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WikiLeaks 

Banksy

fait le mur à Paris

Apple le cote obscur

M 01154 - 785 - F: 2,50 €

08 COUV 785 def prix 2,50 13

Allemagne 3,40 € - Belgique 2,90 € - Canada 5,20 CAD - DOM/A 3,90 € - Espagne 3 € - Grèce 3,30 € - Italie 3,30 € - Liban 8500 LBP - Luxembourg 2,90 € - Maurice Ile 5,50 € - Portugal 3,30 € - Suède 40 SEK - Suisse 5 CHF - TOM 700 CFP

No.785 du 15 au 21 décembre 2010

au nouve

2.50€

Albert Londres 2.0

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j’ai contemplé un Delacroix avec

Philippe Collin



n traversant le hall sous la pyramide du Louvre pour rejoindre les salles de peinture française, Philippe Collin écarquille ses yeux enjoués par le plaisir d’investir un lieu éloigné de ses préoccupations habituelles. “Je me sens bien ici”, avoue-t-il, légèrement coupable de faire faux bond à sa pyramide à lui, la Maison ronde. Depuis qu’il a repris, il y a trois mois, l’animation des fins de journée sur France Inter, il n’a le temps de rien en dehors de la préparation de son émission quotidienne, le 5/7 Boulevard qui dépote à l’heure du sunset. La radio l’absorbe entièrement, y compris dans ses déplacements qui se résument à un axe dominant Maison de la radio-maison dodo. Entre les deux repères de sa vie de moine-soldat du son, il s’autorise cet arrêt de bus au musée du Louvre. Un territoire d’aventure psychique, où la parole devient mentale, où le silence règne enfin. Cette transgression à son engagement radiophonique (“je reste au boulot jusqu’à 23 heures tous les soirs”) le conduit dans les salles de la peinture française du XIXe siècle, dans les salons grandiloquents Napoléon III. Face à un Delacroix ou à un David, les fracas sonores s’effacent aussitôt de sa tête bien pleine, vidée par cet exercice de contemplation gratuite. “Depuis que je suis parti de Brest pour rejoindre Paris, à l’âge de 20 ans, j’ai toujours fréquenté le Louvre, c’est un lieu qui m’apaise.” Le temps d’un instant, jamais trop long quand même, il ne parle plus, ne fait plus le malin, laisse son esprit par trop agité divaguer : il regarde, ébahi, sans auditeurs, sans Jean-Luc Hees et Philippe Val en embuscade. Juste tranquille, suspendu au-dessus du réel, de la concurrence avec son ex-collègue parti sur Europe 1, Nicolas Demorand, qu’au dernier sondage Médiamétrie il devance avec son 1,3 million d’auditeurs cumulés. Une performance que lui-même juge “étonnante”, mais qui a scotché surtout ses patrons, sidérés du carton de la carte Collin, lancée en pleine panique générale estivale alors que Demorand venait d’annoncer son départ, laissant en plan le créneau stratégique du 17-19 heures. La direction d’Inter n’avait guère que lui sous la main pour boucher le trou. Pari fou, pari relevé haut la main par un iconoclaste devenu icône.

depuis que je suis parti de Brest pour Paris, j’ai toujours fréquenté le Louvre, c’est un lieu qui m’apaise

“Archi loufoque et totale foutraque”, son émission Panique au Mangin Palace, créée sur Inter en 2005, avait inventé une écriture radiophonique pop et contemporaine, légère et dense à la fois, fusionnant le groove de Radio Nova et le fond de France Culture. Son 5/7 Boulevard se nourrit entièrement de l’esprit Panique au Mangin Palace. On y retrouve le même souci du mix, du mélange des genres, qui en fait un territoire à part sur la bande FM. Les chroniques hilarantes – celles de Frédéric Pommier, en particulier – se mêlent à une couche plus “classique” – des entretiens approfondis avec des universitaires pointus. Sensible “au rythme de l’émission, à sa mécanique, à la nécessité de tout sculpter, y compris les virgules entre chaque chronique”, Philippe Collin revendique le goût de “la radio écrite”, apprise auprès de Gérard Lefort et Frédéric Bonnaud avec lesquels il fit ses premières armes. Perfectionniste, obsessionnel, Collin mange-t-il du cheval pour cravacher ainsi, au galop permanent ? Pour autant, la haie qu’il vient de sauter en s’imposant sur le créneau historique du 17-19 heures ne le prémunit pas contre l’anxiété et la peur du lendemain. Conscient de la fragilité de son dispositif et des exigences des auditeurs d’Inter, il s’apprête à occuper l’antenne jusqu’en juin prochain, sans s’arrêter, même à Noël. “On a besoin d’installer l’émission sur la durée, aucun temps mort n’est permis”, assure-t-il. Son équipe – huit trentenaires fidèles, dont son acolyte Xavier Mauduit et son réalisateur Henri-Marc Mutel – l’accompagne à la manière d’une bande de guerriers qui vit à la colle. Au Louvre, il est comme Belphégor, un fantôme qui rôde, obsédé par son sacerdoce : la radio, son antre, son boulevard de la vie. Jean-Marie Durand photo Pierre Le Bruchec 5/7 Boulevard sur France Inter, 17-19 heures

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No.785 du 15 au 21 décembre 2010 couverture par Lilian Joly, graphiste 3D

03 quoi encore ? Philippe Collin

08 on discute courrier + édito de Bernard Zekri

10 sept jours chrono le paperblog de la rédaction

14 événement le nouveau visage de WikiLeaks

16 événement pétition pour l’écrivain Régis Jauffret

17 événement 18 la courbe ça va, ça vient. Le billet dur

20 nouvelle tête Le Peuple qui manque

Emmanuel Pierrot

L’Idéal Club, pour rire jusqu’en 2011

30

22 ici la France prête à extrader un couple d’Allemands trente ans après les faits

24 ailleurs en Angleterre, le tube officiel de Noël contesté par du silence misez sur le succès des films

28 à la loupe Silvio et Vladimir, amis pour la vie

Nacerdine Zebar/Gamma

26 parts de marché

43

30 Apple, le côté obscur enquête sur une société verrouillée par Steve Jobs, visionnaire et control freak

43 Hollande-Algérie le premier visite la seconde

52

45 que le meilleur perde les politiques en quête de défaites

47 presse citron revue d’info acide

48 contre-attaque les bidonvilles inspirent les urbanistes et la crise, dans tout ça ?

58

50 débats d’idées fracture sociale, le retour

52 la folie Banksy

60

le street artist expose à Londres et sort un film en forme de farce

Steve Gullick

49 propagenda

58 pas de Noel pour Gallagher entretien avec Liam avant la sortie d’un “fooking” nouvel album sans son frère

60 l’Irlande sacrifie ses chevaux 64 Jean-François Copé le G.I. Joe de l’UMP en route pour 2017

Deirdre Keaney

les autres victimes de la crise

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68 Le Président d’Yves Jeuland

70 sorties Sous toi, la ville ; Un balcon sur la mer ; The Tourist ; Megamind…

76 Chaplin rare premiers courts et scénario inédit

78 Epic Mickey + Need for Speed – Hot Pursuit

80 Lennon à nu les demos originales de Double Fantasy

82 mur du son festival Mo’Fo, Mercury Rev, Mark Ronson, Amadou & Mariam…

83 chroniques These New Puritans, Tom Zé, Gals Rock, Stereolab, Nathaniel Rateliff, Kisses…

90 morceaux choisis Baden Baden…

92 concerts + aftershow Europavox

94 l’insurrection en tweed vade-mecum du mouvement chap

96 chroniques romans/essais Richard Russo, Sándor Márai…

98 tendance c’est Noël !

100 agenda les rendez-vous littéraires

102 bd Dash Shaw mixe SF, drogue et campus

104 Patrice Chéreau is back + Claude Régy + Etienne Pommeret

106 les poupées de Denis Savary + festival Art, film, politique

108 semaine critique de la mode revue en six points

110 la télé et les artistes le “vieux” média fascine toujours

112 le théâtre et la télé deux nouvelles émissions sur la scène

114 le rap a mauvaise presse les journaux spécialisés disparaissent

116 séries Boardwalk Empire bouge encore

118 télévision cinquante ans d’OuLiPo

120 la revue du web décryptage

121 vu du net tous mécènes

122 best-of

les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail : [email protected] ou [email protected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34 rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JD Beauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, Francis Dordor, Guillemette Faure, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-Baptiste Morain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot collaborateurs D. André, E. Barnett, T. Blondeau, P. Blouin, M.-A. Burnier, H. de la Vallée, M. Despratx, M. Duggan, J.-B. Dupin, P. Dupont, I. Foucrier, J. Goldberg, A. Guirkinger, S. Gullick, E. Higuinen, O. Joyard, B. Juffin, D. Keaney, S. Lagoutte, L. Laporte, C. Larrède, P. Le Bruchec, N. Lecoq, T. Legrand, H. Le Tanneur, G. Lombart, A. Marcireau, L. Mercadet, B. Mialot, V. Ostria, Y. Perreau, E. Philippe, E. Pierrot, T. Pietrois-Chabassier, T. Pillault, J. Provençal, A. Ropert, P. Sourd, P. Thévenin, F. Verdier, A. Vicente, R. Waks lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Mathilde Dupeux, Clara Tellier-Savary graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem cqfd.com responsable Ondine Benetier animation Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis, Caroline de Greef, Aurélie Derhee photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Amélie Modenese, Caroline Fleur, Céline Benne, Caroline Six conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Mathieu Gelézeau, Leily Eslampour, Camille Roy, Nicolas Jan stagiaire Jérémy Couet publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Catherine Sedillière tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél. 01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Dorothée Malinvaud tél. 01 42 44 19 91 fax 01 42 44 16 67 publicité commerciale, directrice Sarah Roberty tél. 01 42 44 19 98 directeur de clientèle Laurent Cantin tél. 01 42 44 19 94 chef de publicité Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 16 69 coordinatrice Olivia Blampey tél. 01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél. 01 42 44 16 08 marketing, promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/relations publiques Elisabeth Laborde tél. 01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 service des ventes Agence A.M.E. contact : Otto Borscha ([email protected]) & Terry Mattard ([email protected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19, infos au 01 44 84 80 34 ou [email protected] abonnement france 46 numéros : 98 € standard, accueil ([email protected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Valérie Imbert fabrication chef de fabrication Virgile Dalier impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 211 058,91 € 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général Louis Dreyfus directeurs généraux adjoints Stéphane Laugier, François Rossignol attachée de direction Charlotte Brochard directeur administratif et financier Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, Louis Dreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, Serge Kaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOe trimestre 2010 directeur de la publication Louis Dreyfus © les inrockuptibles 2010 tous droits de reproduction réservés

le meilleur des dernières semaines

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l’édito

les droits de l’homme : une invention de l’Occident… La Chine n’admet pas qu’un dissident, Liu Xiaobo, puisse recevoir le prix Nobel de la paix. Non seulement elle le conserve en prison, non seulement elle menace les pays qui se rendent à la cérémonie mais elle poursuit tant et plus tout ce qui pourrait ressembler à un démocrate. Zhang Zuhua, co-auteur avec Liu Xiaobo de la Charte 08, se retrouve transporté hors de Pékin ; la militante Wang Lihong se voit contrainte de couper son portable et son ordinateur ; la poétesse tibétaine Woeser et l’écrivain Wang Lixiong, son mari, sont assignés à résidence. La police cherche à fermer l’ONG Aizhixing qui lutte contre le sida et harcèle ses responsables. Bien d’autres dissidents sont déja en prison. Comment justifier pareille répression ? Voici la réponse des dictateurs de Pékin : les droits de l’homme n’ont rien d’universel, les droits de l’homme sont une invention de l’Occident. Qu’est-ce que cela signifie ? Que lorsqu’en prison, on tord les couilles d’un Chinois, celui-ci souffre moins qu’un Français ? Qu’un Tibétain supporte mieux une balle dans la nuque qu’un Américain ? Qu’un génocide au Soudan s’avère moins tragique qu’un assassinat à Marseille ? Que les démocraties ont tort de soumettre leurs investissements en Afrique à des accords de bonne gouvernance et que les despotes du continent peuvent sans risque continuer à barboter dans la concussion ? Qu’on peut sans problème tricher aux élections en Iran, en Birmanie, en Côte d’Ivoire, en Haïti comme en Chine ? Admettre cette théorie, c’est sous-entendre que les hommes et les femmes du tiers-monde n’appartiennent pas à la même race que les Occidentaux, qu’ils ont la peau moins sensible, qu’ils restent incapables de se gouverner euxmêmes, qu’ils sont malhonnêtes par nature et qu’à tout prendre, leur mort est une tout autre mort que la nôtre. Chers dictateurs chinois, cela s’appelle tout simplement du racisme. A l’envers, direz-vous ? Mais le racisme, cela marche, hélas, dans les deux sens.

Bernard Zekri

Je tiens à vous remercier très très chaleureusement pour votre réaction aux derniers égarements de Depardieu (…) plus gros beauf de France. A croire que l’abus d’alcool rend complètement con. Il va falloir que je fasse gaffe. Sébastien

Cantona déplacé

Cantona défendu

Cantona en Robin des Bois, c’est assez pathétique, même si finalement son coup de gueule aura sans doute servi à mettre en exergue le ressentiment envers les banques. Mais que les stars comme lui qui ont bénéficié et bénéficient toujours de tous les excès du système se mettent à jouer les redresseurs de torts, c’est juste déplacé.

Moi, j’aime toujours ce gars, et dans sa vidéo, il ne faisait que discuter à propos d’une façon de faire la révolution ; on lui demande, il donne son point de vue, ce n’est pas lui qui a essayé de rassembler tout le monde pour le mouvement du 7 décembre… C’est sûr qu’il s’est empâté, mais bon ça reste un être humain (malgré le légendaire “I’m not a man, I’m Cantona”)…

2fast, lu sur lesinrocks.com

Mrjuls, lu sur lesinrocks.com

Noir Désir séparé C’était foutu d’avance. Comment pouvaient-ils ne pas parler du drame, comme un éléphant dans le salon ? Continuer à cracher ses tripes de façon authentique sans parler des vraies choses ? Comment continuer à parler de l’état du monde, avec quelle autorité, comme si l’intime n’existait plus ? Comment parler du drame sans avoir l’air de se justifier ou de s’autoflageller ? Comment en parler sans repartir dans les procès ? Partout, les portes de sortie étaient condamnées. (…) Unholy Ghost, lu sur lesinrocks.com

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7 jours chrono le paperblog de la rédaction l’Etat de zizanie Le garde des Sceaux recadre le ministre de l’Intérieur. Michel Mercier vs Hortefeux. Vendredi, après son dérapage en pleine neige du mercredi, et peut-être pour le faire oublier, Hortefeux approuve une manif de flics contre une décision de justice, véhicules de service et sirènes devant le tribunal de Bobigny, “scandalisés” par la condamnation de sept collègues à des peines de six mois à un an ferme pour violences et fausses accusations contre un automobiliste. Hortefeux défend ses flics, Mercier ses juges, chacun ses troupes. Que va siffler monsieur l’arbitre ?

le mot

Francis le Gaucher

Il neige sur Paris ? C’est la galère, répètent les médias. Une grève bloque les trains et les métros ? C’est toujours la galère. Le substantif a même donné un verbe, “galérer”, vers la fin des années 1960 : votre copain galère à son boulot tout comme votre sœur avec son mari. Quel rapport entre ces activités terrestres et celles, maritimes, des birèmes et des trirèmes de l’Antiquité, des vaisseaux barbaresques ou de Louis XIV ? Un seul : le mot ne se rapporte pas au navire mais à l’affreuse situation des galériens. “Je galère” veut dire “je rame” au sens propre comme au sens figuré. Mais à force de s’appliquer à tout, de la neige aux amours tumultueuses de votre beau-frère, le mot a perdu ses couleurs : l’heureuse image n’est plus qu’un cliché fané. Normal : à trop gaver une métaphore, son sens finit par exploser.

Pierre Verdy/AFP

[galère]

Des policiers en colère devant le tribunal de Bobigny

à fond Une Jaguar défonce des barrières métalliques et plie un radar de la police : grosse frayeur sur le front de mer mardi à Brighton. Surtout quand le chauffeur sort de l’épave : Nick Cave. nom de Deus ! Dans Anvers figé par la neige, le groupe Deus nous reçoit dans sa maison/studio. Les Belges finissent d’y enregistrer le turbulent Keep You Close en compagnie du producteur David Bottrill (qui a déjà produit Deus, Muse et Placebo). Effusion de cordes, chant apaisé, guitares simplifiées : le groupe de Tom Barman a gagné en volupté et rien perdu en percussion. Parmi les sept titres entendus, on repère des hymnes fatals pour les festivals à venir. touche pas à mon lap dance A Hackney, dans l’East London, le révérend Paul Turp se bat pour la survie des bars de lap dance dans sa paroisse. Le conseil municipal d’Hackney veut promulguer une loi qui interdirait l’ouverture de clubs coquins et ne renouvellerait pas la licence de ceux qui existent déjà. Quatre cents emplois sont menacés. Turp, qui refuse ce “nouvel ordre moral”, ajoute : “Le conseil ferait mieux de s’atteler aux problèmes sociaux de notre communauté plutôt que de s’acharner sur les clubs de lap dance.”

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l’image deux Suédoises montent un plan

Avec ces demoiselles, on va de “surprise” en surprise.

le pénis d’Hollywood L’actrice Helen Mirren a tapé du poing sur la table lors d’un gala d’actrices à Beverly Hills : ras-le-bol du sexisme ambiant et du peu de place accordé aux femmes par Hollywood, selon elle “fasciné par les mâles de 18 à 25 ans et par leur pénis”. tout bonus Il existe en France un écrivain qui fait du Tarantino/ Coen Bros, en français dans le texte, et peu de monde le sait. Cette perle, c’est Laurent Chalumeau, ex-plume vedette de Rock & Folk et de Canal+. Quatrième volet d’une série de polars situés sur la Côte d’Azur, Bonus (Grasset) noue une intrigue aux petits oignons, avec suspense et marrade. Un portrait en coupe de la France avec juges d’instruction, sans-papiers, parachutes dorés et paradis fiscaux. Beth de scène “Putain, laissez-moi m’asseoir, je viens de jouer en première partie…” Jeudi 9 à Bercy, tempête dans le carré VIP : Andy Butler de Hercules And Love Affair a le plus grand mal à convaincre le vigile, mais finit par obtenir gain de cause. Les lumières s’éteignent. Magnifique dans une robe noir et argent lamé, Beth Ditto, très en voix, fait lever la salle dès les premières mesures de Standing in the Way of Control. La suite, en apesanteur : tubes, reprises sublimes (Heartbeats de The Knife). Beth finit a capella, tient 18 000 personnes par le seul souffle de sa voix. Plus tard, tout le monde file au Toro, bar du centre de Paris, écouter les DJ sets de Nathan, le guitariste, et d’Andy Butler, torse nu et désormais décontracté. viril Et le gagnant est… Raymond Depardon. Photographe de la France régionaliste (passéiste ?), comme il le démontre dans son expo à la Bibliothèque nationale, élu le mardi 7 “personnalité culturelle de l’année” par Radio France. Problème : Depardon faisait partie d’une short-list exclusivement masculine dans laquelle figuraient le directeur du nouveau Centre Pompidou-Metz, Michel Houellebecq, Pierre Bergé, Jean Nouvel et Karl Lagerfeld. Le collectif féministe La Barbe avait appelé à un rassemblement devant la Maison de la radio pour fêter le “viril lauréat 2010”. Platini dans “So Foot” Il a des trucs à dire. “Aujourd’hui, si tu ne chantes pas La Marseillaise, c’est que tu n’aimes pas la France. Moi La Marseillaise, je ne l’ai jamais chantée, et pourtant j’aime la France. (…) Les onze en face de nous, sur le terrain, ils ne viennent pas égorger nos fils et nos compagnes, ils veulent juste nous prendre le ballon.”

Troublantes, les deux Suédoises qui accusent Julian Assange de “sexe par surprise” c’est-à-dire, en droit suédois, de viol. La surprise ? Un préservatif qui cède, une proposition coquine (fellation, sodomie), tout cela relève du crime d’après le chapitre 6 du code pénal suédois. Troublantes encore, ces rumeurs sur des liens entre les belles et la CIA. Plus que des rumeurs : à force de creuser, les curieux ont trouvé du pétrole. En français, consulter le site legrandsoir. info, à la date du 8 décembre. Un thriller noir et rose. L’une serait impliquée dans le militantisme anti-castriste, avec connexions criminelles. L’autre (26 ans), apprentie photographe, lui a succédé dans le lit de Julian, lors d’une conférence organisée le 15 août dernier par le Parti social-démocrate suédois. Puis elles se sont rencontrées, elles ont discuté… Mais pourquoi, quarante-huit heures après le “viol”, organiser une teuf en l’honneur de leur bourreau ? Des révélations dignes de… WikiLeaks.

Paul Hanna/Reuters

Helen Mirren dans Red

Devant l’ambassade de Grande-Bretagne à Madrid

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syndrome Pinault

Bertrand Langlois

Didier Barroso

le moment

Jean- Lou réconforte Fadela

un dîner presque parfait Borloo ratisse large pour fêter sa “liberté de pensée et de parole” retrouvée.

Syco

Candidat cocu à Matignon, Jean-Lou Borloo a convié 800 personnes à un dîner républicain pour fêter ça. Jean-Lou accueille ses convives sous les flashes. Il époussette ses pellicules, se gratte le nez, tripote son alliance. C’est la descente des marches : d’abord les saqués, comme lui. Rama Yade, Jean-Marie Bockel, bisous bisous, clic clic. Accolade d’une Fadela Amara tout sourire, sous les claps des fans. Dominique Sopo et Valérie Létard bras dessus bras dessous. Clic. Clic. Caroline Fourest. Clic. Suivant. Maud Fontenoy, la navigatrice. Mais aussi : Bernard Tapie, Gérard Larcher, Laurence Parisot, Henri Guaino et Alain Bauer, deux proches de Sarko. En chiens de garde, Dominique Paillé, Patrick Ollier et Xavier Bertrand répètent “qu’il n’ira pas”, malgré ses sorties du gouvernement et de la vice-présidence de l’UMP. A l’autre bout, Jean-Christophe Lagarde dit l’inverse : “Pourquoi ferait-il cette démarche, si ce n’est pour fédérer ses troupes, rassembler son camp et aller de l’avant ?” A gauche : Montebourg a posé un lapin. Un serveur retire discrétos le carton de Kouchner. Chevènement s’éclipsera après le discours. Seule info, Jean-Lou utilisera pleinement sa “liberté de pensée et de parole”. Il a commencé en fustigeant les “conservateurs bien coiffés”, aka François Fillon. Hou, méchant.

En 2005, Pinault abandonnait l’île Seguin pour installer sa collection à Venise. Au tour du galeriste Yvon Lambert. Implantée depuis 2000 en Avignon, sa collection compte près de 400 œuvres dont des chefs-d’œuvre signés Andres Serrano, Cy Twombly, Douglas Gordon et Sol Yvon Lambert va-t-il LeWitt. Alors qu’il lâcher la cité des Papes s’apprête à inaugurer l’expo (second degré ?) Je crois aux miracles, il dit envisager de reprendre son bien suite à sa gestion catastrophique par la ville. rire de crise Une nouvelle génération émerge. De Ben au Comte de Bouderbala, de Mathieu Madénian à Alex Lutz, la scène du rire explose. Le petit nouveau en vue s’appelle Arnaud Ducret. Son spectacle Pareil… mais en mieux réchauffe le Petit Palais des Glaces à Paris. Il incarne une dizaine de personnages ébouriffants : un prof de karaté, le pote de Rouen à l’accent normand, un night-clubber bourré et pénible. Régis Mailhot, lui, joue sur le registre du commentaire acide de l’actualité, il sera au Casino de Paris les 27 et 28 décembre. Gorillaz Père Noël Damon Albarn tient ses promesses : Gorillaz, le groupe qu’il forme avec son ami dessinateur Jamie Hewlett, publiera un album inédit le jour de Noël à télécharger à l’œil. Enregistré sur son iPad, la chose apparaîtra via une première vidéo en ligne le jour du réveillon, puis en intégralité le lendemain. Susan Boyle au top La chanteuse, qui arbore maintenant un look Ségolène période fra-ter-ni-té, règne sur les charts US depuis un mois avec son album The Gift. Seul Kanye West fin novembre a réussi à l’en déloger pendant une semaine. Rien qu’aux States, Queen Boyle vend 300 000 albums par semaine. L. M., B. Z., avec la rédaction

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Albert Londres 2.0 ? Paul Hackett/Reuters

Nouveau visage public de WikiLeaks depuis l’arrestation de son fondateur, le journaliste islandais Kristinn Hrafnsson, plusieurs fois primé, a fait le choix de s’engager aux côtés de Julian Assange, qu’il a aussi conseillé. Et si ce journaliste mutant incarnait la presse d’investigation du futur ?

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ondres. Octobre dernier. Devant des centaines de journalistes conviés à une conférence de presse, Julian Assange se livre à une présentation monocorde et glaçante des révélations du jour publiées par WikiLeaks : près de 400 000 documents militaires secrets détaillant des opérations militaires américaines en Irak (les fameux “Iraq logs”). Dans la salle de réunion de cet hôtel londonien, à ses côtés, un homme d’une quarantaine d’années, costume noir, cheveux gris coupés courts et regard bleu sombre, faux air de Daniel Craig version nordique, détaille à son tour le contenu de ces documents : milliers de décès minorés par les Etats-Unis, tortures et exécutions par les forces de sécurité irakiennes, rôle souterrain joué par l’Iran… L’homme s’appelle Kristinn Hrafnsson (prononcer Rapson) : il n’est ni un hacker ni un prophète du futur, comme son ami Julian s’en donne parfois le rôle. Non, lui n’est “que” journaliste. Plutôt du genre taiseux, baroudeur et enquêteur, attaché à la rigueur de l’information. Quelques heures après la conférence de presse, devant une machine à café au sous-sol de l’hôtel, l’Islandais (qui a joué un rôle clé dans le travail conjoint entre WikiLeaks et les grands quotidiens mondiaux “associés” aux révélations) livre sa vision de la mutation du journalisme. “J’ai passé vingt ans dans le journalisme traditionnel. J’ai vu diminuer les budgets pour l’investigation et les groupes industriels contrôler de plus en plus l’information. Je pense que WikiLeaks est arrivé au bon moment. Peut-être sommes-nous en train d’inventer une nouvelle forme de journalisme, disons une forme plus pure… Qu’est-ce que le journalisme après tout, si ce n’est publier des faits, les authentifier et permettre leur diffusion au public ?” Hrafnsson a vu juste. Depuis quelques jours, le débat mondial sur WikiLeaks semble s’orienter vers la définition même du journalisme. Début décembre, l’essayiste américain et défenseur de la liberté d’expression sur internet, John Perry Barlow, y voyait le début de “la première guerre sérieuse de l’information” ; Fillon, lui, accusait indirectement Assange de “recel de vol” quand le patron du Figaro qualifiait ce dernier de“délinquant pervers”. Plus sérieusement, c’est sur le terrain du journalisme que s’est lancé, vendredi dernier, le secrétaire adjoint au Département d’Etat américain, P.J. Crowley : “Assange n’est pas un journaliste parce qu’il a des motivations politiques. (…) Il n’est pas un observateur objectif des choses. (…) On ne peut pas appeler n’importe quel site internet un site d’information.” Si Washington tente ainsi de légitimer de futures poursuites contre Assange, tout en ménageant la presse ayant repris les révélations, l’attaque montre aussi l’urgence

Refusée par la plupart des médias US, cette vidéo tournée en Irak fera le tour d’internet et révélera le travail de WikiLeaks

pour les pouvoirs de redéfinir les frontières du journalisme. A cet égard, la vitesse avec laquelle Hrafnsson, expérimenté journaliste old school, a “glissé” vers WikiLeaks n’est-elle pas symbolique du gigantesque glissement de terrain que s’apprête à vivre le journalisme d’enquête ? Symbolique d’abord, l’acte un de la conversion de Hrafnsson à WikiLeaks, censuré en Islande à l’été 2009 à cause d’un document de WikiLeaks : “A l’époque, le site était quasi inconnu. Ce document prouvait la corruption hallucinante des dirigeants de la première banque islandaise. Mais mon enquête sur ces informations, pour le compte de la télévision nationale, a été censurée par la justice pour ‘violation du secret bancaire’ ! Le présentateur furieux a alors donné le nom de WikiLeaks aux téléspectateurs qui se sont rués dessus. Pour tout le monde ici, c’était justement ce ‘secret’ bancaire qui avait conduit notre pays à la catastrophe !” La réflexion de Hrafnsson va évoluer alors qu’il voit désormais régulièrement Assange, installé en Islande où il fait figure de héros. Ce dernier fréquente des députés et est en contact avec des geeks locaux (ceux de la Icelandic Digital Freedoms Society), travaillant avec eux sur les concepts de libre circulation de l’info. C’est lors de ce séjour que l’Australien va dévoiler à Kristinn Hrafnsson un document sidérant, filmé par les caméras d’un hélico Apache survolant Bagdad et récupéré par WikiLeaks : des militaires à bord massacrent une vingtaine d’hommes au sol – en se marrant comme dans un jeu vidéo –, dont deux photographes de Reuters et un père de famille et ses enfants qui passaient par hasard en voiture. “Ce film a été refusé par plusieurs médias américains, lâche Hrafnsson, alors qu’il montre ce que signifie le terme froid de ‘dommage collatéral’.” C’est à cette occasion que le journalisme traditionnel va croiser, peut-être pour la première fois, la trajectoire des hackers de WikiLeaks, préfigurant peut-être de futures

avec WikiLeaks, les frontières du journalisme semblent dynamitées

formes d’enquêtes. “J’ai expliqué à Julian qu’avant de publier le film nous devions aller à Bagdad pour enquêter sur cette histoire. Qu’il fallait être irréprochable pour avoir le maximum d’impact.” De son voyage en Irak, Hrafnsson rapportera les détails de cette tragédie, qui contredisent la version officielle des militaires (un raid légitime contre des insurgés). La vidéo va faire le tour d’internet, propulser WikiLeaks sur la scène médiatique mondiale et provoquer la fureur impuissante de Washington. Dès lors, Hrafnsson devient porte-parole de WikiLeaks et est rémunéré par l’organisation.”Honnêtement, je ne sais pas où nous allons. Notre modèle économique est incertain. Mais de l’autre côté, la presse ancienne est en pleine crise. Nous n’avons pas les moyens de payer une rédaction mais à l’avenir, je pense que ce genre de journalisme se développera.” Ce “genre” serait une sorte de croisement entre les méthodes de l’investigation et le “data journalism” cher à Assange – un journalisme de données, sans limite de taille ou de format, ouvert à tous. La transition semble déjà sur les rails : c’est une organisation anglaise à but non lucratif, The Bureau of Investigative Journalism, qui a aidé WikiLeaks à trier une partie des documents reçus par le site (l’organisation est subventionnée à hauteur de 2 millions de livres par des bienfaiteurs). Aux Etats-Unis, le site d’investigation ProPublica a, lui, récolté pas moins de 30 millions de dollars auprès de la fondation Sandler, inquiète de la disparition du journalisme d’enquête aux USA. ProPublica a même obtenu en 2009 le prix Pulitzer, décerné pour la première fois de l’histoire à un média digital. En France, dans un modèle payant, c’est Mediapart qui semble faire bouger les lignes. Au-delà de la guerre totale déclenchée contre Assange, ce sont bien les frontières du journalisme que WikiLeaks semble dynamiter, à la grande inquiétude des gouvernements et d’une partie de la presse installée. “D’autres WikiLeaks vont surgir bientôt, prédit Hrafnsson. On peut tuer une organisation, mais on ne peut pas tuer une idée. Les idées survivent.” L’Albert Londres version 2.0 est-il né ? David André 15.12.2010 les inrockuptibles 15

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Philippe Matsas/Opale/Editions du Seuil

écrivains en colère Plusieurs mois après la publication de son roman Sévère inspiré de l’affaire Stern, Régis Jauffret fait l’objet d’une plainte de la famille Stern qui réclame le retrait du livre. Plusieurs écrivains indignés, rejoints par d’autres artistes, ont initié cette pétition. Vous êtes invités à vous y joindre en signant sur notre site.

