4 LE MÉTROPOLITAIN • SEMAINE DU 31 MAI AU 6 JUIN 2017

Islam ne rime pas avec islamisme Quitterie Hervouet

L’islamisme on en parle régulièrement dans les médias et encore plus ces derniers jours avec l’attentat de Manchester au Royaume-Unis revendiqué par DAESH (ISIS). On emploie sou-

vent le mot « islamisme » à tort et à travers et on le confond avec l’islam. Mais qu’est-ce que c’est que l’islamisme? D’où vient-il? Quelles sont ces origines? Pour mieux comprendre ce terme, il faut revenir à la genèse de cette idéologie politique de l’isla-

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Denis Poirier

Directrice générale et rédactrice en chef Christiane Beaupré

misme.  Le Dr Miloud Chennoufi, professeur de relations internationales au Collège des Forces canadiennes à Toronto et spécialiste du Moyen-Orient, explique avec brio la genèse de l’islamisme. On comprend ainsi mieux l’état du monde dans lequel on vit et les enjeux politiques du Moyen-Orient. Le terme « islamisme » renvoie à une religion, l’islam. Il y a beaucoup de confusion entre islamisme et islam. Il ne faut pas confondre la religion musulmane, c’est-à-dire l’islam, qui existe depuis 14 siècles et qui est partagée par plus de 1,5 milliard de personnes dans le monde et l’idéologie politique qu’est l’islamisme, apparue à la fin du XIXe siècle. Ce mouvement politique minoritaire va prendre de l’ampleur au XXe siècle et prendre « une dimension dramatique », selon Miloud Chennoufi, à la fin du XXe siècle/début du XXIe siècle. Deux catégories confondent ces deux termes, les islamistes e u x - m ê m e s, DA E S H p a r exemple, qui considèrent que ce n’est pas « une idéologie extrême, totalisante, par certains égards totalitaires, mais l’incarnation d’une religion, selon eux la plus juste, la plus pure qui soit ». La deuxième catégorie sont les islamophobes, composés notamment des mouvements populistes néo-fascistes. Et d’où vient cette idéologie et comment s’est-elle développée? M. Chennoufi explique sa théorie. Pour lui, « cette idéologie-là n’aurait jamais pu avoir la place qu’elle va occuper s’il n’y avait pas de contexte politique qui lui a permis de combler un

vide ». Reste à savoir comment ce vide s’est créé. Et là, les choses compliquées commencent. La généalogie doit se faire à travers un retour dans l’histoire et dans la politique. Quatre étapes très importantes sont à prendre en considération pour bien comprendre cette idéologie politique qu’est l’islamisme. La première date à retenir est « la décantation politique au Moyen-Orient après la Première Guerre mondiale ». En effet, pendant la Grande Guerre, l’Empire britannique a approché les Saoudiens et leur a reconnu leur souveraineté. Le premier État indépendant arabe après la guerre fut donc une théocratie : l’Arabie saoudite qui croyait en l’idéologie de l’islamisme. Point important à mentionner avant de passer à la deuxième étape : l’étroitesse des liens qui unit les États-Unis et l’Arabie saoudite. On l’a bien vu tout récemment avec la visite officielle du président Donal Trump dans ce pays. Ces liens entre les deux pays ont joué un rôle dans la guerre froide et dans la stratégie américaine pour vaincre les Soviétiques. Autre étape importante : l’année 1979. La révolution iranienne, révolte populaire contre le régime despotique du shah d’Iran, a vu les islamistes prendre le pouvoir suite à sa chute. Avant la chute du shah, « l’Iran jouait le rôle de gendarme anticommuniste dans la région », affirme Miloud Chennoufi. La perte de l’Iran pour les Américains fut handicapante. Le deuxième élément important au cours de cette année-là est l’invasion de l’Afghanistan par

l’Union soviétique. Les Américains ont ainsi armé les Afghans pour combattre les Soviétiques. « On n’imaginait pas à l’époque les conséquences de la militarisation de la région de l’Afghanistan », indique Miloud Chenoufi. Troisième étape : la première guerre du Golfe en 1990, à ne pas confondre avec l’invasion de l’Irak après le 11 septembre. « Cette guerre-là a fait en sorte qu’une partie des islamistes qui étaient encore liés à l’autorité saoudienne, à l’autorité américaine, pakistanaise, etc. a décidé de se retourner contre leurs alliés des années 1980. C’est comme ça qu’Al-Qaïda est né », poursuit le professeur. Et le quatrième fait marquant est ce qui s’est produit après le 11 septembre 2001, c’est-à-dire l’invasion de l’Irak et la militarisation du printemps arabe. Comment combattre l’islamisme aujourd’hui? Miloud Chenoufi apporte une réponse : « La solution à ce problème doit être de nature politique. Elle n’est ni culturelle, ni identitaire, ni religieuse. Combattre l’islam et les musulmans, c’est perdre l’allié le plus précieux dans la lutte contre l’extrémisme islamiste ». Un sujet vaste et très complexe qui n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre.

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