angoisse, que rien, jamais, ne vient troubler plus un humain : un mort.
un « sage » 6
-
* ** Des-espoir : espoir réalisé, plus d'espoir. Triste comme un désir exaucé.
Trùte comme un désir exaucé. Malheur tant que le désir n'est pas exaucé; malheur de la réplétion amorphe du désir exaucé. Au mieux : bonheur, vacillante lueur, prête à s'éteindre aussitôt dans le malheur qu'elle annonce.
Dialectique du bonheur: Triste comme un désir exaucé. Pour renaître à l'espoir, nécessité du malheur d'un désir nouveau.
* ** Ennui, lot des heureux, le plus corrodant des maux. Pas d'ennuis, l'ennui.
Bonheur, étranger à notre nature viciée. Pas d'ennuis, l'ennui, ou l'ennui de la dépression nerveuse.
Les « ennuis » des heureux, hilarité des malheureux, hygiène spontanée de notre nature infirme. Pas d'ennuis, l'ennui.
6. Cf. XII.
213
Pas d'ennuis, l'ennui. Souhaiter les ennuis, gui gardent de l'ennui. Admirable vœu, certain d 'être comblé.
* ** « Etre heureux », utopie universelle. Y prétendre, grabataires abandonnés gui agonisons notre vie durant dans un long hoquet gue nul n'entend ? Bonheur, rêve, de nai/ ou d'idiot.
Bonheur, rêve, de naif ou d'idiot. Si le bonheur est l'absence de malheur, dans ce bonheur, malheur d'être mortel ;.
Bonheur, rêve, de naif ou d'idiot. Heureux ?... Pas heureux ?... Introspectifs : des scatophages, gui barbotent dans leurs déjections.
Bonheur, rêve, de nai/ ou d'idiot. Bonheur, pas intéressant : pâleurs d'âme ou satisfaction d'appendices ou de trous.
Bonheur, rêve, de naif ou d'idiot. Seule recette du bonheur : renoncer à y prétendre.
Bonheur, rêve, de nai/ ou d'idiot. Ne pas aspirer au bonheur, sans doute. Mais ne pas accepter non plus un seul malheur qu'un homme inflige délibérement à un homme : chacun nuit déjà tellement à !'autre sans chercher à le faire.
7. Cf. XIII.
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* ** Bonheur, rêve, de naïf ou d'idiot. 8 EUPHORISANTS , ETC. Si grande est la demande de bonheur, qu'il a fallu le mettre en pilule, et l'avaler avec un peu d'eau.
Bonheur, rêve, de naïf ou d'idiot. Télévision, fusées, énergie atomique ... Comme si l'homme en était plus ou moins mortel et que cela changeât quoi que ce fût à son état de putréfié imminent. Bonheur, rêve, de naïf ou d'idiot. Tous les conseils, inutiles. Chacun doit rater sa vie à sa manière.
8. 80 % des ventes en pharmacie.
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X D'UNE PERFECTION
Naissance, aliénation radicale. Seule liberté, le suicide. Peu, élus pour une voie si haute. La plupart, contaminés dans le germe ', raccrochés hystériquement à la vie, cette disgrâce.
Seule liberté, le suicide. Viciés par la dépravation de la naissance, nous tenons le suicide à scandale. Non pas la morale qui se révolte : le physiologique. Qui ose le supprimer l'insulte.
* ** Suicide, mort naturelle. Seuls capables de le commettre ceux qui le portent en eux comme d'autres une propension aux rhumatismes. Même pas libres de nous suicider.
Suicide, mort naturelle. Ou le suicide en nous comme une propension aux rhuma-
!. Cf. II.
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tismes, ou les plus grands malheurs, incapables de nous y réduire. Même pas libres de nous suicider.
Suicide, mort naturelle. Pensée de la liberté du suicide, seule qui parfois aide à endurer la vie. Et ne pouvons nous suicider que si nous portons le suicide en nous, comme d 'autres une propension, etc. Même pas libres de nous suicider.
« On ne peut se suicider que dans un moment de folie ». A la dernière seconde, l'homme « sain » se ressaisit. Vraie folie : ce ressaisissement ; Même pas libres de nous suicider.
* ** Dans notre mixture surie d 'être et de néant passible d'être porté à la perfection. Opter pour lui : suicide.
2
,
seul le néant
Suicide : goût de la perfection.
Seuls suicidés dignes de leur geste, ceux qui l'ont commis par goût de la perfection.