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égis Jauffret fait l’objet d’une assignation de la famille d’Edouard Stern, tué le 28 février 2005 par Cécile Brossard – qui a été définitivement libérée le 10 novembre 2010. Il est demandé, sept mois après sa publication, l’interdiction pure et simple de son roman, Sévère, inspiré par cette affaire, et paru aux éditions du Seuil le 4 mars 2010. Or Sévère est, sans conteste, un roman. C’est-à-dire une œuvre de fiction. C’est-à-dire un texte qui, même si l’imaginaire se nourrit toujours du réel, n’entend évidemment pas rendre compte de manière factuelle de la réalité. De nombreux articles, des livres à prétention documentaire, souvent injurieux ou diffamatoires envers la victime, ont été publiés depuis le meurtre sans avoir fait l’objet d’aucune plainte. Et c’est à l’œuvre d’imagination, au travail de l’écrivain, qu’est étrangement réservé le douteux privilège de cette attaque et de cette demande d’interdiction. Si cet appel était entendu, si le tribunal décidait, comme on le lui demande, de sanctionner Jauffret et son roman, s’il refusait à cet artiste l’élémentaire liberté sans laquelle il n’y a plus d’art, le livre disparaîtrait des librairies comme des bibliothèques ; un acte de censure en bonne et due forme ruinerait l’œuvre d’un auteur comme elle le faisait à une époque que nous pensions, dans les pays démocratiques au moins, à jamais révolue ; un précédent se créerait là, auquel nous ne nous résignons pas et qui rappelerait le temps où l’on voulait brûler – pour ne parler que des plus grands – les livres de Jean Genet ou de Pierre Guyotat. C’est pourquoi nous nous adressons, ici, à celles et ceux qui ont introduit cette plainte. Nous leur

demandons solennellement de revenir sur une décision si évidemment attentatoire à cette liberté de créer à laquelle ils ne peuvent pas ne pas être, eux aussi, attachés. Nous leur demandons de renoncer à une initiative judiciaire qui constituerait un navrant et terrible précédent. En demandant l’interdiction du roman, on ne répare pas le crime, on en commet un autre – contre l’esprit, celui-là. Signataires Virginie Despentes, Christine Angot, Pierre Guyotat, Philippe Djian, Bernard-Henri Lévy, Philippe Sollers, Michel Houellebecq, Sophie Calle, Eric Reinhardt, Marie Darrieussecq, Emmanuel Carrère, Atiq Rahimi, Jean-Philippe Toussaint, Catherine Millet, Matthias Enard, Annette Messager, Claude Lévêque, Nicolas Fargues, Yannick Haenel, Frédéric Beigbeder, Olivia Rosenthal, Tristan Garcia, Patrick Lapeyre, Jeanne Balibar, Laurent Mauvignier, Maylis de Kerangal, Jean Rolin, Pierre Michon, Patrick Rambaud, Patrick Grainville, Olivier Rolin, Marie Nimier, Olivier Adam, Jacques Henric, Chantal Thomas, Oliver Rohe, Yves Pagès, Yann Moix, Cécile Guilbert, Bernard Comment, François Bon, Valérie Mréjen, Arnaud Cathrine, Arno Bertina, François Bégaudeau, Yann Apperry, Joy Sorman, Mia Hansen-Løve, Dominique A, Véronique Ovaldé, Vincent Message, Chloé Korman, Patrick Chatelier, Delphine de Vigan, Pierre Senges, Lydie Salvayre Jeanne Benameur, Pierre Pachet, Serge Joncour, Emmanuel Adely, Frédéric-Yves Jeannet, Christophe Paviot, Eric Chevillard, Salim Bachi, Fabienne Swiatly, Cédric Fabre, Bertrand Visage, Alban Lefranc, Mathieu Larnaudie, Pierre Autin-Grenier, Emmanuel Darley, Eric Pessan, Alain Jugnon, Marie Cosnay, Hélène Gaudy, Stéphane Legrand, Dominique Noguez, Frédéric Mora, Philippe Vasset, Malika Wagner, Mercedes Deambrosis, Marie-Hélène Lafon, Thierry Hesse, Philippe Besson...

www.les inrocks.com

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laissez-moi rire Histoire de finir l’année avec la banane, rendez-vous avec L’Idéal Club, un spectacle de music-hall drôle, lo-fi et collectif. Les Arcade Fire du rire ?

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ous avez beaucoup ri, vous, en 2010 ? Non, hein ? Il n’est pas trop tard : en cette toute fin d’année pourrie (et jusqu’au 9 janvier au Théâtre Monfort à Paris), un spectacle de derrière les fagots (il est joué sous chapiteau) est susceptible de rompre la grisouillerie. Il est l’œuvre de la compagnie 26 000 couverts, originaire de Dijon et repérée depuis plusieurs années dans les festivals de théâtre dits “de rue”. Dans L’Idéal Club, c’est le nom du spectacle, on trouve la désorganisation d’Edouard Baer, l’organisation d’Ariane Mnouchkine, du carton, beaucoup de carton, des cow-boys et des Indiens, un côté Monty Python, la verve très “chemise à carreau/ pantalon de velours” de Jérôme Deschamps, des minicascades et des performances physiques (un grand écart facial), des personnages très déglingos (option Didier Super), des textes écrits au millimètre, un orchestre qui rappelle les fameux late shows américains, et pour finir du lipdub en direct live – Jacques Demy vs YouTube. Imaginée par Philippe Nicolle, L’Idéal Club est une œuvre brute, drôle, moderne et fourmillante qui se fait et se défait sous nos yeux : une pièce jouée et déjouée en temps réel, montée avec les moyens du bord, qui trouve son chemin au gré des accidents de création, qui joue sur les gimmicks. “On appelle ça du music-hall parce qu’on ne sait pas trop bien quel nom donner. La mode, en ce moment, c’est de dire qu’on fait du cabaret. Mais ça sous-entend que les gens mangent en regardant le spectacle ce qui n’est pas le cas chez nous”, plaisante Philippe Nicolle avant de reprendre. “Nous voulions quelque chose de très léger, en réaction à une époque un peu lourde.” Un rire en marche et aux accents low-cost qui vient se frotter au règne actuel de la blaguounette standardisée et de la superproduction stand up – derrière laquelle se cachent souvent des batteries de dix auteurs. “On travaille avec des budgets limités, on est habitués à faire avec ce qu’on a. On essaie d’en faire une force, de tenir avec cette énergie”, note Philippe Nicolle. Et c’est cette tension lo-fi qui fait tout le charme de L’Idéal Club : on a rarement eu, après un spectacle, autant envie de rester taper le carton avec les acteurs (qui vous ravitaillent eux-mêmes en vin chaud à l’entracte). Des acteurs qui savent presque tout faire : un peu comme chez Arcade Fire, on est sacrément collectif et ambidextre chez 26 000 couverts, on fait ça avec une certaine authenticité : on passe d’un saxophone a un rôle de shérif alcoolo, d’une impro foireuse à une vanne ciselée, d’un pas de danse à une contorsion. Philippe Nicolle : “Aucun artiste n’est vraiment spécialisé, c’est un travail de troupe, c’est un groupe de gens qui s’assemblent et se complètent, s’enrichissent. Je ne voulais pas d’une superposition de talents différents, mais quelque chose de très homogène et de très direct.” Annoncé comme l’un des buzz à venir, L’Idéal Club devrait tourner dans toute la France en 2011. Pierre Siankowski

une pièce jouée et déjouée en temps réel

photo Stéphane Lagoutte/M.Y.O.P Jusqu’au 9 janvier au Théâtre Montfort, Paris XVe, du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 17 h, exceptionnellement vendredi 24 décembre à 17 h, relâche le samedi 25 décembre, dimanche 26 décembre et samedi 1er janvier 15.12.2010 les inrockuptibles 17

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Canto Jérémy Renier en Claude François

“Je mange des pizzas tous les soirs pour soutenir WikiLeaks”

“Au fait, si tu me vois fourrer ta dinde, ne crois pas que je fête Noël”

Comme un boomerang par Gainsbourg

“Tu fais quoi pour le réveillon toi, hein ?”

La gastro “Les flocons, quand y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes.” LOL

Morrissey à la Chambre des communes

David Hasselhoff

retour de hype

retour de bâton

hype

buzz

pré-buzz

Les rouleaux de printemps

Les poneys

“Heidegger, c’était la nana dans le truc des Musclés, là ?”

Werner Schroeter

Morrissey à la Chambre des communes Drôle d’échange entre une élue travailliste et le Premier ministre anglais le 8 décembre : en pleine bataille législative sur les droits estudiantins et suite aux attaques de Morrissey et Marr, ce sont des titres de chansons des Smiths qui ont servi de dialogue. Comme un boomerang La version

Hélène et les garçons

Gainsbourg inédite sortira en janvier. Je mange des pizzas tous les soirs pour soutenir WikiLeaks Speed Rabbit soutient WikiLeaks et le prouve avec la Wikipizz, pizza créée pour l’occasion. David Hasselhoff La télé-réalité sur sa vie a été annulée après seulement deux épisodes diffusés aux Etats-Unis. Sale temps pour The Hoff.

billet dur

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hère Geneviève de Fontenay, L’autre matin, dans les locaux d’Europe 1 où vous étiez venue exhiber l’accorte lauréate de votre héroïque “missidence”, vous m’avez serré la main alors que je ne demandais rien. J’ai adoré votre exquise politesse d’habituée des foires au boudin, il y a indéniablement quelque chose en vous de Jacques Chirac. Comme cette notoire crapule, vous vieillissez sympa. Franchement, en apercevant votre silhouette enchapeautée, impeccable de maintien à un horaire où mes semblables et moi-même arborions la tête de Borloo un lendemain de beaujolais, eh bien j’ai eu envie de chanter La Marseillaise en votre honneur, n’en déplaise à ce crétin d’Anelka. Bon, pour être tout à fait franc, mon regard était surtout aimanté par l’interminable paire de compas

de votre Miss Nationale, qui doit bien faire au garrot deux fois la taille de Marc-Olivier Fogiel. Barbara qu’elle se prénomme, la Miss bis. Ah Barbara, quelle connerie la guerre des Miss ! Sur TF1, Geneviève, ils ont attrapé la chaude Miss alors que Barbie, juré, c’est la rosière de Pessac, et les pornocrates malotrus d’Entrevue pourront toujours se faire reluire pour trouver des photos d’elle les doigts dans la tirelire. Chez Endemol, ce lupanar batave où l’on feint d’élire une Miss d’élégance pour aussitôt la revendre aux marchands de chairs à canons, avec ce satyre de Foucault en maquignon matois, je pense qu’ils ne vous méritaient pas. Vous êtes la Mélenchon du nichon que nous ne saurions voir, alors qu’on en meure d’envie. La prochaine fois que je vous croise, je vous roule une galoche. Christophe Conte

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Le Peuple qui manque Sous le label “Le Peuple qui manque”, Aliocha Imhoff et Kantuta Quirós programment cette semaine à Paris un festival consacré à l’art politique.



e Peuple qui manque est une expression utilisée par Deleuze dans L’Image-Temps”, expliquent d’une seule voix les fondateurs de cette association qui, depuis 2005, diffuse et programme films et vidéos d’artistes engagés. “Pour la première fois, il s’agit de prendre la parole non plus sur les minorités mais depuis les minorités, de retourner la caméra sur soi”, ajoute Aliocha Imhoff qui évoque au passage les films de

Jean Rouch et du Groupe Medvedkine. Agés de 30 ans, Kantuta Quirós et Aliocha Imhoff se sont rencontrés au début des années 2000 sur les bancs de la fac de cinéma puis de philo. Fascinée par les recherches de sa prof, Beatriz Preciado, spécialiste des gender studies, Kantuta réalise en 2003 un documentaire en forme de portrait générationnel avant de lancer, dans la foulée et avec son futur complice,

la première édition du Festival de cinéma queer à Paris. A Beaubourg, actuellement, ils poursuivent leurs recherches sur les nouvelles formes de théorie critique et d’“artivisme” à l’occasion d’un festival intitulé Que faire ? - Art, film, politique. Claire Moulène photo Alexandre Guirkinger Que faire ? - Art, film, politique, jusqu’au 19 décembre à Paris au Centre Pompidou, lepeuplequimanque.org

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Denis Charlet/AFP

“on ne s’appuie sur la rétroactivité d’une loi que si elle est favorable à l’accusé” Me Irène Terrel

La maison de Lille où Christian Gauger et Sonja Suder ont vécu en clandestins après avoir fui l’Allemagne en 1978

le droit à l’oubli

Le Conseil d’Etat vient de rendre extradables deux Allemands pour des faits de terrorisme remontant à plus de trente ans. Pourtant, en 2001, la France avait refusé leur extradition. hristian Gauger et Sonja Suder ont 69 et 78 ans, et vivent en France depuis trentedeux ans. Elle, plus âgée mais plus en forme, est devenue l’infirmière de son compagnon, terrassé en 1997 par un accident cardiaque aux lourdes séquelles neuropsychiatriques. En 1978, le couple avait fui Francfort en catastrophe pour entamer une vie clandestine à Lille. On était au beau milieu des années de plomb. Ce qu’on leur reproche ? D’avoir été membres des Cellules révolutionnaires, organisation proche de la Bande à Baader. Et d’avoir, à ce titre, commis deux attentats en 1977 contre des firmes

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allemandes, ainsi qu’un incendie à Heidelberg en 1978. Les faits n’ont causé que des dégâts matériels. Mais, plus grave, Sonja Suder est aussi suspectée d’avoir pris part à l’organisation logistique de la prise d’otage des membres de l’Opep à Vienne, en 1975. Cette accusation repose sur le seul témoignage de Hans-Joachim Klein, tireur de ce même commando, gracié en 2003 après cinq ans derrière les barreaux. Au total, même s’ils nient les faits, Christian Gauger risque entre vingt et trente ans de prison et Sonja Suder, la perpétuité. Plus de trente ans après les faits, comment est-ce possible ? Pour comprendre, il faut revenir dix ans en arrière. En 2000,

à la suite du témoignage de Klein, l’Allemagne fait arrêter le couple GaugerSuder, qui fait son premier séjour en prison. Mais selon le droit français, il y a prescription, et leur avocate Irène Terrel empêche leur extradition. A leur sortie, ils sont aidés par un réseau d’anciens activistes italiens. Ils emménagent dans un deux pièces à Saint-Denis. En 2005, l’affaire connaît un rebondissement : ignorée depuis sa signature en 1996, une convention définissant les critères européens en matière d’asile est réactivée. Au sein de cette convention, un accord bilatéral entre la France et l’Allemagne stipule qu’en cas d’extradition, la prescription s’applique non pas dans l’Etat requis (ici, la France), mais dans l’Etat requérant (ici, l’Allemagne, où le délai de prescription peut atteindre quarante ans). Un détail qui change tout, et une aubaine pour le parquet de Francfort, qui s’empresse de faire valoir cette nouveauté. En 2007, le couple est à nouveau arrêté à son domicile parisien. “J’étais tellement effarée que j’ai d’abord cru à une erreur”, confie leur avocate Me Irène Terrel. Sonja et Christian retournent en prison quelques semaines. En vertu de l’accord bilatéral de 2005, l’Allemagne fait, en 2009, une nouvelle demande d’extradition. Et pour les mêmes faits, la cour d’appel juge cette fois-ci le couple extradable. Suder et Gauger font alors une requête auprès du Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative française. Mais en dépit du danger de mort encouru par Christian Gauger dans le cas d’une séparation d’avec Sonja Suder, le Conseil d’Etat vient d’écarter la requête, avançant entre autres “l’intérêt de l’ordre public” ! “C’est se moquer du sens même des mots”, lâche Me Irène Terrel, qui a déjà saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Car dans cette affaire, “de nombreux fondamentaux sont bafoués”, poursuit l’avocate. D’abord, “on ne juge pas deux fois un même fait” ; deuxièmement, “on ne s’appuie sur la rétroactivité d’une loi que si elle est favorable à l’accusé, et c’est le contraire qui se passe” ; troisièmement, “c’est la France elle-même qui a émis comme première réserve dans les nouvelles procédures d’extradition celle de l’âge ou de l’état de santé”. Enfin, Irène Terrel se souvient très bien des mots de Nicolas Sarkozy face à l’interminable traque de Roman Polanski : “Ce n’est pas une bonne administration de la justice que de se prononcer trente-deux ans après les faits, alors que l’intéressé est un homme de 76 ans.” Ah bon ? Isabelle Foucrier

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Au Dean Street Studio de Londres, la mise en boîte d’un hit qui va faire du bruit

quand le silence est d’or Le collectif Cage Against The Machine défie la soupe servie à Noël par le hit-parade anglais en enregistrant un morceau… silencieux, agrémenté de remixes.

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in décembre 2009, à la stupéfaction du plus grand nombre, Killing in the Name, titre mythique du groupe Rage Against The Machine, se retrouve en tête des hit-parades anglais, avec une confortable avance sur l’inévitable chanson de Noël époumonée par le gagnant de l’édition annuelle de X Factor, tremplin à bouses musicales, quelque part entre nos Nouvelle star et Star Academy hexagonales. A l’origine du placement en tête de gondole du brûlot de Rage Against The Machine, qui date tout de même de 1992, un pari

Pete Doherty, Billy Bragg, le producteur Paul Epworth, des membres de Big Pink et des Kooks, UNKLE, Orbital et Coldcut ont enregistré 4’33” de silence au Dean Street Studio de Londres

sur Facebook, comme le site de socialisation en voit passer régulièrement : lutter contre l’hégémonie de la soupe sonore imposée par la télé-réalité en demandant au maximum de supporters du mieuxdisant culturel d’acheter le morceau de Rage Against The Machine. Et ce le même jour que la mise en vente du tube calibré X Factor, histoire de perturber le classement et de prouver que la désobéissance civile peut avoir du bon. Le pari est gagné et Killing in the Name l’emporte haut la main avec 500 000 achats contre 450 000 pour le gagnant estampillé X Factor et sa reprise insipide de The Climb de Miley Cyrus… Cette année, on ne prend pas les mêmes, mais on recommence avec un groupe informel d’artistes qui relève le défi un cran plus haut dans la difficulté. Le collectif Cage Against The Machine espère ainsi fêter Noël en imposant un morceau entièrement silencieux tout en haut des hit-parades.

Le 6 décembre, ce sont donc Pete Doherty, Billy Bragg, le producteur Paul Epworth, des membres de Big Pink et des Kooks, UNKLE, Orbital et Coldcut qui ont enregistré 4 minutes et 33 secondes de silence au Dean Street Studio de Londres. Le morceau, disponible uniquement en numérique, est sorti le 13 décembre sur le label Wall of Sound, plus connu pour faire du bruit que de la musique feutrée, et agrémenté de remixes de Hot Chip, Herve, Adam F ou Mr. Scruff… Ce qui pose cette question digne du bac philo : comment remixe-ton du silence ? Les plus mélomanes l’auront noté, le projet Cage Against The Machine est évidemment un hommage appuyé au compositeur d’avantgarde américain John Cage qui, en 1952, composa pour le pianiste David Tudor, 4’33”, manifeste en trois mouvements, entièrement silencieux, qui a l’époque n’a fait rire personne,

et encore moins la critique ! Si l’initiative proposée par Cage Against The Machine ne rencontrera jamais la même résonance artistique, ni même philosophique (les thèses sur le 4’33” de John Cage se ramassent à la pelle), elle intervient curieusement juste après qu’un collectif de stars anglaises appartenant au monde du sport, de la musique comme de la politique (le Premier ministre David Cameron ou la pop-star Thom Yorke en font partie) a lancé en octobre dernier à l’assaut des charts le morceau 2 Minute Silence au profit de la Légion étrangère britannique. Un projet que l’instigateur du collectif Cage Against The Machine (dont les bénéfices sont aussi caritatifs) affirme totalement pompé sur son propre concept. Sauf que sur ce coup-là, difficile de contacter les musicologues du monde entier pour faire constater le plagiat ! Patrick Thévenin www.catm.co.uk

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brèves Google lance sa librairie en ligne Inaugurée aux Etats-Unis sous le nom de Google eBookstore, la librairie en ligne de Google souhaite concurrencer Amazon et Apple. Google, fort de partenariats avec 4 000 éditeurs, mise pour cela sur un format de livres adapté à tous les supports (PC, smartphones, tablettes, eReaders, etc.). Plus de trois millions de livres numérisés depuis 2004 dans le cadre de Google Books sont disponibles. L’arrivée en Europe n’est pas prévue avant 2011. la guerre des toiles Pour avoir empêché ses clients de donner de l’argent à WikiLeaks, le site de Mastercard a fait l’objet de représailles. Son portail internet a été rendu inaccessible, tout comme ceux de PayPal et de la banque suisse PostFinance. A l’origine de ces attaques, un groupe de pirates agissant sous le nom d’AnonOps. Luttant contre la censure dans le cadre de leur “Operation payback” (vengeance), ces militants ont annoncé : “La première guerre informatique a maintenant débuté.” “Charlie Hebdo” condamné L’hebdo a été condamné à verser à Siné des dommages et intérêts pour rupture de contrat abusive. Le dessinateur avait été licencié en juillet 2008 pour des propos considérés comme antisémites. Le tribunal juge qu’“il ne peut être prétendu que les termes de la chronique de Siné sont antisémites (...) ni que celui-ci a commis une faute en les écrivant (...)” Charlie hebdo est condamné à verser 40 000 euros de dommages et intérêts au dessinateur.

Bide ou carton ? Peopleforcinema vous associe au destin des Emotifs anonymes de Jean-Pierre Améris.

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es internautes responsables de l’envol de Grégoire (Toi + Moi, etc.) grâce au label communautaire My Major Company ont de quoi se réjouir : ils peuvent désormais parier sur la sortie des films en salle et devenir ainsi des mini codistributeurs. Cela grâce à un site, Peopleforcinema.com, qui surfe sur un concept en vogue : le “marketing participatif”. Le principe est simple. Ceux qui croient au potentiel commercial, par exemple, des Emotifs anonymes de Jean-Pierre Améris (sortie fin décembre) n’ont qu’à s’inscrire sur le site ; le montant total de leur mise (limité à 10 % du budget de distribution du film, donc généralement compris entre 30 000 et 100 000 euros) contribuera à financer l’édition des copies et la campagne de promotion du film. En retour, les parieurs toucheront une partie des recettes du distributeur, si toutefois le seuil de rentabilité du film est atteint. Quand le distributeur perd, les “people for cinema” perdent aussi (le dernier navet de Sophie Marceau, L’Age de raison, devait rapporter de l’argent au-delà de 950 000 entrées, mais il en a compté deux fois moins. Bilan : 963 losers). Mais si le film cartonne, bingo. Peopleforcinema se sert au passage : 10 % sur les mises, 15 % sur les gains. Les cofondateurs (parfaite complémentarité de Simon Istolainen, 26 ans, déjà à l’origine de MyMajorCompany, et Serge Hayat, 48 ans, patron du fonds d’investissement Soficas Cinémage 4) ont eu le flair de s’accrocher à la distribution (ils déjà négocié avec Mars, SND, Wild Bunch, StudioCanal...), et non

pas à la production comme Touscoprod.com ou We-are-producteurs. com qui n’ont toujours pas décollé. “Sur un ticket de cinéma vendu, les distributeurs sont les premiers à se servir, ils sont tout en haut du modèle. Les producteurs mettent des années à retrouver leur argent, et le plus souvent ils en perdent”, explique Simon Istolainen. Les gros joueurs en quête de maxi gains peuvent néanmoins passer leur chemin : pour chaque film, les mises sont plafonnées à 500 euros, et l’on peut remporter au maximum deux fois la mise. Les distributeurs n’ont en effet aucune envie de voir débarquer d’encombrants nouveaux “partenaires”. Leur objectif est ailleurs : il s’agit de fédérer une communauté d’ambassadeurs du film qui assurera une propagande gratuite avec les outils d’aujourd’hui : réseaux sociaux, blogs... A Peopleforcinema de cajoler ces agents du marketing viral comme des VIP : avant-premières, événements autour du film, promesses de “découvrir les coulisses du cinéma”. Pour Stéphane Célérier, pdg de Mars Distribution, rien de révolutionnaire, ce n’est qu’une technique de plus dans la déjà très large nébuleuse promotionnelle. “Aujourd’hui, les spectateurs ont une connaissance quasi chirurgicale des films. Sans sortir de leur chambre, ils peuvent s’en faire une idée très précise grâce au buzz médiatique sur le web.” Mais, après tout, quelques “messagers” supplémentaires n’ont jamais fait de mal à personne. Sauf peut-être à Sophie Marceau. Baptiste Etchegaray

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on prend les mêmes...

les opérateurs dans le collimateur

embûche de Noël Le dernier numéro de Philosophie magazine pose la question qui tue avant les repas de Noël : “La famille est-elle insupportable ?” A lire aussi : le démolissage d’Alain Badiou par son ex-fan Mehdi Belhaj Kacem.

haro sur les hackers Google a décidé de lutter contre les hackers. Le géant du web s’est engagé à retirer, dans les prochains mois, tous les termes liés au piratage et pouvant apparaître en saisie semi-automatique dans les recherches. Cette mesure semble néanmoins très floue, car de nombreux termes associés au piratage sont aussi parfaitement légaux…

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de M6 à France 4 Après le départ de Bruno Gaston, France 4 a un nouveau directeur des programmes : Vincent Broussard, 42 ans, venu de TF6 et Série Club, ancien de M6 Thématiques. Il devient aussi directeur des acquisitions de France Télévisions.

L’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) a récemment formulé trente propositions pour “améliorer les offres faites aux consommateurs”. Parmi elles, la durée d’engagement chez les opérateurs mobiles, qui pourrait passer à six mois maximum.

Twitter décolle Le site de microblogging a permis l’ouverture d’une nouvelle ligne aérienne KLM à la suite d’un pari. Deux artistes néerlandais ont réussi à remplir un avion Amsterdam-Miami en cinq heures via Twitter. KLM a non seulement choisi d’affréter le vol mais aussi de réouvrir prochainement cette liaison fermée depuis 2004.

Andrew Spence-Ord

Le nouvel organigramme de la direction de France Télévisions, préparé par Rémy Pflimlin et Emmanuelle Guilbart, se finalise, mixant anciens de la maison et quelques nouveaux. Nouveau souffle ou vieux refrain pour la télé publique ?

Arte en tube La chaîne propose désormais son offre de rattrapage sur YouTube et Dailymotion.

