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Fondation des Entreprises en Recrutement de Main-d'œuvre agricole Étrangère. Février 2016. CRC - 021M. C.P. – P.L. 77. L'immigration au Québec ...
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CRC - 021M C.P. – P.L. 77 L’immigration au Québec

Mémoire Consultations particulières et auditions publiques de la Commission des relations avec les citoyens sur le projet de loi no 77, Loi sur l’immigration au Québec PAR Fondation des Entreprises en Recrutement de Main-d’œuvre agricole Étrangère

Février 2016

Table des matières Sommaire ........................................................................................................................ 3 Introduction .................................................................................................................... 4 Questions et enjeux......................................................................................................... 7 Recommandations ........................................................................................................ 12 Conclusions................................................................................................................... 14

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Sommaire La présence de travailleurs issus de l’immigration temporaire est une composante fondamentale de la prospérité économique du Québec. Il existe toutefois des réalités bien différentes pour les travailleurs et les employeurs selon que ces travailleurs soient spécialisés, et qu’ils caressent le rêve de s’établir au pays de façon permanente, et ceux qui viennent occuper des postes saisonniers dans le seul espoir d’améliorer leur niveau de vie et celui de leur famille dans leur pays d’origine. Le projet de loi no 77, Loi sur l’immigration au Québec, comporte des ouvertures intéressantes quant aux objectifs recherchés et aux traitements futurs des dossiers des travailleurs migrants. Il existe toutefois des zones grises, notamment en ce qui concerne le maillage avec les programmes fédéraux, et une certaine lacune sur la définition du travailleur temporaire. En outre, nous estimons qu’à l’intérieur d’une refonte législative aussi importante, il y a des rendez-vous manqués dont la simplification du processus administratif. Les employeurs que nous représentons ne voient pas dans le projet de loi la reconnaissance de leur situation particulière ni une solution permanente à leurs embûches. Nonobstant le besoin d’obtenir des éclaircissements quant à la portée de certaines dispositions, FERME propose trois recommandations spécifiques. D’abord, afin que les lois et règlements reconnaissent le statut de travailleur saisonnier, qui vient au Québec pour une courte période, mais de façon récurrente, et que les programmes du MIDI puissent être adaptés à cette réalité, la catégorie des travailleurs temporaires saisonniers doit être incorporée à l’article 6 du projet de loi. Ensuite, l’article 17 qui prévoit le passage d’un ressortissant étranger en situation de travail temporaire à l’immigration permanente, devrait être clarifié afin qu’il puisse s’appliquer essentiellement aux travailleurs occupant des postes à plein temps. Dans ce contexte, nous suggérons que le MIDI fasse preuve de vigilance dans l’établissement des conditions des programmes d’immigration afin de conserver l’esprit des programmes fédéraux destinés aux travailleurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire et de ne pas créer un régime différent de celui en vigueur dans les autres provinces du Canada. Enfin, pour répondre aux doléances des employeurs constamment ensevelis sous la paperasserie administrative en lien avec l’embauche de travailleurs saisonniers de l’étranger, nous recommandons l’introduction d’une procédure allégée (nouvelle disposition ou amendement de l’article 16 du projet de loi actuel), permettant au ministre d’installer une démarche accélérée à l’attention des employeurs ayant recours de façon récurrente à des travailleurs étrangers temporaires pour combler des postes saisonniers.

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Introduction En 2016, près de 10 000 offres d’emploi agricole saisonnier seront comblées par des travailleurs étrangers temporaires (ci-après désignés les « TET »). La plupart des travailleurs arriveront au pays dès la fonte des neiges et quitteront après la récolte des fruits et les légumes. La problématique soulevée dans le présent mémoire ne touche qu’une petite partie du projet de loi no 77, Loi sur l’immigration au Québec, présenté par la ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI). La réalité des TET œuvrant dans les secteurs agricole et agroalimentaire ne fait pas face aux mêmes défis que les personnes désirant s’établir au Québec de façon permanente. Néanmoins, face à la pénurie chronique de main-d’œuvre dans l’agriculture, l’apport des travailleurs étrangers ne cessera de croître, et il est dans l’intérêt de tous que ces travailleurs puissent continuer de contribuer concrètement à la vitalité de notre économie. Portrait type d’un travailleur D’une manière générale, le profil des travailleurs dont il est fait mention plus avant se dessine comme suit :         

