Elles réapprennent à vivre derrière les barreaux

Si la partie théo- rique fait grimacer les filles, la pra- tique leur plaît ... fants, elles ont souvent affaire aux services sociaux plus qu'à leurs fa- milles. Elles sont ...
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CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE LUNDI 6 JUIN 2016

SOCIAL

Elles réapprennent à vivre derrière les barreaux Les détenues de la maison d’arrêt de Châlons tentent d’oublier le temps passé loin de leurs familles. Immersion au sein du quartier des femmes, entre solitude et tentative de se reconstruire. L’ESSENTIEL ▶ Les femmes ne représentent que 10 % des effectifs de la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne. ▶ Sur les 29 détenues, cinq suivent une formation, quatre travaillent à l’atelier, deux au mess et deux en tant qu’auxiliaires. ▶ La moitié d’entre elles sont aussi inscrites à l’école. ▶ Si elles ont moins accès au gymnase que les hommes, de nombreuses activités sont aussi proposées aux femmes (couture, art floral, yoga…). n se dit souvent que pour qu’une femme finisse derrière les barreaux, elle n’a pas dû y aller de main morte. » Cette phrase revient souvent à la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne. Vingtneuf femmes, de 19 à 60 ans, y sont détenues actuellement. Toutes ont le visage marqué. Par la vie, les drames et la détention. « Les hommes sont souvent incarcérés pour des petits larcins, des vols, de la conduite en état d’ivresse… Les femmes le sont pour des faits plus graves : escroquerie, trafic de stupéfiants, violences… », détaille Emmanuelle Jullien, directrice de l’établissement. Certaines sont là pour quelques semaines, d’autres pour plusieurs années. Alors il faut bien passer le temps. Plus de la moitié d’entre

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C’est le nombre de femmes détenues à Châlons

elles demandent à avoir une activité : travailler ou suivre une formation. Actuellement, cinq détenues (choisies) suivent une formation de préqualification aux métiers de bouche de trois cents heures réparties sur onze semaines. Concrètement, elles apprennent à cuisiner. De la pâte à pain au poisson en passant par la pâtisserie. Aujourd’hui, au menu : navarin de veau et pommes de terre fondantes. « Regarde la sauce, elle a l’air terrible ! » Si la partie théorique fait grimacer les filles, la pratique leur plaît beaucoup plus. L’ambiance est détendue. « C’est très intéressant de les voir évoluer. Au début, j’avais un peu l’impression d’être dans une cour de récréation. Aujourd’hui, elles sont presque plus maniaques sur l’hygiène que moi. Et puis ça leur permet de reprendre confiance en elles », raconte Christian Guillier, leur formateur. « C’est mieux d’être ici qu’enfermée en cellule. On s’occupe et puis au moins, on apprend quelque chose d’utile », commente l’une des élèves. Beaucoup le disent, elles apprennent à cuisiner pour leurs familles et surtout pour leurs enfants. La réinsertion est un horizon plus lointain.

Mère et détenue Car la plupart des détenues sont mères. Une absence qu’il est difficile de gérer au quotidien. « J’ai trois enfants. Ils sont placés. J’arrive à voir un peu ma fille. Mais je n’ai pas vu mes deux garçons depuis huit mois. Ils ont deux et cinq ans », glisse Sandrine qui travaille au mess du personnel de la maison

3,5 %

C’est la part de la population féminine en milieu carcéral

« Les hommes sont souvent incarcérés pour des petits larcins. [...] Les femmes le sont pour des faits plus graves » Emmanuelle Jullien, directrice d’arrêt. « Si on n’avait pas le travail, le sport, quelqu’un avec qui parler en cellule, on serait complètement déboussolée. » « Les femmes sont moins soutenues que les hommes. Pour les détenus masculins, il y a toujours quelqu’un au parloir : une mère, une compagne, une sœur. C’est loin d’être aussi évident pour les femmes. Et quand elles veulent voir leurs enfants, elles ont souvent affaire aux services sociaux plus qu’à leurs familles. Elles sont aussi plus attentives au suivi de leur dossier et du coup, plus angoissées si elles n’ont pas un retour immédiat et tentent de négocier », explique une responsable du Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation). Au quotidien, le quartier des femmes est moins compliqué à gérer. Elles sont neuf surveillantes à se relayer jour et nuit. « Elles sont plus discrètes, plus calmes. C’est possible de discuter avec certaines sans problème. Parfois, elles se confient. Elles sont comme tout le monde, elles ont besoin de parler », commente Lathifa Mhamdi, responsable des activités. « Au mess, je travaille tous les jours avec deux détenues. Elles font le service et le ménage, elles m’aident à la cuisine. On

