de la Loi sur les langues officielles : le recours judiciaire sous la partie ...

d'Or de l'Université d'Ottawa) dans le cadre duquel elle passa un an à l'Université Jean Mou- lin Lyon III en France. Elle compléta ensuite son Baccalauréat en ...
762KB taille 4 téléchargements 336 vues
Les « dents » de la Loi sur les langues officielles : le recours judiciaire sous la partie X Renée Soublière Part X of the Official Languages Act creates a court remedy before the Federal Court, designed to ensure full compliance with certain provisions of the Act. The objective of this paper is to present the state of the law as regards the court remedy created under section 77 of the Official Languages Act and, more generally, with respect to the provisions of Part X of the Act entitled “Court Remedy.” The paper is therefore not intended to present a summary of all available court remedies for violations of the provisions of the Official Languages Act nor is it intended to present a summary of all the different remedies, whether administrative or legal, that exist in the realm of language rights. The paper focuses solely on the legal remedy created by Part X of the Official Languages Act and on the relevant case law. The paper will first review the conditions for application of the court remedy: who may apply for such a remedy? For which provisions of the Act can the court remedy be brought? What are the limitation periods to apply for such a remedy? The text then explores the nature of this court remedy as well as certain procedural issues, including the issue of the Crown’s language obligations when such legal remedy is sought. The forth part of the text focuses on evidence issues and the fifth on the specific remedies that may be granted when the Federal Court finds that a federal institution has not complied with the

La partie X de la Loi sur les langues officielles instaure devant la Cour fédérale un recours judiciaire pour revendiquer le plein respect de certaines dispositions de la LLO. L’objectif de ce texte est de présenter l’état du droit en ce qui concerne le recours judiciaire prévu par l’article 77 de la Loi sur les langues officielles et, plus généralement, sur les dispositions de la partie X de la Loi intitulée « Recours judiciaire ». Le texte n’a donc pas pour objet de présenter l’ensemble des recours judiciaires disponibles pour sanctionner des violations aux dispositions de la Loi sur les langues officielles et encore moins l’ensemble des recours, administratifs ou judiciaires, qui existent en droits linguistiques. Il se concentre sur le recours prévu à la partie X de la Loi et sur la jurisprudence afférente. Le texte traite d’abord des conditions d’application du recours : qui peut déposer un tel recours? Quelles dispositions de la Loi peuvent faire l’objet du recours? Quels sont les délais applicables pour le dépôt du recours? Le texte explore par la suite la nature du recours prévu à la partie X puis aborde certaines questions liées à la procédure, y compris celle des obligations linguistiques qui incombent à la Couronne lorsque de tels recours sont intentés. La quatrième partie porte sur des questions relatives à la preuve et la cinquième des réparations pouvant être octroyées lorsque la Cour fédérale estime qu’une institution fédérale n’a pas 251

OLA. The issue of costs is addressed in the final part of the text.

252

respecté la Loi. La question des dépens est traitée en conclusion. La version anglaise du texte est disponible sur le site web de la Revue de droit d’Ottawa.

TABLE DES MATIÈRES Les « dents » de la Loi sur les langues officielles : le recours judiciaire sous la partie X Renée Soublière I. Introduction 255 II. Les conditions d’application du recours  256 A. Qui peut déposer un recours ?  256 1. Le plaignant  256 2. Le commissaire aux langues officielles  257 B. Quelles dispositions de la LLO peuvent faire l’objet du recours ?  259 C. Quels sont les délais applicables pour le dépôt du recours ?  260 III. La nature du recours créé à l’article 77  262 IV. Procédure  263 A. Application des Règles des Cours fédérales  263 B. Radiation avant l’audience  264 C. Les obligations linguistiques de la Couronne dans le cadre d’un recours en vertu de la partie X  264 V. Questions relatives à la preuve  265 A. De façon générale  265 B. L’article 79 de la LLO  266 VI. Les réparations  268 A. Considérations générales  268 B. Remèdes particuliers  270 1. Dommages-intérêts   270 2. Lettres d’excuses   272 3. Ordonnances structurelles  272 4. Réparations précises pour des violations de l’article 91 de la LLO (dotation en personnel)  273 5. Réparations précises possibles pour des violations des dispositions de la partie V de la LLO (Langue de travail)  274 6. Réparations possibles pour des violations de la partie VII (Promotion des langues officielles)  274 253

7. Réparations dans le contexte d’une convention internationale  275 VII. Les dépens  278 VIII. Conclusion  279

254

Les « dents » de la Loi sur les langues officielles : le recours judiciaire sous la partie X* Renée Soublière**

I. INTRODUCTION La partie X de la Loi sur les langues officielles (ci-après la « LLO ») instaure devant la Cour fédérale un recours judiciaire pour revendiquer le plein respect de certaines dispositions de la LLO1. Ce recours judiciaire a été décrit ainsi par la Cour d’appel fédérale dans la décision Forum des maires de la Péninsule acadienne c Canada (Agence d’inspection des aliments) : Pour s’assurer, toutefois, que la Loi sur les langues officielles ait des dents, que les droits ou obligations qu’elle reconnaît ou impose ne demeurent pas lettres mortes, et que les membres des minorités linguistiques officielles ne soient pas condamnés à se battre sans cesse et sans garanties au seul *

**

1

Le présent texte ne reflète pas nécessairement la position du ministère de la Justice du Canada. Veuillez noter qu’une version anglaise est publiée sur le site web de la Revue de droit d’Ottawa. Je tiens à remercier Me Marie Lasnier, anciennement de la Direction des langues officielles, Équipe du droit, qui a rédigé un avis sur la partie X de la LLO qui m’a grandement inspiré. Je tiens également à remercier Helen Kneale, étudiante d’été avec l’Équipe, pour son aide avec le texte. Me Renée Soublière a obtenu un Baccalauréat dès Arts de l’Université d’Ottawa (Médaille d’Or de l’Université d’Ottawa) dans le cadre duquel elle passa un an à l’Université Jean Moulin Lyon III en France. Elle compléta ensuite son Baccalauréat en droit au Programme de common law en français. Avant d’effectuer son stage de cléricature à l’étude Nelligan Power à Ottawa, Me Soublière obtint une Maîtrise en droit de l’Université d’Ottawa. Son mémoire, intitulé « Les perpétuels tiraillements des tribunaux dans l’interprétation des droits linguistiques », a été publié dans la Revue de la common law en français (vol 4:1. 2001). Elle fut appelée au Barreau en février 2000. Elle travaille depuis au ministère de la Justice du Canada. Elle occupe présentement le poste d’avocate conseil et coordonnatrice du contentieux au sein de la Direction des langues officielles, Équipe du droit. Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31, (4e supp), art 76 et s [LLO].

255

256

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

niveau politique, le législateur a créé un « recours » devant la Cour fédérale dont peut se prévaloir la commissaire elle-même (article  78) ou le plaignant (article 77)2.

L’objectif du présent texte est de présenter l’état du droit en ce qui concerne le recours judiciaire prévu par l’article 77 de la LLO et, plus généralement, sur les dispositions de la partie X de la LLO intitulée « Recours judiciaire ». Le texte n’a donc pas pour objet de présenter l’ensemble des recours disponibles pour sanctionner des violations aux dispositions de la LLO (par exemple, le recours en révision judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales3) et encore moins l’ensemble des recours judiciaires qui existent pour sanctionner des violations aux dispositions linguistiques de la LLO, de la Charte canadienne des droits et libertés (ciaprès la « Charte »)4 ou à d’autres dispositions linguistiques5. Le texte traitera d’abord des conditions d’application ainsi que de la nature du recours prévu à la partie X. Seront par la suite abordés la question des obligations linguistiques qui incombent à la Couronne lorsque de tels recours sont intentés et certains enjeux reliés à la preuve. Suivra une discussion sur les réparations pouvant être octroyées lorsque la Cour fédérale estime qu’une institution fédérale n’a pas respecté la LLO. La question des dépens sera traitée en conclusion. II. LES CONDITIONS D’APPLICATION DU RECOURS A. Qui peut déposer un recours ? 1. Le plaignant La partie X de la LLO contient les dispositions législatives définissant les conditions d’exercice du recours prévu par la LLO. Avant de pouvoir s’adresser à la Cour fédérale, il faut d’abord avoir saisi le commissaire aux 2 3 4 5

2004 CAF 263 au para 17, [2004] 4 RCF 276 [Forum]. Voir aussi Canada (Langues officielles) c CBC/Radio-Canada, 2014 CF 849 au para 64, [2015] 3 RCF 481 [CBC/Radio-Canada]. LRC 1985, c F-7, art 18.1. Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte]. Pour une revue plus exhaustive des voies de recours en matière de droits linguistiques, voir François Larocque, « Les recours en droits linguistiques » dans Michel Bastarache et Michel Doucet, dir, Les droits linguistiques au Canada, 3e édition, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2013, aux pp 993–1145. Pour une discussion sur les autres voies de recours disponibles pour sanctionner des violations de la LLO, voir René Cadieux, « La Loi sur les langues officielles de 1988 : le recours de l’article 77 est-il exclusif ? » dans Développements récents en droit administratif et constitutionnel, n° 119, Cowansville (Qc), Yvons Blais, 1999, aux pp 51–116.

