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pourquoi les politiques se défoncent à Twitter

M 01154 - 850 S - F: 4,20 €

Syrie

des logiciels qui tuent

Dominique A

retour en lumière

avec

Nadine Morano

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Allemagne 5,10 € - Belgique 4,50 € - Canada 7,00 CAD - DOM 5,80 € - Espagne 4,80 € - Grande-Bretagne 5,20 GBP - Grèce 4,80 € - Maurice Ile 6,50 € - Italie 4,80 € - Liban 12 500 LBP - Luxembourg 4,50 € - Portugal 4,80 € - Suède 56 SEK - Suisse 7,50 CHF - TOM 950 CFP

No.850 du 14 au 20 mars 2012 www.lesinrocks.com

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je suis retourné en 1972 avec

Jeanne Cherhal

N  

i le Centre Pompidou, inauguré en 1977, ni Jeanne Cherhal, née l’année suivante, n’existaient en 1972. C’est pourtant au niveau 4 de Beaubourg que nous convions la chanteuse à rebrousser le temps pour revenir quarante ans en arrière, dans le décor sur mesure de l’exposition Vidéo vintage, sélection de vidéos expérimentales (Godard, Nam June Paik, Bill Viola…) à découvrir dans leur jus, via du mobilier et des postes de télé d’époque. Pourquoi 1972, au fait ? Simplement parce que Jeanne Cherhal a décidé de rejouer intégralement, et pour un soir seulement, le premier album de Véronique Sanson, Amoureuse, paru cette année-là au mois de mars. Une belle idée, culottée mais parfaitement en phase avec la démarche d’une des rares cascadeuses de la chanson contemporaine, l’une des disciples aussi les plus évidentes de la Sanson originelle du début des années 70. “C’est une véritable icône et pour toutes les filles qui composent au piano, elle reste un modèle très fort. Je suis allée la voir l’an dernier à l’Olympia, son concert était très chargé d’instruments, mais lorsqu’elle a interprété seule au piano les chansons d’Amoureuse, j’ai tout de suite eu envie d’approfondir ma connaissance de cet album. Quand je me suis rendu compte qu’il allait avoir 40 ans, j’ai eu l’idée de le reprendre.” Chaperonnée par son “amoureux” de l’époque, Michel Berger, Sanson est alors la seule concurrente sérieuse en France des songwritrices américaines comme Carole King ou Laura Nyro. L’Amérique est d’ailleurs déjà son horizon, qu’elle rejoindra comme on traverse le miroir, sur un coup de folie, laissant en plan Berger pour suivre Stephen Stills et s’immiscer dans l’aristocratie folk-rock des seventies californiennes.

Succession d’instants de grâce, Amoureuse demeure l’un des plus beaux disques de la pop française, dont Jeanne Cherhal devrait logiquement respecter la fluidité aérienne et la précision instrumentale. “J’ai arrêté de fumer pour l’occasion, pour être à la hauteur vocalement, même si je ne cherche pas du tout à l’imiter. Musicalement, même si on est seulement quatre sur scène, on essaie de rester proches des arrangements originaux, avec cet esprit de groupe que l’on entend vraiment sur le disque et qui m’a toujours impressionnée.” Ce périple en 1972 ne durera que le temps du concert, mais dans l’année en question on trouve quelques événements qui résonnent de façon troublante avec l’activisme de Jeanne Cherhal. Comme ce 8 mars où entra en vigueur le décret sur la contraception. L’an dernier, Jeanne s’était distinguée sur le net en adressant une réponse chantée cinglante à Colonel Reyel, dont le tube Aurélie semblait épouser les thèses dangereuses des associations antiavortement. “J’ai réagi en me mettant à la place des ados, ça me faisait flipper que ce discours puisse trouver un écho chez les jeunes filles.” 1972 voit également la création du FN, que Jeanne, malgré son prénom, perçoit toujours comme une menace, “encore plus avec Le Pen junior, qui fait visiblement moins peur”. Elle qui a voté à la primaire PS, et s’apprête à poursuivre dans le même élan à la présidentielle, a aussi marqué le quinquennat avec son hilarant Si tu reviens j’annule tout, balancé sur le net après la révélation du vrai/faux SMS de Nicolas à Cécilia. 1972 est aussi l’année de la sortie de l’un de ses films fétiches, Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat, dont elle a joué le texte sur scène. Comme Amoureuse, qui grâce à des initiatives comme celle-ci n’est pas près de vieillir. Christophe Conte photo Amandine Besacier

“quand je me suis rendu compte que l’album de Sanson allait avoir 40 ans, j’ai eu l’idée de le reprendre”

Amoureuse le 21 mars au 104, Paris XIXe, deux séances à 20 h et 21 h 30 Vidéo vintage 1963-1983 jusqu’au 7 mai au Centre Pompidou, Paris IVe 14.03.2012 les inrockuptibles 5

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No.850 du 14 au 20 mars 2012 couverture Nadine Morano (Denis Allard/RÉA)

05 quoi encore ? Jeanne Cherhal

10 on discute courrier ; édito de Bernard Zekri et Michel-Antoine Burnier

12 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 on décrypte Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P

Serge July, sens dessus dessous ; l’ère de rien ; le mot

16 événement l’écrivain Roberto Saviano évoque la présence des mafias en France

18 hommage

retrouvez le dossier Twitter et les politiques sur Europe 1, le mercredi 14 mars, dans l’émission Des clics et des claques de 20 h à 21 h, et sur Twitter #dcdc

Moebius (1938-2012)

20 la courbe ça va ça vient ; billet dur

22 nouvelle tête Azealia Banks un livre et une BD pour le juge antiterroriste Gilbert Thiel

43

26 ailleurs le retour de l’art contestataire en Russie

28 parts de marché les derniers feux de l’Hadopi ?

30 à la loupe une semaine avec Michelle Williams

54

Marc Enguerand/CDDS

32 mon candidat est un twitto

Guillaume Binet/M.Y.O.P

24 ici

quand les politiques partent à la chasse aux followers. Dossier

43 Nicolas Sarkozy Versailles 2007 vs Villepinte 2012

46 François Hollande une semaine en campagne

48 que le meilleur perde les politiques en quête de défaite

62

50 écrire au pays de Poutine à l’occasion du Salon du livre, rencontre à Moscou avec des écrivains russes

54 Einstein on the Beach again

image extraite du documentaire Traqués…

la campagne en direct sur

reprise mondiale de l’opéra visionnaire de Bob Wilson et Philip Glass

58 Dominique (triple) A 62 des logiciels qui tuent les nouveaux marchands d’armes ne vendent pas des missiles mais des programmes espions

Colin Delfosse/Picturetank

nouvel album, rééditions et tournée pour le grand chanteur

58 14.03.2012 les inrockuptibles 7

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66 Aloïs Nebel de Tomás Lunák

68 sorties Cloclo, Nouveau souffle, 38 témoins…

72 rétrospective Kiyoshi Kurosawa à la Cinémathèque

74 dvd les films pédagogiques de Rohmer…

76 Binary Domain les Japonais à la conquête de l’Occident

78 Andrew Bird l’Oiseau sort de sa cage

80 mur du son The Dandy Warhols, Les Eurockéennes…

81 chroniques Grimes, Cheikh Raymond, The Shins…

88 morceaux choisis Pipes/G. Vump, Arcade Fire…

90 concerts les dates à ne pas rater

92 Fukushima, an 1 récits de la catastrophe

94 romans Vassili Grossman par Myriam Anissimov, Oliver Rohe, Patrick Bouvet…

97 idées Claudio Magris et le roman occidental

98 tendance best-sellers japonais

100 bd Le Pont des Arts de Catherine Meurisse

102 Krzysztof Warlikowski + Ivo Van Hove + Les Hivernales

104 Enacting Populism + Cindy Sherman

106 où est le cool cette semaine ? dans la campagne d’affichage Supreme

108 idées un coffret de DVD pour affûter son esprit critique en période de crise

110 internet comment le web transforme notre propre représentation

113 présidentielle le storytelling des candidats à la télévision

114 enquête les nouveaux lieux de rencontres du mouvement des hackers

116 séries The Hour, crème anglaise

118 programmes la série Mafiosa débarque à Paris

120 la revue du web sélection profitez de nos cadeaux spécial abonnés

pp. 88 et 115

121 vu du net l’hypersexualisation des enfants

122 best-of le meilleur des dernières semaines

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot cahier villes Alain Dreyfus collaborateurs M. de Abreu, D. Balicki, E. Barnett, A. Besacier, G. Binet, R. Blondeau, T. Blondeau, M.-A. Burnier, F. Cassan, A. Caussard, R. Dautigny, M. Delcourt, C. Delfosse, M. Despratx, M. Dumeurger, F. Gabriel, J. Gester, J. Goldberg, E. Higuinen, O. Joyard, S. Lagoutte, L. Laporte, T. Legrand, H. Le Tanneur, J.-L. Manet, L. Mercadet, B. Mialot, L. Michaud, P. Moreira, P. Noisette, V. Ostria, O. Père, E. Philippe, T. Pillault, J. Provençal, C. Renaud, Y. Ruel, P. Sourd, R. Waks lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares vidéo Basile Lemaire graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigaïl Aïnouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nicolas Jan publicité publicité culturelle, directrice Cécile Revenu (musiques), tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, livres, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17, Benjamin Cachot (arts/scènes) tél 01 42 44 18 12 coordinatrice Sarah Hami tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 15 31 directeur commercial David Eskenazy tél. 01 42 44 00 13 directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 chef de publicité junior Chloé Aron tél. 01 42 44 19 98 coordinatrice Lizanne Danan tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 assistante Sarah Carrier tél. 01 42 44 15 68 marketing, promotion directrice du développement Caroline Cesbron promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet Charlotte Brochard tél. 01 42 44 16 09 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél. 01 42 44 00 17 assistante promotion marketing Margaux Scherrer tél. 01 42 44 16 68 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61 € 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler assistante Valérie Imbert directeur général adjoint Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOer trimestre 2012 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles 2012 tous droits de reproduction réservés

ce numéro comporte un encart abonnement 2 pages “Edition générale” jeté dans l’édition vente au numéro ; un CD “Un printemps 2012” encarté dans toute l’édition ; une carte postale “Banlieues bleues” dans l’édition kiosque et abonnés des départements 75, 78, 91, 92, 93, 94 et 95.

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l’édito

champion d’échecs Qu’est-ce que ce cirque ? Nicolas Sarkozy nous fait à Villepinte un meeting péplum : une estrade interminable, trente mille plébéiens excités, assez pour qu’ils croient être le double, des cris permanents, des oriflammes partout. On peut jouer à la Rome antique, les prétoriens, les clients, la claque mais les imperators célébraient des triomphes : c’était après la victoire et non avant. Il y avait des absents à Villepinte. Nous ne parlons pas de Jean-Louis Borloo ou de Rama Yade, non, nous pensons “à ce Français de sang mêlé” qui en appelait à Jean Jaurès ou Léon Blum, à ce tribun encore jeune qui prenait aux tripes un peuple fatigué des mensonges chiraquiens. Il y a cinq ans, ce réformateur disparu emporta une bonne moitié de la France. A la place, nous trouvons un DRH qui étale les peines et les souffrances du Président qu’il fut. Mal préparé ? Il demeure qu’il avait préféré, après son élection de 2007, le luxe de M. Bolloré et de son yacht au silence peut-être éclairant des moines de la Pierrequi-Vire. Il y a cinq ans comme il y a encore trois semaines, il prétendait avoir changé. Aujourd’hui, il assure avoir appris. C’est certain : il a appris l’échec, mais à l’entendre, on doute qu’il en ait tiré les leçons. Il jouait les progressistes, voici qu’il patauge dans la réaction. Il rêve d’un monde sans la Chine, d’une Europe fermée et d’une France plus enfermée. Bref, il nous ressort un vieux protectionnisme n’appartenant qu’aux perdants de toujours, l’extrême droite et l’extrême gauche. Comment même peut-il y croire ? Tout étudiant attentif de Sciences-Po – et l’on dit qu’il en fut – sait que la crise de 1929 ne prit son ampleur catastrophique que par la multiplication des frontières closes et des taxes à l’importation. Hostile à l’étranger, en bousculant Schengen, il propose un chauvinisme dépassé et sans espoir. Ce n’est plus une stratégie mais une démagogie, caricature des nationalismes d’autrefois. “Aidez-moi !”, s’écrie-t-il. Voilà bien le seul emprunt qu’il fait à de Gaulle. Mais le Général avait poussé ce cri inhabituel – et avec succès – pour faire face au fascisme et au putsch des parachutistes d’Alger. Qui va aider M. Sarkozy contre l’aimable François Hollande ? A travers cette récente litanie, la France comprend : “Au secours !”

Bernard Zekri, MAB

Vous auriez pu garder l’analyse de la photo de Nadine Morano pour votre double page “cote de beauf” du numéro spécial mode méchamment twitté par thomasjourdain droit de réponse L’article d’Alain Dreyfus “Le bouillonnement de la CUB” du 22 février 2012 paru dans le dossier Spécial Bordeaux, relatif aux projets d’aménagement de la communauté urbaine de Bordeaux, appelle de la part de l’EPA (établissement public d’aménagement – ndlr) Bordeaux Euratlantique les rectificatifs suivants nécessaires à une information plus complète des habitants de Bordeaux et de la région bordelaise, ainsi que des lecteurs situés en dehors des périmètres concernés par ces différents projets. Un amalgame est fait entre les activités et les compétences de la CUB, celles de la ville de Bordeaux et celles qui relèvent du projet Euratlantique mené par l’EPA de Bordeaux Euratlantique. Ainsi, le projet de grand stade est conduit par la Ville de Bordeaux, tandis que le projet d’aménagement Bastide Niel est de la compétence de la CUB. Quant aux activités de la Fabrique Pola, de nature associative, elles s’inscrivent dans un cadre contractuel avec les villes de la rive droite. Aucune de ces opérations ou activités ne sont du ressort de Bordeaux Euratlantique. Le sous-titre annonce pourtant que “L’immense projet Euratlantique a émoustillé l’imagination des cadors de l’architecture et aussi celle de francstireurs de l’urbanité”. Les lecteurs sont donc incités à en déduire que l’EPA Bordeaux Euratlantique est à la tête de tous les projets urbains de l’agglomération, ce qui est faux, les renseignements figurant sur le site de l’EPA Bordeaux Euratlantique permettant de s’en convaincre. Par ailleurs, Monsieur Philippe Courtois, directeur général de l’EPA Bordeaux Euratlantique, est nommément désigné en tant que “sociologue” et inexactement présenté comme le maître d’œuvre du projet. Enfin, le projet Euratlantique consiste à aménager des friches situées au cœur de l’agglomération bordelaise, ainsi qu’à l’intérieur des communes de Floirac et de Bègles. Il n’a donc pas pour effet d’exposer plus particulièrement les futurs habitants de ces zones aux risques éventuels d’incidents liés à la présence de la centrale nucléaire du Blayais située à 60 kilomètres de Bordeaux, l’aménagement d’espaces urbains étant réalisé à l’intérieur des zones urbaines déjà constituées. Philippe Courtois, directeur général de l’EPA Bordeaux Euratlantique

la réponse de notre journaliste Dont acte à monsieur Courtois : la construction du stade de Bordeaux ne ressort pas de sa compétence, limitée au seul projet Euratlantique. Je le remercie de donner un écho national à un problème évoqué uniquement dans l’édition Bordeaux des Inrocks. Je maintiens mes écrits sur la centrale du Blayais, construite en zone inondable, dont un accident grave, lors de la tempête de 1999, était à deux doigts de provoquer l’évacuation des 700 000 habitants de l’agglomération bordelaise et en profite pour apporter un élément nouveau. Philippe

Madrelle, sénateur PS de la Gironde, a interpellé oralement le gouvernement, le 23 février dernier : “Ne pensez-vous pas qu’après Fukushima, il apparaît évident de prendre en compte les situations extrêmes ? La seule route qui mène à la centrale devrait être rehaussée de 2 mètres pour être insubmersible.” M. Courtois est libre d’estimer qu’une distance de 60 kilomètres est suffisante pour assurer la sécurité des habitants de l’agglomération bordelaise. Nos lecteurs, français ou japonais, sont également libres de ne pas partager son analyse. Alain Dreyfus 

écrivez-nous à [email protected], lisez-vous sur http://blogs.lesinrocks.com/cestvousquiledites

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction halal lu Un sémiologue qui veut rester anonyme – “Je ne veux pas me faire ‘étourdir’ comme un mouton à l’abattoir” – s’est penché sur les aspects subliminaux du débat sur la viande halal, “première préoccupation des Français”, comme l’a affirmé Nicolas Sarkozy en déplacement à Saint-Quentin. “D’une part, estime le chercheur, on voudrait nous faire croire que les abattoirs dit ‘normaux’ sont des centres de soins palliatifs pour animaux. Tous ceux qui en ont visités savent qu’on en est vraiment loin... Par ailleurs, l’abattage rituel consiste à égorger les bêtes. De là à provoquer un amalgame avec les Arabes qui viendraient ‘égorger nos fils et nos compagnes’, il n’y a qu’un pas. Ce non-dit est tout sauf innocent de la part de la droite dure…”

le moment quand ils entendent le mot culture…

Un sondage interroge les Français sur les objectifs prioritaires en matière de politique culturelle.

les colonnes de Buren au Palais-Royal

Sébastien Rabany/AFP

A défaut d’une campagne présidentielle forte en thèmes, c’est aux instituts de sondage que revient la tâche de faire émerger quelques idées phares. Ainsi, en matière de politique culturelle, selon le sondage BVA pour Orange et la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), 40 % des Français font confiance à François Hollande, contre 18 % à Nicolas Sarkozy, 14 % à François Bayrou et, ex-æquo, 6 % pour Jean-Luc Mélenchon, Dominique de Villepin et Marine Le Pen. L’autre décalage entre gauche et droite porte sur les objectifs prioritaires de cette politique culturelle : 72 % des sympathisants de droite optent pour l’entretien du patrimoine culturel français alors qu’à gauche, 75 % préfèrent favoriser l’accès des citoyens à la culture. Un seul rapprochement gauche-droite : le soutien à la création contemporaine est considéré comme l’objectif le moins prioritaire (23 % à gauche, 10 % à droite).

NTM conseiller de l’Elysée ? Jeudi dernier, Louis Sarkozy, 15 ans, se faisait choper en train de tirer, depuis une fenêtre du palais, avec un pistolet à billes sur une policière en faction devant l’Elysée. Le président de la République aurait dû suivre les conseils de NTM : “Laisse pas traîner ton fils.” Louis aussi : “Pose ton gun.” la mode Halle West C’est à la Halle Freyssinet – classée monument historique le 1er mars – que Kanye West avait posé sa démesure mardi soir pour le défilé prêt-à-porter de sa marque de luxe. Deux jours après la grand-messe des 10 ans d’A. Elbaz chez Lanvin, les anciens entrepôts SNCF ont été investis par une armada en Jordan. Le petit nouveau de la mode avait vu grand : un podium interminable aux allures de piste de décollage encadré par deux arènes où tournoyaient une douzaine de kartings électriques. Si côté show le roi Kanye n’a plus rien à prouver, il était attendu côté chiffon, où son premier défilé avait peu convaincu. Une vingtaine de brindilles plus tard, le rappeur/producteur avait rendu une copie nette et sans bavure, à partir d’une judicieuse combinaison de matières (cuir, fourrure, dentelle), de couleurs (noir, blanc et camel) et d’accessoires inattendus (sac à dos en fourrure, coiffe). Les Rosario Dawson, P. Diddy et autres Anna Wintour pouvaient alors passer au salon, pendant que sur la scène se succédaient Azealia Banks, Mos Def et Waka Flocka.

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Nikaah de B.R. Chopra (1982)

l’image

Ravi pas ravi Vendredi matin, la nouvelle se répand sur le net :

Luc Boegly

le musicien indien Ravi Shankar est mort. On rappelle son œuvre colossale, son amitié avec George Harrison, sa belle descendance (Norah Jones, Anoushka Shankar…). Fausse alerte : en vérité, c’est Ravi Shankar Sharma, légende de la musique bollywoodienne, ayant notamment participé à la bande originale du Slumdog Millionaire de Danny Boyle, qui s’est éteint dans un hôpital de Bombay deux jours plus tôt, à l’âge de 86 ans. un médoc de sa race Le propranolol, un bêtabloquant, aurait, selon des chercheurs britanniques, des effets secondaires inattendus : il diminuerait les élans de racisme inconscient. “Nous n’avons en aucun cas cherché à guérir le racisme, un préjugé présent chez la plupart des gens”, ont tenu à préciser les scientifiques, apparemment pas à la recherche d’un vaccin contre la connerie ordinaire. Dickens derrière les fagots Un mois après le bicentenaire de la naissance de Charles Dickens, le British Film Institute exhume ce qui est sans doute la plus ancienne adaptation de l’auteur anglais : The Death of Poor Joe, tourné à Brighton en 1901, est tiré de La Maison d’âpre-vent et serait l’œuvre d’A. G. Smith, illusionniste reconverti dans le septième art. Le film sera projeté à l’institut londonien le 23 mars, dans le cadre de la rétrospective consacrée aux adaptations de Dickens antérieures à 1914. A. D., B. Z., avec la rédaction

Marc déposé

The Death of Poor Joe de A. G. Smith (1901)

Rendre Vuitton pop et arty : c’est le tour de force réalisé depuis quinze ans par Marc Jacobs, comme le montre une expo aux Arts Déco. Etait-il vraiment pertinent de mettre en regard les parcours de Louis Vuitton et Marc Jacobs ? Mis à part le fait que ce dernier dirige, près de cent cinquante ans plus tard, la maison créée par Louis, qu’ont réellement les deux hommes en commun ? Mais qu’importe le concept, un peu flottant : l’exposition Louis Vuitton/ Marc Jacobs, qui a ouvert ses portes aux Arts Déco, riche et excitante visuellement, vaut amplement le détour. On passera rapidement sur le premier étage, consacré à Louis, créateur de la maison spécialisée dans l’emballage de mode à sa création en 1854. Solide, pragmatique, construite dans des matériaux d’excellence la malle Vuitton concentre les transformations profondes de son époque, ses nouvelles aspirations pour la mobilité, le voyage et le luxe. On s’attardera davantage au second chez Marc Jacobs, New-Yorkais recruté en 1997 pour transformer le bagagiste de luxe en maison de mode. Ce que fera le designer estampillé grunge avec un certain génie, en faisant basculer Vuitton dans la pop culture et en nouant un dialogue avec l’art contemporain. Dès 2001, Jacobs livre en pâture le fameux monogramme et les sacs maison à des artistes tels que Stephen Prouse, Takashi Murakami et Richard Prince. Une révolution dont rend parfaitement compte l’exposition, avec sa scénographie à l’esthétique très tumblr, sa bande-son pop fiévreuse (Daft Punk, White Stripes) et ses vitrines – tableaux vivants qui retracent, avec l’humour bien connu du designer, quelques-unes des collections fortes de Jacobs.

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sens dessus dessous par Serge July

la fixette du président

l’ère de rien

un chagrin fou

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ous venez de perdre votre père, ou votre mère, ou votre meilleur ami, et ça ne passe pas. Gros chagrin. Eh bien ça n’est pas normal. Vous êtes malade mon vieux, il faut consulter. C’est en substance ce que nous dit le prochain Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, édité par l’APA, l’American Psychiatric Association. Tous les dix ans à peu près, l’APA remet à jour ce fameux “manuel” (appelé en jargon médical le “DMS”) qui définit les maladies mentales, un catalogue quasi officiel qui fait autorité dans le monde. Dans l’édition 2013 donc, aux côtés de la schizophrénie, des psychoses, de l’hypersexualité et de la bipolarité, on trouvera le deuil. Le deuil, le chagrin de la perte, assimilé carrément à la dépression, à une pathologie. Qui dit dépression dit soins, toubib, il faut voir un psy, qui vous prescrira des antidépresseurs, qu’il faudra avaler pour faire passer la mort de papa, maman ou d’un grand amour. Vous ne voulez pas ? Vous êtes fou ou quoi ? Cette innovation est tellement dingue que la communauté médicale s’en émeut. La revue britannique The Lancet rappelle qu’au contraire “le chagrin peut constituer une réponse nécessaire au deuil”. Bon, moi, ça fait un an que je ne me remets pas de la mort de mon psy, je fais quoi maintenant ? Léon Mercadet

le mot

Gauc her

[fustiger]

Fran cis L e

la constance de Nicolas Sarkozy Depuis le court-circuit qui a fait disjoncter la confiance des Français à son égard, durant l’hiver 2007-2008, le chef de l’Etat est en reconquête. S’appuyant sur les peurs de l’immigration, il pense renouer avec un électorat perdu. En 2009, Eric Besson lance le débat sur l’identité nationale, puis en juillet 2010, le Président mouille la chemise avec le discours de Grenoble, et en 2011, c’est Claude Guéant qui prend le relais avec une panoplie d’obsessions islamiques. Début 2012, Nicolas Sarkozy est entré en campagne avec deux promesses de référendums, l’un sur les sans-papiers, l’autre sur les chômeurs abusifs. Le discours souverainiste de Villepinte permet d’élargir la cible à toute “la France du non de 2005”, même si c’est encore une fois pour agiter les thèmes de l’immigration, à propos de l’espace Schengen. courir après les grelots du lepénisme Depuis plus de cinq ans, sa martingale est la même, à ceci près qu’il doit désormais en faire des tonnes. Les référendums ? C’est la reprise de “la république référendaire” de Marine Le Pen. La menace de “suspendre Schengen” ? La formule elle-même est de Marine Le Pen. Toute proposition en la matière depuis 2007 a son origine au Front national promue agence de communication officieuse de l’électorat populaire. près de cinq années d’échecs En 2007, ce n’est pas son traitement de l’immigration qui l’avait fait élire, c’était l’éloge du volontarisme en politique, fondu dans une promesse d’augmentation du pouvoir d’achat par une valorisation du travail. Depuis, c’est un plantage systématique, parce que l’essentiel a disparu au profit d’une immigration toujours évoquée sous l’angle de la menace. Ça n’a pas marché une seule fois depuis 2007. Bilan : cinq ans de ce régime ont “dédiabolisé” le Front national plus sûrement que tous les efforts de Marine Le Pen, grande gagnante sur le long terme. De toute évidence, Nicolas Sarkozy reste pourtant convaincu que c’est la clé d’accès à un eldorado électoral. la relance de Villepinte Cette relance s’attaque à l’Europe promise au Kärcher souverainiste. A côté, les prétentions de François Hollande de renégocier le traité sur la discipline budgétaire passent pour une promenade de santé. Pour réaliser les annonces théâtrales de Nicolas Sarkozy, il faudrait renégocier au moins trois traités. D’autant que pour crédibiliser ses accents souverainistes, le Président s’engage à prendre le pouvoir en Europe s’il est réélu. Dit de cette manière, on comprend mieux le caractère désespéré de cette galéjade.

Qu’arrive-t-il à notre personnel politique, ou du moins aux médias qui en parlent ? Il ne s’agit plus que de fouets, de cravaches, de martinets, d’étrivières, de verges, tout cela se traduisant par un seul mot répété à satiété : fustiger, du latin fustis, bâton, et fustigare, corriger à coups de bâton. Ainsi “M. Sarkozy fustige une nouvelle fois le vote des étrangers” et, dans le mouvement, “fustige l’Etat centralisateur”. Un ministre “fustige l’opposition à l’emporte-pièce” (ce qui semble délicat à exécuter vu la forme de l’objet). De son côté, François Hollande “fustige les dernières propositions du candidat sortant”. François Bayrou “fustige” un peu moins mais ne néglige pas l’exercice. Comme on s’en doute, Marine Le Pen se révèle la plus fustigeante de tous. Revenant sur les incidents de Bayonne, elle “fustige des bagarres dignes d’une cour d’école” puis, le même jour, “fustige les islamistes”. Que finira-t-on par croire, si ce n’est que pour la presse l’ensemble de la classe politique tourne sado-maso. MAB

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“Sarkozy ne veut pas attirer l’attention sur ce problème” Menacé de mort par la pègre napolitaine, l’écrivain Roberto Saviano persiste et signe avec un nouveau livre, Le combat continue, qui égratigne au passage le laxisme de la France vis-à-vis des mafias. Rencontre.

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’écrivain et journaliste italien Roberto Saviano, 32 ans, toujours flanqué de gardes du corps depuis qu’il a publié en 2006 son best-seller Gomorra, plongée foudroyante au cœur de la Mafia, poursuit son combat avec un nouveau livre intitulé Le combat continue. Un ouvrage dans lequel il évoque toujours l’Italie et sa ville de Naples, mais où il dresse aussi en creux le portrait d’une France largement pénétrée par les mafias – et s’étonne du peu de réaction des dirigeants français. Dans la préface de votre dernier livre, vous expliquez que la France est “inondée par l’argent de la drogue”, et qu’elle “investit très peu dans la lutte contre les organisations criminelles”. Selon vous, “le gouvernement de Nicolas Sarkozy semble être pratiquement indifférent à ce problème”… Roberto Saviano – Oui, le gouvernement Sarkozy est vraiment très silencieux sur cette question. Le phénomène mafieux en France est perçu simplement comme quelque chose d’extérieur, qui n’envahit pas trop le pays et en sort très vite. Mais en fait ce n’est pas du tout le cas, la France est un carrefour fondamental du narcotrafic, les polices le savent très bien, et je ne peux pas imaginer que l’Etat ne s’intéresse pas à la quantité d’argent qui circule en France. Il y a une raison à cela : c’est que les anciennes colonies françaises subsahariennes sont les endroits d’où la cocaïne part, pour arriver en France. Et si on écoute les politiciens, on a l’impression qu’il s’agit de faits divers, de petites histoires de dealers, alors qu’il s’agit en réalité d’un trafic de grande envergure : on parle ici d’argent qui rentre dans les banques et dans les entreprises. C’est pour ça que j’estime que la tolérance du gouvernement français sur ce sujet est très grande, trop grande. J’ai le sentiment que Sarkozy n’agit pas sur la question des mafias pour ne pas attirer l’attention sur ce problème. Si on trouve de l’argent sale, on peut forcément en trouver encore plus ; on ouvre alors la boîte de Pandore. Ce n’est pas pour rien, je pense, que Ferdinando Cifariello, l’un des plus importants chefs du clan camorriste Di Lauro, s’était installé à Nice. Pour que quelque chose se passe en France, il faudrait qu’un juge soit tué. Par exemple, le juge Falcone, qui a été assassiné et dont je parle dans mon livre, disait que pour que l’on commence à combattre la Mafia, il faut qu’il y ait des morts symboliques. Il n’y en a pas eu en France ces dernières années. Comment cet argent rentre-t-il dans les banques et dans les entreprises ? Le mécanisme, on le voit seulement à l’œuvre quand c’est l’antimafia italienne qui opère. Un exemple : si on ouvre un restaurant en France, l’un des partenaires peut

avoir son siège social ailleurs, dans un lieu off-shore, Aruba par exemple. C’est là que cet argent entre en France, sans que l’on puisse le voir. L’objectif du gouvernement français est que les entreprises basées sur le territoire paient des impôts. Mais ça ne les intéresse pas, en revanche, de savoir d’où cet argent arrive. Pour les banques, le problème principal est qu’avec la crise financière, les défenses immunitaires de l’Etat ont beaucoup baissé. Cette tolérance à l’égard des mafias via le système financier est dûe au fait qu’elles disposent de beaucoup de liquidités dans ce contexte économique déprimé. Cette question est pourtant absente de la campagne présidentielle française… C’est évident. Il y a quelques jours, Pietro Grasso, le chef de l’antimafia en Italie, a déclaré que des groupes mafieux qui disposent de près de 500 milliards d’euros, sont en train d’investir des sommes colossales en France. On aurait pu s’attendre à ce que le Président français prenne position, déclare que cet argent ne rentrerait jamais en France. A l’inverse, cette nouvelle a été entourée d’un silence assourdissant. En France, la mafia n’est pas une thématique de campagne forte, on préfère se focaliser sur la question de l’immigration. En Italie, il y a une loi qui prévoit que l’on est coupable si l’on est simplement en relation avec la Mafia ; en France cette loi n’existe pas : pour être reconnu coupable, il faut faire partie d’une mafia, et pas simplement y être “affilié”. Paradoxalement, la police française fournit énormément de données. Et les politiques n’en font rien. Idem pour les journaux. Au final, c’est le film de Jacques Audiard, Un prophète, qui a peut-être fait le plus ces dernières années pour parler du problème des mafias dans votre pays. Un système de lutte européen contre les mafias fait-il également défaut ? Oui, et c’est pour cela que je regrette beaucoup le fait que la France ne soit pas impliquée dans cette lutte. Idem pour l’Angleterre. Il faut un réseau international coordonné pour lutter contre les mafias. Je maintiens que si l’Europe ne s’attaque pas à ce problème pour le moment, c’est qu’elle en a besoin. Cet argent, s’il ne rentre pas, finira ailleurs, et c’est un problème en cette période de crise. Et cet argent ne vient pas uniquement d’Europe. L’autre jour, un policier mexicain m’expliquait que les mafias mexicaines étaient en train d’acheter l’Espagne. Ces mafias récoltent énormément d’argent grâce au trafic de cocaïne et de méthamphétamine avec les Etats-Unis, elles ont énormément de liquidités qu’elles recyclent en Espagne, d’abord, et qu’elles recycleront certainement très vite dans le reste de l’Europe.

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“on parle ici d’argent qui rentre dans les banques et dans les entreprises”

Ces mafias extra-européennes sont-elles une nouvelle menace pour l’Europe ? Oui, de très grosses cargaisons de cocaïne partent de pays comme l’Uruguay pour rejoindre l’Europe, notamment l’Europe de l’Est. Ces mafias sont les plus menaçantes, et j’essaie de faire comprendre que ce problème n’est plus uniquement italien, même si l’Italie est encore très touchée. J’ai parfois le sentiment de me battre un peu seul, mais une évolution est possible. C’est pour cela que je continue à publier des livres qui vont dans ce sens. recueilli par Pierre Siankowski photo Rüdy Waks Le combat continue – Résister à la Mafia et à la corruption (Robert Laffont), traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli, 196 pages, 18 €

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Génial et protéiforme, le père de Blueberry et cofondateur de Métal hurlant nous avait accordé un entretien il y a deux ans. Extraits.

1938-2012 Moebius a bouclé la boucle

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uteur et dessinateur de BD culte, cofondateur de Métal hurlant, collaborateur de nombreux films (Alien, Le Cinquième Elément…). Cet artiste unique a définitivement bouclé l’anneau infini dont il avait pris le nom : Moebius, alias Gir, alias Jean Giraud, est mort samedi dernier, terrassé par un cancer. Il avait 73 ans. Cet espace-temps lui a tout de même permis de bouleverser les formes et les codes de sa discipline et d’acquérir une admiration planétaire. Pour parler de lui, laissons-lui la parole. En 2010, la Fondation Cartier lui consacrait une exposition sur la transformation. Il nous avait alors accordé un long entretien. Extraits. Alain Dreyfus Vous êtes à la fois Jean Giraud, père de Blueberry, et Gir, Moebius… Qui êtes-vous ? Moebius – J’avais besoin de pseudos

pour naviguer d’un monde à un autre et pouvoir en revenir. Mais je ne suis qu’un. Il y a eu une mutation de la BD dans les années 1960-70, je suis un des rares transfuges d’un genre à un autre. J’ai l’impression d’avoir fait ce chemin sans abandonner le point d’origine. L’idée de transformation revient souvent dans votre œuvre… J’ai toujours eu du mal à garder les formes stables. Quelque chose glisse en moi qui rend les choses évanescentes. Quand mes personnages vivent normalement et que soudain des excroissances commencent à leur pousser, ce n’est pas normal mais monstrueux, presque une pathologie cancéreuse, une anarchie cellulaire. Arzak l’arpenteur est la suite d’Arzac, une histoire débutée il y a trente ans… Il y a trente ans, cette histoire énigmatique avait quelque chose

de transgressif. Arzach était une boule d’énergie. Ça se voit dans le graphisme, dans l’orthographe mouvante et dans l’utilisation que j’en ai fait au cours des années, qu’il a traversées sous forme de toutes sortes d’avatars – je l’ai décliné en posters, en dessins, en films… Des producteurs japonais m’avaient proposé un film d’animation. J’avais écrit un scénario avec Arzach. La production s’est effondrée et le scénario est resté. Arzak vient de tout cela. Vous avez commencé à dessiner très jeune, dès les années 1950… Je viens d’une famille sans tradition artistique, mon père était d’une famille bourgeoise, ma mère avait des origines paysannes. Chez mes grands-parents, il y avait pas mal de gravures d’artistes comme Gustave Doré, Edouard Riou ou Alphonse de Neuville. Et parallèlement, à l’école, je retrouvais la culture

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Moebius, La Chasse au Major, 2009

“j’ai vraiment un problème avec l’autorité et ceux qui l’incarnent”

de la jeunesse de l’époque, bercée par Tim l’Audace, Les Pieds Nickelés, Tintin, bref, la BD productrice d’images simples pour enfants sur les thèmes de l’aventure. Comment vous êtes-vous formé ? J’ai travaillé avec Joseph Gillain (Spirou, Jerry Spring…) pendant un an. Il m’a initié. Gillain a structuré mon graphisme, c’était formidable. Un voyage au Mexique en 1956 m’a apporté de nouveaux thèmes. Mais la maturation a été longue. C’est seulement quand je suis rentré à Paris que j’ai trouvé via la SF une passerelle possible entre mes publications dans les journaux et mon exigence d’artiste. Comment avez-vous découvert la SF ? Mon père m’a apporté un jour la revue Fiction, en me disant de la lire. J’ai vraiment aimé ! Cette revue publiait des nouvelles américaines et françaises. J’ai découvert Heinlein, Asimov, Philip K. Dick, Jack Vance, Philip José Farmer, qui très vite sont devenus mes écrivains de référence. J’aimais la SF où l’idée qu’un homme mis dans une situation d’extériorité représente le genre humain. C’est cet intérêt pour la SF qui a engendré la création de Métal hurlant en 1975 ? Pour faire Métal hurlant, il fallait ruser d’une façon insupportable. Hergé avait créé une sorte de malentendu magique mais

puissant : faire croire qu’il travaillait pour les enfants alors qu’il œuvrait pour tout le monde, en expurgeant sa création de toute sexualité. Nous voulions nous émanciper. S’émanciper, ça voulait dire travailler à l’intérieur, mais aussi socialement, parce qu’il y avait des structures de surveillance très vigilantes : l’Education nationale, les élus, les parents et les flics. Il ne faut pas oublier que, quand on a sorti Métal hurlant, on a aussi créé une revue appelée Ah ! Nana, son équivalent féminin et féministe. Elle s’est arrêtée au neuvième numéro après convocation au Quai des Orfèvres, avec interdiction d’affichage. Il s’agissait d’un numéro spécial sur l’inceste, c’était cool ! Aimez-vous toujours la transgression ? Aujourd’hui, on est plutôt dans une période de résistance, de consolidation de conquêtes qui semblaient acquises mais qui ne le sont pas. J’ai vraiment un problème avec l’autorité et ceux qui l’incarnent, qu’il s’agisse d’un flic ou d’une personne normale qui, d’un coup, devient autoritaire. Je suis un anticorps… Et la défonce ? Ça faisait partie de la culture d’une époque. J’ai fumé du hasch pour travailler, à doses homéopathiques. Je fumais des herbes naturelles, une inhalation légère me branchait sur une autre perception du monde, de moi-même, de mon réservoir émotionnel, de mots et de références. Ma relation au cannabis est particulière : j’ai été initié au Mexique en 1956 par des artistes qui m’ont transmis une sorte de cahier des charges : n’utiliser l’herbe que pour se transcender et sans jamais mettre en danger son intégrité. Je ne me suis jamais trouvé dans une situation de dépendance. Je me désolidarise totalement de la manière, profane et perverse, dont la fumette s’est répandue dans les sociétés occidentales. Etes-vous à l’aise avec le succès ? J’ai vite considéré le talent comme une sorte de passe-droit extraordinaire, avec tout ce que ça peut impliquer comme risque de corruption. Récemment, j’étais à la poste pour retirer un recommandé et je n’avais pas ma carte d’identité. Le gars me dit : “C’est pas la peine, monsieur Moebius, je vais vous apporter votre paquet.” Chaque fois, je m’interroge, juste pour éviter que ça aille de soi. J’ai voulu être connu, non seulement par mes contemporains mais aussi dans l’avenir et me retrouver réintégré dans le passé. Etre connu aussi des anges, reconnu par les hiérarchies, célestes ou pas ! recueilli par Anne-Claire Norot 14.03.2012 les inrockuptibles 19

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Phoebe Philo

Electric Guest

retour de hype

Mitt Romney

“47 kilos avant l’été, c’est possible !”

www.theblaze.com

“j’ai chanté Alane de WES à Wes Anderson, il connaissait pas”

“est-ce que ce monde est sérieux ?”

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

“perso j’ai rien contre les TGV de confort moi, j’aime bien ça, la première classe”

les gens modestes

le bébé de Snooki

Elizabeth Olsen

la cloclophobie le Salon du livre “j’aimerais bien aller à South by Southwest mais je sais même pas bien le prononcer”

Mélenchon présidon

“J’ai chanté Alane de WES à Wes Anderson, il connaissait pas” Son Moonrise Kingdom fera l’ouverture du Festival de Cannes. L’occasion de lui faire de bonnes blagues au détour d’une projo. Les gens modestes “Nous sommes des gens modestes”, a susurré Carla Bruni dans les coulisses de l’émission Des paroles et des actes où son mari battait campagne. Hi hi. “Est-ce que ce monde est sérieux ?” Si, si hombre, hombre. Baila, baila.