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Berlusconi et Poutine, amis pour la vie Alors que WikiLeaks révèle la défiance de Washington envers leur “relation privilégiée”, Berlusconi et Poutine réaffirment qu’avoir un bon copain, c’est c’qu’y a de meilleur au monde. Et toc.

C’est un long roman d’amitié entre Silvio Berlusconi et Vladimir Poutine, ici tous deux pris en photo dans un avion à Sotchi en Russie. Car si leur “relation privilégiée” n’a échappé à personne depuis quelques années, leur rencontre au moment même où WikiLeaks révèle la défiance de Washington quant au péril d’“asservissement de la politique étrangère italienne à Moscou” ressemble à un beau pied-denez. L’histoire est toutefois ancienne : les deux se voient souvent, vont en vacances ensemble, s’offrent des “cadeaux fastueux” (genre un lit à baldaquin), se soutiennent sur le front international (les appels quotidiens de Berlusconi pendant l’offensive russe en Géorgie en 2008) et s’admirent mutuellement. Bref, ces deux-là se kiffent bien. A en croire les propos de l’ambassadeur américain en Italie, Ronald Spogli, dans un câble révélé par WikiLeaks, “la base de cette amitié est difficile à déterminer (…) Poutine ferait confiance à Berlusconi plus qu’à tout autre dirigeant européen”. En contrepartie, Silvio, lui, “admire le style de gouvernement macho, décidé et autoritaire de Poutine, qu’il croit correspondre au sien”. Bonne ambiance, les gars.

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total décontract Venant à la rescousse de son pote Vlad, Dmitri Medvedev, président russe à l’occas’, déclarait, alors même qu’on ne l’avait pas sonné : “Les révélations de WikiLeaks démontrent le cynisme de la politique étrangère américaine.” En mode gros fayot donc, comme en témoigne sa position sur la photo. En retrait derrière Poutine, il tente timidement de prendre sa place dans ce duo de choc. Pas gagné vu sa polaire blanche intercalée entre une chemise bleue et la parka noire qui va bien. Le président russe fait pauvre impression face à un Poutine sûr de lui, de son blouson en veau retourné et de son pull camionneur crème, et à un Silvio Berlusconi au sommet avec sa doudoune noire à doublure rouge fièrement munie d’un faux écusson de la police américaine sur l’épaule. Sérieux.

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2 Vladimir Rodionov/RIA Novodi/AFP

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Silvio + Vladimir = BFF

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le voyage de classe

Ce cliché ressemble un peu à une photo d’adolescent postée sur un Skyblog quelconque avec une légende du genre : “Trop dur le voyage 2 classe ac ma bande de malade meme si entre tous y a eu des embrouilles on et tous la l’1 pour lautre et lé autre cé des rageux qu’ont qu’à aller se faire foutre.” La chose va pourtant plus loin que la cour de récré. Dans une note révélée par WikiLeaks, Hillary Clinton demandait des renseignements sur les intérêts de sociétés

italiennes implantées en Russie au détriment de la politique occidentale de sécurité énergétique. Une question qui vise directement le géant italien de l’énergie ENI, choisi comme partenaire par la Russie pour plusieurs projets gaziers de grande envergure. Rien d’anormal à cela si l’on en croit Henry Garat qui chantait dans Avoir un bon copain : “Loin des baisers pour se griser sur une route, il suffit de gazer. Le grand amour ça dure un jour, l’amitié dure toujours.” Diane Lisarelli

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Apple,

la religion de la pomme Sept millions et demi d’iPad vendus dans le monde. Derrière ce nouveau succès, Steve Jobs, patron obsédé depuis toujours par le contrôle et la culture du secret. par Guillemette Faure photo Emmanuel Pierrot

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e n’ai que 30 ans et je veux avoir la possibilité de continuer à créer. Je sais que je porte encore en moi au moins un super ordinateur. Et Apple ne va pas me donner la chance de le faire.” La lettre date de 1985. Un an après le lancement du Macintosh, Steve Jobs explique à Mike Markkula, troisième homme à l’origine d’Apple, pourquoi il quitte la société qu’il a créée huit ans plus tôt. En fait, son conseil d’administration vient de le pousser dehors. Quelques mois plus tôt, John Sculley, le nouveau patron de l’entreprise que Jobs avait débauché de chez Pepsi – en lui demandant “Tu veux continuer à vendre de l’eau sucrée ou tu veux changer le monde avec m oi ?” – avait obtenu que Steve Jobs soit suspendu de la plupart de ses fonctions chez Apple. Jobs, de l’avis du conseil d’administration, n’était pas assez productif. “Me faire virer d’Apple, ça a été la meilleure chose qui pouvait m’arriver, a assuré Steve Jobs il y a cinq ans devant un parterre d’étudiants. Ça m’a libéré pour entrer dans une des périodes les plus créatives de ma vie.”

Pour certains observateurs, tel Leander Kahney, auteur de Inside Steve’s Brain, cet épisode humiliant de 1985 – recruter une pointure qui vous met dehors – pourrait motiver l’aspiration de Jobs à tout contrôler aujourd’hui. La dernière fois qu’il a confié le pouvoir à quelqu’un (John Sculley), il en a payé les conséquences. Tim Wu, un professeur de l’université de Columbia célèbre pour avoir inventé l’expression “neutralité du net”, développe une autre explication. Dans The Master Switch, il explique que des deux fondateurs d’Apple Steve Jobs et Steve Wozniak, Jobs était dès le départ, selon lui, celui qui avait le goût du contrôle. La caractéristique de l’Apple II (premier ordinateur grand public de la boîte) rappelle-t-il, c’était le capot. Soulevez le capot et vous verrez l’intérieur de la machine. Libre à vous d’y mettre les doigts. Sur le Macintosh au contraire, comme sur les produits Apple qui suivront, tout est fermé, verrouillé : du refus d’Apple de revendre son système d’exploitation à d’autres constructeurs jusqu’aux batteries inamovibles. Parce qu’à l’origine, l’Apple II est l’ordinateur de Steve Wozniak tandis que le Mac est celui de Steve Jobs. Quand ils se sont connus, Jobs avait 13 ans, Wozniak 15.12.2010 les inrockuptibles 31

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cinq de plus. Quand ils conçoivent le premier Apple huit ans plus tard, Wozniak, passé depuis chez HewlettPackard, est selon l’auteur d’Inside Steve’s Brain ”l’ingénieur qui fabrique l’ordi qu’il ne pouvait pas se payer” ; Jobs, qui a fait ses débuts chez Atari, se soucie de son utilisation, de sa commercialisation (dans les clubs de micro-informatique) et recrute les équipes. Système fermé ou ouvert, Apple se trouve encore tiraillé entre les deux visions de ses fondateurs quand Steve Wozniak est victime d’un accident d’avion en 1981. Souffrant de troubles neurologiques et d’amnésie, il ne peut reprendre immédiatement le travail. A son retour, le Mac est né. Il est fermé. Wozniak est mis sur la touche. Détail symbolique de la part d’héritage spirituel qui revient aujourd’hui à Wozniak : Jobs a refusé d’écrire la préface de son livre iWoz dans lequel il raconte les débuts d’Apple. Là encore, Jobs préfère contrôler le récit. Si Jobs n’est pas un magicien de l’électronique comme Wozniak, ses talents de visionnaire sont incontestables. Dans une interview accordée à Playboy en 1985, l’homme qui divise le monde (et son entreprise) entre “génies” et “bozos” explique que le marché de la micro-informatique, comme on dit alors, va changer. “Pour la plupart des gens, la raison la plus pressante d’avoir un ordinateur chez soi sera de se relier à un réseau de communications national.” Dix ans avant les débuts d’internet grand public. Jobs, comme il l’a prouvé depuis son retour à la tête d’Apple en 1997, n’avait pas seulement de nouveaux ordinateurs dans le ventre. Depuis son come-back, l’entreprise a vu naître l’iPod, l’iPhone et l’iPad. “Je suis aussi fier de ce qu’on ne fait pas que de ce qu’on fait”, a déjà observé Steve Jobs. De la quarantaine de produits, des imprimantes aux PDA (personal digital assistant, de type Palm), qu’il trouve à son retour en 1997, il ne gardera que quatre lignes. C’est de cette époque, au siège de Cupertino, que date l’expression “to get Steved” : se faire coincer par Jobs qui vous demande de justifier votre activité et se faire virer quand la réponse ne paraît pas convaincante. Avec aussi peu de produits, le moindre faux pas est dangereux. A la fin des années 1990, Steve Jobs, captivé par le potentiel de la vidéo, néglige l’apparition de Napster et l’engouement pour les fichiers musicaux. Les Mac, qui n’ont pas de graveurs de CD, ne se vendent plus. De 11 milliards de dollars en 1995, le chiffre d’affaires de l’entreprise tombe à 5 milliards en 2001. Le marché s’interroge sur la survie de la société.

Apple a réussi à se faire passer pour un phénomène plutôt que pour une multinationale

Apple reprendra pied avec l’iPod. “Apple ne peut pas se permettre de rater une génération”, remarque David B.Yoffie, un prof de la Harvard Business School qui fait plancher ses étudiants sur des études de cas Apple depuis une quinzaine d’années. Une des explications de la capacité de l’entreprise à se renouveler tient à ce que Jobs n’a pas peur de la cannibalisation de ses activités. “Sony aurait pu inventer l’IPod”, a fait remarquer Jon Rubinstein, ancien vice-président d’Apple. Sous-entendu, c’est la peur de mettre en danger ses baladeurs musicaux qui a freiné l’entreprise japonaise. Jobs, au contraire, ne craint pas que l’iPhone bouffe l’iPod, il n’a pas peur de faire disparaître l’ordinateur. En 2007, année de l’iPhone, Apple Computers est, sans qu’on s’en aperçoive, rebaptisée Apple Inc : oubliez les ordinateurs, les ventes d’iPhone représentent maintenant près de la moitié de son chiffre d’affaires. “Les marges générées par la vente d’ordinateurs sont tellement faibles que les fabricants de PC ne peuvent plus y gagner d’argent, note Tim Barjarin, consultant en nouvelles technologies de Creative Strategies. Apple l’a compris : ils ne créent pas des produits électroniques mais un écosystème, des expériences.” De la fluidité de l’utilisation à la mise en scène des produits dans les Apple Stores, Jobs veut que ces “expériences” soient parfaites. Depuis la fin des années 1970, le fondateur de l’entreprise a les mêmes priorités, résume Leander Kahney : “facilité d’utilisation, design et esthétique”. “Apple veut contrôler l’expérience de ses clients. C’est une idée en contradiction avec celle d’un web ouvert, fait remarquer le bloggeur américain Nicholas Carr1. Ils parient que les gens veulent d’abord des produits élégants et faciles à utiliser, qu’ils ne s’intéressent pas à l’ouverture du web”. Autre force de l’entreprise : nos cartes de crédit. “Une grande partie de leur puissance tient à ce qu’ils ont un système de paiement”, observe David B. Yoffie à la Harvard Business School. Grâce à iTunes, aux abonnements téléphone, “vous n’avez qu’à entrer votre mot de passe pour acheter tout ce qu’Apple pourrait vous proposer à l’avenir. Même si vous trouvez qu’Android de Google est un meilleur téléphone que l’iPhone, Android n’a pas de système de paiement et pour un fournisseur de contenu, cela devient plus intéressant de travailler avec Apple.” Apple représente aujourd’hui la société high-tech à la plus forte capitalisation boursière, devant Microsoft et Google. Paradoxalement, malgré son poids, malgré son appétit de contrôle, Apple n’a pas encore la réputation de grand méchant loup dont a pâti Microsoft. Peut-être une question d’image, celle d’une entreprise qui à coups de com’ (“Think different”) a réussi à faire croire qu’elle n’en était pas une, à se faire passer pour un phénomène plutôt qu’une multinationale. Celle d’un patron gourou, “autocrate charismatique” comme dirait Leander Kahney, en jean et col roulé, mythique pour ses retours, après son départ d’Apple ou après des rumeurs qui le disaient mort. Comme blaguait Steve Jobs, “les annonces de ma mort sont très exagérées”. 1. auteur de The Shallow: What the Internet Is Doing to Our Brains

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Charis Tsevis

Steve Jobs n’a jamais tort Le patron d’Apple répond parfois aux mails de réclamation de ses clients mais à sa façon. A l’un d’eux qui se plaignait du service après-vente après que son MacBook Pro eut pris l’eau, il balança un jour : “On dirait que vous cherchez une excuse pour ne pas vous en prendre à vous-même.” A un autre, énervé qu’on lui refuse le nom de l’application qu’il souhaitait déposer, il répliqua : “Changez le nom de votre application, ce n’est pas sorcier, non ?” On recense des dizaines de mails

dans lesquels Steve Jobs est au mieux un peu sec, au pire carrément désobligeant. Face aux critiques, il ne se départ jamais de cet air de supériorité qu’ont les génies. Et quand il s’excuse, c’est toujours du bout des lèvres, sous la pression. En 2007, lorsqu’Apple baissa de 200 dollars le prix de l’iPhone, provoquant la colère des premiers clients, il résista pendant plusieurs semaines. Devant l’ampleur de la grogne, il consentit à leur offrir un chèque cadeau de

100 dollars (à dépenser sur des produits Apple, évidemment) et à leur adresser une lettre dans laquelle il maintint le bien-fondé de sa décision. “C’est la vie sur le chemin de la technologie”, claironnait-il. L’été dernier, la polémique autour des problèmes de réception de l’iPhone 4 a fait ressurgir son entêtement. Lors d’une conférence de presse sur le sujet, Jobs martela “que le problème avait grossi de façon incroyable” et que “c’était la nature humaine de vouloir descendre quelqu’un

qui a du succès”. Quelques jours plus tôt, à un client agacé, il avait répondu par mail : “Ne tenez plus votre téléphone comme vous le faites.” Sa suffisance peut être bien plus grande. A un journaliste spécialisé qui critiquait l’iPad, Jobs écrivit l’an dernier : “Au fait, qu’est-ce que tu fais de tellement génial dans ta vie ? Est-ce que tu as créé quelque chose ou ne fais-tu que critiquer le travail des autres et mépriser leur motivation ?” Marc Beaugé 15.12.2010 les inrockuptibles 33

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Apple un jour, Apple toujours Comment Apple enferme ses clients dans un système verrouillé.

Emmanuel Pierrot

par Anne-Claire Norot

A

quoi sert un iPod sans iTunes ? Comment optimiser l’utilisation d’iTunes si on ne possède pas d’iPod ? La complémentarité du lecteur mp3 avec le logiciel n’est qu’un exemple de la parfaite intégration verticale hardware/software maîtrisée par Apple. L’entreprise ne propose que des lignes de produits et de services qui se complètent, souvent indispensables l’un à l’autre pour fonctionner de façon optimale. Avec ses logiciels et son système d’exploitation propriétaires (non compatibles avec d’autres marques), avec son système de distribution limité (revendeurs agréés, Apple Store et site internet), la marque Apple crée un écosystème fermé qu’elle contrôle de la fabrication à l’utilisation. “Ils font fabriquer les pièces extrêmement complexes, comme les processeurs, par Samsung. Et en fin de chaîne, ils ont recours à des agences pour un peu de design,” nuancent Matthieu Lecomte, senior project analyst et Charles-Axel Dein, project analyst de l’agence FaberNovel. Même quand il n’est pas maître d’œuvre, Apple exerce une surveillance sévère. Dans la téléphonie mobile par exemple, la société est obligée de conclure des accords avec des tiers mais elle leur impose des conditions drastiques. Une récente enquête de La Tribune révélait quelques méthodes

contestables : rareté organisée des iPhone dans les boutiques des opérateurs, paiement par l’opérateur des campagnes de promotion de l’iPhone… Comment la marque arrive-t-elle à entraîner tout le monde à sa suite, des développeurs d’applications aux opérateurs ou aux fournisseurs d’accessoires ? “Les opérateurs s’y retrouvent. Les iPhone se vendent en masse, ils rentrent dans leurs frais. Les développeurs se précipitent sur l’AppStore parce que la base utilisateurs est l’une des plus importantes du monde. Peu importe que les conditions soient favorables ou pas, peu importe qu’Apple traite bien ou mal ses développeurs, on est obligé d’y être si on veut développer des applications mobiles”, expliquent Matthieu Lecomte et Charles-Axel Dein. A l’autre bout de la chaîne, le consommateur aussi est séduit par Apple, malgré des prix plus élevés que la concurrence, malgré un choix moindre et des appareils aux fonctionnalités parfois manquantes par rapport aux autres marques (iMac sans lecteur de disquette, premier iPhone sans la 3G, iPad sans port USB…).

“quand on a un iPhone, on va sur l’iTunes Store pour acheter de la musique”

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Les produits, leur qualité et surtout leur facilité d’utilisation, dus à l’intégration totale avec les services et à l’élimination de ce qu’Apple juge superflu, attirent le consommateur. “Les produits Apple offrent une expérience utilisateur supérieure à celle des autres acteurs du marché. Quand on a un iPhone, on ne se demande pas comment acheter de la musique : on va sur l’iTunes Store”, résument les analystes. Pourvu qu’on ne cherche pas à sortir du chemin balisé par Apple, car l’iPhone et l’iPod ne fonctionnent qu’avec iTunes. Le consommateur se retrouve pris dans un système pratique mais surtout bénéfique à Apple. L’App Store et l’iTunes Store, d’après une analyse de la banque d’investissement Piper Jaffray, ne contribueraient respectivement qu’à 1 % et 12 % du bénéfice brut d’Apple. Mais ils permettent d’abord de vendre des appareils mobiles. Leur bon fonctionnement et leur bonne image fidélisent les clients et assurent la publicité des appareils plus gros et plus chers (ordinateurs, iPad) sur lesquels Apple fait une marge importante. Apple va jusqu’à limiter l’optimisation de ses produits (la 3G aurait très bien pu être présente sur le premier iPhone) pour pouvoir sortir des versions améliorées et inciter les consommateurs à renouveler leurs achats. “On voit l’attraction que la marque a su susciter chez les acheteurs. En marketing, c’est ce qu’on appelle le ‘halo effect’ : la perception positive d’un seul produit se reporte sur toute la gamme. Si Apple sortait un cahier ou un stylo, les gens applaudiraient.” Apple façonne l’expérience de l’utilisateur. Avec ses appareils mobiles, on ne navigue pas sur l’immensité du web mais sur un choix d’applications formatées et approuvées par Apple, dissociées les unes des autres. L’argument de la qualité, brandi par Apple pour justifier son contrôle sur les applications, permet aussi de décider des contenus. La pudibonderie de Steve Jobs mène parfois à l’autocensure (l’application Playboy “habillée” pour iPad) ou à la censure comme pour cette adaptation en BD d’Ulysse de James Joyce où l’on voyait un héros nu, refusée avant un rétropédalage embarrassé. Les applications qui pourraient marcher sur les plates-bandes d’Apple risquent aussi d’être interdites d’AppStore, comme Grooveshark, qui permet d’écouter de la musique en streaming et qui pourrait concurrencer iTunes, mais aussi des magazines comme la revue danoise Android Magasinet, dédiée à Android, le système d’exploitation créé par Google. Matthieu Lecomte et Charles-Axel Dein relativisent : “Steve Jobs dit souvent que, certes, ils contrôlent les applications mais qu’en même temps n’importe qui peut proposer à peu près les mêmes fonctionnalités sur un site internet. C’est une approche assez pragmatique. Il me paraît exagéré de parler de censure. Un guide très précis explique les raisons pour lesquelles les applications se font rejeter. De manière générale, quand on applique ces guidelines, il n’y a pas de difficulté.” Le consommateur n’a pas forcément connaissance de ces guidelines et de leurs conséquences sur sa liberté de choix. Il est facile de dire qu’il peut aller voir ailleurs quand tout est fait pour l’en dissuader. Apple ressemble à un club privé auquel tout le monde veut appartenir, sans prêter beaucoup d’attention au règlement intérieur.

le triomphe de l’iPad Une étude du cabinet GfK l’annonçait fin novembre : les tablettes tactiles feront leur entrée dans le top 10 (en valeur) des meilleures ventes de produits high-tech pour Noël. Faute de concurrence dangereuse, l’iPad triomphe. D’après le cabinet Strategy Analytics, la tablette d’Apple représentait 95 % des ventes de tablettes au troisième trimestre. Fin septembre, Apple déclarait en avoir vendu 7,5 millions dans le monde, et les cabinets d’analyse prédisent des ventes au quatrième trimestre entre 5 et 6 millions d’unités. En France, Apple en aurait vendu 400 000 depuis le lancement fin mai. A son arrivée sur le marché, éditeurs et journaux se sont réjouis, voyant en cet outil un sauveur. Robert Murdoch lui-même déclarait : “L’iPad va révolutionner la façon dont on consomme les médias.” Le patron de News Corp projette pour début 2011 le lancement de The Daily, un quotidien uniquement pour iPad – tout comme Richard Branson qui vient de sortir Project, un mag culturel spécifique pour iPad. Une étude de GroupM, faite en octobre, révèle qu’en France 50,9 % des propriétaires d’iPad ont déjà consulté un magazine ou un quotidien sur la tablette, et 36,7 % ont déboursé entre 11 et 15 euros par mois pour le faire. Une autre étude, de l’agence de marketing FullSIX, également menée en octobre, montre que pour l’instant l’iPad est surtout utilisé à domicile. Il sert à 51 % à titre à la fois personnel et professionnel, pour une utilisation moyenne de 2 heures par jour. 91 % s’en servent pour le web, les réseaux sociaux et les mails, 83 % pour consulter de l’info, 69 % pour regarder des films, séries et vidéos. Tout ce qu’on fait habituellement sur un ordinateur. A.-C. N.

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les pépins d’Apple En avance sur leur temps ou carrément ratées, certaines créations sont tombées dans l’oubli. par Guillemette Faure 1 L’Apple III Créé en 1980 après le succès de l’Apple II, il visait une clientèle professionnelle et innovait avec un disque dur de 5 Mo en option. Il dût sa disparition essentiellement à des problèmes de surchauffe. Parce qu’il en détestait le bruit, Steve Jobs n’avait pas voulu qu’il soit équipé de ventilateur. L’Apple III disparaît quatre ans plus tard. 2 Le Lisa Steve Jobs lui a donné le prénom de sa fille. Ce fut le premier micro-ordinateur équipé d’une souris (idée piquée à Xerox) avec une interface graphique sur écran blanc. Il était très cher et très lent, avec très peu de logiciels. Jobs n’aimait pas la grosse barre de plastique qui s’avançait au dessus de l’écran, estimant que ça donnait à l’ordinateur un “front de Cro-Magnon”. Lisa fut enterré avec l’arrivée du Mac en 1984.

3 Le Macintosh portable Lancé en 1989, il fut abandonné deux ans plus tard : ceux qui n’étaient pas découragés par son poids (plus de 7 kilos) l’étaient par son prix (6 500 dollars). 4 Le Newton Ancêtre du Palm (l’organisateur de poche), il est sorti en 1993 et a disparu six ans plus tard. Son retrait du marché, décidé par Steve Jobs lors de son retour chez Apple malgré des protestations de fans, fut considéré comme une opération de représailles contre John Sculley qui l’avait poussé dehors. 5 Le Macintosh TV Premier Macintosh à tuner TV intégré, fusion d’une télé Sony Trinitron et d’un Apple Performa 520, il fut lancé en 1993. Produit à 10 000 exemplaires, il disparut six mois plus tard. Un collector pour ceux qui n’ont jamais vu de Mac noir.

6 Le Pippin On avait oublié jusqu’au nom de cet ordinateur dédié aux jeux vidéo. Développé en partenariat avec Bandai à partir de 1996, le Pippin – qui ne disposait que d’une vingtaine de jeux à sa sortie – ne réussit jamais à se faire une place dans un secteur déjà encombré par la Nintendo 64, la Saturn de Sega et la PlayStation de Sony. 7 Le G4 Cube Sorti en juillet 2000, il avait, comme son nom l’indique, la forme d’un cube dont les CD sortaient verticalement comme d’un grille-pain. Salué pour son design exceptionnel, le G4 Cube, très cher, visait les professionnels. Ceux-ci lui préférèrent le Power Mac G4, moins beau certes, mais plus puissant. Premier échec de Jobs après son retour aux commandes, le Cube fut abandonné un an plus tard.

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l’entreprise la plus secrète du monde Si Apple traque le moindre post de bloggeur, c’est aussi pour faire taire ses employés. par Guillemette Faure

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n janvier 2000, quand Steve Job a débauché Ron Johnson de la chaîne de magasins Target pour lui proposer la direction des Apple Stores, il lui a demandé d’utiliser un pseudonyme pendant plusieurs mois. Même dans l’annuaire de l’entreprise, le nouveau patron de la distribution d’Apple apparaissait sous un autre nom. Personne ne devait savoir qu’Apple se préparait à ouvrir des magasins. L’anecdote en dit long sur la culture du secret qui règne chez Apple. Une entreprise qui construit sa communication sur sa maîtrise du suspense. A chaque fuite, l’entreprise de Steve Jobs se fâche : poursuite en justice de Think Secret, un blog qui répertoriait des rumeurs à propos d’Apple ; descente de police chez le rédacteur de Gizmodo lorsque le blog techno publie des images du prototype de l’iPhone 4 (oublié par un employé dans un bar) ; bloggeurs arrêtés lors d’un Apple show par des vigiles qui les forcent à effacer leur carte mémoire. Le bloggeur de CrApple Store qui racontait ses misères de vendeur dans une boutique Apple a rapidement retiré tous ses posts. “Ce n’est pas les bloggeurs que tout cela vise mais les employés d’Apple”, explique Leander Kahney, auteur d’Inside Steve’s Brain. Il faut

Un an d’articles high-tech g dans la presse américaine Apple 115,1 5,1 % Google 111,4 1,4 % Twitter 7,1 % Facebook 4,8 % Microsoft 3 % Aucune autre entreprise ne réalise plus de 1 % Source : Project for Excellence in Journalism du Pew Research Center, juin 2009-juin 2010

faire comprendre en interne qu’il n’y aura aucune tolérance pour ceux qui parlent. De toute façon, les 46 000 employés d’Apple en savent très peu et la plupart découvrent les nouveaux produits en même temps que le grand public. Ne comptez pas non plus sur l’entreprise pour répondre aux questions des journalistes. “On n’a rien à dire sur la stratégie de l’entreprise, nous répond-on chez Apple France. On ne parle pas de ce qu’on fera dans quelques années, on est dans le présent.” Steve Jobs va-t-il rester chez Apple ? “Il y a eu beaucoup d’articles, on ne veut pas en rajouter”, répond encore la chargée de com. L’explication est essentiellement économique. David Yoffie, de la Harvard Business School, a estimé que les retombées dans la presse de la sortie de l’iPhone en 2007 avaient généré l’équivalent d’un budget publicitaire de 400 millions de dollars. “L’activité d’Apple tient autant du show-biz que du traitement de données”, observe le bloggeur Nicholas Carr, qui voit en Steve Jobs un super impresario. Apple gère la sortie de ses nouveaux produits comme un lancement de film. Quelques semaines avant un grand raout d’Apple, des bloggeurs commencent à spéculer sur ce que révélera Steve Jobs après son célèbre “one more thing” de fin de discours, debout devant le grand écran. Quelques happy few – le Wall Street Journal, USA Today, le blog Boing Boing – ont reçu le produit en avant-première, après avoir signé un accord de confidentialité, pour pouvoir le tester et préparer une critique prévue pour la date de sortie. Quand un grand magazine obtient une interview exclusive de Steve Jobs, c’est “généralement en lui garantissant la couverture”, assure Leander Kahney. Les médias qui n’auront accès ni au nouveau produit ni à Dieu se rattraperont avec des reportages sur les files d’attente devant les Apple Stores. Le dispositif est diablement efficace. Une étude conduite aux Etats-Unis par le Project for Excellence in Journalism du Pew Research Center montre

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Emmanuel Pierrot

que 15,1 % des articles sur les nouvelles technologies pendant un an (de juin 2009 à juin 2010) traitaient d’Apple contre seulement 3 % de Microsoft. “Même si le système d’exploitation de Microsoft est partout, même si Nokia sort bien plus de produits, ces entreprises ne bénéficient pas, et de loin, de la même couverture qu’Apple”, répond Amy Mitchell, auteur de ce travail, quand on lui demande si ce n’est pas simplement parce qu’Apple mérite davantage d’articles si l’on considère l’impact de l’iPod et d’iTunes sur l’industrie musicale, ou les applications de l’iPhone sur les services d’un mobile.

la plupart des 46 000 employés d’Apple découvrent les produits en même temps que le grand public La couverture médiatique d’Apple semble aussi très flatteuse, indique la même étude : plus de 40 % de ces articles suggéraient que les produits Apple étaient innovants et d’une qualité supérieure. Les flops d’Apple sont, eux, plus rarement décortiqués (lire page 36). Qui se souvient du Cube, du Newton ou du MacTV ? 15.12.2010 les inrockuptibles 39

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à fond le commerce Testés pendant des années avant leur ouverture, les Apple Stores sont de vraies machines à créer le désir. par Marc Beaugé

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le libre accès Dans les magasins Apple, sur les ordinateurs en libre accès, on peut surfer sur internet, télécharger des logiciels ou retoucher ses photos. Cette pratique est fondamentale dans le succès des Apple Stores. Fin 2001, des utilisateurs de PC venus acheter l’iPod qui vient de sortir découvrent ainsi benoîtement les Mac et mordent à l’hameçon.

n 1996, lorsque Steve Jobs revient chez Apple, la marque n’a aucun point de vente à son nom. Ses produits ne sont disponibles que sur catalogue ou chez des distributeurs de seconde zone qui les négligent. A tel point que certains fans de la première heure traînent dans les rayons afin de convertir et former les curieux… Pour penser ses propres magasins, Jobs débauche le dg de Gap et recrute des spécialistes de grandes enseignes. Ses idées sont claires : pour coller au standing des produits, les Apple Stores doivent être beaux et bien situés. Quitte à repousser leur ouverture. Apple mettra trois ans avant d’ouvrir son premier magasin à San Francisco. Il faudra attendre 2009 pour qu’un Apple Store s’installe à Paris au Carrousel du Louvre. En 2000, Apple construit un magasin témoin près de son quartier général dans la Silicon Valley. Pendant plus d’un an, la mise en place est testée. On décide qu’un nombre réduit de produits seront en vente et que, nouveauté, ils resteront en libre accès. Le magasin doit avoir quelque chose d’une bibliothèque publique. Pourtant, quand le tout premier Apple Store ouvre ses portes en Virginie le 19 mai 2001, le scepticisme est général. Les Apple Stores reviennent très cher. Dans Business Week, un spécialiste de la vente “donne deux ans à Apple avant de réaliser sa très coûteuse et douloureuse erreur”. Neuf ans plus tard, Apple dispose de 323 magasins à travers le monde. Le premier Apple Store de Paris a ouvert ses portes au Carrousel du Louvre en novembre 2009

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les vendeurs Contrairement à l’immense majorité des vendeurs du secteur informatique, ceux d’Apple ne touchent pas de commission sur les ventes qu’ils réalisent. En théorie, cette politique facilite le rapport client-vendeur, afin que ce dernier conseille sans pousser à la consommation.