il s’agit de travailleurs dits « saisonniers » la durée de l’emploi dépend du cycle des saisons et du climat ils œuvrent au sein d’entreprises et habitent dans des communautés sises en région ils viennent au Québec pour travailler le plus grand nombre d’heures possible afin de subvenir aux besoins de leur famille ils ne sont pas forcément désireux d’immigrer au pays de façon permanente leur niveau de scolarité est très faible, mais les emplois qu’ils occupent exigent un savoir-faire, un engagement à l’égard des contraintes reliées à la réalité de la production agricole et des capacités physiques particulières les emplois qu’ils occupent sont boudés par les travailleurs québécois ils sont hispanophones d’origine latino-américaine leur taux de rappel est éloquent : entre 85 et 90 % chaque année

Insistons de plus sur un fait : leur contribution est essentielle à la pérennité des entreprises dans lesquelles ils travaillent1. Les TET viennent au Québec en vertu de deux programmes du gouvernement du Canada, soit le programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) et le volet agricole, tous deux sous l’égide du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Pour un travailleur qui n’occupe pas de poste sur une ferme (par exemple, 1

80 % des entreprises agricoles qui font appel à la main-d’œuvre étrangère ont déjà affirmé qu’elles devraient cesser leurs activités si elles n’avaient pas accès à celle-ci.

5 dans la transformation alimentaire ou dans le secteur de l’aménagement paysager), c’est le niveau de salaire qui sert de critère principal aux fins de l’application du PTET. Les emplois dont les salaires sont inférieurs au salaire médian provincial ou territorial sont classés dans la catégorie des emplois à rémunération « bas salaires » et ceux qui sont supérieurs seront classés dans la catégorie des emplois à rémunération « hauts salaires »2. La pénurie exprimée en chiffres Une étude réalisée par FERME en août 20153 est révélatrice de l’importance économique de la présence des TET dans l’agriculture au Québec. La masse salariale des quelque 7000 TET venus au Québec en 2013 – dernière année pour laquelle des données sont disponibles – est d’environ 104 millions $. De cette somme, environ 32 millions $ ont été dépensés au Québec tandis que le reste, soit 72 millions $, a été transféré vers les pays d’origine, principalement le Mexique et le Guatemala. Les TET fournissent près de la moitié (47 %) des semaines de travail saisonnier et temporaire dans plusieurs secteurs agricoles primaires. Nous évaluons que la présence au Québec des TET permet une production qui a généré pour environ 236 millions $ en valeur ajoutée en 2013. En divisant ce chiffre par le nombre de TET admis en 2013, on obtient une évaluation de la valeur ajoutée moyenne permise par la présence d’un TET, soit 33 000 $. Année après année, il est devenu plus contraignant pour les employeurs d’obtenir les autorisations préalables à la venue des TET. La réforme du PTET, mise en place par le gouvernement du Canada en juin 2014, a eu pour effet de resserrer considérablement davantage l’étau sur les employeurs, particulièrement ceux qui font appel à des travailleurs peu spécialisés dans les secteurs ne faisant pas partie de la liste nationale des secteurs agricoles (frais de 1 000 $ par poste, imposition d’un quota, diminution de la durée de validité d’un permis de travail, etc.). Depuis 1978, les gouvernements du Québec et du Canada se sont entendus sur une répartition des responsabilités au chapitre de l’accueil des immigrants (Accord CanadaQuébec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains). Cette compétence partagée entraine son lot de nuances. En ce qui a trait au PTET, puisque ce programme demeure sous l’égide exclusive du gouvernement fédéral, il dictera seul la marche à suivre lorsque viendra le temps d’en fixer les grandes orientations. Québec et Ottawa se partageront par contre l’analyse d’une demande d’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT); c’est dire que le MIDI aura son mot à dire sur le respect par un employeur des règles imposées par le programme.

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Depuis le 30 avril 2015, c’est le salaire horaire de 20,00 $ qui départage les deux groupes. Impact économique des travailleurs étrangers temporaires dans l’agriculture québécoise, document interne, août 2015, 16 pages.

