COUTURIER Margaux. Sur la trace des Ainous, peuple oublié du Japon

Enquêter sur les Aïnous, c'est enquêter sur l'histoire japonaise, mais également, sur l'évolution de sa société. Une société de plus en plus encline à s'ouvrir sur ...
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Sur la trace des Aïnous, peuple oublié du Japon

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Une enquête de Margaux Couturier

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Présentation

Les Aïnous, les «humains» dans leur langue, constituent les premiers habitants du Japon. Grands, la peau mate et les yeux non bridés, ils ne ressemblent en rien aux Japonais mais évoquent plutôt le peuple aborigène ou amérindien.

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Arrivés au Nord du pays vers 1.300 avant JésusChrist, soit mille ans avant les Japonais eux-mêmes, ils sont encore aujourd’hui très présents dans la région d’Hokkaido et de Tokyo. D’où viennent-ils? Peut-être de Russie, du Tibet, voire même d’Inde. Difficile de le savoir véritablement.

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Combien sont-ils? Difficile là encore d’établir un chiffre exact: 25.000 personnes réparties dans tout le pays selon les chiffres gouvernementaux, 200.000 selon les associations. Victimes de racisme et de discrimination au quotidien, certains préfèrent aujourd’hui cacher leurs origines afin d’éviter tout problème, notamment dans le milieu professionnel.

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Depuis une trentaine d’années, d’autres, au contraire, ont décidé de se battre pour faire entendre leurs voix et enfin faire reconnaître leur culture, actuellement menacée d’extinction.! De par les mystères qui les entourent, les Aïnous représentent actuellement le peuple autochtone le plus étudié au monde. Pourtant, c’est aussi le moins médiatisé, en particulier en Europe. Au fil des séquences de l’enquête Sur la trace des Aïnous, peuple oublié du Japon, nous vous proposons de partir à la rencontre de leurs membres, de les suivre dans leur quotidien et d’en apprendre plus sur la lutte qu’ils mènent au quotidien pour faire reconnaître leurs droits et défendre leur culture au Japon.!

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Note d’intention et de réalisation

A la manière des Amérindiens d’Amérique du Nord, l’histoire des Aïnous, vieille de plusieurs milliers d’années, passionne et ne cesse de se régénérer encore aujourd’hui. Pourtant, si de nombreux médias japonais évoquent régulièrement cette communauté, il n’en est rien en Europe. Très rares sont les médias qui ont écrit à leur sujet.

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Enquêter sur les Aïnous, c’est enquêter sur l’histoire japonaise, mais également, sur l’évolution de sa société. Une société de plus en plus encline à s’ouvrir sur son passé, qui reconnaît chaque jour un peu plus ce peuple très ancien. Et l’occasion de dresser un bilan entre les générations des grands-parents et celles des petits enfants de la communauté, qui représentent actuellement un nouvel élan crucial dans la lutte pour sauver leur culture.

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Séquences L’hommage aux victimes (Tokyo) Pitch: Nous sommes au début du mois d’août. Comme tous les ans, dans le parc Shiba-kouen, au sud de Tokyo, se déroule un évènement majeur pour les habitants aïnous de la région. L’heure est au recueillement. Cent quarante-trois ans après la tragédie, la communauté tient encore à rendre hommage à ses enfants, victimes de l’assimilation japonaise. En effet, à cet endroit précis, avait été construit un «centre d’éducation pour les indigènes», dans lequel ont été conduits de force, en 1872, trente-huit jeunes Aïnous d’Hokkaido à Tokyo. Le but? Tenter de les «assimiler», c’està-dire leur apprendre à vivre à la japonaise, afin qu’ils puissent par la suite, à leur tour, influencer d’autres membres de leur communauté. Tous ont très mal vécu l’expérience: certains sont parvenus à s’enfuir, cinq autres, plus malheureux, y ont trouvé la mort. Pour eux, la communauté aïnoue de la capitale organise annuellement une cérémonie funéraire, depuis 2003. Elle lutte pour que la tragédie ne tombe pas dans l’oubli et attend du gouvernement actuel qu’une plaque commémorative soit mise en place au centre du parc. Son souhait est jusqu’ici resté lettre morte.

