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Assimilation, acculturation et impérialisme culturel américains à Cuba à partir ... des États-Unis et de Cuba, dont les histoires seraient dès lors entremêlées dans ...
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El Coloso del Norte : Assimilation, acculturation et impérialisme culturel américains à Cuba à partir de 1898

!2 La fin du XIXe siècle constitua une période charnière dans les développements nationaux des États-Unis et de Cuba, dont les histoires seraient dès lors entremêlées dans un tissu commun qui perdurera pendant une bonne partie du siècle suivant. Les États-Unis s’y trouvaient à l’aube d’un impérialisme hégémonique mondial; si le XIXe siècle était voué à la conquête du continent nord-américain d’un océan à l’autre, le XXe serait, dans la conscience collective de la nation, celui de la conquête du monde. La guerre hispano-américaine de 1898 fut la plateforme leur permettant de faire étalage de leur force expansionniste, se concluant par l’appropriation des acquis coloniaux espagnols pacifiques et latins – Cuba, Porto Rico et les Philippines, notamment – au sein d’un incontestable empire américain. Le peuple cubain se trouva alors dans une période de transformation fondamentale, soit à la croisée de deux empires. Le legs hispanique, quoique toujours présent dans la société cubaine, fut bientôt renversé par les paradigmes de modernité et de progrès, tels que représentés par l’Amérique. À bien des égards, la restructuration des institutions et des pratiques sociales sur des bases proprement américaines, ainsi que la dichotomie avec l’ancien mode colonial, seraient au cœur de la construction d’une identité et d’une culture postcoloniale nationale. En considérant trois manifestations – l’américanisation linguistique et éducationnelle, la diffusion du baseball et le développement urbain – nous démontrerons comment l’acculturation de Cuba aux cultures sociale, matérielle et institutionnelle américaines joua un rôle indirect, mais essentiel, dans le maintien d’une hégémonie par les États-Unis. L’influx démographique américain dans la société cubaine entraina un processus d’américanisation accrue, qui fut notamment manifeste au niveau linguistique. À mesure que s’y amplifièrent des vagues migratoires américaines, l’anglais se concrétisa comme l’un des outils de

!3 diffusion les plus efficaces dans le maintien d’une hégémonie culturelle américaine à Cuba. Bien que la langue fut initialement associée à des cercles socioéconomiques aisés, la variété de provenances des colons américains, leurs motivations d’immigration respectives, ainsi que la diversité des avenues professionnelles dans lesquelles ils se jetèrent, contribuèrent à une prolifération de l’anglais dans l’ensemble des strates sociales cubaines, à une échelle nationale. Entre 1899 et 1905, plus de 13 000 Nord-Américains s’étaient installés à Cuba – hommes d’affaires et spéculateurs, criminels, journalistes, soldats, missionnaires, touristes, etc. – tous inspirés par l’immense potentiel offert par l’île.1 Ainsi, le poids démographique anglophone était suffisant pour provoquer une évolution lexicale considérable à travers la société cubaine. La population de l'île se familiarisait avec la langue des ces nouveaux arrivants par diverses avenues : vocabulaires technique et bureaucratique, publication de littérature anglophone, affichage et signalisation, ainsi que diverses formes de publicité.2 Bien que l’anglais ait parfois eu une fonction pragmatique, soit celle de définir des expériences inexistantes lors de l’ère coloniale – comme le jargon du baseball – la tendance à rebaptiser des réalités quotidiennes augmentait également. D’après Marial Utset, « overnight (…) barberias became ‘barber shops’, bodegas turned into ‘groceries’, and many merchants put up notices announcing ‘English Spoken Here’ ».3 Le poème West Indies Ltd. de Nicolás Guillén, considéré par plusieurs comme l’écrivain national cubain, atteste parfaitement de la nouvelle omniprésence de l’anglais dans le vernaculaire cubain : parsemés à travers l’œuvre sont des idiomes distincts comme « hello 1

Louis A. Pérez Jr., On Becoming Cuban : Identity, Nationality, and Culture, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1999, p. 107. 2

Marial Iglesias Utset, A Cultural History of Cuba, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2011, p. 69. 3

Ibid., p. 65.