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

langues officielles d’une plainte6. Ainsi, « [c]’est la qualité de “plaignant” devant la commissaire [aux langues officielles] qui confère la qualité de “demandeur” devant la Cour »7. Comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Forum des maires, « [l]e “plaignant”, selon le paragraphe 58(2), peut être un “individu” ou un “groupe” »8. Il faut noter que la possibilité d’intenter un recours devant la Cour fédérale ne dépend en rien des conclusions auxquelles en est arrivé le commissaire aux langues officielles suite au processus d’enquête. En d’autres mots, le plaignant peut intenter un recours devant la Cour fédérale quel que soit le contenu du rapport d’enquête du commissaire. Un plaignant peut également intenter un recours dans une situation de refus, par le commissaire, d’ouvrir une enquête9. Contrairement aux conditions prescrites au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, le recours en vertu de l’article 77 de la LLO « [p]eut être entrepris par une personne ou un groupe qui peut n’être pas “directement touché par l’objet de la demande” »10 puisqu’en vertu du paragraphe 58(2) de la LLO, tout individu ou groupe détient le droit de porter plainte devant le commissaire aux langues officielles. 2. Le commissaire aux langues officielles En vertu de l’article 78 de la LLO, le commissaire aux langues officielles peut exercer lui-même le recours ouvert au plaignant si celui-ci y consent11 ou comparaître devant le tribunal pour le compte de l’auteur d’un recours12.

 6 Voir Lavigne c Société canadienne des postes, 2006 CF 1345 aux para 37, 62, 303 FTR 156. Le processus de plaintes et d’enquêtes du commissaire est décrit aux articles 58 à 75 de la LLO.  7 Forum, supra note 2 au para 17. Voir LLO, supra note 1, art 77(1).  8 Supra note 2 au para 17. Voir également Desrochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8 au para 34, [2009] 1 RCS 194 [Desrochers CSC].  9 LLO, supra note 1, art 58(4) (« [l]e commissaire peut, à son appréciation, refuser ou cesser d’instruire une plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants : a) elle est sans importance ; b) elle est futile ou vexatoire ou n’est pas faite de bonne foi ; c) son objet ne constitue pas une contravention à la présente loi ou une violation de son esprit et de l’intention du législateur ou, pour toute autre raison, ne relève pas de la compétence du commissaire »). Voir aussi LLO, supra note 1, art 58(5) (avis motivé au plaignant du refus d’enquêter) ; LLO, supra note 1, art 77(2) (délai de 60 jours suivant la réception de l’avis sous l’art 58(5) pour former un recours devant la Cour fédérale). 10 Forum, supra note 2 au para 18. 11 Supra note 1, art 78(1)(a). Dans ce cas, le paragraphe 78(2) prévoit que le plaignant peut comparaître comme partie à l’instance. 12 Ibid, art 78(1)(b).

257

258

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

Le commissaire peut également comparaître comme partie dans un litige engagé en vertu de l’article 78 avec l’autorisation de la Cour13. La discrétion du juge d’accorder l’autorisation est guidée par un seul critère : la nécessité. La question est donc de savoir s’il est « [n]écessaire d’accorder au Commissaire [cette] autorisation pour assurer l’instruction complète et le règlement des questions en litige »14. Soulignons également que le paragraphe 78(3) de la LLO accorde au commissaire le pouvoir de « [d]emander l’autorisation d’intervenir dans toute instance judiciaire relative au statut ou à l’usage du français ou de l’anglais »15. Ce pouvoir discrétionnaire comporte également le droit d’intervenir à tout moment, et ce même après que les parties aient déposé leurs dossiers respectifs16. Les demandes d’intervention du commissaire sont normalement accordées par la Cour fédérale. Il en va en général de même devant les tribunaux ou les cours des provinces, mais sa compétence a pu dans certaines circonstances être contestée avec succès17. 

13 Ibid, art 78(1)(c). Voir par ex Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 RCS 340 [Thibodeau 2014]. 14 Air Canada c Thibodeau, 2012 CAF 14 au para 12, 438 NR 321 [Thibodeau 2012 CAF 14] (la Cour suprême ne s’est pas prononcée sur cette question). 15 Supra note 1, art 78(3). 16 Voir par ex Lavigne c Société canadienne des postes, 2009 CF 756 au para 37, 350 FTR 46 [Lavigne 2009]. 17 Voir notamment Parasiuk c Québec (Tribunal administratif), [2004] RJQ 2545 aux para 14–16, 2004 CanLII 16530 (CS Qc) (dans laquelle la Cour supérieure du Québec a rejeté la requête en intervention du commissaire dans le contexte d’un litige relatif à l’interprétation de l’art 73(1) de la Charte de la langue française du Québec. De l’avis de la Cour, « [l]a commissaire ne peut agir qu’à une fin relevant de sa compétence et aucune disposition de sa loi habilitante n’autorise la commissaire à intervenir dans un litige portant sur une disposition d’une loi du Québec en matière de langue » au para 15). Voir également Westmount (Ville de) c Québec (PG), [2001] RJQ 2520 aux para 205–10, (sub nom Baie D’Urfé (Ville) c Québec (PG)) 27 MPLR (3e) 173 (cette approche semble restrictive dans la mesure où l’article 78(3) accorde clairement au commissaire le pouvoir de demander l’autorisation d’intervenir dans toute instance judiciaire relative au statut ou à l’usage du français ou de l’anglais et pas uniquement celle portant sur la LLO). Voir généralement Mark C Power et Justine Mageau, « Réflexions sur le rôle du Commissaire aux langues officielles devant les tribunaux » (2011) 41 RGD 179 (les auteurs concluent que la LLO accorde au commissaire une grande marge de manœuvre pour agir efficacement devant les tribunaux, mais qu’au moment de la rédaction de leur article, « il appert que les Commissaires en poste depuis 1988 semblent réticents à exercer toute la panoplie des pouvoirs d’agir en justice qui leur ont été attribués à cette date » à la p 186).

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

B. Quelles dispositions de la LLO peuvent faire l’objet du recours ? Si l’on regarde le libellé du paragraphe 77(1), on constate que le législateur a prévu un recours judiciaire circonscrit à certaines dispositions précises de la LLO. En effet, le texte de l’article 77 prévoit que les droits ou obligations visés par le recours sont ceux énoncés aux articles  4 (débats et travaux parlementaires), 5 à 7 et 10 à 13 (actes législatifs et autres), 91 (dotations en personnel), ainsi qu’aux parties IV (communications avec le public et prestation de services), V (langue de travail) et VII (promotion du français et de l’anglais)18. Ainsi, « [s]eules les plaintes visant une obligation ou un droit prévus à certains articles ou dans certaines parties de la Loi [peuvent] faire l’objet du recours prévu dans la partie X »19. Le paragraphe 77(1) contient donc une « liste limitative »20. En 2005, la portée initiale du recours créé par l’article 77 de la LLO a été élargie par l’ajout de la partie VII (promotion du français et de l’anglais) à la liste des dispositions pouvant faire l’objet d’un recours21. Avant cet ajout, plusieurs décisions avaient conclu que le recours créé à l’article 77 n’était pas disponible pour examiner des violations alléguées à la partie VII22. Il convient de souligner ici que les pouvoirs d’enquête et de recommandation conférés au commissaire aux langues officielles ne sont pas, eux, 18 LLO, supra note 1, art 77(1). 19 Forum, supra note 2 au para 25. 20 Ayangma v Canada, 2002 CFPI 707 au para 65, 221 FTR 81 [Ayangma CFPI], conf par 2003 CAF 149, 303 NR 92 [Ayangma CAF]. Voir également Forum, supra note 2 aux para 25, 27 ; Desrochers c Canada (Industrie), 2006 CAF 374 au para 73, [2007] 3 RCF 3 [Desrochers CAF] ; Norton c Via Rail Canada Inc, 2009 CF 704 au para 117, [2009] ACF no 1043 (QL) [Norton] ; CBC/Radio-Canada, supra note 2 au para 65. Voir aussi Devinat c Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [2000] 2 CF 212 au para 38, 181 DLR (4e) 44 (la Cour d’appel fédérale a indiqué que le recours prévu à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pouvait être exercé pour des manquements à l’art 20 de la LLO, disposition qui n’est pas mentionnée à l’art 77). Voir toutefois Lavoie c Canada (PG), 2007 CF 1251 au para 42, 325 FTR 198 (la Cour fédérale a statué qu’un recours en vertu de l’article 18.1 ne peut pas être intenté pour sanctionner des dispositions de la LLO qui ne sont pas source d’obligation ou de droit, mais qui consistent plutôt en un engagement du gouvernement (en l’occurrence, celles de la partie VI de la LLO)). 21 Ajout suite à Canada PL S-3, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), 1re sess, 38e lég, 2005, (sanctionné le 25 novembre 2005), LC 2005, c 41. 22 Voir Canada (Commissaire aux langues officielles) c Canada (Ministre de la Justice), 2001 CFPI 239 au para 77, 194 FTR 181 ; Forum, supra note 2 au para 46 ; Desrochers c Canada (Industrie), 2005 CF 987, [2005] 4 RCF 3, conf par Desrochers CAF, supra note 20, conf par Desrochers CSC, supra note 8. Voir également Ayangma CFPI, supra note 20, conf par Ayangma CAF, supra note 20 (concernant la partie VI de la LLO, qui n’est pas mentionnée à l’article 77).