6 Il appartiendra aussi au MIDI de fixer certains critères susceptibles de varier d’une province à l’autre, par exemple les salaires. Là s’arrête l’implication du MIDI dans le dossier. En revanche, il appartiendra au gouvernement fédéral de délivrer ou non un permis de travail ou un visa à tout travailleur étranger qui sollicite l’obtention d’un droit d’entrée ou de séjour au Canada. Cette dualité implique que les employeurs québécois sont les seuls au Canada à devoir acheminer les dossiers aux deux gouvernements, occasionnant ainsi des délais additionnels. À titre comparatif, pour l’arrivée de travailleurs pour la saison 2016, l’examen d’une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) est de deux semaines pour les employeurs hors Québec, et de 12 semaines pour ceux de notre province. En outre, les travailleurs étrangers doivent défrayer les coûts du certificat d’acceptation du Québec (CAQ) à même leurs revenus gagnés au Québec. Tenant compte de ce contexte singulier, la Fondation des Entreprises en Recrutement de Main-d’œuvre agricole Étrangère (FERME)4, au nom de ses quatre associations constituantes5 et des quelques 900 entreprises membres qu’elle représente, souhaite sensibiliser les élus à la problématique complexe qui affecte les entreprises des secteurs agricole et agroalimentaire, puis examiner avec la Commission, sous l’angle du projet de loi no 77, comment ce volet fondamental de notre économie pourrait être plus compétitif. Plus exactement, nous articulerons notre analyse autour des trois questions suivantes, auxquelles nous tenterons d’apporter quelques réponses pertinentes : 1- Est-ce que le projet de loi no 77 offre une place suffisante à tous les types de TET? 2- Les problèmes réels découlant du PTET sont-ils abordés? 3- Tenant pour acquis qu’on puisse le faire, en quoi consisteraient des pistes de solution viables et efficaces?

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Par la nature même de son mandat, FERME assiste les employeurs à toutes les étapes de leurs démarches visant à recruter des travailleurs saisonniers étrangers. Notre organisme gère notamment tous les mouvements de main-d’œuvre (les transferts de travailleurs, les demandes de rapatriement, les annulations de demandes, les remplacements, les ajouts de travailleurs, etc.). FERME agit à titre de représentant officiel de ses membres dans toutes les relations avec les médias, et lors des rencontres organisées avec ses partenaires. La participation à ces rencontres permet d’apporter les ajustements requis selon les lois et l’évolution des programmes. Il en va de même lors des séances de négociations organisées avec les différents pays impliqués dans les programmes de recrutement de main-d’œuvre étrangère. Association des producteurs maraîchers du Québec, Syndicat des producteurs en serre du Québec, Association des producteurs de fraises et framboises du Québec, Fédération interdisciplinaire de l’horticulture ornementale du Québec.

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Questions et enjeux 1)

Les zones grises du projet de loi : sources de préoccupations

Une première constatation, troublante à première vue, s’impose à la face même projet de loi no 77. La notion d’immigration temporaire : en quoi consiste-t-elle? Il semble y avoir une nette confusion quant à la portée de cette notion – qui ne conduit pas à la possibilité d’une résidence permanente, comme c’est le cas pour les travailleurs agricoles, et celle d’une immigration permanente, qui touche, par exemple, les travailleurs qualifiés. Bien que l’article 8 permette au gouvernement de déterminer d’autres catégories de ressortissants étrangers qui souhaitent séjourner au Québec de façon temporaire que celles prévues à l’article 6, il conviendrait de prévoir dès maintenant une meilleure description de la catégorie « travailleurs temporaires » afin de mieux identifier les programmes qui s’appliquent aux travailleurs saisonniers par opposition à ceux ouverts aux travailleurs à plein temps. Comme nous le verrons plus loin, ces situations se situent aux antipodes l’une de l’autre. Établissement des critères de sélection : prudence Les employeurs agricoles et agroalimentaires étant sensibles aux grands enjeux liés à l’immigration, ils se sentent interpellés par les articles 15 et 16 du projet de loi, et par l’article 17 que nous traiterons dans la prochaine section. Cette préoccupation découle de l’accroissement incessant d’exigences à leur égard quand vient le temps de faire leurs démarches pour obtenir des travailleurs étrangers saisonniers. La portée de l’article 15 n’est guère rassurante dans le sens qu’il permet au gouvernement de déterminer les conditions d’embauche des ressortissants étrangers avant même que des balises ne soient édictées. Alors que nos producteurs agricoles sont en compétition directe avec ceux de l’Ontario, notamment pour approvisionner les chaines alimentaires et conquérir le marché américain, une différenciation encore plus marquée des conditions d’embauche des travailleurs étrangers mettrait en péril leur situation concurrentielle déjà précaire par rapport à nos voisins canadiens.6 De quelle manière la détermination de ces critères se conciliera-t-elle avec les exigences actuelles du PTET qui, lui, édite déjà des critères précis et nombreux?

