Couverture douleur final

mais les données sont encore très préliminaires. Ce qui semble être le point de recherche le plus prometteur est l'enrichissement du réseau de soutien et la ...
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Revue francophone d’information en sciences de la santé

Numéro Douleur Vol.2 n°1

NUMÉRO DOULEUR

Remerciements ÉDITEUR Société de la revue Médecine Sciences 5022, chemin de la Côte-des-Neiges Montréal, Québec, H3V1G6 Canada

Nous remercions notre partenaire financier principal, le Fonds de recherche du Québec-Santé.

DIRECTRICE GÉNÉRALE Anne-Laure Nouvion RÉDACTRICE EN CHEF Danielle Jacques ADJOINTE À LA DIRECTION Clémence Cireau ADJOINTE À L’ÉDITION Anik Tia-Samson ISSN :1927-5897 [email protected]

Nous remercions chaleureusement Dre Sylvie Lafrenaye, professeure au département de pédiatrie de la faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke, pour avoir accepté notre invitation pour la rédaction de l’éditorial, ainsi que l’artiste Léa Bouillet, pour nous avoir gracieusement autorisé à utiliser sa peinture «Expression d’une émotion-La souffrance» comme image de couverture, reproduction d’une illustration de Kiki et Loulou Picasso.

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Table des matières

Éditorial 3

Douleur et médecine : mariage réussi ou à réussir ? Sylvie Lafrenaye

Revues 7

Les femmes et les hommes face à la douleur: quand le sexe s’en mêle Isabelle Gaumond et Serge Marchand

22

La stimulation électrique pour traiter les blessures tendineuses : une piste à découvrir Charles Godbout et Jérôme Frenette

39

Perturbations du sommeil par la douleur chez les traumatisés crâniens légers Samar Khoury, Nadia Gosselin, Florian Chouchou, Jean-François Giguère, Gilles Lavigne

51

Perspective des neurosciences sociales sur l’influence des différences individuelles et de la psychopathologie sur l’empathie pour la douleur Louis-Alexandre Marcoux et Philip Jackson

68

Bases moléculaires de la mécanotransduction et rôle des protéines Piezo Reza Sharif-Naeini, Craig Stanton, Behrang Sharif et Albena Davidova

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ÉDITORIAL

Douleur et médecine : mariage réussi ou à réussir ? Sylvie Lafrenaye Pédiatre-intensiviste, CHU Sherbrooke, Professeur, Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé, Département de pédiatrie

Correspondance

Sylvie Lafrenaye MD, MSc, PhD Université de Sherbrooke 3001, 12e avenue Nord Sherbrooke, Québec, J1H 5N4 Canada 819-346-1110 poste 74634 [email protected]

L

a douleur est un phénomène éminem-

entre eux. Que ce soit pour se protéger des

ment complexe. David Le Breton a dit

dieux, pour initier les adolescents du clan ou

que « dans la constitution d’un monde

pour faire souffrir l’ennemi, la douleur fût effec-

humain… la douleur est sans doute une donnée

tivement une donnée fondatrice de l’identité de

fondatrice » [1]. De tous temps, la douleur fut le

l’Homme. La douleur (avec la mort) est le thème

phénomène qui rapprocha le plus les humains

ayant le plus fait fleurir le génie humain que ce

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Éditorial 3

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soit au niveau des arts ou de la médecine. Que

des efforts considérables à mieux comprendre

l’on pense aux philosophes, peintres, sculp-

les phénomènes biologiques et physiologiques

teurs, écrivains et guérisseurs, tous se sont mis

de chronicisation de la douleur. Car la douleur

à l’œuvre pour que la douleur puisse être com-

chronique représente le plus lourd fardeau éco-

prise, déchiffrée, détruite. Avec la survenue de

nomique sur le système de santé, dépassant

notre biomédecine technoscientifique, la douleur

les coûts reliés aux cancers et aux cardiomorbi-

est devenue la raison principale de consultation

dités réunis [3]. L’incurabilité de la douleur chro-

à la salle d’urgence et la voie d’entrée la plus

nique est de plus en plus mis en exergue, et ce,

commune dans le réseau de la santé. Souffrir

malgré des efforts considérables des industries

dans une société individualiste et industrialisée

pharmaceutiques et des scientifiques. Peu im-

où le soutien de la communauté n’est plus au

porte la qualité des cliniques multidisciplinaires

rendez-vous transforme la douleur en un symp-

et des nombreux agents pharmacologiques dis-

tôme inacceptable. Ajoutons comme troisième

ponibles, un patient qui souffre de douleur chro-

facteur l’illusion d’une vie éternelle terrestre

nique pour plus d’un an risque d’en souffrir toute

repoussant la date potentielle de la mort [2], et

sa vie. Aucune annonce de nouvelle molécule

nous voilà avec l’urgence de comprendre et de

analgésique n’a été dévoilée lors du dernier

mieux traiter la douleur. Ainsi, à tenter de soula-

congrès de l’IASP. La tendance des études ac-

ger la douleur avec des critères exclusivement

tuelles est à l’élaboration d’agents biologiques

biomédicaux, dans une société avec un réseau

(comme dans le traitement de l’inflammation),

de soutien appauvri et où la mort est repoussée,

mais les données sont encore très préliminaires.

nous voici à affronter un problème nécessitant

Ce qui semble être le point de recherche le plus

de grands efforts de recherche scientifique.

prometteur est l’enrichissement du réseau de

Lors du dernier congrès de l’IASP (Inter-

soutien et la bonification des accomplissements

national Association for the Study of Pain) à

personnels. En effet, la douleur chronique est

Milan, on note parmi les grandes tendances,

un affront à la personne : elle nous fait perdre le

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Éditorial 4

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sourire, le sommeil, notre conjoint, notre travail,

se rendre à l’empathie, les données présentées

nos amis, etc. Le maintien dans la vie sociale

dans ce numéro spécial démontrent l’ampleur

et conjugale semble être une voie à privilégier

de la tâche à accomplir afin de pleinement aider

en attendant la mise sur le marché d’agents

nos patients souffrant de douleur chronique. Par

biologiques efficaces. D’où l’ultime importance

exemple, l’équipe du Pr Sharif-Naemi (Univer-

d’enrayer la chronicisation de la douleur.

sité McGill) s’intéresse aux bases de la méca-

En somme, la douleur avec ses compo-

notransduction qui pourraient s’avérer être des

santes biologiques, psychologiques, sociales,

pistes thérapeutiques intéressantes tandis que

culturelles et spirituelles est un phénomène qui

l’équipe du Pr Lavigne (Université de Montréal)

plus que tout autre appelle à une recherche

nous présente les perturbations du sommeil

scientifique diversifiée et multidisciplinaire. Que

associées aux traumas crâniens. Toute douleur

ce soit pour comprendre les mécanismes de

même légère amoindrit la qualité du sommeil

transmission ou de chronicisation de la douleur,

et augmente ainsi les morbidités associées à

ou pour épauler les aidants des personnes at-

la douleur chronique. L’équipe du Pr Jackson

teintes de douleur chronique, toute percée est

(Université Laval) s’intéresse à l’empathie afin

significative. Nous sommes choyés au Québec

d’expliciter les construits psychologiques en

de pouvoir compter sur des équipes scienti-

contexte de douleur clinique

fiques performantes dans chacun des centres

l’équipe du Pr Marchand (Université de Sher-

universitaires. Nos axes de recherche scienti-

brooke) présente les différents mécanismes im-

fique sont variés, complémentaires, et appuyés

pliqués dans le phénomène de la chronicisation

par le RQRD (Réseau québécois de Recherche

de la douleur.

et finalement,

sur la Douleur), Le présent numéro de Médecine

La douleur est essentielle à la vie et fait

Sciences Amérique est un bel exemple de la ri-

partie de notre quotidien. Elle nous sert de signal

chesse des travaux réalisés dans nos milieux

d’alarme et nous protège d’ennuis encore plus

universitaires. En partant de la molécule pour

sévères. Mais lorsqu’elle se chronicise, la dou-

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Éditorial 5

NUMÉRO DOULEUR

leur devient un mal souffrant, perturbant, dés-

citer nos scientifiques universitaires, autant en

humanisant. Afin d’empêcher les coûts de santé

laboratoire que sur le terrain, et les encourager

d’exploser en réponse à ce mal endémique de

à ne pas baisser les bras devant cette réalité

la douleur chronique, nous ne pouvons que féli-

humaine qu’est la douleur.

Références [1] David Le Breton. Anthropologie de la douleur. Paris, Éditions Métailié, 2006, 241p. (p.15) [2] Céline Lafontaine. La société postmortelle. La mort, l’individu et le lien social à l’ère des technosciences. Paris, Éditions du Seuil, 2008, 242p. [3] Pizzo P.A. et Clark N.M. (2012). Alleviating Suffering 101 – Pain Relief in the United States. The New England Journal of Medicine, 366(3), 197-199.

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Éditorial 6

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REVUE

Douleur : quand le sexe s’en mêle Pain: When sex plays a role Isabelle Gaumond, Serge Marchand Département de chirurgie, Service de neurochirurgie, Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé, Université de Sherbrooke

Correspondance Serge Marchand, PhD Centre de recherche clinique Étienne-Le Bel Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke Sherbrooke, Québec, J1H 5N4 Canada 819 346-1110 poste 15889 [email protected]

Date de réception : Date d’acceptation :

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16 novembre 2012 6 février 2013

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Résumé Les hommes et les femmes vivent différemment l’expérience douloureuse et plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène. Les hormones sexuelles sont de bonnes candidates pour expliquer, du moins en partie, ces différences entre les sexes. En effet, ces molécules sont aptes à moduler les mécanismes facilitateurs et inhibiteurs de la douleur. Cette revue de littérature fera donc un tour d’horizon en ce qui a trait à l’effet des hormones sexuelles sur ces mécanismes et plus spécifiquement au niveau de la modulation de la douleur.

Summary Men and women experienced pain differently and several factors may explain this phenomenon. Sex hormones are good candidates to explain, at least in part, these sex differences. Indeed, these molecules are able to modulate pain facilitatory and inhibitory mechanisms. This review of literature will therefore present an overview of the effect of sex hormones on these mechanisms, and more specifically in pain modulation.

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Introduction

L

a littérature scientifique permet de

grande sensibilité et une plus faible tolérance à

constater que la douleur s’exprime

la douleur que les hommes, qu’elles rapportent

différemment entre les femmes et les

des scores de douleur plus élevés et qu’elles

hommes. En effet, les femmes sont grande-

ont une plus grande habileté à discriminer entre

ment surreprésentées parmi les patients at-

différents niveaux de douleur [5].

teints de douleur chronique [1-3]. Par exemple,

Ainsi, il n’est maintenant plus question de

les femmes sont plus à risque de développer

se demander s’il existe des différences entre les

des conditions douloureuses chroniques telles

hommes et les femmes au niveau de la douleur,

que les céphalées, l’arthrite rhumatoïde, la

mais bien de tenter de déterminer quels en sont

fibromyalgie, les douleurs abdominales et les

les mécanismes ou les causes. L’envergure des

douleurs d’origine musculosquelettique [2]. Il en

différences entre les sexes peut être influencée

va de même pour la perception de la douleur

par plusieurs facteurs physiologiques et psy-

mesurée en laboratoire. Même si les différences

chologiques qui interagissent et qui contribuent

entre les sexes au niveau de la douleur expéri-

à la variabilité de la réponse à la douleur. Et

mentale sont pour certains peu convaincantes,

bien que plusieurs facteurs socioculturels, psy-

car parfois contradictoires (ou dépendent de

chologiques et émotifs jouent très certainement

la modalité d’expérimentation) [4], on constate

un rôle dans le phénomène douloureux, nous

tout de même ceci : lorsque des différences

allons, dans le cadre de cette revue de littéra-

sont observées, elles sont presque unanime-

ture, mettre une emphase sur le rôle des hor-

ment dans la direction où la femme a une plus

mones sexuelles (HS).

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Bases neurophysiologiques de la douleur Afin de mieux comprendre les mécanismes

persistantes n’ont donc pas uniquement comme

neurophysiologiques des différences entre les

origine une augmentation des afférences noci-

femmes et les hommes dans la douleur, il est

ceptives mais peuvent aussi résulter d’une

important de comprendre que la douleur n’est

baisse de l’inhibition ou d’une augmentation de

pas un phénomène linéaire, mais qu’il existe

l’excitabilité centrale.

une multitude de mécanismes excitateurs et

Ces mécanismes excitateurs et inhibi-

inhibiteurs des afférences nociceptives qui vont

teurs peuvent être à l’origine des différences

moduler la réponse douloureuse tout au long

entre les sexes. Celles-ci peuvent également dé-

de son trajet dans le système nerveux central

couler de différences quantitatives (c.-à-d. :seuil

(SNC), de la périphérie aux centres supérieurs

de douleur plus bas chez la femelle) ou qualita-

(Fig. 1). Cette modulation peut être excitatrice

tives (c.-à-d. : la douleur est la même, mais les

et augmenter la réponse nociceptive ou inhibi-

mécanismes d’action sont différents) [7].

trice et produire une analgésie [6]. Les douleurs

Hormones sexuelles et système nerveux Dans la culture populaire, les hormones sexuelles

des différences permanentes du système ner-

sont surtout reconnues pour leur rôle dans la dif-

veux central, au niveau structural et fonctionnel.

férenciation sexuelle et le système reproducteur.

Au contraire, les effets activationnels des HS

Toutefois, leur influence est plus vaste et plus

sont considérés comme temporaires et réver-

diversifiée. Tout d’abord, il est important de sou-

sibles et résultent de l’activation ou de l’inhibition

ligner que les HS ont des effets classés comme

de certains circuits existant déjà chez l’adulte.

étant organisationnels ou activationnels [8]. Les

Dans ce cas-ci, les stéroïdes sexuels affectent

effets organisationnels sont ceux qui, durant le

les fonctions cérébrales par la modulation de la

développement de l’organisme, aboutissent à

neurotransmission [9, 10].

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Estrogènes Deux sortes de récepteurs aux estrogènes sont

régulent plusieurs transmetteurs et fonctions

connus jusqu’à présent, ERα et ERβ, qui ac-

dans le SNC comme la dopamine [13], liée aux

tivent différents gènes et ont une distribution dif-

fonctions motrices et de récompense, la séroto-

férente dans le corps [11]. Par exemple, le ERα

nine [9, 14], liée à la régulation de l’humeur et

active les gènes des récepteurs aux opioïdes

de l’état d’alerte, et la noradrénaline [15], impli-

et des récepteurs de la progestérone [12]. De

quée dans la réponse au stress.

la même façon, les estrogènes influencent et Progestérone Pour leur part, les récepteurs à la progestérone

du récepteur GABA-A [17]. Le GABA est le neu-

existent sous deux isoformes, PR-A et PR-B,

rotransmetteur inhibiteur majeur du SNC, impli-

et sont souvent co-exprimés dans les cellules

qué dans les effets sédatifs, anxiolytiques et

[16]. En plus de ses effets sur son propre ré-

anticonvulsivants [18]. Le GABA est aussi l’un

cepteur et sur les récepteurs aux estrogènes,

des modulateurs majeurs des afférences noci-

la progestérone agit sur d’autres systèmes. Son

ceptives [19].

métabolite, l’allopregnanolone, est un agoniste Androgènes En ce qui concerne les androgènes, un seul

dans plusieurs régions cérébrales [21], affectant

type de récepteur (AR) est connu et est présent

ainsi indirectement les concentrations locales

dans le SNC, incluant les cornes dorsales et

d’estradiol. Il est d’ailleurs généralement accep-

ventrales de la moelle épinière. Les récepteurs

té que la plupart des effets des androgènes sur

AR sont surexprimés suite à l’action des andro-

le cerveau mâle sont liés à leur conversion en

gènes [20] qui modulent l’activité de l’aromatase

estradiol par l’enzyme aromatase [22].