259

260

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

limités à certaines dispositions de la LLO. En vertu du paragraphe 58(1), le commissaire doit enquêter toute plainte concernant un acte ou une omission « [e]t faisant état, dans l’administration d’une institution fédérale, d’un cas précis de non-reconnaissance du statut d’une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou encore à l’esprit de la LLO et à l’intention du législateur »23. C. Quels sont les délais applicables pour le dépôt du recours ? Les délais à l’intérieur desquels un plaignant peut intenter un recours sont énoncés à l’article 77 de la LLO et ont été repris par le juge Dubé dans la décision Commissaire aux langues officielles du Canada c Air Canada en 1998 : [l]e recours peut être formé par le plaignant à quatre moments précis : 1. Soixante jours après que le plaignant ait été avisé du refus du Commissaire d’ouvrir une enquête ou de son refus de la poursuivre (para. 77(2) et 58(5)) ; 2. Six mois après le dépôt de la plainte si le plaignant n’a toujours pas été avisé des conclusions de l’enquête (para. 77(3)) ; 3. Soixante jours après la réception des conclusions de l’enquête par le plaignant (para. 77(2)) ; et 4. Soixante jours après la communication au plaignant d’un avis du Commissaire à l’effet que l’institution concernée n’a pas donné suite, dans un délai raisonnable, à ses recommandations déjà émises (para. 77(2) et 64(2)24.

Il est à noter qu’une décision récente et les pratiques administratives du Commissariat aux langues officielles semblent reconnaître l’existence d’un cinquième délai, à savoir soixante jours après que le plaignant ait été informé des conclusions du suivi de l’enquête du commissaire25. Dans une décision en date du 14 juillet 2015, le protonotaire de la Cour fédérale, Richard Morneau, affirme qu’un plaignant peut intenter une action devant la Cour fédérale « que le Commissaire ait conclu qu’une institution gouvernementale [. . .] ait mis en œuvre ou non ses recommandations de 23 LLO, supra note 1, art 58(1). 24 (1998) 152 FTR 1 au para 14, 1998 CanLII 8008 (CF). 25 Commissariat aux langues officielles, « Recours judiciaire FAQ » (19 mars 2015), en ligne : .

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

façon satisfaisante »26. Cette interprétation, fondée sur une lecture large et libérale du paragraphe 77(2), nous paraît cependant se heurter au libellé du paragraphe 64(2), auquel renvoie le paragraphe 77(2). Ce libellé traite d’une situation dans laquelle le commissaire a émis des recommandations « [a]uxquelles, à son avis, il n’a pas été donné suite dans un délai raisonnable par des mesures appropriées » [nos italiques]27. Dans une telle situation, le commissaire peut alors en informer le plaignant et celui-ci disposerait de soixante jours pour intenter un recours judiciaire à partir de la date de réception d’un tel rapport de suivi défavorable. Dans le dossier Dionne, le plaignant avait reçu un rapport de suivi favorable, c’est-à-dire faisant état d’une mise en œuvre complète et satisfaisante, de l’avis du commissaire, de toutes les recommandations formulées par ce dernier dans son rapport final d’enquête. C’est la raison pour laquelle le Procureur général du Canada avait argumenté que le paragraphe 64(2) ne s’appliquait pas dans ce dossier en particulier. La Cour n’est pas d’accord. Selon la Cour, l’objet du paragraphe 64(2) est la communication d’un rapport de suivi et le contenu de ce rapport de suivi importe peu28. En autres mots, que l’institution fédérale « ait mis en œuvre ou non [l]es recommandations [du commissaire aux langues officielles] de façon satisfaisante », le plaignant a soixante jours à partir de la date de réception de ce rapport de suivi pour intenter un recours29. Notons également que le paragraphe 77(2) de la LLO confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai applicable à l’introduction des procédures. Dans l’affaire Étienne c Canada, la Cour fédérale confirme qu’elle possède ce pouvoir discrétionnaire, mais qu’« elle ne peut l’exercer que de façon judicieuse, c’est-à-dire lorsque le demandeur offre une raison acceptable »30. En d’autres mots, la Cour ne devrait pas priver un justiciable de son droit d’intenter un recours judiciaire « en raison de son retard mais encore faut-il que ce dernier ait une raison valable pour ne pas avoir intenté son recours dans le délai imparti par la loi »31. Quelques années plus tard, dans la décision Montreuil c Société Air Canada, le protonotaire Morneau énonce deux critères cumulatifs qui doivent être satisfaits avant que la Cour n’accepte une requête en prorogation : 1) il existe 26 27 28 29 30 31

Dionne c Canada (PG), 2015 CF 862 au para 19 [Dionne]. LLO, supra note 1, art 64(2). Dionne, supra note 26 aux para 16–21. Ibid au para 19. (1992) 54 FTR 253 au para 16, [1992] ACF no 438 (QL) (CF). Ibid.

261

262

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

des explications suffisantes pour lesquelles le délai n’a pu être respecté ; 2) le recours a une chance raisonnable de succès32. En juillet 2015, dans l’affaire Dionne, le protonotaire Morneau a accordé une prorogation au plaignant sans que ce dernier l’ait demandée et uniquement sur la base du premier critère, en statuant que « les lettres et le site web du Commissaire apportent au demandeur une raison valable pour avoir entrepris hors-délai son recours »33. Avant de clore sur la question des délais, soulignons que dans les cas où c’est le commissaire aux langues officielles qui exerce lui-même le recours, l’alinéa 78(1)a) de la LLO précise qu’il doit le faire « dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l’enquête ou des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou dans le délai supérieur accordé en vertu du paragraphe 77(2), si le plaignant y consent ». III. LA NATURE DU RECOURS CRÉÉ À L’ARTICLE 77 Le recours créé à l’article 77 « est une procédure sui generis »34. Il ne s’agit pas d’une demande de contrôle judiciaire au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Comme le souligne la Cour fédérale dans l’affaire Forum, « [l]e recours s’apparente, plutôt, à une action »35. L’affaire est donc entendue de novo et la Cour n’est pas limitée à la preuve recueillie au moment de l’enquête effectuée par le commissaire36. Le recours entrepris en vertu de la partie X de la LLO cherche à vérifier le bien-fondé de la plainte déposée au Commissariat aux langues officielles par opposition au bien-fondé du rapport du commissaire et, « le cas échéant, à assurer une réparation convenable et juste dans les circonstances »37. On peut donc dire qu’un recours judiciaire fondé sur la partie X est un recours « en mouvance constante »38, puisque la Cour fédérale doit décider du bien-fondé de la plainte en fonction des faits existants au moment du dépôt de la plainte. Par contre, la réparation qu’elle ordonnera, afin qu’elle soit convenable et juste, « doit être adapté[e] aux circonstances qui prévalent au moment où l’affaire est mise en délibéré »39. Ainsi, 32 33 34 35 36 37 38 39

(1996) 121 FTR 17 au para 3, [1996] ACF no 1235 (QL) (CF). Dionne, supra note 26 au para 26. Marchessault c Société canadienne des postes, 2003 CAF 436 au para 10, 315 NR 111. Supra note 2 au para 15. Ibid aux para 19–20. Ibid au para 17. Ibid au para 20. Ibid.

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

toute réparation qu’ordonnerait la Cour tiendra compte du fait que la violation de la LLO a été corrigée ou pas40. Cette question sera examinée plus loin lorsqu’il sera question des réparations. IV. PROCÉDURE A. Application des Règles des Cours fédérales En vertu de l’article 80 de la LLO, le recours décrit à la partie X « est entendu et jugé en procédure sommaire, conformément aux règles de pratique spéciales adoptées à cet égard en vertu de l’article 46 de la Loi sur les Cours fédérales »41. Aucune règle n’a toutefois été établie à cet effet. Il faut donc se tourner vers les Règles des Cours fédérales (ci-après les « Règles »)42. En vertu de l’article 300b) des Règles, la partie 5 (demandes) des Règles s’applique aux instances engagées sous le régime d’une loi fédérale qui en prévoit le règlement par procédure sommaire43. Ainsi, bien que le recours judiciaire prévu à la partie X de la LLO ne soit pas une demande de contrôle judiciaire au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, il est régi, sur le plan procédural, par les règles applicables à ces dernières44. Le recours intenté en vertu de l’article 77 de la LLO procédera donc assez rapidement, le principe général applicable étant celui de la célérité des procédures. Les tests jurisprudentiels généralement applicables à l’examen de requêtes visant l’autorisation d’accomplir des actes susceptibles d’allonger les procédures s’appliquent dans le contexte d’un recours intenté en vertu de l’article 7745. Notons enfin l’alinéa 304(1)c) des Règles qui prévoit que lorsqu’un recours judiciaire est déposé en vertu de la partie X de la LLO, le demandeur

40 41 42 43

Ibid. Voir aussi Desrochers CSC, supra note 8 au para 37. Supra note 1, art 80. DORS/98-106 [Règles]. Ibid, art 300(b) (en vertu de cette disposition, la Partie 5 des Règles s’applique aux instances engagées sous le régime d’une loi fédérale qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande, de requête, d’avis de requête introductive d’instance, d’assignation introductive d’instance ou de pétition, ou le règlement par procédure sommaire). 44 Voir Lavigne c Canada (Développement des ressources humaines), 96 FTR 68 au para 2, [1995] ACF no 737 (QL) (CF) [Lavigne 1995] ; Forum, supra note 2 au para 15. 45 Voir par ex Côté c Canada (ministère de l’Environnement), [1992] ACF no 469 (QL) (CF) au para 6, 1992 CarswellNat 1325 (CF) ; Côté c Canada, 78 FTR 65, [1994] ACF no 423 (QL) (CF) [Côté 1994].