Suicide : goût de la perfection. Le tout-être, ou le non-être. La porte ouverte sur le second, et nous osons ne pas la franchir ? Imperfection.
2. Cf. II.
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Ecrire, s'épuiser à cerner le beau, le vrai, ou atteindre d 'emblée ce chef-d'œuvre, le suicide. Perfection.
Si la vie pouvait atteindre l'éclat de la toute-vie, à son tour couvrir et combler la mort, alors, plus belle encore que le suicide. Dieu, ce pervers, a gardé la toute-vie pour Lui. Suicide, seul choix du goût de la perfection.
Le Christianisme, promesse de l'autre absolu (comble de vie, éternité), proscrivant le suicide, perfection inverse : coup bas de rival sans scrupules. Suicide, perfection.
La toute-vie interdite, choisir les ténèbres, le retour aux ténèbres : suicide. La coriace obstination de nos tripes à s'entêter dans leurs visqueuses sécrétions s'insurge, l'emporte sur notre lucidité, nous cloue à la vie 3• Suicide, difficile perfection.
Dominer le monde ou dominer ce vice : le goût du peu de vie qui pourrit lentement en nous. Conquérants, gigoteurs futiles ; seuls les suicidés, véritables victorieux. Suicide, perfection.
Trop médiocres pour le suicide. Que les meilleurs à y être appelés. Même pas libres de nous suicider.
* ** 3. Cf. Exergue et II.
219
Bénéfique désespoir : fait caresser la mort en amie. Souhait superflu : mourir désespéré. Joyeux suicidés.
Douleur physique : désir de mort, suicide, comme anesthésie radicale. Lâches, n'osons souhaiter ce mal, source du plus grand bien : la réconciliation avec l' Abjecte. Joyeux suicidés.
Heureux comme un désespéré qui réclame la mort, au lieu de s'en épouvanter. Joyeux suicidés.
Sinistres suicidés. « Mort, délivrance », etc. Au fond de la tristesse, et qm la redouble : vérification des lieux communs.
MALHEUR : gâterie de Dieu. Nous affectionne à la mort. Joyeux suicidés.
* ** Imbéciles de « sages » 4 qui enseignent la « résignation », le « détachement ». Vraie sagesse : enseigner le désespoir. Au lieu de sueur froide et de chair de poule, plus qu'un seul souhait : crever. Joyeux suicidés.
Apprendre le désespoir? Le plus humble ex-poinçonneur de métro l'a découvert entre deux voyageurs. 4. Cf. XII .
220
S'est aussitôt remis à perforer ses petits tickets : impossible de s'y tenir. Joyeux suicidés.
Joyeux suicidés. On comprend ce soldat au front : se suicide parce qu'il « a peur d 'être tué».
Se tuer, pour se débarrasser enfin de l'épouvante de la mort, Joyeux suicidés.
* ** Tous les désespoirs « mondains» (amour, ruine, etc.), bouffonnerie, en regard du sentiment tragique 5 • Enviables benêts, seuls à pousser au suicide ; croyaient à la vie, ont dû cesser d 'y croire. Sinistres suicidés.
Sentiment tragique, sait la vie si désastreuse, que plus aucune déception possible. Acharnement à vivre, par défi. Sinistres suicidés.
Suicide rare chez les Juifs, inventeurs du sentiment tragique, ou chez les Indiens, les plus profonds dépréciateurs de l'existence. Acte suprême de vie, propre aux lurons qui ont allègrement fondé sur celle-ci ". Joyeux suicidés.
* **
5. Cf. III. 6. Cf. Le Hagakuré de Jocho Yamamoio; morale samouraï.
221
Suicide : tentation de la vulgarité. C'est la vie qui est rare, difficile. Sinistres suicidés.
Bonne éducation . Se lève-t-on de table ? Malséant de se suicider. Sinistres suicidés.
* ** Seul commentaire au suicide, le commettre. Tout le reste, littérature.
Seul commentaire au suicide, etc. De même, la mort . Là du moins, une caution : sommes assurés de crever. Tout de même plus sérieux .
.. . « Sommes assurés de crever » : après tout, suicide, une petite précipitation. Sinistres suicidés.