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Une reconnaissance tardive (Hokkaido)

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Pitch: Du XVIe siècle jusqu’en 1945, le Japon impérial a en effet imposé une assimilation forcée à la communauté aïnoue. Pour le pouvoir, il ne s’agissait en rien d’un génocide, mais plutôt, d’une volonté d’incorporer ce peuple indigène à la population nationale. Les Aïnous se sont pourtant vus confisquer leurs terres et ont du renoncer à l’ensemble de leurs pratiques, culturelles, religieuses et rituelles. Si à partir de 1960, quelques membres - les plus actifs - ont décidé de s’unir pour réclamer plus de droits, la communauté a dû attendre 2008 pour que la Kokkai, le Parlement japonais, reconnaisse pour la première fois de son histoire les Aïnous en tant que «peuple indigène, avec sa propre langue, sa religion et sa culture». Une victoire historique pour la communauté, qui, installée depuis des millénaires au Nord du pays, n’a été reconnue comme telle que depuis sept ans. Pourtant, leurs conditions de vie peinent à s’améliorer et au quotidien, les progrès se font encore attendre.

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Pitch: Au niveau politique, leur combat est aujourd’hui bien loin d’être terminé. Afin de faire encore plus résonner leurs voix, les Aïnous ont créé, en 2012, le Ainu Political Party. Ils réclament notamment au gouvernement actuel un dédommagement de 1,5 milliards de yens pour avoir subi l’assimilation forcée. Si le Ainu Political Party offre désormais à la communauté une véritable caisse de résonance, il n’est pourtant toujours pas reconnu au niveau national, ce qui freine considérablement leur combat. L’exemple le plus probant est le projet du parc Iwor: un projet de «parc historique», qui permettrait de «reproduire les espaces de vie traditionnelle» et d’agir pour «la préservation de l’environnement». En clair, un espace appartenant aux Aïnous, géré par eux-mêmes, et dans lequel pourraient être conservés et transmis leurs traditions et leurs modes de vie. Pour des raisons politiques, sa construction en est toujours au stade embryonnaire.

Une lutte politique intacte (Tokyo)

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Le parc Akan, Disneyland des indigènes (Hokkaido) Pitch: Nous quittons maintenant Tokyo pour nous rendre sur l’île d’Hokkaido, au Nord du pays. Direction: le parc national d’Akan. Cette région volcanique, située en plein coeur de la forêt, constituait il y a plusieurs centaines d’années «le» territoire des Aïnous. Depuis, les choses ont beaucoup changé. Si l’on trouve encore plusieurs villages à l’architecture typique, l’endroit ressemble désormais plus à un parc d’attractions pour peuple indigène décimé qu’à un lieu d’habitations. Ici, tout est à vendre: babioles, sculptures sur bois, dessins et tissages, des produits fabriqués par des non-Aïnous. Le but est de jouer sur le folklore et d’attirer le plus de touristes possibles. Les Aïnous qui ont décidé de rester, et même parfois d’y travailler, ne voient pas tous cela d’un mauvais oeil. Pour certains, c’est l’une des rares occasions qui leur sont offertes pour continuer à faire vivre leur culture et à renseigner les curieux, venus visiter les lieux. !

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Des origines honteuses (Hokkaido)

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Pitch: Le parc Akan, publicité positive ou négative pour les Aïnous, une chose est sûre: la discrimination et le racisme touchent encore aujourd’hui les membres de la communauté à Hokkaido, toutes générations confondues. Face à cela, beaucoup choisissent de cacher leurs véritables origines. Selon un sondage réalisé par plusieurs associations aïnoues, en 2008, 20% des interviewés n’avaient pas dit à leur conjoint qu’ils étaient Aïnous, 40% l’avaient caché à leurs amis et 34,8% à leurs enfants, par mesure de protection. De plus, aujourd’hui, nombreux sont ceux qui rejettent le terme même d’ «Aïnou», lui préférant celui d’ «Utari», qui signifie «camarade» dans leur langue originelle. Pour vivre heureux, mieux vaut parfois vivre cachés.