263

264

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

doit signifier l’avis de demande au commissaire aux langues officielles dans les dix jours suivant sa délivrance46. B. Radiation avant l’audience Bien qu’aucune disposition des Règles ne permette spécifiquement la radiation d’une demande de contrôle judiciaire, il est bien établi que la Cour fédérale, dans l’exercice de ses pouvoirs inhérents, peut ordonner la radiation d’une telle demande lorsque celle-ci ne présente aucune chance raisonnable de succès47. Dans le contexte d’un recours intenté en vertu de la partie X de la LLO, la Cour d’appel fédérale, dans la décision Norton c Via Rail Canada Inc a indiqué qu’une requête en radiation ne devrait être accueillie que dans des circonstances très précises48. En effet, de l’avis de la Cour, ce « recours extraordinaire » ne permet la radiation que s’il n’existe « aucune possibilité que le juge qui entend cette demande accorde une réparation »49. C. Les obligations linguistiques de la Couronne dans le cadre d’un recours en vertu de la partie X50 Lorsqu’un recours en vertu de la partie X est intenté en Cour fédérale, la partie  III de la LLO (administration de la justice) trouve alors application. Cette partie institue un régime complet de droits et obligations linguistiques s’appliquant devant tous les tribunaux fédéraux51. Le droit fondamental d’employer l’une ou l’autre langue officielle devant ces tribunaux est prévu, par exemple, à l’article 14 de la LLO, qui précise que « [l]e français et l’anglais sont les langues officielles des tribunaux fédéraux [et que] chacun a le droit d’employer l’une ou l’autre dans toutes les affaires dont ils sont saisis et dans les actes de procédure qui en découlent »52. 46 47 48 49 50

Supra note 42, art 304(1)(c). David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 à la p 600, 176 NR 48. 2005 CAF 205 au para 15, 255 DLR (4e) 311. Ibid. Des descriptions de la partie III et des droits et obligations qui s’y trouvent sont énoncées dans le Manuel du contentieux civil du ministère de la Justice qui comprend des directives ministérielles relatives à la mise en œuvre des obligations qui incombent à la Couronne. 51 Supra note 1, arts 14 et s. 52 Ibid, art 14. En accord avec Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, art 133, reproduite dans LRC 1985, annexe II, no 5 ; Charte, supra note 4, art 19(1) (ce droit, prévu à l’origine par la Loi constitutionnelle de 1867, est réitéré dans la Charte et repris pratiquement dans les mêmes termes dans la LLO).

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

L’article 18 de cette partie III impose à la Couronne fédérale et aux institutions fédérales l’obligation d’utiliser, « pour les plaidoiries ou les actes de procédure », la langue officielle choisie par les autres parties, à moins qu’ils ne prouvent que le choix ne leur ait pas été notifié dans un délai raisonnable. L’article 18 in fine précise qu’à défaut « de choix ou d’accord entre les autres parties, [la Couronne fédérale] emploie la langue officielle la plus justifiée dans les circonstances »53. Quelle que soit l’interprétation pouvant être donnée au mot « plaidoiries », il ne comprend pas la preuve présentée au cours d’une instance. Le témoignage sous forme d’affidavit ne fait pas partie non plus des plaidoiries ou des actes de procédure au sens de l’article 18. La même règle vaut pour les documents joints à ces affidavits à titre de pièces justificatives54. V. QUESTIONS RELATIVES À LA PREUVE A. De façon générale Selon la jurisprudence, il appartient au demandeur non seulement de démontrer l’existence d’une violation à la LLO, mais également de prouver le lien de causalité entre la violation et les réparations demandées55. Par ailleurs, lorsqu’un recours judiciaire est intenté en vertu de l’article 77, les parties au dossier (plaignant et institution fédérale) ne sont pas limitées aux éléments de preuve utilisés au cours de l’enquête menée par le commissaire aux langues officielles. Comme nous l’avons vu ci-dessus, l’affaire est entendue de novo 56. Les rapports d’enquête du commissaire peuvent constituer, et constituent souvent, un élément en preuve devant la Cour. Ceci dit, la Cour n’est pas liée par les conclusions auxquelles en arrive le commissaire et les rapports d’enquête peuvent être contredits comme tout autre élément de preuve57. Dans tout recours judiciaire entrepris en vertu de la partie X, c’est le juge qui, après avoir entendu et soupesé la preuve, décidera si l’institution fédérale a respecté ou pas la LLO58. 53 LLO, supra note 1, art 18. 54 Voir Lavigne 1995, supra note 44 aux para 7–11 ; Charlebois c Saint John (Ville), 2005 CSC 74 aux para 7, 53, [2005] 3 RCS 563 ; Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c Colombie-Britannique, 2013 CSC 42 au para 19, [2013] 2 RCS 774. 55 Voir Leduc c Canada, 2000 CanLII 15454 au para 20, [2000] ACF no 716 (QL) (CF). 56 Forum, supra note 2 au para 20. 57 Ibid au para 21. 58 Rogers c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2001 CFPI 90 au para 27, 201 FTR 41.

265

266

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

Bien que le commissaire soit tenu au secret en ce qui concerne les renseignements qui lui sont communiqués dans le cadre d’une enquête59, il est expressément autorisé, en vertu de l’alinéa 73b) de la LLO, à les communiquer lors d’un recours formé devant la Cour fédérale aux termes de la partie X de la LLO ou de l’appel d’une décision rendue par celle-ci60. Le commissaire peut donc communiquer à la Cour tous les faits qui, à son avis, sont pertinents pour l’instance (les faits spécifiques liés à la plainte, les conclusions de son enquête, les recommandations et la réponse faite par l’institution fédérale concernée). Soulignons que l’alinéa  73b) parle uniquement de « communiquer » des renseignements ; il n’impose aucune obligation de la part du commissaire de transmettre des documents écrits61. L’article 74 de la LLO prévoit qu’ « [e]n ce qui concerne les questions venues à leur connaissance au cours d’une enquête, dans l’exercice de leurs attributions, le commissaire et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité ont qualité pour témoigner, mais ne peuvent y être contraints » sauf dans le contexte d’un recours formé devant la Cour fédérale en vertu de la partie X de la LLO62. Pour ce qui est des instances introduites en vertu de la partie X auxquelles le commissaire n’est pas parti, la Cour fédérale, dans l’affaire Lavigne, a confirmé que l’article 74 n’oblige pas le commissaire à y produire une preuve quelconque63. B. L’article 79 de la LLO En vertu de l’article 79 de la LLO, « [s]ont recevables en preuve dans les recours les renseignements portant sur des plaintes de même nature concernant une même institution fédérale »64. Dans les décisions Air Canada, Thibodeau et Lavigne, la Cour fédérale a estimé que l’article 79 est « unique en son genre et ne se retrouve pas dans d’autres législations similaires »65. La jurisprudence confirme également que cette disposition vise un double objet : 59 Voir LLO, supra note 1, art 72. 60 Ibid, art 73b). 61 Lavigne 2009, supra note 16 au para 30. 62 Supra note 1, art 74. 63 Lavigne 2009, supra note 16 au para 36. 64 Supra note 1, art 79. 65 Canada (Commissaire aux langues officielles) c Air Canada, 141 FTR 182 au para 17, 1997 CanLII 5853 (CF) [Air Canada 1997] ; Thibodeau c Air Canada, 2005 CF 1156 au para 53, [2006] 2 RCF 70 [Thibodeau 2005] ; Lavigne 2009, supra note 16.

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

premièrement, présenter aux tribunaux une image complète du contexte et, deuxièmement, permettre à une partie de prouver qu’il existe [possiblement] un problème systémique au sein d’une institution quant au respect de la LLO. [Cette disposition] aide la Cour à évaluer l’étendue du problème ainsi que les circonstances de la demande de manière à mieux déterminer la réparation appropriée66.

Le législateur a donc voulu que la Cour « [p]uisse être saisie d’une vue d’ensemble, donc de l’ampleur du problème si problème il y a »67. La Cour a donné préséance à l’article  79 sur les autres règles de preuve et estimé qu’il convenait de « traiter cet article comme étant une exception aux règles générales en matière de preuve »68. Il ressort de la décision Thibodeau que l’article 79 est utilisable par le commissaire ou par tout demandeur. Au paragraphe 104, la Cour s’est exprimée comme suit : [l]’article 79, selon lequel sont recevables en preuve les renseignements portant sur des plaintes de même nature, n’opère pas de distinction selon l’identité du demandeur. Le législateur n’a pas limité l’admissibilité en preuve de tels renseignements uniquement lorsque le recours est exercé par le commissaire. [E]n adoptant l’article 79, le législateur a voulu permettre tant au commissaire qu’au demandeur qui réunit les conditions du paragraphe 77(1), d’invoquer des problèmes de nature systémique et de produire en preuve des renseignements au soutien de telles allégations69.