!4 baby », « Chesterfields [et] Lucky Strikes », « jazz bands » et « bread and butter ».4 Il ne s’agit pas de simples mots anglais, mais plutôt de pierres angulaires symboliques de « l’Americana ». Ceci démontre que le vocabulaire américain commençait graduellement à être intériorisé par la population, et qu’une reconstruction culturelle cubaine s’entamait sur une nouvelle base de référents distinctement non-espagnols. À bien des égards, la volonté de distanciation de la culture coloniale fut orientée par l’ubiquité anglo-américaine; les changements linguistiques étaient symptomatiques d’une acculturation cubaine plus globale, permettant à la culture américaine d’imposer son hégémonie. Or, l’enseignement demeurait en large la voie de transfusion culturo-linguistique la plus puissante de l’époque. Suite à l’intervention militaire de 1898, l’administration américaine s’est hâtée à construire un système d’éducation public (dont l’équivalent était absent sous la tutelle espagnole), sur le modèle américain. Le nouveau curriculum cubain reflétait la doctrine éducative étasunienne; l’ensemble des manuels de cours fut traduit de l’anglais; on y lança même un programme d’échange permettant aux enseignants cubains d’être formés aux États-Unis, alors que des Américains avaient l’occasion d’enseigner à Cuba.5 Le plus notable de ces programmes, organisé par l’Université Harvard, accueillit plus de 1200 professeurs cubains en 1900.6 Malgré le retrait officiel proscrit par l’amendement de Platt en mars 1901, l’administration américaine continuait d’influer le système éducatif cubain en y soutenant secrètement des groupes dits « non-gouvernementaux », tels que la Cuban Education Association 4

Nicolás Guillén, West Indies Ltd., Buenos Aires, Editorial Losada, 1934, p. 199-204.

5

Laurie Johnston, « Education and Cuba Libre », History Today, vol. 45, n° 8 (1995). [http:// www.historytoday.com/laurie-johnston/education-and-cuba-libre-1898-1958] (Page consultée le 21 novembre 2014). 6

M. Utset, op. cit., p. 75.

!5 (CEA) et la Cuban-American League (CAL). Le mandat de ces organismes était autant éducatif que moralement civilisateur. Selon H.K. Harroun, directeur de la CEA, une éducation américaine libèrerait les Cubains de l’influence néfaste du militarisme et contrerait l’ignorance cubaine, afin de leur inculquer les doctrines « of peace, order (…) which sustain our people and our government ».7 L’enseignement linguistique se trouvait au cœur de toute éducation américaine à Cuba. William McDowell, chef de la CAL, prédisait que de telles études mèneraient naturellement à une annexion de l’île.8 L’anglais fut officiellement introduit dans les curriculums primaires cubains en 1899 (aux côtés de l’étude de l’histoire américaine, importe-il de signaler). En moins d’un an, bien plus que de simplement imposer la langue anglaise, l’administration étasunienne commençait à « co-opt the Cuban elite, making English a necessary condition to benefit from U.S. interests on the island ».9 Bien que l’enseignement officialisé diminua à partir de la signature de l’amendement Platt, la maîtrise de l’anglais était dorénavant une condition préalable à l’ascension socioéconomique dans le psyché collectif cubain. Louis Pérez Jr. explique que, pour pénétrer la société cubaine, « education functionned as the cultural component of a larger annexationist design [and] was transformed into an agent of the transfusion of cultural values ».10 Ceci

7

H.K. Harroun, « The Cuban Educational Association of the United States », American Monthly Review of Reviews, vol. 20, n° 3 (septembre 1899), p. 334-335. 8

« For Annexation of Cuba », New York Times (le samedi 6 mai 1899), p. A4. [http:// timesmachine.nytimes.com/timesmachine/1899/05/06/issue.html] (Page consultée le 17 novembre 2014). 9

Dolores Corona et Ofelia Garcia, « English in Cuba : From the imperial design to the imperative need », dans Andrew W. Conrad (Ed.) et al. Post-Imperial English : Status Change in Former British and American Colonies, 1940-1990, Berlin, Walter de Gruyter, 1996, p. 88. 10

Louis Pérez Jr., Essays on Cuban History : Historiography and Research, Gainsville, The University Press of Florida, 1995, p. 41.