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Hormones sexuelles et douleur Estrogènes et douleur L’apparente contradiction de la littérature scien-

diques. De plus, l’absence d’estrogènes endo-

tifique sur le rôle pro-nociceptif ou anti-nocicep-

gènes chez les souris KO pour l’aromatase

tif des estrogènes peut s’expliquer par une acti-

entraîne l’augmentation des comportements

vation différentielle des deux récepteurs (ERα

nociceptifs à un test de douleur [25], un effet qui

et ERβ) aux estrogènes [23]. Dans les études

est réduit par une administration subséquente

animales, une augmentation rapide de l’ARNm

d’estradiol. Finalement, les estrogènes agissent

des enképhalines dans la moelle épinière a été

sur les structures supraspinales associées au

démontrée après l’injection d’un bolus d’estra-

traitement de l’information nociceptive, comme

diol [24], suggérant une connexion entre les

la substance grise périaqueducale (SGPA) [26].

contrôles nociceptifs et les hormones gonaProgestérone et douleur Pendant la grossesse et durant le cycle ovula-

centraux [27] et spinaux [28] ont été suggérés.

toire, la progestérone joue également un rôle sur

Les résultats sont divers, avec des études rap-

la régulation de la sensibilité à la douleur, mais

portant un effet antinociceptif [29], tandis que

son rôle est beaucoup moins examiné que ce-

d’autres ont rapporté des effets pronociceptifs

lui des estrogènes. Toutefois, des mécanismes

[30].

Androgènes et douleur La plupart des études faites jusqu’à maintenant

nadiques et surrénaliens (testostérone et DHT)

indiquent que les androgènes auraient un rôle

sont plus bas chez les femmes et les hommes

protecteur contre la douleur [31]. L’effet analgé-

souffrant d’arthrite rhumatoïde que chez les su-

sique des androgènes a été suggéré suite à la

jets contrôles [32]. Des études chez les humains

découverte que les niveaux d’androgènes go-

ont indiqué que les niveaux de testostérone sont

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positivement corrélés avec l’activation du cortex

reuse électrique et thermique, menant à une

frontal médian pendant une stimulation doulou-

diminution de la perception de la douleur [33].

Figure 1 Représentation schématique des mécanismes endogènes de contrôle de la douleur. Les récepteurs des hormones sexuelles se retrouvent dans la majorité des régions impliquées dans la modulation de la douleur (la position des récepteurs sur ce schéma n’est qu’à titre indicatif). CC : cortex cingulé ; CPF : cortex préfrontal ; SGPA : substance grise périaqueducale ; NRM : nucleus raphe magnus ; Ad et C : fibres responsables des afférences nociceptives (égratignure, brulure, etc.) ; Ab : fibres responsables des afférences non-nociceptives (tact, vibration, etc.).

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Études expérimentales chez l’animal du rôle des hormones sexuelles dans la douleur Une façon efficace d’isoler le rôle des HS de

cette façon, nous sommes en mesure de sa-

celui des facteurs psychosociaux est de tra-

voir le rôle spécifique des hormones sexuelles

vailler avec des modèles animaux. Des études

indépendamment du sexe de l’animal. Cette

chez de rats gonadectomisés et recevant des

approche nous a permis de conclure que les ni-

remplacements hormonaux [34-36] ont per-

veaux plus élevés d’estrogènes et de progesté-

mis de bien faire ressortir l’importance des HS

rone (condition femelle) agissaient en réduisant

dans les réponses nociceptives. En comparant

l’efficacité des contrôles inhibiteurs chez les rats

les réponses de rats sains avec des rats gona-

des deux sexes. Pour sa part, la supplémenta-

dectomisés (castrés ou ovariectomisés), nous

tion en testostérone (condition mâle) résulte en

avons observé qu’à l’instar de l’humain, les rats

une réduction des mécanismes excitateurs de

mâles ont des seuils de douleur supérieurs et

la douleur.

des réponses à la douleur inférieures à celles

Ces résultats sont confirmés par des ma-

des femelles. Une fois le rôle des HS éliminé

nipulations plus spécifiques de certaines hor-

par l’intermédiaire d’une gonadectomie, cette

mones chez le rat. L’estrogène semble en effet

différence disparaît; les femelles et les mâles

jouer un rôle facilitateur de la douleur en freinant

répondent de façon similaire, ce qui permet de

la mise en place des mécanismes endogènes

conclure en un effet déterminant des HS dans

de contrôle de la douleur (MECD) [23, 37].

les réponses nociceptives.

Néanmoins, les résultats sont plus complexes

Une autre façon d’isoler le rôle des hor-

qu’il n’y parait car les sous-récepteurs estrogé-

mones sexuelles est de supplémenter les rats

niques ERα et ERβ ont des effets opposés, l’un

gonadectomisés avec des niveaux d’hormones

étant anti-nociceptif et l’autre pro-nociceptif [23].

sexuelles que l’on retrouve chez le mâle ou la

À l’opposé, la testostérone (principale hormone

femelle et cela dans les deux sexes [34]. De

sexuelle mâle) semble avoir un rôle protecteur

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en diminuant la perception de la douleur aigue

mais que les effets sont différents selon la condi-

et tonique, et ce, indépendamment du sexe de

tion hormonale de chacun. Les hormones principa-

l’animal [34].

lement femelles semblent avoir des effets distincts

Ces données permettent de conclure que

selon l’hormone (estrogènes ou progestérone) ou

la condition hormonale joue un rôle dans les méca-

les sous-récepteurs impliqués (récepteurs estro-

nismes de la douleur chez le mâle et la femelle,

géniques ERα, ERβ) [23, 37, 38].

Rôle des hormones sexuelles chez l’humain Les données chez l’animal sont très intéres-

dant le cycle menstruel. Certaines études rap-

santes, mais il reste à vérifier si elles s’appliquent

portent une sensibilité accrue durant la phase

à l’humain. En plus des différences de perception

folliculaire [41], mais d’autres démontrent plutôt

de la douleur selon le sexe [2, 5], la douleur est

une sensibilité accrue durant la phase lutéale

influencée par les changements hormonaux du

[42], et certains ne trouvent aucune différence

cycle menstruel chez les femmes [39]. Une mé-

[43]. Il est intéressant de noter qu’aucune de

ta-analyse révèle que les femmes ont des seuils

ces études n’a vérifié si les mécanismes endo-

de douleur et de tolérance plus élevés durant la

gènes de contrôle de la douleur (MECD) étaient

phase folliculaire dans la majorité de modalités de

modulés pendant le cycle menstruel. Cette

stimulation [40]. Un relevé de la littérature récent

information est pourtant pertinente puisque la

a utilisé différentes définitions des phases mens-

manipulation des hormones sexuelles domi-

truelles que celles de la méta-analyse et concluait

nantes chez la femelle influent principalement

que la réactivité à la douleur était plus grande en

sur les MECD [23, 34, 37]. Dans une étude où

périmenstruel et en milieu de cycle [39].

la perception de la douleur et les MECD ont

Il est tout de même intéressant de souli-

été mesurés pendant les phases folliculaire, lu-

gner qu’il existe une divergence importante sur

téale et ovulatoire du cycle menstruel chez des

les différences de perception de la douleur pen-

femmes saines, les auteurs ont trouvé que la

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perception de la douleur ne variait pas signifi-

que celui des femmes la grande majorité du

cativement mais que l’efficacité des MECD (ici,

temps. Cela semble d’ailleurs être le cas dans

le contrôle inhibiteur diffus nociceptif - CIDN) à

la plupart des études qui ont comparé l’effica-

produire une analgésie était supérieure pendant

cité des MECD selon le sexe [46]. Les femmes

la phase ovulatoire [44]. L’inhibition était deux

ont donc un système de protection de la douleur

fois plus importante pendant la phase ovulatoire

qui est moins efficace que celui des hommes,

que pendant la phase lutéale et la phase mens-

ce qui pourrait expliquer, du moins en partie,

truelle. Des résultats similaires ont été retrou-

que ce manque de protection pourrait rendre les

vés dans une étude récente [45]. Comme la

femmes plus susceptibles au développement

phase ovulatoire ne dure que quelques jours,

de douleurs chroniques.

les MECD sont donc beaucoup moins efficaces

Les hormones exogènes peuvent aussi

pendant le reste du cycle. Quand on com-

affecter la modulation de la douleur. Les femmes

pare l’efficacité des MECD entre la femme et

utilisant des contraceptifs oraux ont une mo-

l’homme, elle n’est comparable que pendant la

dulation de la douleur moins efficace que les

phase ovulatoire, ce qui laisse supposer que les

femmes ayant un cycle normal et qui sont dans

hommes ont un système inhibiteur plus puissant

leur phase folliculaire précoce [47].

Réponse aux analgésiques opioïdes selon le sexe Les réponses à la douleur sont donc différentes

loppée grâce à des recherches fondamentales

entre les femmes et les hommes. Il reste main-

faites chez des animaux mâles uniquement. Le

tenant à savoir si cette différence s’étend à la

rationnel étant que les données recueillies chez

réponse au traitement. Cette question est parti-

le mâle devraient se transposer chez la femelle.

culièrement pertinente si nous considérons que

Pourtant, il ressort de plus en plus que même la

la grande majorité des médicaments que nous

réponse aux opioïdes, l’une des classes de mé-

utilisons pour soulager la douleur a été déve-

dicaments les plus utilisées et les plus efficaces

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ISABELLE GAUMOND ET COLL. 16

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pour le traitement pharmacologique de la dou-

opioïdes et leur transformation en métabolites

leur, est différente selon le sexe [48]. En effet,

actifs et inactifs [49]. Il est démontré par tomo-

les études supportent que les femmes consom-

graphie par émission de positrons (TEP) que

ment moins d’opioïdes que les hommes lors de

les niveaux d’expression et d’activation des ré-

douleurs postopératoires et qu’elles ont un meil-

cepteurs opioïdes varient selon l’âge et le sexe

leur soulagement de la douleur lors de l’utilisa-

de l’individu, mais aussi selon la phase du cycle

tion d’analgésiques opioïdergiques [48].

menstruel [26].

La présence de neurones sensibles aux

Les hormones sexuelles peuvent égale-

estrogènes dans les couches superficielles

ment agir au niveau de la pharmacodynamie des

de la corne postérieure de la moelle épinière

opioïdes. Elles peuvent agir sur la densité des

ainsi que l’implication des estrogènes dans le

récepteurs opioïdes ou sur leur internalisation

contrôle transcriptionnel de la synthèse des

ainsi que moduler les niveaux d’opioïdes endo-

opioïdes et de l’expression des récepteurs  et

gènes. Par exemple, les hormones gonadiques,

 des opioïdes suggèrent des mécanismes par

spécialement les estrogènes, peuvent moduler

lesquels la variation des niveaux d’estrogènes

les niveaux d’ARNm des opioïdes endogènes

pourrait réguler la sensibilité à la douleur [24].

dans le cerveau, les niveaux de ces peptides

Les hormones gonadiques peuvent aus-

eux-mêmes, la densité de leurs récepteurs, et

si avoir un effet sur la pharmacocinétique des

la transduction du signal lié à la fixation de ces

opioïdes. En effet, la testostérone et l’estradiol

peptides sur leurs récepteurs [50].

peuvent altérer l’absorption et la distribution des

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Conclusion Comme nous venons de le voir, les diffé-

tif tout au long de son parcours dans le sys-

rences entre les hommes et les femmes dans la

tème nerveux central. Comme les hormones

réponse à la douleur sont multiples. Elles sont

sexuelles influencent ces facteurs neurophysio-

présentes dans l’expression de la douleur expé-

logiques, il n’est pas étonnant que nous retrou-

rimentale, dans les mécanismes endogènes de

vions des différences entre les hommes et les

contrôle de la douleur ainsi que dans la réponse

femmes et que le cycle menstruel puisse aussi

aux analgésiques.

moduler le développement et la persistance

Parmi les multiples facteurs, les hor-

de certaines douleurs chroniques. De plus, les

mones sexuelles semblent déterminantes dans

données récentes supportent de plus en plus

les différences selon le sexe dans l’expression

que les réponses au traitement de la douleur

de la douleur. Leur action sur des neurotrans-

sont aussi différentes entre les hommes et les

metteurs et des récepteurs impliqués dans les

femmes. Il n’est donc plus acceptable que la

mécanismes endogènes de contrôle de la dou-

douleur et son traitement soient abordés sans

leur pourrait expliquer ces différences.

tenir compte des différences selon le sexe. Il de-

La douleur est un phénomène complexe qui est la résultante de mécanismes excitateurs

vient essentiel de tenir compte de ces facteurs dans la prise en charge de la douleur.

et inhibiteurs qui modulent le signal nocicep-

Remerciements et financements Une partie de ces études a été rendue pos-

reçoivent le support du Centre de recherche

sible grâce à une subvention des Instituts de

clinique Étienne-Le Bel du CHUS.

recherche en santé du Canada. Les auteurs

Vol.2 n°1

ISABELLE GAUMOND ET COLL. 18

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REVUE

La stimulation électrique pour traiter les blessures tendineuses : une piste à découvrir Electrical stimulation to treat tendon injuries: a path to follow Charles Godbout, Jérôme Frenette

Correspondance Charles Godbout, PhD Laboratory of Tissue Repair and Regeneration, Matrix Dynamics Group Faculty of Dentistry, University of Toronto 150 College Street, Fitzgerald Building, Room 234 Toronto, Ontario, M5S 3E2 Canada 647 269-0032 [email protected]

Date de réception :

6 janvier 2011

Date d’acceptation :

16 mai 2012

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Résumé Encore aujourd’hui, le traitement des blessures tendineuses reste souvent d’une efficacité mitigée. Or, durant les dernières décennies, la stimulation électrique s’est graduellement révélée être une modalité thérapeutique intéressante, notamment dans les cas de lésions osseuses ou cutanées. Son utilisation sur le tendon blessé a toutefois suscité peu d’intérêt. Dans cette revue sur la stimulation électrique, (1) nous retracerons l’histoire de cette modalité thérapeutique, (2) nous aborderons ses effets tissulaires, cellulaires ou moléculaires et (3) nous soulignerons la nécessité d’approfondir la recherche afin que la stimulation électrique devienne une alternative crédible pour le traitement des lésions tendineuses. Summary Despite the clinical and socio-economic burden of tendon injuries, the treatment remains challenging and often leads to mitigated results. Interestingly, electrical stimulation has emerged over the last decades as an alternative technique for the treatment of cutaneous and bone injuries. However, there has not been increasing interest for its use on tendon lesions. Through this review on electrical stimulation, (1) we will describe the historical roots of this technique, (2) discuss its tissue, cellular or molecular effects, and (3) highlight the need for further research to define a new treatment option for tendon injuries.

