fait son cinéma... mieux que

9 juin 2016 - Dick Cook. Fosun, Hunan TV et Perfect ... créée par le réalisateur James Cameron, ndlr) a formé une joint-venture en Chine avec deux firmes ...
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CULTURE

La Chine fait son cinéma... mieux que

Hollywood Enquête. Le pays de 1,3 milliard d’habitants va bientôt dépasser les Etats-Unis pour devenir le plus important marché du cinéma du monde. Cela éveille l’appétit des studios hollywoodiens et donne naissance à une série de films hybrides mêlant éléments chinois et occidentaux.

JULIE ZAUGG

Le jour du Nouvel An chinois, le 8 février 2016, le box-office du pays a brisé tous les records, rapportant 660 millions de yuans (99 millions de francs). The Mermaid et Monkey King 2, deux blockbusters indigènes, étaient à l’écran. Kung Fu Panda 3 aussi. Sur l’ensemble du mois, les cinémas ont vendu pour 6,87 milliards de yuans (1 milliard de francs) de tickets, surpassant pour la première fois de l’histoire les rentrées réalisées aux Etats-Unis, le plus important marché cinématographique du monde. En 2015, le box-office chinois a généré 44 milliards de yuans (6,6 milliards de francs), soit 100% de plus qu’en 2013. Il devrait atteindre 11 milliards de dollars d’ici à 2017 et aura alors dépassé celui des EtatsUnis. «Ce phénomène est essentiellement dû à l’émergence d’une nouvelle classe moyenne qui peut se permettre de dépenser 50 ou 100 yuans (7 fr. 50 ou 15 fr., ndlr) pour une place de cinéma», indique Shu Sum Man, qui codirige l’Académie du cinéma de la Hong Kong Baptist University. Le pays a aussi vu le nombre de ses écrans s’accroître. Ils sont passés de 19 157 en 2013 à 31 960 en 2015, selon les données d’EntGroup, une agence de conseil chinoise. «L’ouverture 52 L’HEBDO 9 JUIN 2016

de cinémas dans les villes secondaires ou en milieu rural a suscité l’apparition d’un nouveau public de cinéphiles», précise Zhao Li, chercheuse chez EntGroup. PASSER LA CENSURE

Seules 34 productions étrangères sont admises chaque année dans les salles chinoises. «La plupart sont des films d’action ou d’animation, note Aynne Kokas, spécialiste du cinéma chinois à l’Université de Virginie. Exempts de message politique ou religieux, de scènes de sexe et de violence à outrance, ils passent aisément le cap de la censure étatique.» Cela explique pourquoi le box-office chinois est dominé par des blockbusters américains comme Fast & Furious 7 (3e position), Transformers: The Age of Extinction (4e), Zootopia (6e) et Avengers: Age of Ultron (7e). Mais la Chine vit également une phase de renouveau cinématographique. «Depuis deux ans, le nombre de productions domestiques de qualité a augmenté de façon spectaculaire, note Zhao Li. La plupart sont des comédies ou des films historiques.» Journey to the West: Conquering the Demons et The Monkey King 2, tous deux fondés sur une légende chinoise, occupent respectivement la 11e et la 13e place du box-office. Deux films humoristiques, Lost in Hong

FRÉQUENTATION EN FORTE HAUSSE

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Le phénomène est dû à l’émergence d’une nouvelle classe moyenne. Et au nombre croissant des écrans dans le pays, qui est passé de 19 157 en 2013 à 31 960 en 2015.

GETTY IMAGES

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CULTURE Kong et Goodbye Mr. Loser, ont pour leur part ravi la 5e et la 8e position. Il y a aussi eu une poignée de films plus ambitieux, comme Monster Hunt, récit fantastique qui mélange animation et images filmées, réalisé par un ancien de DreamWorks, ou The Mermaid, qui occupe la première place du box-office chinois. «Il s’agit d’une sorte de fable moderne qui mêle comédie et récit fantastique, ainsi que des préoccupations sociétales comme l’environnement ou les inégalités entre riches et pauvres», détaille Shu Sum Man. Ce renouveau a été provoqué par le retour au pays d’une génération de cinéastes partis effectuer leurs études à l’étranger, notamment aux Etats-Unis. Mais aussi par l’émergence d’une galaxie de studios, comme les pékinois Huayi Brothers et Enlight, et de sociétés de postproduction locales. Un parc industriel qui en contient des centaines, dans la ville de Wuxi, non loin de Shanghai, a même été surnommé Huallywood. INVESTISSEMENTS AUX ÉTATS-UNIS

L’effervescence qui règne en Chine sur le marché du cinéma n’est pas passée inaperçue du côté des studios hollywoodiens. «DreamWorks a ouvert une antenne à Shanghai, Oriental DreamWorks, et Cameron Pace Group (une société consacrée à la 3D créée par le réalisateur James Cameron, ndlr) a formé une joint-venture en Chine avec deux firmes locales», note Aynne Kokas. Warner Brothers prévoit pour sa part de créer un studio à Hong Kong. Même Disney s’y est mis, avec deux films destinés au marché chinois: The Secret of the Magic Gourd et Trail of the Panda. Le graal, c’est d’obtenir le statut de coproduction, un titre délivré par Pékin aux films qui intègrent un nombre significatif d’acteurs, de fonds et d’éléments narratifs chinois. «Ces derniers ne sont pas soumis au quota de 34 films par année et ils se voient octroyer 43% des recettes engrangées en Chine, contre 25% normalement», explique Stanley Rosen, qui enseigne le cinéma chinois à l’Université de Californie. Pourtant, depuis peu, le flux des capitaux a commencé à s’inverser. «Depuis dix-huit mois, on assiste à une frénésie d’investissements chinois dans des studios ou des films américains», indique Christopher Spicer, avocat à Los Angeles, spécialisé dans les fusions et acquisitions cinématographiques. La plus importante opération a été le rachat de Legendary Entertainment, la société derrière Jurassic World, Interstellar ou la trilogie des Batman, par le groupe 54 L’HEBDO 9 JUIN 2016