Le bébé de Snooki La star de la meilleure/pire téléréalité du monde, Jersey Shore, est enceinte. L’Apocalypse est bien prévue pour 2012. “47 kilos avant l’été, c’est possible !” Sur les internets, une certaine Anna Utopia Giordano retouche les tableaux classiques selon les canons de beauté de notre époque. Brrr. La cloclophobie Les gens qui font des crises d’angoisse quand ils entendent Cloclo. Nous ne les oublions pas. D. L.

billet dur

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Caramail

her Jean-Louis Murat, Mon vieux loulou, je tenais à t’avertir qu’une terrible erreur s’est glissée dans le dernier numéro de Grand seigneur, publication “food and lifestyle” de nos confrères de Technikart. Sur la couverture, le Pantagruel briviste Patrick Sébastien y fait ripaille, mais c’est ton interview à l’intérieur que j’ai pour ma part dévorée en premier. Et là, stupeur, visiblement tes propos ont été malencontreusement intervertis avec ceux de l’animateur troupier car on te fait dire ceci : “Je me fais tout le temps allumer dans Télérama par une brouteuse de base. La brouteuse me déteste, je suis l’ennemi de la brouteuse. Et d’ailleurs je suis contre le broutage, donc elles doivent le sentir.” Avoue qu’il est fâcheux de voir ainsi collées dans ta bouche ordinairement si suave, réceptacle

d’une belle langue de pute comme on les aime, de telles considérations au ras de la pelouse. Enfin, je veux dire, d’un goût douteux. Surtout toi, qui jadis mit en musique Les Fleurs du mal de Baudelaire, dont le titre primitif était, tu ne peux l’ignorer, Les Lesbiennes ! Mais, attends, après vérification il n’y aurait pas méprise, tu aurais bien dit ça ? Sans déconner ? C’est de l’humour auvergnat façon Chirac carabin ? Le lichen rare qui nourrissait autrefois ta prose terreuse et boisée t’aurait donc peu à peu transformé en petit bonhomme en mousse ? Je te conseille toutefois de rapprocher ta solitude de celle d’un ancien Premier ministre et candidat fantoche à l’élection présidentielle, Dominique de Villepin, qui déclarait lors de sa visite au Salon de l’agriculture : “Je n’ai pas mis ma culotte de chou pour me faire brouter le derrière par les petits lapins.” Présente-lui ton grand lièvre, vous ferez un beau duo de broute-en-train. Je t’embrasse pas, tu commences à nous les brouter. Christophe Conte

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Matt Barnes

Azealia Banks Cette Américaine qui chérit Supergrass comme Jay-Z sera l’incontournable de cette année 2012, avec son flow à la fois cool et speed.

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zealia Banks a 20 ans, vient de New York, et tout laisse à penser qu’elle sera le buzz ultime de 2012. Kanye West, qui ne suit que cinq personnes sur Twitter, est déjà connecté aux punchlines que la jeune femme envoie chaque dix minutes (elle s’y est inscrite sous le pseudonyme “Yung Rapunxel”), et depuis quelques semaines, le clip de 212, le morceau-titre de son tout premier ep, attendu pour le printemps, ne cesse de tourner sur internet et de faire passer Rihanna ou Nicki Minaj pour des shampouineuses-conseils. Dans un décor sobre, la jeune Azealia danse dans un pull Mickey Mouse du plus bel effet, et impressionne par son flow à la fois cool, speed et transgénique. Il faut dire que Mlle Banks (qui revient d’une

grande tournée anglaise avec Metronomy et Two Door Cinema Club) s’appuie sur une culture musicale assez folle, qui ne s’impose aucune frontière, et va de Supergrass (Alright est sa chanson préférée) à Jay-Z, en passant par le Velvet Underground ou Destiny’s Child. Ouverte et décomplexée, la musique d’Azealia Banks est groovy au possible, pop à souhait, libre. Elle vous rentre dans la tête en quelques minutes à peine, façon tomahawk. Très récemment, l’ange gardien d’Adele, Paul Epworth, a décidé de se pencher sur l’album à venir de l’artiste, alors que Nicola Formichetti, le styliste de Lady Gaga, a bossé sur le clip (tourné à Paris) de Liquorice, l’un des meilleurs morceaux de son ep, qui devrait être aussi son nouveau single. Du lourd, on vous dit. Pierre Siankowski

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le juge qui terrorise les politiques

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omment tu savais que j’allais me pointer dans la salle fumeurs ?”, m’apostrophe Gilbert Thiel en tirant sa chaise. Jamais sans une gitane sans filtre entre les doigts, le juge antiterroriste de 63 ans dit aujourd’hui “voir le poteau de l’arrivée”. Retraite programmée fin 2014. Derrière la vitre où s’applique la loi Evin, ses deux gardes du corps s’accoudent au comptoir.  Avant de ranger sa robe de magistrat, Thiel compte bien s’amuser un peu. D’abord avec un livre d’entretiens acerbe sur l’institution judiciaire : Derniers jugements avant liquidation 1, paru le 15 février, jour de l’annonce d’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy. Puis une BD intitulée Le Pouvoir de convaincre 2 (sortie le 3 mars), dont il a rédigé le scénario. Au milieu des affaires juridico-politico-financières, on suit l’ascension de l’avocat Nagy, premier nom de l’actuel président-candidat. Et le devoir de réserve ? “J’ai relu l’opuscule du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et j’ai bien vu qu’on ne parlait pas du tout du droit à l’humour. En démocratie, il y a un grand principe de droit : tout ce qui n’est pas expressément interdit est autorisé.” Dans sa BD, Jacques Chirac fiste une vache, Charles Pasqua savoure du homard avec des encagoulés et Richard Virenque se trimballe avec des seringues pendouillant dans le dos. “Celui-là, c’était juste pour situer les années 90”, ricane-t-il. Un style Charlie Hebdo où, en gros, une bulle égale une blague. Hortefeux se fait par exemple astiquer par l’avocat Nagy : “Brice, t’es un bon aryen.”

Si, du livre aux cases, la forme varie le message ne bouge pas. Celui d’un “soldat” de l’institution judiciaire déçu, usé après trente-cinq ans de service. Dans les années 1995-2000, Thiel faisait des journées de quinze heures, maintenant il en est à huit. Après ce quinquennat de réformes judiciaires, Thiel argue que sa réaction, “c’est presque de la légitime défense”.  Dans les années 80, alors juge en province, il se trouve “confronté à la logique comptable et stupide de Bercy”. Un trésorier payeur général constate que, lors d’une enquête pour assassinat, une partie de l’autopsie est pratiquée par une petite main, “payée entre 20 et 30 francs le cadavre”. Ce n’est pas prévu par les textes, le fonctionnaire refuse de donner à Thiel le crédit nécessaire. “J’ai fait venir des journalistes de L’Est républicain et du Républicain lorrain, et j’ai annoncé que la loi me permettait de réquisitionner tout citoyen français. J’exigeais donc du trésorier qu’il réalise lui-même l’autopsie.” Après avoir été traité de fou par un président de tribunal ressemblant à Francis Blanche, le trésorier est revenu. Et il a payé. “Tu te rends compte, pour trente balles ?” Un beau jour, Anne Langlois lui téléphone : – “Bonjour, je suis la scénariste d’Engrenages.

“en démocratie, il y a un grand principe de droit : tout ce qui n’est pas expressément interdit est autorisé”

Alain Denantes/Gamma-Rapho

Un brûlot, une BD sur l’ascension de Sarkozy, un rôle pour une série de Canal+… Le juge antiterroriste Gilbert Thiel teste les limites de son devoir de réserve. 

– Qu’est-ce que c’est que ça ? – Une série policière et judiciaire sur Canal+. J’ai lu que vous étiez au placard, comme mon héros dans la saison 4… J’aimerais quelques conseils.” Quand il examine le scénario de la saison 4, qui sera diffusée cet été, le personnage d’un hiérarque très borné et tout aussi médaillé l’interpelle. “Je lui ai dit que j’aimerais bien jouer ce rôle-là. Les intermittents du spectacle vont peut-être gueuler ; t’as qu’à leur dire que je suis un intermittent de la justice à la dérive.” La production accepte. Le 24 août 2011, premier jour de tournage, il se retrouve en terrain connu : la salle des pas perdus du tribunal de grande instance de Paris. En 2003, il refusa que Dominique Perben, le garde des Sceaux de l’époque, lui colle une Légion d’honneur au revers du veston. Et là, pour les besoins de la télévision, il se balade au tribunal avec “la bleue et la rose” épinglées au niveau du cœur. “Je croisais des collègues qui regardaient en se disant : ‘il nous a menti ou quoi ?” Pour Engrenages, il se fait donner du “monsieur le président” et tâche de mater François Roban, un juge impertinent. “C’est un message subliminal que j’envoie avant de quitter la scène… judiciaire.” Geoffrey Le Guilcher 1. Derniers jugements avant liquidation – Trente-cinq ans dans la magistrature de Gilbert Thiel et Daniel Carton (Albin Michel), 245 pages, 17 € 2. Le Pouvoir de convaincre de Gilbert Thiel, Bernard Swysen et Marco Paulo (12 bis), 48 pages, 12 €

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monolog.tv

manifester, c’est l’enfance de l’art

En Russie, l’art est descendu dans la rue. Un mouvement en pleine expansion dans un pays où les artistes ont appris à défier l’ordre établi.



n panneau “Attention, tandem en marche” à deux pas du Kremlin, des affiches de Medvedev en superhéros ou un œil qui surveille Moscou de la place Rouge… En Russie, on connaissait déjà les tapages du groupe Voïna. Leur pénis géant dessiné face au siège du FSB (Service fédéral de sécurité) ou leur drapeau pirate hissé sur le bâtiment du Parlement. Depuis quelques années, on souriait des “festations”, ces marches aux slogans absurdes – “Je suis contre tout”, “Je ne te parle pas à toi” –, organisées pour contourner l’interdiction de manifester. Mais ces derniers mois, la contestation a vu de nouvelles performances investir le pavé russe. Artiste à l’imagination foisonnante, Pavel 183 habille les rues de Moscou depuis plusieurs années. L’été dernier, il déguise les accès du métro moscovite en bataillon de CRS locaux rangés derrière leurs boucliers. Dans un atelier à Winzavod, une de ces friches industrielles reconverties en centre d’art contemporain, il raconte : “L’art de rue est peu développé en Russie. Le graff, c’est à 85 % du vandalisme et peu de choses créatives. Mais une nouvelle génération prend la relève, plus conceptuelle, plus illustrative.” Selon lui, cette poussée est due à l’attention croissante du public mais aussi au climat politique. “On voit tout un courant émerger, anarchiste, antiglobalisation, et cette forme d’art est bien sûr un instrument pour s‘exprimer librement.” Ces derniers mois, le jeune homme a participé aux manifs, même s’il avoue être fatigué, comme l’illustre Election, une de ses dernières œuvres. Avant la présidentielle, en plein cœur de Moscou, entre un bureau de vote et un commissariat, il peint une grand-mère et une enfant retranchées dans un abri survolé par un avion, prêt à lâcher ses bombes.

“remonter le moral des passants, taper sur les nerfs des autorités, casser les stéréotypes”

“J’ai voulu illustrer le sort des gens ordinaires, qui n’ont pas d’argent, les sans-droits, qui attendent juste que ça passe. C’est l’état de la population aujourd’hui en Russie.” Faire réagir les gens, c’est l’idée de Monolog, l’auteur des affiches de l’ancien Président en superhéros ou du duo Poutine-Medvedev, en tenue de tennismen, placardées de nuit dans la capitale. “Pourquoi je fais ça ? Contre le culte de la personnalité. (…) Pour remonter le moral des passants, taper sur les nerfs des autorités, casser les stéréotypes.” Le projet de l’Alternative urbaine de navigation détourne aussi les clichés. Fin 2011, ce groupe d’artistes installe une dizaine de panneaux de signalisation dans Moscou, même format, même typo, mais modifie les images et les messages. “Attention, tandem en marche” sur la place Rouge, “Corruption sur la route” ou “Piétons ivres” à la sortie d’un club branché. “Nous voulions faire un projet qui attire les artistes de rue, les écologistes, les militants et améliore l’environnement urbain”, explique son initiateur au centre de design Art Play. Drôle, poétique, engagée, cette jolie guérilla urbaine n’est pas sans rappeler l’art contestataire qui s’est développé en Russie dans les années 70. Souvent par l’absurde, elle tournait en ridicule la propagande et les normes sociales. Comme Dimitri Prigov, poète, qui sous l’URSS écrit un “Camarades !” sur les arbres de la place Rouge avant d’être interné en hôpital psychiatrique. Comme les pseudo-manifestations du groupe Radek qui se fondait dans la foule avant de sortir banderoles et slogans absurdes, kidnappant les piétons dans leur rassemblement surprise. Ou encore comme Iron Curtain, du groupe Gnezdo, une plaque de fer installée en travers du chemin et en plein cœur de la guerre froide. Marine Dumeurger (à Moscou) à voir sur www.183art.ru/index.htm et monolog.tv

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Hadopi sur les dents Alors qu’elle pressent sa dernière heure arriver, la Haute Autorité ne cesse de s’exprimer pour justifier son existence.

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uelques jours après la déclaration gonflée de Frédéric Mitterrand liant le succès aux oscars de The Artist à la loi Hadopi, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet a publié une analyse de l’impact de la fermeture de Megaupload. Celle-ci montre que les plates-formes légales de catch-up TV et de VOD ont, dans les semaines suivant la fin du site, augmenté leur audience de 25,7 %. Le nombre moyen de visiteurs uniques quotidiens sur les sites de streaming gratuit aurait quant à lui baissé de 19,5 %. L’Hadopi se félicite de ces résultats, concluant que les internautes se sont déplacés vers les offres légales. Mais l’analyse se base sur des chiffres arrêtés à fin janvier (Médiamétrie), soit douze jours après la fermeture de Megaupload. Les internautes, déroutés dans un premier temps, ont pu depuis se reporter sur d’autres sites. L’analyse ne porte pas, de plus, sur les sites d’hébergement de fichiers (Rapidshare ou autres) ou le P2P. Parallèlement à cette annonce, l’Hadopi a réagi à une déclaration du commissaire européen Karel de Gucht qui, au cours d’un débat sur l’Acta au Parlement européen, s’est interrogé sur la compatibilité de la loi Création et internet avec “la protection des droits de l’homme” et a déclaré avoir à ce sujet “de très graves interrogations”. Par un communiqué, la Haute Autorité dit avoir pris connaissance “avec un profond

probable en cas de défaite de Sarkozy, sa suppression n’est pourtant pas sûre

étonnement” de ces propos et conclut, avec un rien d’arrogance, que si Karel de Gucht a tenu de tels propos, c’est parce qu’il est insuffisamment informé. Et de rappeler, pour se justifier, que le Conseil d’Etat a confirmé la légitimité de la réponse graduée. Est-ce parce qu’elle sent sa fin prochaine que la Haute Autorité multiplie ainsi les déclarations et montre les dents ? Probable en cas de défaite de Nicolas Sarkozy, sa suppression n’est pourtant pas sûre. François Hollande reste flou sur cet épineux sujet. Après avoir déclaré en off de son discours de Nantes qu’il la supprimerait, il a ensuite insisté sur le fait qu’elle serait remplacée. Dans une tribune du Monde du 2 mars, il a rappelé que “la protection des auteurs est également prioritaire. Nous ne considérons pas le piratage comme un problème mineur. (…) De la même manière qu’on ne peut plus laisser prospérer un marché financier dérégulé, on ne peut pas non plus accepter un marché numérique sans maîtrise.” En marge de cette tribune, le site Owni publiait un document intitulé “Note à l’attention de François Hollande sur Hadopi et la licence globale”, qui lui aurait été envoyé par le cabinet de Jack Lang et, d’après Owni, aurait été rédigé par Jean Cazès, producteur de films et membre du Club européen des producteurs – un lobby de l’industrie du cinéma. La note, pro-Hadopi et anti-licence globale (“un danger mortel pour le cinéma et l’écrit”), donne des recommandations au candidat sur la façon dont il devra gérer “une éventuelle révision de la loi” s’il est élu… Reste à savoir quelle voie François Hollande, entouré au PS par de farouches adversaires et spécialistes des questions propres au numérique (Christian Paul, Patrick Bloche…), privilégiera. Anne-Claire Norot

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le catalogue Michael Jackson volé à Sony

le nouvel iPad arrive tu parles, Charles  Arnaud Viviant est le rédacteur en chef d’un nouveau bookmag trimestriel sur la politique, Charles. Pour son premier numéro, la revue imagine un gouvernement composé exclusivement d’écrivains, parmi lesquels Mathias Enard, François Bégaudeau, Martin Winckler, Frédéric Beigbeder…

vers l’extradition de Kim Dotcom ? LulzSec trahi Cinq pirates appartenant au collectif LulzSec ont été inculpés. Ils auraient été trahis par un des leurs, Hector Xavier Monsegur, alias Sabu.

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Les Etats-Unis ont demandé l’extradition de Kim Dotcom, fondateur de Megaupload. Le procès, qui statuera sur cette requête, est prévu au plus tôt le 20 août en Nouvelle-Zélande. L’accusé risque jusqu’à vingt ans de prison.

Apple a dévoilé sa troisième version de l’iPad. Disponible à partir du 16 mars, il est doté d’un écran HD de 3,1 millions de pixels, de la 4G et d’un nouveau processeur (le A5X quad-core).

Lady Gaga, très suivie sur Twitter Lady Gaga vient de passer le cap, jamais atteint jusqu’alors, des 20 millions de followers. Dans le classement des personnalités les plus suivies sur Twitter, viennent ensuite Justin Bieber et Katy Perry. Seul homme politique du top 20, Barack Obama se trouve en huitième position.

Meeno

Des hackers auraient dérobé à Sony la totalité du catalogue de Michael Jackson, dont certains inédits que la société avait achetés l’an dernier 250 millions d’euros.

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allô ! c’est Marilyn L’Américaine Michelle Williams incarne l’actrice disparue dans la comédie My Week with Marilyn, en salle le 4 avril. Pou-pou-pi-dou.

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un rôle un peu téléphoné ?

C’est ce que suggère la pose très SFR que prend Michelle Williams sur cette photo promo du film. “Salut ! c’est Marilyn, ça roule ou bien ? Je te rappelle après sept ans de réflexion.” Comment ne pas vouloir ajouter à cette photo – via Photoshop – un petit smartphone qui transposerait Marilyn dans l’univers 2.0 ? C’est peut-être ce qu’a souhaité le réalisateur Simon Curtis en offrant cette pose particulière à Michelle Williams, qui ressemble de façon troublante à la madone des sixties et semble donner une nouvelle texture (synthétique) au mythe. Loin de sa chemise à carreaux de Brokeback Mountain et de son look un peu déprimos de Blue Valentine, l’actrice américaine prend en effet le rôle et le personnage à bras-le-corps et entre littéralement dans Marilyn en s’offrant au passage un sacré numéro (bip, bip) qui lui a valu une récompense aux Golden Globes et une nomination aux oscars. Mais fallait-il vraiment aller chercher la blondinette Michelle pour aller incarner la mère Monroe : blonde on blonde, comme dirait Bob Dylan, c’est un peu convenu, non ?

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ça Dawson occupé

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trop de Marilyn tue la Marilyn

Près de cinquante ans après sa mort (le 5 août 1962), Marilyn Monroe n’en finit plus de fasciner les jeunes actrices. Après Lindsay Lohan, qui avait reproduit pour le New York Magazine la dernière session de l’actrice avec Bert Stern, et juste à la suite de Michelle Williams, donc, c’est la jeune Miley Cyrus (pas encore 20 ans) qui s’est fait photographiée en mode Marilyn

récemment. Et comme si ça ne suffisait pas, le Festival de Cannes, pour sa 65e édition présidée par Nanni Moretti, a choisi de placer l’actrice sur son affiche officielle. N’en jetez plus. Seule ombre au tableau pour feu la blonde : la décision de Megan Fox de se faire retirer au laser le tatouage du visage de Marilyn qu’elle avait sur le bras droit. Eh ben. Pierre Siankowski

Michelle Williams, c’est des rôles déjà fondateurs au cinéma (en particulier chez Kelly Reichardt qui la sublime dans Wendy et Lucy ou encore dans La Dernière Piste), mais c’est surtout Jennifer Lindley dans Dawson, souvenez-vous. Nous lancer une héroïne connue à l’heure du goûter dans le rôle de Marilyn Monroe, c’est un sacré coup bas. Déjà on prend dix ans dans les trous de nez ; ensuite a-t-on vraiment envie de ça ? Oserait-on mettre l’actrice qui faisait Nellie Oleson (la teigne de La Petite Maison dans la prairie) dans un biopic de Nathalie Kosciusko-Morizet ? Patrick Puydebat (le Nicolas d’Hélène et les garçons) en Jean Sarkozy ? Et Gary Coleman, l’Arnold d’Arnold et Willy, s’il n’était pas décédé – d’une hémorragie cérébrale en mai 2010, mon Dieu –, aurait-il eu intérêt à interpréter le rôle d’un Barack Obama en formation ? Faut de tout, c’est vrai, faut de tout, tu sais, faut de tout pour faire un monde, mais on ne joue pas comme ça avec l’adolescence des gens. Merci.

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mon politique est un twitto

reportage twittos en politique 9200 signes

Depuis le début de la campagne, les politiques partent à la chasse aux followers. Entre Paris, Dijon et Bordeaux, dans la roue des clans Hollande et Sarkozy, nous avons suivi leurs pérégrinations sur 140 signes. par Anne Laffeter, Diane Lisarelli et Pierre Siankowski photo Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P

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amedi 3 mars, jour de meeting. François Hollande est au Zénith de Dijon, Nicolas Sarkozy au Parc des expositions de Bordeaux. Dans les trains en direction de la Bourgogne et de l’Aquitaine, politiques et militants tweetent et twitpiquent (voir glossaire p. 34) dans tous les sens. Certains sont venus en bus, comme Anne Hidalgo (PS) : on apprend ça via sa timeline, tweetée et retweetée par les militants qui, hashtags et compagnie, s’en donnent à cœur joie. 10 h 34, à droite cette fois : “En route pour Bordeaux meeting de @NicolasSarkozy.” C’est Valérie Rosso-Debord (UMP) qui tweete, assise à côté du député Sébastien Huyghe dans le train vers

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@najatvb (Najat VallaudBelkacem), porte-parole de François Hollande, pendant le meeting du 3 mars à Dijon

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tweet message de 140 caractères maximum envoyé sur Twitter timeline fil d’actualité des tweets et retweets (RT) qu’un usager suit followers (ou abonnés) personnes suivant un même compte Twitter stalker traquer quelqu’un dans le but d’obtenir des informations ou de l’importuner ou de tromper l’ennui hashtag précédé du symbole #, il s’agit d’un mot-clé (ou mot-clic) indiquant un thème de discussion. Permet de suivre tous les tweets sur le thème choisi hashtag fail erreur dans la saisie du mot-clé DM fail “message direct” ou personnel devenu public par erreur troll individu ayant sur internet des pratiques malveillantes. Gros relou. twitpiquer poster sur Twitter un lien qui renvoie à une photo. Rendu désuet par Instagram, nouveau réseau social de photos

Bordeaux. Les deux snipers du candidat Sarkozy ont sorti le matos : BlackBerry, tablette iPad et iPhone. Devant eux, pas un journal. “Parfois, j’arrive à destination sans même avoir ouvert mon Figaro”, confie Huyghe (on le comprend). Dans le TGV pour Dijon, Bertrand Delanoë et Harlem Désir discutent dans le wagon-bar. La veille au soir, Harlem Désir a réagi aux propos de Claude Guéant sur le halal via son Twitter. Il est loin d’être accro mais il fait des efforts. “Je ne tweete pas assez et je suis encore un peu long. Sur le halal, j’ai utilisé deux tweets. Mais je progresse chaque jour, en concision et en vitesse. Twitter nous permet de réagir tout de suite, de gagner du temps, c’est important. Plus besoin de se demander si tel ou tel journal a bouclé, de rédiger un long communiqué”, note le seul homme politique français dont le prénom est aussi celui d’un quartier de New York. Bertrand Delanoë regarde avec intérêt le smartphone de son collègue du PS qui lui explique la timeline, les followers, tout ça. Le maire de Paris n’a jamais tweeté. “Je n’ai même pas de téléphone portable. J’ai un site mais je ne m’occupe que du contenu. Je rédige encore mes textes au stylo. Twitter, ce n’est pas ma culture. Exposer brutalement des relations intimes me dérange, c’est certainement une question de génération. D’autre part, je n’ai pas le temps. Quand j’aurai quitté mes fonctions, je m’y intéresserai plus, c’est probablement très pratique, surtout en politique”, plaisante-t-il. Bertrand Delanoë reste une exception. Qu’ils soient de droite ou de gauche, les

Anne Lafetter

glossaire

@VRossoDebord et @SebastienHuyghe dans le TGV pour Bordeaux et le meeting de Nicolas Sarkozy, le 3 mars

politiques ont largement adopté ce nouvel outil de communication simple, efficace et gratuit qu’est Twitter, squatté depuis 2008 par les journalistes. Avec deux millions d’utilisateurs en France dont deux cents politiques et vingt ministres, Twitter doit beaucoup à la campagne présidentielle et aux politiques qui contribuent à lui faire de la pub. Pourtant, ceux-ci ont longtemps regardé de haut ce monde hostile peuplé d’êtres étranges aux pseudos rigolos. “Internet zone de non droit”, “Infos pas fiables”, “On ne peut rien dire en 140 signes”, “Un DM quoi ?”, entendait-on. En décembre 2009, Anne Hidalgo, l’une des pionnières en politique sur Twitter, avait pris une photo de Valérie Pécresse endormie lors d’un vote du budget au Conseil régional d’Ile-de-France puis l’avait postée sur son fil : “Elle n’a pas aimé du tout, m’a accusée d’avoir truqué sa photo. A l’époque, la question de l’humour, de la légèreté de Twitter n’était pas aussi avancée”, se souvient Anne Hidalgo. C’était il y a un peu plus de deux ans, une éternité en temps internet. “Lorsqu’une journaliste m’a dit en septembre dernier ‘Quoi ? Toi, une jeune, tu n’es pas sur Twitter ?’, je m’y suis

“Twitter peut être une sacrée poubelle politique, alors il faut avoir du recul sinon on devient dépressif” Chantal Jouanno

mise”, raconte Valérie Rosso-Debord. Effet de mode ou pas, Twitter entre parfaitement dans la logique de la communication politique et du règne de la petite phrase. “Vous n’avez pas le monopole du cœur”, lancé un soir de mai 1974 par Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand, aurait assurément été un toptweet aujourd’hui. Dijon, au Zénith. Harlem Désir et Bertrand Delanoë déboulent dans la salle. Certains membres du PS sont arrivés avant eux et l’ont fait savoir sur Twitter. François Rebsamen, maire de Dijon et grand maître de cérémonie : “Le Zénith se remplit à grande vitesse. Bonjour à tous #FH2012.” Jean-Marc Ayrault, lui, twitpique carrément la salle. Aubry et Montebourg s’abstiennent. Moscovici fera le bilan plus tard. Manuel Valls, après avoir rendu hommage à Gérard Rinaldi (“qui s’est éteint hier… Les Charlots, les Bidasses, Marc et Sophie, et… Merci Patron !”), annonce plus sobrement l’horaire du discours (15 h 30). Najat VallaudBelkacem, le nez sur son smartphone, déroule son fil Twitter. “Pendant un meeting, certains ont systématiquement la tête baissée sur les téléphones. On peut avoir l’impression que les politiques ne sont pas concentrés mais ils le sont doublement : ils écoutent, retranscrivent, tweetent. Il faut vivre avec son époque. Ça désacralise aussi un peu notre rôle. Pour ma part, je fais tous mes tweets moi-même”, explique la porte-parole de François Hollande, 15 000 followers environ au compteur.

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Pour le centriste Alain Lambert, joint par téléphone, “l’agora Twitter (sic) expose les politiques à la critique et remplace les rencontres sur le marché.” Twitter permettrait donc d’être en contact avec le peuple sans se donner la peine de serrer des paluches par milliers avec un sourire forcé ? Il en donne en tout cas l’illusion sans toutefois recouvrir la réalité sociale du pays. Car Twitter reste un outil de privilégiés, de ceux qui sont épargnés par la fameuse fracture numérique. TGV entre Paris et Bordeaux, HuygheRosso-Debord encore sur Twitter. Ils se disent à l’aise dans un monde “très CSP++” où règnerait un semblant de netiquette. Valérie Rosso-Debord a banni un follower une fois, pour menaces de mort. “Il était allé au-delà du raisonnable. Sinon, les opposants sont virulents mais jamais outranciers, à part les trolls.” Chantal Jouanno est plus nuancée : “Les gens se lâchent, genre ‘Pauv conne’. Twitter peut être une sacrée poubelle politique alors il faut avoir du recul sinon on devient dépressif.” Valérie Rosso-Debord fait défiler la timeline. “Han, j’ai été retweetée par Sarkozy !” (comprendre @NicolasSarkozy, le

Twitter est-il de droite ou de gauche ?

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’est désormais acté : la campagne présidentielle (va) se joue(r) sur le web. Si le scrutin risque de basculer sur un DM fail de Nadine Morano, un tweetclash mal géré par Pierre Moscovici ou une Twitpic de salade niçoise non-homologuée de Christian Estrosi, mesurons alors les forces en présence. Difficile d’établir si Twitter bande à gauche ou à droite. Les théoriciens du web 2.0 adeptes du personal branling vous le diront : ce sont les utilisateurs qui déterminent l’orientation politique d’un réseau social. Puisque la droite est au pouvoir depuis l’exil de Lionel Jospin sur l’île de Ré, les voix contestataires ont sans doute trouvé sur le web un moyen efficace d’appeler à l’insurrection qui vient (vaguement). Sur Twitter en particulier, il est clair que le profil des utilisateurs rejoint plutôt celui de l’électeur de gauche. A défaut d’être aussi précis que le Centre de recherches politiques de Sciences-Po, on peut au moins se fier à l’analyse des trendings topics, l’indicateur Médiamétrie des twittos

qui permet de signaler les sujets qui font le buzz et l’argent de Morandini. Sur Twitter, il se trouve que les militants socialistes les squattent aussi régulièrement que la rue de Solférino. Plus significatif pour un réseau entre la cour de récré et la cour de Versailles : il semblerait que la gauche ait aussi le monopole du LOL. Avec 95 000 followers, le collectif Humour de droite qui allie info et gros tacles bien envoyés effraie le moindre parlementaire de la majorité aux prises de positions un peu trop droitières. La droite avait essayé de créer un pendant avec Drôle de gauche mais on rangera cette tentative dans la case des naufrages du quinquennat. L’e-riposte peut malgré tout compter sur son armée de comptes institutionnels. @Francediplo, @PlaceBeauvau ou @Elysee sont sur les startings-blocks pour diffuser les dernières blagues de Claude Guéant. La bataille sera serrée et le retour en force d’un Jacques Cheminade multipliant les tweet-clashs pourrait bien offrir une surprise le 6 mai prochain. David Doucet et Diane Lisarelli

mais une orientation de la civilisat pouvoir la contrôler. Le libéralisme pouvoir la contrôler. Le libéralisme 14.03.2012 les inrockuptibles 35

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les candidats face à Twitter Tableau comparatif de la fréquence de leurs tweets sur les quatre derniers mois de 2011 et les deux premiers de 2012. ì7RXVDYDLHQWXQFRPSWHILQbVDXI1LFRODV Sarkozy qui vient d’en créer un et Nathalie Arthaud qui a visiblement choisi de ne pas être sur Twitter. ì(Qb0«OHQFKRQ+ROODQGHHW/HSDJH faisaient quasiment jeu égal avec un peu plus de 150 tweets par mois chacun. En 2012, Mélenchon 

a multiplié par quatre son rythme de publication. C’est le plus gros twitto en volume. ì(QbDFF«O«UDWLRQGXU\WKPHGHWZHHWVFåHVW9LOOHSLQ qui a carburé le plus entre fin 2011 et début 2012 en tweetant cinq fois plus – mais il partait d’une moyenne mensuelle très faible (19 tweets).

ì0RULQ%D\URXHW&KHYªQHPHQWVRQWHQEDLVVH Pour Morin et Chevènement qui ont jeté l’éponge, ça se comprend. Pour Bayrou, cela reste surprenant. ì6XUOHVP¬PHVS«ULRGHVOå803DPXOWLSOL« par quatre son nombre de tweets tandis que le PS l’a multiplié par six. D. L. et Studio Datagif

infographie réalisée par Studio Datagif 36 les inrockuptibles 14.03.2012

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“faut pas croire que je tweete toujours ce que je pense”

Denis Allard/RÉA

Eric Besson

compte officiel du candidat UMP, géré par la cellule web). Le candidat ne signe quasiment jamais lui-même. “Au départ un peu, corrige Jouanno. Le connaissant, ça doit vite l’énerver, mais avec la pression il n’a plus le temps.” Pour les politiques qui ne gèrent pas leur compte, la règle veut qu’ils signent de leurs initiales les tweets qu’ils dictent ou écrivent eux-mêmes. Valérie Rosso-Debord le jure : “On ne nous donne pas d’éléments de langage. Tweeter doit rester personnel sinon on n’a pas de followers.” Ni le style communiqué de presse, ni le style premier degré ou belliqueux à la Morano ne font recette, à moins de vouloir devenir la risée du net (et de se griller comme porte-parole, hein Nadine ?). Jouanno confirme : “Faut pas se louper, je relis quinze fois mes tweets avant de les envoyer.” Le must ? Etre repris par les médias qui ont ajouté au fil AFP leur timeline Twitter. Interrogée à propos de son lien de parenté avec Guy Debord, Valérie Rosso-Debord explique que l’auteur de La Société du spectacle était le petitcousin de son père. “Aujourd’hui, il m’aurait détestée”, concède amusée la députée UMP. Sans doute. Il aurait aussi haï Twitter qui donne l’illusion d’un dialogue avec une opinion publique fantasmée et apparaît, aux politiques et aux autres, comme le dernier stade du spectacle compris comme “un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images”. Sur le “village planétaire” de McLuhan, repris pour parler d’internet et des réseaux sociaux ces dernières années, le cousin Debord écrivait en 1988 dans Commentaires sur la société du spectacle : “Les villages, contrairement aux villes, ont toujours été dominés par le conformisme, l’isolement, la surveillance mesquine, l’ennui, les ragots toujours répétés sur quelques mêmes familles. Et c’est bien ainsi que se présente désormais la vulgarité de la planète spectaculaire…”

Ce samedi 3 mars, sur Twitter, une polémique efface l’autre. La viande halal chasse le jambon de Bayonne et alors que beaucoup ironisent, on frise l’indigestion. Parallèlement au #halalgate, une autre embrouille culinaire essentielle agite le réseau : le #couscousgate. Qui, du tunisien ou du marocain, est le meilleur ? Où se déroule ce débat palpitant ? Sur la timeline du ministre de l’Industrie Eric Besson, bien sûr. Tout simplement parce qu’au tweet “Bjr Quoi de prévu au menu petit dej ?”, Eric Besson – l’une des stars de Twitter – a répondu, à la cool : “Couscous-merguez. Comme d’hab.” Comme d’autres ministres, Eric Besson est venu soutenir un président candidat un peu à la ramasse. On peut le suivre à la trace sur Twitter. 8 h : “Brève grasse matinée. Conseil municipal à 8 h 30.” 9 h 27 : “Ai fait voter les délibérations les plus importantes et je quitte le conseil municipal pour aller écouter #Sarkozy à Bordeaux.” 10 h 46, dernier tweet avant décollage : “L’hôtesse me dit que je dois impérativement couper mon portable et me donne un oreiller. Double message. Compris. See u”. 12 h 28, atterrissage : “Arrivé à Bordeaux je découvre que vous débattez encore couscousgate.” Ce samedi, Eric Besson a posté 67 tweets. Ce qui dépasse un peu son rythme journalier : en moyenne, il est passé de 231 tweets par mois fin 2011 à 1 279 en 2012. Sa suractivité et son narcissisme n’amusent pas tout le monde. “C’est too much, un ministre de la République doit se tenir”, estime Valérie Rosso-Debord. “De la tenue ? Ce sont les jaloux qui disent ça quand ils voient que ça se passe bien”, réplique Eric Besson. Où placer la limite ? Une dizaine de fois, il admet être allé trop loin pour un ministre, comme tweeter “Ça me gonfle.” “Je sais que François Fillon me suit, j’y pense un peu du coup, explique-t-il en rigolant. La séquence sur les merguez peut me valoir une petite réflexion.” Avec Twitter, Besson a tenté de recoolifier une image ternie par son passage au ministère de l’Identité nationale. Il essaie d’être drôle et 14.03.2012 les inrockuptibles 37

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“au-delà de l’aspect politique, Twitter peut avoir un aspect presque documentaire”

Dans la salle de presse, Ariane Vincent livetweete les phrases clés du meeting de @fhollande

répond très souvent à ses followers préférés – surtout des filles. “Des génies de l’humour. Je suis sûr que Les Guignols de l’info les pillent. Le réseau est un bon réceptacle de ce trait peu connu de ma personnalité.” L’humour donc, mais plutôt Monty Python que Bigard : “Il faut avoir un humour british : sérieux, décalé, autodérision, distance.” A part à lui-même, à qui attribue-t-il cette qualité ? A Cécile Duflot qui l’avait tweet-clashé en lui demandant d’arrêter “de faire le kéké sur Twitter” et de s’occuper de ses dossiers ? “Je n’aime son style ni sur Twitter ni dans la vie.”

François Fillon ? “Oui, il a de l’autodérision”. François Hollande ? “Il serait extraordinaire.” Nicolas Sarkozy ? “Il a beaucoup d’humour, un vrai talent d’imitateur, mais n’est pas British pour un sou”. Les recettes du succès de Besson ? Comme en téléréalité : rester soi-même. Toutefois, “faut pas croire que je tweete toujours ce que je pense”, nuance le ministre. Ensuite, comme au foot, respecter des phases de jeux, alterner léger et sérieux. “Pour capter l’attention et susciter moins de réactions, il faut intercaler les tweets sur Sarkozy au milieu d’une série de tweets persos.”

fake : quand les faux comptes motivent les vrais

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witter aussi a connu sa préhistoire. Une ère du vide où des pionniers s’amusaient à faker (créer de faux comptes personnels) des politiques connus alors déconnectés des réseaux sociaux. A tel point que nombre d’entre eux ont appris l’existence du microblogging le jour où des journalistes ont décroché leur téléphone pour leur demander de confirmer tel ou tel tweet. Quand en 2009, le défunt Post.fr joint l’attaché de presse de l’actuelle secrétaire nationale du parti socialiste, il s’entend répondre : “Le compte Twitter de Martine Aubry est un faux. Elle n’a pas de Facebook. Alors Twitter…” A cette époque antédiluvienne, passe encore. Première réaction des politiques : demander la fermeture des comptes en question. Ensuite, en récupérer les rênes. En lisant un magazine, l’ancienne chargée de la communication de Robert Hue apprend que son patron pianote sur Twitter. Elle contacte l’auteur du fake, un petit plaisantin prénommé David. Elle commence par le remercier car le compte de l’ancien secrétaire général du Parti communiste est

devenu populaire. Puis elle lui confie son désir de “reprendre le flambeau aussi bien que vous l’avez fait”. Une petite exigence tout de même : enlever ce tweet repris dans un article de presse : “J’emmènerais bien Ribéry chez les Jeunesses communistes. Il apprendrait ce que c’est que le collectif.” Lors de la campagne des régionales de 2010, Yves Jégo, ancien secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, s’était quant à lui emmêlé le clavier avec un faux Lionel Jospin et une Vanessa Demouy tout aussi pastichée. Sous son bonnet Saint-James, David a créé une cinquantaine de fakes dont quelques acteurs de la vie publique comme Jack Lang, Alain Lipietz, Carl Lang, Bruno Mégret ou Noël Mamère. “C’est devenu difficile de créer de faux comptes, tous les politiques sont désormais sur Twitter. Peut-être grâce au faking, d’ailleurs”, se marre-t-il. Depuis, la primaire socialiste et la campagne présidentielle ont convaincu les derniers politiques de rejoindre le petit oiseau bleu qui gazouille. A lire les vrais, beaucoup de fakes nous manquent. Geoffrey Le Guilcher

Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P

Ariane Vincent, responsable du Twitter de François Hollande

15 h, Dijon. Jean-Pierre Bel, le président du Sénat depuis la victoire de la gauche en septembre dernier, chauffe la place pour François Hollande. Il parle d’un “Sénat qui était à droite depuis cinquante ans”. Le discours est livetweeté par des jeunes du PS. Valérie Pécresse, ministre du Budget, retweete illico une punchline du rédacteur en chef adjoint des Echos, Guillaume Tabard, via ses quasi 50 000 followers. “Jean-Pierre Bel : “Le Sénat qui était à droite depuis cinquante ans”. Ah bon ? Gaston Monnerville était de droite ? De Gaulle a un autre souvenir”, reprend-elle sur son compte. François Hollande monte sur scène, son discours commence et tombe direct sur sa timeline. Mais qui tweete ? Direction la salle de presse où l’on nous désigne Ariane Vincent, 28 ans. C’est elle qui est responsable du Twitter de Hollande, plus gros compte politique français (près de 190 000 followers). “Tout ce qui est public dans sa campagne est sur Twitter. On y trouve les moindres détails. En 2007, on n’utilisait malheureusement pas cet outil formidable. Au-delà de l’aspect politique, il peut y avoir un aspect presque documentaire.” Elle précise : “François Hollande m’envoie des textos pour me demander d’insister sur des choses en particulier. Ça ne nous intéresse pas de faire croire qu’il tweete lui-même. La joute verbale ne nous intéresse pas non plus.” Il est 18 heures à Dijon, François Hollande a achevé son discours et file vers la gare. Nicolas Sarkozy vient de finir le sien. Le hall des expos se vide doucement de ses drapeaux bleu blanc rouge. Peu après, Eric Besson envoie un smiley à “Chatminoute” (@frenchdidou) un de ses followers également suivi par Arnaud Montebourg et Patrick Sébastien. La campagne continue, en 140 signes.