Pendant onze semaines, cinq détenues suivent actuellement une formation de préqualification aux s’appelle par nos prénoms. Nous déjeunons ensemble après le service et nous arrivons même à plaisanter. En seize ans, je n’ai presque jamais eu à renvoyer quelqu’un. Ce sont presque des collègues comme les autres », raconte Gilbert, en charge du petit restaurant.

Des salaires entre 140 et 280 € par mois Deux détenues appelées les « auxiliaires » sont aussi en charge de l’entretien des parties communes, des lessives, du repassage et de la distribution des repas. Quatre autres travaillent dans une cellule réaménagée en atelier. Toutes ces activités sont rémunérées. Les salaires oscillent entre 140 et 280 € euros mensuels. Ainsi, à l’atelier, elles sont deux et bientôt quatre. Toute la journée, elles confectionnent des attachescadres qui seront ensuite vendus dans le commerce à tout un cha-

cun. Chaque paquet de douze attaches leur rapporte 6 centimes pièce. Elles en font environ deux cents par jour. Au total, elles gagnent à peu près 12 € par jour, pour sept heures de travail. Le fruit de leur travail leur permet à la fois de se constituer un petit pécule pour leur sortie, mais aussi de « cantiner », c’est-à-dire acheter des cigarettes ou de la nourriture, sans faire appel à leurs familles à l’extérieur. Tout n’est pas rose pour autant. Même s’il y en a moins que chez les hommes, il y a aussi des problèmes de comportement au quartier des femmes. « Elles n’hésitent pas à jouer sur la corde sensible et à se victimiser pour obtenir ce qu’elles veulent, comme changer de cellule par exemple, quand une cohabitation est difficile ou parce qu’elles ne regardent pas le même programme télé. Tous les prétextes sont bons, quitte à se chamailler ou à se bous-

PLUSIEURS DIZAINES DE DÉTENUES PAR AN

LA PHRASE

En 2015, soixante et onze femmes sont entrées à la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne et soixante-treize en sont sorties. Actuellement, il y a vingt-deux condamnées et sept prévenues.

« J’ai trois enfants. Ils sont placés. J’arrive à voir un peu ma fille qui a dix ans. Mais je n’ai pas vu mes deux garçons depuis huit mois. Ils ont deux et cinq ans » Sandrine, détenue

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LUNDI 6 JUIN 2016

3 QUESTIONS À

ÉRIC AUDOIN

« Se réconcilier avec l’école » ÉRIC AUDOIN est l’un des deux instituteurs de la maison d’arrêt châlonnaise, et ce depuis treize ans. Il enseigne le français, les mathématiques ou encore l’histoiregéographie aux femmes deux fois par semaine, le lundi et le jeudi matin.

▶ Quel genre d’élèves sont les femmes détenues ? Il n’y a pas beaucoup de différences avec les hommes, si ce n’est que les femmes sont un peu plus scolaires : elles sont un peu plus attentives et plus concentrées. Avec le recul, après tout je suis ici depuis 2003, je constate que le niveau des femmes a tendance à monter. Sur la quinzaine qui vient en ce moment en cours, la moitié a un niveau brevet des collèges, ce qui est élevé en détention. Par contre, les seules fois où il y a eu des débordements ou des règlements de compte entre détenus, c’était pendant que je faisais cours dans le quartier des femmes, aussi surprenant que cela puisse paraître. Les femmes profitent du groupe et de la salle de classe. Les hommes le font ailleurs. ▶ Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer ? On rencontre exactement les mêmes difficultés que chez les hommes, c’est-àdire que certains élèves ont de grandes difficultés pour lire et écrire. Maintenant, en tant