Denis/REA

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la transparence Ici, tout est beau et pensé pour favoriser la consommation. Les escaliers en verre transparent, véritable signature des magasins, ont été conçus pour inciter les clients à se rendre au second étage, habituellement peu fréquenté. L’éclairage permet aux ordinateurs de briller comme sur les photos des magazines. Pour arriver à ce résultat, trois lumières différentes furent testées pendant la phase de conception des Apple Stores.

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Michael Tompert/Paul Fa/Rex/Sipa

hommage ou carnage ? Un ancien designer d’Apple désacralise les créations de la marque.

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ichael Tompert, un Allemand installé en pleine Sillicon Valley, a passé un an à détruire puis photographier des produits Apple. Ecrabouillés, flingués, carbonisés. Après San Francisco, l’exposition 12LVE, qui réunit ses clichés, est à Palo Alto (Californie) depuis le 12 décembre. Entretien.

“J’étais graphic designer chez Apple en 2002. Autrefois, c’était une boîte de potaches, une boîte anti-establishment qui avait été lancée un 1er avril (1976) et faisait des doigts d’honneur. Ils sont devenus très gros mais s’ils n’ont pas changé, je dois pouvoir faire ça (avec leurs machines – ndlr). L’idée m’est venue alors que mes gamins se disputaient pour un iPod. Je l’ai détruit

devant eux. Après, je me suis lancé dans ce projet avec Paul Fairchild. J’avais travaillé avec lui il y a une quinzaine d’années. Un jour d’énervement, il avait tiré avec un flingue sur un ordinateur. J’avais besoin d’un fou comme lui, qui ait un studio haute définition et des flingues. Apple est la première entreprise à transformer des ordinateurs en un truc de mode. Après la collection de printemps, il y a celle d’été. Vous n’achetez pas le nouvel Apple parce que le vôtre ne marche plus mais parce qu’il va être démodé. Les gosses réagissent

“je préfère mettre un iPod nano sur des rails de train que le donner à mes gamins”

comme pour les jeans de marque, les parents cumulent les heures sup pour pouvoir suivre. C’est pour ça que je préfère mettre un iPod nano sur des rails de train que le donner à mes gamins. J’ai pris ces photos en haute définition parce que je voulais que ça fasse le même effet que de regarder une image de Google Earth : il y a plein de petits trucs à voir. Apple fait de ses produits quelque chose de tellement magique, iconique, que vous ne savez plus ce qu’il y a dedans. J’ai voulu faire l’exact opposé. Si tu comprends comment c’est fait, tu en es déjà moins esclave. Je ne critique pas Apple mais je n’aime pas voir leurs créations devenir intouchables. D’ailleurs, là, je vous parle de mon iPhone.” recueilli par Guillemette Faure 15.09.2010 les inrockuptibles 41

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Cabaret New Burlesque

Holiday

du 27 décembre au 15 janvier au Théâtre de la Cité Internationale, Paris XIVe

cinéma En deux jours, la vie de Michel Trémois bascule. Alors qu'il est en week-end avec sa femme pour reconstruire leur couple, rien ne se passe comme prévu… Après une nuit folle et tumultueuse, le réveil de Michel est brutal : non seulement il se retrouve accusé de meurtre, mais sa femme est introuvable… A gagner : 15 places pour 2 personnes. Appeler au 01 42 44 15 62 le vendredi 17 décembre de 1 2 h à 1 2 h 30.

scène Le new burlesque sublime avec humour la dimension érotique du strip-tease. Ces pulpeuses Américaines maîtrisent ce qu'elles souhaitent montrer d'elles et s'en amusent en nous amusant.  A gagner : 10 places pour 2 personnes pour le 3 janvier. Appeler au 01 42 44 15 62 le vendredi 17 décembre de 1 5 h à 1 5 h 30.

un film de Maren Ade

cinéma En vacances sur la côte méditerranéenne, un couple en apparence heureux va devoir faire face à ses problèmes alors qu'il rencontre un autre couple. A gagner : 10 places pour 2 personnes. Appeler au 01 42 44 15 62 le vendredi 17 décembre de 12 h 30 à 13 h.

Ted D’ottavio

NOUVEAU

un film de Guillaume Nicloux, avec Jean-Pierre Darroussin, Judith Godrèche, Josiane Balasko

Everyone Else

Ivan le Terrible de Sergueï M. Eisenstein

rétrospective Eisenstein du 15 au 30 décembre à la Cinémathèque française, Paris XIIe

L’Aurore ; City Girl deux films de F.W. Murnau

dvd F.W. Murnau a multiplié les expériences formelles avec une virtuosité ahurissante et signé une vision de l’Amérique aussi foisonnante que sublime. Deux chefs-d’œuvre présentés pour la première fois en haute définition. A gagner : 10 DVD de chaque film. Appeler au 01 42 44 15 62 le vendredi 17 décembre de 11 h 30 à 12 h.

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cinéma Sergueï M. Eisenstein, un des géants de l’histoire du cinéma mondial, a révolutionné l’art et le langage cinématographiques. Il a utilisé les modes de perception du spectateur comme un champ d’expériences inédites dans des chefs-d’œuvre comme Le Cuirassé Potemkine (1925), Octobre (1927) ou Ivan le Terrible (1945). Une séance à choisir parmi vingt projections. A gagner : 15 places pour 2 personnes. Appeler au 01 42 44 15 62 le jeudi 16 décembre de 12 h 30 à 13 h.

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I tout nu 15.12.2010

édito Identité nationale, le retour

François Hollande à Alger, début décembre

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Jean-François Copé veut remettre ça : “Refaisons le débat sur l’identité nationale”, dit-il pour ne pas laisser cette question à une Marine Le Pen en pleine forme “sondagiaire”. Le dilemme est à chaque fois le même : comment contrer une offensive populiste, voire raciste ? En abordant les thèmes choisis par l’extrême droite afin de contester ses thèses ou en refusant de la suivre là où elle veut nous emmener, sur un terrain de toute façon miné ? Copé a choisi la première réponse. Elle procède de la même logique que lorsque Fabius, dans les années 80, affirmait que le FN posait les bonnes questions mais apportait des mauvaises réponses. Il n’y a sans doute pas de règles, parfois il faut aller sur le terrain de l’adversaire pour le combattre, parfois il faut refuser un affrontement “piégeux”. L’identité nationale représente-telle une matière à débat ? Copé affirme que oui. En cela, il valide l’idée de Marine Le Pen selon laquelle nous avons un problème d’identité nationale. Les bases de ce débat sont déjà une victoire pour le FN.

Nacerdine Zebar/Gamma

par Thomas Legrand

Hollande en campagne à Alger Au moment où Ségolène Royal et Martine Aubry s’affrontaient par déplacement interposé en banlieue parisienne, François Hollande était en Algérie. Pas encore officiellement candidat à la primaire du PS mais déjà en campagne.

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n ce début décembre, 28  degrés à Alger, une Française qui a reconnu François Hollande arrive pour le prendre en photo. Le député européen Kader Arif chuchote pour prévenir son ami en pleine discussion  : “Photo, François, lâche-toi”. Hollande, tout sourire, s‘exécute. Ne jamais insulter l’avenir… Outre Kader Arif, François Hollande est venu avec Stéphane Le Foll, député euro-

péen, et Faouzi Lamdaoui, membre du conseil national du PS, pour une visite de deux jours et demi à l’invitation du FLN dans ce pays qu’il connaît bien. Etudiant à l’Ena, il y était venu faire son stage de fin d’études avant de revenir en 2006 comme premier secrétaire du PS. “C‘est un passage obligé… avant 2012”, confiet-il en rappelant que la présidentielle coïncidera avec le 50e anniversaire de l’indé15.12.2010 les inrockuptibles 43

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15.12.2010 tout nu II

L’ex-premier secrétaire du PS avec Ben Bella, père de l‘indépendance algérienne

Nacerdine Zebar/Gamma

pendance de l’Algérie. La primaire du PS se jouerait-elle en Algérie alors que Dominique Strauss-Kahn – en sa qualité de patron du FMI – et Manuel Valls y sont passés juste avant François Hollande ? Pourtant, le passage de ce dernier à Alger n’a pas été très audible en France… Alors à quoi bon y aller ? “C‘est un message pour la communauté algérienne et tous ceux qui ont un lien avec l‘Algérie”, glisse François Hollande. Avant d‘ajouter plus tard : “Je ne suis rien venu gagner si ce n‘est peut-être les cœurs.” Nous y voilà. François Hollande, qui a accordé de multiples interviews aux médias algériens, écrits et télé, n‘a pas oublié la communauté française d‘Algérie – plusieurs milliers de personnes – ainsi que les millions de Français d’origine algérienne. Autant d‘électeurs potentiels… Il en profite aussi pour rencontrer une poignée de socialistes d‘Alger : “Ce n‘est pas parce que vous êtes loin de Solférino qu‘il ne faut pas faire entendre votre voix.” L‘intéressé se défend pourtant d‘être venu sur place pour faire campagne. Encore moins “pour se forger une stature internationale”. Pourtant, l’Algérie est le premier déplacement à l’étranger d’une plus longue série qui devrait emmener François Hollande dès 2011 en Europe, en Afrique subsaharienne et dans un pays émergent, peut-être le Vietnam. “Mais il fallait commencer par l‘Algérie, confie Faouzi Lamdaoui. En raison du lien personnel de François Hollande avec l’Algérie et du 50e  anniversaire de l‘indépendance.” Une manière de roder le dispositif de campagne… et de se présidentialiser. “Etre en campagne, renchérit Kader Arif, ce n’est pas simplement aller chercher des électeurs, c’est se préparer à exercer des responsabilités. L’Algérie, c’est un des sujets sur lequel le futur président aura à réfléchir.” Pour ce voyage, le FLN n‘a pas lésiné sur les moyens. Gardes du corps collés aux basques de François Hollande et de la délégation, motards avec sirène et gyrophare pour escorter le cortège des voitures, pneus qui crissent, klaxon à gogo… Les Algérois regardent la scène, éberlués. Faouzi Lamdoui souligne avec délectation que “François Hollande a été reçu avec les honneurs d‘un chef d‘Etat”. Le député PS de Corrèze devra pourtant se contenter de représentants de Bouteflika – le président étant en Allemagne – et du président du Sénat, le troisième personnage de l’Etat. Pas d‘importance, pour la délégation Hollande, le clou de la rencontre c‘est le rendez-vous programmé avec Ahmed Ben Bella, père de l‘indépendance et premier président de la République algérienne. “Je sais ce qu’il repré-

“POURQUOI ILS NE VOTENT PAS TOUS POUR MOI ? DÉJÀ COMME DÉLÉGUÉ DE CLASSE, PUIS À SCIENCES-PO, À L’ENA, AUX ÉLECTIONS LÉGISLATIVES...” sente pour les Algériens et ce qu’il a fait pour l’indépendance de l’Algérie”, lance François Hollande à l’attention des journalistes devant Ben Bella. L‘homme, âgé aujourd‘hui de 93 ans et qui n‘a pas rencontré de politique français en Algérie depuis le coup d‘Etat qui l‘a renversé en 1965, reçoit l‘ex-premier secrétaire du PS dans sa maison sur les hauteurs d‘Alger. Jusqu‘au bout, le FLN a pourtant manœuvré pour empêcher la rencontre avec celui qui vient d‘être nommé à la tête d‘une commission des sages destinée à préparer le 50e anniversaire de l‘indépendance. “Il n‘est pas disponible... il n‘est pas à Alger”, avance le FLN qui préfère cantonner Ben Bella au passé, avant d‘essayer de semer les journalistes français dans les embouteillages pour éviter qu‘ils ne rendent compte de la visite. Aussitôt, l’entourage

d’Hollande prévient les journalistes par sms de faire fissa demi-tour pour arriver à l’heure. Sur place, l’homme, très grand, accueille avec chaleur François Hollande, ému et impressionné. Ben Bella lui raconte les venues de Mandela qui “venait manger le couscous tous les vendredis à la maison”, la décoration de De Gaulle qui lui a remis en 1944 la médaille de guerre pour faits exceptionnels après la bataille du Monte Cassino, sa saison à l’OM... François Hollande le remercie cordialement après cette heure d’entretien  : “Je sais que vous n’en accordez pas facilement”, se plaît-il a souligner avant d’échanger une chaleureuse poignée de main. Constamment interrogé par les Algérois sur la question de la repentance, François Hollande ne va pas jusqu’aux excuses que certains Algériens demandent. “C’est la France qui doit le faire. On doit dire que la colonisation méritait d’être condamnée et aurait dû l’être. La gauche doit aussi regarder son passé. En  1956, avec Guy Mollet, elle a perdu une occasion et il faut le condamner. Ça, je peux le faire.” Avant d’ajouter : “Il faut regarder l’histoire pour passer à la suite après 2012.” 2012 justement. Définitivement, François Hollande y pense. A un journaliste algérien qui lui demande comment il a fait pour perdre autant de poids, lui qui n’y arrive pas, Hollande sourit : “Vous n’êtes pas candidat à la présidence de la République !” A chaque rencontre, c’est aussi la première question qu’il pose tout sourire à son interlocuteur : “Vous regardez ce qui se passe en France ?” Algérois dans la rue,

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III tout nu 15.12.2010

élève du lycée français, journaliste d’El Watan lors d’une visite au siège du quotidien... tous y ont droit. Alors quand le socialiste voit la fausse une préparée par le journal à l’occasion de sa visite, “2012, j’y serai”, il ne boude pas son plaisir. “Merci pour l’information, j’ai appris quelque chose...” Si François Hollande refuse pour le moment d’officialiser sa candidature à la primaire du PS, il ne fait pas mystère de ses intentions d’être candidat. “Je fais en sorte de pouvoir l’être, je me prépare”, concède-t-il assis sur un muret, face à la basilique Notre-Dame d’Afrique. Avant d’esquisser l’ébauche d’un programme en prônant une réforme fiscale d’envergure, une politique en faveur des jeunes, une plus grande justice sociale, la promotion d’un gouvernement économique européen… Et d’insister sur la nécessité d’un nouveau style présidentiel, en réponse à une interview à Canal+ : “Le temps d’un président normal est venu. Voilà pourquoi j’ai cette manière de faire de la politique. Je ne suis pas là pour régler des comptes, pour coller mes adversaires, pour stigmatiser et encore moins au sein du PS.” Serein, en somme. Pourtant devant des élèves du lycée français, François Hollande lâche en plaisantant : “Je me suis toujours posé cette question : pourquoi ils ne votent pas tous pour moi ? Déjà comme délégué de classe, puis à Sciences Po, à l’Ena, aux élections législatives...“ Pas tous les jours facile, la politique. “Notre stratégie, c’est de faire un pas de côté et d’être complètement décalés par rapport à la compétition interne du PS”, décrypte Stéphane Le Foll. A regarder les quatre comparses qui sont du voyage, on croirait voir les Dalton ! L‘un revient sur l‘histoire du PS qu‘il connaît sur le bout des doigts, l‘autre embraye et mêle PS et Europe, le troisième s‘affaire au téléphone pour finaliser l‘agenda. Clope sur clope au bec, ils bossent pour booster la candidature – encore non officielle – de “leur François“. Marion Mourgue

que le meilleur perde Le pouvoir est un effroyable fardeau ; l’opposition, une situation de rêve. L’objectif profond des hommes politiques n’est pas la victoire mais la défaite.

confidentiel

“Je n’aime pas cette candidature. Je ne crois pas qu’elle soit capable de faire ce métier, mais c’est son droit de citoyenne de vouloir se présenter.” Michel Rocard, ancien Premier ministre (1988-1991, dans Nice-Matin, à propos de la candidature de Ségolène Royal. Ce qui est bien avec les personnes âgées, c’est qu’elles ne prennent plus de gants pour dire ce qu’elles pensent…

par Michel-Antoine Burnier

M. Sarkozy récolte un bel échec, c’est-à-dire une victoire : avec une cote de popularité qui tombe à 24% 1, il atteint le niveau le plus bas depuis son élection – juste récompense pour les affaires de l’été et les grèves de l’automne. De son côté, par sa simple réapparition, Mme Royal relance les querelles entre des socialistes qui, jusque-là, avaient oublié de se disputer. On comprend qu’en cherchant à avancer la date de la primaire, elle vise à éliminer M. Strauss-Kahn, le plus dangereux puisque le plus susceptible de faire gagner la gauche en 2012. Pour perdre dans la situation présente, la gauche se doit de remplir deux conditions : 1. se diviser (c’est acquis) ; 2. présenter un programme contradictoire et mal financé. Mme Aubry s’y attaque  : elle s’épuise à faire rédiger un énième projet socialiste qu’aucun candidat de gauche, elle comprise, ne reprendra s’il doit mener une authentique campagne présidentielle. Elle le sait d’autant plus que ni M.  Mitterrand en 1981 et 1988, ni M. Jospin en 1995 et 2002 n’avaient fait cas des textes négociés avec soin par le parti socialiste de l’époque. C’est bien  : pendant qu’ils débattent et se chamaillent, les militants ne militent pas. Un avertissement  : les hommes et les femmes politiques devraient faire attention, leur goût irrépressible pour la défaite devient trop visible, tant à droite qu’à gauche. Quelques journa-

listes commencent à deviner ce lourd secret, cet amour de l’échec qui explique tout. Déjà le mois dernier, deux journalistes s’en sont dangereusement rapprochés. Le premier, dans Le Canard enchaîné (17.11), titrait son article ”A qui perd gagne” et affirmait qu’à ce jeu M. Sarkozy “se croit le meilleur”. Le second s’exprimait dans Le  Monde (30.11), sous le même titre d’ailleurs. Son auteur suggérait que ”à ce mauvais jeu-là, le résultat de la présidentielle de 2012 pourrait bien se régler à qui perd gagne”. Depuis une semaine, les médias ressortent une vieille expression, la renommée “machine à perdre” que les factions s’accusent l’une l’autre d’actionner pour l’emballer davantage. C’est encore s’approcher de la vérité. A maintenir pareil rythme dans leurs activités victoricides, les hommes et les femmes politiques finiront par se faire démasquer. Dernière trouvaille  : M.  Fillon invente le remaniement dans le remaniement. C’est avouer qu’il a fallu cinq mois d’hésitation pour un travail bâclé. Un conseil : les socialistes, et d’abord M. Jack Lang, qui ont présenté M.  Gbagbo comme un camarade et un bon démocrate, devraient se manifester davantage. 1.  sondage TNS-Sofres-Logica, Le Figaro magazine du 4 décembre 2010.

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safari

Thomas Samson/AFP

Le 11 décembre, au conseil national de l’UMP, Copé a appelé à une levée en masse du parti présidentiel. Il faudrait peutêtre d’abord les réveiller !

pifomètre

Royal au top Notre panel répond, comme chaque semaine, à la question rituelle : qui a le vent en poupe à gauche pour la prochaine présidentielle ?

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semaine précédente

3

moyenne des 3 mois

3

7

2

2 0

3 0

1 0

Olivier Besancenot

4 4

7

Manuel Valls

7

André Chassaigne

6

Arnaud Montebourg

9

François Hollande

Martine Aubry

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Ségolène Royal

Faustine Saigot, 35 ans, médecin, île de Groix. Christophe Donner, 54 ans, écrivain et chroniqueur hippique. Florence Perrin, 36 ans, prof de philo en Seine-Saint-Denis. Edouard Lecerf, 47 ans, directeur général TNS-Sofres. Bernard Gilbert, 54 ans, patron du Bar du marché à Auxerre. Rama Yade, 33 ans, ex-secrétaire d’Etat aux Sports. Evelyne Ghaya, 52 ans, gérante de magasin de presse, Paris XIe. Jacques Foures, 61 ans, patron de la librairie Geronimo à Metz. Fabrice Martinez, 38 ans, directeur de la Bellevilloise, Paris XXe

10

Jean-Luc Mélenchon

11

le panel

2 points. François Hollande, qui se tenait bien ces dernières semaines, commence visiblement à lasser. Pour le dernier pifomètre de l‘année, nous avons choisi d‘ajouter, comme cadeau de Noël, la moyenne réalisée par chaque candidat depuis la création du pifomètre, il y a trois mois.

17

Bernard Gilbert Aubry 3 points, Ségo 2, DSK 1, c‘est un tiercé désolant !

Eva Joly

Christophe Donner 3 points pour Eva Joly qui va devoir corrompre, et oui corrompre, quelques-uns de ses camarades pour accéder à son rêve de présidentielle.

S

égolène Royal reste au faîte du pifomètre de la gauche. Son activisme et son toupet paient. Alors que la candidature d‘Arnaud Montebourg, qui avait été saluée par une entrée en fanfare du Bressan volubile dans la machine à mesurer l‘opinion la plus perfectionnée du paf, a fait pschit ! Le voilà désormais à

Dominique Strauss-Kahn

Fabrice Martinez 3 pour DSK qui a bien réagi à la candidature de Ségo. A qui je mets 2 points parce qu‘elle a l‘énergie pour y aller. Et 1 pour Aubry… si elle y va.

cette semaine

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V tout nu 15.12.2010

presse citron

les relous par Christophe Conte

Ségolène sort son Char, DSK préfère les préliminaires aux primaires, Sarko s’emmêle les Wiki, Jean-Paul Huchon se met en ordre de bataille de polochon. Pendant ce temps, Marine pense au foie gras de Noël.

rancune Lors de la remise de son rapport sur la mondialisation, Christine Boutin n’a pas apprécié que les journalistes lui rappellent la polémique concernant sa rémunération, à laquelle elle avait finalement renoncé. “Si c’est vraiment ce qui vous intéresse, je prends mon rapport et je m’en vais”, a-t-elle répondu aux indélicats.

Jacques Demarthon/AFP

pagaille

Marine : profession de foie Alors qu’elle grimpe dangereusement dans les sondages et qu’Arlette Collabo lui octroie deux heures d’antenne, Marine Le Pen a droit à un grand article de deux pages dans Le Parisien occupé du 9 décembre. A propos de sa vie privée qu’elle refuse d’étaler, précaution dont nous la remercions chaleureusement, la pistonnée du FN déclare : “C’est pas parce qu’on aime le foie gras qu’on est obligé de s’intéresser à la vie du canard.” Autre temps, autres mœurs à la Ferme nationale, autrefois une vieille dinde avait montré ses escalopes dans Playboy pour faire chier un gros porc.

arrête ton Char, Ségo ! Face aux critiques et railleries qui tombent en rafales au PS depuis qu’elle a annoncé par surprise sa candidature aux primaire, Ségolène Royal a choisi de répondre par ces mots délicats du mal nommé poète René Char : “A me regarder, ils s’habitueront” (Libération, 9/12). C’est bizarre, mais ça fait quand même cinq ans que ça dure, ta plaisanterie, et on a du mal à s’habituer. Sans doute parce qu’avec toi, comme le disait également René Char, “l’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant”.

sabilité de Wikipédia”, au lieu de WikiLeaks. Vraiment nullos en nouvelles technologies, il n’en est pas à sa première bourde puisqu’en nommant tout un tas de ministres d’occasion vendus une poignée de nèfles par l’ex-RPR, le président a donné l’impression de confondre remaniement et Price Minister.

Popol emploi

Lue dans Le Nouvel Obs (9/12) à propos des marivaudages préélectoraux du PS, la phrase d’un lieutenant de DSK  : “Dominique souhaite respecter les formes  : Martine d’abord, Ségolène après.” Manuel, Arnaud, François, vous pouvez vous caresser en même temps.

Jean-Paul Huchon est dans de sales draps. Menacé par le Conseil d’Etat d’inéligibilité, le président socialiste de la Région Ile-de-France pourrait bien se retrouver au chômedu à cause d’une banale histoire de non-respect des règles électorales. Mais il ne compte pas se laisser faire, Popol, comme l’annonce Lepoint.fr (8/12) qui détaille la stratégie mise en place par ses avocats. Bon, et s’il leur reste un moment, ils pourraient aussi attaquer ses parents pour avoir donné un prénom pareil à un gamin nommé Huchon.

ridicuLeaks

très confidentiel

Selon Le Canard enchaîné (8/12), Nicolas Sarkozy se serait gentiment ridiculisé lors d’un récent Conseil des ministres en parlant de “l’irrespon-

Frédo Lefebvre a été pris d’un léger malaise la semaine dernière. Ça vaudra pour tous ceux à qui il file la nausée depuis cinq ans.

threesome cow-boy

Le ministre des Transports d’Ecosse, Stewart Stevenson, a présenté sa démission après les problèmes de circulation lors des chutes de neige la semaine dernière. Le réseau écossais était resté bloqué pendant de longues heures. Ce n’est pas à Brice Hortefeux, qui fait une grosse gaffe par semaine, qu’il viendrait l’idée de présenter sa démission…

Woerth 2012 “Je compte m’investir au cœur de la campagne de 2012”, dit Eric Woerth dans Le Parisien. Nicolas Sarkozy ferait bien de le nommer ambassadeur dans un pays d’Asie centrale avant qu’il ne lui plombe sa campagne.

silence Copé n’est pas sympa avec Bertrand, son prédécesseur à la tête de l’UMP. Il n’avait pas prévu de lui laisser la parole à la tribune de la réunion du parti présidentiel le 11 décembre. Pourtant, “j’avais un message à faire passer”, a dit Xavier Bertrand... Il lui reste Facebook. 15.12.2010 les inrockuptibles 47

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contre-attaque

Urbanistes et architectes novateurs s’inspirent des bidonvilles pour imaginer le futur des villes. Quand le Sud donne des leçons de “vivre ensemble” et d’urbanité au Nord…

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asque de naissance et suisse de nationalité, le jeune Matias Sendoa Echanove est diplômé de la prestigieuse London School of Economics et de Columbia. C’est aussi un expert passionné de développement urbain équitable et, à ce titre, il émarge à l’ONG Urbanology et à URBZ, centre d’échange ouvert aux résidents de Dharavi, gigantesque bidonville, fort d’un million d’âmes, situé au cœur de Bombay (Mumbai). Matias Sendoa Echanove est de ceux, de plus en plus nombreux, qui ont choisi de s’immerger dans l’énergique chaos des slums du Sud pour y renouveler leur propre créativité. Son projet ? Contribuer au développement du bidonvillle par la base, et s’en inspirer pour de futurs projets urbains. Avec son enchevêtrement de piètres masures de carton et de briques, une électricité rafistolée, et même pas de tout-à-l’égout, Dharavi reste avant tout un espace d’extrême précarité. Serait pas un peu illuminé, le Matias ? Pas sûr. Dharavi a beau être connu pour Slumdog Millionaire, le blockbuster auquel il a servi de décor, ses habitants se disent furibards de la vie misérable et, surtout, de la crasse décrites dans le film. Présenté en compétition au Festival international des programmes audiovisuels (Fipa) de Biarritz 2010, Dharavi, Slum for Sale, du Suisse Lutz Konermann, va plus loin. Il raconte comment cette sous-ville est menacée par les bulldozers : la municipalité de la mégapole économique de l’Inde souhaite en

Un homme à sa fenêtre dans un baraquement de Dharavi, le plus grand bidonville d’Asie.

effet rattraper les standards urbanistiques des grandes capitales du monde. Une des solutions suggérée par les investisseurs : récupérer les terrains, raser les masures invivables (les “huts”, comme on les appelle) et rebâtir. Avec cette promesse faite aux habitants : vous nous laissez faire et vous aurez un logement en dur, propre et à vil prix. Cette idée a beau avoir reçu l’aval de personnalités diverses, jusqu’à Muhammad Yunus, inventeur du microcrédit et “banquier des pauvres”, elle a provoqué la fronde des habitants. A la pointe du combat, la National Slum Dwellers Federation, qui propose de réhabiliter Dharavi, mais avec une stratégie bottom up : obtenir des

Danish Siddiqui/Reuters

slumdog visionnaire

crédits pour permettre aux habitants (dwellers) de reconstruire eux-mêmes leur pâté de maisons. Une approche plus sensible et moins coûteuse. L’esprit d’entreprise est omniprésent dans la manière dont les slum dwellers, constructeurs par obligation, consolident et améliorent leurs logements. Surtout, l’entraide et la solidarité sont la règle alors que, dans la plupart des autres communautés urbaines à travers le monde, les voisins s’ignorent soigneusement. Un peu à la manière des éthologues qui s’intéressent à la vie des colonies de fourmis, ces résilients sont maintenant observés de près. Ils auraient des choses à nous apprendre. [email protected]

en pratique le bidonville, un modèle ! Parmi les chantiers menés par URBZ à Dharavi, une maison pour les jeunes d’un quartier, dessinée par des habitants encadrés par deux jeunes architectes italiens installés à Mumbai. Elle est fabriquée à partir de panneaux publicitaires récupérés (www.urbanology.org). Matias Sendoa Echanove n’est pas le seul à regarder ces habitats de fortune comme le futur des mégapoles. Deux architectes norvégiens de l’ONG Tyin sont parvenus à une conclusion semblable au terme d’une mission d’étude en Thaïlande, auprès de réfugiés de la minorité karen de Birmanie, qui édifient leur habitat avec, en plus du bambou et des palmes, essentiellement des matériaux de récupération.