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“je me demande comment on faisait avant” Pour l’analyste politique Dominique Reynié, le réseau de microblogging est devenu un outil “indispensable”. witter est-il “politique” ? Dominique Reynié – C’est un véritable espace public, très ouvert, très réactif. Chacun peut interpeller les membres de la communauté, poser une question ou y répondre. Et en direct. Ça rend la politique ouverte au groupe de celles ou ceux qui veulent s’y intéresser, sans l’effet aristocratique qu’il peut y avoir dans la presse. On trouve aussi du bavardage. Et de la mise en cause personnelle, du militantisme, de l’imitation, du suivisme… la vie politique même. Parfois, c’est violent. Ce genre d’expérience fait comprendre la nécessité des médiations, pour trier et hiérarchiser. On trouve aussi de vraies discussions et les liens permettent d’aller au-delà de l’extraordinaire brièveté de l’énoncé. C’est un point de vue indispensable sur la société. Indispensable ? Je me demande même comment on faisait avant. Je ne peux plus suivre un meeting ou une émission à la télé sans suivre le fil. Pourriez-vous établir une sorte de typologie

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dans la façon dont les politiques se servent de cet outil ? Une typologie, non. En revanche, les politiques ou leur équipe ont tort de s’occuper de Twitter. Ils risquent d’enfermer la politique dans l’instant. Et la possibilité de ne plus passer par les intermédiaires, analystes, journalistes ou communicants ? Twitter correspond à la réactivation d’un mythe de l’accès direct de l’information à tout le monde. Ce mythe est en train de vivre un échec. Un ministre qui voudrait répondre, via Twitter, aux sollicitations, interrogations ou mises en cause serait saturé. Eric Besson répond beaucoup aux gens... Oui bien sûr, il peut répondre dans la journée à dix ou quinze personnes, pas à trois mille. Le réseau change-t-il d’échelle ? Le nombre de connectés a considérablement augmenté avec la campagne. En réalité, ça a commencé dès la primaire socialiste. L’étendue de la communauté va bientôt rendre impossible les relations existantes quand elle était plus réduite.

Comment mesure-t-on le poids de Twitter dans une c ampagne ? Je le fais d’un point de vue qualitatif. C’est assez spectaculaire de voir comment les argumentations qui se déploient sur Twitter se retrouvent ensuite dans l’espace collectif classique. Quand un lien nous explique qu’avec l’affaire des 75 %1 ce ne sont pas 3 200 ménages qui seront concernés mais 5 000, le politique ira chercher l’information qu’il ne possédait pas jusque-là. Ce côté “crowd sourcing” 2 se montre très efficace. A titre personnel, vous passez combien de temps sur Twitter ? J’y vais plusieurs fois par jour, neuf fois sur dix par mon iPhone. Dès que je suis dans les transports, à la caisse d’un magasin ou dans la rue quand j’attends quelqu’un. Ces moments changent la vie parce qu’avant, on avait le nez en l’air et on pensait à des choses, ou à rien. C’était pas mal, cela dit. recueilli par Geoffrey Le Guilcher 1. Projet du candidat Hollande visant à imposer à hauteur de 75 % les revenus supérieurs au million d’euros annuel 2. Intelligence et créativité découlant du nombre 14.03.2012 les inrockuptibles 39

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la politique des twittos Un peu poètes, un peu blagueurs, carrément pénibles : classement des politiques twittos en quatre familles. par David Doucet et Geoffrey Le Guilcher Cécile Duflot (@CecileDuflot – 57 000 followers) La secrétaire nationale d’EE-LV est une mitraillette verbale IRL comme sur Twitter, l’humour potache en plus.

les loleurs

Benoît Hamon (@benoithamon – 99 000 followers) Membre de la team #coolcool de Twitter, Benoît Hamon tweete plus de lol que de vraie politique. Sur le réseau social, le porte-parole du PS n’hésite pas à twitpiquer ses bières ou à s’afficher avec un sticker du collectif Humour de droite. Caustique et plutôt drôle, ses punchlines finissent souvent en top tweet.

Eric Besson (@Eric_Besson – 52 000 followers) Mouton noir de la classe politique, Eric Besson, qui carbure à plus de soixante tweets par jour, est devenu le roi des twittos en l’espace de quelques mois. En multipliant les blagues, le ministre de l’Industrie a transformé Twitter en Eric Comedy Club. Victime d’un DM #fail en octobre dernier où il invita une twitta au lit, Besson a répliqué en se servant des codes du réseau : “LOL et excuses. Ça m’apprendra à manipuler la liste des brouillons et à appuyer par erreur sur la touche envoi.”

Alain Lambert (@alainlambert – 8 900 followers) Pionnier des twittos politique, l’ancien ministre du Budget est l’initiateur de la Lolf (loi organique relative aux lois de finances).

et aussi Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo – 39 000 followers) Valérie Rosso-Debord (@VRossoDebord – 5 000 followers) Chantal Jouanno (@Chantal_Jouanno – 4 700 followers)

personnels

les gaffeurs Jean-Michel Baylet (@JMBaylet – 3 000 followers) Le trublion PRG de la primaire socialiste multiplie les hashtags comme d’autres les petits pains.

Azouz Begag (@AzouzBegag – 3 000 followers) L’ancien ministre passé par toutes les couleurs politiques a oublié que Twitter se résumait à 140 signes.

Eric Raoult (@EricRaoult – 2 200 followers) S’il maîtrisait aussi bien ses tweets que ses tirades anti-immigration, Raoult serait le kaiser du réseau. Malheureusement, sur Twitter, l’ancien ministre UMP est à l’image de sa densité politique : inexistante. Photo hyperpixellisée rappelant les heures les plus sombres de Google Images, syntaxe incompréhensible, il réussit l’exploit de faire des DM fail sans s’en rendre compte.

Rachida Dati (@datirachida – 12 000 followers) Heureuses les groupies de Rachida, elles seront retweetées dans l’instant. Confond Pop Star et Twitter.

François Fillon (@fdebeauce – 9 000 followers) Bien à l’abri derrière un pseudo digne des années Caramail, François Fillon stalkait ministres et journalistes en scred’ jusqu’en décembre. Outé par lesinrocks.com en décembre 2011, le Premier ministre a accumulé les maladresses lors de ses premiers tweets (fautes d’orthographe, hashtag fail…)

et aussi Ségolène Royal (@RoyalSegolene – 48 000 followers) Yves Jégo (@yvesjego – 5 800 followers) Laurent Ozon (@laurentozon – 565 followers)

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marrants

les clasheurs Lionel Tardy (@DeputeTardy – 12 000 followers) Trop de smileys et de points d’exclamation. Le 14 juillet, le député UMP a dévissé : “Il est temps pour Eva Joly de rentrer en Norvège.”

Arnaud Montebourg (@montebourg – 59 000 followers) De l’interaction, du lien et du caustique grandiloquent.

Nadine Morano (@nadine_morano – 65 000 followers) Pour la ministre, une heure égale un tweet. Devenue une attraction du réseau, elle confie “taper plus vite que ses doigts et corriger plus vite que sa pensée”. Elle tacle ses adversaires du jour ad hominem, loue sans relâche l’action du Président et “anecdotise” sa vie. Jusqu’à envoyer à tous ses followers un message privé destiné à Eric Besson : “Je bulle dans un spa avec des copines…”

Benjamin Lancar (@lancarbenjamin – 12 000 followers) Accusé de ne pas avoir de Bescherelle à la maison, le président des jeunes pop pense maîtriser les codes du microblogging avec des vannes du type “Ne croyez pas hollandemains qui chantent”. S’écharpe souvent en public avec des opposants, des journalistes, parfois des inconnus.

et aussi Manuel Valls (@manuelvalls – 23 000 followers) Eric Ciotti (@ECiotti – 2 700 followers) Marie-Pierre de la Gontrie (@mpdelagontrie – 1 700 followers)

institutionnels

les relous Dominique de Villepin (@Villepin – 46 000 followers) Sort parfois ses followers de la léthargie en tentant des punchlines contre les candidats favoris.

Frédéric Lefebvre (@FLefebvre_UMP – 16 000 followers) Ancien clasheur devenu relou en même temps que ministre.

chiants

Nicolas Sarkozy (@NicolasSarkozy – 119 000 followers) Comme si la retranscription de ses meetings phrase à phrase n’était pas assez pompeuse, l’équipe du président candidat a créé un compte doublon intitulé @SARKOZY_2012. Il a oublié que pour indiquer ses déplacements, il y a Foursquare et pour son agenda, Google Calendar.

François Hollande (@fhollande – 193 000 followers) Tout aussi ennuyeux que son concurrent, le compte du “député candidat” a tout de même la particularité de s’exprimer à la première personne du singulier. Pas d’interaction ni d’échange, l’équipe de campagne joue la ceinture.

Philippe Poutou (@PhilippePoutou – 4 700 followers) Les tweets du candidat NPA sont des slogans de manif.

et aussi François Bayrou (@bayrou – 89 000 followers) Martine Aubry (@MartineAubry – 55 000 followers) Eva Joly (@EvaJoly – 47 000 followers) Marine Le Pen (@MLP_officiel – 49 000 followers) Frédéric Nihous (@FNihous – 580 followers) Jacques Cheminade (@Cheminade2012 – 529 followers) nombre de followers arrêté au lundi 12 mars, 12 heures 14.03.2012 les inrockuptibles 41

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un printemps

volume 1

Dominique A en pleine lumière, Zita Swoon sous le soleil du Burkina, Santigold brillante, Patrick Watson chaleureux… 1. Electric Guest This Head I Hold

8. Santigold Big Mouth

Extrait de l’ep This Head I Hold (Downtown Records/Because) On veut bien parier toutes nos économies : la pop euphorique de This Head I Hold squattera bientôt radios, mollets et tympans. Comme MGMT et Foster The People avant lui, le duo californien Electric Guest tient entre ses mains le tube du printemps, produit par Danger Mouse.

Extrait en avant-première de l’album Master of My Make-Believe (Warner) Quatre ans après un premier album transgenre, Santigold revient avec un nouvel écrin riche d’une douzaine de pépites baignées dans l’or de la new-wave, du hip-hop et de l’afrobeat. Brillant.

9. Odezenne Tu pu du cu 2. Polock Fireworks Extrait de l’album Getting down from the Trees (Tôt ou Tard) Si le tubesque Fireworks peut prêter à confusion, ce n’est pas d’Angleterre mais d’Espagne que vient cette sunshine-pop brillante et innocente, élevée au bord de la Méditerranée.

Extrait de l’album O.V.N.I. (édition Louis XIV) (Universeul) Avec sa syntaxe en caoutchouc, son glossaire goguenard et son univers de cartoon cartonné, le hip-hop vague des Bordelais mélange le vitriol et la gaudriole. Ça tue : on sue, on pue.

10. 1995 La Suite 3. Dominique A Rendez-nous la lumière Extrait de l’album Vers les lueurs (Cinq 7/Wagram) Dominique A veut la lumière, et c’est tout son nouveau disque – chansons rock savantes et sensuelles – qui est éblouissant.

4. Andrew Bird Eyeoneye Extrait de l’album Break It Yourself (Mom+Pop/Bella Union/Cooperative/Pias) Enregistré en live et en plein été dans sa ferme de l’Illinois, le septième album de l’oiseau rare Andrew Bird sent la liberté et l’insouciance sans perdre en grâce.

Extrait de l’ep La Suite (Polydor/Universal) Catapultés en force sur le devant du game par leur main basse sur le net, les Parisiens s’affinent et s’affirment, avec un hip-hop de plus en plus touffu, recherché et fédérateur. Hip-pop.

11. Amadou & Mariam Dougou Badia (feat. Santigold) Extrait de l’album Folila (Because) Le Mali, carrefour géant des grands talents : Amadou & Mariam se sont entourés d’un casting qui brille tous azimuts… Santigold sur ce single ravageur, mais aussi Bertrand Cantat, TV On The Radio ou Theophilus London.

5. Patrick Watson Into Giants

12. Zita Swoon Group Sababu (The Reason)

Extrait en avant-première de l’album Adventures in Your Own Backyard (Domino/Pias) Plus doux, plus chaud, plus mélodique, toujours aussi bien arrangé : le folk du Canadien Patrick Watson s’installe durablement en altitude.

Extrait de l’album Wait for Me (Crammed) Quittant la Belgique, Zita Swoon goes to Africa et en revient avec deux musiciens du Burkina, pour un magnifique disque d’afro-pop bluesy, poussée par un vent chaud.

6. Philippe Uminski Par les toits

13. Birdy People Help the People

Extrait en avant-première de l’album Mon premier amour (Columbia/Sony) Ancien Montecarl, réalisateur pour les autres (d’Archive à la Grande Sophie ou Johnny !), il signe un impressionnant disque de chanson pop française, enregistré en une prise unique avec un orchestre symphonique.

Extrait de l’album Birdy (Warner) Pianiste de formation, la jeune Britannique signe un morceau délicat et habité, où les humeurs et les peines défilent calmement.

7. Barbara Carlotti L’Amour, l’Argent, le Vent Extrait en avant-première de l’album L’Amour, l’Argent, le Vent (Atmosphériques) Né de voyages au Brésil et en Asie, ce troisième album devrait assurer le sacre de la jeune femme dans le paysage français. Oscillant entre pop symphonique et chanson à spleen, la chanteuse est à la hauteur de son culminant prénom.

14. Madi The Setting Sun Extrait de l’album Carefully (Virage Tracks/MVS) Quand il ne navigue pas sur les mers jamais d’huile, quand il ne surfe pas les vagues basques, le Français Madi s’offre en musique les mêmes fugues et acrobaties.

15. Moss I Am Human Extrait de l’album Ornaments (V2/Differ-ant) Troisième album déjà, et une découverte tardive : aux Pays-Bas aussi, comme chez les Fleet Foxes ou Midlake, on peut allier cœur et chœurs, magnificence mélodique et efficacité immédiate.

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dès aujourd’hui, la campagne en direct sur

2007-2012 : retour vers le futur Après son meeting de Villepinte, annoncé comme un tournant dans sa campagne, Nicolas Sarkozy devait parvenir à reprendre la main. Ou du moins talonner son concurrent. Pourtant, l’alchimie et la magie militante semblent avoir disparu.

 C

omme disait Jean-Pierre Raffarin, “la route est droite mais la pente est forte”. Nicolas Sarkozy aurait-il fait sienne cette raffarinade, lui qui n’a de cesse de finir ses meetings sur un appel gaullien : “Aidez-moi !” “J’ai besoin de vous” ? Convaincre, séduire, mobiliser pour montrer que la droite garde encore confiance en son candidat alors

que François Hollande est toujours en tête dans les sondages, voilà l’objectif presque vital du président candidat pour reprendre l’avantage d’ici au premier tour. “Et finir en tête le 22 avril”, commente Bruno Le Maire, avec le souci d’enclencher une nouvelle dynamique, “d’où l’enjeu du moment”. Pour y parvenir, Nicolas Sarkozy a donc joué, à Villepinte, sur tous les registres, arguant qu’il avait “appris” à l’Elysée et

qu’il avait “tiré les leçons des réussites et des échecs”, pendant ces cinq années, expliquant qu’il s’était consacré entier à sa tâche et qu’il avait “tout donné” à la France. Multipliant les retours sur la construction européenne avec ce souci de cajoler l’électorat radical et humaniste de la majorité : Jean-Louis Borloo, notamment, et quelques poids lourds du gouvernement qui lui avaient reproché de ne parler 14.03.2012 les inrockuptibles 43

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que de la seule question d’immigration, ou Rama Yade qui avait déclaré au Monde : “Aujourd’hui, nous avons le sentiment, nous, les républicains, d’avoir le pistolet du FN sur la tempe.” Dès lors, en quête de toutes les voix pour rattraper son retard sur son principal concurrent, Nicolas Sarkozy a semblé faire un petit geste dans leur direction… En parlant d’immigration sans prononcer le mot ! Et en abordant le sujet de la viande halal – si présent ces derniers jours – par une périphrase : “Sur le territoire de la République française (…), les enfants ont le même menu à la cantine publique.” Nicolas Sarkozy n’était donc pas là où on l’attendait. Un petit “coup” car le terme immigration figurait bien – une fois – dans la version écrite de son discours. Pour aborder le sujet, Nicolas Sarkozy a préféré tourner autour du pot, évoquant les “flux migratoires” ou “les immigrés”. Une manière de ménager la chèvre et le chou et de paraître “moins brutal que d’habitude”, commente l’un de ceux auxquels s’adressait ce changement de ton. L’immigration ? Y penser, donc, mais ne pas en parler. Ni rappeler les mesures annoncées quelques jours plus tôt, comme la volonté de diviser par deux le nombre d’immigrés accueillis chaque année. Pour autant, la stratégie de campagne reste la même, commente un membre de l’UMP : “On ne va pas en changer toutes les trois semaines”. Un membre du staff

de campagne raconte : “Nicolas Sarkozy doit prendre tous les risques. Etre dans la transgression. Multiplier les propositions chocs, c’est la stratégie jusqu’au premier tour.” D’où sa proposition faite à Villepinte de protéger l’Europe – son nouveau credo – en lançant deux ultimatums sinon-je-faisun-malheur : un “Buy European Act”, ou “Achetez européen” sur le modèle de la loi américaine, et, comme il l’avait déjà proposé le 1er décembre 2011 dans son discours de Toulon, une révision des accords de Schengen d’ici un an sous peine d’en sortir. Une thématique protectionniste et souverainiste chère, notamment, à l’électorat populaire du FN avec cette volonté de marquer des points quand les sondages restent mauvais. Depuis des mois, ses proches n’avaient pourtant eu de cesse de répéter que les courbes devaient se croiser avec celles de François Hollande “fin janvier”, puis “début février” avec l’entrée en campagne

“je vais avoir du boulot à Bruxelles…”, souffle Michel Barnier, commissaire européen, à Alain Juppé, qui lui répond par un regard qui en dit long

de Nicolas Sarkozy, puis “dans trois semaines”. Aujourd’hui, ils sont sûrs, ça va être bon… mais finissent par glisser : “Ce qui compte, c’est le jour du scrutin”. Le temps presse. “Il faut que ça bouge”, s’inquiète un ami de Nicolas Sarkozy. A la tribune, à Villepinte, sur cette immense scène blanche qui fait penser pour certains à une soucoupe volante, lui, seul, au milieu de 50 000 personnes, selon Henri Guaino, à 60 000 selon l’AFP, 70 000 selon JeanFrançois Copé et 80 000 selon Salima Saa, secrétaire nationale de l’UMP, le candidat ne dit pas autre chose : “Nous avons deux mois pour bousculer les certitudes, deux mois pour tout renverser.” Illustration parfaite d’un grand rassemblement qui rappelle celui du candidat Sarkozy, le 14 janvier 2007, à la porte de Versailles. Les images du 11 mars sont similaires : grande salle, beaucoup de monde, caméras tournantes installées sur des grues, séquences léchées avec drapeaux bleu-blanc-rouge et militants en T-shirts blancs diffusées aux télés, chanteurs et comédiens, parfois les mêmes qu’il y a cinq ans, comme Christian Clavier ou Enrico Macias, VIP de la politique comme Rachida Dati que Nicolas Sarkozy salue avec insistance à la fin de son discours, famille, amis, Bernadette Chirac… Tout y est. Comme en 2007. Un peu trop comme en 2007, peut-être. Comme si Nicolas Sarkozy avait du mal à s’extraire de cette campagne qui l’a conduit

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édito

comment tuer la campagne

à la victoire il y a cinq ans, lui qui a entamé son discours par ce souvenir “de ce mois de mai” quand les Français l’avaient choisi comme président de la République. “C’était il y a cinq ans, c’était hier. C’était dans mon cœur il y a cinq minutes...” Les propos sont presque des copier-coller comme ce passage de 2007 – “Nous ne pouvons nous montrer complaisants avec le développement des fraudes, des abus et des gaspillages qui sont une insulte au travail des Français et qui sapent les fondements de la solidarité nationale. Les droits ne vont pas sans les devoirs” – et celui de 2012 : “Que les devoirs accompagnent les droits, (…) que le profiteur, le tricheur, le fraudeur soit puni parce qu’il vole l’argent des Français, parce qu’il prend à ceux qui ont vraiment besoin de la solidarité nationale.” Ou encore le “Je veux être président du peuple” le 14 janvier 2007 qui devient un “Je veux être le président du peuple de France” ce 11 mars 2012. “2007-2012, c’est un miroir négatif”, admet dépité un sarkozyste. Un soutien de la première heure se veut pourtant confiant : “Une campagne, c’est un ajustement permanent.” “Il faut trouver le déclic qui change le cours des choses. Ce n’est pas une proposition particulière ou un meeting particulier. C’est une alchimie.” Pour autant, si le discours de Versailles avait créé un tournant dans sa campagne en 2007 et lui avait permis de prendre la tête dans les sondages, aujourd’hui, la magie militante semble avoir disparu. Finie la ferveur, point d’ovation finale. La faute au match de rugby FranceAngleterre ? En deux temps, trois mouvements, les troupes déguerpissent quand les ministres et l’entourage de Nicolas Sarkozy présentaient ce moment de campagne comme “un second souffle” qui devait “redonner un nouvel élan à la campagne”. Un membre de la campagne reconnaît que “c’est une équation compliquée après la candidature de rupture de 2007 de dire en 2012 : ‘On prend le même pour changer le monde’.” Au bout d’une heure de discours, Nicolas Sarkozy s’en va sans se livrer au bain de foule qu’il affectionne. Tout juste embrasse-t-il les élus installés dans le carré VIP, interdit à la presse et aux militants. Drôle d’image pour ce candidat

qui se définit comme celui du peuple, de le voir séparé du reste de la foule par des cordes. En coulisses, où l’ambiance rappelle celle d’un concert de rock, une serviette autour du cou, Didier Barbelivien et Carla Bruni à ses côtés, le président candidat réfute l’idée d’un besoin d’accélérateur dans sa campagne : “Il n’y a pas besoin de renverser la vapeur”, jure-t-il, avant de lâcher :“C’était sportif, quand même.” Un des frères Bogdanoff est là aussi. Mais était-ce Igor ou Grichka ? On n’a pas su déterminer… Un invité que pourtant les caméras officielles ont pris soin de ne jamais mettre à l’écran. Un choix délibéré, précise un conseiller qui lève les yeux au ciel. Quant à Michel Barnier, commissaire européen, et Alain Juppé, tous deux présents à Villepinte, les voilà affligés après le discours. “Je vais avoir du boulot à Bruxelles...”, souffle le premier au second, à la sortie. Le ministre des Affaires étrangères lui répond par un regard qui en dit long... Nicolas Sarkozy n’en a cure. Sur scène, juste avant, il criait : “Bien sûr, je vais être attaqué, critiqué mais je m’en moque (…) Nous n’avons pas peur car nous sommes forts ! (…) Oui, mes chers amis, on va gagner”, rassuré de voir cette foule réunie devant lui, comme il est satisfait de mesurer l’Audimat conséquent à chacun de ses passages médiatiques. Un “cadeau” que lui ont fait les Français depuis qu’il est Président, a-t-il expliqué tout sourire sur le plateau de France 2, début mars. “Chaque fois que je me suis rendu à la télévision (...), ils ont toujours été présents au rendez-vous.” Un Audimat ou une foule valent-ils pour autant adhésion ? “Il ne faut pas confondre salles militantes et électorat”, acquiesce un ministre. Comme si le candidat lui-même se laissait griser par le quantitatif plutôt que le qualitatif. “L’intérêt ne vaut pas forcément adhésion, reconnaît un très proche sarkozyste. Mais Nicolas Sarkozy reste quelqu’un dont les Français parlent, qu’on l’aime ou pas. Le pire en politique, c’est quand on sort du radar. L’intérêt peut conduire à l’adhésion, même si, bien sûr, ça n’est pas mécanique.” Marion Mourgue photo Guillaume Binet M.Y.O.P

Il y a un type qui explique, sans rire, que Barack Obama n’est pas tout à fait pareil qu’Adolf Hitler mais que, quand même, leurs démarches initiales sont de même nature. Obama et Hitler veulent trier les êtres humains. Jacques Cheminade puise son sinistre argumentaire dans la politique de Sécurité sociale du président américain. C’est bien sûr parfaitement incompréhensible, absurde et, pour tout dire, complètement débile. Jacques Cheminade affirme aussi que le 11 Septembre n’est expliqué que par une version officielle. Il remet en doute l’idée que ce soit un attentat et s’évertue à démontrer, avec des arguments physiques et chimiques, que les tours du WTC n’auraient pas dû s’effondrer. Ces idées ont le droit d’exister et même d’être défendues, elles vivent d’ailleurs allègrement sur nombre de sites internet. Il n’est pas scandaleux que de temps en temps elles puissent même apparaître en surface, dans ce qu’il est convenu d’appeler les “grands médias”, radios et télés… Mais ces idées marginales, iconoclastes, voire totalement scandaleuses (le rapprochement Obama/Hitler) ne peuvent pas être mises au même rang que les idées défendues par les grands courants de pensée de la politique française. Or, les règles qui vont s’imposer aux médias audiovisuels à partir du 22 mars vont obliger à nier cette évidence. Radios et télés devront appliquer une égalité (et non plus une équité) de tous les candidats ayant obtenu leurs 500 signatures en matière de temps de parole. A partir du 9 avril, ce sera une égalité complète qu’il faudra assurer. C’est-à-dire qu’une minute de Sarkozy ou de Hollande le matin sur France Inter ou RTL devra se traduire par une minute, à la même heure, pour Cheminade ! Cette règle en forme de marteau-pilon risque de pourrir un débat présidentiel qui ne brillait déjà pas par l’éclat de sa fraîcheur !

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Hollande se régale en régalien Le candidat PS a jalonné la semaine décisive de Nicolas Sarkozy de plusieurs interventions “présidentielles”. En prenant soin d’esquiver les coups, nombreux, sur l’immigration.



ientôt les leaders européens vont appeler François Hollande au secours.” C’est la plaisanterie qui court depuis dimanche dans le staff du candidat socialiste, depuis que Nicolas Sarkozy a menacé de sortir la France des accords de Schengen sur la libre circulation dans l’Union européenne. Le président candidat a affirmé sa volonté de lutter contre une immigration clandestine qu’il estime mal contrôlée sur un continent “passoire”. Une aubaine pour François Hollande, qui venait d’essuyer plusieurs camouflets diplomatiques en Europe en raison de sa volonté de renégocier le traité sur les disciplines budgétaires. “Il m’a reproché pendant des mois de vouloir renégocier un traité qui est à peine signé et pas encore

ratifié, et voilà que Nicolas Sarkozy, ne pouvant pas faire d’autres propositions aux Français, se met à traiter l’Europe comme un bouc émissaire !”, a ironisé le candidat PS dimanche soir sur M6. La semaine dernière, on avait même parlé d’un “complot” ourdi par Angela Merkel, épaulée par l’Italien Mario Monti, l’Espagnol Mariano Rajoy et le Britannique David Cameron. Tous auraient juré de ne pas recevoir le socialiste français. Tous ont démenti. En visite vendredi et samedi à Varsovie, François Hollande n’a pourtant pas été reçu par le Premier ministre polonais Donald Tusk. Mais le candidat PS a affiché son optimisme, déclarant au Spiegel allemand que les dirigeants européens devraient l’“écouter”

s’il était élu en mai. En cette semaine cruciale pour Nicolas Sarkozy, conclue par le meeting monstre de Villepinte, François Hollande a ainsi joué sans broncher sa partition de favori de la présidentielle, sur un registre purement régalien. Discours sur les droits des femmes, discours sur l’outre-mer, discours sur la défense. Autant de jalons sur la voie d’une “présidentialité” que les électeurs lui reconnaîtront – ou pas – les 22 avril et 6 mai. Le 8 mars, à Reims, le candidat PS cherche à relativiser l’importance stratégique de la semaine vécue par le président sortant. “C’est un moment forcément fort mais, vous savez, depuis le temps qu’on dit que chaque semaine va être décisive… J’attends la suivante,

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le fil rouge des discours de ces derniers jours : une défense de la République

En déplacement àLond res, le 29 février

après j’attends la dernière. C’est surtout la dernière qui va compter, déclare-t-il à des journalistes. Il y aura sans doute des mouvements encore, des aléas.” Dimanche, François Hollande estime que Nicolas Sarkozy a raté la relance de sa campagne en s’engageant “dans une fuite en avant” et en bâtissant “un rassemblement hémiplégique” et fortement droitisé. Mais, comme il a coutume de le rappeler lors de chacun de ses meetings, le candidat PS sait que “rien n’est acquis, rien n’est joué” avant l’élection. Alors il bétonne. Et dénonçant l’absence de propositions de Nicolas Sarkozy, il multiplie les annonces : création d’un centre IVG dans chaque hôpital, suppression du mot “race” dans la Constitution, création d’un “congé-

engagement” en faveur des associations, contrôle accru du Parlement sur les missions des forces armées et le budget de la Défense pour citer les plus emblématiques de la semaine écoulée. Le fil rouge des discours de ces derniers jours : une défense de la République. Samedi, devant les militants PS de l’outre-mer, François Hollande dénonce la vision fracturée de la France qui est à ses yeux celle de Nicolas Sarkozy : “Il n’y a pas plusieurs France qui se feraient conflit. Il n’y a pas la France des anciens qui auraient peur des jeunes. Il n’y a pas la France des travailleurs qui devraient se méfier des chômeurs. Il n’y a pas la France du privé qui devrait en vouloir à celle du public. Il n’y a pas la France des religions

qui devraient se faire face alors que la France les respecte toutes. Non, il y a la République, la République française, une, indivisible et laïque.” Dans la partie délicate qui se joue désormais contre Nicolas Sarkozy, François Hollande a identifié les pièges vers lesquels son adversaire tente de l’attirer. Au premier rang desquels la politique d’immigration. Un ministre proche du chef de l’Etat expliquait la semaine dernière que le candidat socialiste “n’avait pas de volonté claire sur l’immigration clandestine” et était “flou sur l’immigration de travail”. L’UMP fait aussi campagne contre l’octroi du droit de vote aux étrangers aux élections locales. Le candidat PS refuse de faire de l’immigration un sujet central de la campagne présidentielle, estimant que Nicolas Sarkozy cherche avant tout à reconquérir les électeurs du Front national. Au risque de paraître parfois imprécis sur le sujet. Mais, pour François Hollande, ce sont bien davantage ses thèmes de la jeunesse et de la réforme fiscale qui marqueront l’élection de 2012. Le socialiste s’est toutefois résigné à répliquer au feu roulant de la droite, qui cherche à instruire à nouveau le procès en angélisme de la gauche. “Il nous est dit qu’on voudrait régulariser de façon massive les sanspapiers. Ce n’est pas vrai, et répéter un mensonge ne fait jamais une vérité. Nous voulons qu’il y ait des critères clairs qui soient appliqués partout sur le territoire, et que ces critères soient ceux du travail, de la vie de famille et de la présence d’enfants. Aujourd’hui même, il y a chaque année 30 000 régularisations. Ces régularisations continueront, mais sur la base de critères simples, connus de tous, et sans qu’il y ait d’arbitraire ni de différence entre les préfectures. (…) Je vois bien l’utilisation qui peut être faite de ce sujet. C’est tellement simple ! Dire aux Français que si ça va mal, c’est d’abord à cause des étrangers, distinguer entre les Français, distinguer entre les Français et les étrangers. Le candidat sortant a même imaginé un référendum sur cette question ! Nous n’accepterons pas cette démarche qui consiste à montrer du doigt, à faire peur, à créer de la division, du repli, de la stigmatisation. Et s’il veut un référendum, il arrive, c’est le 6 mai que les Français vont choisir !” François Hollande ne perd jamais de vue l’objectif final. Hélène Fontanaud photo Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P 14.03.2012 les inrockuptibles 47

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dès aujourd’hui, la campagne en direct sur

la présidentielle sur le web

démago on line

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appelez-vous, c’était en 2007. Tous les candidats à la présidentielle ou presque s’étaient bousculés pour signer le pacte écologique de Nicolas Hulot et ainsi obtenir sa caution Ushuaïa. Depuis Fukushima, il faut croire que l’écologie est devenue moins hype. Aujourd’hui ce qui fait le buzz sur l’interweb, ce sont “les 31 propositions” rédigées par le peuple des twittos (utilisateurs de Twitter – ndlr). Puisque le halal est devenu la première préoccupation des Français, que l’emplacement des radars routiers anime tous les dîners de famille et que la suppression du mot “race” dans la Constitution est devenu un enjeu de civilisation, Gautier Gevrey, dit “Woumpah”, a eu l’idée d’imaginer “un programme encore plus démago que les autres”. Au début du mois de mars, ce directeur artistique de 26 ans a lancé le site www.31propositions.com. L’objectif ? “Proposer une idée futile par jour destinée aux candidats à l’élection présidentielle dans le but d’améliorer leur programme”. Du 1er au 31 mars, chaque internaute est invité à soumettre une proposition démago. Parmi les premières idées en vogue, on trouve “la livraison à domicile pour les fast-food”, une motion “contre le changement d’heure quand on en perd une” ou bien encore une autre mesure “pour rendre la monnaie sur les tickets restau”… A la fin de ces trente et un jours d’intense brainstorming, un classement des propositions les plus likées sera établi. “On songe à les envoyer aux différents partis sous forme de PDF”, se marre Gautier. Puisque le parangon du LOL Jacques Cheminade semble en lice pour le premier tour, tous les espoirs sont permis pour qu’il s’empare du programme des twittos. Et s’attaque ainsi enfin aux vrais problèmes. David Doucet

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

top tweet En fait ces mecs #Anonymous c’est juste des petits puceaux derrière un écran d’ordi qui votent Poutou et pensent ainsi faire la révolution @BOROWSKIMIKE (Mike Borowski, délégué UMP du 93)

Dans un hémicycle presque vide ne restent que des députés UMP qui se font prendre en photo avec C. Guéant… #bonjourtristesse @JJUrvoas, Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère

par Michel-Antoine Burnier

Les vrais victoricides lancent volontiers des phrases dangereuses qui présentent un triple avantage : servir la mobilisation du camp adverse, gêner le candidat et compromettre l’avenir. Ecoutons M. Sarkozy. Voici qu’avec la conviction d’un prêtre le matin de son ordination, il se montre capable de dire dans un meeting : “Je prends un engagement solennel devant vous...” Peu importe le sujet. Où gît l’intérêt de la phrase, sinon de rappeler qu’il y eut déjà beaucoup d’engagements, et souvent peu tenus. Nul doute que l’ensemble des téléspectateurs l’aura entendu ainsi. M. Hollande, qui voit mal comment il pourrait échapper au pouvoir, joue l’avenir : il se prépare déjà des pièges. C’est ainsi qu’il déclare : “Le premier devoir du prochain président sera de rendre compte, de présenter tous les six mois l’évaluation des résultats par rapport aux objectifs.” On imagine qu’il a songé à M. Mitterrand six mois après son élection du 10 mai 1981. Avec pareille règle, qu’aurait annoncé l’ancien président le 10 novembre ? Après s’être félicité de l’abolition de la peine de mort, aurait-il expliqué que malgré le blocage des prix l’inflation rongeait les augmentations de salaire du printemps, que le chômage, à l’inverse de ses prévisions, augmentait toujours, qu’en se portant sur des produits étrangers, le surcroît de consommation avait dégradé la balance des paiements, qu’il avait

fallu pour cela dévaluer le franc et demander le secours de l’Allemagne ? Aurait-il au contraire prétendu avec audace, comme le fera ensuite son Premier ministre à la veille d’un plan de rigueur : “Tous les clignotants sont au vert” ? En ce cas, ses bulletins de conjoncture auraient subi les mêmes falsifications que ses bulletins médicaux, où il dissimulait son cancer. Mais le mensonge économique tient en général moins longtemps que le mensonge médical : la réalité dément vite les fantasmes. Reste une troisième issue : oublier la promesse afin que la presse puisse la rappeler tous les six mois. On le voit, chaque solution laisse prévoir de beaux bénéfices. Laquelle M. Hollande préférera-t-il ? Alors que l’euro vacille, que la récession menace, que le chômage grimpe, qu’Israël songe à déclencher une guerre contre l’Iran qui secouerait la moitié du monde, que fait M. Sarkozy ? Après avoir proclamé que “la polémique n’avait pas lieu d’être”, il se passionne pour la façon dont on doit tuer les vaches. Jusqu’ici, le sujet ne préoccupait guère que, par ordre d’ancienneté, les dieux Jéhovah et Allah. M. Sarkozy s’en mêle, M. Fillon en profite pour se moquer des religions, les députés de droite s’angoissent. Pour dresser contre soi, et par exception unis, les juifs et les musulmans les plus convaincus, cela valait la peine de faire un tour dans le domaine divin. (à suivre...)

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Moscou sera la ville invitée du Salon du livre de Paris. Rencontre in situ avec ses auteurs les plus travaillés par la politique, quelques jours avant la victoire annoncée de Poutine. par Nelly Kaprièlian l est vraiment bien le Limonov d’Emmanuel Carrère ? Pas trop genre la Russie pour les Français ?”, nous demande un critique littéraire à Moscou. “C’est vrai que Carrère s’est contenté de recopier les livres de Limonov ?”, interroge un autre. Le livre de Carrère, qui sortira en Russie en septembre 2012, est attendu avec autant d’impatience que de kalachnikovs braquées sur lui. Il est vrai que pour les Russes, Edouard Limonov est devenu une véritable figure, plus politique que littéraire – un fervent opposant à Poutine, dont le parti, le Nasbol, dit aussi parti de “l’autre Russie”, pourrait être qualifié de rouge-brun et suscite, à raison, une certaine méfiance. “Limonov ? C’est un freak, rien de plus”, balance Boris Akounine, auteur de best-sellers policiers se situant dans la Russie tsariste. Ces derniers temps, Akounine est devenu le leader et porte-parole

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la Russie vue par ses écrivains

de l’opposition civile anti-Poutine, bien davantage que Limonov. Très occupé trois jours avant l’élection, ce dernier déclinera notre demande de le rencontrer. Disciple de Limonov et membre du Nasbol, l’écrivain Zakhar Prilepine, né en 1975, figure lui aussi dans Limonov : “Carrère était chez moi il y a deux semaines. Alors qu’on buvait tous de la vodka, on s’est rendu compte que lui ne buvait que de l’eau”, raconte Prilepine hilare. Le soir où on le rencontre, le jeune écrivain au crâne rasé qui pose au branché (“je fais aussi du rap, je viens de tourner dans un film”, etc.), sirote pourtant sagement un thé alors qu’on boit force vodkas. Sorte de mercenaire idéalisant une certaine image de la force virile, bref, pas totalement sympathique, Prilepine s’est engagé dans la guerre en Tchétchénie et a travaillé pour la “milice” russe, c’est-à-dire la police

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Andreï Guelassimov croit en Dieu depuis qu’il a lu la Bible au début des années 90

armée. On le retrouve dans un restaurant, non loin du lieu où il vit quand il n’est pas chez lui à Nijni-Novgorod, à quatre heures de Moscou, avec sa femme et ses quatre enfants. Nappe en plastique à carreaux rouges et blancs, écran plat géant qui diffuse les matchs du jour et bortsch tiède. “A chaque fois que je passe en France, on me demande 184 fois la même chose : Limonov est-il fasciste ? Il est simplement la figure la plus importante pour ma génération car il fut un dissident et aujourd’hui il s’oppose à Poutine. Comme lui, je suis contre ce dont nous avons hérité ces vingt dernières années : le libéralisme, l’individualisme. Nous avons perdu des valeurs comme l’entraide collective et mon but est de revenir à ces notions conservatrices. Hélas, les écrivains plus âgés ont été contaminés par les idées nouvelles, ils trouvent normal de dire que le peuple n’est bon à rien, que l’orthodoxie est nulle, qu’il y a une

crise. Nous sommes en pleine tyrannie du repentir. Pour la nouvelle génération d’écrivains apparue après 1991, la tradition soviétique ou antisoviétique ne veut plus rien dire.” Pourtant, pour cette génération née au milieu des années 70, on peut presque deviner en écoutant Prilepine que certaines valeurs de l’Union soviétique – couverture sociale pour tous, le collectif contre “l’égoïsme” généré par le libéralisme – ont un parfum de madeleine, un temps perdu qu’ils n’ont pas aussi bien connu que leurs aînés mais dont ils peuvent idéaliser certains traits contre la mondialisation qui aurait installé, de fait, une certaine précarité. Ce qui frappe d’ailleurs, c’est à quel point la question de l’Union soviétique est vite balayée, comme s’il ne s’agissait que d’un vieux souvenir pas si méchant que ça. Né en 1965, Andreï Guelassimov, auteur de La Soif, roman autour d’un militaire revenu défiguré 14.03.2012 les inrockuptibles 51

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la tragédie russe ne passe plus par la grande fresque romanesque. Elle avance masquée, l’air de rien, teintée d’un humour potache

Zakhar Prilepine s’est engagé en Tchétchénie

Boris Akounine est devenu le porte-parole de l’opposition civile

de Tchétchénie, nous dit simplement : “J’ai enfin pu regarder tous les films interdits, comme les Hitchcock.” Lui aussi parle d’“empire” pour désigner la Russie “qui, pour rester un empire, doit avoir un leader fort. Seul Poutine, même si je ne l’aime pas, peut jouer ce rôle”. Un empire certes intégré dans le vaste monde mais où quasiment personne ne parle une autre langue que le russe, y compris dans les restaurants pour touristes ; où, même à l’aéroport international Sheremetyevo, on ne trouve pas la presse anglaise, américaine et encore moins française ; où les taxis sont rares mais où il suffit de lever la main pour que cinq voitures s’arrêtent pour vous déposer où vous le souhaitez moyennant quelques centaines de roubles – nombre de Moscovites étant trop contents, après une journée de travail, d’arrondir leur fin de mois. Un pays difficile, mais où, justement pour cette raison, la notion d’intellectuel engagé a encore tout son sens, toute sa place. “C’est ainsi que je suis devenu un écrivain engagé, déclare Boris Akounine dans son confortable bureaubibliothèque. Même si je me méfie des groupes : pour quelqu’un qui comme moi a grandi en URSS, n’importe quel engagement politique n’est guère attrayant. Participer à un mouvement collectif provoque toujours chez moi une certaine allergie. Il y a trois mois, personne ne voulait se mêler de politique. Aujourd’hui, on ne parle plus que de ça.” Pour lui, la force de Poutine repose non pas sur son image d’homme solide mais sur l’apathie générale des Russes, trop préoccupés par leurs problèmes quotidiens. “Depuis vingt ans, le pays a beaucoup changé, d’une façon inédite dans notre histoire. On a vu émerger une classe moyenne très forte qui est devenue révolutionnaire au contact des rudes conditions imposées par un Etat corrompu. La bonne nouvelle, c’est que quand la société civile est réveillée, on ne peut plus la rendormir.”