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XI )A
CUITE D ETRE
Dieu, maximum positif.de l'être 1 : Mystiques, qui pensent « être en Dieu » et contenir « Dieu en eux» 2 , Cuite d'être i _
* ** Vide = Dieu. Dieu = Vide. Maître Eckhart : « . . . quand Il te trouve ainsi vide ~ et dépouillé .. . Dieu accorde sa grâce» (et descend en toi). Homme : limites. Vide : plus de limites. Dieu : illimité. Plus de limites : Dieu. Mystiques, cuite d'être.
l. Cf. I. 2. « Je suis en Dieu et Dieu est en moi ,, Sainte Thérèse d'Avila, Les
Demeures. Cf. D'une malédiction . 3. Cf. Epilogue. Petit traité de la dilatation du moi. 4. C'est moi qui souligne.
223
Vrai que l'Enfer et le Paradis derrière gloire. Epargne d'être.
ce qui rabat sur leur
Union mystique, coïncidence avec« le cœur et le noyau » du moi. A l'extase occidentale, préférer l' enstase (samâdhi) des Indiens. Ravissement suprême par coïncidence avec le « cœur et le noyau » du moi, là où plus aucune disparité ne le trouble, où il peut se croire Dieu 12 • Cuite d'être.
* ** Mystiques, comble de la dilatation du moi u. Se dilater jusqu'à la dimension de Dieu («Je suis en Dieu»), tout en demeurant soi («et Dieu en moi») 14, ivresse d'être des mystiques. Aucun alcool, aucune drogue ne peut espérer rivaliser avec cette Cuite de vanité.
Mystiques, des voluptueux de la dilatation du moi. Concevoir qu'ils s'infligent si rudes sévices, pour la vertigineuse jouissance d'être pâmés à la mesure de Dieu . Coït de vanité.
Cuite de vanité. Mystiques : des fous de l'amour d'être, des pigeonnés ravis de la dilatation du moi. « Sages », des pimbêches, des bigotes au sexe moisi, et qui se détournent, narines pincées, de la souille de la vie.
* ** 12. Cf. IV ; et ce même chapi tre. 13. Cf. Epilogue et Petit Traité de la dilatation du moi. 14. Sainte Thérèse. Cf. XII.
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Mystiques, comble de la dilatation du moi. «Je suis en Dieu et Dieu est en moi», cuite d'être, contraire du «Je suis une goutte de pluie qui va se perdre dans la mer » (Supervielle) 15 • Illusion de Dieu disparue, goutte claquant des dents à l'idée de « se perdre », fût-ce dans le reposant rien.
* ** Dieu perdu, inventer la mystique du moi (jamais eu cours). Union mystique connue pour rien d'autre que l'expansion à l'infini, dans le vide, du « cœur et du noyau », quel fou de vanité tenterait pareille entreprise ? Les dyonisiaques de la dilatation du moi.
Mystique du moi. La dilatation du moi dans le vide, fugace comme l'union mystique, et pour les mêmes raisons. Quasi impossibilité de le maintenir vidangé de tout résidu d'autre, de temps. Retours, non moins effroyables. Ne nous croyons pas désunis d'avec Dieu ; nous retrouvons cloportes, destinés à crever sous le talon - en lâchant un jus jaune.
Mystique du moi. Une société où chacun, reflué vers son « cœur et (son) noyau » pourrait se croire Dieu 1'', société d'immobiles, d'assis. Etre un pauvre hère d'homme pour croire à l'utilité du bougillon .
* **
15. Cf. VI. 16. Ou « uni » à Lui.
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Vide, source d'art ; art, issu du Vide. Fameuse concentration dont parlent les créateurs : vide, où formes et paroles sourdent et que la moindre poussière ... pulvérise.
Vide, source d'art ; art, issu du Vide. Les pénétrants Indiens dénombrent jusqu'à sept degrés dans le vide. Vide qu'il faut ouvrir en soi pour que, dans sa limpidité, formes et paroles sourdent, situé dans les premiers ; résorption du moi dans son « cœur et (son) noyau » - union mystique - au dernier. Dieu, super-œuvre d'art?
* ** Lucidité Indienne jamais prise en défaut quant au mal. Même dans le vide, ivre de son expansion infinie, le noyau, trop encore. C'est le noyau qu'il faut extirper, le noyau, première souillure.
Noyau, première souillure. La « libération » selon l'Inde, non pas retour au morne néant, mais accession à un vide, calme flux de non-être, dont le suave roulis donne la nausée. Noyau, première souillure. Nirvâna, comme union mystique : même discipline, même traversée des vides. Dans le premier cas, noyau, censé s'y évanouir pour atteindre le vide des vides. Nettoyage par le vide. Dans le second, noyau subrepticement dilaté, attifé du non pompeux de Dieu. Gonflage par le vide.
