Fille du Nord Il est toujours plus en vu D'aimer le soleil La chaleur ...

Des parures et des pierres de grenat. Exhibez-là en public. Emmenez-là à l'opéra. Puis déguster le meilleur des repas. Laissez-moi donc mes saisons.
72KB taille 7 téléchargements 365 vues
Fille du Nord

Il est toujours plus en vu D’aimer le soleil La chaleur Et un climat plein d’ardeur

Vous paradez sous mon nez Vantant les mérites de votre peau dorée De votre canicule Et de tous les bienfaits de cet été majuscule

Vous dédaignez la pâleur de ma chair Et de ma peau si claire Mon goût pour les hivers Les giboulées et les pullovers

Je vous écouterais bien me conter Le bonheur d’un corps en perpétuelle sueur Mais mon esprit est embué Comme d’une extrême lourdeur

La faute à cette chaleur que vous aimez tant Qui partout entre mon esprit et mon corps S'immisce S’enlasse Et s’enlise

Vous trouvez ça délectable Agréable Enchanteur, même, De vivre dans cette extrême touffeur Et ne comprenez pas Que je n’y trouve point mon bonheur

Je trouve ça, au mieux, déplaisant Mais le plus souvent exaspérant Assommant Contrariant Et lassant

Et je suis bien dans mon droit De dédaigner la moiteur Et l’interminable langueur Des longues journées de chaleur Et de préférer le souffle frais D’une journée au vent frisquet

Est-ce que je vous oblige, moi, A aimer à tout prix Mon froid Ma pluie Et mes camaïeux de gris?

Est-ce que je vous force à admettre Que jamais homme qui fut Ne vit meilleur bienfait sur sa vie Que cette ondée glacée?

Les​ ​dons de la froidure sont pourtant bien connus Et il n’est pas rare d’entendre parler D’anges, de princesses ou de vieilles comtesses Qui, désespérés de rester figés dans leur prime jeunesse Se rendent dans des contrées enneigées Pour y préserver leur beauté

J’ai assez prétendu D’être une fille du Sud Et je veux aujourd’hui le clamer haut et fort, Que je suis une fille du Nord Et que je ne vois pas la noblesse De cette opressante sécheresse

Et quelle lassitude de toujours acquiescer Lorsque vous vous exclamez “Mon dieu, je ne connais pas de plus grand bonheur Que de vivre dans cette douce moiteur!”

Faites-lui donc faire des concours de beauté Où le Jury élira votre moiteur La plus belle des grandeurs Achetez-lui une voiture Des parures et des pierres de grenat Exhibez-là en public Emmenez-là à l’opéra Puis déguster le meilleur des repas

Laissez-moi donc mes saisons Et en échange Vous rendre votre chaleur Mais non sans un conseil bienfaiteur: Possédez-là Mattez-là Ou bien c’est elle qui vous possédera Car on ne sait jamais très bien Qui du maître ou du chien Règne sur l’autre en roi souverain

Je reprends mon froid et mes soirées venteuses, Ma grisaille Mes averses et ma brumaille Puisqu’il n’y a que ça qui m’aille Me plaise Et me fasse sentir à mon aise Je suis une fille du froid Qui affirme haut et fort Qu’aux grosses chaleurs du Sud Elle préfère les vents venus du Nord

-Texte par Gabrielle Narcy. ©Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.