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Andreï Guelassimov allume une énième cigarette au bar Lady Jane, bohème et cool, qui, comme nombre de lieux publics à Moscou, autorise ses clients à fumer. “Poutine gagne mais au fond il a perdu. Il sait qu’il ne pourra plus se comporter comme avant, qu’il lui faut désormais compter avec des citoyens prêts à manifester contre lui, avec une classe moyenne qui lui est fortement opposée. Il est intelligent, il en tiendra compte.” Andreï Guelassimov est un optimiste qui croit en Dieu depuis qu’il a lu la Bible au début des années 90, jusque-là interdite en URSS, et prône les vertus de l’amour. “En littérature, je me définis comme un néosentimentaliste, contrairement à Vladimir Sorokine et Viktor Pelevine, qui sont des satiristes.” N’empêche que ces dernières années, ce sont Sorokine et Pelevine qui se sont imposés comme les deux figures marquantes de la littérature russe contemporaine. L’un a décliné l’invitation au Salon du livre, l’autre vit à l’étranger et refuse les interviews. Tous deux travaillent une veine proche de la littérature dissidente, tel Le Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov, chef-d’œuvre fantastique de l’ère stalinienne, entre satire politique et farce hypersombre. “Au fond, rien n’a vraiment changé dans la littérature russe, confie Alexander Ivanov, éditeur d’Ad Marginem, la plus intéressante maison d’édition postsoviétique, sauf l’émergence d’une foule de maisons d’édition et de revues littéraires.” Moscou reste certes une formidable source d’inspiration pour ses écrivains “parce que l’énergie y est constante, palpable, que tout y change très vite”, insiste Guelassimov. “C’est un vivier d’histoires permanent, j’y puise toutes mes idées”, avoue Akounine.

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Tout comme l’histoire russe contemporaine : pour La Soif, Guelassimov, qui enseignait alors dans une fac en Sibérie, raconte comment il a vu ses étudiants envoyés en Tchétchénie en revenir changés : “Ils restaient apathiques pendant les heures de cours, sans réaction, comme s’ils avaient perdu tout trait humain.” Zakhar Prilepine y a combattu côté russe : “En politique, je sens que j’ai toujours raison, mais dans la littérature, je veux que tout le monde ait raison. C’est cela qui différencie pour moi la littérature de la politique. En étant commandant en Tchétchénie, j’agissais sans réfléchir. C’est en écrivant que j’ai compris que je n’avais pas forcément raison, que cette guerre avait été une tragédie pour tous.” Pourtant, chez cette nouvelle génération, la tragédie russe ne passe plus par la grande fresque romanesque. Naturalisme trash, entre vodka et potes, amours ratées et boue dans laquelle on patauge, portés par des fragments, des saynètes, des dialogues hyperréalistes et comiques. La tragédie avance masquée, l’air de rien, teintée d’un humour potache. Pas si loin, au fond, des jeunes écrivains américains. rencontre entre Emmanuel Carrère et Zakhar Prilepine (animée par Nelly Kaprièlian), le vendredi 16 mars à 19 h 30, sur la scène des auteurs du Salon du livre (du 16 au 19 mars à la porte de Versailles, Paris XVe) derniers livres parus Andreï Guelassimov Rachel (Actes Sud), traduit du russe par Joëlle Dublanchet, 377 pages, 23 € ; Boris Akounine Le Faucon et l’Hirondelle (Presses de la Cité), traduit du russe par Odette Chevalot, 573 pages, 23 € ; Zakhar Prilepine Des chaussures pleines de vodka chaude (Actes Sud), traduit du russe par Joëlle Dublanchet, 186 pages, 19,80 € Remerciements à l’Institut français

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1976 : le metteur en scène Bob Wilson (de profil) et le compositeur Philip Glass en pleine préparation d’Einstein on the Beach 54 les inrockuptibles 14.03.2012

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on the Beach again En 1976, les Américains Bob Wilson et Philip Glass créent Einstein on the Beach, opéra hypnotique sur la perception du temps et de l’espace. Cette œuvre visionnaire et unique entame à Montpellier sa quatrième tournée mondiale. par Fabienne Arvers, Hugues Le Tanneur et Philippe Noisette

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Betty Freeman/Lebrecht/Rue des Archives

ien n’a changé mais maintenant nos yeux et nos oreilles sont prêts à voir et à entendre.” Robert Wilson se réfère volontiers à cette citation de John Cage pour évoquer son travail. Rien n’a changé. Avec les années, la remarque prend une certaine saveur. Surtout aujourd’hui où l’on reprend Einstein on the Beach, une des créations emblématiques du tandem Robert Wilson-Philip Glass, trente-six ans après sa création en 1976 au Festival d’Avignon. Qui oserait affirmer sans rire que le monde n’a pas changé depuis 1976 ? Le premier à s’en amuser est Philip Glass qui rappelle qu’à l’origine, l’œuvre a failli s’intituler Einstein on the Beach on Wall Street. “Ce qui, depuis la crise des subprimes et la révélation des excès du monde de la finance, avec au passage la chute de Lehman Brothers, est tout de même assez drôle.” Philip Glas rencontre Robert Wilson pour la première fois en 1973. “Je ne connaissais pas du tout son travail jusqu’au jour où je suis allé voir The Life and Times of Joseph Stalin. Le spectacle commençait à sept heures du soir et se terminait douze heures plus tard avec le lever du soleil. Aucune musique, tout se déroulait en silence. Au petit matin, le public était très clairsemé. Du coup, Bob nous a reçus chez lui après la représentation. C’est là que nous avons commencé à nous parler de façon régulière jusqu’à ce qu’en 1974 nous décidions de faire quelque chose ensemble.”

New York, à l’époque, connaît un bouillonnement artistique exceptionnel. Théâtre, danse, performances se multiplient sans que quiconque se soucie vraiment des conditions techniques. Les artistes ne cessent de se croiser et d’échanger leurs idées. “Il existait une sorte de downtown community, se souvient la danseuse et chorégraphe Lucinda Childs. J’étais moi-même en contact avec beaucoup d’autres artistes, comme Yvonne Rainer ou Robert Rauschenberg. On expérimentait ensemble. Tout le monde connaissait tout le monde. On était là les uns pour les autres, pas comme aujourd’hui où l’on se sent bien davantage dans la rivalité ou la compétition.” Quand Bob Wilson lui propose de participer à Einstein on the Beach, Lucinda Childs n’hésite pas une seconde. “J’avais vu A Letter for Queen Victoria, une création qui ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. Quand Bob Wilson m’a demandé de travailler avec lui, j’ignorais s’il s’agissait de danser ou de jouer. Il n’avait pas précisé ce qu’il voulait de moi. Mais ça m’était égal : je voulais absolument participer à cette production. De toute façon, à cette époque, nous étions tous, avant tout, des performeurs.” Ce contexte de grande liberté créatrice, d’expérimentation, est essentiel dans la conception d’Einstein on the Beach, dont l’aspect formel élaboré à partir de données abstraites ne ressemble à rien de connu. Y participe même un enfant autiste de 14 ans, Christopher Knowles, protégé de Robert Wilson qui lui a confié une partie 14.03.2012 les inrockuptibles 55

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du texte. Thérapeute dans un centre pour handicapés à l’époque où il suivait ses études d’art et d’architecture, le metteur en scène a développé un talent particulier pour communiquer avec des enfants en difficulté. En 1971, Le Regard du sourd (Deafman Glance, en VO), création qui a beaucoup fait pour sa renommée – notamment en France où Louis Aragon saluera le spectacle dans sa célèbre lettre ouverte à André Breton –, s’articulait autour d’un jeune sourd-muet afroaméricain, Raymond Andrews.

Marc Enguerand/CDDS

Marc Enguerand/CDDS

En 1976, création au Festival d’Avignon. De face, la chorégraphe Lucinda Childs

Lucie Jansch

En 1992, où l’on retrouve Lucinda Childs (à gauche)

En 2012

Quelques années plus tard, Einstein on the Beach confirmera la radicale nouveauté d’une démarche artistique unique. Curieusement, quand il décrit la genèse de l’œuvre, Robert Wilson insiste sur sa dimension classique et, à ses yeux, pas si radicale, oubliant presque qu’elle fut reçue comme un ovni par le public. “Il s’agit avant tout d’un thème et de variations. Donc, rien de nouveau. Simplement, il n’y a pas de récit. Or les gens ont l’habitude que, sur scène, on leur raconte une histoire. Tout s’organise autour d’une construction impliquant le temps et l’espace et le rapport thème-variations.” Pour mieux se faire comprendre, il saisit une feuille de papier où il note des séries de chiffres et de lettres qui correspondent à la structure formelle du spectacle. Le dessin d’un genou représente les intermèdes musicaux entre chaque acte, désignés sous l’étrange appellation de Knee Plays qui renvoie à l’articulation de la jambe. La feuille se couvre peu à peu de schémas, de croquis. Un bouton de fleur en train de s’ouvrir illustre les différentes durées utilisées dans le spectacle. “Voilà comment a été construit Einstein on the Beach, explique Bob Wilson. Toutes mes œuvres ont une structure formelle. Quand j’ai rencontré Phil Glass, je lui ai demandé comment il composait sa musique. En l’écoutant, j’ai compris qu’il agissait exactement comme moi dans mes spectacles. Quand j’ai mis au point cette structure sur le papier, nous sommes tout de suite tombés d’accord. Phil et moi partageons une même façon de ressentir le temps. En revanche, quand je travaille avec quelqu’un comme Tom Waits, par exemple, je sais que nos deux personnalités sont très différentes. Ça aussi, ça m’intéresse. Tom est un romantique, moi je suis plus classique.”

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Courtesy Bob Wilson

“la génération actuelle est probablement plus proche de la façon de penser à l’œuvre dans Einstein on the Beach que ne l’était le public à sa création” BobWils on

Dessin de la structure formelle de l’opéra réalisé par Bob Wilson pendant l’entretien. C’est à partir de ce genre de document que Philip Glass a composé la musique

Einstein on the Beach se déploie dans la durée autour de trois éléments récurrents – un train, un lit face à un tribunal et un vaisseau spatial – vus sous différentes perspectives qui correspondent aux canons de la peinture classique : le portrait (vision de près), la nature morte (vision moyenne) et le paysage (vision lointaine). Le rythme extrêmement ralenti, combiné avec les mouvements des danseurs et la musique de Philip Glass, contribue à créer une sensation hypnotique. Le spectacle dure cinq heures sans entracte mais, comme dans le théâtre nô, le public reste libre de sortir et de revenir à sa guise. Plus peut-être que dans n’importe quelle autre création de Wilson, on sent à quel point Einstein on the Beach est un travail sur la perception. Ce qui explique sans doute pourquoi, contrairement à d’autres, on rejoue régulièrement cette œuvre. Celle-ci, qui combine de façon aussi subtile les rapports entre temps et espace, ne gagne-t-elle pas à vivre aussi dans le temps ? “Relativement peu de gens l’ont vue à l’époque de sa création, remarque Philip Glass. Et il n’y a pas eu de captation visuelle.” D’où les reprises du spectacle en 1984 et 1992, et enfin aujourd’hui. “Le public a changé, donc l’œuvre sera forcément perçue de façon

différente, analyse Wilson. Le public d’aujourd’hui a une expérience beaucoup plus grande de l’informatique et de l’électronique. La musique électronique est partout. La génération actuelle se sent probablement plus proche de la façon de penser à l’œuvre dans Einstein on the Beach que ne l’était le public à sa création.” Ce qui nous renvoie à la remarque de John Cage : c’est d’abord le regard et, plus généralement, notre perception qui changent. On pense aussi à la célèbre remarque de Marcel Duchamp : c’est le regard qui fait l’œuvre. “John Cage conserve une très grande influence, confirme Wilson. Si je n’avais pas lu son livre, Silence, je n’aurais jamais réalisé tout ce que j’ai fait. Il fut aussi important pour moi que Merce Cunningham ou George Balanchine. J’insiste beaucoup sur le fait que ce que nous voyons est aussi important que ce que nous entendons. Dans un spectacle, le texte, la musique, les gestes des acteurs ou des danseurs, la lumière, le décor, tout existe indépendamment ; mais c’est la combinaison de l’ensemble qui fait l’œuvre. Quand il travaillait avec Merce Cunningham, John Cage apportait la musique le soir de la première. C’est par hasard que la relation se créait entre ce que l’on voyait et ce que l’on entendait. En revanche, je construis sciemment mon travail. Chaque élément reste indépendant mais je n’abandonne pas leur relation au hasard. Il s’agit d’obtenir une tension.” Il est curieux de voir comment la figure d’Einstein se dilue dans l’œuvre. Mais en traduisant à sa manière la courbure de l’espace-temps, le spectacle se propose comme une méditation au sens large sur la modernité. Ce qu’analyse très justement Philip Glass : “Le spectacle commence avec un train du XIXe siècle et s’achève sur une explosion atomique avec un vaisseau spatial du XXe siècle. S’il fallait imaginer un symbole pour le XXIe siècle, ce serait évidemment internet. Mais il est certain que le plus important pour Bob est que la bombe atomique représente l’entrée définitive dans le monde moderne. Et là, on est obligés d’être d’accord.” Einstein on the Beach mise en scène Bob Wilson, musique Philip Glass, chorégraphie Lucinda Childs, textes de Christopher Knowles, Samuel L. Johnson et Lucinda Childs. Du 16 au 18 mars à l’Opéra de Montpellier. Puis en mai à Londres, en juin à Toronto, en septembre à New York… à lire Robert Wilson, sous la direction de Margery Arent Safir (Flammarion) 14.03.2012 les inrockuptibles 57

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triple A Un nouvel album magnifique, une réédition intégrale, une tournée en vue : Dominique A poursuit en trois temps son itinéraire sensible. Rencontre en studio à Bruxelles. par Pierre Siankowski photo Colin Delfosse/Picturetank

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B

ruxelles en février. Il fait déjà presque nuit lorsque Dominique A nous ouvre la porte du Jet Studio. Les Rolling Stones et Edith Piaf ont enregistré ici. On les comprend, l’endroit est magnifique. Tout y est vintage : les sols, les plafonds, les instruments. C’est là que Dominique A a enregistré son dixième album, Vers les lueurs. Il nous guide, montre les lieux cachés comme cette pièce rouge où l’on enregistre le son “à la Phil Spector”. Le chanteur se trouve à Bruxelles avec une équipe rapprochée : Dominique Brusson et Géraldine Capart, qui terminent le mix et le mastering. Quelques semaines plus tôt, rencontré à Paris pour la ressortie de tous ses albums (lire encadré page suivante), Dominique A nous avait mis l’eau à la bouche. “Il s’agit d’un disque où il est question de lumière”, avait-il annoncé avec un sourire en coin et sa bonne tête. Il est désormais tout chaud cet album, prêt à être écouté à l’endroit même où il a été couché en janvier dernier avec le groupe qui accompagnait le chauve fondamental sur sa précédente tournée. “Après La Musique/La Matière, album solo, je me sentais bien en live avec le groupe (Sébastien Buffet, Jeff Hallam, Thomas Poli, déjà croisés pour certains chez Montgomery – ndlr). Mais en même temps, je voulais qu’il y ait des musiciens additionnels, que ce ne soit pas uniquement un disque où on envoie la sauce”, raconte Dominique A avec envie. En plus de sa bande électrique, il s’est donc offert les services du fidèle David Euverte, au piano et aux arrangements, mais aussi ceux d’un quintet à vent que le chanteur définit ainsi : “Des gens qui viennent du classique mais ne demandent qu’à s’en enfuir.” Dominique A nous installe devant la console, gratte au feutre l’ordre des chansons sur une feuille volante, 14.03.2012 les inrockuptibles 59

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(émouvant aux larmes, où Dom A parvient à caser “j’ai désinfecté ton genou”, chapeau), Quelques lumières, ce faux hymne de paix, le bouleversant et introspectif Ce geste absent, ou encore Le Convoi, morceau de bravoure de plus de neuf minutes que Dominique A mène à son terme avec une sérénité incroyable. Le résultat d’un travail d’écriture souvent exercé loin du monde. Ecoutez plutôt : “Il y a souvent des images qui me viennent quand je fais du vélo en Ille-et-Vilaine, en suivant toujours le même trajet, au bord de la Vilaine, entre Bédée-sur-Vilaine et Langon-sur-Vilaine.”

Bruxelles, février 2012

lance l’écoute et disparaît pudiquement au deuxième étage, nous laissant Vers les lueurs. Ce nouvel album laisse bouche bée. Il est d’une rare exigence, d’une rare liberté aussi. Contre un arbre, le morceau qui l’ouvre, donne une idée immédiate des fortes ambitions du disque : vingt années après la sortie de La Fossette qui le révéla, le père A continue de s’enraciner dans le paysage, toujours à sa façon, discrète, en empruntant disque après disque les chemins vicinaux et les sentiers de traverse. Pas de compromis visible sur ce Vers les lueurs qui ne cesse, à mesure qu’il se déroule, d’ouvrir des perspectives à Dominique A – là est toute la performance. On l’entend jouer avec sa voix plus que jamais, sortir les glissando, oser les soupçons

de sensualité. “C’est plus fleuri. J’ai toujours aimé chanter. Je continue à apprivoiser ma voix. La tournée de La Musique m’a rapproché des gens, ça m’a fait beaucoup de bien. On s’est fait des bisous, comme dirait Katerine. J’ai senti un vrai enthousiasme qui m’a touché. J’essaie d’être moins dans l’autorité. Ça allège tout”, dira-t-il plus tard. Les textes sont toujours aussi précis et cascadeurs : il suffit pour s’en convaincre de réécouter Vers le bleu

Et puis il y a la musique, un peu moins âpre que sur le dernier album (à l’exception de Close West), plus accueillante, plus complexe aussi : en organisant la douce rencontre entre sa formation rock et un quintet à vent, Dominique A semble avoir trouvé une formule passionnante qui ne s’interdit pas les couleurs et les envolées. Au deuxième étage du Jet Studio de Bruxelles, où on le rejoint après l’écoute, Dominique A épluche la fabrication de Vers les lueurs. Il raconte comment il a voulu, avec le concours de David Euverte, que les instruments à vent puissent se glisser dans les interstices offerts par le groupe, pour justement laisser entrer cette lumière qui traverse l’album. “J’aime comme le quintet souligne les baisses ou les augmentations de tension, de relief. J’ai voulu jouer avec le son comme on peut jouer sur la lumière, avec une sorte de variateur. Ça me tire de plus en plus dans les côtes quand les chansons n’évoquent que des choses sombres. Je fais des efforts mais je ne joue pas encore de la bossa non plus, lance-t-il en souriant. Ce disque se situe pour moi entre le free-jazz et la variété. Je ne dis pas que je suis le seul à faire des trucs originaux mais là, j’ai le sentiment que c’est un entre-deux encore inexploré.” Il se marre doucement, sans se départir de cette pointe d’humilité qui force le respect. Ouvert et florissant, terrien et aventureux, Vers les lueurs semble être une nouvelle pierre (de taille) dans le combat pour l’ouverture que le chanteur mène depuis de longues

“je n’ai plus envie de passer pour le vieux barbon qui fait chier”

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années. “Je n’ai pas envie d’assommer les gens, je n’ai plus envie de passer pour le vieux barbon qui fait chier. Je n’ai pas envie de radoter non plus. C’est pour ça que je me fixe des cadres, des limites. Je veux toujours aller plus loin, trouver un juste milieu entre quelque chose qui soit impressionnant mais pas intimidant.” On trouve toujours, chez Dominique A, cette guerre de positionnement interne, cette remise en question permanente. Vers les lueurs, comme chacun de ses disques, n’en est surtout pas la victime

mais le magnifique rejeton. Depuis Un disque sourd, son premier essai, en passant par Remué ou Auguri, et jusqu’à Vers les lueurs, Dominique A laisse une marque belle, sinueuse et indélébile sans presque vouloir la prendre en compte. Pas de la modestie, plutôt une force motrice : “J’ai toujours la crainte d’une hallucination auditive qui dure longtemps. Mais ça me fait avancer.” Il est presque 20 heures à Bruxelles, le moment pour le chanteur et ses acolytes d’aller manger dans “leur” restaurant

italien du centre-ville. La nuit est encore plus noire. Les lueurs qui entourent le parcours de Dominique A encore plus prégnantes, son itinéraire forcément toujours plus précieux. album Vers les lueurs (Cinq7/Wagram), le 26 mars concerts le 6 avril à Béthune, le 7 à Reims, le 12 à Nantes, le 20 à Cavaillon, les 25 et 26 à Bourges (Printemps de Bourges), le 19 juin à Paris (Casino de Paris), etc. à lire Y revenir de Dominique Ané, récit autobiographique sur Provins, sa ville natale (Stock, le 3 mai), www.dominiquea.com

mue intégrale La réédition de la totalité de son œuvre offre des dizaines d’inédits.



i vous n’avez jamais écouté Dominique A, vous avez presque de la chance. En janvier est ressortie l’intégralité de son œuvre, remasterisée et augmentée (pour chaque référence) d’inédits, de lives, de demos et de remixes. De son tout premier essai, Un disque sourd, album diaphane, radical, naïf, neurasthénique et longtemps

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introuvable (accolé ici au fondateur La Fossette), à La Musique/La Matière, dernier(s) album(s) avant Vers les lueurs, l’occasion est trop belle de se (re)plonger dans l’œuvre de Dominique et d’en mesurer la portée. “J’aime bien l’idée de remettre les disques dans les bacs. Ces disques, c’est ma vie, j’assume tout. C’est bien de se dire que les vieux bidules ne sont pas égarés dans la nature. Aujourd’hui, il faut tellement jouer des coudes pour être en

vente… C’est vraiment une chance”, explique Dominique A, qui n’a pas voulu d’un coffret – “l’horreur, un peu comme une tombe”. Des (très bons) disques, donc, des découvertes ou des redécouvertes à faire : les mordus trouveront leur compte dans des dizaines de morceaux jamais entendus, qui renforcent ou infirment le sens des disques, donnent à réfléchir. Pour les novices, il y a des immanquables à écouter d’urgence. La Mémoire neuve,

qui le plaça définitivement sur la carte et qui, au-delà du Twenty-Two Bar, que son auteur a tant détesté, brille par son écriture acide (Il ne faut pas souhaiter la mort des gens). Remué naturellement, ce disque dur mais d’une beauté rare, posé comme une évidence au milieu de l’œuvre de A. Auguri enfin, qui laisse entrevoir un peu plus de lumière, contenant autant l’indépassable Pour la peau que la reprise aérienne des Enfants du Pirée. Indispensable. P. S.

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les nouveaux marchands d’armes Ils ne vendent pas des missiles mais des programmes informatiques qui détectent où vous êtes, ce que vous dites et avec qui vous parlez. Dans le documentaire Traqués…, Paul Moreira enquête sur ces entreprises occidentales qui aident les dictateurs à se moderniser.

T

ués à cause de leurs téléphones… A Homs, l’armée syrienne a peut-être repéré Rémi Ochlik et Marie Colvin avec le signal électronique émis par leurs téléphones cellulaires ou satellites. L’hypothèse, solide, revient dans plusieurs médias anglo-saxons (Associated Press, The Telegraph, The Globe and Mail). On l’ignore souvent mais un téléphone porte en lui un mouchard GPS qui donne sa position en permanence à 50 mètres près, même éteint. Magie des armes modernes, il suffit de dédier un missile à un signal électronique pour que celui-ci ne rate jamais sa cible. La veille de sa mort, Marie Colvin avait accordé une longue interview téléphonique à CNN. Et on sait que les forces de Bachar al-Assad voulaient cibler le Centre des médias d’Homs d’où l’insurrection transmettait les images de la répression. En novembre 2011, je suis entré clandestinement en Syrie. Un réseau de résistants m’a pris en charge. Dès le premier jour, l’un d’entre eux, Ali, a exigé : “Les cartes sim et batteries, sors-les !” Ali a ouvert la coque des appareils avec la dextérité d’un vendeur de portables, un geste qu’il répète plusieurs fois par jour. Il n’activait son téléphone que lors des déplacements en voiture. “Si tu as besoin de téléphoner, tu nous le dis, on roule vingt kilomètres et tu peux appeler. Pas trop longtemps quand même. Mais si tu le laisses allumé dans la planque, ils vont nous bombarder, c’est sûr…” Qui a vendu à al-Assad ces machines mortelles ? Pas des Nord-Coréens ou des terroristes islamistes. Non. Des entreprises occidentales venant de pays aux pedigrees démocratiques impeccables, estampillées par leur ministère de tutelle. Elles agissent dans le secret : on n’en découvre l’existence que lorsque le système connaît une faille. Ainsi, en Syrie, on en sait un peu plus grâce aux efforts maniaques de deux hackers français – Kheops et Okhin, queue de cheval et sweat

à capuche. Ils ont cracké les ordinateurs du gouvernement syrien et ont découvert au cœur du réseau la présence de logiciels Blue Coat. De petits programmes informatiques aussi vicieux qu’invisibles scrutaient en permanence les moindres gestes des internautes syriens. Blue Coat, une entreprise américaine de la riante Silicon Valley, n’a pas nié l’évidence. Pour sa défense, elle a affirmé avoir vendu ses produits à un intermédiaire de Dubaï sans imaginer que celui-ci les revendrait ensuite aux bourreaux syriens. Au Bahreïn, autre dictature locale aux prises avec une révolution, c’est l’allemand Trovicor qui a été identifié par les journalistes de Bloomberg. Trovicor est une ancienne filiale de Nokia Siemens, dénoncée pour avoir vendu du matériel au gouvernement iranien afin de réprimer la tentative de soulèvement démocratique en 2009. Problème d’image : Nokia Siemens s’est débarrassée de Trovicor. “Nous n’avons plus aucun lien”, affirment-ils. A qui appartient désormais Trovicor ? A Perusa Partners, un fonds d’investissement logé à Guernesey, joli port de pêche des îles anglonormandes et paradis fiscal notoire. A Guernesey, les autorités garantissent de pouvoir dissimuler totalement l’identité des actionnaires de ses fonds d’investissement. Peut-être est-ce encore le géant Nokia Siemens qui se cache derrière, peut-être pas… Ce qui est sûr, c’est que l’industrie du flicage électronique connaît une expansion puissante. En octobre 2011, au fameux salon Milipol de ventes d’armes, elle occupait 25 % des stands. Des représentants en costumes mal coupés toisaient le chaland non réglementaire d’un regard suspicieux. Ils ne répondaient à aucune question, ni sur ce qu’ils font, ni sur qui ils sont, ni surtout à qui ils vendent. Le cyberflicage est à la pointe de l’opacité. Les machines qu’ils vendent vous écoutent, vous voient, vous repèrent et il n’existe même plus d’angle mort pour leur échapper. Et, non, contrairement à ce qu’annoncent

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Images d’une vidéo interne de démonstration pour un logiciel espion (téléphone ou ordinateur) de la société Finfisher 1. “La cible utilise un téléphone BlackBerry pour communiquer” 2. “Le centre de contrôle accède au système de la cible” 3. “Le centre de contrôle a maintenant un accès total à tous les comptes visés” (extrait du documentaire Traqués…)

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“ils avaient tout : les mails, les chats, les conversations que nous pensions sécurisées…” un bloggeur de l’opposition

leurs brochures publicitaires, ces engins ne servent pas uniquement à arrêter des pédophiles et des terroristes. Ils le savent mais s’abritent derrière le secret commercial pour refuser de vous révéler à quel pays ils livrent leur matériel espion. Seuls des accidents de l’histoire nous permettent de découvrir la vraie nature de leur business. Si Tripoli n’était pas tombée aux mains des rebelles, on n’aurait jamais su qu’une entreprise française, accréditée par le ministère de la Défense, avait vendu du matériel de surveillance au colonel Kadhafi. C’est une journaliste de la BBC qui pousse la grille du centre des services secrets en août 2011 alors que la ville vient de tomber. Ses occupants l’ont déserté à la hâte. Le bunker est plongé dans l’obscurité. A la lumière de sa torche, elle découvre des affichettes écrites en anglais : “Gardons nos affaires secrètes”. Puis le nom d’une entreprise française : Amesys. Les sites Mediapart et Owni ont publié l’histoire cet automne. Amesys, grosse boîte française d’espionnage électronique, a vendu le programme Eagle à Kadhafi. L’intermédiaire de la vente est Ziad Takieddine, le fameux et richissime Franco-Libanais que l’on retrouve aussi dans le deal de Karachi. Douze millions d’euros pour Eagle. Pas cher pour pouvoir espionner l’ensemble des internautes d’un pays. Une équipe d’ingénieurs français a fait le voyage en Libye pour former la police politique. J’ai pu rencontrer l’un de ces hommes. Appelons-le Janus. Il a vécu plusieurs mois dans ce que les Libyens appelaient avec frayeur “le centre de Senoussi”. Avec frayeur, car Abdallah Senoussi, le patron des services, inspirait à juste titre la terreur. C’est lui qui avait posé la bombe dans le DC-10 d’UTA en 1989, tuant ainsi une cinquantaine de citoyens français. Vingt ans plus tard, il donnait donc des ordres à des techniciens français accrédités Défense. “Il tapait du poing sur la table quand ça n’allait pas assez vite, raconte Janus. Il vérifiait les livrables.” A Tripoli, les flics libyens sont très heureux de recevoir de telles machines. Grâce à elles, ils peuvent lire les mails, ouvrir les pièces jointes, voir qui parle avec qui. Ils impriment, ils font des petits graphiques. L’heure venue, ils arrêtent. “Plutôt dans les universités, raconte Janus. Ils étaient obsédés par les universités.” Jalal Al-Kwasi travaillait précisément à l’université de Benghazi. Cet homme voûté au pas vif et aux décisions rapides était l’un des membres actifs de l’opposition. Ce bloggeur s’est beaucoup servi d’internet pour organiser son réseau. En février 2011, il a cru sa dernière heure arrivée. Arrêté chez lui par la police politique, il s’est retrouvé dans un centre d’interrogatoire. Tabassé, torturé, il a tenté de nier. Ses tortionnaires ont laissé durer le plaisir, lui laissant croire qu’il pourrait s’en sortir en mentant. Puis ils lui ont présenté un dossier avec tous ses mails imprimés. “J’ai compris que j’étais foutu,

se souvient Jalal. J’étais sidéré par le niveau de précision de leurs infos. Ils avaient tout : les mails, les chats, les conversations que nous pensions sécurisées…” Sans les manœuvres de rapprochement diplomatiques entre la France et la Libye, entamées dès 2006, la vente du matériel d’espionnage n’aurait jamais été possible. L’homme essentiel dans l’histoire aura été Ziad Takieddine. On découvre dans cette affaire que l’intermédiaire en ventes d’armes est aussi un diplomate parallèle très efficace. Il prend contact avec le réseau Sarkozy au ministère de l’Intérieur en 2005 et reçoit le feu vert. En 2006, il organise la visite secrète à Tripoli de Claude Guéant, directeur de cabinet de Sarkozy. Aujourd’hui, Ziad Takieddine nourrit le sentiment d’avoir été lâché par ses anciens amis : “Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour la France…” Et aussi pour des commissions substantielles, si on en croit certains documents entre les mains de la justice. Ce rapprochement aboutira à la signature d’un pacte de coopération entre la France et la Libye, notamment dans le domaine des “communications et de la sécurité”. Le pacte est signé par Bernard Kouchner devant les caméras à Tripoli, en 2007. A partir de ce moment, tout le monde sait de quoi il retourne. Ziad Takieddine est fier d’avoir participé à un deal qui va équiper Kadhafi en matériel de surveillance : “Qui dit coopération dit coopération à tous les niveaux. Faut voir où se trouvent les criminels, écouter les téléphones, etc. (…) On découvre qu’à une période, cet objectif sain s’est retourné pour devenir un objectif malsain. En quoi franchement vous êtes responsables ? En quoi vous êtes responsables d’avoir vendu ?...” Discours officiel : les machines devaient servir à repérer les terroristes d’Al-Qaeda . En vérité, personne n’a cherché à savoir qui la police politique libyenne poursuivait vraiment. Personne n’a cherché à entendre les techniciens français sur le terrain à qui on demandait d’espionner les universités. Aujourd’hui, Amesys invoque à demi-mots la raison d’Etat pour se dépatouiller du scandale : “Les liens diplomatiques étaient rétablis, nous allions aider les Libyens dans la lutte contre le terrorisme islamiste, explique Bruno Samtmann, directeur commercial d’Amesys. – Et quand vous vous apercevez que ce n’est pas le cas ? – Je ne contrôle pas ce qu’ils font avec l’outil. Je subis… – Tout de même, c’est un pacte avec le diable, que vous avez passé… – C’est pas moi qui l’ai passé, le pacte…” Le 7 mars, Bull-Amesys a annoncé officiellement qu’ils se débarrassaient du programme Eagle. La mise en lumière de leurs activités dans l’interception aura coûté trop cher à leur réputation. Paul Moreira/Premières Lignes Traqués… documentaire de Paul Moreira, sur Canal+, le mercredi 14 mars à 23 h

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Aloïs Nebel de Tomás Lunák L’histoire contemporaine tchèque, de la Seconde Guerre mondiale à Václav Havel, dans un superbe film d’animation.

 I

l est toujours utile d’être bousculé dans ses préférences, d’être remis en question dans ses goûts ou préjugés. Ainsi, votre serviteur a toujours été un peu rétif au cinéma d’animation. A quelques exceptions près (le bouleversant Tombeau des lucioles d’Isao Takahata, en 1988 ; les productions Pixar, ébouriffantes…), les films d’animation m’indiffèrent (ou au mieux me plaisent sans plus), qu’ils soient moulés à la louche artisanale ou sortis de la dernière cuisse technologique, pour enfants ou pour adultes, français, ricains ou asiatiques, qu’on les appelle dessins animés, mangas ou anime. Pour des raisons trop longues à théoriser ici (et dont une part m’échapperait sans doute), la présence humaine, charnelle, m’est presque aussi indispensable (quoique pas toujours suffisante) au cinéma que l’oxygène dans la vie. C’est donc avec étonnement et grande joie que j’ai été conquis, scotché,

remué, “animé” par Aloïs Nebel, merveille de film d’animation réalisée par un jeune Tchèque à la dégaine de chanteur grunge, Tomás Lunák. Aloïs Nebel, c’est le personnage principal, chef de gare dans un bled des montagnes tchèques proche de la frontière autrichienne. Un homme solitaire et taciturne, hanté par le passé. Nebel signifie brouillard en allemand, et le film est en effet baigné d’une atmosphère assez “nuit et brouillard”. Pour autant, Lunák ne montre pas la Shoah, ou seulement par résonance. Météorologiques, mentales, allégoriques, historiques, ses brumes évoquent l’histoire de la Tchéquie, particulièrement deux moments clés : l’année 1945, quand par volonté de revanche et d’épuration les autorités tchèques ont fait déporter en vue d’expulsion leurs compatriotes de langue allemande, et la fin de l’année 1989,

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raccord

biopics ou biopsies ?

quand le mur de Berlin est tombé et que le dramaturge dissident Václav Havel est devenu président de la toute nouvelle République tchèque. Ce va-et-vient entre les deux époques passe donc par Aloïs Nebel, personnage enfermé dans sa névrose qui vit de façon détachée le présent de 1989 tout en ne parvenant pas à chasser de son esprit les scènes traumatiques dont il fut témoin enfant en 1945. Si ce récit qui mêle petite et grande histoire est déjà fort en soi (on y trouve aussi le suspense d’une affaire de tueur en cavale puis d’une possible histoire d’amour naissante), que dire de la mise en scène très inspirée de Lunák, qui pointe la corruption et l’amnésie de la société stalinienne finissante, tire le meilleur parti des profondes forêts d’Europe centrale et de leurs mystères anxiogènes, décline toute la polysémie symbolique des trains, objets de voyages physiques ou mentaux, métaphores parfaites du cinéma, de la mémoire, de l’histoire et du XXe siècle. Les personnages sont remarquablement dessinés, tant graphiquement que psychologiquement, le hors-champ est

le film avance dans un noir et blanc somptueux d’élégance et de puissance évocatrice

utilisé avec à-propos et le film avance dans un noir et blanc somptueux d’élégance et de puissance évocatrice. Si la facture visuelle est magnifique, le son est minutieusement travaillé, de la musique au clapotis lancinant d’un robinet qui fuit, rendant ce film aussi sensible, précis et prégnant que s’il était tourné en prises de vues réelles. Or justement, Lunák et son équipe sont partis d’un tournage réel avant de retravailler tous les plans aux crayons, selon le procédé de la rotoscopie. Outre que cette technique très ancienne (brevetée en 1915 !) prouve que la performance capture n’a rien inventé, elle explique la fluidité de mouvements et la précision expressive des visages à l’œuvre dans Aloïs Nebel – et peut-être aussi pourquoi ce film d’animation m’a tant convaincu puisqu’il porte indubitablement l’empreinte des acteurs qui y jouent. Pour autant, la technologie n’est qu’un moyen et ne saurait faire oublier l’essentiel : Aloïs Nebel est une splendeur à tous points de vue. Et je remercie Tomás Lunák de m’avoir montré que le cinéma d’animation pouvait produire des films aussi beaux, prenants et profonds. Serge Kaganski Aloïs Nebel de Tomás Lunák, avec Miroslav Krobot, Marie Ludvíková, Karel Roden (Rép. tchèque, All., 2011, 1 h 24)

“Un sale bonhomme. Oui, une sale personne. Un monstre en somme…” Comment le jeune homme yé-yé qui chantait ce refrain cadencé dans sa vingtaine aurait pu imaginer que cinquante ans plus tard la description de ce sale bonhomme ressemblerait trait pour trait à l’image que brosse son biopic officiel, validé par ses deux fils ? A en croire Cloclo, Claude François n’était pas facile à vivre : obsessionnel, compulsif, maniaque… C’est désormais la nouvelle donne du biopic : chercher le monstre. Soit on part du monstre – J. Edgar Hoover, Margaret Thatcher, deux tyrans à leur façon – et on fouille de son enfance à sa vieillesse pour détecter le point de faiblesse qui le rendrait attachant et humain ; soit on part de l’idole populaire – Edith Piaf, Claude François – et on gratte pour en révéler la part la plus mortifère et autodestructrice. L’essentiel est qu’il y ait de la maladie – toxicomanie, Alzheimer – et de la grosse névrose – sexualité refoulée, trouble obsessionnel. Le biopic moderne vise moins le récit d’une vie que le portrait d’une pathologie. Chaque film est un diagnostic. Le mal a toujours une racine. Rigidement freudien, le biopic moderne se plaît à localiser l’instant T du trauma. Une fois campée la petite scène primitive, tout le scénario va se charger de la rejouer ad libitum. Cloclo est une machine à reproduire. Son père était un tyran ; il le sera à son tour. Son père était un macho ; lui tout pareil. Son père a fait comme s’il n’existait plus dès qu’il est devenu musicien ; il cache son second enfant à son entourage, etc. Certes, Cloclo, La Dame de fer, J. Edgar, bientôt My Week with Marilyn, campent toujours des destins d’exception. Mais la légende ne suffit plus. Il faut encore la retourner. Non pas pour affirmer que ces grands hommes et femmes sont comme tout le monde mais, mieux encore, sont plus malades que nous.

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Terraferma d’Emanuele Crialese avec Filippo Pucillo (Fr., It., 2012, 1 h 28)

Jérémie Renier

Cloclo

de Florent-Emilio Siri Un biopic habile, qui épluche une à une les paillettes de Cloclo pour mettre à nu ses névroses.