Par ailleurs, il ressort de l’affaire Lavigne que l’article 79 n’impose pas au commissaire une obligation de communiquer des renseignements relatifs à des plaintes semblables dans un recours donné, mais rend simplement ces types de renseignements admissibles70. Dans l’affaire Lavigne, à laquelle 66 Lavigne 2009, supra note 16 au para 32. Voir aussi Air Canada 1997, supra note 65 aux para 17–18. 67 Canada (Commissaire aux langues officielles) c Air Canada, 240 NR 390 au para 13, 1999 CanLII 8095 (CAF) [Air Canada 1999]. 68 Thibodeau 2005, supra note 65 au para 83. 69 Thibodeau c Air Canada, 2011 CF 876 au para 104, [2013] 2 RCF 83 [Thibodeau 2011]. Un appel de la décision Thibodeau 2011 a été accueilli par la Cour d’appel fédérale (Thibodeau 2012 CAF 14, supra note 14), mais la Cour ne s’est pas prononcée sur ce point. La Cour suprême du Canada, qui a rejeté l’appel interjeté contre la décision de la Cour d’appel fédérale (Thibodeau 2014, supra note 13), ne s’est pas non plus prononcée sur ce point. Une position semblable à celle de la Cour fédérale dans Thibodeau 2011 semble ressortir de la décision Air Canada 1999 (supra note 67 au para 8). 70 Lavigne 2009, supra note 16 au para 31.

267

268

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

le commissaire n’était pas parti, ce dernier avait choisi d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 73b) de la LLO et de rédiger uniquement une liste de plaintes semblables71. Qu’en est-il des dossiers d’enquête fermés ? L’article  79 peut-il néanmoins trouver application dans le cas de dossiers fermés ? Cette question n’est pas complètement éclaircie par la jurisprudence. Dans l’affaire Air Canada, la Cour d’appel fédérale semble avoir répondu à cette question par l’affirmative72. Par contre, dans Thibodeau, la Cour d’appel fédérale soulève la question de la difficulté d’évaluer des plaintes fermées73. Plus précisément, elle discute de la qualité des preuves requises lorsqu’il s’agit d’allégations de problèmes de nature systémique et réfère aux critères énoncés dans l’affaire Jodhan c Canada (PG)74. La Cour d’appel fédérale, dans Thibodeau, en vient à la conclusion que l’ordonnance structurelle accordée par la Cour fédérale ne reposait pas sur une preuve bien étoffée, abondante et précise telle qu’exigée par l’affaire Jodhan75. VI. LES RÉPARATIONS A. Considérations générales Lorsque la Cour fédérale conclut, suite à un recours entrepris en vertu du paragraphe  77(1) de la LLO, qu’une institution n’a pas respectée la LLO, elle dispose, en vertu du paragraphe  77(4) de cette loi, d’une très grande latitude et peut accorder la réparation qu’elle « estime convenable et juste eu égard aux circonstances »76. La Cour suprême du Canada a récemment confirmé qu’« [à] l’instar du par. 24(1) de la Charte, le par. 77(4) de la LLO confère un vaste pouvoir de réparation et devrait recevoir une interprétation généreuse afin que se réalise son objet »77. Le libellé du paragraphe 77(4) étant identique à celui du paragraphe 24(1) de la Charte, la jurisprudence applicable au paragraphe 24(1) est pertinente pour l’interprétation du paragraphe 77(4). Nous savons, depuis la décision Forum des maires, que si la Cour fédérale en vient à la conclusion qu’une plainte est fondée au moment de son 71 72 73 74 75 76 77

Ibid au para 33. Air Canada 1999, supra note 67 au para 8. Thibodeau 2012, supra note 14 au para 71. Ibid au para 69 ; Jodhan c Canada (PG), 2012 CAF 161 aux para 92–93, [2014] 1 RCF 185. Thibodeau 2012, supra note 14 aux para 63, 69–70. LLO, supra note 1, art 77(4). Thibodeau 2014, supra note 13 au para 112.

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

dépôt au bureau du commissaire aux langues officielles, elle doit accueillir le recours78. La réparation, par contre, « [d]oit être adapté[e] aux circonstances qui prévalent au moment où l’affaire est mise en délibéré. Le remède variera selon que la violation perdure ou non »79. En d’autres mots, si l’institution fédérale a pris des mesures et a remédié aux problèmes soulevés par la plainte au moment du procès, le juge peut choisir de ne pas accorder de réparation, autre que, par exemple, des dépens80. Toujours dans la décision Forum des maires, la Cour d’appel fédérale a introduit, dans l’interprétation de la discrétion conférée par le paragraphe 77(4) de la LLO, les principes développés dans l’affaire Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation) aux fins des réparations accordées en vertu de l’article  24(1) de la Charte81. Dans ce dossier, le juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse avait rendu une ordonnance structurelle à l’encontre du ministre de l’Éducation et du conseil scolaire provincial et est resté saisi de l’affaire pour entendre des comptes rendus des progrès réalisés82. Dans sa décision rejetant l’appel contre cette ordonnance, la Cour suprême du Canada rappelle que « [l]’exigence d’une interprétation large et libérale vaut autant pour les réparations fondées sur la Charte que pour les droits qui y sont garantis »83. Elle précise que cette interprétation comporte au moins deux exigences  : « premièrement, favoriser la réalisation de l’objet du droit garanti (les tribunaux sont tenus d’accorder des réparations adaptées à la situation), et deuxièmement, favoriser la réalisation de l’objet des dispositions réparatrices (les tribunaux sont tenus d’accorder des réparations efficaces) » [souligné dans l’original]84. La solution retenue par la Cour doit tenir compte de la situation particulière du demandeur ainsi que des circonstances entourant le non-respect du droit linguistique en cause85. Le remède doit être conforme au principe de la séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire, et au rôle des tribunaux en matière de règlement des différends, et il ne doit pas amener la Cour à assumer des « [f]onction[s] pour lesquel[le]s [elle] 78 Supra note 2 au para 53. 79 Ibid au para 20. 80 Ibid aux para 20, 53, 62 ; Desrochers CAF, supra note 20 aux para 82 et s ; Desrochers CSC, supra note 8 au para 37. 81 Forum, supra note 2 au para 56 ; 2003 CSC 62 au para 25, [2003] 3 RCS 3 [Doucet-Boudreau]. 82 Doucet-Boudreau, supra note 81 aux para 7–8. 83 Ibid au para 24. 84 Ibid aux para 24–25. 85 Ibid au para 55.

269

270

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

n’est pas conçu[e] ou n’a pas l’expertise requise »86. Enfin, le remède doit être équitable pour la partie défenderesse87. La Cour ajoute qu’en matière de réparation, une approche souple et au cas par cas est à privilégier88. Ces principes, dégagés dans le contexte des réparations en vertu de l’article 24(1) de la Charte, sont donc pertinents de la même manière pour les réparations ordonnées en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO. B. Remèdes particuliers Examinons maintenant les différentes sortes de réparations qui ont été accordées par les tribunaux dans le cadre d’un recours fondé sur la partie X. 1. Dommages-intérêts En 1996, dans Lavigne c Canada (Développement des ressources humaines), la Cour fédérale a indiqué que la LLO est une loi destinée à créer des droits et des obligations efficaces et pratiques et que pour atteindre cet objectif, les dommages-intérêts doivent faire partie de la panoplie des réparations disponibles en vertu du paragraphe 77(4)89. La Cour a estimé que la possibilité d’adjuger des dommages-intérêts était essentielle à la mise en vigueur des droits quasi-constitutionnels garantis. D’ailleurs, dans l’analyse article par article du projet de loi C-72 (Loi sur les langues officielles), la description de la disposition relative aux réparations (alors le paragraphe 75(4)) prévoyait explicitement la possibilité pour la Cour d’accorder des dommages-intérêts90. Ceci étant dit, le demandeur qui réclame des dommages-intérêts doit être en mesure d’établir un lien causal entre la violation de la LLO et le dommage subi. La Cour peut dans ce cas ordonner des dommages-intérêts pour perte de salaires et d’avantages91 ainsi que des dommages-intérêts pour perte de jouissance de la vie92. L’interprétation large donnée au paragraphe  77(4) « n’autorise pas les tribunaux à accorder une réparation pé86 87 88 89

Ibid au para 57. Ibid au para 58. Ibid au para 59. Lavigne c Canada (Développement des ressources humaines) (1996), [1997] 1 CF 305 au para 25, 122 FTR 131 [Lavigne 1996], conf par 228 NR 124, [1998] ACF no 686 (QL) (CAF). 90 Canada PL C-72, Loi concernant le statut et l’usage des langues officielles du Canada, 2e sess, 33e parl, 1988 (l’analyse article par article est un document confidentiel interne au ministère de la Justice). 91 Duguay c Canada, 175 FTR 161 au para 43, [1999] ACF no 1548 (QL) (CF) [Duguay]. 92 Voir Lavigne 1996, supra note 89 au para 27 ; Duguay, supra note 91 au para 42.