!6 démontre l’influence linguistique dans le processus d’acculturation cubaine, et dans quelle mesure la fomentation d’une dépendance identitaire cubaine à la culture américaine profitait le gouvernement américain bien après son départ officiel de l’île. Cependant, malgré les succès d’acculturation par voies de l’enseignement, le fait demeure que les populations rurales, les plus appauvries et les plus nombreuses du pays, se voyaient entièrement écartées du système éducatif cubain. Dans cette optique, le baseball – baptisé béisbol par les insulaires – se démarquait comme l’intermédiaire d’acculturation américain le plus démocratique, y intégrant la population entière, indépendamment du statut social. Le sport fut introduit dans l’imaginaire collectif parallèlement aux premières vagues migratoires cubaines soutenues aux États-Unis, et s’est aussitôt vu approprié par la majorité des jeunes Cubains dans les universités américaines, la tranche démographique responsable de la rediffusion du sport à travers l’île dans les années 1860.11 Dès les premiers contacts, l’attrait mystique du baseball fut clair en raison de ce qu’il représentait : plus qu’un passe-temps populaire, il s’agissait du médium de la culture américaine, un paradigme de la modernité, dont le rôle était de dévoiler les cadres sociaux normatifs américains pour qu’on puisse participer à un tel mode de vie.12 L’adoption culturelle du baseball leur permit aussi de se distancier des référents coloniaux espagnols antérieurs. Ainsi, la retransmission du baseball à travers l’ensemble de la population cubaine entama un processus de réinvention identitaire volontaire sur une base idéologique et culturelle moderniste et proprement américaine.

11

Louis Pérez Jr., « Between Baseball and Bullfighting : The Quest for Nationality in Cuba, 1868-1898 », The Journal of American History, vol. 81, n° 2 (septembre 1994), p. 500. 12

Ibid., p. 499.

!7 Rapidement, on assista à l’organisation d’une véritable infrastructure de baseball, par la création de diverses ligues aux niveaux municipal et régional, légitimant alors l’emprise sociale du sport qui demeurait jusque là influente, mais très peu encadrée. En outre, l’institutionnalisation du baseball offrit une plateforme à travers laquelle les idéaux étasuniens pourraient davantage infiltrer la société cubaine. Le potentiel professionnel du baseball fut exploité par de nombreuses corporations américaines comme la Cuban Mining Company et la désormais infâme United Fruit Company, qui commanditaient des équipes cubaines afin de promouvoir leur réputation publique, et d’engendrer un sens d’appartenance aux entreprises et à leurs valeurs capitalistes.13 Or, parmi ces nombreuses affiliations industrielles, nulle ne fut plus influente que le « baseball de sucrerie ». Vu ses liens intimes avec ce qui fut la principale industrie cubaine, il s’agissait effectivement de la ligue avec la plus vaste étendue à l’échelle du pays, touchant même les régions rurales (et dont le calibre de jeu fut nettement le plus compétitif).14 Ceci démontre en quoi son immense viabilité économique et matérielle constituait l’atout principal du baseball dans le processus d'assimilation à la culture dominante américaine, et de quelle manière le sport fut exploité par les grands acteurs industriels américains pour le maintien de leurs intérêts. Somme toute, le progrès offert par le baseball servait d’illusion pour le capitalisme américain. Ainsi, bien plus que par des stratégies politico-diplomatiques concrètes, l’hégémonie américaine fut la mieux soutenue par des initiatives liées au baseball.

13 14

Pérez, On Becoming, p. 257.

Roberto Gonnzalez Echevarria, The Pride of Havana : A History of Cuban Baseball, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 115.