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Difficile de travailler (Hokkaido)

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Pitch: Et selon les statistiques, nombreux sont les Aïnous à vivre aujourd’hui dans des conditions précaires, en particulier dans la région d’Hokkaido, où ils sont les plus nombreux. Selon un sondage réalisé par plusieurs associations aïnoues, en 2008, un tiers des interviewés affirmaient vivre dans la pauvreté. Les Aïnous touchent moins d’aides sociales que les autres Japonais et leurs revenus moyens des ménages représentent 60% du revenu moyen dans le pays. De plus, selon ce même sondage, en 2008, seuls 16% des Aïnous allaient à l’université contre 34.5% pour la moyenne générale du pays. Face à ce problème, depuis plusieurs années, des associations de soutien ont vu le jour. Leur but? Aider les personnes aïnoues à trouver du travail. En général, ces derniers effectuent des travaux manuels, de type manutentionnaire ou sur des chantiers.

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La fuite vers une nouvelle vie (Tokyo) Pitch: Depuis une trentaine d’années, les Aïnous sont de plus en plus nombreux à quitter leurs villes natales du Nord du pays pour venir s’installer dans la capitale, comme le confirme la Kanto Utari Association, basée à Tokyo. Une manière pour eux de fuir le racisme latent d’Hokkaido, mais surtout, un espoir d’une vie meilleure, dans le domaine professionnel comme personnel. Nous avons rencontré plusieurs de ces Aïnous qui ont fait le choix de tout quitter pour se donner une nouvelle chance à Tokyo. Selon les chiffres associatifs, entre 5000 et 10000 membres de la communauté seraient actuellement installés dans la mégalopole.

Faire renaître la gastronomie (Tokyo)

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Pitch: Même si les Aïnous n’ont été reconnus comme «peuple indigène» par le gouvernement qu’en 2008, ils avaient obtenu le droit, grâce au soutien de l’ONU, de promouvoir et diffuser leur culture dès 1997. Ainsi, de nombreux musées et centres culturels ont vu le jour ces trente dernières années. Mieux encore, les jeunes générations s’activent et s’unissent de différentes manières pour ne pas voir périr l’histoire de leurs ancêtres. Un effort réalisé pour les non-Aïnous mais également pour les membres de leur communauté puisque selon un sondage réalisé en son sein, en 2008, 60% des interviewés affirmaient avoir perdu tout lien avec leur culture d’origine. De cette manière, depuis 1993, l’association Rera promeut dans la capitale la gastronomie aïnoue. A Tokyo, dans le quartier de Shinjuku, le restaurant HaruKor, ouvert par d’anciens habitants d’Hokkaido, propose des plats proches de ce que devait être l’alimentation quotidienne du peuple indigène. Saumon, viande de cerf, pommes de terre et potiron: les produits sont importés du Nord du pays et les chefs entendent bien respecter la manière de cuisiner de leurs ancêtres.

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Enseigner l’art pour le faire perdurer (Hokkaido)

Pitch: En terme artistique, les membres de la communauté comptent également enseigner leurs savoir-faire aux jeunes générations afin de faire perdurer leur culture. Peuple autochtone, les Aïnous avaient développé des techniques incroyables dans le domaine de la gravure sur couteau et de la broderie. Sur l’île d’Hokkaido, à Sapporo, Nobuko Tsuda, 70 ans, n’a pas perdu son énergie. Chaque semaine, elle enseigne l’art du filage, à base de plumes d’oiseaux et de fibres d’écorces, comme le voulait la tradition. Nobuko Tsuda est l’une des rares femmes aïnoues diplômées de la région. Elle est à l’origine de la thèse «La transmission des techniques de broderies de la culture aïnoue», présentée à la Graduate University for Advanced Studies, à Kanagawa. Elle se bat pour transmettre au plus grand nombre son savoir-faire.

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La langue aïnoue, menacée d’extinction (Hokkaido)

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Pitch: Le dernier pan de leur lutte est de faire reconnaître la langue aïnoue, comme langue nationale. D’origine méconnue, elle ne reste pratiquée que par un nombre infime de personnes, qui là, encore font tout pour qu’elle ne disparaisse pas à tout jamais. Deux dimanches par mois, à Biratori, sur l’île d’Okkaido, Shirô Kayano, directeur de la radio FM Pipaushi, diffuse une émission en langue 100% aïnoue. Un journal en langue aïnoue est également publié sur Internet depuis plusieurs années, faute de financements: le Ainu Times. Mais le meilleur ambassadeur de la langue indigène reste Oki, le chanteur aïnou le plus connu du pays. Accompagné d’instruments traditionnels, il donne régulièrement des concerts et espère ainsi faire vivre le plus longtemps possible ses origines, dont il est aujourd’hui fier.

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