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Introduction

M

algré son rôle physiologique fonda-

Malheureusement, notre connaissance

mental, le tendon n’a suscité jusqu’à

du processus de réparation du tendon reste

présent qu’un intérêt limité en re-

déficiente. Face à la demande, les cliniciens ont

cherche, comparativement aux tissus nerveux,

pris les devants en utilisant plusieurs modalités

musculaires ou osseux, pour ne nommer que

thérapeutiques pour favoriser la guérison tendi-

ceux-ci. Pourtant, l’importance des blessures

neuse chez leurs patients. Parmi ces modalités,

tendineuses ne peut être ignorée. En milieu de

on retrouve la médication anti-inflammatoire,

travail ou lors de la pratique de sports tels le

l’exercice, les ultrasons ou, plus récemment, les

tennis et la course, des mouvements répétitifs

ondes de choc radiales et la prolothérapie. Ce-

ou des lacunes ergonomiques peuvent mener

pendant, ces techniques reposent souvent sur

à des pathologies tendineuses chroniques [1].

des preuves scientifiques limitées. Le manque

Les blessures aiguës, allant jusqu’à la rupture

de concordance entre la pratique clinique et les

complète, sont aussi incontournables. À titre

avancées scientifiques contribue certainement

d’exemple, les ruptures du tendon d’Achille sont

aux effets mitigés et parfois même néfastes que

souvent associées à des sports comme le soc-

procurent les traitements. Dans ce contexte,

cer ou le badminton, ce qui reflète l’importance

nous nous proposons de discuter de l’utilisation

des tendinopathies dans les activités récréatives

de la stimulation électrique pour le traitement

[2]. Enfin, au-delà des conséquences négatives

des lésions tissulaires en insistant sur le poten-

pour la personne atteinte, les blessures tendi-

tiel d’application pour le tendon, largement inex-

neuses ont également un impact socio-écono-

ploité à ce jour en dépit de possibilités cliniques

mique notable [3].

intéressantes.

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Stimulation électrique et guérison tissulaire : historique et état des connaissances Les origines de l’utilisation de la stimulation

et des rongeurs, ces auteurs confirmèrent la

électrique comme outil thérapeutique sont di-

présence d’une différence de potentiel au tra-

verses. Un élément majeur fut l’observation de

vers de l’épithélium cutané créée naturellement

modifications électriques au site d’un trauma-

par des mouvements ioniques (Figure 1A) [6].

tisme et durant la réparation tissulaire. En 1860,

Une lésion de l’épiderme annule ce potentiel et

Emil du Bois-Reymond rapporta la présence

entraîne la formation d’un courant endogène

d’un courant électrique sortant d’une lésion sur

émergeant du tissu (Figure 1B). Un phénomène

son doigt alors plongé dans une solution saline

similaire a d’ailleurs été observé ultérieurement

[4]. Malgré l’intérêt qu’aurait dû soulever cette

sur d’autres tissus à configuration épithéliale

découverte, les développements consécutifs

comme la cornée [7]. La réparation tissulaire

se firent attendre, à l’exception de quelques

peut alors être retardée en perturbant l’instal-

études dignes de mention. Entre autres, Barnes

lation du potentiel trans-épithélial, notamment

(1945) remarqua que des zones cutanées

à l’aide d’inhibiteurs de canaux ioniques, ou en

abrasées expérimentalement étaient positives

appliquant une stimulation électrique opposée

comparativement à la peau saine environnante

au courant endogène. Au contraire, la régulari-

et que cette fluctuation électrique pouvait ser-

sation ou l’augmentation du champ électrique

vir d’indicateur de la réparation [5]. En effet, la

endogène peut rétablir ou parfois même accélé-

différence s’atténuait progressivement jusqu’à

rer la guérison [8]. Ces observations démontrent

devenir nulle lorsque la lésion était complète-

le rôle important du courant endogène dans la

ment refermée. Il fallut cependant attendre les

réparation épithéliale.

travaux de Borgens, Vanable, Jaffe et leurs

Une seconde source historique pro-

collaborateurs à partir des années 1970 pour

vient du XVIIe siècle alors qu’on appliquait des

voir se réaliser des avancées significatives. Par

feuilles d’or sur les lésions varioliques pour

une série d’expériences chez des amphibiens

éviter les cicatrices. Dans les années 1960,

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Figure 1 A : La différence de potentiel trans-épithéliale (VTEP) cutanée se crée principalement par un mouvement passif et actif du Na+ vers les couches profondes du tissu (a.1). Les jonctions serrées empêchent un retour des ions par les zones paracellulaires. B : Une lésion de l’épiderme abolit localement la différence de potentiel trans-épithéliale et provoque la création d’un champ (EF, electrical field) et d’un courant électriques. Adapté de McCaig et coll. (2005) avec la permission de l’American Physiological Society [7].

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on s’en inspira pour traiter les ulcères cutanés,

approches différentes, voire contradictoires, ont

en évoquant les propriétés électrostatiques ou

procuré des résultats bénéfiques, sans compter

électrochimiques du métal, ou encore en ayant

que de trop nombreuses études présentent des la-

recours à une stimulation électrique exogène

cunes qui réduisent la portée de leurs conclusions.

[9]. Wolcott et ses collègues (1969) rappor-

De plus, le choix du type de stimulation repose sou-

tèrent des résultats encourageants grâce à

vent sur des critères vagues ou subjectifs. Le cou-

une stimulation par courant direct [10]. Malgré

rant direct rappelle évidemment le courant endo-

certaines faiblesses, cette étude servit de réfé-

gène créé lors d’une lésion épithéliale. Cependant,

rence pour plusieurs essais ultérieurs sur des

l’imposition prolongée d’un courant direct peut

lésions cutanées. Les recherches sur le tissu

causer des effets néfastes d’origine chimique ou

osseux, notamment du groupe de Friedenberg

thermique. Le recours à un courant pulsé a l’avan-

et Brighton, encouragent également l’utilisation

tage de limiter ces risques et de permettre parallè-

de la stimulation électrique à des fins théra-

lement une stimulation de forte amplitude pendant

peutiques. Ces auteurs relevèrent des change-

une très courte durée. Par contre, les paramètres

ments de polarité sur la surface osseuse suite

du courant pulsé, tels que la fréquence ou encore

à une fracture. Par la stimulation électrique, ils

la forme, la durée et l’amplitude de l’impulsion,

parvinrent ensuite à moduler le métabolisme

peuvent varier grandement et les raisons motivant

de l’os tant dans le tissu sain que lésé [11].

la sélection des auteurs restent trop souvent obs-

À ce jour, un nombre appréciable d’auteurs

cures. Un problème majeur empêchant le choix ra-

ont eu recours à la stimulation électrique pour pro-

tionnel des paramètres de stimulation réside dans

mouvoir la réparation tissulaire. La définition d’un

le manque de connaissances précises sur leurs

protocole optimal reste toutefois illusoire. Les pa-

effets sur les cellules et les tissus. Malgré toutes

ramètres de stimulation, les méthodes de quantifi-

ces considérations, on peut néanmoins convenir

cation, la nature des lésions et le profil des sujets

que la stimulation électrique est en mesure d’avoir

varient grandement dans la littérature [7, 12]. Des

des effets positifs sur la guérison tissulaire.

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Effets de la stimulation électrique : migration, prolifération, synthèse protéique et angiogenèse Afin de développer une nouvelle modalité thé-

intégrines, des voies de signalisation intra-

rapeutique, il est essentiel de préciser les effets

cellulaire ou encore des ions et des canaux

d’un stimulus électrique sur différents aspects

ioniques [7, 13].

de la réparation tissulaire. Ainsi, parmi les pro-

Par exemple, l’ajout d’EGF (epidermal

cessus impliqués dans la réparation tissulaire, la

growth factor) dans un milieu de culture sans sé-

migration cellulaire fit l’objet de recherches plus

rum permet de restaurer l’orientation et la migra-

intensives. En effet, la galvanotaxie est le phé-

tion dirigée habituellement observées chez des

nomène par lequel un champ électrique dirige

cellules soumises à un champ électrique. Un

la migration d’une cellule. Connue aussi sous

champ électrique favorise d’ailleurs l’expression

le nom d’électrotaxie, cette réponse est obser-

du récepteur de l’EGF (EGFR) et sa concentra-

vée in vitro chez de nombreux types cellulaires,

tion à l’avant de la cellule [14]. Ce positionne-

certains étant similaires à ceux présents dans

ment asymétrique entraîne la polarisation de

le tendon lésé, comme des cellules leucocy-

l’activation d’Erk1/2 (extracellular signal-regula-

taires, endothéliales ou fibroblastiques [9]. À

ted kinase 1/2), une MAPK (mitogen-activated

l’instar d’autres mécanismes de migration, la

protein kinase) signalétique en aval du récep-

galvanotaxie repose sur la polarisation cellu-

teur. De plus, une polarisation du cytosquelette

laire provoquée par la stimulation imposée.

d’actine est consécutive à l’activation d’Erk1/2.

Cette polarisation se traduit par une asymé-

Dans une certaine mesure, le TGF (transforming

trie de l’activité et/ou de la localisation d’élé-

growth factor)-β1 et le FGF (fibroblast growth

ments modulant la polymérisation de l’actine,

factor)-2 produisent le même effet [15]. Les ions

la contraction actomyosinique ou l’adhérence

calciques (Ca2+) jouent aussi un rôle important

cellulaire. Parmi ceux-ci, on retrouve des fac-

dans la réponse galvanotaxique, tel que démon-

teurs de croissance et leurs récepteurs, des

tré par l’inhibition provoquée par l’absence de

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Ca2+ extracellulaire ou le blocage des canaux

profondément la migration au point de l’annu-

calciques chez de nombreux types cellulaires

ler ou d’en inverser la direction, tel que démon-

(Figure 2) [16]. Globalement, la synergie des

tré chez des granulocytes [18, 19]. La nature

changements induits par la stimulation élec-

du substrat sur lequel migrent les cellules peut

trique résulte en l’expansion membranaire d’un

également s’avérer déterminante. Par exemple,

côté de la cellule, la rétraction de l’autre et, enfin,

un substrat de fibronectine ou de laminine ac-

l’initiation d’un déplacement dans une direction

centue la réponse galvanotaxique de cellules

préférentielle (Figure 3).

épithéliales [14].

La réaction de la cellule varie selon son

En plus de la migration, la stimulation

type mais également selon son origine. Des

électrique peut moduler d’autres mécanismes

cellules endothéliales provenant d’une aorte

cellulaires. Ainsi, un courant pulsé est parvenu

bovine migrent ainsi vers la cathode alors que

à accroître le taux de prolifération et la synthèse

celles issues de cornées de lapin ou de veines

protéique chez des fibroblastes en culture [20].

ombilicales humaines préfèrent l’anode [16].

L’augmentation du courant endogène suite à

Certains types cellulaires, dont les mélanocytes

une blessure de la cornée permit aussi d’inten-

humains, ne réagissent pas à l’imposition d’un

sifier la prolifération cellulaire en marge de la lé-

champ électrique physiologique, se mouvant de

sion [21]. Un champ électrique peut finalement

façon aléatoire [17]. On ne peut toutefois ex-

influencer la formation de nouveaux vaisseaux

clure que ces cellules puissent avoir un seuil de

sanguins en stimulant la sécrétion de VEGF

réponse galvanotaxique plus élevé ou que les

(vascular endothelial growth factor) et en initiant

conditions expérimentales étaient peu propices.

des réponses pré-angiogéniques comme la réo-

En effet, les conditions dans lesquelles se trouve

rientation, l’élongation et la migration dirigée de

la cellule revêtent une grande importance. Entre

cellules endothéliales [22].

autres, la concentration extracellulaire en ions

Considérant ces diverses observations, il

calciques et le pH du milieu peuvent influencer

paraît légitime de penser que la stimulation

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Figure 2 A : À l’état normal, une cellule possède un potentiel transmembranaire négatif. B : L’application d’un champ électrique accentue le potentiel de la membrane faisant face à l’anode. Cette hyperpolarisation augmente la force électromotrice qui attire passivement les ions calciques vers l’intérieur de la cellule, leur concentration étant grandement supérieure dans le milieu extracellulaire. La concentration intracellulaire en ions calciques ([Ca2+]i) devient donc relativement plus élevée du côté de l’anode que de la cathode, où survient une dépolarisation. Typiquement, la cellule se dirigera vers la cathode, car une faible [Ca2+]i favorise globalement la polymérisation de l’actine, une relaxation de l’appareil actomyosinique et une augmentation de l’adhérence cellulaire. Inversement, une hausse de la [Ca2+]i rend sujet à la dépolymérisation de l’actine, à la contraction et au détachement de la membrane plasmique. C : Le modèle précédent est valable pour les cellules qui ne possèdent qu’un nombre négligeable de canaux calciques dépendants du potentiel (voltage-gated calcium channels; VGCCs). Autrement, la dépolarisation induite du côté de la cathode peut activer les VGCCs et permettre un influx de Ca2+. La réaction de la cellule à l’entrée de Ca2+ dans ces portions opposées dépendrait alors de l’équilibre entre les forces en présence. Adapté de Mycielska coll. (2004) avec la permission de The Company of Biologists Limited [16] (jcs.biologists. org). Vol.2 n°1

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Figure 3 Exemple de réponse galvanotaxique in vitro. Des cellules endothéliales issues d’aorte bovine furent d’abord mises en culture pendant 6 h sur des lamelles de verre. (a-c) Durant 30 min, en l’absence de stimulation électrique [no EF (no electrical field)], une cellule ne subit aucun changement majeur quant à sa morphologie ou son emplacement. Des expansions membranaires de taille limitée sont visibles (flèches) mais sans polarisation particulière. (d-f) L’imposition d’un champ électrique de 5 V/cm provoque la rétraction des lamellipodes du côté de l’anode (+). Au contraire, face à la cathode (-), les lamellipodes se développent (pointes de flèche) ou prennent de l’expansion (flèches larges). Après 30 min, la cellule aura migré d’environ 10 m vers la cathode. Reproduit avec la permission de S. Karger AG, Basel [30].

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puisse avoir le potentiel de modifier plusieurs

laires, la synthèse de collagène et l’angioge-

facettes de la pathogénie et de la réparation

nèse (Encadré). Par contre, la transposition

tendineuses, telles que l’accumulation de leu-

de résultats in vitro dans un contexte tissulaire

cocytes, la migration et la prolifération cellu-

reste cruciale.