qu’enseignant en milieu carcéral, nous avons deux difficultés. La première, c’est le raisonnement en année scolaire. Les détenus ne sont souvent là que pour quelques mois. On peut les voir moins de dix fois, donc c’est difficile de les suivre et de les faire progresser. Il faut se donner pour objectif de leur faire apprendre quelque chose de nouveau, à chaque séance. La seconde contrainte, c’est que les groupes de niveau évoluent sans cesse, entre les arrivants et les sortants. Ils ne sont jamais stables. Il faut s’adapter constamment et cela peut être frustrant de ne pas arriver à faire avancer les effectifs. ▶ Quels sont vos objectifs ? Nous avons deux axes prioritaires : la lutte contre l’illettrisme et l’apprentissage de la langue française pour les détenus étrangers, ce qui peut relever du travail de titan parfois. Mais nous avons aussi un autre objectif, celui de réconcilier des gens qui ont un passé douloureux avec l’école. Beaucoup sont hésitants et complexés à cause de souvenirs traumatisants. Nous devons leur redonner confiance. Je me souviens d’un détenu qui a pleuré quand il a compris qu’il avait réussi un examen qui lui donnait l’équivalent du certificat d’études. Il avait 50 ans. C’était très émouvant de le voir aussi heureux.

x métiers de bouche. Hervé Oudin

Le « choc carcéral » touche tous les détenus

Des détenues fabriquent des attaches-cadres, à l’atelier. Elles gagnent 12 € par jour. culer. Elles sont plus intolérantes à la frustration que les hommes », déplore une surveillante. Actuellement, parmi les détenues du quartier femmes, il y a

vingt-deux condamnées et sept en attente de leur procès. DÉBORAH COEFFIER ▶ Tous les prénoms des détenues ont été

En arrivant en prison, les détenus subissent ce qu’on appelle « le choc carcéral ». Tous sont confrontés brutalement à la rupture familiale, aux conditions de vie spartiates, à l’exiguïté des cellules et au manque d’intimité. De quoi faire une dépression ou déclencher des crises psychotiques. En France, chaque année, plus de cent détenus se suicident et on ne compte plus les bagarres entre cocellulaires. Pour prévenir ces risques, un à deux psychiatres ainsi que cinq infirmières travaillent à temps plein, au sein du service médico-psychologique régional (SMPR) qui se trouve au cœur des murs de la prison. « Nous travaillons en complémentarité de l’administration pénitentiaire mais ils n’ont aucune autorité sur nous », précise M. Robert, cadre de santé. Les médecins prescrivent à tour de bras somnifères et anxiolytiques pour permettre aux détenus de tenir le coup. « Il faut relativiser, tous ne prennent pas de traitement, mais la très grande majorité en a besoin. À la base, c’est un public fragile, plus que les autres ». Les femmes sont aussi touchées que les hommes. Il n’y

Une demie-journée est réservée aux détenues au SMPR. HO a pas de différence entre les pathologies. Elles sont très angoissées par l’absence de leurs enfants. Le SNPR a donc mis en place un groupe de parole mixte autour de la parentalité. Les détenus qui le souhaitent – hommes et femmes - peuvent venir échanger sur leurs ressentis.

modifiés.

MULTIPLICATION DES ACTIVITÉS

LE CHIFFRE

LA PHRASE

▶De nombreuses activités sont proposées aux femmes détenues, beaucoup plus qu’aux hommes. Elles peuvent s’initier à l’art floral, la couture, le yoga ou encore la

C’est le nombre de cellules au quartier femmes de la maison d’arrêt. Chacune peut accueillir quatre détenues.

« Elles sont plus discrètes, plus calmes. C’est possible de discuter avec certaines sans problème. Parfois, elles se confient. Elles sont comme tout le monde, elles ont besoin de parler »

sophrologie. En effet, les femmes étant mois nombreuses (10 % des effectifs de la prison), les activités sont beaucoup plus simples à organiser.

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Lathifa Mhamdi, responsable des activités