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e vous parle d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. La France en ce temps-là applaudissait un chanteur, nommé Claude François, et ses chansons pour minettes. Il s’épilait les sourcils et se décolorait les cheveux, portait des pattes d’eph et des chaussures à talon vernies, entouré de jeunes femmes toutes en longueur et dévêtues qui se déhanchaient à son propre rythme. C’était un homme d’affaires et un angoissé jouisseur… D’évidence, Cloclo s’inscrit dans la lignée très à la mode du biopic patrimonial, du Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar au Coluche, l’histoire d’un mec d’Antoine de Caunes – on peut d’ailleurs s’amuser à effectuer des croisements entre les trois films (France Gall, Paul Lederman…). Florent-Emilio Siri, son réalisateur, y vise avant tout la clarté du récit. Résultat : un film cohérent et obstiné, qui ne dévie jamais de sa route. Claude François était un grand narcissique (blessé par le dédain affiché par son père à l’égard de ses velléités “artistiques”) et un obsessionnel de première classe et qui en est mort, à 39 ans, en voulant revisser une applique électrique alors qu’il prenait une douche dans sa baignoire. Toute sa vie peut être mesurée à cette aune, et c’est ce que fait le scénario – tout son entourage était soumis à la pression de sa réussite personnelle.

Le film le répète de bout en bout – bien qu’il ait été coproduit par ses deux fils. Jérémie Renier y est génial : non seulement il ressemble physiquement à Claude François mais il parvient à l’incarner sans chercher à l’imiter bêtement (au contraire de ce que faisait Jamie Foxx pour Ray Charles dans Ray), tout en se gardant bien de la moindre distance avec son personnage. Enfin Siri, mine de rien, réussit parfaitement, comme disent les commentateurs de tennis, les “coups importants”, ceux qui font gagner un match. Ne citons que deux exemples : d’abord le long travelling en voiture qui suit sans coupure Claude François de son appartement à ses bureaux, vu de l’habitacle, et qui montre comme cela ne l’a jamais été auparavant ce que c’est que d’être une vedette adulée, suivie, attendue, chérie par les foules (féminines en l’occurrence), et d’y trouver son compte, un plaisir sans nom, parce qu’on aime fondamentalement cela. Et enfin, la fameuse scène de la douche. Avec un art du suspense qu’il faut saluer, Siri parvient sans grands gestes de bras (et sans les fausses bonnes idées d’un Sfar dans Gainsbourg) à la “mettre en scène”. De l’artisanat de qualité. Jean-Baptiste Morain Cloclo de Florent-Emilio Siri, avec Jérémie Renier, Benoît Magimel, Sabrina Seyvecou, Ana Girardot (Fr., 2012, 2 h 28)

Une comédie sociale simplette. Mieux vaut un cinéaste qui s’entête dans une voie que celui qui les suit toutes vaguement. Terraferma, le nouveau film de l’auteur de Respiro, part dans tous les sens, sans jamais s’attacher à un seul jusqu’au bout. Il y a l’argument sentimental (Filippo, jeune rustre sicilien qui aime une continentale), le fil féministe (la mère de Filippo, veuve, qui ne songe qu’à quitter cette île sans avenir), le couplet patriarcal (avant, c’était mieux), la critique politique (les lois policières anti-immigration), l’antienne sociale (finie la pêche, place au tourisme de masse), etc. Trop c’est trop, avec beaucoup de manichéisme et peu de cinéma. Sur un sujet proche, revoyons l’admirable Tornando a casa de Vincenzo Marra (2001). J.-B. M.

La Dame en noir de James Watkins avec Daniel Radcliffe (G.-B., Can., Suè., 2012, 1 h 35)

Un fade film de fantômes. Dans l’Angleterre victorienne, un jeune notaire, père de famille et veuf, est envoyé dans un manoir (évidemment hanté) afin de régler la succession de la femme qui vivait là. Entre apparitions fantomatiques (une drôle de dame en noir, brrr) et suicides d’enfants en série, il mène l’enquête… Le seul intérêt de ce film de fantômes routinier réside dans le choix de Daniel “Harry Potter” Radcliffe dans le rôle du papa notaire. Pas crédible une seconde – car encore coincé dans sa persona de petit magicien binoclard –, il introduit malgré lui un peu d’étrangeté et la belle idée, hélas pas assez creusée, que cette société grise et froide qui ressemble tant à la nôtre est décidément d’une cruauté sans limite avec sa progéniture. Jacky Goldberg

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Yvan Attal

38 témoins de Lucas Belvaux avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia, Natacha Régnier (Fr., 2012, 1 h 44)

Un meurtre dans la nuit, des témoins qui n’interviennent pas. Portrait de la lâcheté ordinaire. dapté d’un roman de Didier Decoin, ce nouveau film noir de Lucas Belvaux sonde les conséquences d’un viol et d’un meurtre commis une nuit en plein centre du Havre. La teneur de 38 témoins n’est pas tant sociale ou politique que philosophique et morale. La grande originalité du film est de s’attacher aux témoins du fait divers plutôt qu’à la traque de son auteur. Le crime s’est déroulé dans le quartier conçu après-guerre par l’architecte-urbaniste Auguste Perret. Dans ces immeubles et rues rectilignes où vivent de nombreux habitants, où chacun peut être spectateur de ce qui se passe chez ses voisins, tout le monde aurait dû entendre le cri strident de la victime. Or tout le monde dormait. Du moins, c’est ce que chacun prétend. Seul Pierre (Yvan Attal) semble rongé, puis avoue à sa femme qui vient de rentrer de voyage qu’il a tout vu, tout entendu, et que son statut de témoin muet est trop lourd à assumer. Lucas Belvaux a toujours le talent d’ancrer ses personnages dans des lieux puissamment évocateurs. Il filme admirablement le quartier Perret et les docks, comme hantés par un mal diffus, menaçant et impalpable. Ce mal, au-delà d’un viol létal, c’est la lâcheté individuelle et collective, les apories morales de nos institutions (le procureur, plus soucieux de préserver l’ordre social que de rechercher la vérité). Si le questionnement sur le rôle de témoin est juste, il est dommage que Belvaux enfonce sans mesure le clou de la honte collective, n’épargnant quasiment aucun de ses personnages à l’exception de Louise (Sophie Quinton), qui avait la bonne fortune de ne pas être présente au moment du drame. Dans la peau du témoin bouffé de culpabilité, Pierre semble se vivre plus coupable que le violeur-tueur. Avec la France de Vichy comme boussole et repère historique, Belvaux semble dire “tous collabos !” Plus dénonciateur qu’observateur nuancé, ce point de vue excessivement sombre et sentencieux rigidifie un film par ailleurs joué et réalisé avec un indéniable talent. Serge Kaganski

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Bi n’aie pas peur ! de Phan Dang Di avec Phan Tranh Minh (Viet., Fr., All., 2010, 1 h 32)

La ronde des désirs dans une famille de Hanoï. Ce qui manque dans ce film, qu’on peut appeler choral pour simplifier, c’est un point focal. Dans un sens, son centre pourrait être le petit garçon, Bi, auquel le titre s’adresse, mais celui-ci est un peu transparent, servant surtout d’intermédiaire entre la maison et le monde. En soi, chaque élément, chaque destin du film est intéressant, mais trop embryonnaire. Le plus intrigant est sans doute celui de la tante (du petit garçon), enseignante irrépressiblement fascinée par un lycéen. Mais cette attirance ne produit rien de décisif. Elle est juste posée. Tout est ainsi, plaqué, dans ce film qui manque de liant, et tout bêtement de dialogues. Remarque également valable pour les scènes de sexe, qui arrivent comme des cheveux sur la soupe. Tout est beau en soi – décors, filmage, comédiens – mais on reste extérieur à ce mélo englué dans le non-dit. Vincent Ostria

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en salle Barker par cœur L’Institut Lumière à Lyon consacre son “Epouvantable vendredi” à Clive Barker, génie de l’horreur polyvalent (à la fois réalisateur, producteur, peintre, écrivain et auteur de BD). De son imaginaire retors et scabreux provient la série des Hellraiser, monstruosité née sur papier dans sa nouvelle “The Hellbound Heart”. On pourra revoir le premier volet (Hellraiser – Le pacte, réalisé par ses soins) lors de cette soirée, suivi de deux autres adaptations de l’univers littéraire de Barker : Midnight Meat Train de Ryûhei Kitamura, dont il est également producteur, et l’incontournable Candyman de Bernard Rose. Nuit Clive Barker le 16 mars à partir de 20 h à l’Institut Lumière, Lyon (69), www.institut-lumiere.org

hors salle

Nouveau souffle

vertigineux L’honorable revue Vertigo intitule judicieusement son numéro 42, “Apesanteurs”. On y trouvera des analyses aériennes sur des cinématographies qui le sont tout autant, et chacune à leur manière : Jean-Marie Samocki revient sur Inception, Cyril Béghin analyse la place de The Tree of Life dans l’œuvre de Malick, Julien Abadie défend le “cinéma mutant” des Wachowski ou de Tony Scott, notre collaborateur Jacky Goldberg interroge l’évolution du héros d’action de Matrix à Drive. Même les folies régressives de Will Ferrell ont droit à leur éloge céleste (“Une chose pataude qui avance par inertie”, par Philippe Fauvel). Un dialogue avec F. J. Ossang clôt l’ouvrage. Vertigo n° 42, “Apesanteurs”, 125 pages, 17 €

box-office l’instant norvégien Beau début de carrière pour Oslo, 31 août de Joachim Trier. Sorti le 29 février, le film fait 38 000 entrées pour 38 copies, meilleur score atteint en France par un film norvégien dans sa première semaine. Le haut du classement est occupé par Jean Dujardin : Les Infidèles, sorti le 29 également, atteint son million en une semaine d’exploitation, talonné par The Artist (360 600 spectateurs de plus cette même semaine). Du côté des sorties du 7 mars, Elena semble démarrer plus timidement à Paris (303 spectateurs pour 6 copies en première matinée), tandis que le John Carter de Disney caracole en tête des entrées sur ce même créneau horaire : 1 590 entrées pour 17 copies parisiennes.

autres films Projet X de Nima Nourizadeh (E.-U., 2012, 1 h 27) Entre les Bras – La cuisine en héritage de Paul Lacoste (Fr., 2012, 1 h 30) 30° couleur de Lucien Jean-Baptiste et Philippe Larue (Fr., 2012, 1 h 32) Les mauvais jours finiront – 40 ans de justice en France de Thomas Lacoste (Fr., 2008, 2 h 06)

de Karl Markovics Un premier film autrichien sobre, sec et fort autour d’un croque-mort.

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e premier film réalisé par un acteur autrichien est une œuvre de rédemption, froide mais non mystique, dont le dépouillement même est une garantie de modestie et d’honnêteté. Pas de stars ni d’effets stylistiques. Nouveau souffle suit le parcours patient et laborieux de Roman, un adolescent abandonné par sa mère puis emprisonné pour le meurtre involontaire d’un camarade. On le découvre au moment où, grâce à une libération anticipée, on lui offre la possibilité de se réinsérer en apprenant un métier. Il ne cherchera pas la voie facile. Il choisit une nouvelle forme de contrainte, voire de glaciation, et devient croque-mort. Cela culmine avec une scène de catharsis froide. Le jeune homme, entendant le nom d’une femme dont ses collègues rangent le cadavre dans un tiroir de la morgue, croit (à tort) qu’il s’agit de sa mère. Ce qui provoque un déclic affectif. L’intérêt et la pertinence du film proviennent d’abord de la similitude formelle entre prison et pompes funèbres. On passe d’un environnement clinique et impersonnel, où les indésirables sont enfermés, rangés, surveillés dans des habitacles étriqués, à celui des cimetières,

une ouverture à la vie, au prix d’un effort infini contre l’inertie

fourgons mortuaires et cercueils, dont la monotonie et la grisaille n’ont rien à envier à celle des établissements pénitentiaires. Les morts sont enfermés dans des boîtes. Comme les repris de justice, il convient de les cacher aux yeux de la société. Ces contraintes fournissent un point de départ au personnage. Une sorte de socle nu et froid d’où Roman peut s’élancer pour trouver le deuxième souffle suggéré par le titre. D’où la métaphore de la piscine, dont il touche le fond, découvrant une forme de liberté, un autre élément. D’où aussi l’un des rares moments hédonistes du film, où il partage une bière dans un train avec une jeune fille de son âge plutôt décontractée. La rigueur permanente du film, la rencontre difficile du héros avec sa vraie mère, rendent par contraste certaines scènes émotionnelles d’autant plus intenses. Comme celle de la toilette mortuaire d’une vieille femme trouvée dans son appartement, où le héros apprend la gestuelle ferme et délicate du professionnel de la mort. On est loin de l’esprit semi-farcesque de Six Feet under ou du japonais Departures, qui jouaient avec le folklore des croques-morts et son exotisme inattendu. Ce film décrit une ouverture à la vie qui s’accomplit au prix d’un effort infini contre l’inertie et l’indifférence. Une renaissance au forceps. Vincent Ostria Nouveau souffle de Karl Markovics, avec Thomas Schubert (Aut., 2011, 1 h 33)

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Géraldine Pailhas

Le Fossé de Wang Bing avec Zhengwu Cheng (H. K., Fr., Bel., 2010, 1 h 49)

La première fiction du documentariste Wang Bing. Impitoyable. Le premier long métrage de fiction de Wang Bing (qui prolonge son court Brutality Factory, premier jalon d’un constat des horreurs du maoïsme) forme un diptyque avec son documentaire Fengming, chronique d’une femme chinoise, sorti la semaine passée. Wang Bing y met en scène le récit de la vieille femme sur les camps de travail du désert de Gobi, où furent emprisonnés des intellectuels à la fin des années 50. On est frappé par la simplicité du dispositif, reflétant l’immatérialité du camp lui-même : le désert à perte de vue, quelques baraquements, et des trous creusés dans le sol qui servent de dortoirs aux bagnards qui tombent comme des mouches – ils ne sont pratiquement pas nourris. Dans ce no man’s land, une femme vient chercher la dépouille de son mari. C’est de la disjonction entre la nudité absolue du décor et les altercations entre quelques survivants, dont certains accusés de cannibalisme, que naît une dramaturgie exacerbée. Presque trop d’ailleurs, tant le jeu des comédiens détonne dans cette antichambre du néant. Théâtralité discordante (cf. l’épouse éplorée), qui rend la reconstitution plus dérangeante qu’émouvante. V. O.

Le Paradis des bêtes d’Estelle Larrivaz avec Stefano Cassetti, Géraldine Pailhas, Muriel Robin (Fr., 2011, 1 h 43)

La violente crise d’un couple dans un drame réaliste. Prometteur. uelques tristes exemples récents nous ont appris à nous méfier des acteurs passés derrière la caméra (coucou Mélanie Laurent, Sylvie Testud, Jean Dujardin). Pour Estelle Larrivaz, révélée il y a vingt ans par Christian Vincent (Beau fixe), aperçue chez Assayas ou Klapisch depuis, l’affaire semble un peu plus compliquée. Si Le Paradis des bêtes, son premier long métrage, n’échappe pas tout à fait à certaines afféteries de style, il révèle suffisamment de belles promesses pour dessiner un profil – naissant – de cinéaste. L’ancienne actrice prenait pourtant tous les risques avec cette tragédie familiale dont le sujet (la violence conjugale vue des yeux, effrayés, interdits, des enfants), charriait en apparence beaucoup de drames et d’appels aux sanglots. Mais Le Paradis des bêtes, c’est son plus grand mérite, s’en tient à la chronique réaliste de la désunion d’une famille sous les coups répétés d’un mari brutal (même si père attentionné), qui finira par kidnapper ses deux enfants – et lancer le film sur la piste d’un thriller domestique. Il y a un peu de Cédric Kahn (à son meilleur) chez Estelle Larrivaz, qui saisit en quelques traits la douleur contaminant un couple lorsque la nature la plus vile prend le dessus et que l’argent s’en mêle (avec en sous-main un captivant portrait de classe d’une petite bourgeoisie obsédée par la possession), sans jamais trop appuyer ses effets dramatiques, toujours sur le ton juste. C’est aussi, paradoxalement, ce qui joue contre le film à terme : une forme de raideur qui empêche tout autre débordement que ceux prévus par le scénario, et enserre ses acteurs dans une partition trop écrite (dommage pour les très beaux Stefano “Roberto Succo” Cassetti et Géraldine Pailhas). Un peu sage donc, mais encourageant pour la suite.

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Romain Blondeau

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Paris, mars 2012

“Fukushima ? Trop tôt pour en faire un film” Malgré le succès international de Tokyo Sonata il y a quatre ans, Kiyoshi Kurosawa ne tourne plus. Rencontre entre son hommage au Festival du film asiatique de Deauville et sa rétrospective à la Cinémathèque française.

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e son homonyme Akira, auteur autoritaire et porte-drapeau festivalier, nul ne trouvait à redire au surnom d’“Empereur”, au Japon comme ailleurs. Kiyoshi Kurosawa, lui, mène un règne autrement plus secret sur le cinéma nippon, une carrière de monarque sans couronne, chevillée aux marges ingrates de l’industrie. Pourtant célébré de Cannes à Venise, il rencontre même désormais de cruelles difficultés à échafauder de nouveaux projets – pas un nouveau film ne nous est parvenu depuis quatre ans et le magnifique conte familial Tokyo Sonata. Pourtant, ce Kurosawa-là demeure, jusqu’à preuve du contraire, le plus grand cinéaste japonais actuel et un inégalable filmeur de l’effroi – en témoigne mieux qu’aucun autre le glaçant chef-d’œuvre Kaïro, ses spectres baudelairiens sussurants et trébuchants dans des décors arrachés à une toile de Bacon, son récit languide au climat troublé d’Apocalypse. Il s’est frayé une carrière

solitaire et éparpillée, entre films de genre, de commande et d’auteur – le plus souvent les trois à la fois. Votre carrière a débuté par deux soft-porns très singuliers. Kiyoshi Kurosawa – A l’époque, j’étais encore très jeune, je sortais tout juste de l’Université, je n’avais tourné que des films en 8 mm, pour le plaisir. C’était la première fois qu’un studio m’octroyait un budget pour exercer ma passion, faire des films. J’ai réuni autour de moi mes amis de la fac

Tokyo Sonata (2008)

Vaine illusion (1999)

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et on a tourné sans se poser la question du résultat, se fiant seulement à notre pur plaisir de filmer, par-delà le genre et le contenu des films. Ces deux premiers longs sont une sorte de compilation de mes inspirations d’alors, un patchwork de tout ce que j’aimais à l’époque, soit à la fois les films d’action américains et les films de Godard. Tourner un porno, c’est finalement assez simple, il suffit de remplir le minimum syndical en matière de scènes de sexe et cela laisse une immense latitude pour être créatif autour. Ces films et ceux que j’ai faits à la fac sont ceux qui me ressemblent le plus, les plus personnels. Paradoxalement, les films qui correspondent le plus à mon idée du cinéma sont ceux que j’ai réalisés dans un cadre commercial, car je considère que faire du cinéma, ce n’est pas nécessairement s’exprimer personnellement mais plutôt créer une œuvre indépendante en soi. Par la suite, vous avez tourné un grand nombre de séries B, souvent destinées au marché de la vidéo. Après l’échec de mes films érotiques, je me suis rendu compte que j’étais dans une impasse. J’ai enchaîné à toute allure par des films purement commerciaux, sur des modèles américains. Il y en a que je déteste et d’autres que j’aime toujours beaucoup, comme le diptyque Le Chemin du serpent/ Les Yeux de l’araignée. J’y expérimentais des éléments proches de la matière de mes films reconnus plus tard à l’étranger comme Cure. Dans les années 90, le V-Cinema (les films conçus directement pour le marché de la vidéo – ndlr) était un secteur très puissant et permettait de tourner énormément. Les films étaient souvent réalisés par deux, le scénario écrit en deux semaines et on ne se posait pas la question de savoir si c’était bien ou pas. Les critiques ne prenaient pas en compte ce cinéma-là et on se sentait très libres. Mes projets d’aujourd’hui reposent trop sur des chaînes de décision lourdes. En fait, j’aimerais alterner les deux façons de travailler : les projets où la réflexion mûrit longuement mais aussi le travail acharné, sur commande, dans une économie d’urgence. Vous avez le sentiment d’être arrivé après un âge d’or ? Les moyens considérables des grands studios au Japon dans les années 60

ont presque disparu à la fin des années 70 et il a fallu composer avec cela. Dans les années 50, si on voulait s’exprimer par l’image, il n’y avait rien d’autre que le cinéma. Faire un film était la seule issue, la télévision était presque inexistante. Aujourd’hui, on dispose d’énormément de fenêtres et de médiums différents. En 1968, Godard a tourné quatre films, Oshima a tourné quatre films et Kinji Fukasaku en a fait cinq. Aujourd’hui, c’est toujours possible quand on travaille pour la télé, mais dans des conditions misérables. A l’époque, chacun de ces films se faisait avec les moyens du cinéma. Par-delà leurs intrigues, tous vos films récents évoquaient un certain état du monde, un climat de crise au Japon. Les dernières années ont été riches en événements dans votre pays, qu’auriezvous aimé filmer ? Le succès de Tokyo Sonata a été très relatif au Japon et, ces dernières années, tourner là-bas est devenu très difficile pour les cinéastes indépendants comme moi. Depuis, j’ai développé quatre projets qui ont malheureusement tous avorté. Parmi ces scénarios, deux portaient sur des époques plus anciennes : un sur la guerre du Pacifique, l’autre sur la guerre russojaponaise. Deux périodes qui ont marqué le Japon et dont l’impact sur la société actuelle demeure important. L’idée était de quitter le Japon contemporain pour aller plus en amont, remonter à la source. Les films historiques étant trop chers, j’ai aussi développé deux projets d’un esprit proche de la science-fiction, quoique inscrits dans l’époque actuelle, dans un décalage vis-à-vis du réalisme de mes tout derniers films. Des événements très importants ont marqué le Japon ces dernières années. Avant Fukushima, je ne trouvais pas grande inspiration dans l’actualité récente. Mais ce fut un tel choc que je ne m’imagine pas encore m’en inspirer pour faire un film. Pour l’heure, cela ébranle plutôt ma propre façon de vivre, mes repères dans l’existence, ça me dit qu’il faut que je me remette en question. recueilli par Julien Gester photo Raphaël Dautigny rétrospective Kiyoshi Kurosawa jusqu’au 19 avril à la Cinémathèque française, Paris XIIe, www.cinematheque.fr

Kaïro (2001)

Cure (1997)

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Les Trois Mousquetaires de Paul W. S. Anderson

Collection particulière

avec Milla Jovovich (Fr., G.-B., All., E.-U., 2011, 1 h 50)

Eric Rohmer au seuil des années 60

Rohmer old school Les documentaires pédagogiques pour la télévision réalisés par Eric Rohmer dans les années 60. De savoureuses miniatures. Les films Ce n’est pas un secret : après l’échec de son premier long métrage, Le Signe du Lion (1962), et après avoir été viré par un putsch de Jacques Rivette de la rédaction en chef des Cahiers du cinéma en 1963, Eric Rohmer cherche du travail et en trouve, en tant qu’enseignant “en disponibilité” (il a un Capes de lettres), au sein de la Télévision scolaire. “Producteur” (donc scénariste) ou/et réalisateur, il va pendant un bon lustre concevoir des documentaires, des fictions ou des docufictions (dont un entretien magnifique et malicieux avec Mallarmé mené par Rohmer et fondé sur des propos réels du poète interprété par un acteur grimé). Or ces films n’ont rien d’anecdotique. Par leur précision, ils tiennent le coup en tant que tels. On y retrouve par ailleurs les centres d’intérêt de Rohmer (en dehors de la musique, curieusement) : la littérature (Hugo, Poe, La Bruyère), l’architecture (le génial Les Métamorphoses du paysage, et Entretien sur le béton, avec Claude Parent et Paul Virilio), le cinéma (Postface à “L’Atalante”, où il débat avec François Truffaut) et globalement tout ce qui relève de la poésie ou du graphisme (dont un merveilleux documentaire sur les dessins de Victor Hugo). On y découvre aussi de futures sources d’inspiration : Pascal (cf. Ma nuit chez Maud) ou Chrétien

de Troyes (c’est son émission Perceval ou le conte de Graal qui lui donnera l’idée et l’envie d’en tirer un film de fiction dans les années 70). C’est sous l’appellation de “Petit laboratoire d’Eric Rohmer” que nous avions, au moment de la sortie de Conte d’automne, enquêté au CNDP pour un supplément des Inrocks consacré à Rohmer. Il en avait été ravi. Ce sont tous ces films, en tout cas les principaux, qui sortent aujourd’hui en DVD, dans un coffret exceptionnel, orné d’une magnifique photo en couleur, inconnue jusqu’à ce jour, d’Eric Rohmer. Les DVD Quatre DVD. Sur le premier, un documentaire qui résume parfaitement son œuvre pour la Télévision scolaire, signé Jean-Louis Cros. Puis L’Homme et les Images, une triple interview mettant en scène René Clair, Jean Rouch et Jean-Luc Godard (avec une écharpe, déjà). Sur le deuxième, la totalité (1 h 55) de l’interview (sans doute l’une de ses dernières) accordée en avril 2009 par Rohmer au CNDP. Les deux autres sont consacrés aux émissions elles-mêmes. En tout, 250 minutes de Rohmer, et donc d’intelligence. En un mot : joie. Jean-Baptiste Morain

Alexandre Dumas reloaded à la 3D et à la SF. Joyeux ! Le film On regrette d’avoir raté sur grand écran et en 3D ce blockbuster tourné en Allemagne avec des capitaux et une équipe artistique partagés entre l’Europe et les Etats-Unis, où humour et extravagance finissent par triompher du ridicule et de la balourdise annoncés. Cette nouvelle version des Trois Mousquetaires prend beaucoup de liberté avec l’œuvre de Dumas – comme on pouvait s’en douter de la part de l’auteur de Mortal Kombat et de Resident Evil – mais procure aussi un réel plaisir à l’amateur de serial postmoderne. Dans ses excès enfantins et son absence de complexes, le film peut être vu comme une réponse occidentale viable aux virevoltants films d’aventures de Tsui Hark (le récent et réussi Détective Dee), où l’histoire se plie aux inventions délirantes des scénaristes et du metteur en scène, adeptes du mélange des genres et des prouesses visuelles. On n’oubliera pas de sitôt les batailles d’aéronefs au-dessus de Notre-Dame, et les combats sont bien chorégraphiés. En Milady adepte des arts martiaux et des acrobaties sexy, Milla Jovovich reste l’effet spécial le plus spectaculaire d’un divertissement qui ne lésine pas sur la dépense. Le DVD Suppléments très promo (le making-of et des scènes coupées). Olivier Père Blu-ray 3D, Blu-ray et DVD (TF1 Vidéo), de 15 à 25 €

Le Laboratoire d’Eric Rohmer – Un cinéaste à la Télévision scolaire coffret 4 DVD (Scérén/CNDP-CRDP), environ 35 €

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extension du Domain Les concepteurs du très japonais Yakuza partent à la conquête du monde occidental avec Binary Domain. Pari à moitié gagné, mais l’intérêt subsiste.

B   business la France veut exporter Une “Charte export du jeu vidéo” a été signée début mars au ministère des Finances. Son but : aider les trois cents entreprises du secteur, qui réalisent déjà 70 % de leur chiffre d’affaires hors de France, à “gagner des parts de marché à l’international” en améliorant notamment l’accès des PME aux dispositifs de soutien. Un autre volet vise à attirer les investissements étrangers. La charte s’accompagne du lancement d’une “marque export du jeu vidéo français” subtilement baptisée “Le Game”.

inary Domain est, entre autres choses, un jeu-symptôme. Confrontés à la fois aux limites de leur marché intérieur et à la hausse des coûts de production, les éditeurs japonais sont de plus en plus nombreux à repenser leurs jeux dans l’espoir de séduire les foules mondialisées. Capcom a été l’un des premiers à se lancer, confiant la suite de Dead Rising à un studio canadien (pour un résultat très chouette) ou optant pour une occidentalisation à outrance du second Lost Planet (qui, le pauvre, y a perdu son âme). S’il est une équipe de développement que l’on voyait mal suivre cet exemple, c’est bien celle de Yakuza, saga royalement nippo-centrée et distribuée avec parcimonie hors du Japon. Pourtant, voilà Masayoshi Kikuchi (lire ci-contre) et Toshihiro Nagoshi partis défier le blockbuster US Gears of War sur ses terres, celles du jeu de tir “à la troisième personne” (notre

alter ego est visible à l’écran), de la camaraderie militaire blagueuse et de l’action hollywoodienne musclée. Il est piquant de voir comment l’intrigue du jeu redouble la logique de sa conception : un commando international armé (des Américains, des Anglais, une Chinoise) pénètre au Japon, comme en écho aux concepts ludiques “étrangers” introduits dans Binary Domain. Les fans du genre ne changeront pas leurs habitudes, s’abritant derrière un mur pour reprendre leur souffle et jonglant avec leurs flingues selon la situation. Le jeu se distingue cependant par l’interrogation qui le traverse, entre Blade Runner et Ghost in the Shell : où se situe la frontière entre la vie et la technologie ? Cela passe par son monde de science-fiction peuplé d’androïdes plus vrais que nature et par la possibilité de dialoguer (à la manette ou par la voix) avec nos acolytes virtuels – dont les réactions, voulues quasi

humaines, se révèlent très robotiques. Cela rejoint, aussi, la question de l’état du joueur virtuose qui fait corps avec la machine. Malgré son dynamisme et son sens de l’espace, Binary Domain n’est pas tout à fait à la hauteur de son propos. De fusillades spectaculaires en interludes cinématiques ou semi-touristiques, il donne le sentiment d’un jeu en morceaux, hétérogène, instable. Mais c’est aussi ce qui fait son prix : quelque chose résiste à l’uniformisation mercantile, un esprit arcade, un enthousiasme de cour de récré. Qui vaut bien toutes les guerres du jeu vidéo moderne. Erwan Higuinen Binary Domain sur PS3 et Xbox 360 (Yakuza Studio/ Sega), environ 50 €

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“un travail dont on n’avait pas conscience” Producteur de Binary Domain, Masayoshi Kikuchi évoque la genèse de son premier projet “international”. jectif : le monde compte qu’en général on ne sortait “Pour un public international, pas des TPS avec l’impression on s’est dit que l’interface d’avoir créé des liens avec les la plus simple à mettre personnages. Or c’est aussi l’un en place était celle du TPS (jeu de tir de nos domaines de prédilection. à la troisième personne – ndlr). Pour Ce que l’on voulait, c’est que le nous, qui développions des jeux très joueur communique avec eux pour japonais, c’était nouveau. Le staff les découvrir et les apprécier.” de Yakuza était un peu refermé sur thèmes et gameplay lui-même. Cette fois, on a demandé “Le jeu prend place dans à un scénariste anglais de nous un univers où la robotique est si aider pour se rapprocher des développée qu’il est impossible de standards occidentaux. On est allés distinguer un robot d’un être humain. aux Etats-Unis faire des auditions Il y a par exemple un personnage pour la motion capture, il a fallu bien intégré dans la société qui recruter des gens en fonction découvre qu’il est un robot. Quels de leur accent… C’est un travail vont être ses sentiments ? Quel sera dont on n’avait pas conscience.” le regard des gens ? Voilà les thèmes signes distinctifs sur lesquels repose le jeu. Certains “La vraie question, c’est celle de joueurs y seront plus sensibles nos forces et faiblesses. Notre force, que d’autres mais je pense qu’on a c’est d’abord de savoir raconter trouvé un équilibre avec le gameplay, des histoires profondes, qui tiennent qui offre des interactions inédites. en haleine, avec un véritable Ceux qui ne veulent que de l’action message et qui ne sont pas que des devraient pouvoir s’amuser toiles de fond. On s’est aussi rendu avec ça.” recueilli par E. H.

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Mario Party 9 Sur Wii (Nintendo), environ 45 € Avec son plateau façon jeu de l’oie et sa cinquantaine d’épreuves de réflexes, de hasard et d’observation (course, bowling, bûches à trancher…), Mario Party reste une valeur sûre des soirées délurées du gamer prosélyte. Mais, en onze parutions (avec les déclinaisons portables) depuis 1998, la recette a sérieusement perdu de sa fraîcheur.

Wargame  – European Escalation Sur PC (Eugen Systems/Focus), environ 45 € Le studio indépendant parisien Eugen Systems change une nouvelle fois d’éditeur mais, après Act of War et R.U.S.E., reste fidèle à son genre de prédilection : le jeu de stratégie militaire dans sa variante dite “en temps réel”. L’Europe de la guerre froide sert de cadre à son très pointu (et incontestablement bien nommé) Wargame.

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happy Bird days Affranchi de toute contrainte, l’Américain Andrew Bird brise les barreaux de sa cage dorée avec un septième album insouciant, habité et intense.

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Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

près la tournée de Noble Beast, j’ai voulu prendre une année sabbatique pour essayer de ne rien faire. Juste fumer des joints et faire des jeux vidéo. Je ne suis pas rentré à la maison, je ne pouvais pas. Je savais qu’après tout ce temps loin de chez moi, Chicago pouvait devenir pesante.” Andrew Bird se tait : on n’en saura pas plus sur les circonstances qui ont poussé le si discret Américain à fuir son tranquille Illinois natal pour le clinquant quartier de Venice Beach, à Los Angeles, où il s’est caché pendant plusieurs mois. On apprendra en revanche qu’il n’aura pas tenu bien longtemps loin de sa ferme perdue dans la campagne de Chicago, ce cocon où il s’est isolé il y a plusieurs années déjà pour mettre au point les techniques de boucles caractéristiques de son jeu de violon. C’est là qu’en plein été il a enregistré Break It Yourself (“Brise-le toi-même”), septième album au titre infiniment révélateur : il a rompu les chaînes de son perfectionnisme et de ses habitudes de rat de studio solitaire pour expérimenter les joies de l’enregistrement live, libre et collectif. “D’habitude, je ne laisse jamais à mes musiciens l’occasion de jammer. J’arrive avec les morceaux en tête et je leur dis quoi faire. Là, je savais qu’on avait le temps. On a donc commencé à jouer sans savoir où on allait, sans pression. On a improvisé comme ça pendant sept ou huit jours en laissant tourner les bandes et c’est plus ou moins devenu l’album. Mes musiciens ont une sensibilité jazz, leurs premiers instincts sont toujours les meilleurs, mais j’avais du mal à faire confiance à qui que ce soit avant”, explique-t-il dans un demi-sourire. Enregistré dans des conditions live, Break It Yourself n’est pas l’œuvre d’un seul homme mais le résultat d’heures de tâtonnements, de ratés, de moments d’épiphanie inattendus et collectifs – un processus expérimental et spontané dont Bird semblait avoir besoin après tant d’années de pointillisme. “C’était

le moment de faire un album qui ait un vrai souffle. Dans mes disques précédents, il pouvait se ressentir sur certaines chansons, mais ces morceaux n’étaient en fait que des sculptures précautionneusement construites et taillées. Cet album est une performance.” Une performance qui passe aussi par celle, vocale, d’Andrew Bird. Frustré par les conditions d’enregistrement studio de ses précédents albums, où il dit avoir passé des heures à ciseler son timbre, il n’a pas eu d’autre choix que d’affronter sa voix à nu, de la pousser dans ses retranchements comme lors de ses concerts – difficile de rivaliser avec une batterie lorsque celle-ci est située à cinq mètres de soi. Album de la libération, Break It Yourself est aussi celui de l’insouciance. Jeune papa, Andrew Bird a repoussé les nuages noirs, mis au placard l’autopsychanalyse pour laisser place à l’instinct et au plaisir. On sent la légèreté des nuits d’été derrière Desperation Breeds et Orpheo Looks back, l’envie de lâcher prise dans le nonchalant Fatal Shore et le plus surprenant Danse carribe, où Bird s’essaie à la country. “Pendant l’enregistrement, certaines chansons ont pris une tournure sombre. Elles sont devenues ces moments d’introspection plutôt difficiles. Je me suis dit : ‘Sérieux mec, reprends-toi, rigole un peu !”, confie-t-il. Son enthousiasme est communicatif. D’une grâce inouïe, Break It Yourself restera comme un témoignage rare de l’alchimie qui unit, l’espace d’une chanson, d’un instant, une poignée de musiciens. Au milieu des craquements de bois de la grange, des chuchotements, on entend le violon d’Andrew Bird flirter avec la guitare, sa voix défier les percussions. On découvre ce moment précieux où

“on a improvisé pendant sept ou huit jours en laissant tourner les bandes et c’est plus ou moins devenu l’album”

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on connaît la chanson

le grand Palais Réédition des albums de Palace Brothers : folk off ! De si jolis chevaux. Sur la ligne de départ, au milieu des années 90, ils étaient trois : Will “Palace Brothers” Oldham, Chan “Cat Power” Marshall, Bill “Smog” Callahan. Les étalons d’une nouvelle façon de jouer du folk en Amérique, indomptables et l’écume aux lèvres. Résultat du tiercé vingt ans plus tard : Bill Callahan a prouvé qu’il était le plus endurant – ce qui ne nous empêche pas d’attendre fébrilement le prochain Cat Power, ni d’avoir encore envie de faire le tri dans les inégaux derniers albums de Will Oldham. Mais la réédition des albums qu’il a enregistrés sous le nom mouvant de Palace (Palace Brothers, Palace Music ou Palace Songs) vient nous rappeler qu’à l’époque (1993-97) Will Oldham avait une sacrée longueur d’avance. Le premier album avait un nom à coucher dehors, seul et à même le sol gelé : There Is No-One What Will Take Care of You. Du folk d’après l’Apocalypse. Fragile, apeuré, désorienté, joué par un gamin des Appalaches qui se serait perdu dans le ravin après sa première cuite. Un chef-d’œuvre en péril, ruine fondatrice sur laquelle Will Oldham allait construire la suite : Days in the Wake, Hope, Viva Last Blues et Arise, Therefore (dernier monument de folk palliatif qui ne fait pas partie de la salve de rééditions, pourquoi ?). A la fin de Days in the Wake, Will Oldham chantait “I am a cinematographer”. Des disques comme des courts métrages lo-fi, road-movies existentiels en décor naturel. Du folk sur la brèche et gonflé d’émotion, sur les pistes de Neil Young ou Leonard Cohen. Ces disques (et la compile de raretés Lost Blues and Other Songs), on les a écoutés comme on découvrait à l’époque les films de Terrence Malick ou les grands romans de Cormac McCarthy – méridiens de chant. l’improvisation bascule : d’une simple pop-song, Eyeoneye devient ce titre électrisant lorsque chacun réalise que tout est à sa place et que l’euphorie collective prend le pas sur la concentration. “C’est dur de se forcer à se foutre de ce que l’on est en train de faire mais je crois qu’on a réussi, et c’est comme ça qu’on

est arrivés à des mélodies que l’on n’aurait jamais trouvées sinon”, concède Bird. La cage est ouverte, l’oiseau s’est envolé. Ondine Benetier photo David Balicki album Break It Yourself (Bella Union/Cooperative/Pias) www.andrewbird.net

rééditions There’s No-One What Will Take Care of You, Days in the Wake, Hope, Viva Last Blues, Lost Blues and Other Songs (Domino/Pias)

Stéphane Deschamps 14.03.2012 les inrockuptibles 79

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Surprise : les Dandy Warhols seront de retour le 24 avril avec un huitième album studio, This Machine. Enregistré dans leur antre, l’Odditorium, le successeur de …Earth to the Dandy Warhols… (2008) s’annonce “dépouillé, boisé et extrêmement centré sur la guitare”, comme l’a confié Courtney Taylor-Taylor, meneur de la troupe. En attendant l’album (et un Olympia parisien le 29 avril), un premier extrait, Well They’re Gone, existe déjà en téléchargement gratuit sur le site officiel du groupe. www.dandywarhols.com

Lana Del Rey

Nicole Nodland

The Dandy Warhols remettent la machine en marche

les Eurockéennes de Belfort frappent fort Le festival de la presqu’île du Malsaucy n’avait pour l’instant révélé qu’un seul nom, et pas des moindres : The Cure. On découvre maintenant la suite de la programmation avec quatorze nouveaux groupes dont notamment Justice, Jack White, Lana Del Rey, Cypress Hill, Orelsan, Refused, 1995, The Kooks, Charlie Winston et Hubert-Félix Thiéfaine. Vivement juillet. du 29 juin au 1er juillet à Belfort, www.eurockeennes.fr

cette semaine

Noah And The Whale

l’été au festival Sziget L’été à la mer, c’est dépassé. On passera donc les premiers jours d’août à Budapest, où le festival Sziget cumule les beaux noms : Crystal Fighters, Deus, Friendly Fires, Noah And The Whale, The Horrors, The Vaccines et Two Door Cinema Club sont parmi ceux qui viendront fêter les grandes vacances en Hongrie et célébrer la reformation des Stone Roses, têtes d’affiche de l’événement. du 6 au 13 août à Budapest (Hongrie), www.sziget.hu

On ne le répétera jamais assez : plutôt s’arracher un bras que de rater Juveniles, fantastique trio breton à la new-wave contagieuse, qu’on retrouve cette semaine à Paris aux côtés des non moins géniaux Parisiens Sarah W_Papsun. le 17 mars à Paris (Point Ephémère)

Amadou & Mariam

les inRocKs lab à Europavox Jouer à Europavox aux côtés de The Hives, 1995, Woodkid, Amadou & Mariam, Dionysos ou Django Django, c’est possible. Depuis le 1er mars et jusqu’à la fin du mois, les inRocKs lab organisent un grand concours pour permettre à un groupe de rejoindre la programmation du festival Europavox, qui aura lieu du 25 au 27 mai à ClermontFerrand. Pour participer, il suffit de poster une vidéo live sur le site dédié au concours. Résultats le 5 avril. plus d’infos sur europavox.lesinrockslab.com, programmation complète du festival Europavox sur www.europavox.com

neuf

Ride Pegase

Flask Fiktion Face à une chanson à la température de Starry Glow, l’hiver se sauve la queue entre les jambes. Il faut dire que les Londoniens ne lésinent pas sur le réchauffement de la planète, recrutant dans leur pop torride des percussions et excentricités tropicalistes. Chauds comme des Friendly Fires ! www.myspace.com/flashfiktion

Benoit Peverelli

Juveniles et Sarah W-Papsun : place aux jeunes

S’il joue une pop enchantée, rêveuse et habillée de mille clochettes de fées, le Français Pegase a gardé tous ses cauchemars pour la vidéo allumée de Without Reasons, carnaval de démons et bad trips. Une introduction idéale pour ce monde doux-amer et sophistiqué, qui devrait vite rendre chèvre la mondiale des blogs. www.facebook.com/pegaseinthesky

The Monkees Méprisés par l’histoire officielle de la pop, The Monkees ont peut-être été le premier boys band de l’histoire, mais ils possédaient un songwriter inouï – Michael Nesmith – et un chanteur ravageur – Davy Jones, récemment décédé. L’occasion de réécouter leurs Valleri ou (I’m Not Your) Stepping Stone. www.monkees.net

Sur la pochette de Nowhere, une vague. Mais pas une ride : réédité à l’occasion de son vingtième anniversaire, l’album mastoc du shoegazing conserve son charme bancal, sa grandeur, entre cavalcades de guitares saturées, mur du son fissuré et mélodies murmurées. Un double CD qui culmine sur le génial Vapour Trail. www.rideox4.net

vintage

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Raphael Ouellet

“à 12 ans, persuadée que j’étais une sorcière, j’essayais de jeter des sorts à ma mère”

princesse des ténèbres Entre électronique et Europe médiévale, entre peste noire et pop de science-fiction, la jeune et tordue Grimes sort un album fantastique, au sens propre du terme. Flippant et brillant.