Stimulation électrique et guérison tendineuse La stimulation électrique peut modifier plusieurs

plus tôt que les tissus contrôles (non stimulés).

variables cruciales de la réparation tendineuse,

Ainsi, bien que la stimulation électrique puisse

dont les propriétés mécaniques du tissu (Tableau

influencer positivement la récupération méca-

1). En effet, des auteurs parvinrent à accroître

nique, l’approche à utiliser demeure incertaine

la charge soutenue par un tendon d’Achille lésé

en raison notamment de protocoles divergents

de rats en le stimulant quotidiennement avec un

ou même contraires.

courant pulsé pendant deux semaines, l’anode

La stimulation électrique peut également

étant alors placée au site de la blessure (stimu-

moduler le contenu en collagène du tendon.

lation anodique). À l’opposé, un courant catho-

D’ailleurs, les précédents résultats de Akai et

dique réduisait la force au point de rupture des

coll. s’expliqueraient par la réduction de la pro-

tendons comparativement aux tissus n’étant

portion du collagène de type III dans les tendons

pas stimulés électriquement [23]. Or, ces résul-

stimulés à la faveur du collagène de type I et ce,

tats semblent incompatibles avec ceux de Akai

même si le contenu total en collagène était si-

et coll. (1988) qui réalisèrent chez le lapin une

milaire à celui des tissus contrôles. Cependant,

excision au centre de ligaments patellaires, une

par l’imposition d’un courant direct, d’autres au-

structure souvent considérée comme un tendon

teurs sont parvenus à augmenter l’activité et la

d’un point de vue fonctionnel [24]. Les tissus

synthèse de collagène de cellules dans un ten-

stimulés par un courant direct cathodique re-

don lésé en culture en plus d’observer plusieurs

trouvaient une rigidité normale deux semaines

signes de réparation intrinsèque [25].

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Encadré

En bref : lésion et réparation tendineuses [1] Une blessure tendineuse aiguë résulte généralement d’un stress mécanique excessif appliqué ponctuellement sur le tendon. Dans ce cas, la réparation tendineuse se déroule suivant des étapes qui se chevauchent dans le temps et l’espace : Rapidement après la lésion, l’hémostase est rétablie grâce à l’agrégation plaquettaire et la coagulation. Des cellules inflammatoires comme les neutrophiles et les macrophages s’accumulent séquentiellement au site de la lésion. Après quelques jours, on observe principalement un recrutement et une prolifération accrus de fibroblastes, lesquels synthétisent des éléments de la matrice extracellulaire tels que les collagènes de type I et III. Conjointement, un processus angiogénique densifie le réseau vasculaire pour répondre à l’accroissement du métabolisme cellulaire global. Après quelques semaines débute une phase remodelage qui peut s’étendre sur de nombreux mois. Les fibroblastes conservent d’abord un métabolisme élevé et poursuivent la sécrétion de collagène, principalement de type I. À l’instar des fibres de collagène, les cellules s’orientent parallèlement à la tension imposée de façon progressive. La densité cellulaire et vasculaire de même que le métabolisme des fibroblastes diminuent ensuite graduellement pour tendre vers un état basal. Au final, le tendon conserve une apparence cicatricielle et ne retrouve généralement pas ses propriétés initiales. Une lésion chronique est souvent considérée comme une incapacité du tissu à s’adapter aux contraintes mécaniques qui lui sont imposées. À ce stade, le tissu présente une inflammation minimale, une désorganisation des structures de collagène et une augmentation de la proportion du collagène de type III. On observe également des zones dispersées de forte concentration cellulaire et vasculaire. Le tissu subit donc un lent processus dégénératif qui perturbe sa composition et sa fonction. Une telle dégénérescence prédisposerait d’ailleurs aux ruptures tendineuses.

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Modèle

Paramètres de stimulation

Principaux résultats

Section et suture du TFPD (lapin, in vitro) [25]

x CD, 7 PA, 7 jours x Cathode au site de lésion, anode en retrait

n activité cellulaire et de la synthèse de collagène

Section et suture du TA (rat, in vivo) [23]

x CP, impulsions jumelles, 200 Ps, 75 PA, 10 Hz x 15 min/jour, 2 semaines x Cathode, anode

Force au point de rupture : anode > contrôle > cathode

TFPD sain (poulet, in vitro) [26]

x CP, impulsions carrées monophasiques, 1 ms, 1 Hz x 4 jours

x Densité moyenne : - 1,8 mA/cm2 : aucun effet - 7 mA/cm2 : n maximale de la prolifération - >10 mA/cm2 : p prolifération et synthèse de collagène x n prolifération annulée si champ électrique est perpendiculaire à l’échantillon

Excision au centre du TP (lapin, in vivo) [24]

x CD, 10 PA x 3, 5, 7 semaines x Cathode

x Récupération mécanique (rigidité) plus rapide x p proportion de collagène type III vs type I

TFPD sain (lapin, in vitro) x CD; 0,5 PA, 1 PA, 6 PA [28] x 1 ou 2 semaines

Courant < 1 PA : p prolifération des cellules de l’épiténon et maintien de l’activité des ténocytes

Lésion partielle du TA (rat, in vivo) [29]

n force au point de rupture

x CP, impulsions carrées biphasiques asymétriques, 50 ms, 10 Hz, 100 ȝA/cm2 x 6e au 31e jour après la lésion x Anode



Tableau 1 Exemples d’études portant sur l’effet de la stimulation électrique sur le tendon sain ou lésé. CD, courant direct; CP, courant pulsé; TA, tendon d’Achille; TFPD, tendon des fléchisseurs profonds des doigts; TP, tendon (ligament) patellaire. Vol.2 n°1

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NUMÉRO DOULEUR

La prolifération cellulaire est un autre as-

Finalement, nous avons soumis des fibro-

pect de la réparation tendineuse pouvant être

blastes tendineux à une stimulation électrique

influencé par la stimulation électrique. À titre

dans un modèle de lésion in vitro afin d’évaluer

d’exemple, Cleary et coll. (1988) excisèrent et

le comportement migratoire [27]. Malheureu-

mirent en culture des tendons de fléchisseurs

sement, le protocole utilisé, un courant direct

profonds des doigts prélevés chez le poulet [26].

périodique avec inversion de polarité, n’amé-

L’imposition d’un courant pulsé d’une densité

liora pas la réponse des cellules. Au contraire,

moyenne de 7 mA/m2 causait une augmenta-

à forte amplitude, la migration des cellules était

tion maximale de la prolifération cellulaire après

significativement réduite. Sans rejeter tout ca-

quatre jours. L’intensité du courant était toute-

ractère galvanotaxique chez ces fibroblastes,

fois déterminante : un courant moyen de 1,8

cela confirme plutôt la nécessité de définir les

mA/m2 n’avait aucun effet alors qu’une densité

conditions optimales de stimulation.

supérieure à 10 mA/m2 inhibait la prolifération et

En définitive, la stimulation électrique peut favo-

la synthèse de collagène comparativement aux

riser la réparation tendineuse en influençant les

échantillons soumis au traitement placebo. Fait

propriétés mécaniques du tissu ou encore l’ac-

intéressant, l’orientation du spécimen tendineux

tivité et la prolifération cellulaires. Par contre,

s’avérait aussi critique. La prolifération cellulaire

les études sont peu nombreuses et, puisque le

accrue, visible lorsque le tissu et le champ élec-

contexte et l’approche divergent grandement

trique étaient parallèles, s’estompait avec une

entre elles, il est pratiquement impossible d’en

disposition perpendiculaire.

tirer des conclusions claires et d’aller au-delà des énoncés anecdotiques.

Perspectives La stimulation électrique semble offrir la possibi-

moléculaires, cellulaires et tissulaire. Toutefois,

lité d’influencer un grand nombre d’événements

les données actuelles ne permettent pas l’éta-

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CHARLES GODBOUT ET COLL. 35

NUMÉRO DOULEUR

blissement d’une démarche clinique rationnelle

tion et que l’utilisation d’approches exclusives par

dans le cas des lésions tendineuses. Nous

différents auteurs complique la comparaison entre

sommes pourtant convaincus de l’intérêt de

les études et nuit à la progression structurée des

développer un programme de recherche sur le

connaissances.

sujet par lequel de nombreuses questions pour-

Par ailleurs, nous pensons qu’il serait pri-

raient être approfondies. Par exemple, quels

mordial de tester in vitro différents paramètres

éléments doit-on cibler en priorité ? À quel(s)

de stimulation sur l’activité de cellules fibroblas-

moment(s) du processus de réparation est-il le

tiques tendineuses, dont la migration, la proli-

plus propice d’intervenir ? S’il y a lieu, les béné-

fération et la synthèse d’éléments matriciels.

fices obtenus s’observent-ils dans les tendons

Autant que possible, le protocole de stimulation

lésés tant en phase aiguë que chronique ? Quel

s’établira sur des bases logiques et simples.

protocole de stimulation procure des résultats

Les conditions précisées in vitro devront ensuite

optimaux ? Un tel protocole est-il aisément ap-

être recrées in vivo en ciblant judicieusement le

plicable dans un contexte clinique ?

moment et le site de traitement sur le tendon

Il est évident qu’une telle démarche sera

lésé en phase aiguë ou chronique. Une ap-

facilitée par l’amélioration des connaissances

proche similaire pourrait s’appliquer à d’autres

générales sur les lésions tendineuses, particuliè-

phénomènes, comme l’accumulation leucocy-

rement au stade chronique, et sur les effets de la

taire, l’angiogenèse ou l’apoptose. Cette dé-

stimulation électrique. Entre autres, il serait inté-

marche culminerait avec la réalisation d’études

ressant de savoir si des modifications mineures

cliniques approfondies, ce qui n’a jamais été

des paramètres d’un courant pulsé se traduisent

réalisé jusqu’à présent. Ainsi, sans prétendre

par des changements significatifs pour la cel-

à la découverte d’une panacée, la stimulation

lule ou le tissu. Sur ce point, nous croyons que la

électrique pourrait devenir une alternative de

complexification des protocoles de stimulation n’a

choix pour promouvoir efficacement la guérison

qu’un impact limité sur le résultat final de l’interven-

tendineuse.

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Remerciements et financements Charles Godbout et Jérôme Frenette sont respec-

vention de recherche de la part des Instituts de Re-

tivement récipiendaires d’une bourse et d’une sub-

cherche en Santé du Canada.

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REVUE

Perturbation du sommeil par la douleur chez les traumatisés crâniens légers Sleep and pain interaction in Mild Traumatic Brain Injury patients Samar Khoury, Nadia Gosselin, Florian Chouchou, Jean-François Giguère, Gilles Lavigne

Correspondance Samar Khoury, PhD Centre d’études avancées en médecine du sommeil Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal 5400 boul. Gouin Ouest Montréal, Québec, H4J 1C5 Canada 514 338-2222 poste 7702 [email protected]

Date de réception : Date d’acceptation :

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23 mai 2012 30 septembre 2012

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Résumé La prévalence des troubles de sommeil et de douleur chronique est élevée chez le patient ayant subi un traumatisme craniocérébral léger (TCCL). Ces deux troubles peuvent interagir de manière bidirectionnelle : un mauvais sommeil engendre une sensibilité accrue à la douleur, et un douloureux chronique se plaint d’un mauvais sommeil. L’interaction entre ces plaintes est suggérée chez les TCCL, mais son étiologie reste encore peu connue. De nouvelles pistes de recherche suggèrent que les TCCL qui souffrent de douleur ont une modification des ondes cérébrales durant leur sommeil qui pourrait expliquer en partie comment les deux symptômes interagissent.

Summary Mild Traumatic Brain Injury (MTBI) is a major public health concern as patients are left, amongst other symptoms, with sleep complaints and chronic pain. An interaction between the two is suggested and is thought of as a bidirectional relationship. A night of poor sleep is followed by hypersensitivity to pain and chronic pain leads to sleep complaints. New research shows that MTBI patients with pain have more rapid EEG waves during sleep than those without pain. This may suggest that there is an intrinsic relationship between the two complaints. In this review, we suggest new research avenues in sleepwake disturbances post-MTBI that consider pain and other post-concussion symptoms as important, interrelated factors.

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L

e traumatisme craniocérébral (TCC)

années; d’où sa qualification d’épidémie silen-

se définit par une force mécanique

cieuse [5]. La majorité des individus victimes

extérieure à la tête résultant et s’expri-

d’un TCCL sont des hommes âgés entre 25 et

mant par un signe de dysfonction cérébrale [1].

34 ans ou bien des enfants de moins de 4 ans.

Un diagnostic de TCC léger (TCCL) est posé

Les principales causes sont les chutes (35%),

lorsqu’un score de 13 à 15 sur l’échelle de

les accidents de la route (17%), les coups lors

Glasgow est observé et généralement lorsqu’il

d’activités sportives (16%) et les agressions

y a une perte de conscience de moins de 30

(10%) [3]. De plus, la guerre actuelle en Irak

minutes, une amnésie rétro- ou antérograde de

et en Afghanistan vient d’ajouter une nouvelle

l’accident d’au plus 24 heures, ainsi qu’un état

catégorie de TCCL, soit celle due à des explo-

confusionnel ou une lésion cérébrale trauma-

sions, qui s’avère être un fléau chez 22% des

tique aiguë [2].

vétérans. Même si la mortalité a baissé grâce

Le Center for Disease Control and Pre-

au port de casques de guerre plus robustes,

vention (CDC) a été mandaté par le gouverne-

une majorité des soldats vétérans en subissent

ment américain pour étudier la prévalence des

encore les conséquences [6].

traumatismes crâniens, craignant un problème

Bien que la plupart des patients TCCL

de santé publique [3]. Le rapport 2002-2006 a

ne présentent pas de séquelles à long terme,

déterminé que l’incidence annuelle est de 600

une année plus tard, 15% restent symptoma-

cas par 100 000 personnes et que 1.7 million

tiques [7]. Les symptômes post-commotionnels

d’individus souffrent d’un traumatisme crânien

sont multiples – principalement des céphalées,

chaque année, dont 75% sont des TCCL [4].

des troubles de l’humeur (dépression, anxiété),

Même si le TCCL n’est pas fatal, il impose au

une baisse de concentration, de l’étourdisse-

patient de nombreuses séquelles physiques et

ment ainsi que de la douleur et des troubles du

psychologiques pouvant s’étaler sur plusieurs

sommeil [8]. Les principaux indicateurs pour

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SAMAR KKHOURY ET COLL. 41

NUMÉRO DOULEUR

prédire la persistance des symptômes post-

contribuer à l’amplification et/ou la chronicisa-

commotionnels sont le statut socio-économique

tion des symptômes post-commotionnels [10].

bas, des TCC répétés, ou encore l’attente ou

Toutefois, l’interrelation entre les troubles du

la réception d’une compensation monétaire [9].

sommeil et la présence de douleur reste à être

Cependant, il semble que les facteurs d’ordre

déchiffrée car la concomitance est fréquente en

physique autant que psychologique contribuent

clinique et ses impacts sont mal compris tant au

à la chronicité des symptômes. En réalité, les

niveau de l’étiologie, des facteurs de risques ou

troubles du sommeil et la douleur (dont la cé-

de la gestion des TCCL. Cette revue vise à dé-

phalée post-traumatique, les cervicalgies et les

crire l’interaction entre les troubles du sommeil

douleurs musculosquelettiques) sont parmi les

et la douleur chez le sujet victime d’un TCCL.