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

cuniaire en l’absence d’éléments de preuve se rapportant au préjudice réel et sans tenir compte des principes de limitation du préjudice »93. L’interprétation large du paragraphe 77(4) ne permet toutefois pas à la Cour d’accorder une réparation qui contrevient aux engagements internationaux du Canada, tels qu’incorporés en droit fédéral94. Cette question est discutée à la partie (vii) du présent texte. Notons que des dommages-intérêts ont été accordés à certains demandeurs individuels par la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest dans le dossier mettant en jeu la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest (ci-après la « LLO des TN-O)95. Dans le dossier Fédération franco-ténoise c Canada (PG), la Fédération a intenté une action contre le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest en vertu de l’article 32 de la LLO des TN-O en raison des violations systématiques des droits linguistiques des francophones dans les Territoires du Nord-Ouest depuis l’adoption, par le gouvernement des Territoires, de la LLO des TN-O96. Tout comme le paragraphe 77(4) de la LLO, le paragraphe 32(1) de la LLO des TN-O permet au tribunal compétent d’accorder la réparation que ce dernier estime convenable et juste eu égard aux circonstances97. La Cour suprême a donc accordé à certains demandeurs individuels des dommages-intérêts compensatoires pour la violation de leurs droits linguistiques tout en refusant d’octroyer des dommages-intérêts punitifs, étant d’avis que l’ensemble de la preuve n’établissait pas que les défendeurs territoriaux avaient agi d’une manière abusive, méprisante ou malveillante98. La Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest a confirmé en grande partie la décision rendue par la Cour suprême99, tandis que la Cour suprême du Canada a refusé la demande d’autorisation d’appel100. Étant donné la similarité du paragraphe  77(4) de la LLO et du paragraphe  32(1) de la LLO des TN-O, les décisions rendues dans cette affaire nous paraissent pertinentes dans le contexte d’un recours fondé sur le paragraphe 77(4).

 93 Rogers c Canada (Service correctionnel), [2001] 2 RCF 586 au para 76, 199 FTR 196.  94 Thibodeau 2014, supra note 13 au para 115.  95 Loi sur les langues officielles, LRTN-O 1988, c O-1[LLO des TN-O].  96 2006 NWTSC 20, [2006] NWTJ no 32 (QL) [Fédération].  97 Supra note 95, art 32(1).  98 Fédération, supra note 96 aux para 939–949.  99 Fédération franco-ténoise c Canada (PG), 2008 NWTCA 5 aux para 312–316, 440 AR 56. 100 Fédération franco-ténoise c Canada (PG), 2008 NWTCA 5, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 32824 (5 mars 2009).

271

272

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

2. Lettres d’excuses Une réparation parfois ordonnée est la remise d’une lettre d’excuses au plaignant à laquelle il peut être ou non donnée une forme de publicité101. L’exemple le plus récent et le plus médiatisé demeure la lettre d’excuses émise par Air Canada au couple Thibodeau à la suite du jugement de la Cour suprême du Canada. Ayant conclu que la Convention de Montréal empêchait l’octroi de dommages-intérêts au couple Thibodeau et que l’ordonnance structurelle n’aurait pas dû être prononcée, la Cour suprême statua que « [l]e jugement déclaratoire, les excuses et les dépens afférents à la demande constituaient une réparation convenable et juste »102. 3. Ordonnances structurelles Au Canada, les injonctions structurelles se font rares103. Lorsqu’elle rend une telle ordonnance, la Cour impose à l’institution fédérale concernée d’encourir certaines dépenses et/ou de prendre certaines mesures administratives pour assurer le respect des obligations en vertu de la LLO. La Cour dans cette situation intervient donc directement dans la façon dont l’institution structure ses opérations. La possibilité de rendre une ordonnance structurelle a récemment fait surface dans le contexte du dossier Thibodeau. En première instance, la Cour fédérale avait notamment ordonné à Air Canada [d]e faire tous les efforts nécessaires pour respecter l’ensemble des obligations qui lui incombent en vertu de la partie IV de la Loi sur les langues officielles ; d’instaurer, dans les six mois suivants le présent jugement, des procédures et un système de surveillance adéquats visant à rapidement identifier, documenter et quantifier d’éventuelles violations à ses obligations linguistiques, tel qu’énoncés à la partie IV de la LLO et à l’article 10 de la LPPCAC [Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada], notamment en instituant un processus permettant d’identifier et de documenter les occasions où Jazz n’affecte pas des agents de bord en mesure d’assurer des services en français à bord des vols à demande importante de services en français104.

101 Voir par ex Lavigne 1996, supra note 89 au para 33 ; Thibodeau c Air Canada, 2005 CF 1621 aux para 20–21, 284 FTR 79 ; Thibodeau 2011, supra note 69 (annexe A au jugement). 102 Thibodeau 2014, supra note 13 au para 132. 103 Air Canada c Thibodeau, 2011 CAF 343 au para 19, 425 NR 297. 104 Thibodeau 2011, supra note 69 à la p 153.

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

La Cour d’appel a estimé que l’ordonnance structurelle rendue par la Cour fédérale n’était pas justifiée au vu de la preuve et ne pouvait être maintenue parce qu’elle était « [i]mprécise et disproportionnée par rapport au préjudice subi »105. La Cour a estimé que l’ordonnance n’était pas fondée à la lumière des faits de cette affaire et ne constituait pas une solution « [e]fficace, réaliste et adaptée au cas concret »106. Par ailleurs, elle a estimé que la Cour fédérale, en exigeant d’Air Canada la mise sur pied d’un système de surveillance, s’était appropriée une fonction pour laquelle elle n’a pas l’expertise requise107. La Cour suprême, dans son jugement Thibodeau, était essentiellement du même avis. Dans sa décision, la Cour suprême confirme que « [l]es ordonnances structurelles jouent un rôle important, mais limité, dans l’exercice des droits »108. La Cour suprême invite les tribunaux à faire preuve de prudence avant d’ordonner ce genre de réparation en invoquant deux raisons. D’abord, il sera important qu’une telle ordonnance soit suffisamment claire pour la partie visée afin de réduire les possibilités de nouvelles demandes de précisions. Ensuite, il faut éviter des ordonnances qui nécessiteraient une supervision judiciaire continue109. Ceci dit, et tel qu’illustré par l’arrêt Doucet-Boudreau, une décision portant sur l’article 23 de la Charte et le droit à l’instruction dans la langue de la minorité, la supervision judiciaire, dans certains cas, sera nécessaire110. Fait intéressant à noter, la Cour suprême ajoute que ceci est particulièrement vrai dans le cas spécifique à l’étude (celui d’Air Canada) « compte tenu des pouvoirs légaux du commissaire et de son expertise pour ce qui est de cerner les problèmes en matière de respect de la LLO, et de vérifier si des progrès suffisants sont réalisés dans la mise en œuvre des mesures visant à y remédier »111. 4. Réparations précises pour des violations de l’article 91 de la LLO (dotation en personnel) En vertu de l’article 91, les exigences linguistiques rattachées à un poste doivent s’imposer « [o]bjectivement pour l’exercice des fonctions en cause » 105 Thibodeau c Air Canada, 2012 CAF 246 au para 63, [2013] 2 RCF 155 [Thibodeau 2012 CAF 246]. 106 Ibid au para 74. 107 Ibid au para 75. 108 Thibodeau 2014, supra note 13 au para 126. 109 Ibid. 110 Ibid au para 128. 111 Ibid.

273

274

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

liées à ce poste112. Il s’agit d’une disposition qui a fait l’objet d’un certain nombre de décisions jurisprudentielles. Dans la décision Côté, la Cour fédérale a indiqué qu’il lui serait possible, à titre de réparation pour une violation de l’article 91 de la LLO, d’ordonner à l’institution fédérale de tenir de nouveaux processus de sélection pour que les candidats et candidates désavantagés par le profil linguistique initial, et jugé contraire à l’article 91, puissent y postuler113. 5. Réparations précises possibles pour des violations des dispositions de la partie V de la LLO (Langue de travail) Dans Forum des maires, la Cour d’appel fédérale a indiqué que dans un recours ne portant pas sur la partie V de la LLO ni sur des dispositions concernant des relations employeur-employé, une ordonnance rétablissant un poste ne serait accordée que rarement114. Ces propos de la Cour laissent entendre qu’une telle ordonnance peut très bien faire partie des réparations disponibles en vertu de la partie X lorsque le recours met en jeu les dispositions de la partie V de la LLO et que les faits s’y prêtent115. 6. Réparations possibles pour des violations de la partie VII (Promotion des langues officielles) La partie VII, comme indiqué ci-dessus, a été modifiée en 2005 et cette partie de la LLO fait désormais partie des dispositions énumérées au paragraphe 77(1) donnant ouverture au recours judiciaire de la LLO. Que peut ordonner la Cour fédérale comme réparation dans le cas où elle estime qu’une institution fédérale n’a pas respecté la partie VII ? En 2010, dans la décision Picard, la Cour fédérale a estimé que les conséquences d’une violation de la partie VII de la LLO ne peuvent donner lieu aux réparations qui seraient disponibles pour une violation d’une autre partie de la LLO  : conclure autrement équivaudrait à faire fi de la différence entre les différentes dispositions de la loi et à écarter les limites précises que l’on retrouve aux parties I à V de la LLO116. Ceci dit, la Cour précise qu’il lui est permis de rendre une ordonnance forçant une institution à prendre une mesure spécifique pour rectifier les manquements aux obligations imposées par la partie VII. Décider autre112 113 114 115 116

LLO, supra note 1, art 91. Côté 1994, supra note 45 au para 11. Supra note 2 au para 78. Ibid. Picard c Canada (Commissaire aux brevets), 2010 CF 86 au para 75, [2011] 2 RCF 192 [Picard].