!8 Les opportunités économiques figuraient également parmi les éléments les plus attrayants du sport aux yeux des Cubains, dont un grand nombre vivait dans des conditions de pauvreté abjecte. Comme le souligne Pérez, « baseball offered the possibility of social mobility and the blurring of class lines (…) derived solely from ability ».15 Sous cette mentalité, de grands jugadores se produisant dans la ligue majeure américaine, comme Edmundo ‘Sandy’ Amorós et Orestes ‘Minnie’ Miñoso16, représentaient des héros aux yeux de la populace cubaine; le statut professionnel constituait l’idéal auquel aspirer, et les États-Unis constituaient la Terre Promise. L’emprise mythique était telle que James O. Sullivan, ministre américain à Santo Domingo, soulignait son rôle comme outil de contrôle social.17 Par ailleurs, l’influence culturelle du baseball fut parfois indirecte. Par les idéaux qu’il incarnait, tel que la modernité, le progrès et la civilisation, le baseball fut intériorisé par la population cubaine comme étant partie intégrante de son identité, mais permettait parallèlement un endoctrinement aux cadres de valeurs américains. Ceci atteste de la nature culturelle paradoxale constituée par le baseball. Quoique le sport ait jeté les bases de l’émergence d’un nationalisme proprement cubain, celui-ci fut clairement basé sur des valeurs et une idéologie américaines. D’après Roberto Gonzalez Echevarria, « American culture is one of the fundamental components of Cuban culture. [Even] when historically there have been attempts (…) to separate itself from American culture, it was defined

15

Pérez, « Between Baseball and Bullfighting », p. 508.

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L’adoption de qualificatifs américains comme ‘Sandy’ et ‘Minnie’ atteste de l’envergure de l’acculturation cubaine. Ces personnages, dorénavant plutôt reconnus par leurs surnoms que leurs prénoms, seront des figures centrales dans la naissance de la tradition folklorique du baseball cubain. Le fait qu’historiquement, on s’en souvienne selon leurs dénominations américaines illustre, les liens intimes entre l’Amérique et l’identité cubaine. 17

Pérez, On Becoming, p. 258.

!9 by it. Baseball is the clearest indication of this ».18 Ceci démontre à quel point l’américanisme était ancré dans la psyché cubaine. Ainsi, bien plus que par des stratégies diplomatiques concrètes, l’impérialisme américain fut maintenu sur les masses cubaines par des activités culturelles populaires comme le baseball. Enfin, l’acculturation cubaine se manifesta au niveau des industries touristiques et hospitalières. Ces structures, fermement ancrées dans la dynamique américano-cubaine dès le milieu du XIXe siècle, déclenchèrent de nombreuses évolutions à travers l’ensemble de la vie cubaine, notamment au niveau du tissu urbain national. De nouveau, la démographie américaine y jouait un rôle central : vers la deuxième moitié du siècle, plus de 5000 Américains visitaient annuellement l’île comme touristes, alors que plus de 30 000 marines la fréquentaient par année.19 Cette fréquentation croissante entraina la prolifération de bars, d’hôtels et de bordels, gérés par des Américains pour des Américains, posant alors les jalons pour la naissance d’une infrastructure touristique concrète; puis, l'établissement de populations américaines marchandes et entreprenantes – soit non-touristiques – deviendrait dès lors une méthode centrale de transmission de valeurs normatives américaines. Une analyse des discours de l’époque démontre la position convoitée de Cuba dans la conscience collective américaine : divers voyageurs décrivent l’île comme un « Paradise of the earth » ou comme « modern Eden », alors que pour les spéculateurs, elle représentait un « veritable Klondike of wealth ».20 Leonard Wood, gouverneur militaire de Cuba, allait même

18

Echevarria, op. cit., p. 12.

19

Pérez, On Becoming, p. 23.

20

Ibid., p. 107.