symptômes qui seraient les plus susceptibles de

Les troubles de sommeil post-TCCL Les troubles du sommeil et de l’éveil rap-

ce en parallèle avec les troubles de l’humeur,

portés par la population TCCL sont suffisam-

telles les conditions de type dépression et an-

ment importants pour que l’on s’y attarde. Plus

xiété [13].

de 97% des vétérans de guerre ayant subi un

Le principal trouble du sommeil et de

TCCL rapportent des troubles de sommeil [11].

l’éveil suite à un TCC est la somnolence diurne

Les troubles du sommeil les plus communs

excessive [14]. Ce trouble est surtout présent en

post-TCCL sont l’hypersomnie (allongement de

phase aiguë, soit dans les trois premiers mois.

la durée de sommeil), l’insomnie (difficulté d’en-

En phase chronique, soit de 3 mois à 2 ans

dormissement et de maintien du sommeil), et le

post-trauma, la somnolence diurne reste pré-

délai de phase (se coucher plus tard et se lever

sente dans 50% des cas, alors que l’insomnie

plus tard) [12]. Ces troubles apparaissent rapi-

et les parasomnies (manifestation physique des

dement, environ 3 jours après le traumatisme et

rêves, cauchemars, paralysie du sommeil…)

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NUMÉRO DOULEUR

persistent chez 25% respectivement [15]. Trois

athlètes sans commotion cérébrale, malgré le

(3) ans après un TCC, deux patients sur trois

fait que les athlètes avec commotion rappor-

souffrent encore de ces troubles du sommeil et

taient une mauvaise qualité de sommeil [19].

de l’éveil [16]. Ces plaintes ne seraient pas liées

Une autre étude a montré une diminution du

à la sévérité du TCC, mais seraient secondaires

stade 1 (endormissement), une augmentation

ou en cause avec les symptômes dépressifs,

de l’efficacité du sommeil ainsi qu’une dimi-

résultats controversés dans d’autres études

nution d’éveil durant le sommeil chez les TCC

[12,15,17-18].

légers en comparaison aux TCC sévères [15].

Toutes les plaintes et troubles du som-

Chez des adolescents ayant subi un TCCL, une

meil mentionnées ci-haut ont fait l’objet d’enre-

étude montre une diminution de l’efficacité du

gistrement du sommeil en laboratoire ou poly-

sommeil, alors qu’une autre n’en trouve aucune

somnographie. Le but principal est de détecter

[20-21]. La table 1 résume les études polysom-

une anomalie dans l’architecture du sommeil.

nographiques sur les TCCL. Tous ces résultats

Une étude réalisée auprès de jeunes athlètes

ne semblent pas se confirmer d’une étude à

ayant subi une commotion cérébrale n’a pas

l’autre; les plaintes de sommeil subjectives ne

montré de différence dans la macrostructure du

seraient pas expliquées par un dérèglement de

sommeil (c.-à-d. pourcentage de chacun des

l’architecture du sommeil.

stades de sommeil) en comparaison avec des

La douleur post-traumatique Selon un article de revue récent, 75%

[22]. Les céphalées post-traumatiques seraient

des patients ayant subi un TCCL souffrent de

la douleur la plus fréquente et représenteraient

douleur chronique et, de façon surprenante, les

près de 60% des symptômes post-commotion-

patients avec TCC léger rapportent plus de dou-

nels rapportés [23]. Le facteur principal associé

leur que les sujets ayant subi un TCC sévère

à un plus haut risque de présenter des douleurs

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SAMAR KKHOURY ET COLL. 43

NUMÉRO DOULEUR

chroniques suivant le TCCL est la présence de

froid. L’utilisation de ce paradigme expérimental

céphalées avant le traumatisme [24-25]. Il a été

pour tester les modalités sensorielles n’a pas

démontré que les patients TCCL présentant un

mis en évidence des différences significatives

syndrome de stress post-traumatique et des

dans la détection du froid et de la douleur chez

symptômes associés à la dépression sont plus

les patients TCCL. Toutefois, tel que rapporté,

à risque de rapporter de la douleur [9,26]. L’in-

nous avons aussi observé (non publié) que le

tensité de la douleur semble être aussi un bon

seuil de détection de la chaleur est sensible-

indice pour prédire de la chronicité des symp-

ment plus élevé que chez les TCCL qui souffrent

tômes post-commotionnels [13,27]. La chro-

de céphalées et de syndromes de stress post-

nicité de la douleur ne semble pas être spéci-

traumatique que chez les sujets sains [29-31].

fique au TCCL, elle est aussi un fardeau chez

Suite à ces observations, on pourrait se ques-

les blessés orthopédiques sans atteintes céré-

tionner sur l’étiologie centrale de la douleur

brales [28].

chez les TCCL [32]. La sensibilité aux modalités

De multiples outils sont disponibles en

sensorielles et non à la douleur expérimentale

laboratoire pour étudier la douleur expérimen-

(au chaud et au froid) chez les TCCL s’avère

tale ainsi que la détection de modalités senso-

donc un moyen intéressant d’étudier les méca-

rielles tels que la température (chaud, froid), la

nismes impliqués dans la douleur, mécanismes

pression, la vibration et la discrimination des

qui semblent paradoxaux. En effet, bien que les

surfaces. L’outil de détection thermique consiste

sujets se plaignent de douleur, celle-ci n’est pas

en une plaque que l’on pose sur l’avant-bras,

objectivée avec les outils sensoriels quantitatifs

qui se réchauffe ou se refroidit, dans un créneau

usuels. Les nouvelles directions de la recherche

de températures cibles. Cet outil nous permet

devraient comporter l’usage de meilleurs outils

de mesurer le seuil de détection de la tempéra-

(c.-à-d. résonnance magnétique fonctionnelle,

ture ainsi que la perception d’une douleur expé-

contrôle nociceptif diffus inhibiteur, test de per-

rimentale causée soit par la chaleur, soit par le

ception de la douleur mécanique) pour mettre

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SAMAR KKHOURY ET COLL. 44

NUMÉRO DOULEUR

en évidence un déficit sensoriel d’origine cen-

à la vibration, aiguilles, pression, etc.?), ou les

trale/périphérique, ou comportemental, à expri-

mécanismes psychophysiologiques (attention

mer la douleur [33]. Une question demeure non-

et vigilance, mémoire de la douleur, dissocia-

répondue : le fait que les patients rapportent de

tion sensorielle et émotive). Une analyse plus

la douleur qui ne peut être «objectivée» à l’aide

poussée en psychophysiologie est requise

de tests sensoriels suggèrerait-il que d’autres

pour mieux comprendre la dichotomie entre les

variables soient en cause? Parmi celles-ci, ci-

plaintes et les mesures de la douleur.

tons la méthode (qu’auraient donné des tests

Concomitance douleurs et troubles du sommeil chez le sujet TCCL Une corrélation entre les troubles du sommeil et

qu’à la douleur [36]. Une étude de dossier chez

la douleur chez les TCCL est également rappor-

les TCCL de notre centre tertiaire hospitalier en

tée [10,34]. Il est même connu que les TCCL rap-

traumatologie a révélé que les patients souffrant

portent plus de troubles de sommeil et de dou-

d’un trouble de sommeil sont plus à risque de

leur que les TCC modérés et sévères [22,35].

rapporter des céphalées, une humeur dépres-

Il a été montré que les patients ayant subi un

sive et de l’irritabilité à 6 semaines post-trauma

TCC rapportent plus de troubles de sommeil

[10]. Une autre étude est arrivée à la même

et de douleur que ceux ayant d’autres troubles

conclusion auprès de patients présentant un

neurologiques [34]. De plus, dans cette popu-

syndrome de stress post-traumatique [37]. La

lation, la douleur est intimement liée au rapport

douleur, les troubles de sommeil et le syndrome

subjectif d’un trouble de sommeil, plus ils rap-

post-traumatique sont devenus une triade domi-

portent de la douleur, plus le rapport subjectif de

nante dite polytraumatique.

sommeil est mauvais [34]. La fatigue contribue

Une des limites des études actuelles est

aussi aux troubles de sommeil post-TCC et a

qu’elles sont basées sur un rapport subjectif des

été associée à l’anxiété, à la dépression ainsi

troubles de sommeil au professionnel traitant.

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SAMAR KKHOURY ET COLL. 45

NUMÉRO DOULEUR

En effet, bien que la nature descriptive de ces

corticale lors du sommeil et que le message

analyses de cohortes offre une identification

sensoriel douloureux traverse la barrière tha-

des facteurs de risques et de prédictions, elle

lamique durant le sommeil. De plus, les TCCL

ne permet pas d’investiguer les liens de cause

souffrant de douleur rapportent 10 fois plus de

à effet.

symptômes dépressifs et 15 fois plus de catas-

Une étude a été réalisée dans notre la-

trophisme face à la douleur que les TCCL qui

boratoire visant à investiguer les bases physio-

n’en souffrent pas. Ces facteurs seraient donc

logiques des observations mentionnées ci-haut

aussi importants dans l’interprétation des don-

sur la relation physiologique entre le sommeil

nées de sommeil. Une analyse plus poussée a

et la douleur. Le sommeil a été étudié de façon

montré que la dépression expliquerait la plainte

quantitative en laboratoire chez 24 patients

de mauvais sommeil [40].

à environ 6 semaines post-TCCL. En compa-

En conclusion, les mécanismes d’inte-

raison au sommeil de sujets sains et de sujets

raction entre la douleur et le sommeil chez cette

TCCL sans douleur, l’analyse quantitative de

population restent à être décortiqués. L’interpré-

l’électroencéphalogramme a révélé que les

tation de ces premiers résultats reste complexe

sujets TCCL qui souffrent de douleur modérée

lorsqu’on tient compte de la présence de signes

à intense présentent une augmentation des

et symptômes multiples (troubles de l’humeur

ondes cérébrales rapides (p.ex., alpha, beta et

et du sommeil concomitant), l’absence d’hyper-

gamma) durant leur sommeil paradoxal [38].

sensibilité à la douleur expérimentale, ceci mal-

Ces résultats mettent en évidence un sommeil

gré des plaintes cliniques importantes. Les ac-

paradoxal plus intense, pouvant être plus ins-

tions délétères de la douleur et des troubles du

table en activité cérébrale. Ce type d’instabilité

sommeil sont-elles indépendantes, en liens de

peut influencer la qualité subjective du som-

causalité, dues à un dysfonctionnement céré-

meil rapportée par les patients TCCL [39]. Ceci

bral suite au TCCL ou dues à une prédisposition

laisse suggérer qu`il n’y a pas de dissociation

génétique ? Toutes ces pistes restent à explorer.

Vol.2 n°1

SAMAR KKHOURY ET COLL. 46

NUMÉRO DOULEUR

De plus, lors d’études futures en sommeil chez les TCCL, la douleur, devrait être considérée comme un facteur crucial du tableau clinique.

Tableau récapitulatif de la littérature sur la polysomnographie de patients TCCL

Vol.2 n°1

SAMAR KKHOURY ET COLL. 47

NUMÉRO DOULEUR

Remerciements et financements SK: C. Best et F. Banting IRSC GL : Chaire de recherche en douleur, sommeil et traumatisme, IRSC NG : FRQ-Santé, Consortium pour le développement de la recherche en traumatologie du Québec, Instituts de recherche en santé du Canada GL, SK et FC: Réseau de recherche sur la douleur – FRQ-Santé; Le fonds de traumatologie Ronald Denis – Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

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REVUE

Perspective des neurosciences sociales sur l’influence des différences individuelles et de la psychopathologie sur l’empathie pour la douleur A social neuroscience perspective on the influence of individual differences and psychopathology on empathy for pain Louis-Alexandre Marcoux, Philip Jackson

Correspondance Philip L. Jackson, PhD École de psychologie Pavillon Félix-Antoine-Savard 2325, rue des Bibliothèques Université Laval Québec, Québec, G1V 0A6 Canada 418 656-2131 poste 5151 [email protected]

Date de réception : Date d’acceptation :

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9 octobre 2012 12 décembre 2012

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Résumé Le nombre imposant d’études s’étant intéressées aux mécanismes neurobiologiques impliqués dans la représentation de la douleur d’autrui a contribué à établir le portrait cérébral de son fonctionnement normal. Cette revue met en lumière les principaux résultats obtenus auprès de populations normales et cliniques, et montre comment un paradigme qui sollicite des composantes de l’empathie, via l’observation de la douleur, peut faire ressortir des différences individuelles et particulièrement l’impact de certaines psychopathologies sur les mécanismes cérébraux impliqués. Ces résultats de recherche ouvrent la porte à une meilleure compréhension de construits psychologiques cliniquement significatifs.

Summary This paper reviews a number of studies in healthy and clinical subjects that have used the representation of other people’s pain as a means to investigate the different dimensions of empathy from a neurophysiological perspective. The findings outline the impact that individual differences and psychopathology can have on the cerebral processes involved in empathy and shed some light on a construct which as a high clinical relevance.

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NUMÉRO DOULEUR

L’

approche des neurosciences so-

brales qui supportent la capacité à se représen-

ciales a pour principal objet l’étude

ter l’expérience de douleur d’autrui et d’utiliser

des systèmes biologiques sous-

ce paradigme pour étudier le lien qui unit les

tendant la dynamique des relations interper-

phénomènes psychologiques aux mécanismes

sonnelles. En considérant la prémisse selon

neurobiologiques. C’est dans ce contexte que

laquelle les phénomènes psychologiques sont

des travaux de recherche sur l’empathie dans

sous-tendus par des mécanismes neurobio-

une perspective des neurosciences sociales ont

logiques, les neurosciences sociales se sont

pris forme et ont amené les chercheurs à établir

également penchées sur l’impact de la psy-

le portrait neurobiologique de son fonctionne-

chopathologie sur le fonctionnement de ces

ment normal. À cette fin, ils ont dû se doter d’une

mécanismes. Au cours des dernières années,

définition permettant à la fois d’opérationnaliser

les chercheurs provenant de cette discipline

le construit et d’en étudier empiriquement ses

ont tenté de mieux comprendre les bases céré-

différentes composantes.

L’empathie L’empathie est définie comme la capa-

jugement moral [2]. L’empathie est considé-

cité à se représenter l’expérience affective

rée par plusieurs comme une disposition innée

de l’autre. Cela implique, au-delà d’un effort

[1,3], qui est amenée, au cours du développe-

cognitif à s’imaginer dans quel état l’autre se

ment, à se complexifier et à être renforcée par

trouve, une disposition à s’identifier émotionnel-

le biais de nos relations interpersonnelles. Des

lement aux sentiments de l’autre et à partager

modèles récents, issus notamment des déve-

son expérience affective [1]. Cet intérêt pour

loppements scientifiques dans le domaine des

l’expérience d’autrui constituerait une motiva-

neurosciences, ont contribué à conceptualiser

tion sous-jacente aux réponses prosociales et

l’empathie comme un processus dynamique

contribuerait également au développement du

impliquant différents niveaux de traitement (voir

Vol.2 n°1

LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 53

NUMÉRO DOULEUR

Figure 1 pour une version actualisée; [1,4] ).