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propagenda

vous avez dit crise ? quelle crise ? Depuis un moment, elle était interdite de séjour, expurgée du vocabulaire, taboue. Voilà qu’elle refait surface, bien décidée à ne pas s’en aller comme ça.

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ès les premiers mois de l’année 2010, politiques et médias annonçaient la “sortie de crise”. Les plus enthousiastes parlaient même de “reprise”, voire de “relance”. Ouf, cette peste, qui avait semé la panique dans les finances mondiales pendant quinze mois d’affilée, semblait enfin derrière nous. Puis, en mars, Patrick Pélata, directeur général de Renault, dit tout haut ce que tout le monde s’évertuait à taire : “Les informations que nous avons aujourd’hui sont moins bonnes qu’il y a deux ou trois mois. Le scénario d’une reprise est de plus en plus repoussé dans le temps.” N’empêche, à mesure que les problèmes de déficits s’aggravaient, on a cessé de parler de sortie de crise. Mieux : on a cessé de parler de crise, tout bonnement. En imaginant réduire ainsi la psychose collective. Pendant de longs mois, un projet de programmes courts et astucieux a circulé à France Télévisions, qui ambitionnait de faire de la pédagogie autour de la crise. Courage, fuyons ! Il ne s’est trouvé aucun annonceur pour le parrainer, aucun dircom pour associer le nom de son entreprise à ce maudit mot. “Ces manœuvres d’évitement sont très surprenantes, commente l’économiste Olivier Pastré. Dans l’étymologie grecque ou dans l’idéogramme chinois qui la représente, la crise a le sens qu’on lui connaît aujourd’hui, mais elle signifie son contraire également, c’est-à-dire le rebond ou un nouveau départ, c’est utile à rappeler.” Alors pourquoi cette phobie à appeler un chat un chat. Désigner le problème, c’est avancer vers une solution, non ? Comme

si ne pas nommer la chose pouvait la faire disparaître ! Dans les églises ou les sectes, on évite de citer le diable pour éviter de le convoquer. Car une fois que Belzébuth s’est pointé, difficile de le chasser. Cette pratique magique d’exorciste ou d’illusionniste n’a pas fait la preuve de son efficacité. Mais beaucoup s’y sont quand même pliés. A défaut de crise, on a parlé de “plan d’austérité”, ou “de rigueur” donc. Et, avant ça, de “croissance négative”. Belle trouvaille sémantique, qui associe deux termes contradictoires, bref bel ox ymore ! Mais parler de crise – ou pas – n’est déjà plus le sujet. On est en effet entré dans une ère nouvelle, où elle n’est plus juste un phénomène, un accident de l’histoire, mais un état durable et apparemment irréversible. Car on ne reviendra jamais en arrière, à la croissance des années 1980 ou à la félicité économique des trente Glorieuses. Ces jours-ci, c’est l’Irlande qui mobilise l’attention, avec un plan de rescousse européen mis sur pied pour la sauver de la débâcle, comme pour la Grèce il y a quelques mois. Et il y a quelque chose de réconfortant dans ce bel élan de solidarité : tant que ça se passe en Irlande aujourd’hui, en Espagne ou au Portugal demain, on n’est pas au bord du gouffre, nous ! Au passage, on notera que le mot crise a subrepticement refait surface. En fait, pour évoquer la “crise de l’euro”, et non pas la crise tout court : politiques et commentateurs ne vont tout de même pas basculer trop vite dans le principe de vérité... [email protected]

Hector de la Vallée

A lire Le Roman vrai de la crise financière d’Olivier Pastré et Jean-Marc Sylvestre (éd. Perrin) ; Sorties de crise de Patrick Artus et Olivier Pastré (éd. Perrin) ; Les Dix-Sept Mensonges de la sortie de crise (Fayard, à paraître). A voir  Inside Job, excellent documentaire de Charles Ferguson, une crucifixion en règle des banquiers. Cleveland contre Wall Street de Jean-Stéphane Bron, ou le procès fictionné des subprimes, avec les vraies victimes des entourloupes des banques. A visiter Le bobo-provo Fucklacrise.com, forum qui regorge de bons plans.

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La Défense vue de Chanteloup-les-Vignes

débat d’idées Valentine Vermeil/Temps machine/Picturetank

la lutte des places Le concept de la fracture sociale redeviendra-t-il un thème de campagne ? Si le sujet a pour l’instant disparu du vocabulaire politique, son ampleur croissante au sein de la société française inquiète sociologues et géographes.

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ieux que les politiques, les sciences sociales savent révéler les lignes invisibles qui traversent la société. Dans Le Destin des générations, le sociologue Louis Chauvel estime que “notre crise sociale est en particulier une crise de la représentation de nos réalités sociales”. Pour intervenir politiquement sur le réel, encore faut-il d’abord porter un regard juste et précis sur ce qui l’anime. Un constat partagé par le géographe Christophe Guilluy, lui aussi soucieux de mettre à plat les lignes de fracture cachées de la société française. Fracture ? Un peu disparu du vocabulaire politique depuis la fin de la campagne électorale de 1995, où Chirac l’avait instrumentalisé, le terme refait surface aujourd’hui en offrant de multiples éclairages sur les inégalités sociales, territoriales, économiques et culturelles. Pour Guilluy, la géographie permet de prendre la mesure des “conflictualités qu’une doxa dominante refuse de prendre en compte”. La représentation classique de la société opposant les banlieues aux autres territoires lui semble dépassée. Plutôt que de se focaliser sur les ghettos (qu’au passage, il minimise de manière un peu rapide), le géographe insiste sur le changement crucial du paysage social de la France : sa nouvelle dominante pavillonnaire. La majorité des ouvriers, des employés et des mé-

nages modestes vivent désormais sur des territoires périurbains, industriels et ruraux, à l’écart des lieux de pouvoir économique et culturel ; “c’est dans cette France périphérique qu’émerge la nouvelle sociologie de la France populaire, qui trace de nouvelles lignes de fractures politiques.” Ces couches populaires sont les grandes perdantes de ce qu’un autre géographe, Michel Lussault, appelle “la lutte des places”. Car la réalité des pratiques d’évitement résidentiel ou scolaire, déjà analysées par Eric Maurin (Le Ghetto français) creuse une profonde plaie sociale : la tentation du séparatisme. “Tout se passe comme si l’on acceptait le principe du ‘vivre ensemble’ mais sur des territoires séparés, surtout pour les catégories aisées.”

LES MÉNAGES MODESTES VIVENT DÉSORMAIS SUR DES TERRITOIRES PÉRIURBAINS, À L’ÉCART DES LIEUX DE POUVOIR

Reléguée, livrée à elle-même, cette France périphérique subit de plein fouet les effets de la mondialisation : la fracture sociale s’élargit dans cette France-là. Pour Louis Chauvel, centrée sur cette question fondamentale et pourtant minorée dans le débat public, cette faille s’incarne, au-delà des territoires, dans le “déclassement générationnel”. Dénonçant “l’incapacité française à prendre à bras le corps le problème, soit par déni de la réalité, soit par incapacité cognitive à comprendre la complexité des effets longitudinaux de génération”, Chauvel analyse les mécanismes et les effets du chômage de masse sur les jeunes, la stagnation de leur niveau de vie, la hausse du prix du logement, la mobilité sociale bloquée… Et l’auteur d’afficher son scepticisme quant à la possibilité que les catégories les plus puissantes fassent des sacrifices pour éviter le “déclassement systémique” des jeunes générations. Le “complexe de Kronos” – du nom de ce dieu grec qui dévora ses enfants – mine une société française dont les fractures se creusent dans une forme de cécité généralisée et d’impuissance politique larvée. Jean-Marie Durand Fractures françaises, de Christophe Guilluy (François Bourin éditeur), 196 pages, 19 € ; Le Destin des générations, de Louis Chauvel (PUF), 456 pages, 19 €

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la folie Autoportrait

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A Londres, le street artist a organisé sa contrefête de Noël rituelle. Spéculateurs, fans, artistes, collectionneurs et même police y ont découvert les nouvelles œuvres du romantique révolutionnaire dont le film Faites le mur sort enfin en France.

Banksy Kissing Cops, 2005

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par JD Beauvallet

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Guetta-pens ? Qui est le personnage principal du film de Banksy ? Thierry Guetta, la nouvelle prétendue star du street art, est-il un fake ? Fripier à Los Angeles et vidéaste compulsif, Thierry Guetta est présenté comme le cousin du street artist français Invader, ce qui lui a permis de connaître Shepard Fairey (Obey), puis Banksy. Atteint à son tour par le virus, Guetta s’est réincarné en Mr. Brainwash, un artiste qui concentre avec bonhomie tous les reproches faits au street art : celui-ci perdrait son esprit en entrant dans les galeries ; détourner quelques icônes de la pop culture ne requiert ni habileté ni génie, et ça a déjà été fait ; facile à comprendre et à aimer, ce ne serait qu’un attrape-gogos middle class. Négatif presque trop parfait de Banksy, dont il sert à souligner en creux le talent corrosif, Mr Brainwash suscite l’interrogation. Est-il un pantin aux mains de son mentor, un aimable opportuniste ou un artiste véritable, quoique médiocre ? Ce qui est certain, c’est qu’il existe des Guetta dans la fringue à L. A. et que, dès janvier 2007, au détour d’un article du L. A. Ti mes sur Shepard Fairey, on croise l’homme à la caméra, premier personnage bombé par un Thierry Guetta qui ne signe pas encore MBW. En juin 2008, son exposition Life Is Beautiful, documentée dans Faites le mur, a bel et bien été un triomphe.

En revanche, dès cette époque, on s’interroge : comment cet inconnu a-t-il pu produire, orchestrer et réussir un événement d’une telle ampleur ? On lui reproche pêle-mêle la pauvreté de son imagination et de son message, le fait d’avoir sous-traité la réalisation de ses œuvres ou ses amitiés célèbres et suspectes. L’idée que MBW puisse être une supercherie signée Banksy apparaît. Mais on loue son humour et son enthousiasme, et, en février 2010, le Christian Audigier du street art investit un entrepôt désaffecté à New York pour un nouveau déballage géant baptisé ICONS. En tant qu’artiste, Mr. Brainwash semble avoir trouvé sa voie avec la création de ces éphémères Luna Park pop. Comme le résume l’artiste Skullphone, “s’il y avait une attraction autour du street art à Disneyland, c’est ce qu’on aurait fait”. Pour le galeriste Jonathan Levine, qui représente notamment Invader et Blek le Rat, “il s’inspire entièrement de Shepard et de Banksy, mais, ajoute-til, le mystère est toujours intéressant”. Récemment, les œuvres de Mr. Brainwash ont largement dépassé les estimations lors d’une vente londonienne. Loin cependant des prix d’un Banksy. Jean-Baptiste Dupin

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etit Papa Noël, quand tu déverseras ton fiel…” Pendant les années 2000, ça aurait pu être la chanson officielle des Santa’s Ghetto, expositions sauvages londoniennes organisées juste avant les fêtes par le street artist Banksy et ses complices. Les Santa’s Ghetto et leurs polémiques systématiques ont été un moyen pour Banksy, d’abord inconnu puis propriété privée de quelques happy fews, de diffuser ses peintures et lithographies mais aussi d’installer son nom par quelques coups d’éclat : en 2003, près de Carnaby Street, la peinture d’un Christ crucifié portant des sacs de shopping s’était attiré les foudres de la presse conservatrice. En 2006, une image détournée par Peter Kennard de Tony Blair se photographiant réjoui devant un Bagdad en flammes allait devenir le symbole de l’opposition à la guerre en Irak – provoquant la rage du gouvernement. En 2007, Banksy et son barnum embarquaient même leur mauvais esprit salvateur vers Bethléem, s’occupant de la décoration du mur des territoires occupés. Une installation minutieuse de la vieille ville de Jérusalem entourée de miradors allait se charger du scandale. A chaque fois le même mode opératoire pour ces vernissages très prisés : annonce, d’abord, sur un site internet des dates du show puis, le jour même,

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annonce par mail nominatif du lieu et de l’heure. Après avoir longtemps déserté Londres, l’esprit du Santa’s Ghetto est de retour en ville à l’approche des fêtes. L’exposition s’appelle Marks & Stencils, un détournement du logo de Marks & Spencer (vieille habitude). La veille de l’ouverture, Banksy triait encore les dizaines d’œuvres à exposer, notamment celle de son nouveau protégé, le Toulousain Dran, venu les valises pleines de ses images d’enfants rêveurs, fugueurs, caustiques. Les portes ne sont pas encore ouvertes que le scandale s’étale déjà dans les tabloïds anglais : une toile signée Mark Sinckler met en scène un des bus dévastés par la vague d’attentats du 7 juillet 2005 d’où s’évade une nuée d’anges. Prévenue par des piétons outrés, la police fait une descente. Il est question de fermer la galerie. La police finit par quitter les lieux en conseillant à l’équipe de décrocher l’œuvre de la vitrine, histoire de calmer le jeu et d’éviter des réactions qu’elle craint violentes. Comme depuis quelques années et l’ascension de Banksy, anonyme de Bristol devenu l’artiste anglais le plus populaire et controversé des années 2000, très loin devant tous les Damien Hirst (qui le collectionne) du royaume, la queue a commencé à se former dès l’annonce du lieu, en fin de matinée. Dans cette foule, on reconnaît quelques collectionneurs, de simples fans de street art qui gèrent aujourd’hui un véritable patrimoine après avoir eu la chance d’acquérir des Banksy dans les premiers Santa’s Ghetto : des toiles achetées 300 euros, vendues à plus de 120 000 euros quelques années plus tard ! On nous montre un groupe d’adolescents : ils ont loué leurs services à de riches collectionneurs qui n’avaient pas envie de passer la journée dehors par zéro degré. Ils seront les premiers à pénétrer dans la galerie improvisée et à acheter les pièces uniques ou les tirages limités dont ils enverront en direct les images à leurs commanditaires. Les spéculateurs aussi sont là. Ils ne ratent aucune exposition de Banksy dans le monde. Les organisateurs dégoûtés les voient débouler de Los Angeles à Bethléem, carnet de chèques à la main : en quelques heures, sur e-Bay, ils auront vendu les pièces jusqu’à vingt fois leur prix d’achat – ils font penser à ces gouapes douteuses qui vendent très

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1 A Soho Square, Londres, 2006 2 Crude Oils, Modified Oil Paintings # 12, 2005 3 A Bethléem, 2005 4 Boring, 2010 5 3d Rat, 2010 6 Napalm (Can’t Beat That Feeling), 2004 15.12.2010 les inrockuptibles 55

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On reconnaît certains artistes et quelques collectionneurs huppés entassés dans la galerie située à deux doigts des sex-shops de Soho. En fait, on pourrait discuter avec Banksy sans même le savoir. Apparemment, c’est déjà arrivé à une précédente exposition mais pas moyen de se souvenir lequel de nos interlocuteurs avait les ongles souillés par les bombes de peinture ! Cette liberté n’a pas de prix : elle lui permet de continuer à investir les briques de la ville, à rendre la parole aux murs.

cher les tickets de concerts devant les salles sold out. L’un d’entre eux demande aux autres s’ils n’ont pas un pochoir sur toile de Banksy à vendre : il a 40 000 euros en cash et, à l’évidence, un client déjà en vue. Ils parlent de leurs dernières prises comme des philatélistes, comme des collectionneurs d’images Panini. Ils se fichent pas mal de l’art grinçant, de la poésie lunaire de Banksy, seul compte le cash que le street artist génère. En Angleterre, Banksy est devenu un marché tellement juteux qu’il est désormais aux mains d’une mafia qui contrôle aussi le trafic de drogues et de DVD pirates. On ne trouve plus un marché, plus une boutique de souvenirs sans un gadget Banksy : sur des grenouillères de bébé, des mugs, des toiles même, tout est détourné par cette économie grise. Une récente enquête l’affirmait : il est l’artiste dont le copyright est le plus bafoué au monde. C’est aussi un choix : Banksy offre ses images en téléchargement sur son site et refuse, pour protéger son anonymat, de se lancer dans le moindre procès médiatique. Car la grande force de Banksy, incroyable dans un pays scruté par des centaines de milliers de caméras de surveillance (une des cibles du graffeur), reste son anonymat : les tabloïds de droite, furieux de son mauvais esprit contagieux, ont mis sa tête à prix. Mais personne n’a encore trahi Banksy : son nom et son visage demeurent un mystère sauvagement protégé par ses proches. A Bristol, ville de ses premières actions, il existe des dizaines de street artists prêts à raconter aux journalistes des histoires sur Banksy : mythes et légendes, pathétique moyen de s’offrir quelques secondes de gloriole. Banksy, lui, court toujours.

un gars a 40 000 euros en cash : il cherche à acheter un pochoir sur toile

Ce genre de pince-fesses jet-set fait aussi partie des ambiguïtés et de l’ironie du triomphe de Banksy : lui qui a, avec un tel humour noir, un tel romantisme révolutionnaire, une telle virulence, dénoncé les hystéries de la finance et la barbarie du libéralisme est aujourd’hui collectionné avec passion par quelquesuns des plus conservateurs ténors de la City. Sans qu’il en fasse la moindre publicité, on sait qu’une grosse partie de ses revenus colossaux partent vers des œuvres caritatives : ils servent aussi à faire vivre ses studios, où se pressent, dans un atelier de la campagne anglaise, ses nombreux collaborateurs, qui opèrent ici ou là sous forme de commando, montant et démontant des installations en quelques heures. Récemment, sur le front de mer de Brighton, Banksy avait placé un de ces dauphins mécaniques que chevauchent les enfants. La musique était lugubre, dingue, et le dauphin sautillait inlassablement dans une marée noire créée pour l’occasion. Pour Marks & Stencils, s’il a été omniprésent et maniaque dans le choix des artistes et des œuvres, il est resté très discret sur ses propres créations : quatre peintures seulement, disputées à plus de 100 000 euros pièce dès l’ouverture. Et, surtout, une lithographie qui renseigne sur son avenir proche : un chav, genre de hooligan désœuvré, traînant son chien. Sauf que le pitbull est ici remplacé par un des chiens de l’artiste Keith Haring. Sans doute un avantgoût de la vaste rétrospective du street-art qui se prépare au printemps à Los Angeles, où Banksy entrera au musée d’Art moderne sans forcer la porte : pendant des années, une de ses spécialités fut l’accrochage de ses œuvres, pompeusement encadrées, dans tous les musées du monde ! L’histoire d’amour entre le street artist de Bristol et Los Angeles (il est collectionné par plusieurs stars de l’entertainment) s’est confirmée avec la sélection de son film documentaire Faites le mur aux prochains oscars : “Banksy goes to Hollywood !” A deux pas de la galerie, Oxford Street brille de toutes ses lumières de Noël : ordre d’insouciance et d’abandon pour un mois d’hébétude ainsi que de consommation frénétique. En contrepoison, Marks & Stencils ravive la flamme toxique et la poilade acide des Santa’s Ghetto désormais légendaires. Des détournements de cartons d’emballage et de cartoons emballants de Dran jusqu’aux manchettes post-situ de Banksy, le Grinch est en ville – qu’on sorte le tapis noir. Exposition Marks & Stencils jusqu’au 22 décembre à Londres (1 Berwick Street, Soho), www.picturesonwalls.com Livre Guerre et spray de Banksy (éditions Alternatives, première traduction française de son ouvrage Walls and Piece, 240 pages, 21,50 €). Sortie le 16 décembre.

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Faites le mur Détournant un documentaire sur le street art, Banksy livre une farce wellesienne sur les faux-semblants de l’art contemporain. En passant à la réalisation, l’insaisissable Banksy continue à tromper son monde en glissant insensiblement du documentaire pur et simple au “documenteur” (cher à Agnès Varda), voire au mockumentary. Le film est en partie un tableau (em)brouillé de la création picturale sauvage selon Banksy, à base de papiers collés, mais aussi selon Shepard Fairey, qui emploie la même technique pour investir des murs entiers – déclinant dans le monde entier son célèbre slogan “Obey” et ses figures à la Big Brother –, ou (Space) Invader, qui constelle les capitales du monde de carrés de mosaïque inspirés du jeu vidéo des années 1980. Ce documentaire ne raconte pas l’histoire de Banksy, ni de ses acolytes graffeurs, mais d’un Français de Los Angeles, Thierry Guetta, vendeur de fripes dingue de vidéo, qui filme sa vie 24 h/24. C’est en découvrant l’œuvre de (Space) Invader, soi-disant son cousin, que Thierry Guetta, Monsieur Jourdain du street art, a commencé à traquer caméra au poing les artistes intervenant sur les parois los-angeliennes. De fil en aiguille, il est devenu le chroniqueur, le guide nocturne, l’assistant-groupie de Fairey et de Banksy. Réalité ou fiction, vérité ou mensonge ? On l’ignore, et c’est

ce qui fait l’intérêt du film, qui coïncide parfaitement avec l’agit-prop de ces pirates urbains, désirant à la fois donner des cours de morale à la société et des leçons de provoc aux artistes embourgeoisés. Le film excède son apparence farcesque en décortiquant la démystification de l’art initiée par Duchamp et Warhol. Complètement mégalo, Guetta se rebaptise Mr. Brainwash et se lance dans le street art, ou plutôt dans le marketing cynico-industriel du street art. Conseillé par Banksy, il met en scène une exposition monumentale à Los Angeles, qui ressemble non seulement à une caricature grotesque du travail de celui-ci, mais du pop art dans son ensemble. Le bien nommé Mr. Brainwash recycle Warhol jusqu’à l’écœurement et vide de son sens le street art, infernal recyclage et détournement d’images publiques, mais aussi le business de l’art. Mystifier tout en démystifiant, voilà la force du film de Banksy, qui incite tout un chacun à se méfier non seulement des imitations (voire des multiples warholiens à la limite de l’escroquerie), mais aussi de la confusion entre œuvre d’art et produit industriel. Une amusante leçon. Vincent Ostria Avec Rhys Ifans, Thierry Guetta, Banksy (G.-B., E.-U., 2010, 1 h 26) 15.12.2010 les inrockuptibles 57

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pas de Noel pour Gallagher Adieu Oasis, bonjour Beady Eye. “On fait de la musique, pas une putain de thérapie à la con”, s’emballe Liam, trois mois avant la sortie d’un premier album sans son frère. par Johanna Seban photo Steve Gullick

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n se souvient d’une soirée de l’édition 2009 du festival Rock en Seine : dans les coulisses, avant de monter sur scène, les frères Gallagher se disputaient pour la énième fois et Oasis annonçait finalement sa séparation. Définitivement éloigné de son grand frère Noel, Liam n’a pas pris sa retraite pour autant. Il a retrouvé ses anciens copains de groupe pour en former un nouveau : Beady Eye. Soit Liam Gallagher au chant, Gem Archer et l’ancien Ride, Andy Bell, aux guitares, Chris Sharrock à la batterie. Quelques mois avant un premier album au titre poétique (Different Gear, Still Speeding – “Changement de vitesse, toujours à fond”), on part les rencontrer dans le salon d’un grand hôtel londonien, après un trajet retardé par la neige. “Fooking snow, fooking winter !”, commente Liam. Entretien > Pourquoi avez-vous créé Beady Eye ? Liam Gallagher – On n’avait pas de grande ambition, on voulait simplement continuer à faire de la musique. Ça ne va pas plus loin. On sortait d’une tournée de treize mois avec Oasis, on aurait pu s’arrêter et faire une pause. Mais on n’a pas tenu : au bout de quelques jours, on s’est retrouvés pour jouer ensemble. A Noël, on avait déjà écrit six chansons. Etait-ce pour toi une manière de retrouver des sensations perdues avec l’aventure Oasis ? Liam – Je n’ai pas perdu un seul putain de truc, l’envie ne m’a jamais lâché. Mais les choses nous ont paru plus fraîches, plus spontanées. Mais on n’a pas du tout intellectualisé la démarche. On ne parle pas de choses intimes entre nous. On fait de la musique, pas une putain de thérapie à la con. Je suis du genre bavard, mais pour annoncer au monde combien nous allons être putain de bons, pas pour dire ce que je ressens.

“si l’un de nous fait de la merde, on lui dit et personne n’est vexé”

L’album puise ses influences dans un répertoire rock classique. On sent une continuité dans le son, sans volonté de s’essayer à d’autres genres. Ecoutezvous toujours les mêmes artistes ? Liam – Les mêmes vieux trucs, ouais. On ne va pas s’amuser à entrer dans une phase africaine ou un truc du genre, avoir une putain de phase batteries du Burundi, juste pour le principe. Cela dit, notre premier single (Bring the Light – ndlr) s’inscrit dans une tradition fifties qui avait peu de place au sein d’Oasis. Mais ça n’est pas un morceau rétro pour mecs coiffés à la banane, c’est aussi le Velvet Underground et les Sex Pistols. C’est juste du putain de rock’n’roll. Andy Bell – Les gens se mettent souvent la pression parce qu’ils ont peur de jouer une musique qui a déjà été jouée avant eux. On s’en fout. A partir du moment où c’est un nouveau morceau, c’est un nouveau morceau. Pourquoi avoir collaboré avec le producteur Steve Lillywhite ? Liam – C’est lui qui nous a choisis. Il a téléphoné à notre manager. Il avait travaillé sur l’album des La’s qu’on adore, alors on a dit OK. On a passé un bon moment en studio : on était à la fois excités et disciplinés, spontanés et à l’écoute. Il n’y a pas de putain de leader dans Beady Eye, tout le monde a ses responsabilités. C’est une démocratie : on se permet de dire à l’autre qu’il fait de la merde si c’est le cas et personne n’est vexé. On devine que Beady Eye te convient davantage qu’Oasis. Est-ce dur d’être dans un groupe ? Liam – Ça dépend du groupe… Je pense que si tu me mettais dans un putain de girls band, elles vivraient mal ma présence. Mais ce n’est pas dur d’être dans Beady Eye. C’est le meilleur truc du monde. Ce qui est dur, c’est d’écrire des bonnes chansons. C’est si facile d’écrire des chansons de merde. Andy Bell – C’est un peu comme regarder au-dessus d’un aéroport : il y a des tas d’avions qui attendent leur tour pour descendre sur la piste. Mais il faut que chacun accepte d’atterrir pour que les autres puissent suivre : c’est pareil avec les chansons. Liam – Voilà, on est des putains de contrôleurs aériens. Et crois-moi, y a des chansons bloquées à la douane après, parce qu’elles sont bourrées de drogues. Après, pour écrire les paroles, il n’y a pas de putain de problème. Suffit de mentir à propos de tout. Puis les

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“On ne va pas commencer à écouter les mecs de l’industrie du disque qui veulent nous expliquer comment vendre des disques”

gens viennent me demander : “Mais qu’est-ce que t’as voulu dire ?” Eh bien rien du tout. Je suis pas psychiatre. Comment envisagez-vous l’avenir de Beady Eye ? Liam – L’idéal serait de faire des concerts et de retourner rapidement en studio. Cette première expérience a été formidable : tout s’est fait naturellement et rapidement. Parfois, j’entends que des groupes ont mis deux ans à enregistrer un album. Deux ans en studio, ça me foutrait les boules. Comment forme-t-on un groupe à une époque où les albums ne se vendent plus ? Liam – Reprendre les choses là où Oasis les avait laissées, c’est-à-dire jouer dans des putains de stades,

ça me donnerait envie de vomir. Après, on ne va pas commencer à écouter les mecs de l’industrie du disque qui veulent nous expliquer comment vendre des disques, ces débiles qui te disent qu’il y a trop de morceaux sur ton album. C’est comme dire à quelqu’un : “C’est bien, tu as construit ta maison, il y a une chambre et un salon, je te conseille de pas te faire chier à construire un toit.” Putain de n’importe quoi, si je veux un putain de toit, je construis un putain de toit. Album Different Gear, Still Speeding (Pias), sortie le 28 février Concert le 13 mars à Paris (Casino de Paris) www.beadyeye.com 15.12.2010 les inrockuptibles 59

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L’Irlande compte le plus grand nombre de chevaux par habitant en Europe

on achève d’abord les chevaux

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En Irlande, la crise a jeté dans la nature des milliers de chevaux abandonnés par leurs propriétaires, ruinés et incapables de s’en occuper. par Anne Laffeter photo Mark Duggan et Deirdre Keaney 60 les inrockuptibles 15.12.2010

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Ballymun, banlieue nord de Dublin. Depuis le début de la crise en 2008, le chômage est monté à 14 %

’ordinaire, le premier dimanche du mois, le Smithfield market de Dublin grouille de canassons. Un grand marché devenu ultra popu, sorte de cour des Miracles équine : les chevaux de course à 9 000 euros ont été remplacés par des poneys, des tinkers (race bicolore typiquement irlandaise) et autres bourriques cabossées par la vie, aux sabots fendus, bradées à 100 euros voire à 50. Mais ce 5 décembre, la place est seulement blanche de neige. C’est un peu l’hiver 1954. Le pays n’a pas connu un tel froid depuis 1966. La vie s’est arrêtée. En Irlande, le cheval est une institution. Dans la pub de Noël de Guinness, après le plan sur la famille vient celui sur le cheval de la famille. Ce pays de 4,5 millions d’habitants, aux grands espaces, abrite le plus grand nombre de chevaux par personne en Europe.