«KUNG FU PANDA 3» Sorti en janvier 2016, ce film d’animation a rapporté 518 millions de dollars.

chinois Dalian Wanda pour 3,5 milliards de dollars en janvier, précise-t-il. Il s’est aussi opéré un partenariat entre Huayi Brothers et STX Entertainment, qui va donner lieu à 18 coproductions d’ici à la fin de 2017. Film Carnival, société basée à Hangzhou, a investi 500 millions de dollars dans le studio de l’ancien patron de Disney, Dick Cook. Fosun, Hunan TV et Perfect World Pictures, trois autres groupes chinois, ont pour leur part placé leurs billes dans les américains Studio 8, Lionsgate et Universal. VIVE LE MANICHÉISME

Plus près de nous, EuropaCorp, le studio de Luc Besson, a conclu un accord avec le chinois Fundamental Films, basé à Shanghai, pour coproduire une série de films. Parfois, ces financements ne portent que sur des projets individuels: Mission Impossible: Rogue Nation, Fast & Furious 7 et six films produits par Fox, dont Seul sur Mars (The Martian), ont tous reçu de l’argent chinois. «Pour ces firmes, c’est une façon d’acquérir du savoir-faire, décrypte Stanley Rosen. En coproduisant ces films, ils apprennent comment réaliser un blockbuster à l’américaine.» Ces collaborations ne sont toutefois pas exemptes de pièges. «Il ne suffit pas de donner un petit rôle à un acteur local

ou de filmer quelques scènes en Chine pour prétendre à une coproduction», fait remarquer Christopher Spicer. Le contenu chinois de Transformers: The Age of Extinction – un rôle pour la star chinoise Bingbing Fan et pour le boxeur Zou Shiming, ainsi qu’une poignée de scènes tournées à Hong Kong – a été jugé trop ténu. «Un mois avant sa sortie, Pékin a décidé de ne pas lui accorder le statut de coproduction», note Aynne Kokas. Il n’est pas non plus aisé de produire une histoire qui plaise à la fois aux publics occidental et chinois. «Les goûts sont très différents, détaille Michael Keane, spécialiste des médias chinois à l’université Curtin, à Perth. En Chine, on aime les histoires simples, avec des personnages uniformément bons ou méchants. On n’apprécie pas l’ambiguïté et les sous-entendus. Ni les récits qui montrent une vision négative du pays.» L’expert cite le cas du film franco-chinois Le dernier loup, de Jean-Jacques Annaud. «Il n’a pas eu de succès, car il évoquait un désastre écologique provoqué par la révolution culturelle», ajoute-t-il. De leur côté, les publics américain et européen ne s’intéressent pas aux histoires extraoccidentales. «Les films sur Marco Polo ou Gengis Khan n’ont jamais pris en Occident», note le professeur australien. ■

EVERETT COLLECTION KEYSTONE

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DR LI XIN XINHUA

«LUST, CAUTION» Le film du réalisateur Ang Lee a connu autant

de succès en Chine que dans le monde occidental.

«THE GREAT WALL» Une coproduction délirante qui réunit acteurs chinois et américains, dont Andy Lau et Matt Damon.

TROIS EXEMPLES DE COPRODUCTIONS SINO-AMÉRICAINES «Lust, Caution» Sorti en 2007, ce film du réalisateur taïwanais Ang Lee a connu un succès à la fois en Chine et dans le monde occidental. Il raconte l’occupation de Hong Kong et de Shanghai par l’armée japonaise durant la Seconde Guerre mondiale et la distribution comporte des acteurs de renom, comme Tony Leung. L’œuvre a été coproduite par les américains Focus Features et River Road et les chinois Shanghai Film Group et Haishang Films. «Kung Fu Panda 3» Ce film d’animation produit par Oriental DreamWorks est un modèle de coproduction réussie. Chaque blague a été testée sur une équipe de rédacteurs anglophones et sinophones, pour vérifier qu’elles fonctionnaient dans les deux langues. Les dessins ont

également été réalisés deux fois, pour que les mouvements des bouches des personnages soient fidèles à l’idiome parlé. Sorti en janvier 2016, Kung Fu Panda 3 a rapporté 518 millions de dollars. «The Great Wall» Il s’agit de la coproduction la plus ambitieuse jamais réalisée. Dirigée par le Chinois Zhang Yimou, elle mêle acteurs américains (Matt Damon et Willem Dafoe) et chinois (Andy Lau et Jing Tian). Ce récit fantastique raconte le combat d’une poignée de guerriers d’élite contre une invasion d’extraterrestres durant la dynastie Song du Nord (959-1126 après J.-C.). Leur arme ultime est la Grande Muraille de Chine. La sortie de The Great Wall, qui a coûté 150 millions de dollars, est prévue pour début 2017. ■

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