!10 jusqu’à décrire l’île comme « a brand-new country ».21 Ainsi, à force que se concrétisait une conception paradisiaque de l’île dans l’imaginaire collectif, les Américains commençaient rapidement à percevoir Cuba comme une extension géographique naturelle de leur propre territoire, plutôt qu’un pays en soi. Ceci illustre que, malgré l’échec des visées annexionnistes des Américains, le territoire cubain commençait non seulement à être perçu comme le leur, mais commençait aussi à l’être exploité.. Le potentiel touristique de l’île fut bientôt perçu comme prétexte de modernisation technologique urbaine à l’échelle nationale. Sous peu s’entama un processus de planification urbaine nouvelle, largement inspiré par le style américain. La reconstruction d’espaces civiques prit plusieurs formes. On avança de projets majeurs tel que le Malecón, la promenade balnéaire désormais symbolique de la Havane, des immeubles de style américain comme la nouvelle école des Beaux-Arts, ainsi que divers parcs et jardins publics accessibles à la population entière. Les avenues furent agrandies, à l’instar des métropoles américaines, contrastant nettement avec les rues étroites de l’ancien style médiéval colonial. Enfin, on assista à des avancées technologiques au service de l’infrastructure civique, comme la rénovation au niveau des systèmes d’égouts, de gaz et d’électricité, et l’installation d’un réseau de tramways. Bien plus que de simples projets d'amélioration urbaine, Marial Utset postule que ces transformations furent primordiales, car « the ideology of progress (…) of the interventionnists’ ‘civilizing mission’ took on tangible form » et fut un rappel constant de l’omniprésence des idéaux américains.22

21

Edward Marshall, « A Talk with General Wood » Outlook, vol. 68 (juillet 1901), p. 670.

22

Utset, op. cit., p. 18.

!11 Les changements de la culture urbaine ne furent pas isolés à un niveau particulier de la société. De tels projets nécessitaient forcément l’implication de firmes de construction, d’architecture et d’ingénierie américaines, injectant d’énormes quantités de capital et de ressources primaires américaines.23 Dans cette optique, les domaines d’urbanisation créèrent de nouveaux marchés pour la transmission de cultures matérielles et sociales américaines. Effectivement, la nouvelle trame urbaine était non seulement distinctement étasunienne au niveau physique, mais entraina également l’introduction de biens de consommation et de services américains pour satisfaire aux exigences de marchés émergents. Ce processus prit plusieurs formes. On constata, par exemple, une nouvelle programmation de divertissements à travers les centres urbains, caractérisée par l’introduction de spectacles de vaudeville, de burlesque et de minstrels, ainsi que par la création des premiers casinos à Cuba (qui y deviendraient infâmes par leur affiliation à la criminalité et la corruption de la pègre). Ceci démontre que la transmission de mœurs et de valeurs culturelles américaines s’effectua dorénavant par une alliance entre secteurs privés et publics. Ainsi, l’acculturation entra dans une nouvelle dynamique complexe qui transforma la vie quotidienne publique et politique de l’île, phénomène qui prendrait de l’ampleur au cours des années 1910 et 1920. Indépendamment de la croissance de Cuba comme une nation souveraine et autodéterminée, les intérêts culturels américains seraient alors omniprésents dans tous les domaines de la vie cubaine, préservant une hégémonie impérialiste indirecte qui perdurera, sinon s’amplifiera, jusqu’aux premières instances d'activités castristes dans les années 1950.

23

Pérez, On Becoming, 120.