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e mémoire de journaliste, on n’avait pas interviewé une jeune fille aussi passionnante, tordue (et charmante) depuis quelques lunes – plutôt noires et flippantes, les lunes. Grimes, Claire Boucher pour l’état civil canadien, a été élevée dans une tranquillité très relative à Vancouver. “Ma famille était très stricte, catholique. Mais j’étais une enfant turbulente et je suis devenue une païenne à l’âge de 12 ans. Je me suis persuadée que j’étais une sorcière : j’essayais de jeter des sorts à ma mère.” Cette sauvageonne ne tient littéralement pas en place : elle parle très vite, se perd parfois dans ses raisonnements complexes,

est bourrée de tics et de soubresauts. Jolie sorcière passionnée par l’art asiatique et par la noire Europe médiévale, elle a vite déménagé à Montréal. Là, elle a développé son art premier, le dessin (beaucoup de squelettes, de mort, de monstruosités organiques), et a, dans le même temps, commencé à se frotter à la musique DIY dans les squats de la ville. Fascinée par la musique mais pas encore pratiquante, la petite punk découvre la composition sur ordinateur un soir, chez un ami. Sous influence. “On avait pris pas mal de speed. Il m’avait demandé de chanter sur un de ses projets. On enregistre ma voix, lui bosse sur son ordinateur et je l’observe de près, en

me disant que, finalement, ça n’a pas l’air si compliqué. Lui est parti se coucher mais j’étais tellement perchée que je me sentais incapable de dormir, je devais faire quelque chose : j’ai pris l’ordinateur, je suis allée dans ma chambre et j’ai passé la nuit à enregistrer des tonnes de trucs.” Grimes était née. Née boulimique : en quelques mois, la demoiselle sort des dizaines de morceaux, maxis et albums (le vaporeux Geidi Primes puis le plus expérimental Halfaxa en 2010 et 2011). Et la hype de monter, jusqu’à la signature sur le label anglais 4AD, jusqu’à ce fantastique, au sens propre du terme, Visions. Un disque dont l’histoire colle à l’esprit de sa génitrice. Un peu cinglé, donc. Visions a été enregistré en trois semaines dans la claustration, le noir, la privation de sommeil, le jeûne imposé et les excès de speed. “J’avais beaucoup lu sur les cloîtres médiévaux, sur Hildegarde de Bingen, sur le jeûne qu’elle s’imposait, les visions qu’elle avait ; ça a eu l’air de bien fonctionner pour elle, donc j’ai essayé. Je l’avais déjà fait, et ça a toujours bien marché sur un plan créatif et physique : tu te sens dans l’obligation de nourrir le monde, plutôt que d’attendre que le monde te nourrisse.” Pop et sombre à la fois, ésotérique jusqu’à la folie, tribal et futuriste, Visions, ses chansons bizarres et petits tubes vénéneux font un pont passionnant, envoûtant entre musique de restaurant chinois et électronique de science-fiction, entre Fever Ray et Aphex Twin, entre Björk et la peste noire. “L’humain a toujours été obsédé par les squelettes, la mort, la maladie : ce sont le cœur de la plupart des œuvres artistiques, les plus grandes étant souvent effrayantes et psychédéliques. C’est ce qui m’attire, ce que je trouve puissant.” Vous êtes prévenus : Visions est puissant. Très puissant. Thomas Burgel album Visions (4AD/Beggars/Naïve) claireboucher.carbonmade.com interview intégrale sur en écoute sur lesinrocks.com avec

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Cheikh Raymond (deuxième à gauche, avec l’oud), à Constantine dans les années 50

enfin, la voix aux mélismes aériens de Cheikh Raymond peut à nouveau se faire entendre

cher Raymond A travers une bio et un coffret, retour sur la vie tragique et l’œuvre magique du musicien algérien Cheikh Raymond, assassiné en 1961.

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e 22 juin 1961, un homme est assassiné d’une balle dans la nuque alors qu’il traverse le souk El Acer, en plein cœur de Constantine. Le meurtrier se fond aussitôt dans la foule et disparaît. Personne ne sait qui il est. Personne ne connaît ses motivations. Alors qu’une voiture transporte la victime agonisante vers l’hôpital, les passants, dont l’historien Benjamin Stora alors âgé de 11 ans, entendent un même cri : “Ils ont tué Raymond ! Ils ont tué Raymond !” Raymond Leyris meurt dans une rue de cette ville d’Algérie où il est né quarante-neuf ans plus tôt. A quelques mois de la signature des accords d’Evian qui mettront un terme à la guerre d’indépendance, ce crime signe dans le sang la fin d’une époque. Dans les semaines qui suivent, le gros de la communauté juive constantinoise précipite son départ, l’acte ayant pour beaucoup valeur d’avertissement. Parmi eux figure un jeune guitariste, membre de l’orchestre que

dirigeait Leyris, Gaston Ghrenassia, bientôt connu en métropole sous le nom d’Enrico Macias. En 2004, Macias consacrait un album hommage à ce maître dont il avait épousé la fille et qu’il appelait affectueusement “Tonton Raymond”. Cheikh Raymond fut le grand artisan du renouveau de la musique araboandalouse constantinoise, le maalouf. Aujourd’hui, une anthologie en 3 CD réunit ses enregistrements réalisés entre 1937 et 1961, comblant un vide d’un demi-siècle qu’aucune réédition n’avait, même en partie, colmaté. Ainsi, la voix au timbre un peu nasal et aux mélismes aériens de Cheikh Raymond peut-elle à nouveau se faire entendre. Ainsi, ses pièces musicales ciselées avec la précision de l’orfèvre, délivrées avec la ferveur du musicien entièrement dévoué à son art, dispensent-elles à nouveau leurs arômes. Les amateurs de son “vintage” seront servis. La plupart des prises ont été réalisées à l’aide d’un seul micro, installé dans le salon d’un appartement

où vivait Sylvain Ghrenassia, inséparable violoniste du Cheikh et père de Gaston/Enrico. Parfois on perçoit au loin le cri d’un enfant ou le moteur d’un véhicule qui passe. On imagine le thé fumant dans des verres décorés d’arabesques, tandis que les musiciens accordent leurs instruments – oud, flûte, derbouka, violon, tambourin – dans une ambiance recueillie. Cette vérité sonore tend à augmenter le charme d’un style musical que Leyris a patiemment façonné entre répétitions, fêtes familiales et concerts radiodiffusés, entre intimité et partage, pour lui conférer cette fluidité un peu surnaturelle. Car, aussi “roots” soientelles, ces plages ne relèvent pas du document sonore pour spéléologue des musiques du monde, mais bien d’un accomplissement autant professionnel que spirituel. Les amateurs d’histoire seront également servis puisque la sortie de cette réédition s’accompagne de celle d’une passionnante biographie qui restitue la vie du musicien dans

le contexte douloureux de la fin de la colonisation française. Bertrand Dicale, son auteur, y isole un à un tous les ingrédients qui composent ce cocktail explosif menant à l’assassinat de Cheikh Raymond. A la lecture de ce récit, on en mesure toute l’absurdité, on en ressent tout le scandale. Jamais expliqué, jamais revendiqué, le meurtre d’un homme peu connu pour ses prises de position politiques et qui, aimé du peuple, vivait en harmonie avec toutes les communautés suffit à prouver qu’un point de non-retour avait été atteint. Sans doute le plus cruel et le plus définitif des hommages jamais rendu à un musicien. Francis Dordor coffret Anthologie (3 CD, Universal) livre Cheikh Raymond – Une histoire algérienne de Bertrand Dicale (First Document), 300 pages, 20 €

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Sporto Kantes 4 Gum De retour, le duo parisien malaxe trente ans de passions pour la musique. osing My Edge de LCD Soundsystem, c’est un peu leur vie, passionnément punk, house, hip-hop, rock ou electro au rythme des rencontres avec des albums qui dévient la vie. Pas question donc de taxer d’opportunisme ces deux grognards : gloutons de musique, ils ont été là à chaque révolution, chaque frémissement, brique à la main. Avec ces strates de cultures mêlées, ils bâtissent une espéranto dingo, trop peu conscients des dosages et des risques pour être considérés comme des laborantins : leurs mélanges explosent souvent, leur groove grince autant qu’il guinche, leur exotisme se joue sous un ciel menaçant. Leur musique a beau servir à la chaîne des BO pour pubs ou films, elle demeure méchante, mal élevée. Car même quand ses rythmes placides et ses mélodies joviales devraient la rendre civile et docile, elle ne peut pas s’empêcher de jurer ou de glisser une banane sur le dance-floor. Tambouille carabinée de sons, d’époques et de continents entrechoqués, 4 pourrait ainsi être un pensum, une thèse peu baisante. Mais aucune théorie, si ce n’est celle du plaisir des fesses et du trouble des esprits, dans ce rata taré et pas raté. JD Beauvallet

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www.myspace.com/sportokantesofficial en écoute sur lesinrocks.com avec

Shearwater Animal Joy Sub Pop/Pias Sensible et haletant, un huitième album riche en textures et sensations. Palo Santo, Rooks : on a beau avoir vénéré quelques-uns des précédents albums de Shearwater, rien ne garantissait l’avenir du groupe après l’horripilant The Golden Archipelago et ses divagations contemplatives. Mais ce premier album chez Sub Pop possède une vertu indéniable : l’alliance entre gigantisme et précision. Ni impatience ni impertinence à la surface, de toute évidence ces Texans en ont gros sur la patate, ou alors ont trop pris d’analgésiques. En témoignent les ambitieux Animal Life ou Insolence, qui apprivoisent le rock le plus lyrique en des complaintes raffinées, où grésille le feu sacré d’Arcade Fire. Même si l’album est sérieux ainsi que peut l’être le désespoir des gens, sa fougue baroque et cyclothymique montre dans ses plus beaux moments quelques signes d’une nouvelle jeunesse. Maxime Delcourt shearwatermusic.com en écoute sur lesinrocks.com avec

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Chick Corea-Eddie GomezPaul Motian Further Explorations Telarc/Socadisc

Blondes Blondes Rvng Intl La house chaudasse de ces Américains enchante : la revanche des Blondes. ous sommes que celui de muses en 1986. Wanda pour humoristes éduqués Maria Ribeiro à l’Almanach Vermot. Furtado Tavares de La première a fait passer Vasconcelos, plus connue le message via une pop chez les bègues sous le sucrée devenue fade plus nom de Lio, proclame à vite qu’une banane dans une France en passe de lui un frigo. Les seconds, préférer Dorothée que pour leur part, ont opté les brunes ne comptent pas pour le genre de house qui pour des prunes. Un quart donne aux feux tricolores de siècle plus tard, Zach des airs de palmiers Steinmann et Sam Haar, baléariques. Le résultat, producteurs qui à défaut limpide et excitant (dans d’être nés quelque part le sens vibratoire du terme) y ont vécu (d’abord Berlin, comme l’est la techno ensuite Brooklyn), de The Field, ne laisse rappellent au monde aucun doute quant au camp que les blondes peuvent à choisir. Benjamin Mialot prétendre à un statut www.blondeblondeblondes.com culturel plus valorisant

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Phantogram Nightlife ep Barsuk Records/La Baleine

Agitée et fiévreuse, de la musique de nuit noire sans lune. “This is the future”, répète frénétiquement Sarah Barthel sur le morceau Make a Fist. Avec son vieil

ami Josh Carter, elle semble effectivement viser quelques horizons encore vierges. Claviers post-rock, rêveries electro-pop ou souvenirs shoegaze : les deux Américains s’arment en explorateurs d’une certaine transcendance, si l’on en juge par l’écho de ces mélodies volatiles et possédées. C’est la couleur de Nightlife qui

compte : comme chez M83, la nuit est si noire que des reflets bleus apparaissent. Bleu pétrole donc – avec la texture qui va avec –, cette vie nocturne évoque une fébrilité existentielle affrontée de face, à l’entrée d’un immense tunnel. Maxime De Abreu

Live à New York, un monument en souvenir du légendaire pianiste Bill Evans. Plus de quarante ans après son formidable Now He Sings, Now He Sobs, qui laissait entrevoir l’influence de Bill Evans, Chick Corea a convoqué l’histoire pour lui rendre un hommage éblouissant. Motian (disparu en novembre dernier) fut le batteur du premier trio d’Evans, sans aucun doute le meilleur. Gomez, quant à lui, a tenu la contrebasse pendant onze ans aux côtés du pianiste, dès 1966. Le trio éphémère s’est réuni deux semaines à Greenwich Village, jouant des classiques d’Evans et des compositions originales. Malgré sa santé fragile, le swing de Motian n’a pas pris une ride. Son minimalisme transcende le doigté dynamique de Corea comme il transcendait le lyrisme romantique (et un brin nonchalant) d’Evans. Un double hommage, donc. Louis Michaud www.chickcorea.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Traffic Sound Virgin Munster Records/Differ-ant Garantie sans flûte de pan, une pépite venue de Lima, Mecque du garage-rock. Certains blogs des plus sérieux situent la naissance du garage et du punk à Lima. La réédition de cet album de 1969 nous convaincra que la scène andine avait largement de quoi donner le vertige. Les six garçons de Traffic Sound chantaient en anglais et intégraient des influences d’Hendrix, Cream ou Santana, mais leur alliage de distorsions psyché aux accents latins fait sans mal passer ce dernier pour un enfant de chœur. La meshkalina, titre de l’un de leurs tubes, n’y était sûrement pas pour rien. Yannis Ruel www.munster-records.com

www.phantogrammusic. virb.com

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Alaclair Ensemble America en téléchargement

Jérôme Provençal

Une bande de Québécois à géométrie variable met la misère au hip-hop et au reste. “Alaclair est une troupe de postrigodon bas-canadienne zigzaguant entre Quoibec et Mourial. Moyennée par les gradués du Alaclair High, sa fin est le brizassage de fizzoules.” Après une telle définition, un glossaire était de mise, et c’est ce que proposent ces rappeurs/ chanteurs canadiens sur un site très 1990, qui pique un peu les yeux. Les oreilles, elles, en prennent pour leur grade : une foule de disques téléchargeables gratuitement, en attendant l’album America, disponible en téléchargement gratuit (alaclairensemble. bandcamp.com). Car si l’esthétique en forme de grosse blague peut rebuter, c’est bien vers le vrai hip-hop made in USA et ses ramifications que lorgnent nos cousins, dans une langue mixée, aux sonorités démentielles, franglais fracassé comme leurs beats. Phases de fous, sérieux en option très facultative, impressionnante prolixité, il ne manque plus qu’un gros festival dans l’Hexagone pour qu’Alaclair, fontaine de jouvence bienvenue dans le rap francophone, ne décolle chez nous. Félicien Cassan

www.boysnoize.com

www.alaclair.com

Boys Noize The Remixes 2004-2011 Boysnoize Records/La Baleine

various artists Best-of BNR Trax BNR Trax/La Baleine Best-of du label et remixes : c’est la kermesse du beat gougnafier chez le génial Allemand. depte d’une electro tout sauf ramollo, l’Allemand Alexander Ridha possède (au moins) deux atouts maîtres dans son jeu. Primo, il s’est choisi un pseudo – Boys Noize – qui claque comme un coup de fouet et sonne comme une promesse de déflagration sonique. Secundo, il s’est révélé un producteur aussi imparable que son pseudo. Ainsi, depuis qu’il a surgi au mitan des années 2000, il s’est affirmé comme l’un des plus acharnés ennemis de l’ennui et l’un des plus sûrs amis de la nuit. De son aptitude à ravager les dance-floors témoigne très bien une récente compile de remixes qui, pour la plupart (tel son magistral remix du My Moon My Man de Feist), font sévèrement tambouriner le cœur. Par ailleurs, sort ces jours-ci un best-of de BNR Trax, filiale de Boysnoize Records, riche pour l’heure d’une dizaine de maxis. Sur ce virulent objet se remarque en particulier le bien vrillé 100 Steps du Français Electric Rescue, qui ne fut pas pour rien la première signature du label.

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Annie Beedy

The Shins Port of Morrow Aural Apothecary/Sony Nouveau casting et nouvel album gentil pour les héros estudiantins américains. ine de rien, James Mercer éclaire qui s’inspireraient des albums de Can, de sa présence le paysage Gary Numan, Faust, Clinic ou Broadcast. musical depuis près de vingt ans, “Chez Broadcast, j’aime la façon dont le particulièrement avec les Shins groupe associe des sons anciens de claviers depuis 1997, propulsés vers la gloire vintage à une esthétique très moderne.” par des titres disséminés sur les BO Un cahier des charges prometteur sur de quelques blockbusters comme Garden le papier, qui engendre au final un disque State. “Je n’ai commencé à prendre plaisant mais sans profondeur. Sur trois les choses au sérieux qu’en 2003. J’ai alors morceaux (For a Fool, 40 Mark Strasse compris que c’était possible de gagner sa vie ou le tout à fait formidable Port of Morrow), en faisant des disques.” Mercer renoue avec son écriture Depuis, deux albums sont venus dégourdie, osant des morceaux à étages, compléter la très recommandable des refrains-galipettes. Sur le reste du discographie du groupe, ainsi que l’épatant disque, il affiche un visage moins inspiré, projet Broken Bells, œuvre collective signant une ballade mièvre (It’s Only Life), de James Mercer et du producteur Danger un premier single décevant (Simple Song)… Mouse. “J’ai davantage confiance en moi Il manque juste de vraies chansons depuis ce projet. Au départ, j’étais angoissé – constat d’autant plus désolant que à l’idée de travailler avec lui, je n’étais pas Mercer reste l’un des songwriters pop les sûr d’être à la hauteur. Le fait que notre plus doués de l’Amérique contemporaine, collaboration soit une réussite d’un point de et que ses deux précédents disques n’ont vue créatif m’a aidé à être plus audacieux en que rarement quitté nos oreilles depuis solo. Ça m’a permis d’abandonner certaines leurs sorties respectives. Johanna Seban habitudes. J’avais une méthode de travail www.theshins.com figée. Aujourd’hui, j’ose des choses qui ne semblent pas intéressantes à première vue, mais dont Brian m’a montré qu’elles pouvaient le devenir.” Pour agencer Port of Morrow, Mercer est allé piocher dans ses anciennes mallettes de cassettes. “Je garde tout ce que je compose depuis toujours, je suis incapable de jeter. J’ai des caisses entières de demos et de brouillons chez moi.” De ces premières esquisses, il a voulu faire des chansons

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Scorpène Horrible

Hooded Fang

Olivier Depardon Un soleil dans la pluie

Tosta Mista

Vicious Circle/Discograph

Full Time Hobby/Pias

L’ancien chanteur de Virago change de cap : une réussite. a seule différence entre hier et aujourd’hui, entre le passé d’Olivier Depardon au sein de Virago, ces frères de route grenoblois des Thugs ou de Sloy, et ses premiers pas solitaires du jour, c’est la nudité. Belle nouvelle donc : le garçon est indemne. Dix ans d’introspection en marge du monde et de collaborations sporadiques n’auront ridé ni la précision de ses mots, plus déposés qu’imposés, ni son sens de la mélodie en trompe l’œil. De ses années initiatiques, il garde le goût des grands vents froids et rigoureux, soufflés jadis par d’inflexibles Shellac ou Jesus Lizard, mais on le découvre capable d’en dompter les colères pour en extraire une sève humaine et épurée. Tout en décence et poésie, son album pourrait être le fruit doux-amer d’un télescopage pas forcément incongru entre Chokebore et Alain Bashung. Ainsi, jusqu’à flirter parfois avec l’austérité d’une dalle de marbre, les chansons d’Olivier enchantent par leur discrétion, leur mélancolie retenue et ce pouvoir rare d’insinuer l’âme derrière la sobriété. “Tout se fait sans leurres”, confirme-t-il.

La pop dingue de ces Canadiens donne envie de danser comme un dératé. En intro du morceau ESP, une phrase résume assez bien l’attitude de ces Canadiens : “Je me fiche de ce que pourront dire les voisins.” Tant que le collectif ne porte pas les cagoules de luchadors de sa pochette et ne joue pas trop fort sa garage-pop timbrée, les voisins ne devraient pas appeler l’asile. Car une folie, douce d’apparence mais franchement inquiétante, est l’invitée permanente de ces surf-songs ahuries, de ces slows titubants qui se fichent pas mal des règles, de la compétence et de l’époque. On connaît ce mélange de naïveté et d’étrangeté, de pop exubérante et d’histoires psychopathes : il mérite un chapitre rocambolesque de l’histoire du rock, de Jonathan Richman à Adam Green. Impression ici d’entendre une chorale d’enfants suractifs pédalant à perdre haleine. Certitude qu’ils sont tombés sur la tête, et sans casque. JD Beauvallet

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Marco Dos Santos

G. Vump

Pipes/G. Vump Sleeping/Feeling Bromance Des gars, des dandys, des voix possédées et de la sueur : bravo Bromance ! e label français Bromance Partisan des échanges de sueur continue ses histoires d’amitiés entre hommes, le patron Brodinski mâles, encourageant délaisse momentanément Yuksek les collaborations et dialogues pour d’autres Rémois, The Shoes, même lointains. En face A, les avec qui il a fondé G. Vump. Hanté Californiens extravagants de Pipes, de voix impossibles, trafiquées évoquant un LCD Soundsystem jusqu’à la démence, Feeling joue camp, sont menés par un rappeur/ patiemment avec les sens, en un crooner – un Bryan Ferry embarqué crescendo expert, à la fois techno dans une sale histoire. Comme et pop, mais jamais au grand son nom l’indique, Sleeping pousse jamais techno-pop. JD Beauvallet aux siestes coquines, hallucinées, bromancerecords.tumblr.com mais avec les mollets agités.



Eric Kayne

Arcade Fire Abraham’s Daughter Arcade Fire sera la seule attraction du gros blockbuster pour ado Hunger Game. Les Canadiens ont en effet contribué à la bande-son avec deux morceaux, un instrumental intitulé Horn of Plenty et Abraham’s Daughter, en écoute un peu partout sur le net. On est ravis. www.youtube.com

Jean Elliot Senior Eden Balade sauvage, premier album de ce Parisien né en Argentine, raconte l’histoire d’une plante d’appartement qui a décidé de retourner vivre dans la forêt. Eden est une étape de ce voyage d’une jeune pousse un peu rebelle. www.jeanelliotsenior.fr

Lazyitis Super Morrissey Bros. On ne sait pas grand-chose du dénommé Lazyitis, mais il a eu une idée formidable : reprendre This Charming Man des Smiths en version Super Mario. Si le bonhomme a prévu de faire d’autres essais dans les semaines à venir, on se contentera pour l’instant de gigoter allègrement au son de son Super Morrissey Bros. +1Up soundcloud.com/lazyitis-1/super-morrissey-bros

De La Montaña City Slicker Quittant son Michigan natal pour Santiago, Madison VeldingVanDam s’imprègne de ses expériences de gringo et élabore une pop synthé tropicale. Enregistré dans les Andes et inspiré de ses origines du Midwest, son prochain ep vinyle sortira sur le label berlinois 33rpm Records le 6 avril. Un projet sans frontières. http://vimeo.com/28563962 88 les inrockuptibles 14.03.2012

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dès cette semaine

Amadou & Mariam 20/3 La Défense, 21/3 Limoges, 22/3 Cusset, 23/3 Bordeaux, 24/3 Seignosse Andromakers 15/3 Aix-enProvence, 16/3 Manosque Battant 16/3 Rennes, 23/3 Reims, 30/3 Lyon Birdy Nam Nam 16/3 Le Mans Breton 1/4 Roubaix, 3/4 Paris, Point Ephémère, 4/4 Strasbourg, 10/4 Rouen, 13/4 Feyzin Cali 9/6 Paris, Bouffes du Nord Caravan Palace 20/3 Paris, Trianon Chad Vangaalen 14/3 Paris, Maroquinerie, 15/3 Feyzin Champagne Champagne 18/3 Cholet, 22/3 Bordeaux, 23/3 Niort, 27/3 Poitiers, 31/3 Sedan Chassol 31/3 Paris, Café de la Danse Clap Your Hands du 19 au 25/4 à Paris (Café de la Danse), avec Loney Dear, Matt Elliott, Ane Brun, Mariee Sioux, Linnea Olsson, etc. Daniel Darc 14/3 Feyzin, 16/3 Meylan, 21/3 HérouvilleSaint-Clair, 23/3 Bordeaux, 24/3 Guéret, 3/4 Strasbourg, 5/4 Paris, Trianon, 7/4 Rennes, 24/4 Tourcoing Django Django 24/4 Rouen, 25/4 Nantes, 26/4 Bordeaux, 25/5 Paris, Maroquinerie Baxter Dury 17/4 Lille, 18/4 Rouen, 19/4 Caen, 20/4 La Rochesur-Yon, 22/4 Paris, Trianon, 26/4 Dijon, 27/4 Mulhouse, 28/4 Metz

Earth 15/3 Paris, Maroquinerie, 16/3 Bordeaux, 21/3 Lyon Matt Elliott 22/3 Chalonsur-Saône, 24/3 Lyon, 25/3 Maubec, 4/4 Nancy, 5/4 Le Mans, 6/4 Saint-Nazaire, 11/4 Strasbourg, Les Eurockéennes du 29/6 au 1/7 à Belfort, avec The Cure, Justice, Jack White, Lana Del Rey, Cypress Hill, Orelsan, 1995, The Kooks, etc. Piers Faccini 15/3 Feyzin, 16/3 Hyères, 22/3 Paris, Trianon, 23/3 BoisColombes Les femmes s’en mêlent #15 du 20/3 au 1/4 à Paris, Grenoble, Bordeaux, Ajaccio, Lyon, Strasbourg, Tours, La Rochesur-Yon, Coustellet, Belfort, Le Havre, Riorges, Amiens, Vendôme, La Rochelle, Tulle, Aubenas, ClermontFerrand, Metz, Cluses, Arles, Laval, Brive, Nantes, Dijon, Lorient, Brest et Saint-Lô, avec Class Actress, Dillon, Dum Dum Girls, Britta Persson, Mirel Wagner, My Brightest Diamond, etc. Foster The People 4 et 5/5 Paris, Bataclan Frànçois & The Atlas Mountains 14/3 Canteleu, 15/3 Amiens, 16/3 Beauvais, 17/3 Poitiers, 22/3 La Défense, 23/3 Dijon, 24/3 Strasbourg, 30/3 Allonnes, 31/3 Evreux

General Elektriks 16/3 Nice, 17/3 Marseille, 23/3 Nyon, 24/3 Lille, 31/3 Parvis de la Défense, 6/4 Reims, 7/4 Kingersteim, 8/4 Cergy Grimes 12/5 Laval, 13/5 Rouen, 15/5 Strasbourg, 16/5 Paris, Flèche d’Or Mayer Hawthorne 14/3 Paris, Gaîté Lyrique Hyphen Hyphen (+ Shiko Shiko + Underground Railroad) 16/3 Lyon Jay-Z (+Kanye West) 1 et 2/6 Paris, Bercy The Jezabels 16/3 Paris, Point Ephémère Damien Jurado 14/3 Paris, Maroquinerie, 15/3 Bordeaux Justice 23/5 Paris, Zénith, 25/5 Lyon, 19/7 Nîmes Juveniles 17/3 Paris, Point Ephémère (avec Sarah W_Papsun) Miles Kane 30/4 Paris, Cigale Kap Bambino 17/3 Bordeaux, 23/3 Rennes, 24/3 Limoges, 29/3 Roubaix, 6/4 Morlaix, 7/4 Nantes, 28/4 Yverdonles-Bains, 30/4 Mulhouse Kim Novak 20/3 Lille, 24/3 Niort, 26/4 Toulouse, 28/4 Bordeaux Michael Kiwanuka 18/4 Paris, Maroquinerie Ladylike Dragon 17/3 Meisenthal, 22/3 Feyzin, 29/3 Auxerre, 31/3 Beauvais. M83 14/3 Bordeaux, 15/3 Paris, Cigale, 16/3 Lille, 17/3 Strasbourg, 12/6 Paris, Olympia

nouvelles locations

en location

7/4 Châteaulin, 13/4 Rouen, 14/4 Tourcoing, 19/4 Poitiers, 21/4 Strasbourg, 17/4 Rennes, 28/4 Brest

NZCA/Lines S’inscrivant dans cette nouvelle génération de bidouilleurs électroniques de la pop, cet Anglais proche de Metronomy débarque avec son album Compass Points, qui pourrait bien rivaliser avec les grands crus de cette année. 27/4 Paris (Trianon), 28/4 Nantes, 2/5 Nice Malted Milk 15 et 22/3 Nantes, 24/3 Digne-les-Bains, 5/4 Pau, 6/4 Montpellier, 7/4 Nîmes, 3/5 Paris, Maroquinerie Mansfield.TYA 11/4 Strasbourg, 21/4 La Rochesur-Yon, 25/4 Allonnes, 27/4 Châteauneufde-Gadagne, 28/4 Marseille Laura Marling 20/3 Paris, Alhambra Metronomy 8/6 Marmande, 29/6 Arras, 6/7 HérouvilleSaint-Clair, 12/4 Pont du Gard, 20/7 Carhaix Miossec 20/3 Fontaine, 21/3 Mâcon, 22/3 Besançon, 23/3 Strasbourg, 24/3 Bagneux, 27/3 Allonnes, 28/3 Massy, 29/3 Paris, Casino de Paris, 30/3 Lille, 31/3 Saint-Lô Moriarty 17/3 Magnyles-Hameaux, 2/3 Lille, 30/3 La Rochelle

Jean-Louis Murat 15/3 Genève, 16/3 BourgoinJallieu, 30/3 Saint-Brieuc Mustang 15/3 Lyon, 17/3 Marseille, 23/3 Amiens, 29/3 Brest, 30/3 Caen, 31/3 Evreux My Brightest Diamond 20/3 Saint-Lô, 21/3 Brest, 22/3 Nantes, 23/3 Brive, 24/3 Vendôme, 26/3 Amiens, 27/3 Tourcoing, 28/3 Paris, Alhambra, 30/3 Strasbourg, 31/3 Lyon, 1/4 Grenoble Orelsan 31/5 Paris, Olympia Petit Fantôme 15/3 Amiens, 30/3 Allonnes Pony Pony Run Run 4/4 Reims, 5/4 Nancy, 7/4 Rouen, 18/4 Bruxelles, 20/4 Strasbourg, 21/4 Lille, 24/4 Nantes, 25/4 Rennes, 26/4 Brest Porcelain Raft 8/3 Montpellier 14/3 Bordeaux, 15/3 Paris, Cigale, 17/3 Strasbourg Radiohead 10/7 Nîmes The Rapture 25/4 Lyon, 26/4 Paris, Olympia, 27/4 Toulouse, 29/4 Dijon Revolver 14/3 Tourcoing, 16/3 Sannois, 22/3 Paris, Maroquinerie, 6/4 Laval,

Sarah W_Papsun 17/3 Paris, Point Ephémère (avec Juveniles), 28/3 Paris, La Défense, 7/4 Rouen, 14/4 Evreux, 20/4 Gisors, 11/5 ClermontFerrand Selebrities (+ Slow Magic) 18/3 Lyon Skip The Use 16/3 Caen, 17/3 Les Herbiers, 22/3 Paris, Bataclan, 29/3 Lille, 30/3 Ris-Orangis, 31/3 Sedan, 6/4 Lyon, 12/4 Strasbourg Soko 14/3 Lille, 15/3 Strasbourg Stuck In The Sound 17/3 Nancy, 22/3 Paris, Cigale, 23/3 Marnela-Vallée, 29/3 Orléans, 30/3 Rennes, 31/3 Nanterre, 6/4 Morlaix, 11/4 Lyon, 12/4 Marseille, 19/4 Amiens, 20/4 Strasbourg, 21/4 Lille Timber Timbre 17/3 Paris, Café de la Danse Tinariwen 3/4 Paris, Cigale Watine 17/3 Paris, Trois Baudets, 12/4 Paris, Sentier des Halles WhoMadeWho 23/4 Paris, Point Ephémère, 24/4 SaintNazaire, 25/4 Bordeaux Shannon Wright 14/3 Colmar, 15/3 Paris (Clandestine Show), 16/3 Paris (Mécanique Ondulatoire), 17/3 Paris (Loge) Xiu Xiu 17/3 Lille, 18/3 Paris, Point Ephémère, 19/3 Strasbourg, 21/3 Bordeaux, 31/3 Marseille

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Robert Knoth/Greenpeace

Station-servicea bandonnée à Tsushima, dans la région contaminée autour de Fukushima

ils ont tout vu à Fukushima Un an après Fukushima, trois écrivains – américain, japonais, français – livrent leurs regards dans trois récits engagés. Une littérature du désastre qui entend faire la peau au nucléaire.

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icrosieverts. Millisieverts. Becquerels. Rads. Millirems. Réservés à un cercle d’initiés, ces mots sont passés dans le langage courant. Il y en a d’autres : “hedoro”, une boue spécifique au tsunami, ou “dosimètre”, cet appareil désormais incontournable qui permet de mesurer le taux de radioactivité. Derrière chaque tragédie, l’éclosion d’un champ lexical. Une langue souvent neutre, lénifiante, qui aurait pour principe d’exorciser la terreur d’un peuple funambule, encore sonné. Pour décrire la triple catastrophe qui a frappé le Japon en mars 2011, on se demande qui sera le plus apte à déjouer ce vocabulaire. Qui donc – du Yankee humaniste tout-terrain (William T. Vollmann), du professeur d’université français enseignant à Tokyo (Michaël Ferrier) ou de l’intellectuelle japonaise installée à Berlin depuis trente ans (Yoko Tawada) ? Culturellement et géographiquement divergents, tous trois s’accordent au moins

sur la forme : le récit, en lieu et place d’une trop verte fiction. Dans ces trois ouvrages, le point de départ est l’expérience, la traversée – le ressenti – des événements. Ferrier ouvre son “récit d’un désastre” par la description du séisme : “Vendredi 11 mars 2011, en début d’après-midi, la vibration des fenêtres. Quelque chose s’ouvre, grogne, frémit, demande à sortir.” S’ensuivent trente pages minutieuses sur le cataclysme, au terme desquelles l’auteur s’embarque dans un road-trip en direction des régions dévastées par le tsunami. “Une platitude jonchée de débris”, écrit pour sa part un Vollmann suréquipé, dont le livre relate dans une veine quelque peu autohéroïque son périple en taxi jusqu’à la “zone interdite”. Ce rayon de vingt kilomètres autour de Fukushima a fait l’objet d’une “évacuation forcée” après une explosion dans le deuxième réacteur de la centrale. Autour de ce cercle de feu : une géographie de l’horreur, de villages fantômes, de réfugiés ahuris. Michaël Ferrier, lui,

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en marge

feuilles mortes Plus besoin de chroniquer un livre, il suffit d’en publier les “bonnes feuilles”. La mort du journalisme ?

more Fukushima Pour prolonger la réflexion, on peut jeter un œil à l’ouvrage collectif publié par la NRF sur les liens qu’entretiennent la France et le Japon à travers leurs littératures (Du Japon, sous la direction de Philippe Forest), où l’écrivain Kenzaburô Oé s’exprime notamment sur son engagement antinucléaire. A noter également, aux Editions Philippe Picquier, L’Archipel des séismes : plusieurs auteurs japonais s’interrogent sur Fukushima et l’avenir de l’énergie atomique. Plus sentimental : le roman signé Richard Collasse, L’Océan dans la rizière (Seuil), mélo familial sur fond de tsunami.

dépeint avec force les paysages sinistrés par la vague, “version liquide du ashes to ashes”, allant jusqu’à nous faire revivre le raz de marée, le sel dans les yeux, les corps se débattant sous l’eau. En comparaison, Journal des jours tremblants, de Yoko Tawada, fait figure de conversation de salon. “Nous avons appris, enfants, à garder notre calme en cas de catastrophe naturelle.” L’auteur a appris à ne pas s’émouvoir. Son journal, très court, offre un contrepoint culturel, où calme et stoïcisme s’opposent à une forme de dramatisation purement occidentale. Problème : “Avec une telle attitude, on perd facilement son esprit critique, donc peut-être aussi son sens politique.” De fait, l’enjeu est ici comme ailleurs de réinjecter du sens, de faire la lumière sur une tragédie qui en a cruellement manqué. Yoko Tawada est la première à ruer dans les brancards, invoquant “la manipulation des médias”. Télé passant en boucle les images des dégâts provoqués par le séisme et la vague, témoignages de sinistrés, pleurs et mélo. Michaël Ferrier parle d’un “tsunami médiatique”, d’autant plus détestable qu’il n’explique rien, se contente d’engloutir le spectateur sous des couches d’informations sibyllines. Aveugler la population à coups de chiffres et de statistiques contradictoires ? C’est effectivement l’une des hypothèses de nos auteurs. Le quidam japonais avance dans le brouillard, comprenant vaguement qu’il a été roulé. Mais où, quand, à quel moment ? Lorsque les autorités politiques tentent par exemple une sortie minable en faisant vibrer la corde de la superstition. Comme le maire de Tokyo, rappelle Towada, et ses “Japonais qui doivent se purifier avec la vague du tsunami”. Ou comme ce docteur, raille Ferrier, déclarant que “la radioactivité n’affecte pas les gens souriants”. Ce qui fédère ces ouvrages est une même volonté de déjouer les simulacres

médiatiques et politiques à l’œuvre. Tous trois regardent dans une seule direction, où sévit le monstre à abattre : le nucléaire. Une manne financière énorme pour le pays depuis la fin des années 50, à laquelle il n’est pas prêt de renoncer. Surtout, insiste Towada, abandonner l’énergie atomique reviendrait à renoncer à la fabrication de l’arme nucléaire et être exclu de l’échiquier des grandes puissances mondiales. Face à cette fatalité économique, politique et géostratégique – casse-tête pour les élites dirigeantes du monde entier, censées montrer patte blanche sur le nucléaire tout en protégeant leurs intérêts –, Ferrier met en avant le facteur humain. Grand perdant, toujours, comme en 1945, de ces équations du pire. L’auteur parle d’un peuple insidieusement contraint de vivre une “demie-vie”, où il devient normal d’avaler des pastilles anticancéreuses dix fois par jour ou de se balader avec un dosimètre autour du cou. Michaël Ferrier raconte comment une vieille dame de 90 ans s’est pendue après avoir laissé cette note : “Je vais évacuer dans ma tombe. Désolée.” Comment un fermier doit tuer ses quarante vaches contaminées. Comment le patron d’un love hotel déprime devant la défection des clients : “S’envoyer en l’air à quelques kilomètres de trois réacteurs nucléaires en train de se faire la malle… pas très engageant.” Le nucléaire, les retombées de Fukushima, semblent nous dire les auteurs, ne sonnent pas l’apocalypse : plutôt une catastrophe au ralenti. Emily Barnett Fukushima – Récit d’un désastre de Michaël Ferrier (Gallimard), 274 pages, 18,50 € Journal des jours tremblants – Après Fukushima de Yoko Tawada (Verdier), traduit de l’allemand par Bernard Banoun, 128 pages, 13 € Fukushima – Dans la zone interdite de William T. Vollmann (Tristram), traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Jean-Paul Mourlon, 96 pages, 9,80 €

Cet automne, tout le milieu médiatique, comme celui de l’édition, s’est longuement ému de “l’affaire du plagiat”. Recopier les articles des autres, sans bien sûr les mentionner, et en prétendant être auteur, journaliste, critique, sans faire le boulot par soi-même : le “plagiat” provoqua donc un miniséisme dans notre profession. Un manque d’éthique, assurément, mais on ne reviendra pas là-dessus. Reste qu’une nouvelle mode médiatique consiste, tout en restant certes éthique, à ne plus vraiment faire ce boulot de journaliste : il suffit de publier dans un magazine ou un quotidien de larges extraits d’un livre à paraître, généralement un document mais cela peut concerner un autre genre, de le titrer et de l’éditer, et voilà qu’on obtient un long article tout en travaillant a minima, qu’on remplit ses pages, qu’on étaie un dossier, sans avoir besoin ni d’enquêter ni d’écrire. Ainsi, on aura vu ces dernières années le phénomène des “bonnes feuilles” proliférer comme une plante bizarroïde, à la va-comme-je-te-pousse, à vitesse inquiétante. Naguère présentées comme une exclusivité, un bonus, complétés par un article écrit par les blanches mains d’un journaliste maison, un cadeau fait au lecteur trois semaines avant la parution du livre-événement, les “bonnes feuilles” relèvent à présent d’un tel confort pour les journaux qu’on les publie même après parution du livre, sans nécessairement exiger d’exclusivité, sans interviewer l’auteur ou livrer une vraie critique (bref, un avis) de son livre. Preuve, peut-être, de rédactions débordées ? Ou alors preuve que le meilleur travail d’investigation se réserve aujourd’hui davantage à des livres qu’à des articles (plus de place, plus de temps et, last but not least, plus d’argent) ? Dans les deux cas, dommage.