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Il y en a pour tous les goûts : riches, pauvres, classe moyenne. L’Irlande produit des chevaux robustes, braves, bons sauteurs et rapides. C’est le troisième producteur de pursang, prisés par les pays du Golfe. S’y déroulent quelques-uns des derbys les plus cossus et les plus courus. A Smithfield, ce matin-là, deux sans-abri frigorifiés errent. Une dizaine de badauds se tapent les mains. Un type vend des chiots gelés 150 euros pièce. Mais point de chevaux. La grande foire a été annulée. Trop dangereux avec la glace. La police dublinoise se charge de renvoyer chez eux les quelques vendeurs ou acheteurs mal renseignés. Michael, la cinquantaine bourrue, ronchonne sous sa cagoule auprès des flics : “C’est surtout parce que la SPCA (SPA irlandaise) l’a réclamé, ouais !” Depuis quelques années, le marché n’a plus la cote : trop lower class. La SPCA veut le réguler, s’indigne des

maltraitances. Ici, les chevaux ont la même gueule cassée que leurs propriétaires. “Les gamins achètent pas cher des chevaux abîmés pour s’amuser avec, les emmènent dans les champs autour de Dublin où ils finissent par mourir”, explique un policier en jetant un coup d’œil à un groupe d’ados. Accoutrés de parkas Adidas, de chapkas, de bottes ou de Nike, les gamins sont plantés là, de longues cravaches à la main. David, Adam et leurs potes Graig, Dylan et Steven, tous à peu près la quinzaine, sont déçus. Ils voulaient acheter une vieille carne à 100 euros. Ces gars de banlieue ont mauvaise réputation. Rachel Carey, une grande fille mince de 28 ans, passionnée de dada, raconte : “L’autre jour, dans Dublin, j’ai vu deux gamins sur des poneys. Ils leur donnaient des coups, les poneys étaient terrorisés.” Les racailles à dos de poney sont rares aujourd’hui dans Dublin. Il y a encore dix ans, on en croisait 15.12.2010 les inrockuptibles 61

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les garçons étaient venus acheter une vieille carne à 100 euros pour s’amuser avec régulièrement. Mais avec l’explosion économique de 1995, ces cow-boys des rues ont commencé à faire mauvais genre pour le deuxième pays le plus riche d’Europe (en PIB par habitant), pourtant de loin le plus pauvre lors de son entrée dans la CEE en 1973. Plus les banques et les grandes firmes informatiques américaines poussaient, plus on repoussait ces survivances du passé hors du centreville. Plus les politiques encourageaient l’installation d’une finance sauvage, plus ils réglementaient cette tradition libertaire. Embouteillages, insécurité, mauvais traitements : en 1997, les politiciens ont légiféré. Les chevaux doivent désormais être en règle et logés dans des écuries convenables. Dans le cas contraire, la ville a le droit de les confisquer. En cinq ans, 2 200 chevaux ont quitté la capitale. Les cinq gars du Smithfield market n’ont pas d’ordinateurs mais ils ont des chevaux, vers Clondalkin, au sud-ouest de Dublin. En attendant le bus, ils fument des clopes, congelés. Il doit bien faire - 5 degrés. Dylan, le plus petit, se jette sur la cigarette de David. “Dégage”. David lui baisse le survêt. Tout le monde se marre. “Ho ça va, j’ai déjà fumé de la beuh, ta gueule”, balance Dylan vexé.

Dans le bus, ils partagent d’autres clopes avec deux mecs bourrés. Quarante minutes plus tard, nous entrons dans Clondalkin, une des banlieues populaires qui entourent la capitale, comme Ballymun, au nord de Dublin. Là-bas, les canassons peuplaient les terrains vagues entre les tours. Plus maintenant. Au début des années 2000, la municipalité a mis du fric pour nettoyer tout ça et construire des écuries. Celles de Meakstown, banlieue mitoyenne de Ballymun, sont plantées au milieu de nulle part et surveillées par un gardien pas très bavard, aux yeux rouges et vitreux. C’est ultra protégé : en Irlande, pour tuer le temps, les gamins des cités ne volent pas des scooters mais des chevaux. Une émission de télé-réalité, dont les Irlandais sont friands, y a été tournée : des moniteurs pour bourges apprenaient la bienséance à des sales gosses à dos de poney. Pour rappeler que le cheval est d’abord un sport de personne bien élevée. C’est dans ces banlieues qu’on trouve les vrais dubliners, la working class et les bénéficiaires des minima sociaux : les plus touchés par la crise et l’explosion du chômage depuis 2007, aujourd’hui autour de 13,5 %.

En Irlande, on les appelle les knackers : survêt, gueule cassée et accent incompréhensible. Mais attention ! Ne jamais les traiter ainsi sous peine de s’en prendre une bonne. “C’est comme dire nègre”, nous prévient-on. A l’origine, knacker signifie équarrisseur – ceux qui transforment les vieux chevaux de trait en pâté pour chien – et “traveler”. Le bus s’arrête. La bande de jeunes knackers descend. Le chauffeur ne les a pas déposés au bon endroit, il va falloir marcher. Le bus repasse dans l’autre sens. “Fucker !”, crie David en balançant une boule de neige sur le pare-brise. Plaunk ! Plus loin, une femme noire au volant prend une énorme salve. Plaunk, plaunk, plaunk ! Sur le chemin, ils croisent deux filles. Graig prépare une boule, hésite. Finalement, elle sera pour Steven. Bim ! Le long de la nationale, sur des panneaux installés tous les 100 mètres, Gerry Adams regarde les habitants droit dans les yeux : le leader de Sinn Féin (parti nationaliste catho et indépendantiste) cherche à récupérer les lower class mécontentes sur fond de “Tous pourris”. Il n’a pas tort. Dans son livre, Ship of Fools (2009), l’éditorialiste vedette de l’Irish Times, Fintan O’Toole, dénonce lui aussi l’incompétence, la corruption et l’avidité

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la disette après l’opulence Les Irlandais vont souffrir pour sauver le pays de la faillite, pas les sociétés.

des politiques et des financiers qui ont causé l’effondrement du pays. Le Premier ministre Brian Cowen a promis des élections anticipées une fois voté, début 2011, le budget d’austérité le plus violent de l’histoire du pays. Aucun Irlandais n’en attend grand-chose. David et ses potes bifurquent dans un champ. On aperçoit à peine le soleil, voilé par une épaisse brume. Leurs bottes s’enfoncent dans les flaques gelées. Graig y laisse une Adidas. “Yep, Yep”. Ils appellent les bêtes. Dans un petit enclos, fourni gratuitement par un fermier, six canassons dressent l’oreille. Un cheval blanc tacheté, nommé Splash, s’approche. David l’a payé 500 euros. “Avec mon argent, en vendant des pigeons.” Le foin leur coûte 8 euros par jour.

“Qu’est-ce qu’on ferait le week-end si on n’avait pas de chevaux ?” David réfléchit. “On fumerait de la weed.” Bim ! Splash prend un coup au passage. Au fond du champ se dresse un box de fortune, bricolé avec des planches et une bâche. “Mon père a été obligé de le construire, sinon la SPCA menaçait de nous enlever les bêtes”, explique Adam. Quarante chevaux sont morts dans le coin l’année dernière. “Personne ne pouvait s’en occuper”, explique David.

Les Irlandais vont payer cher les erreurs du système politicofinancier. Pendant des années, les grandes firmes financières ont investi et accordé des crédits avec inconséquence. L’explosion de la bulle immobilière et la crise américaine en 2008 les ont menées à l’agonie. Le Premier ministre Brian Cowen a renfloué leurs caisses : le déficit budgétaire a explosé (32 % du PIB). Pour sauver le pays de la banqueroute, le gouvernement est contraint d’accepter un prêt de 85 milliards d’euros de l’Union européenne et du FMI. En contrepartie, le gouvernement présente le quatrième budget d’austérité depuis 2008, le

plus violent : 15 milliards d’euros d’économies sur quatre ans, dont 6 milliards dès 2011. Baisse des allocations et du salaire minimum, suppression d’emplois publics, augmentation de la TVA et des frais d’inscription universitaires, création d’un impôt sur l’eau… Le gouvernement, qui a encouragé la folie financière, a baissé le salaire des ministres de 15 %. Il faut savoir que Brian Cowen est, avec ses 340 000 dollars par an, le chef d’Etat le mieux payé d’Europe et le quatrième mondial. Pas question par contre d’augmenter l’impôt sur les bénéfices des sociétés – à 12,5 %, un des plus bas d’Europe (20 % en moyenne) – qui a fait la fortune de l’île en appâtant

Les défenseurs des animaux sont sur les dents : 20 000 chevaux seraient à la dérive. Un silence gêné s’installe dès qu’on aborde le sujet. Ici, abandonner son cheval est honteux. Donner un cheval porte malheur alors on le vend 1 euro. Pendant le boom économique de 19952007, les banques croulaient sous l’argent, on prêtait sans retenue. Des familles ont acheté à crédit une deuxième maison, une troisième voiture et puis des chevaux, très trendy – un signe extérieur de richesse. Les prix des chevaux ont flambé, certaines personnes se sont

les multinationales US, enthousiasmées aussi par le haut niveau de qualification des étudiants irlandais. L’éditorialiste Fintan O’Toole écrit dans Enough Is Enough (2010) : “Le Tigre celtique n’était pas uniquement une idéologie économique. C’était une nouvelle identité. Une nouvelle façon d’être qui arrivait juste au bon moment où le catholicisme et le nationalisme ne marchaient plus.” Le pays est en train de perdre une de ses richesses nationales : 50 000 diplômés sans emplois ont migré l’année dernière, 100 000 envisagent de le faire dans les quatre ans. Ne reste plus à l’Irlande que l’attrait des 12,5 %.

mises à vouloir faire du fric, et avec la crise, comme la bulle immobilière, la bulle équine a explosé. Des chevaux qui se vendaient 9 000 euros sont tombés à 1 500. Prises à la gorge, les familles ont laissé la troisième voiture au garage, ne pouvaient plus payer 400 euros par mois pour le box des poneys. Beaucoup des 20 000 chevaux, affamés, blessés, ne passeront pas l’hiver. Pour le reste, on parle d’un abattage massif ou de les transformer en steak. En Irlande, la crise achève d’abord les chevaux, ensuite l’Etat providence. 15.12.2010 les inrockuptibles 63

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le G.I. Joe de l’UMP Le très stratège secrétaire général de l’UMP Jean-François Copé se lance vers la présidentielle de 2017 comme sur une autoroute. Droit dans le mur ? par Aurélie Marcireau illustration Franck Verdier

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’est le G.I. Joe de la droite, le RoboCop de l’UMP : il va “faire le job !”, il sait “faire le job”. Même ceux qui l’apprécient peu le disent. Sa mission : garder l’Elysée à droite. Sa force : l’UMP. Problème : Jean-François Copé est aujourd’hui l’unique candidat déclaré de la présidentielle de 2017. Mais aura-t-il intérêt à concourir après deux mandats sarkozystes ? “Quand il le dit en 2007, ça fait sourire. En 2010, on le prend au sérieux.” Ce soutien de la première heure est formel : Jean-François Copé, alias JFC, est sur la bonne voie. Le candidat de “l’élection d’après” en convient : “C’est vrai, on rigole moins.” Sourire de chat du Cheshire. Il sourit beaucoup, JFC. C’est un gourmand, visiblement satisfait d’être là. Pourtant, quand il s’est déclaré en novembre 2007, les temps étaient difficiles. Il en faut de l’aplomb – ou de l’inconscience – à cet instant ! Il a nommé cette période “Restore Hope”. “J’ai été mis dehors du gouvernement par le nouveau président, j’étais critiqué de partout. Lors d’une interview pour Canal+, j’ai dit que je construisais pour avoir cette relation aux Français. Au moment où tous les sarkoboys préparaient mon enterrement, cela relevait d’abord d’un instinct de survie.” En 2010, tout a changé sauf sa détermination. Au printemps, Jean-François Copé réaffirme que 2017 sera son “rendez-vous personnel” avec les Français au terme “d’un parcours initiatique”. Sciences-Po,

ENA, peu d’obstacles pour le petit Jean-François, poussé par des parents qui avaient de l’ambition pour leur fils aîné. Ses biographes Solenn de Royer et Frédéric Dumoulin racontent dans Copé, l’homme pressé1 que son ambition présidentielle s’est même révélée, adolescent puis étudiant, une tactique de drague… qui faisait souvent flop ! Le jour de son mariage, il lance sans rire : “Vous avez de la chance, vous êtes au mariage du futur président de la République.” Du toupet et de l’aplomb. Frédéric de Saint-Sernin, ancien secrétaire d’Etat de Raffarin, se souvient avoir vu débouler ce tout jeune homme au RPR en 1991. Il se plante devant le bureau de Robert Pandraud, veut décrocher une investiture pour les élections cantonales. Pandraud, le RPR… tout sauf une organisation hippie : “On ne mettait pas en cause les décisions, l’ordre établi.” Il n’obtiendra pas gain de cause mais ceux qui l’ont croisé ce jour-là ont hésité : paltoquet ou maladroit qui ira loin ? Lui avait déjà compris qu’en politique, si on veut réussir, il faut prendre. Le bébé Chirac trace sa route. Cabinet ministériel, mairie de Meaux décrochée à la hussarde, suppléant de Guy Drut, il siège à l’Assemblée nationale en 1995 avant d’être emporté par la dissolution. Retour aux affaires en 2002 : secrétaire d’Etat, ministre délégué à l’Intérieur, au Budget… Mais en 2007, avec l’élection

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“vous avez de la chance, vous êtes au mariage du futur président de la République” Jean-François Copé le jour de ses noces

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de Nicolas Sarkozy, un chiraquien sait qu’il ne va pas passer un bon moment. Quelle meilleure protection que l’attaque ? Lui aussi il sera président mais du groupe UMP à l’Assemblée. Un placard qu’il transforme en rampe de lancement. “Manager d’hommes, il a des idées, il avance”, s’enthousiasme la députée UMP Chantal Brunel. Benoist Apparu, secrétaire d’Etat au logement, reconnaît : “Il a su imposer le groupe comme acteur majeur de la vie politique française.” Elu président par défaut, il a “donné une fierté aux parlementaires grâce à la coproduction législative”, l’hyper-parlement. Jusqu’alors affublés du surnom de “députés godillots”, les élus suivaient mollement un président de groupe dont l’objectif était surtout de ne pas faire de vagues. Copé voit les choses autrement. Il lance les sujets, travaille comme un fou, même ses adversaires le reconnaissent. Il monte des commissions parallèles à celle de l’exécutif sur la burqa, la réforme territoriale… Son identité politique se précise : libéral mais interventionniste, aussi sécuritaire que Nicolas Sarkozy mais plus républicain. Sur la question du port du voile, il pousse l’exécutif à aller jusqu’à l’interdiction dans l’espace public. Cette victoire devient l’un de ses marqueurs politiques. Il impose son style et son slogan : “100 % libre, 100 % loyal au président” mais c’est surtout sur les nerfs de François Fillon qu’il tape à 100 %. Le Premier ministre apprécie peu ce quadra brutal. JFC, lui, est irrité par la popularité du Premier ministre auprès de son bataillon de parlementaires. Il construit sa stature de présidentiable : “C’est un tour de force de devenir présidentiable sans être chef de parti, ni poids lourd du gouvernement”, reconnaît un membre du gouvernement. Jean-François Copé en cultive le style mais il ne représente guère le gendre idéal, même s’il en a le sourire et l’humour. “Il peut être brutal, jamais tordu”, dit son ami Christian Jacob. Brutal, autoritaire, un homme de clan, un fonctionnement “sarkozyste” finalement : si tu n’es pas avec moi, tu es contre moi ! Ses adversaires ? “Tout ce qui se trouve en travers de sa route, confie un élu. Un rouleau compresseur ? Non une lame !” Qui, côté pile, joue la séduction, côté face la menace. “C’est toujours le plus proche du clan qui gagne !” Il se fait des ennemis avec une grande facilité, se focalise sur ceux qui ne sont pas de sa trempe. Député, ministre ou même président de l’Assemblée nationale. “Il s’acharne même quand il n’y a plus de combat… Un vrai désir d’humilier l’adversaire. Même Sarkozy n’était pas comme ça”, continue cet anonyme. En plus d’avoir un mental de général d’Empire, il cultive des attitudes de sale môme. En 2010, nommé secrétaire général du parti, il écoute d’une oreille distraite le discours de François Fillon. Son premier

Avec François Fillon, qu’il aimerait ne pas voir en travers de sa route

point presse, il le tient à l’Assemblée, provoquant la colère de son président Bernard Accoyer. Mais pouvaitil mieux signifier qu’il comptait bien garder une main sur la maison ? On imagine le sourire intérieur quand, sur les ondes, il s’excuse auprès du Premier ministre de sa désinvolture. On perçoit toute son ironie quand il fait répondre à Bernard Accoyer qu’il ira dorénavant à l’UMP, que tout cela n’a aucune importance. En mai 2009, il déclarait ne pas être un “bad boy” mais un “très brave type”. Le brave type a lancé sa machine : réseaux, club de réflexion, relations dans les milieux qui comptent. JFC construit sa stratégie comme son image, moderne. “Je ne suis pas dans ça”, “c’est juste pas possible”. Il dit avoir abandonné la langue de bois, il en a même fait un livre. Ses adversaires en rient encore, ses fans adorent. On n’est pas “copéiste à moitié”. Comme Nicolas Sarkozy, il affectionne les médias, soigne les journalistes, connaît leurs prénoms, les appelle sur leur portable. Moins bling-bling que le président mais également fasciné par l’argent, il a beaucoup gagné, jusqu’à peu. Il assume. Sa traversée du désert (1997-2002) lui a appris une chose : il ne faut pas dépendre de la politique pour gagner sa vie. Mais le cumul était trop énorme et il a quitté sa fonction d’avocat chez Gide-Loyrette-Nouel, grand cabinet parisien. Le député-maire de Meaux est depuis novembre le patron du parti majoritaire. Avec Nicolas Sarkozy, les tensions ont été vives. Le président ne supportait pas cet arrogant qui lui ressemble tant. Alors pourquoi lui donner les clés de l’entreprise ? Calé dans son siège entre deux rendez-vous et trois SMS, le nouveau secrétaire général de l’UMP raconte comment il a convaincu Nicolas après des années de méfiance et de détestation : “On a parlé simplement, je lui ai dit : je ne veux pas entrer au gouvernement, ce n’est pas mon truc. Soit je reste au groupe soit je prolonge au parti. Dans tous les cas de figure, je serai derrière toi !” Il poursuit : “Pour

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“il a un vrai désir d’humilier l’adversaire. Même Sarkozy n’était pas comme ça”

Avec Xavier Bertrand, qu’il a remplacé au poste de secrétaire général de l’UMP

des fonctions aussi stratégiques, cela ne fonctionne que si on a confiance. On est dans une logique de combat !” Avant 2017, il faut passer 2012. A dix-huit mois de l’échéance, le parti devient un centre névralgique à mesure que l’Assemblée et le gouvernement voient leur importance décliner. Ils sont nombreux à admirer le coup réussi par “le candidat de l’élection d’après”. Ceux qui le détestent ne comprennent pas comment Sarkozy a pu lui faire confiance. Les satellites du clan veulent croire que, limité à deux mandats, Sarkozy se moque de qui représentera la droite en 2017. Copé a-t-il intérêt à la victoire de Nicolas Sarkozy en 2012 ? Souligner une évidence est souvent la preuve d’un problème. “On voit son intérêt : une défaite de Sarkozy et un parti à sa main pour 2017”, analyse le villepiniste François Goulard. Lui balaie d’un revers de main : “Je connais mon histoire de France, tous ceux qui jouent contre leur camp le paient un jour, les électeurs ne leur pardonnent pas.” Un ministre confirme : “Il prendrait la défaite en boomerang dans la gueule. Tout le monde va l’attendre au tournant. Il va en faire dix fois trop !” Donner des gages encore et encore, se montrer plus sarkozyste que les autres. Début décembre, le voilà obligé de rappeler que le candidat pour 2012 est le président sortant et non le Premier ministre. Surtout pas lui ! Sa réussite serait, finalement, de faire élire ou laisser perdre Sarkozy de peu. Gagnant, le crédit lui reviendra, perdant, on ne pourra lui faire porter la responsabilité. Faire le tour des fédés, se faire connaître partout, tel est l’enjeu. Le nombre de militants ? Il augmentera ! C’est mécanique avant une campagne. “Copéiser” le parti en dix-huit mois, cela semble difficile mais il peut le dessiner à sa main. Après tout, quel que soit le résultat, à l’UMP, “les parlementaires le suivront car les investitures sont données avant les présidentielles. Cela lui donne du poids !”, selon une élue. Mais le parti a une force d’inertie immense, il broie. Xavier Bertrand y a laissé des plumes. “Il ne peut pas

Martin Bureau/AFP

un anonyme

réussir, il n’est pas le patron. Tous les matins, il va aller prendre les ordres (à l’Elysée), comme les autres”, raille Dominique Paillé, porte-parole de l’UMP. Non, pas son genre, pour Christian Jacob, son successeur à la tête du groupe parlementaire : “Faut pas attendre de lui qu’il soit gentil garçon, qu’il attende ordres et contre-ordres.” Mais son slogan “100 % libre, 100 % loyal” s’applique difficilement à un chef de parti au pouvoir. JFC s’agace : “Le secrétaire général pas libre ? C’est un mythe, des conneries. Le président fait plus confiance qu’on ne le croit !” A voir. Et après ? Le joueur refuse de dévoiler sa tactique : “Je suis loin de réfléchir aux choses. Elles changent tellement vite.” Précaution étonnante de la part d’un candidat à l’élection dans sept ans. Il montre l’objectif mais n’indique pas les étapes. Premier ministre en cas de victoire ? Chef de parti ? Comme Sarkozy avec Chirac ? Il reste sur son principe : faire gagner le président. Il parle de “levée en masse”, “de l’an II” et même “d’union sacrée”. D’autres reprennent ce refrain martial : “Nous sommes en situation de danger, l’heure n’est plus aux états d’âme !”, pour Chantal Brunel. Même ses adversaires de gauche lui reconnaissent un sens du timing certain et du talent. Il tient Manuel Valls en haute estime et réciproquement : maire de ville de banlieue lui aussi, même ambition, même reconnaissance familiale pour la France et même contrôle. Rien ne dépasse. La familiarité des expressions est maîtrisée, l’ironie circonscrite. Regard clair, haute taille, démarche assurée. On cherche la faille. “Je donne parfois l’impression d’avoir réponse à tout, c’est une manière de me protéger.” Il est tendu vers l’objectif, comme les virtuoses qu’il admire. Stratège en diable, il veut toujours voir le coup d’après. Aujourd’hui, l’UMP va se ranger derrière lui pour les élections. Mais après 2012, s’il a mal joué, ils seront nombreux à vouloir le mettre game over. 1. Editions L’Archipel, 350 pages, 19,95 € 15.12.2010 les inrockuptibles 67

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Le Président d’Yves Jeuland Portrait en campagne du défunt président de Région Georges Frêche. Un reportage analytique et critique plutôt habile.



uand Yves Jeuland a décidé de suivre et de filmer Georges Frêche pendant sa campagne électorale pour les régionales 2010, il entendait faire un film sur l’un des derniers combats d’une personnalité forte et discutable du paysage politique français. Mais il ne pouvait pas prévoir “l’affaire” Frêche-Fabius qui allait pimenter la campagne, ni le décès de son personnage principal en octobre dernier, qui ajoute une dimension à son film. Jeuland adopte les règles établies par Raymond Depardon il y a une trentaine d’années dans des films comme Reporters : absence de commentaires, filmage “en direct”, l’essentiel de l’interventionnisme du cinéaste se déroulant au montage. Georges Frêche était évidemment un personnage en or pour le cinéma : physique imposant, truculence, accent méridional, aisance réthorique en faisaient une figure situable quelque

part entre Raimu et Le Pen. Jeuland a aussi eu la chance, ou le flair, de trouver autour de cet auguste hénaurme des clowns blancs aussi talentueux et cinégéniques : le directeur de cabinet Frédéric Bort et le directeur de la communication Laurent Blondiau. Bort et Blondiau apparaissent comme les metteurs en scène et scénaristes discrets du spectacle Frêche, ceux qui échafaudent les grands axes de son discours (par exemple, “la France réelle contre les élites déconnectées du VIe arrondissement de Paris”), lui conseillent de balancer plein de chiffres même s’ils sont bidon, d’éviter les sujets gênants face aux journalistes ou de surjouer le rôle de la victime quand il est exclu du PS et qu’Aubry investit une autre candidate socialiste en Languedoc-Roussillon à la suite à l’affaire de “la tête pas catholique” de Fabius. Le risque pris par Jeuland est de se laisser manger par son sujet,

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raccord

mercredi noir docus de campagne

Georges Frêche dans le rôle de sa vie

surtout quand il s’agit d’un ogre tel que Frêche. Mais si le “président” peut susciter l’empathie par son humour, son âge (Jeuland filme aussi sa fatigue, son usure physique, peut-être son angoisse de la mort) ou le rappel de ses engagements de gauche (résistance, anticolonialisme, affiche de Jaurès dans son bureau…), le film montre aussi ses magouilles et mensonges, son embarras quand on le relance sur les Noirs de l’équipe de France de football. Le film met surtout en lumière la pratique de la politique comme un spectacle tout en com et dépourvu de contenu. Pas une séquence ne montre Frêche et ses conseillers discuter programme, réformes, politique fiscale, arbitrages budgétaires, tout occupés qu’ils sont à rebondir après l’incident Fabius et à sculpter l’image de Frêche comme héraut héraultais de la France d’en bas et des “vraies gens”. Le film ne cache rien de la mégalomanie frêchienne avec ses plans sur l’architecture stalinienne du conseil régional, ni de la démagogie du personnage lorsqu’il flatte l’électorat

le film met en lumière la pratique de la politique comme un spectacle dépourvu de contenu

1974, une partie de campagne de Raymond Depardon (1974) Le film, longtemps interdit par le principal intéressé (on se demande encore pourquoi), suit la campagne électorale de VGE, premier président “jeune et moderne” de la Ve République, à la présidentielle de 1974. The War Room de D. A. Pennebaker (1993) Doc haletant et instructif sur la présidentielle américaine de 1992 qui a vu triompher Bill Clinton. La Conquête de Clichy de Christophe Otzenberger (1995) Cantonales 1994 à Clichy : le film se focalise sur Didier Schuller, candidat du défunt RPR, personnalité trouble éclaboussée à l’époque par diverses affaires. Rêves de France à Marseille de Jean-Louis Comolli et Michel Samson (2003) Les municipales 2000 à Marseille : la diversité de la population a du mal à se traduire sur les listes des différents partis politiques.

pied-noir en chantant un classique colonial ou lorsqu’il décrit, la larme à l’œil, ses origines pauvres et son grand-père allant pieds nus. Quelques scènes plus loin, Frêche avoue en s’esclaffant que ce discours autobiographique misérabiliste était pipeau et que son grand-père n’a jamais marché pieds nus. Jeuland met aussi à nu la contradiction entre la réthorique frêchienne qui se veut proche des gens et sa vie quotidienne de super-privilégié : mas somptueux, voiture haut de gamme et chauffeur, entourage de flatteurs… Ni hagiographique ni dénonciateur, Jeuland filme à bonne distance, enchaîne des séquences alternativement négatives ou positives, et parfois même les deux en même temps. On rit souvent, parfois avec Frêche, parfois contre lui. Le Président est avant tout un regard de moraliste, de cinéaste, dessinant sans haine ni amour, mais avec attention et humilité, le portrait d’un personnage public controversé, tout en dressant le tableau d’une certaine façon assez décourageante de faire de la politique. La fascination ou la condamnation, l’admiration ou la répulsion resteront à la discrétion de chaque spectateur, laissé libre de son jugement par le réalisateur.