Un article récent paru dans le Journal de Montréal, dans son édition du 31 janvier 2016, sous la plume de Pierre Couture, fait état des dégâts provoqués par cette concurrence féroce entre les producteurs des deux provinces. Des mesures urgentes et durables doivent être mises en place, à défaut de quoi toute l’industrie y perdra. 6

8 Il en est de même avec l’article 16 qui confère au ministre la latitude nécessaire pour mettre en œuvre un programme pilote d’immigration temporaire d’une durée maximale de cinq ans, lequel toucherait un maximum de 400 ressortissants étrangers. Plusieurs questions surgissent. Sachant que la durée d’un permis de travail temporaire est assujettie à des limites précises (un ou deux ans), de quelle façon se concrétisera une telle mesure? Quelles situations seront susceptibles de favoriser la mise sur pied d’un tel projet? Quels seront les véritables critères de sélection applicables lors de la composition de ce groupe de 400 heureux élus? Sachant la pénurie importante en milieu agricole – près de 10 000 postes sont à combler annuellement dans l’agriculture et dans la transformation alimentaire – pourquoi limiter l’accès de cette mesure à ces seules 400 personnes? Cette mesure s’appliquerait-elle aux travailleurs saisonniers ou aux travailleurs annuels? Quel serait le sort réservé à ces travailleurs à l’issue de cette période possible de cinq ans?

2)

L’accès à la résidence permanente : une solution mitigée

C’est un secret de polichinelle dans l’industrie que, depuis les années 1980, le problème du manque de main-d’œuvre agricole ne cesse de s’aggraver. Elle est nettement insuffisante, quand elle n’est pas carrément absente. On ne se bouscule pas aux portes pour obtenir du travail dans les champs : les offres d’emploi ne trouvent pas preneurs. Il n’est plus possible pour les producteurs de combler leurs besoins parce que les travailleurs locaux ne sont plus au rendez-vous. Cette réalité a de quoi étonner d’autant plus qu’il y a encore beaucoup de travailleurs dans notre société qui sont aptes au travail et sans emploi. Une entreprise agricole a besoin d’une main-d’œuvre très polyvalente. À la ferme, les opérations doivent être envisagées de façon globale. La production agricole est une succession d’étapes diversifiées : le travail aux champs, la manutention, l’entretien de la machinerie agricole, la conduite de cette machinerie, la mise en marché, etc. Le travailleur agricole participe activement à l’exploitation agricole, sans égard à la nature des tâches qu’il effectue. Expliquer l’absence d’intérêt des travailleurs locaux n’est pas une mince affaire. Puis, l’attribuer uniquement aux seuls taux de salaire tient presque que de la démagogie. Certes, les salaires payés sont inférieurs à ceux offerts dans d’autres domaines de production ou dans les services. Mais il y a plus. La nature même du travail agricole compte pour beaucoup : un travail ardu et répétitif, qui exige une bonne dose d’endurance physique. Non seulement faut-il être en bonne forme pour travailler dans les champs, il faut être également capable de soutenir un rythme rapide de travail, de manière constante, jour après jour, semaine après semaine, toute la saison durant.