!12 Ainsi, Cuba occupait indéniablement une place de premier ordre dans les visées expansionnistes américaines au cours du XIXe siècle. On y passa de la pure rhétorique aux stades précoces de son expansionnisme – comme Thomas Jefferson l’écrit en 1817 : « if we seize Cuba, we will be masters of the Carribean » – à des accords commerciaux qui régissaient dès lors l’ensemble des relations américano-cubaines. L’île fit aussitôt l’objet d’initiatives constitutionnelles concrètes, telles que l’amendement Teller de 1898 et l’amendement Platt de 1901 qui, une fois l’indépendance acquise, stipulait le droit américain « d’intervention pour la préservation d’indépendance cubaine ».24 Or, l’hégémonie étasunienne sur Cuba ne se limitait pas à sa politique internationale et son économie nationale. À bien des égards, les changements les plus notables se manifestèrent au niveau socioculturel. Comme nous l’avons démontré, cette influence fut manifeste à trois niveaux : par une transmission linguistique, autant grâce à l’anglicisation de la vie quotidienne que par l’acculturation par le biais de l’éducation; par la diffusion du baseball, qui offrait un cadre de valeurs et de référents modernistes à la société cubaine; enfin, par le développement d’une industrie touristique, qui, en injectant la culture sociale matérielle américaine, influa ainsi la création d’une infrastructure urbaine cubaine. Ainsi, l’acculturation à un système de référents culturels proprement américains joua un rôle central dans le maintien de leurs intérêts hégémoniques, et par extension, fut un facteur central au développement d’une identité postcoloniale cubaine. Or, nous devons aussi considérer le rôle de l’hégémonie américaine dans la naissance d’un nationalisme distinctement anti-américain dans la conscience cubaine.

24

C.I. Bevans (éd.), Treaties and Other International Agreements of the United States of America 1776-1949 volume 8, Washington, United States Governement Printing Office, 1971, p. 116-117.

!13 Paradoxalement, plutôt que d’anéantir l’identité cubaine, la culture impérialiste américaine est effectivement parvenue à catalyser un sentiment patriotique cubain, dit « cubanía ». Une perception négative du Yanqui était bien courante à travers la populace, et ne ferait que prendre de l’ampleur à mesure que les régimes politiques s’associeraient au monde de corruption américaine, rendant prévisible, voire inévitable la révolution castriste de la fin des années 1950.

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Bibliographie BEVANS, Charles Irving (éd). Treaties and Other International Agreements of the United States of America 1776-1949 volume 8. Washington, United States Government Printing Office, 1971. 874 p. CONRAD, Andrew W. et Alma RUBAL-LOPEZ (éd). Post-Imperial English : Status Change in Former British and American Colonies, 1940-1990. Berlin, Walter de Gruyter, 1996. 664 p. ECHEVARRIA, Roberto Gonnzalez. The Pride of Havana : A History of Cuban Baseball. Oxford, Oxford University Press, 1999. 512 p. « For Annexation of Cuba ». New York Times (le samedi 6 mai 1899), p. A4 [http:// timesmachine.nytimes.com/timesmachine/1899/05/06/issue.html] (Page consultée le 17 novembre 2014). GUILLÉN, Nicolás. Songoro cosongo, Motivos de Son, West Indies Ltd., España. Buenos Aires, Editorial Losada, 1971. 122 p. HARROUN, H.K. « The Cuban Educational Association of the United States », American Monthly Review of Reviews, vol. 20, n° 3 (septembre 1899), p. 334-335. JOHNSTON, Laurie. « Education and Cuba Libre, 1898-1958 », History Today, vol. 45, n° 8 (1995) [http://www.historytoday.com/laurie-johnston/education-and-cuba-libre-1898-1958] (Page consultée le 21 novembre 2014). MARSHALL, Edward. « A Talk with General Wood », Outlook, vol. 68 (juillet 1901), p. 669-673. PÉREZ, Louis A. Jr. « Between Baseball and Bullfighting : The Quest for Nationality in Cuba, 1868-1898 », The Journal of American History, vol. 81, n° 2 (septembre 1994), p. 493-517. PÉREZ, Louis A. Jr. Essays on Cuban History : Historiography and Research. Gainsville, The University Press of Florida, 1995. 306 p. PÉREZ, Louis A. Jr. On Becoming Cuban : Identity, Nationaly, and Culture. Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1999, 608 p. SCHWARTZ, Rosalie. Pleasure Island : Tourism and Temptation in Cuba. Lincoln, University of Nebraska Press, 1999. 239 p. UTSET, Marial Iglesias. A Cultural History of Cuba during the U.S. Occupation, 1898-1902. Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2011. 232 p.

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