“Retour sur le mercredi noir !”, titre en énormes lettres noires alarmistes sur sa couverture l’hebdomadaire Le Film français. Ce mercredi noir, c’est le 17 novembre 2010, jour maudit où la fréquentation du cinéma en France a subitement plongé de 41 % par rapport à l’année précédente. Rien ne laissait prévoir un tel crash. L’année 2010 a été bonne : les entrées ont augmenté de 5 % par rapport à 2009. Et dès le mercredi suivant, Harry Potter 7 inversait la situation. Du 17 au 23 novembre, les gens ont donc brutalement cessé d’aller au cinéma (ou presque). Et les trois millions (tout de même) qui ont continué ont préféré aller voir des films déjà en exclusivité (Potiche, Les Petits Mouchoirs, etc.) plutôt que les sorties de la semaine. Au vu de la liste de ces vingt et un films (Red avec Bruce Willi ; No et moi ; Dernier étage, gauche… ; Mon babysitter ; Opération 118 318…), on comprend mieux l’effondrement, et on aurait soi-même été bien en peine de dire lequel on avait envie de voir. Dans l’intéressant ensemble que consacre Le Film français au phénomène, une idée se dégage : la nécessité de réguler le flot hebdomadaire des sorties, passé de 147 films en 1995 à 268 en 2010. Mais qui désignera, et surtout selon quels critères, les films sacrifiés n’ayant pas le droit de sortir pour ne pas encombrer la fréquentation ? La question n’est pas résolue et on redoute beaucoup l’eugénisme qui pourrait en découler. Un film comme Mystères de Lisbonne de Raúl Ruiz pâtit par exemple du turn-over infernal que la distribution impose aux exploitants, obligés parfois de rendre le film alors qu’il remplissait encore une salle, pour absorber d’autres sorties sur lesquelles ils s’étaient engagés. Malgré tout, le film s’approche des 40 000 entrées, et sort dans de nouvelles villes de province. Dans un marché saturé et un contexte hostile, de tels miracles restent possibles.

Serge Kaganski Le Président d’Yves Jeuland (Fr., 2010, 1 h 38)

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Une vie de chat de Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol (Fr., 2010, 1 h 10)

Sous toi, la ville de Christoph Hochhaüsler Adultère et stratagèmes sur fond de vie d’entreprise. Enigmatique et glaçant.

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hristoph Hochhaüsler (Le Bois lacté, L’Imposteur) est l’un des tenants de la nouvelle vague du cinéma allemand (ou “école de Berlin). Inspiré par les amours bibliques de David et Bethsabée transposées à notre époque dans un autre royaume (celui de l’argent roi), son troisième film raconte l’histoire d’une passion. Celle de Svenja, l’épouse oisive d’Oliver, jeune cadre dynamique dans une grande banque d’affaires de Francfort, avec le grand patron manipulateur d’Oliver, Roland Cordes. Pour se débarrasser du mari de sa maîtresse, Cordes va utiliser la ruse pour convaincre ses associés qu’il faut, malgré sa jeunesse et son expérience, l’envoyer en mission en Indonésie, sans lui préciser évidemment que son prédécesseur vient d’y être assassiné… Sous toi, la ville fait partie des films qu’on ne sait pas trop par quel bout prendre. Et si l’on se saisissait de son talon d’Achille, celui qui a servi à le tremper dans la forme artistique pour le protéger – de quoi ? Admettons donc ceci (pour bientôt le réfuter) : le point faible apparent du film est la trop grand visibilité de ses intentions. Un décor ultramoderne et glacé, une ville

la forme du film emporte comme un fleuve en furie toutes nos préventions

froide, de grandes vitres, des couloirs sans fin, le monde froid comme un serpent de la finance avec ses ruses et ses manipulations, des scènes de sexe tout sauf érotiques (en réalité rares – mais leur rareté suffit à suggérer leur intensité), des personnages figés et presque inexpressifs, la violence à voix basse, le monde du travail et ses moquettes épaisses qui étouffent les éclats de voix, etc. A ce paysage ultra codé et symboliste (un expressionnisme moderne), tranchant comme l’acier ou le verre, Hochhaüsler appose la malignité, la perversité (Cordes ment, triche, s’adonne à des activités bizarres), comme pour dénoncer l’ignominie des puissants, d’un monde du travail sans pitié, enrôlé de force dans une guerre mondiale ouatée et virtuelle (dans la Bible, le mari de Bethsabée meurt dans une bataille). Or malgré tout, la détermination aveuglante de la mise en scène nous ouvre peu à peu sur un mystère, celui qui unit deux êtres qui n’ont rien à faire l’un avec l’autre et qui pourtant le sont. Alors la forme du film emporte comme un fleuve en furie toutes nos préventions, toutes les propres intentions de son auteur, et les fusionne. Et la fin du film, énigmatique et fantastique, sonne comme un glas : la rédemption des forts se fera malgré eux, sans eux. Jean-Baptiste Morain

Premier film d’animation original et réussi. Ce n’est pas la version féline du roman de John Fante (Mon chien Stupide), encore qu’on se demande si une discrète allusion n’existe pas, vu le tropisme jazzy des auteurs. Une toute petite fille vit entre sa mère commissaire de police et sa nounou, qui a la voix chaude de Bernadette Lafont. Le père de Zoé a été tué par un malfrat. Scotchée à son chat Dino, elle va retrouver les traces de l’assassin de son père. Sa nounou se révèlera, en dépit de sa voix mielleuse, une traîtresse sans scrupules. C’est une production Folimage (La Prophétie des grenouilles, Mia et le Migou), signée Jean-Loup Felicioli et Alain Gagnol, deux auteurs venus de la BD et de la peinture, dont c’est le premier long métrage. Le film est un polar avec pour méchant un vrai sale type cruel entouré d’une bande de bras cassés, mais dont les scènes d’action sont entrecoupées de longues errances dans un Paris de toute éternité, vu des toits et de ses monuments devenus autant de manèges géants. Les événements se déroulent comme de fugaces rubans emportés par la brise, avec ce graphisme “traits charbonneux-aplats de couleurs” à la Loustal, animé par un crayonné de lumière qui fait vibrer les personnages, comme habités par l’envie d’escalades nocturnes. Axelle Ropert

Sous toi, la ville de Christoph Hochhaüsler, avec Robert Hunger-Bühler, Nicolette Krebitz (Fr., All., 2010, 1 h 50)

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Megamind de Tom McGrath avec les voix de Will Ferrell, Tina Fey (E.-U., 2010, 1 h 35)

Un balcon sur la mer de Nicole Garcia avec Jean Dujardin, Marie-Josée Croze (Fr., 2009, 1 h 45)

Un peu désuet, assez attachant, du romanesque psychologique hanté. Il existe dans le cinéma français des secrets fragilisés par la rudesse de notre époque. Un sens du romanesque par exemple, qui naît chez Grémillon (L’Amour d’une femme), passe par Vecchiali (Corps à cœur), traverse Téchiné (Hôtel des Amériques) et qu’on pourrait appeler “la hantise maritime” : une passion instantanée entre un homme et une femme, une terre travaillée par la mer, une rumeur tragique qui court et accélère le drame actuel. Nicole Garcia active cette veine en perdition avec une franchise inattendue. Jean Dujardin, agent immobilier qui a oublié le danger, tombe amoureux de Marie-Josée Croze. Ils se sont connus enfants, ils se retrouvent trente ans plus tard et surtout trente ans après la fin de la guerre d’Algérie, au début des années 1990. Le film se teinte de couleurs méditerranéennes éloignées de la luminosité attendue : c’est une Méditerranée hostile, vrombissante, désolée qui est ici filmée, sous l’étonnante lumière à la Van Dongen, mi-plombée, mi-incandescente, signée Jean-Marc Fabre. Une magnifique idée fait plonger l’histoire : la femme dont on tombe amoureux pour retrouver ses souvenirs n’est pas celle que l’on croyait et c’est une oubliée de l’histoire qui refera surface. L’amour est à côté de la plaque et si la vie lui fait manquer sa cible, le cinéma est là pour lui donner une seconde chance. Garcia pousse alors le genre de la hantise maritime vers d’étonnants confins durassiens où la mémoire enserre dans ses boucles la naïveté des hommes et la patience retorse des femmes. Le film s’émancipe peu à peu de la mécanique psychologique pour accéder à une sorte d’abstraction lyrique, et ce bricolage scénaristique de guingois laissant jaillir l’impulsion de la passion est une autre marque du genre : peu importe les jointures de la fiction, seul l’élan prime. L’audace à contre-époque du projet (Dujardin dans un rôle entièrement lyrique et introspectif, l’indécision temporelle du récit, l’absence absolue d’ironie) rend le film encore plus attachant. “Je crois que j’étais amoureux de toi”, lâche dans un souffle Dujardin, et on s’engouffre avec cœur dans cet aveu. A. R.

Un Shrek bleu et politique, drôle mais résigné. Après avoir investi la figure du mal (l’ogre vert) comme élément central et positif du récit pour enfants, les studios DreamWorks ont tenté de décliner la recette à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à du vilain méchant : le dragon, le requin, l’abeille et le monstre. Et quand Pixar mêlait les grands sujets (la mort, l’inconscient, la nostalgie) à une indépassable esthétique, DreamWorks prenait assez modestement le parti de la référence parodique. C’est un peu cette concurrence déloyale, au fond, que raconte Megamind. Megatron, superhéros glamour, occupe le devant de la scène et Megamind n’a pas d’autre moyen d’exister que de le prendre à contrepied, en devenant son contraire. Seulement, Megamind (Will Ferrell en VO) parvient réellement à triompher. Plus que l’idée assez forte ou le parallèle politique (les références à Obama), c’est surtout l’essoufflement du système Shrek, devenu l’art de la tautologie tautologique, qui intéresse ici. Et quand le schéma classique du conte se brise, Megamind fait l’effet, un peu comme Rubber, d’un film performatif, en train de se faire. Le visage du héros s’impose comme un écran sur lequel se projettent plusieurs personnages (un directeur, un vieux sage, un jeune premier, Megatron), troublant l’identité du héros et affichant encore un peu la mélancolie de tout un studio. Thomas Pietrois-Chabassier

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Armadillo

en salle

de Janus Metz

révolutions cinéphiles

(Dan., 2010, 1 h 40)

La rétrospective intégrale des films du réalisateur russe Sergueï M. Eisenstein s’ajoute à celle consacrée au Japonais Kôji Wakamatsu. Pour le maître et l’élève, le même souci du prolétariat (La Grève, Curriculum Vitae des relations sexuelles), le même horizon insurrectionnel (Octobre, L’Extase des anges), le même besoin de formes visuelles pures et fortes (Le Cuirassé Potemkine, Shinjuku Mad). Si la recherche de la jouissance est un autre dénominateur commun aux deux filmographies, elle prend essentiellement corps dans la mise en scène des foules chez Eisenstein, là où elle est révélée dans les scènes de sexe chez Wakamatsu. Et au final, le plaisir. Sergueï M. Eisenstein du 15 au 30 décembre ; Kôji Wakamatsu jusqu’au 9 janvier à la Cinémathèque française, Paris XIIe

Documentaire sur de jeunes Danois plongés dans la guerre afghane. Armadillo raconte l’histoire d’une section de jeunes hussards danois envoyée en mission en Afghanistan pour participer au maintien des positions occidentales harcelées par les attaques talibanes. Plusieurs mois durant, Janus Metz et son équipe partagent le quotidien de ces soldats, les filmant au jour le jour, depuis le départ de leur foyer familial jusqu’à leur retour au Danemark. Armadillo (grand prix de la Semaine de la critique 2010) est un film haletant, dur, qui met par moments le spectateur en contact avec les combats, le sang qui coule et la mort. Au plus près. Le film décrit assez bien le paradoxe libidinal du soldat, pris entre son désir d’en découdre et la peur d’y rester, la volonté de tuer l’adversaire et l’impossibilité d’accepter celle de l’ennemi. Mais le film, à coups d’images parfois un peu trop belles et émouvantes (le soleil à travers la poussière), manque un peu de recul critique (ne parlons même pas de politique) face à ce qu’il décrit. Comme si le réalisateur, à force de les côtoyer, était devenu l’un de ces soldats à part entière. C’est à la fois la vertu (aucun second degré) et la limite de cet exercice militaro-cinématographique certes couillu, mais aussi immature dans son incapacité à filmer l’ennemi autrement que comme un cadavre démembré au visage flouté.

hors salle acteurs sur le fil Après ses dernières publications sur Michel Simon et Johnny Depp, Scope Editions poursuit son passionnant travail de décryptage des jeux d’acteurs avec ces essais consacrés à Patrick Dewaere et Sean Penn. Rémi Fontanel présente l’acteur français à travers une série d’oppositions (“authentique et cérébral”, “pudique et tactile”…). et le décrit comme un équilibriste sous tension, en quête absolue de vérité. Simon Laisney observe quant à lui les différents visages de Sean Penn selon les époques et dégage une sorte de bouillonnement intérieur propre à l’acteur américain. Patrick Dewaere, le funambule de Rémi Fontanel ; Sean Penn, la fébrilité au cœur du jeu de Simon Laisney (Scope éditions), 128 pages et 19 € chacun

box-office bonne “Raiponce” Le nouveau Disney en 3D réussit son lancement avec près de 800 000 entrées France pour sa première semaine d’exploitation. Un score néanmoins insuffisant pour prendre la tête du boxoffice. Harry Potter reste en effet cramponné à la première place en deuxième semaine, approchant les 4 millions d’entrées cumulées. De son côté, Le Nom des gens, le long métrage sympathique de Michel Leclerc (avec Jacques Gamblin et Sara Forestier), continue sa jolie et surprenante percée puisqu’il dépasse les 130 000 spectateurs en deux semaines d’exploitation.

autres films Skyline de Colin et Greg Strause (E.-U., 2010, 1 h 33) Lumière de Peter-Arthur Straubinger (Aut., 2010, 1 h 30)

Le Voyage du directeur des ressources humaines d’Eran Riklis avec Mark Ivanir, Guri Alfi (Isr., 2010, 1 h 53)

Le voyage d’un DRH convoyant la dépouille d’une employée jusqu’en Roumanie. Par le réalisateur à succès des Citronniers. Dans la plupart de ses films, Eran Riklis illustre avec un grand sens de l’œcuménisme les chocs de cultures, opposant des antagonistes parfois hostiles qui sortent grandis et changés de l’affrontement. La discorde israélopalestinienne était bien sûr au centre de son précédent film, Les Citronniers. Mais cette situation est devenue pour lui une grille de lecture générique des relations humaines, quelles qu’elles soient. Dans Le Voyage du directeur des ressources humaines, le principe global reste identique, mais la rencontre entre deux univers est plus inattendue. Le film débute en Israël et se poursuit en Roumanie, où le personnagetitre, employé dans une grande boulangerie industrielle de Jérusalem, est chargé de convoyer la dépouille d’une employée roumaine victime d’un attentat terroriste. Grâce à cette projection géographique, le film perd le côté un peu systématique des Citronniers, au dispositif très symbolique et dessiné. D’autant plus qu’il s’agit d’un road-movie, genre où le documentaire empiète constamment sur la fiction. Tout n’est pas parfait pour autant. Trop de sentimentalisme, certains personnages grotesques (notamment le journaliste de gauche israélien, qui suit le DRH à la trace). Mais une intéressante symbiose s’opère entre l’autodérision israélienne et l’ironie grinçante du cinéma roumain, qui contamine le film. Le mélange de ces deux modes d’expression latino-méditerranéens est optimal. La grisaille intense de la réalité roumaine, scorie non résorbée du communisme, accentue le contraste avec le propos gentillet (le fait d’être confronté à une situation réellement tragique relativise les problèmes du DRH, qui se réconcilie avec sa femme). Evidemment il y a aussi des raccourcis pittoresques, inévitables chez Riklis (la musique à la Kusturica, le parcours final du DRH dans un blindé militaire) mais le contexte roumain permet au film d’éviter tout angélisme béat et de conserver de bout en bout un équilibre parfait entre drame et comédie. Vincent Ostria

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The Tourist de Florian Henckel von Donnersmarck Le réalisateur allemand de La Vie des autres s’essaie sans grâce ni inspiration au cinéma hollywoodien. omme la plupart des dernières fictions historiques venues d’outre-Rhin, La Vie des autres était un film surestimé dans lequel, malgré l’engouement presque unanime, on arrivait à discerner les défaillances Angelina Jolie et de son réalisateur, Florian Henckel Johnny Depp von Donnersmarck. A savoir : une maîtrise relative de la mise en scène, un goût pour Que dire, en revanche, de Johnny Depp, les personnages simplistes (ce ministre qui ne parvient pas à nous convaincre avec de la Kultur présenté en prédateur sexuel sa composition de Mr. Nobody, aussi terne multirécidiviste) et une agaçante tendance et éteinte que son personnage. Comme à cacher ses maladresses derrière les bons quoi s’enquiller des bières et se goinfrer sentiments. Mais rien ne nous préparait à ce deuxième film en forme d’euro-fantaisie de pâtes pour prendre du poids ne suffit pas de classe touriste, qui s’apparente à un simple à rendre une prestation crédible. Le seul intérêt de The Tourist, tiré du film caprice de star hollywoodienne soucieuse français Anthony Zimmer (les connaisseurs de préserver son image de marque. de l’original et de son twist final perdent En l’occurrence, une Angelina Jolie une raison de plus pour rester dans le train en femme fatale à l’accent british, jusqu’au terminus), c’est qu’il nous parle qui se sort passablement bien de l’exercice avec une transparence digne de WikiLeaks grâce à sa plastique privilégiée, ainsi qu’à l’hypnotique contorsion de ses courbes des contrats qu’Hollywood passe depuis des décennies avec les réalisateurs dans une Venise aux reflets mordorés.

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européens à vocation d’auteur. Hitchcock arrivait à tourner des divertimenti délicieux comme La Main au collet. Ce n’est pas le cas d’un réalisateur qui, trop occupé à échapper au même destin que son compatriote Roland Emmerich, finit par faire du Polanski de pacotille. Rien de grave : à la suite du prévisible succès du film, von Donnersmarck pourra tourner un sombre scénario sur le suicide qu’il avait, jusque-là, du mal à faire financer. Alex Vicente The Tourist de Florian Henckel von Donnersmarck, avec Angelina Jolie, Johnny Depp (E.-U., Fr., 2010, 2 h)

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lettre d’Hollywood Les premières rumeurs des oscars, la sortie de Tron et du western des frères Coen : tout ce qui agite Hollywood, par notre correspondant américain.

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ames Franco, homme de l’année”, titre GQ. L’acteur est à la une de plusieurs journaux américains. Couvert de louanges pour son rôle dans le nouveau Danny Boyle, l’assez lourdingue 127 Hours, il va surtout avoir l’honneur de présenter les prochains oscars avec Anne Hathaway. “Cela va-t-il l’aider à décrocher une statuette en or ?”, s’interroge le L . A. Times. Aux Etats-Unis, l’après-Thanksgiving et l’avant-Noël marquent le début de la saison des oscars. Pour les professionnels, on entre dans deux mois de lobbying, de campagnes de pub et de marketing intenses. Les dés sont jetés. Les paris ouverts. Les derniers films “oscarisables” sortent sur les écrans, avec plus ou moins de réussite. Après les Gotham Awards, les choses vont commencer à devenir sérieuses le 16 janvier avec les Golden Globes, la cérémonie de l’association des critiques de cinéma étrangers (HFPA). Viendront ensuite les SAG Awards, décernés par les acteurs de la Screen Actors Guild. Puis le festival de Sundance, où certains films indépendants peuvent espérer se faire remarquer. Et enfin, le 17 février, les oscars.

Si on attend toujours les listes de nominations à toutes ces cérémonies, les Globes viennent d’annoncer qu’ils décerneraient un “Cecil B. DeMille Award” à Robert De Niro “pour l’ensemble de sa carrière”, comme le veut la formule d’usage. De quoi faire oublier la triste polémique sur l’antisémitisme présumé de Jean-Luc Godard, qui avait suivi l’annonce de son oscar d’honneur cet automne. Le réalisateur, du reste, s’est bien gardé d’assister au dîner prévu en son honneur il y a quinze jours. Et puis, à l’heure d’Hollywood, cette histoire est déjà oubliée. Hollywood Reporter se focalise déjà sur des choses beaucoup plus importantes : le grand come-back de Cher dans le navet Burlesque et le demi-échec du dernier Harry Potter, qui vient d’être détrôné, après deux semaines à peine de suprématie, par Raiponce de Disney. Dans un autre cercle, celui de l’HFPA, on parle de deux favoris pour les Golden Globes : le désormais incontournable Social Network et le plus surprenant King’s Speech, du Britannique Tom Hooper. Ce drame historique, qui reçut une standing ovation au Festival de Toronto, pourrait bien constituer la révélation de cette fin d’année. Ses acteurs croient en leurs chances eux aussi,

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True Grit : les frères Coen à l’assaut du western de Colin Firth et Geoffrey Rush pour le premier rôle masculin à Helena Bonham Carter pour le second rôle féminin. Les British ont le vent en poupe, et deux autres productions indépendantes de réalisateurs anglais se placent habilement en outsiders de la saison : Another Year de Mike Leigh, et Made in Dagenham de Nigel Cole, sur les grandes grèves de 1968 au Royaume-Uni, qui détonne dans un paysage cinématographique quasi apolitique. Les comédies risquent, une fois de plus, d’être snobées par les oscars. Après le fiasco de l’année dernière (cinq films pressentis aux Golden Globes, aucun retenu lors des oscars), seul The Kids Are All Right reste un candidat sérieux. Sortie cet été, cette comédie de mœurs sur un sujet de société très actuel (l’adoption chez les gays) remplit toujours les salles, à l’heure où le débat sur le mariage homosexuel refait surface en Californie. Quant au Black Swan de Darren Aronofsky, même si sa teinte sadomaso n’attire pas les foules, il bénéficie de l’aura de Natalie Portman et de Vincent Cassel, l’un comme l’autre pressentis pour une éventuelle statuette. Viennent ensuite des valeurs sûres, comme le très attendu et pourtant décevant True Grit des frères Coen. Remake du western qui lança la carrière de John Wayne en 1969, le film ne convainc pas, malgré les bonnes prestations de Jeff Bridges et Matt Damon. Trop semblable à leur No Country for Old Men sorti il y a moins de trois ans. “Les Coen brothers seraient-ils devenus paresseux?”, s’interroge un critique. Deux autres remakes sortis récemment, Morning Glory et Date limite, suscitent le même type de question : ils ne tiennent

pas la comparaison face aux originaux. Le phénomène des mauvais remakes s’est tellement banalisé que Patrick Goldstein et James Rainey du L. A. Times s’inquiètent de la naissance d’un nouveau “knock off cinema”, syndrome d’un Hollywood en manque d’imagination et d’audace. Même point d’interrogation au sujet de The Fighter, sorte de remix dark et névrosé de Rocky et Million Dollar Baby, malgré Mark Wahlberg, sa belle gueule et ses biceps. Pourquoi David O. Russell, déjà tenu en piètre estime dans le milieu (Les Rois du désert, I Heart Huckabees), se risque-t-il à un énième film de boxe ? Autre film dont on parle : Blue Valentine, qui vient de se voir attribuer un N-17 (interdit aux moins de 17 ans) pour une scène d’“oral sex” (cunnilingus) entre Michelle Williams and Ryan Gosling. Derek Cianfrance, le réalisateur, crie à la censure. Il a invité le public à une projection gratuite ce week-end, afin de faire pression sur la MPAA (Motion Picture Association of America, qui assure notamment la classification des films aux Etats-Unis). Reste l’énigme Tron – Legacy, dont la sortie ce 17 décembre aux EtatsUnis constitue en soi un petit événement. Malgré une campagne menée tambour battant et la BO signée Daft Punk, le film pourrait, lui aussi, mal supporter la comparaison avec le Tron d’origine. S’il force l’admiration par sa dimension plastique (effets spéciaux époustouflants), il déçoit par son scénario confus et manichéen. Les fans pourront toujours se consoler en allant acheter les produits dérivés exposés dans une galerie de Los Angeles. Yann Perreau 15.12.2010 les inrockuptibles 75

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… et Chaplin atomique

Les premiers courts métrages du génie burlesque, qui, progressivement, accouchent de Charlot.

Chaplin avant Charlot (vers 1910)

Les films Le comédien britannique de music-hall Charlie Chaplin, 25 ans, épatant dans les rôles d’ivrogne, est à Philadelphie, avec la troupe britannique à laquelle il appartient (Karno), lorsque les dirigeants d’un studio de comédies burlesques, la Keystone, le convoquent à New York. Ils lui proposent un contrat qui lui permet de doubler ses revenus. Le voici parti sous le soleil de Los Angeles, où se tournent les films sous la supervision du spécialiste reconnu du genre, Mack Sennett, au rythme d’un tous les deux jours. Très vite, le jeune comique, qui attend surtout du cinéma qu’il l’aide à gagner en notoriété (il ne croit alors qu’au théâtre) et de l’argent (sa mère souffre de graves troubles psychiatriques), crée un personnage qui ne portera jamais de nom (tout au plus le désigne-t-on par “the tramp”, le vagabond) et que les distributeurs francophones s’empressent par commodité d’appeler Charlot. La première année d’existence de Charlot était jusqu’à présent la plus rare. La voici restaurée au prix d’acrobaties techniques sophistiquées, et remise en musique. La première surprise est apportée par le premier film où Charlot apparut au public (en réalité le troisième filmé), Kid Auto Races at Venice (Charlot est content de lui), quasiment documentaire, tourné pendant une vraie course de caisses à savon. On y voit ce drôle de moustachu

(moins maquillé que dans ses deux premiers films) tenter, pendant six minutes d’un comique inédit, de se placer entre la course et la caméra pour être filmé, au grand dam du cameraman qui ne cesse de la déplacer ou d’éjecter l’impudent ! Sous le regard intrigué de vrais spectateurs – qui semblent se demander : “mais qui est ce type, est-ce du lard ou un fake ?” –, Charlot entre dans l’histoire du cinéma comme un intrus obstiné, celui que personne n’attendait et qui compte bien s’y imposer coûte que coûte. Au fil des films, Chaplin impose son personnage, gomme les grimaces, prend la narration en main – rejetant aux oubliettes les simples courses-poursuites de la Keystone. Les meilleurs courts de Chaplin ne sont pas là, mais ces premiers pas les annoncent. Le succès est immédiat. Chaplin devient très vite l’acteur le mieux payé d’Hollywood – sous les cieux d’autres compagnies, Essanay puis la Mutual. En 1916, il construit son propre studio, où il réalise ses premiers chefs-d’œuvre (Charlot soldat, Une vie de chien, Le Kid). Il lui est désormais possible de financer les séjours en hôpital psychiatrique de sa mère. Les DVD En bonus, un documentaire pédagogique sur la restauration des films. Jean-Baptiste Morain La Naissance de Charlot – 33 films restaurés de Charlie Chaplin pour les studios Keystone (1914) (Arte/Lobster Films), environ 40 €

Abb/Keystone from Ass. Chaplin

Chaplin primitif…

Edition d’un scénario non tourné de l’écrivain James Agee pour Charlie Chaplin, avec l’apocalypse nucléaire pour toile de fond. Au départ, tout est clair. James Agee, le critique illustre, l’écrivain primé, le scénariste de John Huston et de Charles Laughton, l’homme qui a cosigné avec Walker Evans le chef-d’œuvre ultime sur la Dépression de 1929, Louons maintenant les grands hommes, avait proposé un scénario à Charlie Chaplin à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Il voulait lui proposer de faire revenir la figure du Vagabond dans un monde dévasté par l’apocalypse nucléaire. Et l’on se met aussitôt à rêver à l’œuvre, forcément sublime, à laquelle aurait donné naissance la collaboration entre ces deux génies. Après lecture du Vagabond du nouveau monde, tout se complique cependant sévèrement tant le script, laissé inachevé, ressemble moins à un vrai projet de film qu’à un collage surréaliste où des scènes entières d’œuvres précédentes (Le Kid, Les Temps modernes surtout) sont littéralement reprises et scotchées sur la toile de fond d’un New York dévasté par la bombe. Ce montage assez délirant n’aura pas été sans suite pourtant. Agee secondera Chaplin sur le tournage des Feux de la rampe. Et, d’après le critique Mick LaSalle, l’idée aurait inspiré les créateurs de Wall-E, nouveau Charlot des temps atomiques. Patrice Blouin Le Vagabond d’un nouveau monde scénario de James Agee (Caprici), 168 pages, 13,50 €

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maxi mouse Surprise : le sombre Warren Spector redonne vie à l’icône Mickey pour un résultat enchanteur. Les explications d’un créateur disneyphile.

L à venir une date pour Kirby Nintendo a enfin révélé la date de sortie européenne de l’adorable Kirby – Au fil de l’aventure auquel les joueurs japonais et américains peuvent s’adonner depuis déjà deux mois : ce sera pour le 25 février. Destiné à la Wii, ce jeu de plate-forme en 2D flatte l’œil par son style graphique très original, son héros en laine évoluant dans un monde de fils, boutons et tissus plus doux que nature.

orsque Disney a révélé l’identité du créateur chargé de refaire de Mickey Mouse une star du jeu vidéo, la surprise fut monumentale. Fameux pour ses univers adultes, Warren Spector (Deus Ex) était-il l’homme de la situation ? Le barbu quinquagénaire aux légendaires pulls sans manches s’étonne de notre étonnement : “Les gens qui me connaissent n’ont pas été surpris. ‘Il était temps’, m’a dit ma mère, comme si j’avais attendu cette opportunité toute ma vie. Avant d’entrer dans le monde du jeu vidéo, j’ai fait des jeux de plateau comme Toon – The Cartoon Roleplaying Game. J’étais le gars marrant ! Je sais que c’est difficile à croire aujourd’hui mais c’est pour moi une sorte de retour aux sources.” Pour l’avoir entendu démontrer en quoi le Mickey des années 30 diffère de celui des années 20, on ne mettra pas en doute l’amour de Spector pour la souris Disney (“Cela peut paraître fou, mais je ressentais une responsabilité vis-à-vis de Mickey”) et sa parfaite connaissance de son histoire. Qu’Epic Mickey revisite d’ailleurs en nous faisant explorer un monde où se sont réfugiés les héros oubliés de la mythologie Disney, et d’abord le grand ancêtre, Oswald le lapin chanceux.

