégrité de l’e-sport au sein de l’ESIC (Esports Integrity Coalition), une association à but non lucratif, qui regroupe des équipes, mais aussi des organisateurs de tournois, à l’instar de l’ESL. Une première étape dans la régulation.

© Newzoo

M. : Quelles sont, selon vous, les principales différences entre les sports traditionnels et l’e-sport ? I. S. : En Europe, le modèle de gouvernance des sports traditionnels part des équipes amateurs vers les grands clubs. Dans l’e-sport tout cela n’existe pas : le jeu appartient à l’éditeur ou au développeur. C’est une différence très importante. Le football n’appartient à personne, mais si nous jouons à League of Legend dans le cadre d’une compétition, Riot Games peut tout simplement nous l’interdire. Ils ne le font pas, mais ils font évoluer les

Ian Smith est mandaté par l’ESIC pour conserver l’e-sport éthique et propre.

jeux en permanence. C’est un peu comme si le Tournoi des 6 nations changeait de règles en permanence et décidait de prendre un ballon rond ! Dans l’e-sport, cela évolue en permanence, entre les nouvelles cartes, les nouveaux personnages, les armes, etc. Pour les parieurs, cela implique que des années de données n’ont plus aucun intérêt ! Par contre, tout est données dans l’e-sport, contrairement aux sports traditionnels où l’on est confronté à l’humain. M. : Qu’en est-il des problèmes de dopage ? Est-ce quelque chose de courant ? I. S. : En théorie, c’est quelque chose qui peut exister. En 2015, le milieu a été très concerné par ce problème car des rumeurs

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ÉCRANS couraient comme quoi les joueurs prenaient de l’Adderall (amphétamines). J’ai mis en place un programme de testing en mars 2015 sur Counter Strike, puis Dota et Starcraft. Après deux ans, nous avons testé plus de 200 joueurs et je n’ai aucune preuve de dopage. Nous en avons surveillé plus de 400. J’ai examiné tous les résultats et je n’ai rien trouvé qui puisse indiquer qu’il existe du dopage dans l’e-sport. Après, nous nous concentrons sur les équipes au plus haut sommet, je ne sais pas ce qui se passe dans les équipes plus amateurs, notamment lors des championnats en ligne. C’est peut-être un souci, mais en fait nous ne savons pas. Financièrement, il est impensable d’aller vérifier dans tous les foyers des joueurs en ligne ! Par contre il est important d’avoir une politique autour du dopage, afin de pouvoir réagir si cela est avéré. Seul ESL pratique des tests, les autres devraient aussi investir dans cette question : aucun éditeur, aucun autre organisateur de tournoi ne débourse un centime. Personne d’autre ne s’en préoccupe, ce qui n’est pas juste.

La formation Rocket League évoluera sous les couleurs de Renault Sport Team Vitality.