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Grossman, une conscience russe Biographe de Primo Levi et de Romain Gary, Myriam Anissimov retrace la vie de l’écrivain russe Vassili Grossman et à travers elle l’histoire violente de l’Union soviétique.



u nom de Vassili Grossman, on associe immédiatement un roman : Vie et Destin, fresque gigantesque autour de la Seconde Guerre mondiale, souvent présentée comme le Guerre et Paix du XXe siècle, qui établit un parallèle entre les totalitarismes nazi et soviétique. La biographie que consacre Myriam Anissimov à Vassili Grossman s’ouvre sur “l’arrestation” du livre, cette “bombe atomique” pour le régime stalinien, saisie en 1961 et bannie pendant vingt-cinq ans. “Dans le cas Grossman, les organes innovèrent : ils arrêtèrent l’œuvre, mais pas l’homme”, écrit Anissimov. De l’homme justement, tellement identifié à son œuvre, on connaît moins la vie, et c’est pour cela que l’on se plonge avec avidité dans le livre de Myriam

Anissimov, auteur notamment de la formidable biographie de Romain Gary, Romain Gary, le caméléon (2004). Vassili Grossman – Un écrivain de combat débute comme un roman russe. Anissimov prend le temps de présenter, avec mille détails, ses “personnages”. Elle retrace l’histoire des parents de Grossman, son père Sémion, ingénieur, et sa mère Ekaterina, Juifs assimilés de Berditchev, en Ukraine. Le livre change de rythme et prend toute son ampleur, malgré quelques redondances, quand éclate la Seconde Guerre mondiale, matrice de l’œuvre de Vassili Grossman et tournant fondamental dans son existence. Avant la guerre, Grossman, qui a suivi des études de chimie et travaillé dans les mines du Donbass, a une foi aveugle dans

le communisme. Dans ses premiers textes, modèles de littérature prolétarienne, il exalte la Révolution, les bienfaits de la collectivisation et de l’industrialisation. Pourtant, certains de ses proches sont arrêtés, l’existence des camps commence à être connue. Mais lui, écrivain adoubé par le régime (sauf par Staline, qui le déteste), jouit d’un relatif confort et ne ressent pas encore

Fédor Guber et Ekatarina Korotkova-Grossman

Vassili Grossman, août 1941

ce qu’éprouve le poète Maïakovski : “Nous vivons dans l’étau d’un serment de fer.” Tout bascule avec l’offensive de l’Allemagne contre l’URSS. Grossman est envoyé au front comme correspondant de guerre. Froid, distant, mais faisant preuve d’un courage remarquable, il découvre, au fil des combats, l’extermination des Juifs. Sa mère sera assassinée par les Einsatzgruppen en 1941. Puis c’est l’effroi en pénétrant dans Majdanek et Treblinka. Lui qui, jusque-là, était russe, marxiste avant tout, prend conscience de sa judéité. Dès lors, il s’assigne “la responsabilité morale de dire la vérité de la guerre”. Il écrit Pour une juste cause, premier tome de la “dilogie” formée avec Vie et Destin. Le livre est censuré. Dans l’URSS d’après-guerre où sévit un antisémitisme d’Etat, on estime qu’un “écrivain juif n’est pas habilité à raconter les hauts faits du peuple russe”. Vassili Grossman devient un paria mais aura quand même droit à des obsèques officielles en 1964. A travers le destin de ce “passager du sombre XXe siècle”, Myriam Anissimov restitue avec force la folie et l’arbitraire du régime stalinien. Une somme à la hauteur de son héros. Elisabeth Philippe Vassili Grossman – Un écrivain de combat (Seuil), 880 pages, 30 €

vie et destin d’une œuvre Vassili Grossman a consacré seize ans de sa vie à l’écriture de Vie et Destin. La saisie de son manuscrit l’atteint mortellement : il tombe gravement malade. Se doutant que son livre pourrait être censuré, il a pris soin de déposer deux manuscrits chez des amis, notamment le poète Sémion Lipkine. C’est lui qui, dans les années 70, permettra à Vie et Destin de sortir d’Union soviétique sous forme de microfilms, par l’entremise de l’Autrichienne Rosemarie Ziegler, pour le faire publier à l’Ouest. Le roman paraît en France en 1983. Il ne sortira en URSS qu’en 1989. Vingt-cinq ans après la mort de Vassili Grossman.

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Catherine Hélié/éditions Inculte

vies de kalachnikov Machine à tuer hype dans un monde globalisé, la kalachnikov fut longtemps au service d’une utopie. Oliver Rohe en retrace le destin paradoxal, ainsi que celui de son inventeur. ’est l’histoire d’un symbole de la d’émancipation des peuples, elle œuvre révolution devenu une marchandise désormais à leur asservissement. lambda à l’ère capitaliste. Il y a deux destins liés mais désynchronisés. Les multiples vies d’une arme Comme si tout créateur était au fond belle gosse, glamour, infaillible. L’AK-47 en retard sur son bébé, largué par son – diminutif de Avtomat Kalachnikova – essor et son sens à facettes. “Kalachnikov” a vu le jour dans l’industrie d’armement est devenue une expression courante, soviétique. Nous sommes au lendemain de a nourri toute une imagerie. Avec ce double la Seconde Guerre mondiale. Son inventeur, portrait, Rohe pose les bonnes questions : Géo Trouvetou de l’Armée rouge, en a bavé, un fusil d’assaut peut-il défendre une cause blessé par un obus allemand. Il conçoit “juste” ? une arme est-elle morale ? les plans de cette mitraillette new-age est-elle une œuvre d’art, au même titre, alors qu’il est en convalescence à l’hôpital. au hasard, qu’un Picasso ? son inventeur Oliver Rohe (à qui l’on doit notamment serait-il à ranger dans la catégorie Un peuple en petit et Nous autres, une fiction des grands innovateurs ou des monstres ? biographique sur David Bowie) dissocie Rohe s’en tire par une petite fable, l’inventeur et son œuvre. Le génie de non dénuée de fiel, au début du livre : l’ingénierie militaire et sa machine à tuer. “Il pourrait ressembler à n’importe On suit les pas de Mikhaïl Kalachnikov, quel vieillard de notre entourage et de notre né en 1919, issu d’une famille de paysans imagination…” Oui, sauf que : “Il le disait propriétaires très vite déportée. lui-même : rien d’humain ne m’est étranger. Son enfance et son adolescence, vouées au J’aime la pêche, la chasse et les femmes.” travail de la terre, se dérouleront dans une “Comme ça, dans cet ordre”, ironise coopérative au fin fond de la Sibérie. Plus l’auteur. Accolade à la “banalité du mal” tard il s’enfuit, rallie l’armée, après avoir d’Arendt, aussitôt suivie d’un judicieux confectionné de faux papiers pour échapper coup de griffe. Emily Barnett à sa condition d’“ennemi du peuple”. Tout génie créatif, fût-il d’une arme, Ma dernière création est un piège à taupes (Inculte), 96 pages, 13,90 € reposerait donc sur une imposture, une identité truquée avant de trouver sa destination. A cet endroit du récit, l’AK-47, inscrit sur une autre courbe, a déjà connu sa fulgurante propagation. Après avoir été “un ferment de l’idéologie communiste”, puis “brandi par l’exploité contre le capitaliste”, se propageant vers des “poudrières” telles que “l’Iran, la Corée, Cuba, le Vietnam”, il bascule entre les mains de groupes de combattants islamistes. Sa vocation change : outil

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Sharon Stone dans Casino de Martin Scorsese (1995)

cut ! Patrick Bouvet interroge le pouvoir des images cinématographiques. Un montage poétique et entêtant.

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ne femme (actrice ? starlette ?), des flashs, des lunettes noires. Elle croise et décroise les jambes. Le désir monte. Des carcasses, des corps mutilés, du napalm, des hélicoptères. La mort rôde. Pulsions érotiques et pulsions de mort entrent en collision sur la toile, se télescopent en un crash de mots et de motifs incandescents qui évoquent Cronenberg. En face, les spectateurs se font leur propre film, projettent leurs fantasmes sur l’écran et les fondent aux visions qui défilent. Après In situ ou Shot, Patrick Bouvet poursuit, avec Pulsion lumière, son travail de décomposition des images contemporaines. Un livre comme une table de montage qui sample, assemble et réassemble les clichés du cinéma US des années 70-80 (road-movies, films sur la guerre du Vietnam), mash-up littéraire de scènes originelles qui ont imprimé l’inconscient collectif par persistance rétinienne : “et le public reste/ suspendu/à ces lèvres humides/qui s’agitent en silence/pour faire le récit/délirant/ remonté/en permanence.” Les phrases dévalent en colonnes, chutes de pellicules jetées sur la page blanche dans un geste faussement aléatoire – “tout s’ordonne/dans une harmonie/morbide/ vibrante”. Les mêmes mots reviennent sans cesse, mais toujours agencés différemment

pour former un sens nouveau, des images en constante anamorphose tour à tour lumineuses ou monstrueuses. L’effet de répétition hypnotise et finit par abolir la frontière entre le réel et la fiction, entre le monde et sa représentation : illusion d’optique en 3D : “nous voulons que/ le public soit incapable/de faire la différence/ entre les prises de vues/réelles/et les éléments/numériques/qui y sont intégrés”. Sur une bande-son électrique, on passe des strass des tapis rouges aux boîtes de nuit VIP, d’un pick-up lancé sur l’asphalte à un interrogatoire avec glace sans tain, très Basic Instinct. Poétique, éminemment plastique, Pulsion lumière tend un miroir inquiétant et à peine déformant à la société contemporaine saturée d’images. Une société du spectacle qui tourne sur elle-même et formate le désir. Elisabeth Philippe Pulsion lumière (Editions de l’Olivier), 107 pages, 12 €

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fragments d’un discours romanesque Un recueil d’articles littéraires de l’essayiste Claudio Magris embrasse la culture occidentale. Ou comment le goût se forme au contact des romans. i cet article devait s’écrire “à la manière de” Claudio Magris, il commencerait volontiers par la citation choisie d’un écrivain classique, un ancien, un maître : Homère, Svevo, Kafka, Epicure, Borges, Benjamin… le choix ne manque pas. Il pourrait s’ouvrir aussi par quelque épisode biblique, une anecdote empruntée à l’histoire ou à de plus anciennes mythologies, prélevée en tout cas sur les rayonnages d’une bibliothèque immense, un peu intimidante. Tel est l’art de Magris journaliste, qui continue d’être lecteur, ne cessant pas d’être écrivain. Dans les quatre-vingt textes de ses Alphabets (parus pour l’essentiel dans le contemporain de la famille Corriere della sera), l’auteur Avant la Bible, il y eut ou se sert un peu facilement de Danube se montre ainsi pour le jeune Claudio de Kipling pour parler fidèle à sa réputation : un l’expérience fondatrice du terrorisme… Mais c’est érudit de la grande Europe, des Mystères de la jungle aussi un encyclopédiste gardien d’une sorte noire du médiocre instantané, qui de phare triestin d’où peut et fascisant Emilio Salgari, s’enthousiasme pour se contempler encore, avant que lui fit découvrir sa Mo Yan et Ngugi wa les catastrophes promises, tante, à 6 ans. Ce souvenir Thiong’o et les relie le paysage panoramique, du “premier livre”, qui sert naturellement à Faulkner idéalement contrasté, de logiquement de prélude au l’entière culture occidentale. recueil, en donne la tonalité, ou aux Grecs. C’est surtout une sorte d’über-instituteur Souvent consacrées et presque la clé, puisque mittel-européen, dont à des écrivains, parfois à au-delà de la diversité des les Alphabets constitueront, des notions plus générales textes se devine un même au rythme que l’on voudra, (la colère, la guerre, horizon originaire, et de bien profitables leçons le courage), inspirées le fantasme pré-babélien également par l’actualité, d’un “alphabet” qui réunirait de lecture. Fabrice Gabriel du fait même de leur – dans le grand Tout de la contexte de publication, ces littérature – le pluriel unifié Alphabets (Gallimard), chroniques sont toujours des langues et des savoirs… traduit de l’italien par Jean et Marie-Noëlle Pastureau, littéraires. Pour Magris, Le rêve d’un vieil enfant, en en effet, la littérature somme, qui aime la Genèse 554 pages, 29,50 € ne réfléchit pas le monde, et les listes. elle l’informe et le fonde, Magris est un moderne, en le donnant à lire. Le mot donc un mélancolique qui célèbre de Mallarmé, “le vit l’avant des livres comme monde est fait pour aboutir une revanche – paradoxale – à un beau livre”, s’inverse ici sur le présent et ses pertes. ironiquement : c’est par Il arrive que cela le rende un (mauvais) livre que tout agaçant, lorsqu’il regrette peut (aussi) commencer… par exemple l’éclatement

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big in Japan

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lle est jeune, incroyablement jolie et pas du tout tombée de la dernière pluie. Née à Osaka en 1976, Mieko Kawakami a d’abord pas mal bourlingué entre sa ville d’origine et Tokyo, a suivi des cours de philosophie, fait l’hôtesse, l’actrice, et chanté dans un groupe de rock (trois albums ont vu le jour). Le succès en 2008 de Seins et Œufs, son second roman, lui a valu le “hype” prix Akutagawa (équivalent du Flore pour les jeunes écrivains). Dans la foulée, le magazine Vogue Japan l’a élue femme de l’année. De minitornade dans le milieu artistico-littéraire, Mieko a sauté avec aisance, dans le même temps, le pas de conteuse singulière. Dans ce court roman d’une centaine de pages, tout étonne : la fraîcheur du propos, la vélocité des mots. Et en premier lieu, l’histoire : celle d’une mère venue passer avec sa fille quelques jours à Tokyo chez sa sœur, en vue de pratiquer une mammoplastie. Loin d’être un prétexte, le thème de la chirurgie plastique est exploré à fond, soulevant des questions corollaires : le rapport au corps, le féminin, la maternité. Pourquoi veut-on se refaire les seins ? Pour échapper symboliquement à la misère sociale (en claquant ses maigres économies dans une chirurgie “de luxe”) ? Pour échapper au temps, à soi ? Se faire plaisir ? Ou se soumettre inconsciemment à une vision

Mieko Kawakami

phallocratique p ro-95B ? Seins et Œufs se collette à des hics existentiels tels que la haine de soi, dans une langue rock et perchée. C’est un charme noir qui opère. Moins sexy, et surtout plus consensuelle : la très lue et acclamée Yôko Ogawa. Récompensée par le même prix que sa cadette pour La Grossesse (paru en 1991 chez Actes Sud), la romancière née en 1962 nous a enchantés avec ses romans tissés dans de la soie, sa philosophie champêtre nourrie à l’eau de pluie et à la béatitude esthète. Les Lectures des otages se veut une fable politique autour d’une prise d’otages (huit touristes séquestrés par une guérilla antigouvernementale, qui mourront tous dans l’assaut de la police secrète du pays). Hélas, la fable édifiante l’emporte sur le reste (un regard sur les méthodes terroristes, le monde contemporain), et il faut se tartiner huit contes postmortem pondus par nos otages – symbole de la toute-puissance de la littérature, bien sûr, puisque même les ravisseurs sont sous le charme. Le bon côté de la chose, c’est que rien ne fâche. Avec son optimisme à toute épreuve, Ogawa nous dit : “Terroristes, victimes de kamikazes, leaders politiques du monde entier, donnez-vous la main car la vie est un poème”. Une romancière un peu trop faste en bons sentiments, autant que l’autre est sulfureuse : deux indicateurs forts qui déterminent aussi le succès d’un livre. Celui de 1Q84, le best-seller de Murakami,

Minarich

Ils croulent sous les scores de vente et/ou les distinctions. Passage en revue de trois romanciers successful au Japon, pays invité du Salon du livre.

demeure à ce degré d’enthousiasme une énigme. Rappelons simplement un chiffre : au Japon, la saga s’est vendue à plus de quatre millions d’exemplaires. Habitué aux cartons (Kafka sur le rivage, La Ballade de l’impossible), Murakami est devenu le roi du pétrole, sans perdre son âme pour autant. Dans ce troisième volume, les aventures de Tengo, l’écrivain, et Aomamé, la tueuse d’hommes, n’ont rien perdu de leur saveur. A peine ouvert, le roman nous enveloppe de son climat de mystère, son air de polar fantastique avec l’intrusion d’un nouveau personnage : le détective Ushikawa. Et c’est parti pour une longue cavalcade croisée, sinueuse, poétique, à cheval entre deux mondes, sous le regard d’une double lune inquiétante – et de Proust himself. Un page-turner de haute volée. Emily Barnett Seins et Œufs de Mieko Kawakami (Actes Sud), traduit du japonais par Patrick Honnoré, 112 pages, 13,50 € Les Lectures des otages de Yôko Ogawa (Actes sud), traduit du japonais par Martin Vergne, 192 pages, 20 € 1Q84 de Haruki Murakami (Belfond), traduit du japonais par Hélène Morita, 544 pages, 23,50 €

la 4e dimension philo hexagonale Houellebecq : merci Wikipédia La Carte et le Territoire vient de paraître en poche (J’ai lu). Dans la préface, Michel Houellebecq écrit : “Je remercie Wikipédia et ses contributeurs.” Un clin d’œil ironique : lors de la sortie de son roman en 2010, Michel Houellebecq avait été accusé de plagier des pages de l’encyclopédie en ligne.

Où en est la philosophie en France ? Réunis autour de notre collaborateur Jean-Marie Durand, trois philosophes (Michaël Foessel, Frédéric Worms et Jean-François Kervegan) dresseront un état des lieux de la pensée contemporaine made in France (lire page 108). le 15 mars à 18 h 30 au Théâtre de l’Odéon, Paris VIe, www.theatre-odeon.fr

la croisade de Franzen (suite) Après Facebook et l’e-book, Jonathan Franzen s’en prend à Twitter, “média totalement irresponsable” qui incarne “tout ce à quoi (il s’)oppose” : “c’est comme écrire un roman sans la lettre ‘p’…” Oui, ça s’appelle un lipogramme, comme La Disparition de Perec, écrit sans “e”.

Besson, pasticheur pathétique A défaut d’avoir du style, Patrick Besson imite. Pour Le Point.fr, il raconte la campagne en pastichant des écrivains célèbres. Sa récente chronique parodiant Catherine Millet était un sommet de vulgarité et de bêtise. Jusqu’où ira-t-il ?

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tableau de maîtres Catherine Meurisse visite les coulisses de l’histoire de l’art en bonne compagnie : celle des écrivains.

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près s’être attaquée, avec son humour décapant, à la littérature dans Mes hommes de lettres, Catherine Meurisse dissèque les relations entre les écrivains et l’art. De son ton irrésistiblement badin et irrévérencieux, elle montre le lyrique Diderot s’extasiant sur La Raie de Chardin ou Théophile Gautier troublé par l’irruption du réalisme dans les toiles de Gustave Courbet. On croise Emile Zola, qui s’extasie sur la “géniale indécence” du Déjeuner sur l’herbe de Manet ou Charles Baudelaire, en parfait guide de musée, qui lamine Gérôme et Millet. Catherine Meurisse revient également sur la représentation de la peinture dans la fiction (Zola et L’Œuvre, Jean Lorrain et Monsieur

de Phocas, Proust et ses personnages d’Elstir le peintre et Bergotte l’écrivain). Catherine Meurisse ne se contente pas de se faire l’écho des théories et des opinions des auteurs. Avec humour et agilité, elle fouille les recoins de l’histoire artistique pour créer des passerelles (comme entre Jean Lorrain et Man Ray) et explique les liens qui ont pu unir les artistes (Balzac et Picasso par exemple). Elle parsème son récit d’anecdotes méconnues sur l’histoire de l’art (les petits défauts de vision des grands peintres). D’une grande virtuosité narrative, elle ajoute des dialogues percutants, distille sans lourdeur ses références, ne recule pas devant quelques anachronismes et bons mots, parfois gentiment grivois (voir Monsieur

l’auteur est érudite et spirituelle, virevoltante comme ses personnages

de Charlus…). Virevoltante comme ses personnages, érudite et spirituelle, elle met en scène tout un ballet de personnages secondaires (gardiens de musée, quidams, critiques peu éclairés) qui par leurs apartés naïfs ou communs font avancer le récit. Extrêmement bien documenté, drôle et instructif, Le Pont des Arts est plus ambitieux encore que Mes hommes de lettres. Pour le réaliser, Catherine Meurisse s’est non seulement plongée dans les œuvres critiques des auteurs mais aussi dans les tableaux évoqués. Véritable gageure que de représenter dans une BD Un enterrement à Ornans de Courbet ou Salomé de Gustave Moreau ! atherine Meurisse s’en tire royalement, reproduisant les œuvres avec justesse tout en restant fidèle à son propre style, aussi vif et incisif que son propos. Anne-Claire Norot Le Pont des Arts (Sarbacane), 109 pages, 19,90 €

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Magda Hueckel

l’Afrique et les fantômes Cut up de textes classiques et contemporains, la dernière création de Krzysztof Warlikowski réunit l’Afrique et Shakespeare pour dénoncer une humanité où les femmes font toujours figure de victimes expiatoires.

première Places de la démocratie ! – Culture(s) en Méditerranée Théâtre, danse, expos, musique et forums sont au programme d’Exclamation n° 2, à Cavaillon, manifestation liée au départ à l’anniversaire des accords d’Evian de 1962, vite rattrapée par le printemps arabe. A voir : Nacera Belaza, Françoise Sliwka, Mustapha Benfodil et Kheireddine Lardjam, Yuval Pick, Xavier Marchand… du 15 au 31 mars au Théâtre de Cavaillon, tél. 04 90 78 64 64, www.theatredecavaillon.com

réservez Festival international CDC Sous l’intitulé Des migrations, la 8e édition du festival CDC donne l’occasion de voir ou de revoir The Venus de la Sud-Africaine Nelisiwe Xaba et Kharbga, jeu de pouvoir d’Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek (23 et 24 mars), de découvrir la création de Fabrice Lambert Faux mouvement (27 et 28) avant la soirée de clôture du 30 avec Babacar Cissé, Tayeb Benamara et Israel Galván. du 16 au 30 mars à Toulouse, tél. 05 61 59 98 78, www.cdctoulouse.com

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alon d’apparat ouvert à tous les vents dans le palais abandonné d’un despote déchu, parquet de bal où une révolution peut se jouer à pile ou face lors d’une soirée de gala, le plateau sur lequel s’inscrit le théâtre du metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski rend compte des soubresauts de l’histoire en écho des bouleversements du monde contemporain. D’un lounge bar aux allures de club anglais à une chambre d’hôpital, d’un étal de boucher à une salle de billard et un gymnase, cet espace caméléon donne le change en toutes circonstances sans jamais se revendiquer du réalisme. Avec Contes africains d’après Shakespeare, Krzysztof Warlikowski se transforme en sorcier du continent noir pour accrocher son chaudron au-dessus du feu sacré d’un art littéraire qui révèle les tourments de l’âme humaine via des héros aussi troubles que fantomatiques. Avec la volonté de nous faire goûter à une cuisine du diable qui fait de la haine de l’autre le principal moteur de nos sociétés, Warlikowski se revendique d’un cadavre exquis réunissant dans un même spectacle les moments forts de trois tragédies du grand William, des passages puisés à l’œuvre du Nobel sud-africain de littérature J. M. Coetzee et des extraits d’un récit du militant noir américain Eldridge Cleaver, membre historique des Black Panthers. Ainsi, les sulfureuses figures des exclus shakespeariens que sont le vieux Lear, le Juif Shylock et le Noir Othello se trouvent confrontées à des personnages contemporains tout aussi ambigus qu’eux du point de vue de la morale. Tel Coetzee déballant sans concession les lâchetés

de sa vie sexuelle dans L’Eté de la vie, roman où l’auteur invente le personnage d’un universitaire enquêtant sur lui-même après sa mort pour écrire une version non expurgée de sa biographie, ou encore Cleaver, connu comme un militant des droits de l’homme qui, dans son récit Soul on Ice (paru en France au Seuil sous le titre Un Noir à l’ombre), avoue avoir violé des jeunes filles noires dans le ghetto avant de décréter le viol “acte insurrectionnel” et de s’attaquer à des Blanches. Chacun de ces protagonistes ayant sa part d’ombre et son versant indéfendable, Warlikowski profite de cette galerie de portraits où les hommes cumulent les mauvais rôles pour défendre la cause des femmes. En témoigne une nouvelle liberté de parole offerte à Cordélia, la plus jeune fille de Lear, et à Desdémone, la malheureuse compagne d’Othello, via la commande de deux monologues à l’auteur libano-canadien Wajdi Mouawad. Unanimement reconnu, Krzysztof Warlikowski ne se contente plus de monter des pièces. Comme il l’a fait dans (A)pollonia en 2009, pour évoquer l’histoire de son pays, la Pologne, et dans Koniec (La Fin) en 2010, pour s’interroger sur sa condition de créateur, Krzysztof Warlikowski voue aujourd’hui la scène à ses questionnements intimes et son parcours se revendique du théâtre comme d’un art de l’introspection qui permet de tout dire. Patrick Sourd Contes africains d’après Shakespeare mise en scène Krzysztof Warlikowski, du 16 au 23 mars à 18 h 30 au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe, en polonais surtitré, tél. 01 53 65 30 00, www.theatre-chaillot.fr

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un hiver en Corée Terra incognita de la danse contemporaine sous nos latitudes, la Corée était à l’honneur de la 34e édition des Hivernales d’Avignon, consacrée à l’Asie. et détourne, entrave ou transforme. a moisson est toujours belle, quelle The Smell of Rice Cook de Su-yun Yi et que soit la forme choisie par son Hee-jung Kim évoque la culture coréenne directeur, Emmanuel Serafini, pour à l’aide d’un élément simple, le riz, qui nous la faire découvrir : une superbe tombe en pluie fine de leurs sacs à dos au exposition de Lee Ufan au sein de laquelle moindre geste dans un rai de lumière qui Jonah Bokaer interprète On Vanishing borde leur parcours. Une danse qui éprouve ou les spectacles de jeunes chorégraphes, l’abrupt, l’accélération, l’enlacement et Lee Hyun-Bum, lauréat 2011 du concours l’énergie brute de la jeunesse. du Seoul International Choregraphy Riz encore, versé au sol et balayé Festival, et Hee-jung Kim, repéré lors en lignes brisées ou labyrinthiques dans du festival Modafe à Séoul. Notebook, le journal de résidence Dans Pause philo, les rapports hommesen Corée et au Japon de la Française femmes sont traités avec autant d’humour Malgven Gerbes et de l’Allemand que de sensibilité par Lee Hyun-Bum et David Brandstätter, qu’ils nous restituent Choi jin-ju. Le duo démarre sur une quinte en mots, gestes, images et sons de toux partagée qui donne le la de avec finesse et subtilité. Fabienne Arvers la chorégraphie à venir. Allongé, bras entrelacés, le couple teste une autonomie gestuelle à l’aide de mouvements Festival de danse Les Hivernales à Avignon, compte rendu simples que la présence de l’autre bride

Brigitte Enguerand/Fedephoto

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copains éthyliques Une adaptation copieusement chavirée du chef-d’œuvre de Cassavetes, Husbands, par le metteur en scène néerlandais Ivo Van Hove. assavetes filmait de l’âge réagissent à la nécessaire, le spectacle caméra à l’épaule. mort d’un de leurs amis s’intensifie peu à peu, Il laissait tourner en prenant une cuite atteignant des sommets la pellicule, phénoménale pendant avec la folle virée encourageant ses acteurs plusieurs jours. Il ne s’agit londonienne des gaillards. à improviser. Pas question pas seulement de noyer Chacun porte une caméra de reproduire un tel son chagrin dans l’alcool miniature à l’oreille ; processus sur un plateau plutôt de s’abandonner les scènes sont dédoublées de théâtre. En adaptant à une forme de rite viril sur des écrans noir à la scène Husbands, Ivo Van improvisé, chaotique, et blanc. Une vision qui Hove ne rivalise pas avec régressif, mais aussi cruel, accentue le côté chaviré les moyens du cinéma. en particulier vis-à-vis de l’affaire. Du vrai beau Ce qui intéresse ce grand des quelques femmes qui théâtre d’acteurs, directeur d’acteurs, c’est participent plus ou moins avec une mention spéciale la dimension humaine, malgré elles à l’opération. à Halina Reijn, superbe. Hugues Le Tanneur comme il l’a prouvé avec ses Rien de plus cassetranspositions inoubliables gueule pour un comédien Husbands d’après John de Cris et Chuchotements que de simuler l’ivresse Cassavetes, mise en scène et de Scènes de la vie sans tomber dans Ivo Van Hove, au Théâtre conjugale d’Ingmar Bergman. la caricature. Comme national de Bretagne, Trois types dans la force si un échauffement était Rennes, compte rendu

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Aurélien Mole

polit-büro Une expo en forme de bureau de campagne interroge la montée du populisme. Elle s’achèvera au premier tour de l’élection présidentielle.

vernissages subversif Le temps de la campagne électorale, le centre d’art du Parc Saint-Léger se transforme en AG permanente animée par le collectif Le Peuple qui manque, tandem de curators qui explore depuis 2005 les liens entre art et politique ainsi que les théories postcoloniales. Avec des œuvres d’Erik Beltrán, Chto delat ?, Stalker ou Internacional Errorista… Atlas critique – Une carte blanche au Peuple qui manque à partir du 17 mars à Pougues-les-Eaux, www.parcsaintleger.fr

immersif Le tandem Berdaguer & Péjus explore utopies architecturales et environnement. A l’IAC, son labyrinthe d’expériences joue avec les états modifiés de la conscience. à partir du 16 mars à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, www.i-ac.eu

abrasif Claire Fontaine présente une double expo à la galerie Chantal Crousel et à la Douane. Ce collectif, qui œuvre sur les “ruines de la fonction auteur”, présente ses nouveaux travaux ainsi qu’un assemblage de livres pétrifiés réalisé en 2007 et inspiré par une œuvre historique de Carl Andre. jusqu’au 20 avril à la galerie Chantal Crousel, Paris IIIe et à la Douane, Paris Xe, www.crousel.com

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’initiative n’aurait pas déplu à Nicolas Sarkozy, qui a brandi le sésame populiste du référendum pour marquer au fer rouge sa tardive entrée en campagne. A la Kadist Art Foundation, l’artiste Anna Scalfi Eghenter invite les visiteurs à se prononcer en ligne sur la nécessité d’un référendum… sur le référendum ! Parfaitement légale, mais largement méconnue en France où elle est contrainte par une série de dispositifs (contrairement à la Suisse ou l’Italie), cette procédure permet à un groupe de citoyens d’obtenir par pétition l’organisation d’un vote au Parlement ou d’un référendum sur un projet de loi. Ça s’appelle un référendum d’initiative populaire et c’est, pourrait-on dire, la base de la démocratie participative, et donc d’une certaine forme de populisme. Car le populisme, rappelle en filigrane cette exposition conçue par le jeune commissaire italien Matteo Lucchetti, ne se traîne pas partout dans le monde cette mauvaise réputation qu’on lui connaît en Europe. Pour le philosophe argentin Ernesto Laclau, qui a inauguré l’exposition avec une conférence et une tribune publiée dans Le Monde du 9 février, il constitue au contraire un pendant nécessaire à l’équilibre démocratique. Et de citer, dans la foulée, les incarnations du populisme de gauche actuellement à l’œuvre dans certains pays d’Amérique du Sud. Passionnante par les questions qu’elle soulève (elles avaient déjà fait l’objet, en 2005, d’une exposition itinérante entre Amsterdam, Francfort et Oslo qui, avec le concours de Superflex, Sarah Morris ou Atelier Van Lieshout, mettait en scène les discours de type populiste), l’exposition fait cependant débat sur la forme et les

méthodes qu’elle déploie. Si elle assume la référence au QG de campagne (elle dure jusqu’au premier tour de l’élection présidentielle) et emprunte sa palette – un vert pâle très “administratif” – et son mobilier – en Formica postsoviétique tout droit venu du siège du PC place du ColonelFabien à Paris –, elle peine par endroits à “faire œuvre” d’un positionnement activiste pourtant revendiqué dans le titre. Certaines pièces aux discours trop cryptés et aux formats trop calibrés (performance orale, contrats à répétition et autres singeries de documents politico-administratifs) ne parviennent pas à tenir ce grand écart et penchent trop visiblement d’un côté (pâle copie du discours politique et de ses ressorts dans le faux spot de campagne tourné par Alterazioni Video) ou de l’autre (proposition provoc et sans effet du “contrat de corruption” que le collectif Superflex propose à chaque visiteur de signer). Dommage, car Enacting Populism, ou “Activer le populisme”, reprend en effet les codes d’une pratique artistique reconnue depuis au moins les années 90 qui consiste à “rejouer” des événements politiques pour en révéler les lignes de tension, les aberrations ou les fauxsemblants – on se souvient de la fameuse Bataille d’Orgreave de Jeremy Deller mettant en scène le soulèvement des mineurs anglais contre le gouvernement ultraconservateur de Thatcher. Mais cette reconstitution historique avait une générosité, une empathie avec les forces populaires qui font défaut à cette exposition un peu trop réservée à un cercle d’initiés. Claire Moulène Enacting Populism jusqu’au 22 avril à la Kadist Art Foundation, Paris XVIIIe, www.kadist.org

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le complexe de Cindy Prise en photo pour le Vogue français lors de ses séances de travestissement, Cindy Sherman impose une évidence : la reine du burlesque, c’est elle. ’est une série à plein temps. J’avais d’images parue l’impression d’agir dans le magazine comme une artiste en Vogue Paris représentation, je n’étais de ce mois plus moi-même.” de mars, mais ça n’en est La série, nous précisepas moins un événement t-on, a été réalisée avec artistique, tant tout l’iPhone de Mario Sorrenti : ce qui touche à l’œuvre pour autant, ça ne sent pas de l’artiste américaine l’image vite faite, ni la basse Cindy Sherman relève définition. Mais plutôt de l’extraordinaire. En plus le jeu et la partie de plaisir de trente ans de carrière, – trait unifiant de tous l’artiste a très peu souvent ces clichés : le sourire. accepté d’être Cindy Sherman endosse photographiée par un autre en une séance pas moins qu’elle-même lors de ses de huit rôles très différents, séances de travestissement. venus d’époques variées : Une rareté donc, quand rockeuse des années 80, on sait à quel point Cindy jeune diplômée noire, Sherman préfère travailler folle à lier du début du seule, sans même un siècle ou femme modèle assistant, dans son studio des années 70 avec son de New York, comme sous-pull en polyamide. elle le répète à la Toutes en noir et blanc, journaliste Violaine Binet les images ont un côté venue l’interviewer studio Harcourt pour quelques semaines avant la forme, et renvoient aussi sa rétrospective au MoMA à la tradition transformiste de New York : “J’ai essayé de l’Actors Studio, tel plusieurs fois de me faire le cliché où elle apparaît seconder par la famille, en sosie de Fred Astaire. des amis, j’ai même engagé La série s’ancre dans des gens. Chaque fois, la tradition visuelle des même avec des proches, photographies de plateau ce fut un échec. Mon mode ou de studio : le cinéma, de fonctionnement est de encore, sert de fond où repousser mes limites (…). faire exister ces figurants Une fois, j’ai eu un assistant de l’industrie culturelle,

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de la machine à rêves hollywoodienne. Ce qui se donne aussi à voir avec le plus d’évidence dans ces images où l’artiste, mise en confiance par Mario Sorrenti et lui laissant le soin de prendre la photo, peut se livrer au seul jeu des métamorphoses, c’est la mobilité, non du mobile phone, mais du visage de Cindy S., doté d’une plasticité qui n’a rien à envier au plus élastique des acteurs hollywoodiens (Jim Carrey). A nouveau, l’artiste s’explose en une myriade d’identités, fait exister des personnages, se démultiplie à la façon d’un kaléidoscope. Comme si, à force de la voir troubler et torturer l’image de la femme et ses stéréotypes, on en avait oublié cette pure évidence : Cindy Sherman est la reine du burlesque. Jean-Max Colard Vogue Paris mars 2012 en kiosque rétrospective au MoMA de New York jusqu’au 11 juin. Catalogue disponible en français, Hazan, 48 € 14.03.2012 les inrockuptibles 105

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où est le cool cette semaine ? par Laurent Laporte et Marc Beaugé

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dans les campagnes d’affichage de la marque Supreme Ils étaient trois et ils ont bossé deux nuits de rang, dans le froid. Ciblant en particulier les Ier et IIIe arrondissements parisiens, visant surtout les artères passantes, ils ont collé, sans autorisation, les quatre cents affiches dont ils disposaient. Résultat ? Au réveil, on ne pouvait pas rater Kate Moss, une clope à la main, en veste léopard et T-shirt blanc barré du logo Supreme. Ainsi communique la marque new-yorkaise. Ainsi entretient-elle le culte et le mystère qui l’entourent depuis sa création en 1994. Chaque année, à la même période, elle placarde une icône sur les murs de New York, Londres, Tokyo ou Paris. Et peu importe si la marque n’est même pas distribuée dans l’Hexagone… L’an dernier, avant Kate Moss, on avait eu droit à Lady Gaga. Avant encore, c’était Lou Reed. Dans le passé, les NewYorkais, ces veinards, ont également eu Mike Tyson, Raekwon et même Kermit la grenouille, tous photographiés par Terry Richardson. Dans les milieux du skate, du graff et, désormais, de la mode pure et dure, les campagnes d’affichage sauvage de Supreme sont devenues des événements, sources de spéculation (qui sera la prochaine posterstar ?), de convoitise (à Paris, les graffeurs chargés de coller les affiches croulent sous les demandes de potes voulant récupérer des affiches pour leur salon) et même d’agacement. Car, à force de ne pas faire comme tout le monde, on finit toujours par agacer les grincheux… 14.03.2012 les inrockuptibles 107

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place aux idées A l’heure d’une campagne atone, c’est hors des médias dominants qu’on trouvera les vrais enjeux. Dans le coffret Penser critique de Thomas Lacoste, qui filme des intellectuels engagés, ou dans la revue Esprit, qui scrute la philosophie française.

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a campagne électorale éclaire-t-elle tous les enjeux et questions qui traversent aujourd’hui la société ? Il est possible d’en douter, par-delà les préférences partisanes et le cirque ritualisé d’un combat politique réglé par les contraintes médiatiques. Aux marges des espaces dominants mettant en scène les stratégies des candidats, il existe aussi des lieux plus discrets abritant enfin des idées (des vraies) permettant de penser les failles du monde actuel. Habité par cette curiosité pour le travail des penseurs et convaincu de la nécessité de la révéler à des publics souvent éloignés d’eux, le cinéaste activiste Thomas Lacoste ne cesse depuis des années de filmer des intellectuels critiques. Fondateur en 1994 de la revue Le Passant ordinaire, auteur en 2007 de L’Autre Campagne, décliné sous forme d’un livre et de films en ligne sur le site La Bande passante, il réitère son geste interventionniste, à contre-emploi dans la campagne électorale, en sortant un coffret de 9 DVD, Penser critique, qui se présente comme un “kit de survie éthique et politique pour situations de crise(s)”.