Lucides Indiens pour une fois dans l'erreur. Se sont évertués à
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dépasser «le cœur et le noyau ». Ont pris pour son abolition l'ébriété de son libre vol dans la toute absence. Noyau, irréductible souillure.
* ** Rien de plus impur qu'un nouveau-né 17 • N'était rien, vient au trop peu d 'être. Achève de commettre le péché capital. Noyau, première souillure.
Noyau, première souillure. « Croissez et multipliez » - parole la plus pécheresse. En revanche, sainteté de l'acte de chair dès qu'il n'est pas de procréation. Approche de l'extase à la portée du moindre crétin. Prisunic de l'extase.
* ** Deux contre Un 18 • Pour une fois, chez un « sage », pertinente pensée. Shrî Ramakrishna : « Le seul fait de nommer !'Infini le rend fini, le seul fait de nommer !'Illimité le limite » 19 • Fabuleuse parenté de la mystique et de la mathématique.
Deux contre Un. Mathématique, mystique : même dynamique. Ne nous intéressons si fort à la mystique que faute de comprendre la mathématique.
* **
17. Cf. II. 18. Cf. I ; XIII. 19. Cf. I.
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Grandeur et misère. « Que faire, alors qu'on est environné de tentations, qui semblent irrésistibles ? » (Shrî Ramakrishna) . A supposer qu'on aime vraiment Dieu , encore tenté par ces brimborions ? Croire à Dieu, l'aimer vraiment : tenir tout le reste à néant, s'enfermer dans une cellule, au fond de quelque couvent - ou se vautrer dans la porcherie, pour Le couvrir de fumier.
* ** Plus rien à aimer : aimer la mort.
Que Dieu est la mort : « Plus rien à aimer, aimer la mort » . Mort, le plus grand amour. Dès qu 'on l'aime, plus rien d'autre. Ainsi, dès qu 'on aime Dieu.
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XII RENÉGATS
Simagrées de la « sagesse » : «Ne rien faire, s'abstenir», comportement de mijaurées. Peur de salir leur jolie robe, au milieu des lépreux qui se grattent autour de leur thé de dames. Satisfaction : dans leurs froufrous et leurs soies, contaminés par les mendigots, « sages »crèveront tout comme ceux-là, même s'ils le font dans des soupirs très éthérés, murmurant : « délivrance». Et ils seront charogne, comme le dernier des ladres.
Simagrées de la «sagesse ». Shrî Ramakrishna : « Méditez sur la sagesse et le vous les atteindrez. Tous deux sont éternels en obscurcis ici-bas par l'ignorance des choses divines ment aux choses terrestres ». Toutes les «sagesses», même remugle d'eau de bigote.
bonheur, et l'âme, mais et l'attachevaisselle de
Simagrées de la « sagesse». Çankara, Patafijali, Gautama (et tant d'autres Indiens) : peu de philosophes, conscience aussi aigüe de la douleur et de la détresse de notre condition (presque ignorées des Grecs) . Par là, lucides, admirables. Peu, si douillet souci de se « délivrer », de fuir cette douleur,
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cette détresse. Par là, capitulards, traîtres à l'humanité, à désigner à la vindicte des endoloris, nos frères 1•
* ** Lucide bouddhisme, exclusivement établi sur le constat du mal et qui n'a jamais été jusqu'à sa racine 2 : la mort. Mort comme source, fin, mélange 3, mort qui enferme dans le je catastrophique 4, cause et achèvement de tout mal : Frivolité de la «sagesse».
Frivolité de la «sagesse». «Mort comme source, fin, mélange» ... estropiés dès l'embryon . Tout le reste - du « sage » Indien au gnostique marcionite ou valentinien - ornements et lampions du quatorze juillet.
* ** Estropiés dès l'embryon, s'échiner à ne pas souffrir, se préserver ? Dans un monde né du mal et au mal voué, seule vérité, le mal, c'est-à-dire la souffrance. L'esquiver, la renier: mensonge, agissement de capon obsédé de lui-même, de déserteur de la condition humaine.
«Sages», déserteurs de la condition humaine. Peu importe que les « sages » soient des pleutres, des onanistes soucieux de leur seule délectation, Mais leur façon de tricher avec l'ordre taré du monde : pavane de plumes du cul d'une autruche, tout juste bonnes à confectionner des plumeaux.
1. Cf. VII ; IX, et cc même chapitre. 2. Les quatre sorties