M. : Qu’en est-il de la triche ? I. S. : C’est un problème extrêmement important qui est surtout répandu chez les amateurs. Elle se décline de deux manières : l’utilisation de logiciels (bots) qui donnent des avantages, cela peut être détecté, mais certains sont extrêmement sophistiqués. J’ai banni un joueur l’an dernier dans un tournoi avec 600 000 dollars de cash price : nous avons su qu’il avait triché uniquement parce qu’il a avoué ! Personne n’avait rien vu. L’autre façon de tricher touche surtout les tournois en ligne. Quand on arrive au plus haut niveau, c’est extrêmement rare. Je n’ai pas rencontré de cas en deux ans et demi. C’est très rare. M. : Depuis deux ans, on entend : « cette année c’est l’année de l’e-sport »… et pourtant il n’est pas encore devenu mainstream, quels sont les freins ? I. S. : En France, je pense que cela est lié à la culture française ! La France a vraiment d’excellents joueurs de haut niveau, mais ils partent jouer dans des équipes étrangères. Il y a une forte pénétration des consoles de jeux en France, et les jeux sur console ne sont pas dans le top 10 de l’e-sport. Il y a aussi un problème avec la régulation en France : la loi qui est entrée en vigueur est bonne pour les joueurs français, elle leur permet d’obtenir des contrats, mais elle freine l’organisation de grands événements. Les joueurs doivent avoir un statut de professionnel et il y a de nombreuses taxes. Il faut déclarer les sponsors, les revenus du streaming, c’est une vraie purge ! Si DreamHack a le choix entre 300 villes, pourquoi viendrait-il en France ? D’un point de vue bureaucratique, c’est plus compliqué que d’aller à Londres, Barcelone, Cologne ou Katowice. Pour que l’e-sport avance en France il est aussi nécessaire que le secteur amateur se développe, ce qui est actuellement en cours, mais aussi il est important de programmer de grands événements. C’est la combinaison essentielle. Ceux qui ont lieu ne sont pas de la taille de Katowice qui a accueilli 40 000 personnes ! L’e-sport français est le mieux organisé au niveau amateur, mais la France et l’Italie étouffent ce secteur sous la bureaucratie. Les sénateurs ont voulu bien faire et n’ont pas anticipé les conséquences. Nous les avons rencontrés et ils vont travailler pour ajuster la réglementation, cela peut prendre du temps… M. : Comment cela se passe-t-il en Angleterre ? I. S. : L’e-sport britannique est moins bien organisé que le français et surtout il souffre de guerre interne à cause d’une réelle immaturité du secteur. Il a du chemin à faire. En France, les personnes qui tiennent les rênes sont des quadras, cela aide. Nous manquons de visionnaires : le Royaume-Uni a cinq ans de retard par rapport à la France, au Danemark, à l’Allemagne et l’Espagne. L’Europe de l’Est produit d’excellents joueurs mais côté organisation, c’est un cauchemar. L’Europe du Nord est plus en avance avec des structures commerciales très bien organisées. L’Amérique du Nord est en progrès et gagne 10 % de valeur tous les trimestres ! Elle a notamment des équipes formidables sur Counter Strike. Les financements sont importants et les arènes nombreuses. L’Amérique va vite rattraper son retard. Son souci est d’arriver à faire venir les spectateurs : la scène en ligne est importante. Elle a du mal à faire venir plus 12 000 personnes… L’épicentre absolu étant bien entendu la Corée du Sud, qui a beaucoup développé les jeux sur mobile.

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Les télévisions du monde entier font les yeux doux à l’e-sport et tentent d’attirer les spectateurs habitués àTwitch sur leur programme.

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M. : Pensez-vous que le futur de l’e-sport passe par l’écran de télévision ? I. S. : L’e-sport devrait se diffuser sur une multitude de médias plutôt que de se focaliser sur un seul. Les jeunes regarderont sur le mobile, l’Ipad, l’ordinateur, la console, la télé, etc., selon le lieu où ils sont. La télé traditionnelle est devenu un wallpaper ! Ils regardent au minimum trois écrans en même temps. Selon moi, la question n’est pas l’écran mais la monétisation. Cette génération s’est habituée à consommer des contenus gratuitement et ne se disposera à payer que si elle ne peut vraiment pas trouver son programme ailleurs gratuitement. Leur premier instinct est de trouver comment le pirater. La clé va être de savoir comment monétiser ; peut-être que la publicité est la clé. Nous verrons ce que donne le partenariat entre MLB et Riot Games (NDLR : la Ligue nationale de Baseball et l’éditeur ont signé en décembre 2016, un accord commercial d’un montant de 350 M$ pour la diffusion des LOL jusqu’en 2023) et comment évoluera la Eleague de Turner. M. : Que pensez-vous des deals exclusifs entre les chaînes et les éditeurs sur Overwatch League ? I. S. : C’est de l’exclusif disponible sur Twitch. À la base, Blizzard avait fait un deal avec MLG TV, mais ils se sont rendus compte qu’ils allaient perdre de l’audience. Personne ne connaît le montant exact, il devrait se situer autour de 90 M$. M. : Pensez-vous que les droits de diffusion vont connaître une inflation comme dans le sport traditionnel ? I. S. : Je n’en suis pas certain, car la question est toujours de savoir comment monétiser. Les sports comme le football sont concurrentiels et les droits de diffusion sont exclusifs. Promettre l’exclusivité dans l’e-sport est très complexe car le jeune voudra toujours avoir accès à du contenu gratuit. Cette génération n’est pas du tout punk, mais elle refuse de payer, sauf sous forme de micro-paiement qui garantisse des exclusivités. Cela crée une disruption dans le marché ; on n’y peut rien, c’est l’avenir, on voit cela dans le développement des cryptomonnaies.

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