Il faut inverser la représentation du monde dans les ...

un réseau fédérateur des femmes dans le jeu vidéo. Comment pensez-vous que cette asso- ciation peut aider les femmes de l'indus- trie ? J'ai le sentiment que ...
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3 - Jeudi 2 novembre 2017

N°6515 / www.lettreaudiovisuel.com

“Il faut inverser la représentation du monde dans les jeux vidéo” INTERVIEW. Julie Chalmette, DG de Bethesda et présidente du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell), présente Women in Games. Cette association veut rendre l’industrie du jeu vidéo plus féminine, en expliquant notamment ses métiers aux jeunes filles. Comment est née l’association Women in Games ? Le point de départ de cette association repose sur mon amitié de vingt ans avec Audrey Leprince, la cofondatrice de The Game Bakers. Elle a toujours travaillé du côté du développement et moi de l’édition. L’an dernier, nous avons participé à une remise de prix et en discutant, nous avons fait le constat qu’il y avait peu de femmes dans les nommés et les primés. Parallèlement, nous discutions des responsabilités que nous étions en train de prendre : elle donne de plus en plus de conférences sur le jeu vidéo, j’allais me présenter à la présidence du Sell avec des hésitations qui sont totalement féminines : être jeune ou trop vieille, avoir peur de s’exposer à la critique… Nous avons décidé qu’il fallait que les choses évoluent, non seulement d’un point de vue personnel, mais aussi qu’il était important de créer un réseau fédérateur des femmes dans le jeu vidéo. Comment pensez-vous que cette association peut aider les femmes de l’industrie ? J’ai le sentiment que l’union fait la force. J’ai trouvé énormément de réconfort et de force dans la lecture de témoignages de femmes comme Sheryl Sanders, la numéro 2 de Facebook. Elle a aussi des moments de doute. Cela m’a réconforté et encouragé. Nous devons vraiment nous débarrasser ce syndrome de l’imposteur dont nous sommes parfois affectées. Combien de femmes travaillent actuellement dans le secteur de l’industrie du jeu vidéo ? Comme dans toutes les industries créatives, il n’y a pas suffisamment de femmes : c’est aussi vrai dans la BD, les prix littéraires, le cinéma ou les séries… L’industrie du jeu vidéo est frappée du même syndrome, les femmes ne sont que 14 à 15 % dans les studios. Ce n’est pas suffisant. Le jeu vidéo est le loisir du XXIe siècle, et l’on construit une représentation du monde façonnée par les hommes dans lequel les femmes ne sont pas suffisamment présentes ou de manière caricaturale. Il est important d’inverser les choses et d’amener plus de jeunes femmes à rejoindre ces carrières. Leur créativité et leur sensibilité vont enrichir le jeu vidéo avec plus de diversité. D’autant que de nos jours, 47  % des joueurs sont des femmes… Le jeu vidéo est désormais le loisir de

gitimes dans leur domaine d’expertise. Les hommes ne se posent pas ces questions. Nous voulons vraiment lever ces freins et proposer de la formation, du coaching. J’ai accepté de prendre cette présidence du Sell car je me rendais compte que ces appréhensions étaient uniquement au fait que je suis une femme. J’espère que mon témoignage, qui est loin d’être isolé, soit une source de réconfort et de force.

tous : 70 % des Français jouent et dans ce pourcentage, 47 % sont des joueuses. C’est aussi le loisir des femmes. C’en est fini du loisir masculin, s’adressant à des geeks. L’industrie du jeu vidéo s’adresse très largement aux femmes. Elles doivent s’investir dans la création vidéoludique et les studios les attendent. J’ai visité lundi IndieCade, le “Sundance du jeu vidéo”, un festival du jeu vidéo indépendant, un laboratoire. Stephanie Barish, qui a créé ce festival aux USA, m’expliquait que la moitié des projets étaient portés par des femmes. Non par une volonté mais parce que ce festival va chercher les projets les plus créatifs, les plus fous, les plus divers. En explorant tous les nouveaux territoires de la création, ils sont arrivés sans le prévoir à cette parité, ainsi qu’à une diversité à laquelle nous sommes aussi très sensibles. Comment Women in Games va-t-elle agir concrètement ? Dans un premier temps, nous avons réuni un pôle d’intervenantes qui sont déjà dans les carrières du jeu vidéo. Nous devons nous organiser pour que plus jamais, il n’y ait un panel ou une conférence sans femme. Nous ne pouvons pas déserter ces territoires. Les acteurs sont assez demandeurs. Dans un deuxième temps, nous voulons faire grandir ce pôle. Il s’agit d’occuper l’espace pour montrer l’exemple pour les plus jeunes femmes. Elles ont besoin qu’on leur montre la voie et qu’on leur explique les métiers du jeu vidéo, comment on rentre dans ce secteur… Nous ne voulons pas être des donneuses de leçon mais nous avons un devoir, mais les femmes qui hésitent à se mettre en avant doivent se libérer de leur frein et se rendre plus visibles. Elles sont lé-

Quel va être le temps fort de Women in Games pendant la Paris Games Week ? Nous organisons le 3 novembre une rencontre de networking avec cinq femmes de l’industrie, pour raconter nos parcours : le premier est celui de Véronique Morali, présidente du directoire de Webedia, qui a été présidente du Women's Forum et a donc une expérience associative forte. Nous avons aussi dans ce panel des développeuses, des productrices et une jeune youtubeuse qui développe son jeu toute seule. Elles vont raconter les étapes de leurs carrières, nous espérons que cela inspirera les jeunes femmes présentes. Nous dévoilerons aussi les résultats d’une étude menée sur ces freins qui empêchent les jeunes femmes d’entrer dans les carrières du jeu vidéo. L’un des constats est la méconnaissance des métiers de cette industrie. C’est pour cela que nous avons aussi une équipe mobile de femmes qui, pendant la PGW, iront à la rencontre des jeunes filles et de leurs parents pour leur expliquer ce qu’est le game design, le métier de programmeuse, mais aussi que l’on peut entrer dans ces métiers par les voies du scénario, de la création… Par la suite, nous aimerions construire un programme avec des femmes qui iront raconter leurs témoignages et raconter leurs carrières. Nous ne voulons pas uniquement nous appuyer sur des parcours “exceptionnels”, intimidants… Nous allons lancer le message lors du networking pour encourager les femmes à être le porte-flambeau de notre industrie au féminin. L’image de la femme en tant qu’héroïne at-elle changé dans les jeux vidéo ? Je suis dans l’industrie depuis plus de vingt ans et il y a eu une évolution positive. Les héroïnes sont moins hypersexualisées et beaucoup de jeux proposent d’incarner un homme ou une femme. Pour avoir une représentation plus diversifiée et respectueuse de la femme, il faut que nous soyons plus nombreuses. Nous devons encore faire évoluer cela de l’intérieur. Propos recueillis par Emma Mahoudeau Deleva