Ils ont également considéré l’importance de la

Decety et Jackson (2004) ont mis en évidence

prise de conscience de ses propres états cor-

la contribution de processus inconscients auto-

porels et affectifs, mais aussi de la capacité à

matisés, tels que la capacité à ressentir le fait

réguler (ou moduler) les états affectifs sollicités

d’être dans un état affectif ou sensoriel spéci-

en contexte relationnel, nous permettant ainsi

fique, ainsi que de processus cognitifs plus ré-

de nous «protéger» contre une immersion totale

fléchis, comme la capacité à prendre la pers-

dans l’état d’autrui.

pective de l’autre, à s’imaginer ce qu’il ressent.

Figure 1. Schématisation dynamique de l’empathie et des processus cognitifs impliqués On peut y apercevoir les principales composantes : (1) partage émotionnel/résonance, (2) flexibilité mentale/prise de perspective, (3) conscience de soi, (4) régulation émotionnelle. Elles sont organisées en fonction de leur niveau respectif de fonctionnement automatique vs délibéré. Le modèle tient également compte de la double influence entre les composantes et l’interaction sociale (soi-autrui). Vol.2 n°1

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NUMÉRO DOULEUR

Portrait neuropsychologique normal de la représentation de la douleur Quels sont les facteurs qui amènent à considérer

tive, agissant sous la forme d’un processus de

l’étude de l’expérience subjective de la douleur

simulation. Il permet de former des modèles

et plus particulièrement de sa perception chez

implicites des comportements et des expé-

l’autre comme une avenue propice à l’explora-

riences des autres à partir de mécanismes

tion des mécanismes sous-tendant l’empathie ?

«miroirs» (pour une vision moins axée sur les

D’un point de vue évolutif, la communication de

mécanismes miroirs, voir [8]). D’un point de vue

la douleur a pour principale fonction protectrice

cérébral, lorsque nous observons une tierce

de signaler notre détresse à l’autre et, de par

personne exprimant de la douleur, des régions

son caractère aversif, d’informer de la présence

au moins partiellement similaires à celles acti-

d’un éventuel danger dans l’environnement et

vées au cours de l’expérience réelle de la dou-

de susciter des comportements visant à soula-

leur sont également sollicitées dans notre cer-

ger cet état [5]. Elle devient ainsi essentielle à

veau. Les mécanismes de résonance peuvent

la survie individuelle et collective, suggérant par

être considérés comme des processus incons-

conséquent qu’elle est profondément inscrite

cients qui génèrent de l’information ensuite uti-

dans la biologie humaine. De plus, on conçoit

lisée par les processus cognitifs plus contrôlés,

maintenant la douleur et sa perception chez

afin d’acquérir une meilleure compréhension

l’autre comme des phénomènes complexes où

des expériences vécues par autrui. Ces méca-

interviennent des processus sensoriels et affec-

nismes, particulièrement ceux de résonance

tifs qui seraient traités par des régions céré-

sensorimotrice, seraient assez primitifs sur le

brales distinctes, mais néanmoins interconnec-

plan ontogénique et pourraient constituer une

tées [6,7].

des composantes de base sur laquelle l’empa-

Un des mécanismes à la base de notre

thie se développe [2,9]. De récentes données

capacité à se représenter la douleur d’autrui

psychophysiologiques

consiste en la résonance sensorielle et affec-

les traces d’une résonance émotionnelle chez

Vol.2 n°1

suggèrent

également

LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 55

NUMÉRO DOULEUR

le nouveau-né, particulièrement sous la forme

tion consciente de nos propres émotions [13].

d’une contagion émotionnelle [10].

Plusieurs facteurs, dont la qualité du lien social

Les études d’imagerie par résonance

ou affectif entre l’observateur et la personne qui

magnétique fonctionnelle (IRMf) réalisées au-

vit une expérience douloureuse (par ex. l’autre

près d’échantillons provenant de la population

est perçu comme agréable vs antipathique) in-

générale, suggèrent que l’observation d’une

fluencent le niveau de résonance sensorielle et

personne qui expérimente de la douleur phy-

affective de l’observateur, mettant en avant-plan

sique engendre une augmentation de l’activité

l’impact des aspects motivationnels et relation-

hémodynamique dans un groupe spécifique de

nels sur la réponse empathique [07]. Plusieurs

régions cérébrales. Ces régions, dont le cortex

autres variables peuvent influencer notre réso-

cingulaire antérieur (CCA), l’insula antérieure

nance à l’expérience douloureuse d’autrui dont

(IA), les cortex somatosensoriel (CS; S1 et S2,),

notamment la nature de la douleur expérimen-

l’aire motrice supplémentaire, la substance grise

tée et observée (pour une revue voir [14]).

périaqueducale ainsi que le cortex préfrontal

Néanmoins, dans le présent article, l’in-

(CPF) formeraient un système nous permettant

térêt sera plus particulièrement porté sur les

de détecter la douleur d’autrui [2]. Plus spéci-

caractéristiques individuelles pouvant influen-

fiquement, l’activation des CS pourrait avoir le

cer notre représentation cérébrale de la dou-

potentiel unique de procurer une dimension so-

leur d’autrui. Les résultats de récents travaux

matique à notre perception des expériences des

de recherche effectués auprès d’échantillons

autres [11], notamment par l’évaluation de l’in-

normaux soulèvent des questionnements et

tensité de l’expérience nociceptive [12]. Quant

des pistes de recherche à propos de l’impact

aux processus de résonance émotionnelle, ils

possible de conditions pathologiques sur la

semblent sous-tendus plus particulièrement

représentation cérébrale de la douleur d’autrui

par l’activité du CCA et de l’IA, régions notam-

[07,15,16,]. C’est le cas notamment d’une étude

ment reconnues pour leur rôle dans la percep-

réalisée auprès d’un large échantillon d’hommes

Vol.2 n°1

LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 56

NUMÉRO DOULEUR

et de femmes provenant de la population géné-

vation de stimuli douloureux comme la détresse

rale qui démontrent que la résonance sensori-

personnelle [15]. Ces différences individuelles

motrice à la douleur d’autrui peut être positive-

peuvent traduire la variabilité de l’empathie à la

ment associée à certains traits de personnalité

douleur dans la population générale. Toutefois,

tels que la capacité d’une personne à adopter

elles suggèrent également que la présence plus

le point de vue d’une autre, mais peut égale-

rigide de certains traits, telle qu’observée dans

ment être négativement associée aux réactions

les pathologies de la personnalité, puisse être

émotionnelles aversives découlant de l’obser-

associée aux altérations de l’empathie.

La résonance sensorielle est-elle essentielle ? Bien que les premières études portant sur la

une autre personne (pour une revue, voir [11]).

perception de la douleur d’autrui par le biais de

Cela implique-t-il que nous devons absolument

l’IRMf, dont ceux de Singer et collègues (2004),

être en mesure de ressentir de façon vicariante

Morrison et collègues (2004) et Jackson et col-

la douleur pour se représenter et juger de l’in-

lègues (2005), aient suggéré que seule la di-

tensité de l’expérience de douleur d’autrui? Les

mension affective puisse être nécessaire pour

travaux du Dr Danziger auprès de patients at-

se représenter l’expérience douloureuse d’une

teints d’insensibilité congénitale à la douleur ont

tierce personne, un nombre important d’études

permis de faire la lumière sur l’impact que peut

a subséquemment confirmé et clarifié le rôle de

avoir l’incapacité à ressentir corporellement sa

la résonance sensorielle [11,20,21]. Il a notam-

propre douleur sur sa capacité à se représenter

ment été démontré que la résonance sensorielle

l’expérience de douleur d’autrui. Les résultats

est plus spécifiquement recrutée lorsque notre

d’études effectuées auprès de ces patients sug-

attention est dirigée vers la cause somatique

gèrent qu’en dépit d’une absence de résonance

de la douleur, comme c’est le cas lorsque nous

somatosensorielle [22], l’activité des régions

évaluons l’intensité de la douleur perçue chez

dédiées au traitement affectif de la douleur était

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LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 57

NUMÉRO DOULEUR

maintenue chez ces participants et que celle-

d’insensibilité congénitale à la douleur, suggère

ci, ainsi que leur disposition à évaluer l’inten-

le recours à une représentation plus cognitive

sité de la douleur perçue, était étroitement liée à

chez ces individus [23]. Celle-ci serait rendue

leur capacité d’empathie, plus particulièrement

possible par le biais d’apprentissages, étant

à leur propension à s’imaginer la détresse des

donné que l’activité de cette région préfrontale

personnes en douleur [23]. La corrélation posi-

permet d’intégrer les informations nécessaires

tive entre les capacités d’empathie auto-rappor-

pour donner un sens affectif à l’expérience de

tées et l’activation du CPF ventromédial, uni-

l’autre [24], et dans ce contexte-ci, la souffrance

quement trouvée chez les participants souffrant

de l’autre en douleur.

Contribution fondamentale de la dimension affective De façon récurrente, les résultats des études

miques. L’alexithymie renvoie aux difficultés de

portant sur la perception de la douleur suggèrent

reconnaissance et d’expression émotionnelle

la contribution significative des régions asso-

plus communément décrites par une absence

ciées à la dimension affective, particulièrement

de mots pour décrire ses émotions [25]. Une

dans le partage des émotions négatives décou-

étude effectuée par le groupe de Moriguchi

lant de l’expérience de la douleur [2]. Il a été

(2007) a démontré une réduction de l’activité

suggéré que la capacité d’un individu à recon-

du CPF dorsolatéral ainsi que du CCA pendant

naître et à acquérir une meilleure connaissance

une tâche de perception de la douleur d’autrui

de ses propres états émotionnels, constituerait

chez des participants alexithymiques identifiés

la base sur laquelle se développe l’identification

par une mesure autorapportée. Les résultats

aux émotions d’autrui [1]. Certains chercheurs

comportementaux révèlent également une éva-

ont tenté d’évaluer l’impact de l’altération de

luation plus faible de l’intensité de la douleur

cette capacité sur l’aptitude à se représenter la

perçue chez ces participants comparativement

douleur d’autrui chez des participants alexithy-

aux participants contrôles. Ces résultats, ainsi

Vol.2 n°1

LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 58

NUMÉRO DOULEUR

que ceux d’une étude de Bird et coll. (2010) au

d’autrui. Bien que l’alexithymie ne possède pas

cours de laquelle une association négative entre

de statut clinique clairement défini, elle demeure

le degré d’alexithymie et l’activité de l’IA a été

une dimension clinique fréquemment observée

trouvée durant une tâche similaire, supportent

à des niveaux variables de sévérité, au sein de

l’hypothèse selon laquelle l’alexithymie se ca-

différentes psychopathologies [27], et suggère

ractérise par un affaiblissement des fonctions

l’existence d’un lien neurobiologique entre la

affectives nécessaires à la prise de conscience

sensibilité à sa propre expérience et à celle de

de ses émotions, et par conséquent, de la capa-

l’autre.

cité à s’imaginer la dimension affective de l’état

Quand la personnalité devient pathologique Le trouble de la personnalité limite est carac-

leur chez des patients limites se sont orientées,

térisé par une profonde instabilité affective où

jusqu’à présent, sur la perception de leur propre

les émotions sont vécues avec une vive inten-

douleur. Il semble que les patients limites pré-

sité et de fortes fluctuations. Cette instabilité

sentant des comportements auto-mutilatoires

se traduit également dans les processus de

ont un seuil de sensibilité à la douleur plus élevé

pensée particulièrement dichotomiques de ces

et que celui-ci serait positivement associé à la

individus, dans leurs comportements auto et

valence émotionnelle accordée à la stimulation

hétéro-agressifs ainsi que dans leurs relations

douloureuse ainsi qu’à l’état affectif ressenti

interpersonnelles bien souvent chaotiques [3].

durant la stimulation [29]. Au niveau cérébral, il

Le portrait neurobiologique de ces individus

a été démontré qu’une interaction existe entre

est teinté par une hypersensibilité du système

l’augmentation de l’activité du CPF dorsolatéral

limbique, notamment de l’amygdale et un fonc-

durant l’expérience réelle d’une douleur phy-

tionnement limité des régions préfrontales [28].

sique et la diminution simultanée de l’activité de

Les études portant sur la perception de la dou-

régions limbiques telles que le CCA et l’amyg-

Vol.2 n°1

LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 59

NUMÉRO DOULEUR

dale chez ces individus [30]. Ce patron d’activité

chez ces individus, et leur expérience réduite de

cérébrale témoigne de la contribution de la dou-

la peur [36] ainsi que leur difficulté à établir des

leur dans l’augmentation de l’activité préfrontale

liens entre les conséquences de leurs actes et

et conséquemment d’une diminution de l’activité

les sanctions qui y sont associées [37]. Il existe

limbique produisant systématiquement un effet

un lien étroit entre la peur et la fonction protec-

apaisant [31]. Considérant le lien existant entre

trice de la douleur, rendant pertinente l’étude de

la perception de sa propre douleur et celle de

la perception de la douleur chez l’autre visant à

l’autre [32], et le fait que ces individus peuvent

mieux comprendre et analyser chez ces indivi-

se couper de leur expérience affective, il serait

dus ce qui est décrit comme une insensibilité à

intéressant d’évaluer si cette inhibition de l’acti-

la détresse de l’autre. Les études réalisées au-

vité de l’amygdale est reliée à une plus faible

près d’échantillons provenant de la population

capacité à se représenter la douleur d’autrui et

générale gagnent en popularité étant donné la

par conséquent être en partie responsable de

place plus importante qu’a prise la notion de di-

l’instabilité de leur capacité d’empathie [33, 34].

mensionnalité dans la compréhension théorique

La psychopathie constitue un trouble de

des troubles de la personnalité. L’étude de Fec-

la personnalité sévère et complexe, marqué par

teau et collègues (2008) a permis de démon-

des perturbations de l’expérience affective et re-

trer l’impact de traits psychopathiques dans un

lationnelle ainsi que par une forte propension à

échantillon non clinique sur la résonance sen-

l’antisocialité, impliquant une prédisposition aux

sorimotrice à la douleur d’autrui. À l’aide de la

comportements antisociaux dès le plus jeune

stimulation magnétique transcrânienne (TMS),

âge [35]. Les recherches en neurosciences se

ces auteurs ont observé chez leurs participants

sont particulièrement intéressées aux altérations

la réduction normalement attendue de l’activité

émotionnelles observées chez ces individus,

corticospinale lors de l’observation de stimuli

suggérant un lien entre les faibles activations de

douloureux [38], suggérant une capacité de

l’amygdale et du CPF ventromédial observées

résonance sensorimotrice préservée chez l’en-

Vol.2 n°1

LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 60

NUMÉRO DOULEUR

semble des participants. Toutefois, ils ont égale-

participants, on découvre (comme dans Fec-

ment découvert que plus les résultats à l’échelle

teau et coll., 2008) que plus les traits associées

de froideur émotionnelle de l’Inventaire de Per-

à la dimension affective et relationnelle de la

sonnalité Psychopathique (PPI) étaient élevés

psychopathie sont élevés, plus la modulation de

plus cette réponse était importante (c.-à-d. plus

la réponse somatosensorielle lors de l’observa-

grande réduction de l’activité corticospinale).