9 Le caractère saisonnier de l’emploi y est aussi pour quelque chose. Dans les régions agricoles, les travailleurs locaux, disponibles et fiables, ne sont pas intéressés par ces emplois saisonniers, recherchant davantage des emplois permanents, phénomène amplifié par la récente réforme fédérale de l’assurance-emploi. S’ils demeurent en agriculture, ce sera pour occuper les emplois agricoles spécialisés, qui offrent de meilleures conditions de travail : mécanique, administration, comptabilité, ventes, opérations, manutention, etc. Une chose est sûre : sans la main-d’œuvre étrangère, un grand nombre d’entreprises agricoles ne pourraient survivre, et les emplois plus spécialisés occupés par de la main-d’œuvre locale disparaitraient aussitôt. Des points de vue pertinents : le travailleur et l’entreprise Le travailleur étranger temporaire qui prend part chaque année à la vie agricole s’intègre dans cette réalité. Toutefois, contrairement à la croyance populaire, peu d’entre eux sont enclins à demander la résidence permanente, et ce, pour plusieurs raisons. Disons d’entrée de jeu qu’ils n’en ont pas la possibilité, ce qui règle la plupart des situations. D’autres facteurs influencent leur réflexion. Leur famille demeure implantée dans le pays d’origine, et les revenus gagnés ici leur assurent une qualité de vie enviable dans leur pays. Le but recherché par ces travailleurs, en acceptant de séjourner au Québec pour quelques mois, est de leur permettre d’acquérir une ferme dans leurs pays, à leurs enfants d’accéder à une éducation autrement inaccessible et à obtenir des soins de santé de qualité lorsque requis.7 Même son de cloche des entreprises : accorder la résidence permanente aux travailleurs étrangers ne constitue pas la solution la plus viable à long terme. Au Québec, la proportion d’emplois saisonniers dans l’agriculture maraîchère, par exemple, atteint les 90 %. Or, une fois la résidence permanente acquise, rien n’assure l’employeur que le nouveau résident permanent restera disponible pour le travail saisonnier demandé, d’autant plus que la réforme de l’assurance-emploi de janvier 2013, forçant les prestataires fréquents à accepter tout emploi à 70 % de leur ancien salaire dans un rayon d‘une heure de déplacement de leur résidence, inciterait sans doute ces travailleurs à opter plutôt pour un emploi permanent. Le problème social se pose en plus : accueillir ces travailleurs dans de telles circonstances ne contribuerait qu’à accroître le chômage durant la saison morte, une solution peu enviable. On règle un problème en en créant un autre. Au-delà de l’horaire saisonnier, le travail agricole est généralement caractérisé par le nombre élevé d’heures investies au travail, par le temps de travail ajusté en fonction des cycles de production, par des tâches effectuées à l’extérieur et soumises aux aléas climatiques, tout cela dans des lieux de travail situés en milieu rural, loin des services habituels de proximité (santé, éducation, loisirs, etc.), des communautés culturelles et 7

Résultats d’une enquête réalisée auprès des travailleurs agricoles étrangers par le Centre d’innovation sociale en agriculture (CISA) du CÉGEP de Victoriaville, Les travailleurs migrants sur les fermes du Québec, 2012.

10 des aménagements urbains. Devant le développement du secteur tertiaire caractérisé par une multitude de métiers offrant des conditions de travail nettement plus avantageuses, l’agriculture est de plus en plus perçue comme un secteur d’emplois moins intéressant, un sentiment encore plus marqué chez la main-d’œuvre non familiale. Il y a fort à parier que le travailleur agricole, une fois sa résidence permanente obtenue adoptera le même comportement que le travailleur québécois ou néoquébécois, ne réglant en rien la question de la pénurie. Un bémol non négligeable Il existe toutefois des travailleurs qui, de par leur expérience acquise au Québec, souhaiteraient y installer leur famille et participer pleinement à la vie de l’entreprise. Ces personnes occupent souvent des postes de superviseur ou ont acquis, avec les années, une expertise qui rend leur travail essentiel à l’entreprise. Très souvent dans de petites fermes, ils représentent souvent la seule option possible, pour un producteur en fin de carrière, au pénible problème qu’est celui de l’absence de relève agricole. Qui plus est, la maitrise du français est souvent déjà acquise. Bénéficiant d’un tel profil, si de tels travailleurs demandaient la résidence permanente, rien ne devrait constituer un obstacle. Les critères de sélection devraient être ajustés en tenant compte de cette réalité propre au monde agricole. Pourquoi ne pas tenter l’expérience d’un projet pilote afin de mesurer l’impact réel d’une telle démarche? Occuper un poste à temps plein devrait cependant demeurer au centre des exigences : d’emblée, les travailleurs saisonniers seraient exclus. Prétendre ainsi que l’accès à la résidence permanente constitue la solution à la pénurie de main-d’œuvre en agriculture constitue un leurre. Devenu résident permanent, l’ancien travailleur temporaire sera rapidement confronté aux mêmes difficultés que le travailleur local. Rien ne l’empêchera. Il pourrait cependant s’agir d’une avenue intéressante pour les productions annuelles, notamment les productions animales et de légumes en serre, et pour certains postes à plein temps dans un établissement agricole, à un point tel qu’elle mérite d’être examinée sérieusement.