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

ment « [r]endrait le choix fait par le Parlement de [. . .] “donner des dents” [à la partie VII] en la rendant justiciable inutile et sans effet »117. Bref, la Cour peut imposer une mesure positive spécifique à une institution fédérale pour remédier à un manquement, mais cette mesure positive ne peut avoir pour objet d’imposer indirectement le régime juridique de la partie II ou de la partie IV à une situation où ce régime ne s’applique pas directement118. 7. Réparations dans le contexte d’une convention internationale Dans l’affaire Thibodeau, la Cour suprême du Canada devait décider si la limite de responsabilité à l’égard des dommages-intérêts prescrite par la Convention de Montréal119, incorporée en droit canadien par l’effet de la Loi sur le transport aérien120, faisait obstacle à l’octroi de dommages-intérêts dans le contexte d’un recours intenté en vertu de la LLO suite à des violations de la partie IV de la LLO survenus lors de vols internationaux. Elle devait également décider s’il y avait conflit ou chevauchement entre la LLO et la Convention de Montréal. La majorité a statué que les demandes pour des dommages-intérêts des Thibodeau tombaient effectivement sous le coup de l’exclusion établie par la Convention de Montréal et qu’autoriser une action de ce genre serait non seulement contraire à l’article 29 de la Convention de Montréal121 mais compromettrait l’un de ses principaux objectifs, qui est d’assurer l’uniformité entre les pays quant aux types de recours en dommages-intérêts pouvant être exercés contre les transporteurs aériens pour les dommages subis au cours du transport de passagers, de bagages et de marchandises, et quant 117 Ibid au para 76. 118 Ibid au para 77. Voir aussi CBC/Radio-Canada, supra note 2 aux para 3–4 du jugement (la partie VII a également été invoquée, mais étant donné les conditions de renouvellement des licences de la Société imposées par le CRTC, la Cour fédérale a estimé que le recours était devenu en grande partie académique. Elle ne s’est donc pas prononcée sur les violations alléguées à la partie VII et sur les réparations pouvant être octroyées à cet égard). 119 Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, 28 mai 1999, 2242 RTNU 309 (entrée en vigueur : 4 novembre 2003) [Convention de Montréal]. 120 Loi sur le transport aérien, LRC 1985, c-26. 121 L’article 29 se lit comme suit : « Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d›un contrat ou d›un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d›agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation ».

275

276

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

aux plafonds applicables à ces recours. La majorité a ensuite statué que le pouvoir conféré à la Cour fédérale par le paragraphe 77(4) de la LLO — aussi vaste soit-il — ne permet pas à la Cour d’écarter ou de faire fi des obligations internationales incombant au Canada, en l’occurrence en vertu de la Convention de Montréal122. De l’avis de la majorité, en interprétant correctement la LLO et la Convention de Montréal, « [a]ucun conflit n’oppose les pouvoirs de réparation généraux conférés par la LLO et l’exclusion du recours en dommages-intérêts par la Convention de Montréal »123. Les dispositions en cause ici se chevauchent, mais ne sont pas en conflit. La majorité tient ensuite à souligner qu’il ne s’agit pas ici, à son avis, d’un cas où le fait d’appliquer la limite expresse prévue à l’article 29 « [d]épouille en grande partie de leur portée les dispositions réparatrices de la loi »124. Par ailleurs, l’article  29 de la Convention de Montréal ne trouve application que dans le contexte d’une réclamation découlant d’un incident survenu au cours d’un vol international et uniquement à l’encontre d’Air Canada. Ce n’est que dans de tels cas qu’une cour serait empêchée d’octroyer des dommages-intérêts et qu’une autre forme de réparation devra être octroyée125. Ici, tel qu’indiqué plus haut, la réparation « appropriée » était le jugement déclaratoire, les excuses et les dépens afférents à la demande126. En résumé, la majorité conclut que le paragraphe  77(4) de la LLO « [d]evrait plutôt être [vu] comme ayant été [incorporé] dans un cadre juridique déjà établi, composé de limites législatives, d’exigences procédurales et de principes juridiques généraux  — y compris les engagements internationaux du Canada incorporés dans un texte législatif canadien — qui aident le tribunal à décider quelle réparation est “convenable et juste” »127. Au moment de concevoir une réparation convenable et juste au sens de la LLO dans une affaire de transport aérien international impliquant Air Canada, la Cour fédérale ne peut donc pas octroyer des dommages-intérêts. À notre avis, certains aspects du raisonnement de la majorité sont problématiques. Si on lit les termes du paragraphe 77(4) selon leur sens ordinaire, ils permettent clairement l’octroi de dommages-intérêts dans tous les cas où la Cour est d’avis que des dommages-intérêts constituent une

122 Thibodeau 2014, supra note 13 au para 90. 123 Ibid au para 5. 124 Ibid au para 116. 125 Ibid. 126 Ibid au para 132. 127 Ibid au para 114.

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

réparation « convenable et juste eu égard aux circonstances »128 — pourquoi ces circonstances excluraient-elles une affaire de transport aérien international ? Par ailleurs, la majorité ne cite aucunement la jurisprudence antérieure sur la paragraphe 77(4) selon laquelle les dommages-intérêts doivent faire partie de la panoplie des réparations disponibles en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO129. À notre avis, il n’était pas raisonnable pour la majorité d’invoquer la présomption de conformité au droit international afin de réduire la portée d’une loi interne ayant un statut quasi-constitutionnel afin d’éviter un conflit avec le droit international. En lisant ainsi de façon atténuée le paragraphe 77(4) de la LLO, la majorité, dans les faits, se trouve à donner préséance à une loi ordinaire, la Loi sur le transport aérien, sur la LLO. À notre avis, si l’on doit éviter un conflit potentiel entre une loi quasi-constitutionnelle et une loi ordinaire, il faut le faire en limitant la portée de la loi ordinaire afin de permettre la pleine opération de la loi quasi-constitutionnelle et non le contraire. La majorité semble donc avoir été davantage préoccupée par le respect des obligations internationales du Canada que par le respect des droits fondamentaux que sont les droits linguistiques. Par ailleurs, bien qu’il soit vrai que la Convention ait comme objectif d’instaurer des règles uniformes encadrant la responsabilité pour dommages des transporteurs aériens internationaux130, il n’y a absolument rien dans la Convention de Montréal qui empêche les parties signataires d’imposer des obligations additionnelles à ses propres transporteurs aériens. C’est ce qu’a fait le Canada en ce qui concerne Air Canada et cela ne cause aucun préjudice aux autres transporteurs ou aux autres États partis à la Convention de Montréal. Enfin, il est permis de se questionner sur le caractère dissuasif d’une réparation ordonnée contre Air Canada si les dommages-intérêts ne peuvent être accordés dans le contexte d’un transport international. Bref, dans le contexte précis d’un transport aérien international, les dommages-intérêts ne sont désormais plus disponibles pour sanctionner des violations à la LLO. Il faudra évidemment, et cela nous semble tout à fait possible et approprié, limiter la portée de cette décision aux faits et aux circonstances bien particulières qui étaient en jeu dans ce dossier.

128 LLO, supra note 1, art 77(4). 129 Voir Lavigne 1996, supra note 89 (rappelons que la Cour fédérale, dans cette affaire avait affirmé ceci : « J’estime la possibilité pour la Cour d’adjuger des dommages-intérêts essentielle à la mise en vigueur des droits quasi-constitutionnels garantis » au para 25). 130 Convention de Montréal, supra note 119, préambule.