Quarante-sept films-entretiens réalisés ces dernières années avec des philosophes, sociologues, juristes, historiens dont les paroles respectives, lorsqu’on en rassemble les parties dispersées, forment un puissant laboratoire critique des dérives désespérantes du pouvoir et ouvrent des horizons “sur ce qui pourrait être une démocratie au XXIe siècle”. De Luc Boltanski à Etienne Balibar, de Robert Castel à Christophe Dejours, de Bernard Lahire à Monique Chemillier-Gendreau, de Pap Ndiaye à Robert Badinter… les visions de ces penseurs longuement interrogés nourrissent une boîte à idées et à concepts centrée sur quatre thématiques : travail, crise et luttes sociales ; enseignement et recherche ; des hommes et des frontières ; justice et libertés. En décalage avec le rythme accéléré de notre époque, où même les intellectuels doivent se plier aux règles d’une parole de plus en plus condensée au risque du vide de sens, Thomas Lacoste assume la durée et l’effort que convoque cet “objet visuel non identifié en ces temps de simplification médiatique”. Inspiré par “la reviviscence d’un genre ancien” – l’entretien “long

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“si les idéologies sont moins visibles, les idées continuent à informer, parfois secrètement, le réel” Michaël Fœssel

Etienne Balibar, Bernard Lahire, Luc Boltanski (en haut) ; Monique Chemillier-Gendreau, Pap Ndiaye, Robert Badinter

et empathique” –, le réalisateur creuse ainsi les questions très contemporaines du précariat, des nouvelles formes d’organisation du travail, des systèmes disciplinaires et de surveillance déployés contre les minorités ou du tournant sécuritaire. Cette manière de capter et incarner une pensée politique foisonnante traduit chez Thomas Lacoste la volonté de restituer et transmettre au grand public des idées critiques censées éclairer sous un ciel plus vif le paysage politique contemporain dont les échos médiatiques effacent trop souvent les vrais enjeux. De ce point de vue, le coffret Penser critique porte la trace d’une intervention politique et audiovisuelle magistrale, dont on espère qu’elle se prolongera au-delà de la campagne, malgré la disparition des rushes et documents à la suite d’un incendie en janvier dernier dans l’appartement de Thomas Lacoste (un appel à soutien a été lancé). En même temps que la sortie de cet objet audiovisuel subversif et pratique, la lecture du dernier numéro de la revue Esprit, dirigée par Olivier Mongin et Marc-Olivier Padis, permet de prolonger ce voyage au cœur de la pensée critique actuelle, en le recentrant sur le territoire de la philosophie. “Où en sont les philosophes ?” se demande le coordinateur du dossier Michaël Fœssel qui cherche, en belle compagnie (Frédéric Worms, Jean-François Kervégan, Pierre CassouNoguès, Fabienne Brugère, Guillaume Le Blanc…), à saisir ce qui “se joue dans le lien entre la société et la parole des philosophes”. En s’intéressant à une “géographie” (et non à l’histoire)

de la philosophie, la revue révèle l’absence de lieux centraux, autant que d’écoles ou de figures dominantes. Pour autant, souligne Foessel, “si les idéologies sont moins visibles, les idées continuent à informer, parfois secrètement, le réel”. En cherchant à “dévoiler et surtout mettre à l’épreuve les croyances et les savoirs qui irriguent le présent”, la philosophie remplit une tâche essentielle qui s’adresse à des publics dispersés (chercheurs, enseignants, grand public) qui en font des usages divers. Outre la question de la médiation entre la philosophie et ses publics, le dossier met à plat les multiples courants (métaphysique, phénoménologie, philosophie sociale, politique, analytique…) pour observer que rien de commun ne relie une épistémologie du vivant, une réflexion sur le biopouvoir ou une métaphysique de l’élan vital. Cette diversité des objets n’empêche pas quelques thématiques fédératrices de s’imposer aujourd’hui : le thème de la “vie” se substitue à l’idée de “sujet” ; la question de la démocratie fait son retour après deux décennies consacrées surtout à l’interprétation juridique de l’Etat de droit… Longtemps associée au travail de la pensée antitotalitaire et irriguée depuis dix ans par une nouvelle génération de penseurs, incarnée ici par Fœssel ou Worms, la revue Esprit éclaire les circuits qui composent un territoire complexe, fragile et éclaté pour mieux définir la demande actuelle de la philosophie : “traduire le présent en concepts pour arbitrer le conflit entre l’expertise et l’opinion”. Jean-Marie Durand Penser critique – Kit de survie éthique et politique pour situations de crise(s) à l’usage du plus grand nombre (9 DVD, 24 heures d’entretien, éditions Montparnasse, en coédition avec La Bande passante, 50 €). Une rétrospective des films de Thomas Lacoste a lieu au cinéma le Reflet Médicis, Paris Ve, du 19 mars au 23 avril, accompagnée de débats tous les lundis soirs Esprit “Où en sont les philosophes ?” (numéro de mars-avril 2012)

au poste

abécédaire du hip-hop Une série documentaire qui retrace trente ans de flow et de beats en France. Après avoir arpenté l’underground avec sa caméra pendant des années, Mr. Rocket livre enfin Smells Like Hip-Hop, une série documentaire, diffusée sur Canal Street, qui revient sur trente années de hip-hop à la française. Au menu, vingt-six thèmes pour vingt-six épisodes de 5 minutes qui labourent les terres du hip-hop hexagonal, de A comme Authentique à Z comme Zulu, en passant par le M de Marseille, le G de graffiti, le T de turntablism. Un survol tantôt didactique et tantôt pointu, à l’image de l’épisode H consacré à l’émission H.I.P-H.O.P. de Sidney, pour lequel le réalisateur est allé faire parler, outre l’animateur, d’illustres hommes de l’ombre qui révèlent les dessous de l’aventure. Mais le plus bluffant dans cette histoire reste la foi de ce B-boy incurable qui s’est cogné une bonne centaine d’interviews : Dee Nasty, Cut Killer, Solo, Jonone, DJ Fab, Bams, Busta Flex, EJM, Doudou Masta, Orelsan, Zoxea, J. R. Ewing, Akhenaton et quelques dizaines d’autres animent cette épopée en verbatim pur. Et même si le format ne permet pas d’entrer dans les débats internes à chaque discipline, à chaque thème, à chaque sujet abordé, la masse d’informations que charrie ce véritable dico du hip-hop en images et en sons fixe sur bande un beau pavé d’histoire culturelle. Une belle révision pleine d’éclats de voix pour ceux qui maîtrisent le sujet, une pure leçon de choses pour ceux qui n’y ont rien compris. Smells Like Hip-Hop (26 x 5 minutes), à partir du 24 mars sur canalstreet. canalplus.fr et à suivre sur lesinrocks.com Soirée de lancement le mercredi 14 mars au Rex Club (Paris) avec un line-up en forme d’artillerie lourde : Solo, 1995, Dee Nasty, DJ Pone, Triptik, DJ Faze Busta Flex. Get in, bitch !

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Patrick McGoohan dans Le Prisonnier

“les humains peuvent être repérés dans leur ‘texte’, leurs comportements, leurs intentions”

nous sommes tous des documents Spécialiste des sciences de l’information, Jean-Michel Salaün analyse comment la révolution du net transforme notre propre représentation.

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e web n’est pas qu’un média, c’est aussi un vaste lieu de documentation et d’archivage. La nouvelle bibliothèque globale. Pour l’auteur de Vu, lu, su, Jean-Michel Salaün, professeur à Normale sup Lyon, spécialiste en sciences de l’information, “le web s’insère entre la radiotélévision et la bibliothèque, comme la presse s’était insérée entre l’édition et le spectacle au XIXe siècle”. L’une des idées fortes de cet ouvrage théorique mais stimulant est de mettre en évidence une des révolutions épistémologiques accomplies par ce nouveau système d’information, né il y a à peine une vingtaine d’années. Elle a trait à notre rapport au texte et à l’image. Dans un paragraphe adéquatement intitulé “‘Je’ est un document”,

Jean-Marie Salaün explique comment le net entérine “la transformation de l’individu en document”, amorcée jadis avec la célébration des saints, les premières icônes et légendes, qui a abouti bien plus tard au star system hollywoodien. Avec le web, le phénomène s’est démocratisé : chacun peut désormais “avoir son quart d’heure de gloire comme l’annonçait Andy Warhol en 1968”. On n’est plus seulement un sujet, mais aussi un auteur et un objet. Selon Salaün, “blogs et réseaux sociaux nous obligent aujourd’hui à gérer notre identité numérique (…) et font de tout un chacun un auteur romantique au petit pied, virtuellement un document, en déplaçant les frontières entre les traces de notre vie privée et celles de notre vie publique”.

Sur Facebook, “les humains représentés par leur page personnelle deviennent eux-mêmes des documents qui peuvent être repérés, non seulement dans leur ‘forme’, c’est-à-dire leur identité et leurs caractéristiques, mais aussi dans leur ‘texte’, leurs comportements et intentions, ce qu’ils lisent et écrivent ou ce que les autres lisent et écrivent sur eux”. Un autre bouleversement lié au Net a tout simplement trait à la création artistique ou intellectuelle : “L’auteur inséparable de son œuvre laisse la première place au héraut, celui qui repère, relaie, commente pour une communauté de lecteurs les documents d’une bibliothèque numérique trop vaste et changeante pour être accessible à tous.” Le bloggeur est l’équivalent du “passeur” dont Serge Daney fit une figure

essentielle du cinéma. Cela fait voler en éclats la notion d’artiste démiurge, qui atteignit son apogée au milieu du XXe siècle. Idem pour la presse. Le néojournaliste est celui qui diffuse plutôt que celui qui rapporte. Le révélateur pirate façon WikiLeaks tend à supplanter le reporter romantique. On passe du journalisme d’investigation, dont le credo était l’objectivité, théorisé en 1920 par Walter Lippmann sur le modèle de la science positive, au journalisme de données. Ce n’est plus la vérité, ou du moins la véracité, qui devient l’enjeu, mais l’efficacité, qui peut être “obtenue par l’interaction des internautes à partir de données disponibles (…) On ne dira plus : C’est vrai, je l’ai lu dans le journal, mais plutôt : J’y crois parce que les autres y croient sur le web”. Nous sommes complètement entrés avec internet dans l’ère de la comparaison et de la référence, donc de la relativité. Il n’y a plus de vérité religieuse, mais une vérité circonstancielle. Bien sûr, par sa neutralité, qui a remplacé l’objectivité de la presse d’antan, le web “n’échappe évidemment pas aux pressions politiques et commerciales, aux manipulations de toutes sortes”. Mais c’est un autre problème. Vincent Ostria Vu, lu, su – Les architectes de l’information face à l’oligopole du web de Jean-Michel Salaün (La Découverte), 152 pages, 16 €

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hommes de paroles La télévision offre aux candidats en campagne le décor rêvé pour mettre en scène leur art du storytelling.

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ais pourquoi estil donc impossible d’interroger correctement en France un président ?”, se demandait le rédacteur en chef de Mediapart François Bonnet au lendemain de la prestation de Nicolas Sarkozy sur France 2 dans Des paroles et des actes présentée le 6 mars par David Pujadas. Si la ritournelle est aussi vieille que la Ve République elle-même, elle a trouvé avec l’actuel Président une vigueur nouvelle qui tient autant à l’habileté télévisuelle du prince qu’à une certaine désinvolture journalistique. Comment comprendre que pas une seule question ne fut posée à l’invité sur les affaires Karachi, Takieddine, Woerth, Bettencourt…, ou encore l’espionnage de journalistes sur ordre de l’Elysée ? Pour François Bonnet, ces messes télévisées, où se joue une bonne partie de la relation à l’opinion, restent trop “formatées, ronronnantes, conformistes et peu curieuses”, au point “de devenir la prison du sarkozysme”. Centrée sur le profil “psychologique” et le style du Président, au point d’occulter une grande partie des dossiers de fond (justice, éducation, libertés

publiques, réduction des inégalités, corruption, dette – certes un peu abordée par le journaliste économique François Lenglet…), l’émission a buté sur un pur effet de surface, que des “stars” installées de la politique (Fabius) ou du journalisme (Giesbert) échouèrent à contrecarrer. Peut-on alors attendre de ces émissions de campagne – Des paroles et des actes sur France 2, Parole de candidat sur TF1 – autre chose que la pure mise en scène par l’invité de sa propre “histoire”, ce que l’écrivain Christian Salmon a baptisé le “storytelling”, et sur lequel il revient dans un livre Ces histoires qui nous gouvernent – De Sarkozy à Obama ? A la fois metteur en scène et narrateur de soi, Nicolas Sarkozy a porté jusqu’à son accomplissement cet art de la “théâtrocratie”, “assemblage de fonctions théâtrales, symboliques, narratives, destinées à faire d’un acteur un président”. Avec Sarkozy, nous avons vécu “l’âge d’or du cabotin”, dont la télévision fut la scène primitive, faisant des Pujadas, Ferrari, Field et compagnie les complices obligés, en plus d’une grande partie des journalistes de la presse écrite, coupables selon

Daniel Schneidermann d’“aveuglement volontaire”, “de conformisme, de terreur et de servilité”… Par-delà la question de la pugnacité ou de la mollesse supposées des journalistes, le système de la grande émission télévisée s’insère dans ce dispositif général d’un “ordre narratif” qui veut que la vie politique, souligne Salmon, ne soit plus scandée par les débats parlementaires ou par un agenda politique, mais “obéit désormais à la politique de l’agenda”. Sarkozy l’a imposé durant cinq ans, il continuera de le faire durant les cinq prochaines semaines. Son nouveau “récit” (j’ai appris à être président, j’ai souffert, j’ai compris la détresse des Français…) semble déjà écrit. “Dire, c’est faire, ou plutôt c’est faire croire”, rappelle Salmon. La question reste de savoir si le “faire croire” de Sarkozy produira encore des effets sur l’opinion gavée de ces shows télé où rien d’important ne se dit autre que l’envie du candidat d’écrire un nouvel épisode de sa propre story. Jean-Marie Durand Ces histoires qui nous gouvernent de Christian Salmon (Jean-Claude Gawsewitch), 224 pages, 19 €) 14.03.2012 les inrockuptibles 113

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les ingénieurs en herbe conçoivent des projets délirants, entre arts, ingénierie de pointe ou sciences sociales

enquête

passe ton hack d’abord Les hackerspaces, lieux de rencontre où germent les idées nouvelles, séduisent universités et grandes écoles. Des champs d’expérimentation hors des sentiers battus.

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atos d’ingénierie, ordinateurs sous logiciels libres et machines à café… Les hackerspaces constituent les lieux de vie autogérés du mouvement hack. Des espaces dont les ancêtres sont les salles de jeux en réseau ou le glorieux Chaos Computer Club allemand. En moins de dix ans, ces ateliers ont fleuri sur la planète, réunissant sous l’étendard du make, learn, share (“faire, apprendre, partager”), une armée de bidouilleurs mordus de défis technologiques, informatiques ou biologiques. Dépassement créatif et contournement des limitations sont les autres buzzwords qui font vibrer des espaces voués au concret, des lieux de réflexion aux portes grandes ouvertes, à mille lieues des cocons exigus pour geeks pâlots, comme certains les imaginent. Les hackers ne manquent pas d’humour, et derrière la résolution de problématiques comme “Comment fabriquer de la bière ?, “Communiquer avec les femmes” ou “Comment fabriquer un Terminator ?”,

se cachent des initiations à la chimie, la psychologie ou la robotique. Laboratoires ouverts où le lien social se tisse sur le savoir, les hackers et hackerspaces expérimentent dans les limites légales imposées par leur pays d’accueil : les brevets industriels sont parfois chatouillés, jamais violés. Ainsi, certains labs ont déjà fabriqué des voitures électriques, des bateaux solaires ou un système d’éclairage alimenté par l’électricité contenue dans des citrons verts. Toutes ces structures de recherche ont leur propres règles. Parmi les dénominateurs communs, le do it yourself, l’indépendance (politique et financière) et le non-profit, ainsi qu’une volonté permanente de rendre poreuses les cloisons entre technologies, arts et citoyenneté. Oui aux pratiques industrielles, si elles sont ludiques et créatives. Ainsi, fin mai, l’équipe du hackerspace Tetalab s’acoquine au collectif Mix’Art Myrys, et propose le Toulouse Hacker Space Factory, qui allie performances vidéo, concerts et projets scientifiques. Enfin,

et surtout, ces creative spaces repensent les lois sur la propriété intellectuelle. Pour les hacktivistes, la créativité doit être maintenue en open source. Pas de copyright sur les bonnes idées dans les incubateurs dédiés au hack. Ici, on pratique le sharism, de share (“partager”) dont le message est simple : “The more you share, the more you get shared.” A Shanghai, Ricky Ng-Adam a démissionné de son poste d’ingénieur chez Google pour se consacrer à plein temps à Xinchejian, un des hackerspaces locaux : “Ici, chacun peut endosser la casquette de professeur ou d’élève, tout le monde apprend grâce aux autres.” Le programme est clair : “Acquérir un ensemble de compétences pour être capable de concevoir, créer et promouvoir des projets sérieux et ludiques.” Le fer à souder en main, chacun s’attelle au développement d’idées et d’initiatives, au bénéfice d’une communauté mondiale. A Boston, le MIT Media Lab a depuis longtemps initié le mouvement et est devenu un lieu culte de l’innovation dans le monde. Dans ce laboratoire mi-hackerspace, mi-salle de classe, les ingénieurs en herbe conçoivent des projets délirants qui oscillent entre arts, ingénierie de pointe, sciences sociales ou informatique. Cette plate-forme d’expérimentation permet aux différentes spécialités de se croiser, créant des dynamiques trop souvent absentes des parcours traditionnels. Suivant l’exemple du MIT, de plus en plus d’universités et de grandes écoles favorisent l’innovation dans leurs classes. En France, Sciences-Po a ouvert un MédiaLab où des chercheurs de tous bords travaillent de concert à des projets transversaux. Un des sujets de recherche porte sur la “cartographie des controverses”. En Chine, le projet Toyhouse cherche à ouvrir aux étudiants un espace d’échange libre pour leurs idées. “Un groupe d’étudiants en design s’est associé avec des ingénieurs pour créer un robot qui ramasse les ordures dans l’eau”, raconte fièrement Ben Koo, initiateur de ce projet, soutenu par l’Unesco. Porter haut et fort ses propres projets, faire face aux défis planétaires… le mouvement hack et ses émules posent les jalons d’une éducation nouvelle et redessinent d’autres chemins pour l’école. Clément Renaud et Théophile Pillault

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Romola Garai et Ben Whishaw

à la bonne heure Fifities, amour, politique, télévision… Grâce à The Hour et ses acteurs éblouissants, l’Angleterre aussi sait nous faire planer avec le passé.

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u’est-ce qui fait courir les séries anglaises ? La persistance de très bonnes nouvelles venues d’outre-Manche force à soulever cette question régulièrement, sans pouvoir identifier une réponse unique. Plutôt un point intéressant. Depuis au moins cinquante ans, du Prisonnier à Downton Abbey, une manière de considérer le petit écran, esthétiquement et moralement, a été inventée dans ce pays, donnant la preuve éclatante qu’un autre monde sériel est possible, au-delà des Etats-Unis. Malgré l’émergence récente des terres froides du Nord de l’Europe (Danemark, notamment, avec Borgen et The Killing), la BBC et ses concurrentes continuent inlassablement de produire des objets passionnants, tordus, nouveaux. Dans les derniers mois, Top Boy, The Shadow Line ou encore Inside Men ont beaucoup impressionné. The Hour fait partie de la même incroyable fournée. Dans le Londres encore obséquieux mais frémissant de 1956, on croise une bande de pionniers s’échinant à produire en direct une émission d’actualité hebdomadaire regardée par tout le pays – l’avenir pour eux, un genre de passé mythologique pour nous. La télévision des années 2010 regardant avec nostalgie

celle des fifties, voilà un beau point de départ mélancolique. Une crise internationale (le canal de Suez) et une tempête interne (un meurtre, le MI6) achèvent de donner le tournis à quelques personnages élégants et tourmentés : un jeune journaliste brillant mais frustré, un patron old school, ainsi que deux héros parfaitement beaux : un présentateur faussement benêt, une rédactrice en chef faussement blonde. Le ballet des soupçons et de l’amour se déploie lentement dans The Hour, qui installe une atmosphère ouatée et sexy au fil de six épisodes longs en bouche. Et pourquoi pas ? L’hystérie narrative est une invention plutôt récente, dont certains ont raison de ne pas tenir compte. L’ennui reste une notion relative, voire un peu trop dévaluée. Regarder une série est aussi un art de l’observation détachée : on note le léger fléchissement d’un visage sous le poids du stress, la couleur d’un bas qui plisse, la météo subtile des sentiments. On n’écoute pas tout et ce n’est jamais trop grave. Vue comme ça, The Hour offre un territoire de jeu immense et brille par son pouvoir hypnotique. Même le mystère central emberlificoté, limite paranoïaque, est marqué par un sens du style permanent. On décroche, on raccroche, le regard divague.

Faut-il y voir une pâle resucée de Mad Men ? Le premier qui pense ça ira au coin. S’il paraît normal d’évoquer la série de Matthew Weiner, qui a elle aussi débuté sa course dans le décor so chic des années 50, The Hour navigue dans un monde bien à elle. Un monde encore plus immédiatement érotique et charnel. Les acteurs n’y sont pas pour rien, ce qui suggère un début de réponse à notre question initiale quant au moteur des séries made in England. Quand le génial Dominic West (McNulty dans The Wire, mais c’est bien sûr !) joue au chat et à la souris avec la postado décoincée Romola Garai – découverte dans Dirty Dancing 2, mais ne le dites à personne –, que faire d’autre sinon attendre le moment où ils s’embrasseront à pleine bouche ? On peut bien sûr admirer l’acuité historique de The Hour, sa complexité narrative et ses enjeux politiques limpides, tout comme sa manière vraiment maligne de mêler l’intime et le collectif. Mais sa première puissance est celle de l’incarnation. Six heures d’effluves troublants et de secrets susurrés, voilà un plaisir à consommer sans modération. Olivier Joyard The Hour créée par Abi Morgan. A partir du 20 mars à 20 h 40 sur Orange Cinemax

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brèves HBO libérée C’est une petite révolution pour les amateurs de séries. Selon Satellifax, le bouquet Orange Cinéma Séries (OCS), propriété à 34 % de Canal+ depuis novembre, va sortir de l’exclusivité Orange pour être proposé aux abonnés de CanalSat dès le 5 avril, à partir de 12 euros les cinq chaînes ou en offre combinée. Les opérateurs câblés devraient suivre. Rappelons qu’OCS détient les droits français de la meilleure chaîne de séries du monde, HBO.

Terra Nova sur Netflix ? Après des mois de tergiversations inutiles, la Fox vient de se rendre à l’évidence : la série de dinosaures Terra Nova lui coûtait beaucoup trop cher pour être maintenue à l’antenne. Un immense échec financier et artistique qui pourrait néanmoins passer dans les mains de Netflix. La plate-forme de streaming s’est déclarée intéressée par une reprise de la série.

Marisol Nichols et Kristin Chenoweth

focus

mes mauvaises amies

Desperate Housewives se termine et la relève n’est pas assurée. La preuve avec GCB. e spectateur de 2012 a de quoi désespérer des séries grand public. Après une décennie de réussites exaltantes comme Dr House et Lost, le niveau baisse, comme le montre la dernière création de la chaîne ABC, pudiquement baptisée GCB. Trois lettres qui n’évoquent pas une nouvelle drogue Kaboul Kitchen de synthèse, mais regroupent les initiales confirmée ? du titre original, qui fut d’abord Good Une comédie française Christian Bitches avant de devenir Good vraiment drôle qui s’offre une Christian Belles, à la suite de protestations seconde saison ? Voilà une d’associations religieuses et féministes. raison suffisante d’ouvrir Pour faire court, il s’agit d’un genre de le champagne. Après un bilan Desperate Housewives chez les wasps. d’audience satisfaisant (un peu Une trentenaire, ex-reine du lycée, moins d’un million de fidèles retourne vivre chez sa mère à Dallas chaque semaine), Canal+ a après avoir perdu son mari et ses comptes commandé l’écriture de la suite en banque – on l’appellera Blonde n° 1. de Kaboul Kitchen, sans Elle retrouve ses anciennes camarades toutefois annoncer officiellement son renouvellement. (moins drôles que Mes meilleures amies) qui n’ont toujours pas digéré son succès auprès des garçons et son attitude hautaine en uniforme de cheerleader, il y a quinze ans. Dans le tas, Blonde n° 2, Le Prince de Bel-Air (AB1, le 14 mars interprétée par la sautillante Kristin à 19 h 35) Pourquoi avoir honte du début Chenoweth, cherche constamment des nineties où les sitcoms passaient en VF à lui nuire. Les unes et les autres n’ont et tout le monde était content ? Will Smith pas grandi depuis l’adolescence. était drôle, à l’époque du Prince de Bel-Air. Voilà pour les enjeux posés sans nuance dans le premier épisode. GCB aurait Wallander : enquêtes criminelles pu faire de la régression “adulescente” (M6, le 15 à 0 h 45) Cette série son sujet, mais elle n’en a sans doute pas policière suédoise du milieu des les capacités. N’est pas pop qui veut. années 2000 est constamment Reste un intérêt documentaire involontaire, rediffusée à des heures indues. qui rejoint cette thématique sans réussir Ici, la glaciale saison 1. à la cerner. La série offre en effet un étrange défilé de corps hollywoodiens Les Piliers de la terre (France 3, contemporains, à travers ses actrices le 18 à 20 h 35) Le gros pudding historique filmées comme des créatures sans âge, vaguement shakespearien est un classique regrettant leur jeunesse à coups de de la télévision mondiale. Par paquets de trois épisodes, c’est encore plus indigeste. larmes botoxées. O. J.

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émissions du 14 au 20 mars

Dénoncer sous l’Occupation

Hélène Fillières

Paris corsé Retour de Mafiosa. La série corse arrive dans la capitale. Profitera-t-elle de cette dérive dans le continent ?

Sdérot, seconde classe

e réalisateur des saisons 2 et 3 de Mafiosa, Eric Rochant, ayant quitté le navire pour revenir au long métrage, c’est le scénariste principal de la série, Pierre Leccia, qui a pris les rênes de la saison 4. D’entrée, deux éléments pimentent le retour de ce feuilleton policier aux accents shakespeariens : Hélène Fillières, qui joue le rôle principal, la chef de gang Sandra Paoli, est de plus en plus androgyne ; d’autre part, on assiste dans le premier épisode à un coup de théâtre logique, mais dramatiquement puissant. Paradoxalement, si le continental Eric Rochant avait insisté pour ancrer la saison 3 sur l’île de Beauté, Pierre Leccia, corse, emmène la quatrième vers la capitale. Le sous-titre de ces huit épisodes est explicite : “A Paris, les affaires se corsent”. D’où l’alternance Corse/continent qui dynamise cette mouture caractérisée par le retour en force de Sandra Paoli. L’action se concentre essentiellement autour des cercles de jeux dont le gang tente de s’emparer. Ce contexte nocturne et parisien n’est pas sans rappeler une foule de polars (de ceux de Jean-Pierre Melville à Une nuit avec Roschdy Zem). Excitant, mais risqué : la série pourrait se banaliser en se délocalisant. Jusqu’ici tout va (très) bien grâce à Hélène Fillières. Son jeu, sa personnalité et l’étrangeté de son personnage font tout le prix et la singularité de Mafiosa. Les femmes gagnent du terrain… Vincent Ostria

Documentaire d’Osvalde Lewat.Samedi 17 mars, 21 h 25, Ciné Cinéma Club

Mafiosa 4 Le lundi à 20 h 50, Canal+

Jérôme Provençal

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En Israël, une école de cinéma utopique et atypique. Après Une affaire de nègres, la documentariste camerounaise Osvalde Lewat a choisi de braquer son regard vers Sdérot, au sud d’Israël, tout près de la frontière avec Gaza. Dans cette ville à la population très mélangée se trouve une école de cinéma, baptisée Sapir et fondée sur des méthodes pédagogiques pas du tout orthodoxes, visant avant tout à favoriser la réflexion et le dialogue entre élèves et professeurs (l’un d’eux étant palestinien). Constitué en majorité de témoignages et de séquences enregistrées durant les cours, Sdérot, seconde classe met en lumière le caractère utopique de Sapir tout en incitant, sans didactisme appuyé, le spectateur à s’interroger sur la nature et le rôle des images.

Angela Rossi/Image & Compagnie/Canal+

Documentaire de David Korn-Brzoza. Mercredi 14 mars, 20 h 35, France 3

Les ravages de la délation durant la dernière guerre. Dynamique et esthétiquement réussi, ce doc en compétition au Fipa 2012, revient sur les heures les plus sombres d’une France collabo, loin de l’image de résistance qui fait la fierté nationale. La délation fut une arme dévastatrice durant l’Occupation mais aussi après la Libération avec, paradoxalement, de nombreuses dénonciations de délateurs. Trahir pour l’argent, par jalousie ou par haine, qu’importe : des centaines de lettres ont été envoyées aux Allemands ou à Vichy. Pour la première fois, des mouchards ajoutent leurs témoignages, à visage découvert, à ceux des victimes. Alexandra Caussard

Mes questions sur… La folie en prison Documentaire d’Alice Cohen et Serge Moati. Mardi 20 mars, France 5, 20h35

Quand la prison remplace l’hôpital psychiatrique. A Poitiers-Vivonne, Serge Moati part à la rencontre des détenus d’un des vingt-six services médico-psychologiques régionaux (SMPR) de France, qui prennent en charge les prisonniers souffrant de troubles psychiatrique. Malgré la présence dans ces services d’un corps médical compétent, force est de constater que la prison n’est pas l’endroit idéal pour les malades, qui représentent huit détenus sur dix. Face à l’absence de structures adaptées, la prison est devenue le nouvel asile, avec la bénédiction d’une société qui préfère enfermer ses malades loin des regards plutôt que de les soigner. A. C.

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Palestro, Algérie : histoires d’une embuscade Documentaire de Rémi Lainé. Mardi 20 mars, 22 h 40, Arte

Téléfilm de Caroline Huppert. Mardi 20 mars, 20h35, France 3

Une jeune Algérienne devenue un symbole de la lutte contre la torture. Djamila Boupacha (Hafsia Herzi) est accusée à tort d’avoir posé une bombe, désamorcée à temps, pour le compte du FLN ; maltraitée, battue, torturée par des soldats français, elle finit par confesser être l’auteur de l’attentat manqué. C’est là que la bataille politique et médiatique commence, menée par son avocate Gisèle Halimi (Marina Hands) et Simone de Beauvoir (Dominique Reymond), contre une justice partiale qui protège des militaires tortionnaires et un gouvernement prétendant garder le contrôle sur les événements qui ont lieu sur le sol algérien. La bataille judiciaire est âpre, tout comme celle de l’opinion publique, mobilisée par de grands intellectuels. A. C.

Walter Carvalho

La guerre d’Algérie vue par le prisme d’un de ses épisodes sanglants. Le 18 mai 1956, vingt militaires français furent massacrés dans une embuscade organisée par des maquisards du FLN à Palestro en Kabylie. Engagé depuis deux ans dans une guerre dont il ne soupçonnait pas encore la dureté à venir, le gouvernement français riposta par une répression sanglante dans la région (déplacements de populations, exécutions sommaires…). Rémi Lainé et l’historienne Raphaëlle Branche analysent cet événement clé de la guerre d’Algérie, à travers une magnifique enquête nourrie d’entretiens avec les acteurs français et algériens du drame. En restituant la logique de la violence dans le contexte de la culture coloniale, leur film éclaire magistralement, via une histoire particulière, l’histoire générale du conflit algérien. JMD

Pour Djamila

à la recherche de la splendeur perdue Portrait proustien du majordome d’une riche famille brésilienne. – dans la demeure familiale abandonnée ne sorte de contrechamp et dans le petit appartement du du cinéma de Walter Salles, majordome –, dont le réalisateur a fait célèbre réalisateur brésilien un patchwork, commenté par lui-même, qui a surtout filmé les classes en 2006. Il fait parfois succéder des prises pauvres et modestes. Réalisé par son frère similaires, arrête une image, couvre la voix cadet, João, documentariste et journaliste, du personnage. Une œuvre nostalgique ce film est consacré à Santiago, qui fut et réflexive d’une infinie beauté, à la fois le majordome argentin de leur famille, sur ce majordome raffiné et sur la mythique une des plus riches du Brésil. Evocation famille Salles. Minnelli et Ozu sont cités d’une splendeur passée, que Santiago, avec des extraits de leurs films, mais ce pétri d’histoire et de culture, compare documentaire rappelle surtout Proust. V. O. à celle des Médicis florentins. Le film, en noir et blanc, a la particularité d’être Santiago Documentaire de João Moreira Salles. Lundi 19 mars, 0 h 05, Arte constitué de rushes tournés en 1992

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in situ sur les traces de Scott Pilgrim A Toronto, des fans de Scott Pilgrim ont photographié les lieux emblématiques des exploits du héros de comics : ceux de la rencontre avec Ramona puis de leur rendez-vous, mais aussi de ses combats contre les ex-copains maléfiques. Pour créer son avatar façon Pilgrim,  : scottpilgrimthemovie.com/avatarCreator. imgur.com/a/4UkbN

fini le planking, place au stocking Le planking est passé de mode, place au stocking. La cible : les banques d’images en ligne, qui proposent le plus souvent des photos ultraretouchées, trop lisses et un peu ridicules. Ici, les internautes postent leur version de ces images ou les parodient carrément. Et ça a tout de suite l’air plus vrai. stockingisthenewplanking.com

et toi, combien tu gagnes ? En fonction du montant de votre salaire mensuel net, cet outil, mis en place par l’Observatoire des inégalités, vous révèle quel est le pourcentage de salariés français qui gagnent moins que vous. Sachant qu’environ 30 % ont un salaire inférieur à 1 380 euros, voilà qui permet de relativiser (ou pas). bit.ly/nPHdXB

Moby visite L. A. Le chanteur Moby s’intéresse maintenant à l’architecture. Il partage ses découvertes sur un blog consacré aux bâtiments bizarres, hors du commun ou, en tout cas, qu’il juge dignes d’intérêt à Los Angeles : des châteaux hollywoodiens aux bungalows de plage ou aux dômes géodésiques… mobylosangelesarchitecture.com

Une des maisons Frank Lloyd Wright

la revue du web BBC

Framablog

The Guardian

deviens businessman, écoute du rap

manifeste d’un digital native

autistes, rois du monde virtuel ?

Et si les paroles de chansons rap nous en apprenaient plus sur le business que les grandes écoles ? Et si 50 Cent, Jay-Z et Dr. Dre avaient remplacé les économistes comme maîtres à penser des hommes d’affaires ? L’idée n’est pas absurde : nombre de rappeurs ont constitué un véritable empire commercial, et pas seulement dans la musique. Et certains de leurs conseils sont des sentences que le business semble appliquer : sois ton propre patron, ne montre pas de faiblesse, travaille dur, etc. bbc.in/zaTsx2

On entend aujourd’hui souvent parler de génération Y et de digital natives. Mais qui se cache derrière ces termes ? Pour l’informaticien et bloggeur Piotr Czerski, né en 1981, il n’y pas de génération Y, mais des enfants du web pour qui internet n’est pas une nouveauté mais fait partie de la réalité. C’est ce qui les différencie des autres, c’est aussi ce qui fait qu’ils considèrent que le système est à revoir : notre démocratie est archaïque et nos vieux modèles économiques des absurdités. bit.ly/w7L1fH

Si l’utilisation de l’ordinateur et du net ne devient pas obsessionnelle, il se pourrait qu’elle ait des effets bénéfiques sur l’autisme. En favorisant notamment des interactions sans face-à-face et des échanges avec d’autres malades, internet permet de développer la sociabilité en amoindrissant l’aspect anxiogène du contact IRL. Et le rôle important de personnes autistes dans les milieux de la haute technologie (Nasa, informatique) pourrait même donner un autre visage de cette maladie. bit.ly/w4VbIT

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vu du net

L’hypersexualisation des enfants inquiète les autorités mais émoustille le net. e 21 février, le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) et le SPM (Syndicat de la presse magazine) signaient une charte (yhoo.it/xB6rJP) commandée par la ministre des Solidarités, Roselyne Bachelot. Son but : lutter contre l’hypersexualisation des enfants dans les médias (bit.ly/AaxNN3). Un rapport plus général lui a été remis le 5 mars par Chantal Jouanno, pour qui l’hypersexualisation est “la cause de la régression féminine” (bit.ly/zjAVDh) et développe des “conduites à risque”, comme l’anorexie (bit.ly/zVhbVR). Ce rapport propose d’interdire les concours de mini-miss, déjà dans le collimateur de la justice (bit.ly/xF8w2J). Il faut dire qu’ils se sont multipliés depuis la sortie du film Little Miss Sunshine en 2006, qui critiquait pourtant l’univers de ces concours (bit.ly/ll6Ru7). Aux Etats-



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Little Miss Sunshine (2006)

mini-miss, maxi-stress Unis, plusieurs parents sont accusés de maltraitance physique (bit.ly/zaFHCX) comme psychologique (bit.ly/xLENOV) : soumises à des régimes draconiens, dopées aux cocktails hyper-énergisants (bit.ly/wn9Bvh), nombreuses sont les fillettes baignant dans des rêves de gloire qui ne sont pas les leurs (bit.ly/zZ495q). La sexualisation des enfants passe en grande partie par l’industrie de la mode (bit.ly/w851lE). Aux Etats-Unis, la polémique enfle autour de la couverture de Vogue qui met en scène Thylane Loubry Blondeau, 10 ans, chaussée de talons vertigineux et habillée comme une poule de luxe (bit.ly/yjZqnC)… Le retour au port de l’uniforme, vieille obsession de la droite (bit.ly/wvcOxH), est envisagé pour mettre un frein à la surenchère des marques. Mais à l’heure où les lolitas hantent les rues et

les mangas (bit.ly/9Y3SW8), l’uniforme est devenu un fantasme (bit.ly/xaOvm4). De l’hypersexualisation à la pédophilie, la pente est glissante (bit.ly/nmcqEU) et la confusion règne parfois. En 2009, le Tate Modern de Londres avait dû décrocher une photo de Brooke Shields à 10 ans, nue et maquillée, pourtant parue dans les années 70 dans une publication de Playboy (bit.ly/2KZWlA)… Aujourd’hui, les petites filles, plus admiratives de Beyoncé (bit.ly/rZIlFb) et Nicki Minaj (bit.ly/qPrFYf) que de Simone de Beauvoir ou Aung San Suu Kyi, sont soumises à une pression médiatique permanente (bit.ly/zP6eIB) et instrumentalisées comme des femmes (bit.ly/xysGJS). Et c’est aussi aux parents de dire stop (bit.ly/A1dN1d). Alexandra Caussard

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livre Quel est Mon noM ? de Melvil Poupaud J’aime retrouver Melvil pour le filmer ou pour rigoler, ironique ou grave, libre. En le lisant, je le retrouve aussi.

Elena d’Andreï Zviaguintsev Les nouveaux riches et les nouveaux pauvres de la Russie libérale contemporaine saisis dans un film noir épuré.

Tim Burton – L’exposition Cinémathèque française, Paris XIIe Tout l’univers mi-gothique, mi-acidulé de l’auteur d’Edward aux mains d’argent.

Fengming, chronique d’une femme chinoise de Wang Bing Le témoignage d’une militante et martyre chinoise au soir de sa vie.

Oslo, 31 août de Joachim Trier Une journée dans la vie d’un jeune toxico sortant de rehab. Par un cinéaste inspiré par Joy Division.

Soko I Thought I Was an Alien Une collection de beautés folk enfantines et monstrueuses.

Jean-Philippe Toussaint L’Urgence et la Patience Un livre sur la genèse de son écriture. A découvrir aussi, son exposition au Louvre et un ouvrage sur ses influences visuelles.

Melancholia de Lars von Trier Un trait de l’époque, c’est qu’il n’y a plus de réels navets, ni de réels chefs-d’œuvre. A 17 ans, je voyais un chef-d’œuvre par mois et il y avait aussi des nanars. Maintenant, on voit une qualité moyenne globale. Melancholia m’a redonné le sentiment du très grand film. Ce film sur notre monde finissant justifie le cinéma car seul le cinéma peut produire ça.

film (2) Fear Thy Not de Sophie Sherman J’ai parrainé des étudiants en cinéma du Fresnoy et j’ai vu ce film d’à peine trois minutes, réalisé avec un mobile par une étudiante de 22 ans, qui m’a stupéfait ! J’avais la chair de poule. recueilli par Serge Kaganski

Gerhard Kassner/Berlinale

film (1)

Benoît Jacquot Son nouveau film, Les Adieux à la reine, avec Léa Seydoux, Diane Kruger et Virginie Ledoyen, sort le 21 mars.

Revolver Let Go Un album puissant où la pop de chambre côtoie désormais les batteries et l’indie-rock.

The Ting Tings Sounds from Nowheresville Un album éclectique, très bien foutu et conçu comme une playlist.

Liz Green O, Devotion! Malaxé, concassé, détourné, le folk de cette Anglaise est l’une des beautés les plus biscornues de ce début d’année.

L’Exercice de l’Etat de Pierre Schœller. Ce film majeur fait écho à la campagne présidentielle. Le Soulier de satin de Manoel de Oliveira. Claudel adapté par le grand cinéste portugais. L’Apollonide de Bertrand Bonello. Un théâtre labyrinthique du désir.

Pierre Alferi Kiwi Un roman fleur bleue et expérimental pour dire la solitude d’une jeune femme.

Valérie Mréjen Forêt noire Un conte très sombre, peuplé de fantômes et de questions sans réponses.

Claude Lanzmann La Tombe du divin plongeur Articles, portraits et récits : les diverses facettes d’un homme aux cent vies.

Lone Sloane : Délirius 2 de Philippe Druillet Parangon d’anticonformisme, de puissance et de démesure.

La Vie avec Mister Dangerous de Paul Hornschemeier Les errements d’une jeune Américaine racontés avec pudeur et enchantement.

Monogatari d’Alexandre Akirakuma Alexandre Akirakuma, alias Alex Langlois, relit le récit médiéval nippon avec maestria.

Salves chorégraphie Maguy Marin Maillon/Pôle Sud, Strasbourg (67) Fragmenté comme un explosif, ce spectacle vous prend et vous porte très loin.

Contes africains d’après Shakespeare mise en scène Krzysztof Warlikowski Théâtre national de Chaillot, Paris Un cut up de textes classiques et contemporains qui réunit l’Afrique et Shakespeare.

Einstein on the Beach par Bob Wilson, Philip Glass et Lucinda Childs Opéra BerliozLe Corum, Montpellier (34) La nouvelle tournée mondiale de l’opéra de Bob Wilson, créé en 1976 à Avignon.

Livret IV Musée départemental d’Art contemporain de Rochechouart (87) Dix-sept artistes invités par Irmavep Club discutent avec la collection du musée.

LE SILENCE Une fiction Musée national de Monaco L’évocation tout en finesse d’un monde sans l’homme.

The Deer Consortium de Dijon (21) Une expo signée Eric Troncy qui fait la part belle à la peinture et qui jouit de ce qui reste de beauté crue et nue à l’époque du capitalisme financier.

Les Royaumes d’Amalur – Reckoning sur PS3, Xbox 360 et PC Une variation du jeu de rôle simple mais séduisante.

Resident Evil – Revelations sur 3DS Nouveau volet musclé et attachant de la saga d’épouvante.

The Last Story sur Wii Le créateur du mythique Final Fantasy de 1987 revient avec un jeu médiéval facétieux.

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