3)

La nécessité d’assouplir les règles de fonctionnement

Il y a eu une reconnaissance explicite de la pénurie chronique de main-d’œuvre en agriculture. Malheureusement, cette même reconnaissance ne s’est pas traduite par un allègement des mesures administratives permettant aux employeurs d’avoir accès aux travailleurs étrangers et de leur offrir la flexibilité nécessaire pour répondre aux exigences de la tâche. En agriculture, les conditions climatiques et l’imprévisibilité de la croissance végétale font en sorte qu’un employeur se retrouve tantôt en manque de travailleurs, tantôt en surplus de main-d’œuvre. Le PTET (et le PTAS) est hélas mal adapté à cette réalité, puisque le prêt de travailleurs, même entre des entreprises ayant l’autorisation d’avoir

11 recours à des travailleurs étrangers, est formellement interdit. Conséquemment, les impacts négatifs pour les employeurs sont majeurs : augmentation des coûts de production, retard dans l’arrivée des travailleurs, donc dans la production, absence de flexibilité en cours de saison, paperasserie inutile et décuplée, etc. Rien qu’en 2014, les retards dans l’émission des visas ont causé aux producteurs agricoles du Québec des pertes évaluées à plus de 50 millions de dollars. Et si nous partions du principe que, année après année, ce sont très majoritairement les mêmes employeurs qui rappellent les mêmes travailleurs? Puisque cette main-d’œuvre est par son essence temporaire, pourquoi les formalités procédurales s’avèrent-elles toujours aussi si complexes, voire davantage que celles applicables à l’embauche de travailleurs dans des professions spécialisées? Enfin, se retrouver dans le tourbillon des démarches administratives relève de l’exploit tellement il y a d’intervenants dans le dossier. Combien d’employeurs se sont retrouvés sans travailleurs parce que les exigences variaient d’un ministère à l’autre? Combien de travailleurs se sont vus privés du droit à l’assurance-maladie parce que les délais d’émission des cartes étaient trop longs? Il se produit malencontreusement un déséquilibre du rapport de force délicat entre les producteurs d’ici et leurs concurrents : les producteurs agricoles du reste du Canada sont avantagés parce que leurs démarches sont moins complexes, moins longues et moins onéreuses. Un assouplissement des règles est devenu nécessaire, et nous souhaitons que la refonte de la Loi sur l’immigration puisse paver la voie à cette possibilité. Du moins, c’est ce que nous inférons de la volonté gouvernementale de prévoir la mise sur pied d’un programme pilote d’immigration temporaire d’une durée de cinq ans. Pourrait-il y avoir des aménagements à l’endroit des employeurs qui, bon an mal an, recrutent à l’étranger les mêmes travailleurs pour accomplir les mêmes tâches? Sans vouloir imposer un procédé précis, il pourrait s’agir d’un dossier ouvert pour une période de temps donnée, assortie d’un droit de regard et d’un pouvoir de contrôle des autorités gouvernementales. Certes, plusieurs formules peuvent être envisagées, toutes viables, sans par ailleurs préjudicier les questions de sécurité nationale et la protection des travailleurs.