277

278

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

VII. LES DÉPENS Le paragraphe 81(1) de la LLO prévoit que les frais et dépens liés au recours judiciaire énoncé à l’article 77 sont laissés à la discrétion de la Cour fédérale et suivent, sauf ordonnance contraire, l’issue de la cause131. Ceci dit, le paragraphe 81(2) dispose que « dans les cas où il estime que l’objet du recours a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, le tribunal accorde les frais et dépens à l’auteur du recours, même s’il est débouté »132. Dans le dossier Picard, malgré le succès partiel du demandeur, la Cour fédérale a accordé les dépens aux demandeurs en application du paragraphe  81(2)133. La Cour était d’avis qu’  « [a]u-delà de tous les détails techniques, l’unilinguisme des brevets octroyés par un pays qui se veut bilingue est une question importante »134. Elle ajoute que cette question ne s’était jamais posée depuis l’adoption de la LLO et que « le demandeur a rendu un service aux Canadiens en la faisant l’objet d’un débat public »135. Dans le dossier Norton, la Cour a également accordé ses dépens au demandeur même si celui-ci a été débouté136. La Cour était d’avis que « [l]a clarification de la portée [des] dispositions [de la LLO] dans le contexte des mesures de dotation contestées [dans cette affaire] va bien au-delà des intérêts immédiats des parties au litige » et que « [l]a présente cause apporte un éclairage additionnel aux principes directeurs généraux qui régissent l’évaluation du caractère raisonnable des exigences de bilinguisme dans les cas où une institution fédérale dispense des services aux voyageurs »137. La Cour d’appel fédérale a également accordé les dépens au couple Thibodeau en vertu du paragraphe 81(2) en invoquant le fait que la question de l’interaction entre la LLO et la Convention de Montréal constituait véritablement « une question d’importance et nouvelle »138. Plus récemment, de façon assez étonnante, la Cour fédérale, dans la décision Tailleur, semble s’écarter de la jurisprudence sur cette question précise139. L’affaire Tailleur soulevait notamment la question de l’interac131 Supra note 1, art 81(1). 132 Ibid, art 81(2). 133 Supra note 116 au para 84. 134 Ibid. 135 Ibid. 136 Norton, supra note 20 au para 130. 137 Ibid. 138 Thibodeau 2012 CAF 246, supra note 105 au para 81. 139 Tailleur c Canada (PG), 2015 CF 1230 [Tailleur].

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

tion entre les parties IV et V de la LLO. La Cour était également appelée à se prononcer, pour la toute première fois, sur la portée du paragraphe 36(2) de la LLO140. M. Tailleur, un agent occupant un poste bilingue dans un centre d’appel de l’Agence du revenu du Canada (ci-après l’« ARC ») situé à Montréal, une région désignée bilingue aux fins de la partie V de la LLO, contestait une directive interne de l’ARC exigeant que les employés des centres d’appel écrivent les notes aux dossiers des clients dans la langue officielle de préférence de ces derniers. M. Tailleur était d’avis que cette directive interne violait son droit de travailler dans la langue officielle de son choix. La Cour fédérale devait donc décider si la directive de l’ARC était compatible avec la partie V et si elle était nécessaire pour respecter les droits du public prévus à la partie IV de la LLO, comme l’alléguait l’ARC. La Cour a déterminé que l’ARC avait pris toutes les mesures raisonnables pour permettre à M. Tailleur et à ses autres employés d’utiliser la langue officielle de leur choix au travail, mais que la directive en question était nécessaire pour permettre à l’ARC d’assurer un service égal aux contribuables anglophones et francophones en conformité avec la partie IV. Le recours de M. Tailleur a donc été rejeté. La Cour souligne toutefois, au paragraphe 116 de sa décision, et à juste titre, que l’objet du recours de M. Tailleur « a soulevé un principe important quant à l’application et la mise en œuvre de la LLO, et au sujet de la tension entre langue de service et langue de travail »141. On aurait donc pu s’attendre à ce que la Cour accorde les dépens au demandeur. Or, la Cour se contente d’exercer sa discrétion en n’accordant pas de frais et dépens. Le juge semble donc faire fi non seulement du libellé clair du paragraphe 81(2) mais également de la jurisprudence en la matière. VIII. CONCLUSION Le présent article a porté sur le recours judiciaire prévu à la partie X de la LLO. Il existe évidemment d’autres recours judiciaires pour assurer le respect des droits linguistiques au Canada. D’ailleurs le paragraphe 77(5) de la LLO prévoit explicitement que le recours prévu à la partie X « ne porte atteinte à aucun autre droit d’action »142. Aujourd’hui, l’importance des recours judiciaires comme outil de revendication et comme moyen de faire respecter les droits linguistiques constitutionnels et législatifs ne fait aucun 140 Supra note 1, art 36(2). 141 Tailleur, supra note 139 au para 116. 142 Supra note 1, art 77(5).

279

280

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

doute. Les tribunaux, et notamment la Cour fédérale dans le contexte de recours intentés en vertu de la partie X, ont rendu bon nombre de décisions ayant clarifié, précisé et insufflé vie aux droits linguistiques énoncés dans la LLO. Il faut souligner que la LLO crée cependant d’autres mécanismes destinés à assurer le respect des dispositions de cette importante loi. En particulier, la LLO crée un poste d’ombudsman linguistique, le commissaire aux langues officielles, dont la mission, énoncée à l’article 56 de la LLO, est [d]e prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la présente loi et l’intention du législateur en ce qui touche l’administration des affaires des institutions fédérales, et notamment la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne143.

Dans la décision Lavigne c Canada (Commissariat aux langues officielles), la Cour suprême a souligné l’importance du rôle du commissaire : [l]e Commissaire aux langues officielles joue un rôle important. C’est à lui que revient la tâche de prendre toutes les mesures nécessaires visant la reconnaissance du statut de chacune des deux langues officielles et de faire respecter l’esprit de la Loi sur les langues officielles notamment au sein de l’administration des affaires des institutions fédérales. C’est donc le commissaire qui a le mandat d’assurer la poursuite des objectifs de cette loi. Pour lui permettre de s’acquitter de cette mission sociale de grande envergure, le Parlement du Canada l’a investi de vastes pouvoirs. Ainsi, il peut procéder à des enquêtes sur un cas précis de non-reconnaissance du statut d’une langue officielle ou de manquement à une loi ou un règlement fédéral sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou, encore, à l’esprit de la Loi sur les langues officielles ou à l’intention du législateur. [. . .] Le commissaire peut également exercer son influence persuasive afin de mettre en œuvre toute décision prise et de donner suite aux recommandations formulées après une enquête. Ainsi, le par. 63(3) de la Loi sur les langues officielles prévoit qu’il peut demander aux administrateurs généraux ou aux autres responsables administratifs de l’institution fédérale concernée de lui faire savoir, dans un délai qu’il fixe, les mesures envisagées pour donner suite à ses recommandations. Il peut en outre, selon son appréciation et après examen des réponses faites par l’institution fédérale concernée 143 Ibid, art 56.

Les « dents » de la Loi sur les langues off icielles : le recours judiciaire sous la partie X

ou en son nom, transmettre au gouverneur en conseil un exemplaire du rapport et de ses recommandations ; celui-ci peut ensuite prendre les mesures qu’il juge indiquées pour donner suite au rapport (par. 65(1) et (2)). Le commissaire peut déposer une copie du rapport au Parlement lorsque le gouverneur en conseil n’a pas donné suite au rapport (par. 65(3)). Enfin, il a le pouvoir d’exercer un recours judiciaire avec le consentement du plaignant (art. 78)144.

Malgré l’existence d’un ombudsman linguistique au Canada, le recours aux tribunaux sera probablement toujours « nécessaire, voire inévitable »,145 dans certains cas. Les différents commissaires l’ont d’ailleurs reconnu eux-mêmes. Il faut cependant reconnaître que ces recours judiciaires exigent nécessairement temps, énergie et ressources de la part des communautés minoritaires de langue officielle. Une question qui se pose peutêtre est celle de savoir si un autre mécanisme serait plus efficace pour assurer le plein respect des droits linguistiques de la LLO. En mars 2015, la présidente sortante de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, Mme Marie-France Kenny, a dénoncé ce qu’elle perçoit comme étant des manquements répétés et systématiques à la LLO qui, selon elle, demeurent sans conséquence, laissant entendre qu’il est peut-être temps de se questionner à cet égard146. Plus récemment, dans un article paru le 7 octobre 2015 dans le journal Le Droit, Me Gilles Levasseur propose une modification à la LLO afin de conférer au commissaire aux langues officielles un pouvoir administratif de correction des fautes graves de l’administration fédérale147. L’objectif, dit-il, d’une telle modification, serait de faire en sorte que les communautés minoritaires de langue officielle n’aient pas à recourir aux tribunaux dans de tels cas148. Le débat semble donc lancé. Dans l’intervalle, il faut espérer que le jugement Thibodeau (qui a tout de même causé une légère fêlure aux « dents » de la LLO) 144 2002 CSC 53 au para 35, [2002] 2 RCS 773. 145 Commissariat aux langues officielles, Droits linguistiques 2009-2011, Ottawa, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012 à la p II. Voir également Commissaire aux langues officielles, Rapport annuel 1985, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1986 aux pp 11–12 ; Commissariat aux langues officielles, Droits linguistiques 2003-2004, Ottawa, Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada, 2005 aux pp 37–49. 146 Chambre des communes, Comité permanent des langues officielles, 41e lég, 2e sess, no 43 (26 mars 2015) à la p 7 (Marie-France Kenny). 147 Gilles Levasseur, « Ottawa et les médias communautaires », Le Droit (7 octobre 2015), 14. 148 Ibid.

281

282

Revue de droit d’Ottawa



47:1 | Ottawa Law Review



47:1

ne viendra pas mettre un frein aux recours pouvant être intentés en vertu de la partie X de la LLO et que d’autres décisions viendront éclaircir, nourrir et bonifier la jurisprudence actuelle portant sur la LLO.