tion de la douleur est importante. Finalement,

Ceci suggère qu’une résonance sensorimotrice

bien qu’une plus forte modulation de la réponse

accrue puisse être observée malgré la présence

somatosensorielle lors de l’observation de la

de traits de personnalité associés à la dimen-

douleur d’autrui ait été observée chez les par-

sion affective de la psychopathie. Une étude de

ticipants présentant des traits psychopathiques,

notre laboratoire s’est également intéressée à la

il n’en demeure pas moins qu’ils sont significati-

résonance à la douleur d’autrui d’un échantillon

vement moins sensibles à la détresse de l’autre

d’hommes en comparant deux groupes qui se

comme l’indiquent leurs résultats à une mesure

différenciaient sur la base de leurs résultats ex-

d’empathie autorapportée. Les résultats de

trêmes à une mesure de la psychopathie (LSRP)

cette étude suggèrent donc que la résonance

[39]. Les résultats de cette étude d’électroencé-

somatosensorielle puisse être modulée par des

phalographie (EEG) suggèrent une différence

processus affectifs et cognitifs et qu’une plus

significative de la modulation de l’activité corti-

grande modulation de cette activité n’implique

cale somatosensorielle entre les deux groupes

pas nécessairement une plus grande sensibilité

lors de l’observation de la douleur d’autrui. En

à la détresse de l’autre.

effet, une modulation significative de l’activité

Le trouble des conduites (TC) s’exprime

somatosensorielle est uniquement trouvée au

à l’adolescence principalement par la présence

sein du groupe de participants présentant des

de comportements récurrents portant atteinte

traits psychopathiques. Lorsque l’activité soma-

aux droits d’autrui et violant les normes sociales.

tosensorielle est analysée sur l’ensemble des

Les agressions physiques et psychologiques

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LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 61

NUMÉRO DOULEUR

répétées des ces jeunes à l’égard des autres

sultat pourrait refléter le manque de régulation

ont pour principale conséquence d’appauvrir

émotionnelle caractéristique du portrait clinique

leurs relations interpersonnelles, les prédispo-

de ces jeunes ainsi que la pauvreté de la valeur

sant à une évolution de leurs difficultés vers une

affective attribuée à l’expérience de détresse de

pathologie de la personnalité, dans certains cas

l’autre et la faiblesse de leur jugement moral.

la psychopathie [35]. Une étude en IRMf portant

Une étude récente de Decety et Khiel

sur la perception de la douleur d’autrui réalisée

(sous presse) réalisée auprès de psychopathes

auprès de ces jeunes montre que non seule-

criminels démontre que plus les dimensions

ment leur capacité de résonance à la douleur

relationnelles et affectives de la psychopathie

des autres se comparerait à celle des autres

(c.-à-d. sévérité du narcissisme) sont présentes

jeunes, il semble même que leur résonance sen-

chez leurs participants, plus l’activité de l’insula

sorimotrice serait significativement supérieure

est réduite et plus celles de l’amygdale et du

à celle de participants contrôles [40]. De plus,

striatum ventral sont élevées dans la condition

certaines régions cérébrales, dont l’amygdale

d’observation de stimuli douloureux [41]. Des

et le striatum, seraient spécifiquement activées

analyses de connectivité fonctionnelle entre

chez ce groupe de jeunes lors de l’observation

l’activité de l’amygdale et celle du cortex orbi-

des stimuli douloureux, et seraient aussi positi-

tofrontal suggèrent que plus la sévérité de la

vement corrélées avec le nombre d’agressions

psychopathie est élevée plus la connectivité

commises et leurs résultats à une échelle de

fonctionnelle entre ces deux régions est réduite,

sadisme autorapportée. En expliquant aux par-

un patron de réponse qui est similaire à celui re-

ticipants que la douleur observée était intention-

trouvé chez les adolescents TC. Globalement,

nellement causée par une tierce personne, ils

les résultats de cette étude mettent en avant

ont constaté une diminution de la connectivité

plan l’altération de la régulation émotionnelle au

fonctionnelle entre l’amygdale et le CPF unique-

cours de l’observation de la douleur vécue par

ment chez les jeunes présentant un TC. Ce ré-

une tierce personne, suggérant que le système

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LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 62

NUMÉRO DOULEUR

responsable de la peur et celui de la sensibilité

lents confirme cette hypothèse, démontrant une

à la détresse de l’autre ne s’activent pas au pro-

sensibilité plus élevée à la douleur d’autrui chez

fit de l’activation de régions associées au sys-

les criminels sadiques, notamment par l’activa-

tème de récompense (pour une revue voir [42]).

tion significativement supérieure de l’amygdale

Les études effectuées auprès de participants

et de l’insula dans ce groupe de participants

présentant des troubles de la personnalité sug-

lors de l’observation de stimuli douloureux [43].

gèrent qu’une sensibilité accrue à la douleur

Cette sensibilité à la douleur d’autrui semble

d’autrui n’est pas synonyme d’empathie. Une

faire l’objet de leur plaisir plutôt que d’induire

récente étude réalisée auprès de criminels vio-

une motivation prosociale.

Conclusion Le nombre imposant d’études s’étant intéres-

biologiques impliqués dans la représentation

sées aux mécanismes neurobiologiques impli-

de la douleur d’autrui à différents niveaux. En

qués dans la représentation de la douleur d’au-

premier lieu, et parallèlement aux travaux effec-

trui a contribué à établir un portrait de plus en

tués auprès d’échantillons normaux, ces études

plus clair de son fonctionnement normal. Ces

ont mis en lumière la dynamique des proces-

travaux suggèrent que notre perception d’une

sus neurobiologiques où les interactions entre

autre personne en douleur peut varier, non seu-

les différentes structures constituent, au-delà

lement en fonction de la nature de l’expérience

de l’activation spécifique d’une seule région, un

douloureuse observée et du contexte dans le-

facteur discriminant d’une pathologie à l’autre.

quel se déroule cette expérience, mais aussi en

Plus particulièrement, il semble possible d’ob-

fonction de nos propres caractéristiques indivi-

server la variabilité dans la magnitude ainsi que

duelles. Les études réalisées auprès d’échan-

la synchronisation des activations et l’impact

tillons cliniques ont d’ailleurs permis d’enrichir

significatif que peut avoir par exemple, une ré-

notre compréhension des mécanismes neuro-

sonance excessive qui n’est pas régulée adé-

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LOUIS-ALEXANDRE MARCOUX ET COLL. 63

NUMÉRO DOULEUR

quatement sur la réponse comportementale

gnificatifs tels que le jugement moral. Bien que

réduite à la douleur d’autrui. Ces études offrent

les avancées technologiques des techniques

des pistes intéressantes pour comprendre

d’imagerie cérébrale et particulièrement de la

les mécanismes qui sous-tendent la capacité

stimulation transcrânienne puissent susciter

d’empathie ainsi que la spécificité des atteintes

une réflexion autour de leur contribution à des

observables au plan clinique d’une pathologie

fins thérapeutiques (comme la stimulation de

à l’autre. À l’heure actuelle, certaines études

la cognition sociale [45]), il est encore tôt pour

ont été en mesure d’établir des liens neurobio-

envisager une utilisation clinique. Néanmoins,

logiques entre la capacité à se représenter la

il est possible de constater l’apport majeur des

douleur physique d’autrui et la douleur psycho-

neurosciences sociales dans l’enrichissement

logique telle qu’évoquée par le rejet social (voir

des connaissances théoriques différentielles à

[44]). Ces travaux de recherche constituent une

propos de la psychopathologie. Nous croyons

avenue novatrice dans l’étude neuroscientifique

que la considération de ces travaux par les cli-

de l’empathie à partir de protocoles de plus en

niciens puisse être pertinente particulièrement

plus écologiques sur le plan clinique. Ils ouvrent

dans l’établissement d’un diagnostic différentiel,

donc la porte à une meilleure compréhension

de l’évaluation du pronostic de traitement et de

de construits psychologiques cliniquement si-

la «traitabilité» des pathologies les plus sévères.

Remerciements et financements Les auteurs souhaitent remercier Mathieu Grégoire, Michel-Pierre Coll et Sébastien Hétu pour leurs commentaires sur des versions antérieures du manuscrit. Le travail de recherche effectué par les auteurs est supporté par une subvention des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) à Philip Jackson.

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REVUE

Bases moléculaires de la mécanotransduction et rôle des protéines Piezo Molecular bases of mechanotransduction and the role of Piezo proteins Reza Sharif-Naeini, Craig Stanton, Behrang Sharif, Albena Davidova

Correspondance Reza Sharif-Naeini, PhD Département de physiologie et groupe des Systèmes d’Informations Cellulaires Université McGill 3655, Promenade Sir William Osler, suite 1021 Montréal, Québec, H3G 1Y6 Canada 514 398-5361 [email protected]

Date de réception : Date d’acceptation : Vol.2 n°1

25 avril 2012 29 octobre 2012 R. SHARIF-NAEINI ET COLL. 68

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Résumé La mécanotransduction consiste en la conversion d’un stimulus mécanique en un signal électrique. Ce procédé est d’une importance fondamentale pour plusieurs fonctions neurologiques, incluant nos sens du toucher et de l’ouïe, ainsi que pour notre capacité à détecter des signaux douloureux de l’environnement. Les canaux ioniques mécanosensibles (MSCs pour mechanosensitive ion channels) sont des protéines membranaires responsables de la plupart des procédés de la mécanotransduction, cependant leur identité moléculaire n’a pas encore été clairement déterminée. Étant donné que ces canaux sont impliqués dans plusieurs pathologies du système nerveux, telles la douleur inflammatoire [1] et la surdité [2], leur identification moléculaire et la compréhension de leur mécanisme d’activation pourraient mener à de nouvelles stratégies thérapeutiques dans plusieurs domaines cliniques. Plusieurs candidats ont été identifiés dans le passé en tant que canaux impliqués dans la mécanotransduction, mais aucun ne possédait les propriétés intrinsèques caractéristiques des MSCs. Cependant, une série d’études récentes a identifié les protéines Piezo (du mot grec piezein signifiant pression) comme mécanosenseurs dans les neurones sensoriels des mammifères. Bien que certains points essentiels restent à clarifier sur le plan biophysique, cette découverte représente une avancée majeure dans le domaine de la mécanotransduction, et ces protéines pourraient très bien représenter d’importantes cibles thérapeutiques.

Summary Mechanotransduction consists in the conversion of a mechanical stimulus into an electrical signal. This process is of fundamental importance to several neurological functions, including our senses of touch and hearing, as well as our ability to detect painful signals from our environment. Mechanosensitive ion channels (MSCs) are membrane proteins responsible for most mechanotransduction processes, yet their molecular identity has not been clearly determined. Because these channels are implicated in several pathologies of the nervous system, such as inflammatory pain and deafness, their molecular identification, and the understanding of their gating may lead to novel therapeutic strategies in several clinical fields. In the past, many candidates have been implicated in mechanotransduction, yet none had the intrinsic properties that are characteristic of the MSC. However, a series of recent studies has identified Piezo proteins as mechanosensors in mammalian sensory neurons. Although several essential points pertaining to their biophysical properties remain to be clarified, this discovery represents a major breakthrough in the field of mechanotransduction and these proteins may very well become important therapeutic targets. Vol.2 n°1

R. SHARIF-NAEINI ET COLL. 69

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Rôle des MSCs dans les fonctions sensorielles des organismes primitifs Bien que les MSCs aient des fonctions uniques

tifiés : OSM-9 (OSMotic avoidance abnormal

chez les organismes primitifs comme E. coli,

family member 9) et OCR-2 (OSM-9 and Cap-

telles que protéger la bactérie d’une lyse en

saicin-receptor Related-2) [10]. D’autres neu-

conditions hypotoniques [3,4], ces canaux ont

rones sensibles au toucher, localisés sur le côté

évolué de façon à être responsables de fonc-

du corps du ver, induisent aussi un changement

tions spécialisées chez les organismes mul-

de direction du nématode [11]. Dans ces neu-

ticellulaires. Ces dernières incluent des fonc-

rones, la réponse mécanosensible est induite

tions neurosensorielles telles que le toucher

par un complexe protéique de la famille des dé-

[5], l’ouïe [6], la sensibilité à la douleur méca-

génerine-ENaC (DEG/ENaC) nommé MEC [11].

nique [1,7] ainsi que les fonctions cardiovas-

Bien que les protéines MEC-4 et MEC-10 soient

culaires telles que le baroréflexe [8] et le tonus

soupçonnées de former des canaux ioniques

myogénique [9].

dans ce complexe, elles ne retiennent pas leur

Une partie de notre compréhension ac-

mécanosensibilité lorsqu’elles sont exprimées

tuelle du rôle des MSCs dans la sensation du

dans des systèmes hétérologues [12]. Il a été

toucher provient d’études chez le nématode

proposé que des protéines accessoires sont né-

Caenorhabditis elegans (C. elegans). Dans des

cessaires, telles que la protéine stomatin-like,

expériences examinant la réponse du toucher

MEC-2, et la protéine paraoxonase-like, MEC-

au nez (nose-touch), caractérisée par un chan-

6 [13], la protéine de la matrice extracellulaire

gement de direction du ver lorsqu’il entre en col-

MEC-1, et les tubulines MEC-7 et MEC-12 [14].

lision avec un objet sur son trajet, deux canaux

L’association de ces éléments formerait donc un

ioniques appartenant à la famille des canaux

complexe supramoléculaire conférant la méca-

Transient Receptor Potential (TRP) ont été iden-

nosensibilité neuronale à C. elegans [12].

Vol.2 n°1

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NUMÉRO DOULEUR

Rôle des MSCs dans la mécanosensation des mammifères La majeure partie de notre compréhension ac-

la peau [16]. Ces trois mécanorécepteurs sont

tuelle de la mécanosensation chez les mammi-

caractérisés par leur bas seuil d’activation par

fères provient d’études portant sur la sensation

des stimuli mécaniques. Les mécanorécepteurs

du toucher ainsi que sur l’innervation de la peau

à bas seuil (MBS) se trouvent surtout dans des

par des neurones mécanosensibles. Certains

neurones à large corps cellulaire et à axone

récepteurs dans la peau peuvent détecter les

myélinisé de type Aᵦ, mais peuvent également

sensations tactiles qui peuvent être séparées

être dans des neurones à plus petit soma et fai-

en trois modalités : le toucher, la pression et la

blement myélinisé de type Ad ou non myélinisés

vibration. Les terminaisons des neurones sen-

de type C [17].

soriels expriment des récepteurs périphériques

La cinétique d’adaptation est un para-

qui existent sous une forme « libre », ou encas-

mètre important servant à caractériser les MBS.

trés dans une structure anatomique plus com-

Les mécanorécepteurs à adaptation rapide

plexe, appelée un mécanorécepteur spécialisé.