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Recommandations De façon générale, les employeurs membres de notre organisation souscrivent aux principes généraux du projet de loi no 77. Ils adhèrent pleinement « à favoriser, par un l’engagement collectif et individuel, la pleine participation des personnes immigrantes à la société québécoise afin qu’elles contribuent, notamment, à la prospérité du Québec, à son rayonnement international et à la vitalité du français »8. Toutefois, ils ne voient pas dans le projet de loi la reconnaissance de leur situation particulière, et a fortiori, une solution à leurs embûches. Afin de remédier au fait qu’une part importante de l’immigration, soit l’immigration temporaire saisonnière, ne soit pas abordée dans le projet de loi, nous nous permettons d’apporter de recommandations visant à le bonifier. Première recommandation : la reconnaissance du statut de travailleur migrant saisonnier La notion du TET est beaucoup plus large que celle énoncée à l’alinéa 1 de l’article 6 du projet de loi. Les programmes et les mesures qui s’appliquent aux conditions de séjour de ces travailleurs ne devraient pas être les mêmes, puisqu’il existe un écart significatif entre les besoins comblés par un médecin ou un ingénieur qui vient occuper un poste, et celui du travailleur saisonnier qui vient pour une courte période, mais de façon récurrente. Afin que les lois et règlements reconnaissent ce statut, et que les programmes du MIDI puissent être adaptés à cette réalité, nous recommandons que la catégorie des travailleurs temporaires saisonniers soit incorporée à l’article 6 de projet de loi. Deuxième recommandation : un encadrement de l’accès à la résidence permanente Le passage d’un ressortissant étranger en situation de travail temporaire à l’immigration permanente (article 17) est une avenue souhaitable pour bon nombre de postes et de professions. D’une part, nous déplorons depuis plusieurs années que cette avenue est demeurée complètement fermée pour les travailleurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire, étant donné le caractère non spécialisé de leur métier. L’ouverture à l’immigration permanente pour ces travailleurs représente une planche de salut pour certains employeurs qui y verront une solution durable pour pourvoir certains postes à plein temps, voire une possibilité de relève. Nous encourageons de telles mesures. Toutefois, cette solution apparente requiert une certaine prudence. C’est bien sûr le règlement qui découlera de cet article qui fera foi des possibilités pour les ressortissants étrangers de demeurer au pays de façon permanente et d’y faire venir leur famille. 8

Préambule du Projet de loi no 77.

13 Notre questionnement est donc pour le moment de nature anticipative, mais légitime compte tenu du risque pour les employeurs de voir disparaître un pan entier d’un programme qui assure présentement leur viabilité. Nous demandons conséquemment au MIDI d’être vigilant dans l’établissement des conditions d’ouverture aux programmes d’immigration afin de conserver l’esprit des programmes fédéraux destinés aux travailleurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire et de ne pas créer un régime différent de celui en vigueur dans les autres provinces du Canada. Troisième recommandation : un allègement procédural nécessaire L’article 16 du projet de loi confère au ministre le pouvoir d’élaborer de nouveaux programmes d’immigration temporaire et de mettre en œuvre un programme pilote d’immigration temporaire d’une durée maximale de cinq ans assorti d’une limite du nombre de participants de l’ordre de 400 par année. Nous avons exprimé des interrogations quant au fondement de cette mesure (pourquoi cinq ans? Pourquoi 400 par année?) et à son harmonisation avec les limitations contenues dans les lois et règlements fédéraux. Nous retenons cependant de cette disposition proposée dans le projet de loi, l’unique volonté du ministre de se donner la flexibilité nécessaire pour intervenir face à des besoins ou situations spécifiques. C’est là que notre désir de voir reconnaître le statut de travailleur temporaire saisonnier prend tout son sens. À l’heure où la situation concurrentielle est à son paroxysme, nous souhaitons voir introduites au projet de loi des dispositions permettant au ministre d’apporter des allègements dans les démarches entreprises par les employeurs qui font appel à des travailleurs agricoles saisonniers de l’étranger, année après année, et ce, sans qu’il n’y ait forcément de limitation quant au nombre.

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Conclusion Peu importe sous quel angle on choisit de l’envisager, en face de la pénurie de maind’œuvre, la présence des travailleurs étrangers fait partie de la solution et non pas du problème. Avoir recours à ces travailleurs n’est peut-être pas la solution parfaite pour l’employeur. Elle a cependant le mérite d’être la meilleure disponible pour répondre aux manques chroniques de main-d’œuvre qui accablent l’industrie agricole et assurer une planification de la saison avec le minimum d’imprévus. Chroniques, certes, car ils n’ont rien d’une situation ponctuelle, ni d’un phénomène isolé. D’abord, leur présence est primordiale sinon vitale pour nos producteurs agricoles. Sans eux, le nombre d’entreprises agricoles au Québec, déjà en décroissance, serait en chute libre. Les producteurs le répètent sans cesse : la plupart doivent la survie de leurs entreprises à ces travailleurs étrangers. Maintenant qu’il est reconnu que les travailleurs étrangers temporaires représentent un rouage important dans le développement de l’économie de nos régions, il faut que cette reconnaissance se traduise par des actions. C’est pourquoi FERME, au nom de ses 900 entreprises membres, en appelle au MIDI pour que leur situation particulière soit reconnue. Le temps est venu de faciliter le recours aux travailleurs étrangers temporaires et de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin d’assurer leur intégration harmonieuse et la pérennité des entreprises qui font appel à cette maind’œuvre indispensable.