(AR) qui innervent la peau glabre et velue ne

Aux fins de simplicité, les neurones sensoriels

produisent que de brèves rafales de poten-

exprimant ces complexes mécanorécepteurs

tiels d’action en réponse à un stimulus méca-

sont appelés « neurones mécanorécepteurs ».

nique soutenu (Figure 1A, panneau gauche;

Dans la peau, le toucher est détecté par les cor-

Figure 1B panneaux du haut), et sont respon-

puscules de Meissner ainsi que par les récep-

sables des sensations tactiles du toucher et de

teurs des follicules pileux [15]. La vibration est

la vibration [15]. Dans la peau velue, les ter-

détectée par les terminaisons encastrées dans

minaisons lancéolées et les afférents de type

des corpuscules de Pacini [15], et la pression

circonférentiel s’enroulent autour des follicules

est détectée par les complexes neurite-cellule

pileux afin de signaler les mouvements des

de Merkel et par des corpuscules de Ruffini,

poils [16]. Les branches des afférents de type

lesquels se trouvent plus en profondeur dans

AR dans la peau glabre sont encastrées dans

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NUMÉRO DOULEUR

A

B

Stim 8 4 0

50 pA 25 ms

100 pA 0.4 s

AR - corpuscule de Meissner

AL-I - Cellule de Merke

stimulus

stimulus

AR - Corpuscule de Pacini stimulus

AL-II - Corpuscule de Ru stimulus

Figure 1. Cinétiques d’adaptation des mécanorécepteurs (A) Représentation des courants cellulaires obtenus par la stimulation mécanique des mécanorécepteurs à adaptation rapide (panneau du haut) et représentation du modèle de décharge des potentiels d’action dans les mécanorécepteurs à bas seuil avec une adaptation rapide en réponse à un stimulus mécanique (barre). (B) Courants cellulaires des mécanorécepteurs à adaptation lente (panneaux du haut) et modèles de décharge des potentiels d’action dans les mécanorécepteurs à bas seuil avec une adaptation lente (panneaux du bas).

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NUMÉRO DOULEUR

des corpuscules de Pacini ou de Meissner, res-

finissent dans des corpuscules de Ruffini et sont

ponsables de la détection de vibration et du co-

sensibles à l’étirement de la peau. Outre les ré-

dage des textures [15]. Contrairement au mode

cepteurs du toucher, une autre série de neurones

AR, les mécanorécepteurs à adaptation lente

sensoriels sont responsables de la détection de

(AL) maintiennent leur décharge de potentiels

stimuli mécaniques douloureux, et sont appelés

d’action pour une période plus longue lors d’une

des nocicepteurs. Ces nocicepteurs sont d’une

stimulation mécanique soutenue (Figures 1A

grande importance physiologique puisqu’ils si-

droite et 1B panneaux du bas). Les mécano-

gnalent à l’organisme les dommages potentiels.

récepteurs spécialisés dans la détection de la

Contrairement à la plupart des récepteurs du

pression sont considérés comme des afférents

toucher, les nocicepteurs ont des terminaisons

de type AL-MBS. Ces derniers peuvent être di-

nerveuses libres, des corps cellulaires de petits

visés en afférents de type AL-I et AL-II. Les pre-

diamètres, et des axones peu myélinisés (fibres

miers contactent les cellules de Merkel et sont

A-d) ou non-myélinisés (fibres C). Ces derniers

responsables de la haute précision spatiale des

ont un seuil élevé pour l’activation par des sti-

récepteurs du toucher et représentent les ca-

muli mécaniques, donc seuls les stimuli forts

ractéristiques des objets telles que les rebords

(et conséquemment douloureux) induiront une

et les courbures [16]. Les afférents de type AL-II

réponse dans ces neurones [17].

Modèles proposés pour l’activation des MSCs Bien qu’il soit accepté que les forces méca-

duction : le modèle de la bicouche et le modèle

niques ouvrent les canaux MSCs, le mécanisme

à ancrage. Les MSCs étant insérés dans la

précis qui induit cette ouverture n’est pas entiè-

bicouche lipidique de la membrane plasmique,

rement clair. Deux modèles ont été proposés

le modèle de la bicouche stipule que la force

afin d’expliquer le processus de mécanotrans-

qui induit l’ouverture est la tension présente

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A ext

+ + ++ + + + + + +

int

+

T

+

ext

int

+

T

ext

int

+

B

+

+ + ++ + + + + + +

+ + + + +

ext

+ +

+

+

int

T

+ + + + + +

T

Figure 2. Modèles proposés pour l’activation des canaux MSCs Les canaux MSCs (verts) sont insérés dans la bicouche lipidique de la membrane plasmique. (A) La force d’activation peut être la tension (T) dans les lipides entourant les canaux, entraînant l’ouverture des canaux et l’influx de cations de l’extérieur (ext) vers l’intérieur (int) de la cellule. (B) La tension peut également être transmise par les éléments de la matrice extracellulaire (non représentée ici) ou du cytosquelette ancrés au canal.

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dans les lipides entourant le canal. Une aug-

Ceci suggère que le canal répond directe-

mentation de la tension induit un changement

ment aux forces d’étirement dans la bicouche

de conformation du canal, menant à son ouver-

lipidique. Dans le modèle à ancrage, la tension

ture (Figure 2A), tel que démontré pour le canal

membranaire peut être transmise à partir de la

mécanosensible bactérien MscL [18]. Effective-

matrice extracellulaire ou d’éléments du cytos-

ment, le groupe de Sukharev et collègues [18]

quelette (Figure 2B) ancrés aux sous-unités du

a démontré que le canal MscL de E. coli retient

canal [19]. Ce type de régulation est soutenu

son activité mécanosensible lorsque reconsti-

par des études démontrant que les stress mé-

tué dans une bicouche artificielle dépourvue de

caniques induits spécifiquement dans le cytos-

cytosquelette et autres protéines accessoires.

quelette d’actine peuvent activer les MSCs [20].

Protéines candidates responsables des sensations du toucher et de la douleur chez les eucaryotes Critères de mécanosensibilité Le type de MSC le plus étudié est le canal catio-

(1) in vivo et (2) au niveau cellulaire, (3) que

nique non-sélectif. Lorsque ce canal est ouvert

l’expression de la protéine dans les systèmes

par un stimulus mécanique, les cations entrent

hétérologues (HEK293T, COS-7 ou CHO) en-

dans la cellule et dépolarisent la membrane

traîne une augmentation de la mécanosensibili-

neuronale, déclenchant ainsi un potentiel d’ac-

té cellulaire. Étant donné que tous les systèmes

tion. Plusieurs critères doivent être satisfaits

hétérologues expriment des canaux MSC endo-

afin de confirmer la mécanosensibilité intrin-

gènes, il est toujours difficile de déterminer si

sèque d’une protéine formant un MSC. Il faut

l’augmentation de la réponse aux stimuli méca-

que l’inactivation de la protéine (par inhibiteurs,

niques est due à un nouveau canal exprimé par

ou inactivation du gène codant pour la protéine)

les cellules, ou s’il y a une augmentation du

entraîne une baisse de la mécanosensibilité

niveau d’expression du canal endogène. Il faut

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donc que (4) la reconstitution de la protéine can-

macromoléculaire. L’absence de la protéine per-

didate dans une bicouche artificielle reproduise

turberait alors l’activité du complexe et réduirait

des courants mécanosensibles. La limitation

la mécanosensibilité, mais l’expression de la

des critères (3) et (4) est qu’il est possible que le

protéine candidate toute seule ne conférerait

canal MSC neuronal fasse partie d’un complexe

pas de changement de mécanosensibilité.

Protéines candidates pour le MSC neuronal Le canal sensible à l’acidité extracellulaire

ASICs semblent jouer un rôle général dans l’ex-

(ASICs pour Acid Sensing Ion Channels [21])

citabilité des neurones sensoriels et leur sensi-

est un candidats MSC d’après son homologie

bilité à certaines toxines [27], mais n’ont pas, en

avec les protéines MEC de C. elegans [22].

tant que tel, une mécanosensibilité intrinsèque.

Les canaux ASIC2 et ASIC3 sont co-exprimés

La famille des canaux TRP a aussi été

dans les terminaisons périphériques des méca-

mise en valeur en tant que candidats MSCs.

norécepteurs cutanés. L’inactivation des gènes

Ces canaux possèdent des homologues dans

(knockout) codant pour ASIC2 et ASIC3 chez

des organismes tels que le ver C. elegans, la

la souris entraîne des défauts de mécanosen-

drosophile, la souris et l’humain, suggérant une

sibilité dans une préparation ex-vivo de type

famille de protéines hautement conservée. La

nerf-peau [23, 24]. Cependant, une analyse en

plupart des canaux TRP sont cationiques non-

profondeur a démontré qu’il n’y avait pas d’effet

sélectifs avec une faible dépendance au vol-

significatif sur les courants mécanosensibles

tage membranaire et sont impliqués dans une

dans les neurones isolés à partir de souris

grande variété de fonctions cellulaires, allant de

knockout pour ASIC2 ou ASIC3 [25]. Il en est

la thermosensibilité [28; 29] à l’osmosensibilité

de même pour le canal ASIC1, dont la délétion

[30; 31] ainsi qu’à la mécanotransduction [32].

n’entraîne pas d’effet sur la mécanotransduc-

Dans la famille des TRP, le sous-type de canaux

tion cutanée [26]. Dans l’ensemble, les canaux

vanilloides (TRPV) comprend des candidats qui

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ont été proposés de fonctionner en tant que

Après ces échecs, la quête du canal MSC

canaux MSC. Le canal TRPV4, par exemple,

cationique des mammifères a récemment atteint

est impliqué dans l’ouïe [33], l’osmosensibilité

une étape importante, avec la découverte d’un

[31,34] et la sensation de douleur [35], satis-

gène codant pour une protéine mécanosensible

faisant ainsi les critères 1 et 2, mais n’est pas

(critères 1-3). Dans une série d’études récentes

mécanosensible de façon intrinsèque (critère

effectuée par le groupe du Dr Patapoutian, la

3) [34; 36]. Le canal TRPA1 est un autre canal

protéine Piezo1 semble avoir émergé comme

possiblement impliqué dans la perception du

un candidat MSC très prometteur. En se foca-

toucher [37,38]. Une des caractéristiques impor-

lisant sur la lignée cellulaire Neuro2A (N2A),

tantes de TRPA1 est qu’elle contient plusieurs

issue de neuroblastes de souris et exprimant un

motifs ankyrine (motif permettant l’interaction

courant mécanosensible, ce groupe a dressé,

entre protéines, composé de deux hélices alpha

à l’aide de puces à ADN, une liste de gènes

séparées par des boucles) dans sa portion cyto-

dont la prédiction bio-informatique indiquait

solique amino-terminale qui pourraient ancrer le

la présence d’au moins deux domaines trans-

canal au cytosquelette, permettant ainsi un cou-

membranaires [41]. En examinant seulement

plage entre son ouverture et les mouvements

les gènes encodant des canaux et ceux dont la

du cytosquelette [39]. Ce canal est présent

fonction est inconnue, ce groupe a réduit l’ex-

dans les neurones sensoriels de types Ad et C.

pression de ces candidats individuellement par

Les souris chez lesquelles le gène codant pour

l’utilisation de petits ARN interférents (siRNA).

TRPA1 est inactivé démontrent une augmenta-

Cette approche a permis d’identifier Piezo1,

tion du seuil de douleur mécanique [40]. Malgré

une protéine dont l’expression est nécessaire

ces observations importantes, la démonstration

à la présence du courant mécanosensible chez

directe dune mécanosensibilité intrinsèque de

les cellules N2A. L’expression de Piezo1 dans

TRPA1 (critère 3) est toujours manquante.

différents systèmes hétérologues entraîne une

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augmentation significative de la mécanosen-

les courants de type AR [41], qui sont activés

sibilité des cellules (41, 42). Chez les mammi-

par des stimuli mécaniques de faible intensité

fères, Piezo1 a un homologue, Piezo2, lequel

(bas seuil) et sont caractéristiques des neu-

induit également un courant mécanosensible et

rones impliqués dans la perception de stimuli

est exprimé dans les nocicepteurs ainsi que les

non-douloureux. Ceci indique que le rôle de

mécanorécepteurs. Plus précisément, la pro-

Piezo2 dans la mécanotransduction sensorielle

téine Piezo2 semble être nécessaire au courant

des mammifères n’est pas entièrement défini.

mécanosensible de type AR, donc de bas seuil [41].

Étant donné que Piezo1 ou 2 étaient surexprimées dans la lignée cellulaire HEK293T

La confirmation du rôle de Piezo dans

ayant déjà un canal MSC endogène, il était diffi-

la transmission de la douleur mécanique pro-

cile de déterminer si Piezo formait un canal mé-

vient d’une étude récente du même groupe sur

canosensible, ou si elle facilitait le ciblage des

la drosophile, qui ne contient qu’une seule pro-

canaux MSC endogènes à la membrane plas-

téine Piezo (DmPiezo). Dans leur étude [43], ce

mique. Dans sa récente étude [44], ce même

groupe a démontré que les larves de drosophile

groupe a démontré que la reconstitution de Pie-

délété du gène codant pour DmPiezo avaient

zo1 de souris (MmPiezo1) dans une bicouche

une insensibilité à la nociception mécanique,

lipidique ou des liposomes formait un canal

alors que la nociception thermique et la réponse

ionique sensible au rouge de ruthénium, un blo-

au toucher étaient normales. Ces observations

queur de pore non-sélectif. Cette démonstration

indiquent que les Piezos sont impliquées dans

satisfait partiellement le critère 4. Le fait que

la perception de stimuli mécaniques de forte

MmPiezo1 soit impliqué dans la mécanosensi-

intensité, et non de faible intensité. Cependant,

bilité cellulaire et peut former un pore lorsqu’ex-

dans les GDR de souris, la réduction du niveau

primé dans une bicouche lipidique confirme que

d’expression de Piezo2 par siRNA n’affecte que

ce canal est impliqué dans la mécanotransduc-

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tion. Cependant, d’un point de vue biophysique,

impliquée dans l’hypersensibilité mécanique

il reste toujours à démontrer que MmPiezo1

observée dans les modèles animaux de dou-

peut former un canal activé par des stimuli mé-

leurs neuropathiques ou inflammatoires, son

caniques, c’est-à-dire que cette protéine pos-

expression dans les neurones sensoriels des

sède une mécanosensibilité intrinsèque.

GDR fait de cette protéine une cible très inté-

Bien qu’il reste à savoir si Piezo2 est intrinsèquement mécanosensible et si elle est

ressante dans le développement de nouveaux analgésiques.

Remerciements et financements Les auteurs remercient Mme. Annie Boucher et Mr.

article a été réalisé grâce à une subvention des Ins-

Francois Charron pour la révision du manuscrit. Cet

tituts de Recherche en Santé du Canada (IRSC).

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