“Disney a racheté les droits d’Oswald en 2006, souligne le game designer américain. Et où fait-il sa première apparition ? Dans un jeu vidéo. Ce ne serait pas arrivé il y a dix ans. Et c’est un honneur de ramener à la vie le premier enfant de Walt.” Mêlant phases de plates-formes et quêtes façon jeux de rôle, Epic Mickey place cette question de l’oubli, de la disparition, au cœur même de son gameplay en offrant au rongeur en culottes courtes un pinceau qui lui permet de compléter ou d’effacer en partie les décors. Et le résultat se révèle aussi enchanteur que spectorien car tout, ici, est une question de choix (va-t-on aider ce personnage ou privilégier la chasse au trésor ?) et de conséquences, plus tard, dans l’univers du jeu. “Tous mes jeux ont à voir avec ça, avec le fait que c’est vous qui vous montrez créatif plutôt que l’équipe”, reprend Spector. Qui n’a peut-être pas fini de surprendre les fans de ses jeux autrefois si sombres. “Je suis entré en croisade depuis ma toute première conversation avec Disney pour faire un jeu DuckTales, révèle-t-il. Un jeu Carl Banks, qui est mon auteur de comics préféré. Ce qu’il a fait avec Picsou était incroyable…” Erwan Higuinen Epic Mickey sur Wii (Junction Point Studios/ Disney, environ 45 €)

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à fond la caisse Débridé et jubilatoire, le Need for Speed de l’année renoue avec les plus grandes heures du jeu de poursuite automobile.

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n avait un peu perdu de vue Need for Speed. Un nouvel épisode revenait pourtant chaque automne draguer les gamers avides de nouveautés mais, avec ses scénarios-prétextes jeunistes et son obsession du tuning, la vieille série automobile en était arrivée à provoquer moins d’excitation que d’embarras. Et soudain, miracle, elle renaît de ses cendres. Le Need for Speed 2010 est une affaire de retrouvailles. Avec l’histoire de ses auteurs, d’abord, car le studio Criterion, à qui Electronic Arts en a confié le développement, est le père de la saga Burnout qui,

dans le registre de la vitesse explosive, a brillamment pris le relais des ancêtres Out Run et Ridge Racer au début des années 2000. Avec Burnout Paradise, ils s’étaient laissé gagner (sans oublier leur talent) par la mode des mondes ouverts. Need for Speed – Hot Pursuit marque leur retour au pur jeu d’arcade : fiévreux, facile d’accès, vite gratifiant. Mais c’est aussi la saga elle-même qui renoue avec ses origines. Car les vrais Need for Speed, au fond, sont moins des jeux de course que de poursuite. Entre flics et têtes brulées, entre pilotes humains virtuoses – le mode online est très prometteur. Avec,

souvent, de joyeuses parties d’autos tamponneuses pour éliminer son adversaire. Alors que paraît, avec des années de retard, le très clinique Gran Turismo 5, Hot Pursuit dilapide avec classe l’héritage de l’autre école de la simulation automobile, celle qui proclame que, si c’est pour de faux, autant y aller à fond dans les virages avant d’accélérer encore en ligne droite. Est-ce bien raisonnable ? Bien sûr que non. Mais qui a dit que les jeux vidéo devaient se montrer raisonnables ? E. H. Need for Speed – Hot Pursuit sur PS3, Xbox 360, Wii et PC (Criterion/Electronic Arts, de 50 à 70 €)

Def Jam Rapstar

God of War  – Ghost of Sparta Sur PSP (Ready at Dawn/Sony, environ 40 €) Commencerait-on à se lasser ? Ghost of Sparta est déjà le cinquième épisode de la saga péplum gore God of War née en 2005. Ses qualités (gameplay ultradynamique, mise en scène grandiose) sont toujours là mais l’action épique flirte dangereusement avec le radotage Grand-Guignol. Quelques idées nouvelles n’auraient pas fait de mal.

Sur PS3, Xbox 360 et Wii (4mm Games/Konami, de 60 à 75 €) Dans l’avalanche des jeux de karaoké, les rappeurs étaient un peu oubliés. Def Jam Rapstar comble ce manque en invitant chacun à se prendre pour Kanye West, Rohff ou Salt-n-Pepa. Sur tous les plans (interface, reconnaissance vocale, marché en ligne), Singstar a servi d’exemple. Le résultat est à la hauteur de cet illustre modèle.

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Lennon à nu Pour célébrer dignement les anniversaires conjugués de la naissance et de la mort de John Lennon, Yoko Ono a enfin commis une bonne action : nettoyer l’album Double Fantasy de ses tics d’époque. Une redécouverte.



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avec

orti le 17 novembre 1980, soit trois semaines avant que Mark Chapman n’aille faire un tour du côté du Dakota avec les conséquences dramatiques que l’on sait, Double Fantasy signait le grand retour de John Lennon après cinq ans de silence discographique. L’événement, bientôt éclipsé par quatre balles de 38, fut notamment célébré par une longue interview accordée à Rolling Stone, où un Lennon plutôt lucide présentait son nouveau disque comme une photographie prise sur l’instant, avec pour décor un apaisement conjugal enfin trouvé, badigeonné de plusieurs couches de fierté parentale à l’adresse de son dernier fils Sean, né pendant la trêve. Sans promesse de révolution, ni musicale ni politique, Double Fantasy sonnait donc comme une reprise de contact, avec ses singles doucereux – (Just Like) Starting over, Woman – et son dispositif paritaire entre les chansons de Lennon et les agaceries fantaisistes de Yoko Ono, plus difficile à zapper à l’époque sur vinyle qu’aujourd’hui en CD ou digital. John le reconnaît volontiers, il n’a pas cherché à rivaliser avec son passé, et encore moins “avec les gamins de la new-wave”. Il a 40 ans. Le punk étant passé par là, il s’agit à l’époque d’un âge où les rock-stars frisent la date de péremption. Comme son ex-jumeau d’écriture, qui a publié six mois plus tôt le ludique et domestique McCartney II, l’heure pour lui est à la légèreté et à l’optimisme. Pour d’éventuelles suites à Plastic Ono Band ou Imagine, il faudra patienter encore un peu et se résoudre à prendre Double Fantasy pour ce qu’il est, un album mineur d’un songwriter majeur encore engourdi d’avoir trop longtemps laissé son génie en sommeil. La suite, on la connaît. Un peu largué musicalement, Lennon n’a pas eu la main très heureuse lorsqu’il a demandé en janvier 80 au producteur de Jack Douglas de mettre en relief les demos très brutes composées durant ses cinq années de vacances. Douglas était ingénieur du son anonyme sur Imagine, il a aussi réalisé des disques pour Yoko, mais son CV, où figurent Aerosmith,

Alice Cooper ou Cheap Trick, n’est pas celui d’un cador de l’avant-garde. Non loin de là, Phil Spector est en train de faire un joli coup en produisant les Ramones mais Lennon n’a sans doute pas la force mentale ni l’envie de se coltiner à nouveau son vieux complice caractériel. Ce sera donc Douglas, et avec lui une armada de musiciens de studio plus habitués à regarder la pendule que l’avenir de la musique. Certains ont tourné avec Paul Simon, d’autres, comme le guitariste Earl Slick, avec Bowie. Lennon a surtout donné pour instruction à Douglas de recruter des types du même âge que lui, pas des jeunes lames comme New York en affûte par dizaines dans les clubs et studios de l’époque. Aucun miracle n’était donc à espérer de ce casting de quadras compétents mais sans flamme. Peu assuré avec sa voix, qu’il considère comme partiellement éteinte, John engage son producteur à utiliser sans retenue les dernières innovations technologiques, qui feront un malheur – dans tous les sens du terme – au cours des années 80 : des réverbs énormes mais bien moins incarnées que celles de Spector, des superpositions en mille-feuille pour masquer les éventuelles carences de la voix du maître. Les cuivres, les chœurs doo-wop, les démonstrations de guitares et l’ambiance générale tenant plus de la chemise ouverte sur moquette et chaîne en or que du costard biseauté font que Double Fantasy ne sonnera vaguement moderne qu’à travers les titres de Yoko Ono, qui imite très bien Nina Hagen (Give Me Something). Mis à part l’exemplaire que Mark Chapman fera signer à Lennon quelques heures avant de le refroidir, Double Fantasy n’était donc pas un disque de grande valeur. Jusqu’à aujourd’hui. A l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la naissance de Lennon et du trentième cierge de sa disparition,

Lennon n’avait à l’évidence pas besoin de ce maquillage high-tech

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on connaît la chanson

kids of new rap

John Lennon, 1970

lorsqu’une campagne de réédition de tout le catalogue de l’ex-Beatle fut envisagée, Yoko Ono s’est souvenue que John luimême n’entendait pas cet album comme il laissa Douglas le modeler en studio. L’idée lui vint alors d’en réaliser une version “stripped down”, sur le modèle de Let It Be… Naked, en le nettoyant de tous les stigmates de l’époque pour le rendre plus universel, plus proche des demos originelles. D’abord accueillie avec circonspection, comme tout ce qui émane de la Japonaise arty, cette œuvre de révision – mise à nu par un Jack Douglas en pénitence – se révèle une réussite bouleversante. Lennon n’avait à l’évidence pas besoin de maquillage high-tech pour chanter avec une présence patinée par l’âge qui rend la performance

prodigieuse. Une grande chanson comme Watching the Wheels, notamment, devient subitement immense, et même les titres les plus faiblards retrouvent l’intensité qui leur faisait défaut à l’époque. Au début de (Just Like) Starting over, il y a cette dédicace disparue à l’époque au montage : “This one’s for Gene and Eddie and Elvis… and Buddy !” Lennon cherchait à réapprendre avec ce disque les réflexes qui ont conditionné toute sa vie. L’ironie veut qu’il les ait retrouvés trente ans après sa mort. Christophe Conte

Album Double Fantasy (2 CD, stripped down et version originale, EMI) www.johnlennon.com

Peter Fordham/Yoko Ono

A L.A., quelques gamins réinventent le rap en ruinant quinze ans de postures stériles. Jouissif. La vidéo affole les réseaux. On y voit des gamins s’envoyer un cocktail pharmaceutique non répertorié avant de s’élancer en skate sur les trottoirs de L.A. La tribu débile, moyenne d’âge 17 ans, passe l’après-midi à saigner des gencives en perdant ongles et cheveux sous l’impact de la potion. Ces images servent en réalité de vidéoclip à un titre de Odd Future, crew de rappeurs, skateurs et vidéastes asociaux qui distribue ses albums en ligne depuis un an. Dans les baffles, névroses intimes, obsessions teenage pour le gore et session sodomie avec la vierge Marie, juste pour faire chier. Fatalement, certains y décèlent un dangereux futur pour les gamins. La réalité est plus enthousiasmante. Les canons du gangstérisme ont imposé dans le rap des postures automatiques, un monolithisme moral et musical qu’Odd Future est en train de subvertir. Là où le propos était de ramener un maximum de putes et de flingues, d’humilier le crew d’en face en bombant le torse, l’obscur gang s’humilie lui-même, se met minable face à la caméra en déroulant des textes d’une honnêteté rare dans ce genre qui préfère occulter ses faiblesses. Avec la surenchère comme emblème, seule attitude qui vaille à cet âge. Rien à foutre de vos fringues Gucci, de vos dollars à la con ! Musicalement, c’est la même : univers glacial et beats coagulés, ambiance EL-P fucks Boards Of Canada, loin de toute obsession auto-tunée, du swag des gangsters brusquement déclassés. On voudrait les comparer à Wu-Tang mais c’est impossible ; au punk mais c’est autre chose. Cette force de désorientation trash inaugure une attitude neuve, et il y a des chances pour que cette église païenne devienne chef de file de quelque chose qui vient. Parce qu’ils sont bosseurs, créatifs et talentueux, mais surtout parce qu’ils sont libres, n’attendent ni label ni sponsor, et réinventent un rap honnête, exactement comme au début. Alors, le rap, c’était mieux avant ?

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encore du Rev

The Vaselines

le festival Mo’Fo se dévoile

Belle nouvelle : treize ans après sa sortie, Mercury Rev revient jouer son inoubliable Deserter’s Songs sur la scène du Bataclan parisien, le 25 mai 2011. Concert assis, mais mille cœurs debout, comme on dit.

Immanquable, le rendez-vous organisé chaque année à Mains d’Œuvres à Saint-Ouen promet cette année encore une belle édition, sous l’égide des maîtres du lieu, David et Neman d’Herman Dune. On retrouvera ainsi, du 28 au 30 janvier, Jon Spencer et son projet Heavy Trash, les légendaires Vaselines, le krautrock de Zombie Zombie ou les folk-songs de Da Brasilians, formidables sur scène. Egalement annoncés : Herman Dune, Cheveu, Stranded Horse…

Amadou & Mariam remixés

cette semaine

TGV GéNéRiQ Festival

Le duo malien publiera, le 20 décembre, Remixes, un album de remixes de ses morceaux signés Miike Snow, Theophilus London, Yuksek, Nas & Damian Marley, Vitalic… Le groupe travaille actuellement sur un nouvel album, auquel devraient participer Santigold et Nick Zinner des Yeah Yeah Yeahs.

Entre concerts en salles, DJ-sets, spectacles organisés dans des appartements, concerts pour enfants, le festival TGV GéNéRiQ propose une belle affiche, avec notamment Gaëtan Roussel, Florent Marchet, Jamaica, Monarchy, Cascadeur, The Bewitched Hands… Jusqu’au 19 décembre à Belfort, Mulhouse, Besançon, Dijon, Montbéliard...

Mark Ronson chez les Black Lips

Youri Lenquette

Les Black Lips ont créé la surprise en annonçant une collaboration inédite pour 2011. Le groupe, connu pour ses concerts anarchiques et ses sonorités lo-fi, a en effet confié la réalisation de son nouvel album au super producteur britannique Mark Ronson. L’album, qui n’a pas encore de titre, sera le cinquième du groupe d’Atlanta.

neuf

The Human League

When Saints Go Machine Fail Forever, ment le single à la fois très triste et très entraînant de ces électroniciens de Copenhague : l’échec ne peut être au rendez-vous pour ce groupe déjà capable d’allier la puissance plaintive d’un Antony aux beats affolés de The Knife. Oh when the saints… www.myspace.com/ whensaintsgomachine

Ce “pape” n’est pas très porté sur l’ascèse et le puritanisme : normal, il vient de Brighton, Vatican de la débauche. C’est là qu’il fait des bulles, dans une pop pétillante et barrée, secouée d’une voix qui brame et tonne – bientôt vedette de festivals qui se convertiront en masse à des chansons qui s’appellent, entre autres, Dictator ! www.myspace.com/popejoan

Guy Levy

Thomas Skou

Pope Joan

Dead Kennedys On souffle les trentes bougies de Fresh Fruit for Rotten Vegetables, le classique punk hardcore des Californiens Dead Kennedys. Trente bâtons de dynamite seraient plus appropriés pour ce chaos à vif, pour ces California uber Alles ou Holiday in Cambodia qui donnent toujours envie de renverser les poubelles, les régimes. www.deadkennedys.com

Sans doute fatigués d’entendre leurs classiques eighties honteusement plagiés par toute une internationale electro-pop, les vétérans anglais de Human League reviennent : conservée intacte dans sa chambre froide, la troupe de Sheffield s’offre même un nouveau single digne, Night People, logiquement remixé par quelques héritiers. www.thehumanleague.net

vintage

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magie noire Un orchestre, des enfants de chœur et des pastèques pulvérisées : la transposition sur scène par les sorciers anglais These New Puritans de leur fascinant album, disque de l’année du NME. Ce week-end à Paris.

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omplexe bâti à la verticale dans un enchevêtrement de béton brut et de brique morne, le Barbican est un labyrinthe où le badaud a vite fait de s’égarer – et de perdre au passage toute joie de vivre. Cet étrange domaine abrite pourtant l’un des centres artistiques les plus actifs de Londres : le Barbican Centre. C’est là que les têtes brûlées de These New Puritans ont choisi d’interpréter en intégralité leur deuxième album, Hidden, sorti en début d’année – et élu récemment disque de l’année par le NME. En première partie de The XX notamment, ils en ont déjà joué des extraits

des torrents de lave bouillonnante entrent en collision avec des icebergs monumentaux

dans des salles réservées aux groupes de rock, avec les moyens du bord – une expérience déjà intense et troublante. Mais il s’agit ici d’un exercice autrement plus périlleux : recréer à la virgule près un album à la fois accessible et expérimental. “Ce disque a été conçu en profitant de toutes les possibilités qu’un studio peut offrir, mais jamais dans le but d’être joué sur scène”, explique Jack Barnett sur son bloc-notes. Au comble de l’angoisse à l’idée d’être sur le point de concrétiser ce projet de longue haleine, à la logistique exigeante, le songwriter et chanteur du groupe est littéralement devenu muet depuis des jours. Il ne parlera pas. On appelle en renfort son frère jumeau George, batteur du groupe : on aura le choix de trouver des réponses soit dans ses yeux cernés, soit dans les hiéroglyphes qu’il griffonne,

soit dans les accords funèbres qu’il esquisse parfois au piano en guise de commentaire. Interview la plus surréaliste de l’année. Quelques heures plus tard, le groupe entre en scène dans un cadre ultraformel, un brin suranné. Les musiciens du Britten Sinfonia plantent le décor en douceur sur l’intro instrumentale Time Xone, sous la baguette du chef d’orchestre André de Ridder, que l’on a croisé aux côtés de Gorillaz lors du spectacle Monkey: Journey to the West. Et là, c’est le miracle de Noël avant l’heure : la voix de Jack réapparaît sur We Want War, l’un des sommets de l’album et du concert. Les chœurs fantomatiques du New London Children’s Choir planent sur des rythmiques martiales et terrifiantes. Le public reste assis, complètement terrassé. Sur Fire-Power, les visages se détendent quand

on découvre en direct d’où viennent les bruits sourds : des percussionnistes explosent au marteau des pastèques (à défaut de crânes humains) qui volent en éclats. Contrairement à ce que leur nom laisse penser, These New Puritans n’ont donc rien de conservateurs. Il n’est pas donné à tout le monde de faire entrer en collision des torrents de lave bouillonnante avec des icebergs monumentaux. Le groupe continue ainsi de se lancer des défis irrationnels pour créer des hybrides à la fois introspectifs et radicaux, abstraits et sensuels, minimalistes et pourtant immenses. Noémie Lecoq Album Hidden et Hidden: Remixes ep (Domino/Pias) Concert le 18 décembre à Paris (Centre Pompidou) www.thesenewpuritans.com En écoute sur lesinrocks.com avec 15.12.2010 les inrockuptibles 83

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Eric Johnson

un Zé qui veut dire zozo Légende barrée de la musique brésilienne et du tropicalisme, Tom Zé est fêté par un coffret luxueux, boîte de jeux libertaire et loufoque.

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om Zé n’a pas qu’un drôle de nom. Il a aussi une drôle de voix nasillarde et une drôle de trombine, celle d’un fakir à barbichette, le visage jovial de Boby Lapointe absorbé par la folie de Lee Perry. Pour ne rien arranger, sa musique constitue l’une des facéties sonores les plus irréductibles de notre temps, à mi-chemin entre folklore et avant-garde, entre naïveté architecturale à la facteur Cheval et idiosyncrasie dada à la Residents. Le tout s’endiablant sur des rythmes de samba et de bossa-nova. A priori, difficile de prendre cet énergumène au sérieux. D’ailleurs, si l’on en croit l’état de sa notoriété, rares sont ceux à l’avoir accompagné sur le chemin biscornu qu’il s’est tracé depuis quarante ans. Pourtant, sans lui, et quelques autres, le Brésil ne serait pas

ce grand poumon qui nous aide aujourd’hui à respirer. En 1987, Jean Baudrillard prophétisait : “Si un jour l’humanité toute entière tombe dans la dépression, c’est là qu’elle se régénèrera, tout comme si un jour elle est proche de l’asphyxie, c’est en Amazonie qu’elle trouvera à se réanimer.” Architecte abstrait de cette nation qui s’est inventée en musique, Zé est de la même génération que l’ancien président Lula da Silva et le pur produit de la politique progressiste de “la culture pour tous” mise en place dans les années 60. Ce faisant, il a dû braver aussi la dictature militaire des années 70 avec des chansons qui, en d’autres temps, sur un autre continent, auraient été considérées comme relevant de l’“art dégénéré” et interdites. Au cours de cette sombre période, il a contourné la censure avec une irrévérence inégalée, que symbolise la pochette de son

album Todos os olhos de 1973, montrant une bille verte posée sur un anus rose, mais photographiée de telle façon qu’on pense plutôt à un œil de veau. Il fut surtout l’un des fers de lance du mouvement tropicaliste aux côtés de Gilberto Gil et de Caetano Veloso, et le plus résolu de la bande à mettre en pratique ce “cannibalisme culturel” qui a dévoré le rock, le psychédélisme et la musique électronique à la sauce brésilienne. “Eux faisaient du beau, ils aimaient la mélodie. Moi j’étais dans la transgression, l’horreur, le laid”, rappelait l’intéressé lors d’un passage en France. Son dernier disque Estudando o Pagode, sorti en 2005, cinq ans avant l’élection de la première présidente brésilienne Dilma Rousseff, nous offrait une opérette féministe, libertaire, jubilatoire, mariant la satire à l’utopie. Il est réédité aujourd’hui en version vinyle avec deux autres albums – Estudando a bossa et Massive Hits-The Best of Tom Zé – dans un superbe coffret à tirage limité proposé par Luaka Bop, le label de David Byrne, dont il fut la première signature. C’est lors d’un voyage à Rio à la fin des années 1980 que Byrne redécouvrit un Zé mis aux oubliettes. Sur un CD inclus ici se trouve du reste une passionnante interview du chanteur brésilien réalisée par David Byrne, où Arto Lindsay sert d’interprète. Une rencontre à l’origine de sa redécouverte par une certaine scène rock dont témoigne ce single live où Zé est accompagné par Tortoise, autre friandise de ce coffret “pochette surprise”. Une occasion rêvée pour revenir sur ce personnage qui fabrique ses chansons en mêlant la méticulosité de l’ébéniste à la dérision du dompteur de puces, dont la loufoquerie décrispe les tripes et la tendresse béatifie les cœurs. Francis Dordor Album Studies of Tom Zé (Luaka Bop) www.tomze.com

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Lilly Wood & The Prick Invincible Friends Cinq7/Wagram

Kisses The Heart of the Nightlife Maman/Republic of Music

Un duo snob et languide de Los Angeles distille sa disco élégiaque. Signe définitif de l’inversion des pôles entre Los Angeles et New York, même l’incontestable suprématie disco semble ici échapper à la Grosse Pomme. La faute notamment aux Kisses, duo mixte à franges, qui distille avec un ennui très étudié, rimbaldien, une musique de danse pour qui ne se frottera jamais à la sueur d’un club, préférant gigoter sur son sofa, voire son hamac : dans une lignée étalée des Suédois jj aux Américains Washed Out, les Californiens composent ainsi tout en langueurs mais en euphorie une dance-music en omelette norvégienne, qui prolonge la banquise jusqu’à Ibiza. Avec ses rythmiques en marshmallow rose et son adorable guitare funky, morveuse et gâtée, leur glorieux Kisses pourrait même devenir tardivement le tube qui censure l’hiver, fait fondre la neige  – torride. Raffiné, le duo aurait pu s’appeler French Kisses, tant ce romantisme suranné renvoie à la naïveté, à l’insouciance de leur gourou Alec Costandinos, grand-père seventies de la French Touch.

La pop étrange et sans frontières d’un groupe parisien. Lilly s’appelle en fait Nili, est israélienne et a grandi outre-Manche et outre-Atlantique. Le Parisien Ben se charge d’être la prick promise. Sur ce premier album timide et rosissant comme un premier rendez-vous, on n’a pas osé mettre de côté certaines affections de jeunesse (Cowboy Junkies), certains espoirs irraisonnés (Fiona Apple et Daft Punk convolent dans la rutilance des synthétiseurs). Tout cela offre un album kaléidoscopique, un peu foutraque, mais d’une fragilité désarmante, séductrice. Christian Larrède Concert le 9 février à Paris (Cigale) www.myspace.com/ lillywoodandtheprick En écoute sur lesinrocks.com avec

JD Beauvallet photo Rüdy Waks www.blowkisses.info En écoute sur lesinrocks.com avec 15.12.2010 les inrockuptibles 85

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Kid Cudi Man on the Moon II – The Legend of Mr. Rager Motown/Universal

We Are The Lilies We Are The Lilies

Clara Luiza

Various artists Gals Rock Le Son du Maquis Entre folk, riot et electro, une excellente compilation dédiée à la scène féminine. Rue escarpée, façade noire glacée, sélection pointue : ouverte depuis un an, la boutique Gals Rock est devenue un des relais névralgiques de la scène rock féminine à Paris. On s’y presse pour assister à des show-cases, se perdre dans la sélection impeccable (livres, disques, DVD) ou simplement passer un moment confortablement assis dans un canapé à boire le thé et écouter une découverte folk, rock ou electro. Un éclectisme dont rend aujourd’hui parfaitement compte cette première compilation : dix-huit titres qui oscillent entre découvertes (Clara Luiza, The Sexuals, ahurissant duo australien entre Lydia Lunch et PJ Harvey), piliers de la scène française (Cercueil, Mansfield.TYA, Vale Poher), réhabilitations (The Need, groupe méconnu de la scène d’Olympia) ou hommages à des icônes attestées (Young Marble Giants, Gossip). Go gals, go. Géraldine Sarratia www.galsrock.fr

Sarah Haas

Cooperative/Pias

Tahiti Boy et une légende du psychédélisme brésilien décrochent le soleil. Fruit de la collaboration entre le Parisien Tahiti Boy et Sérgio Dias, fondateur des cultes Os Mutantes, maîtres du tropicalisme, We Are The Lilies publie un premier album foutraque, trilingue et chaleureux. Deux convives sont passés par ici : Marie, le duo avec Jane Birkin, déçoit un peu, mais Iggy Pop s’invite sur un Why? plutôt cocasse. Du reste, on retiendra surtout le talent futé de David (Tahiti Boy) Stanzke, toujours fortiche au Fender Rhodes, et remarquable dès qu’il s’agit d’organiser la grande kermesse des chœurs (Over My Head, plus belle réussite du disque). Johanna Seban www.myspace.com/ wearethelilies En écoute sur lesinrocks. com avec

Un deuxième voyage dans le cosmos hanté par les tourments du rappeur. Les astronautes d’Apollo 13 en ont fait l’expérience : il vaut mieux rester vivant sur Terre que mourir sur la Lune. La seconde expédition de Cudi dans le star system se termine aussi par un happy end : le rappeur revient rasséréné et acclamé. Mais Man on the Moon II témoigne d’une période de fortes turbulences : drogues, disputes, névroses. Qu’on ne s’y trompe pas, cet album est excellent, porté plus fortement encore que son prédécesseur par des instrus stylés, parfois gracieux. Emile et Plain Pat ont musclé la lourdeur céleste du premier album, lui ont donné une approche plus mentale, à la mesure des pensées confuses de Kid Cudi. Le rappeur n’eut plus qu’à laisser courir sa tchatche et à lover son groove dans ces matelas downtempo. C’est injuste mais d’Apollo 11, on ne cite très souvent que Neil Armstrong. Pas sûr qu’on se souvienne, cette fois-ci encore, du reste de l’équipage. Gaël Lombart www.myspace.com/kidcudi En écoute sur lesinrocks.com avec

Deer Tick Born on Flag Day Fargo/Naïve

De sales gosses embarquent Young et Dylan pour une tournée des bars. Dans les chansons de John Joseph McCauley III, les paisibles charrettes de foin de la country trimbalent des caisses de gnôle distillée à la ferme – ici, les samedis soir durent jusqu’au lundi matin. Hallucinées des lendemains de noubas, les complaintes de Born on Flag Day traînent des gueules de bois format tronc de séquoia et sont chantées par un Ryan Adams qui fumerait ses trois paquets de clopes par jour mais s’étonnerait toujours de voir ses amours partir en volutes. Bruno Juffin www.myspace.com/deertick En écoute sur lesinrocks.com avec

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Underworld Barking Underworldlive/ Essential Music Une grosse machine techno qui voulait laver plus blanc que blanc, mais fait tache. Le son, c’est sûr, est impeccable. D’une propreté éclatante. Mais était-il bien nécessaire de s’entourer de producteurs comme Paul Van Dyk ou High Contrast pour des morceaux aussi peu inspirés ? Car en parodiant Joy Division, New Order ou Depeche Mode, Underworld semble regretter ses débuts, la new-wave, les années précédant la reconnaissance. C’était avant l’intégration du DJ Darren Emerson en 1991 et la trilogie vertueuse dans laquelle la pop avait sa place mais pas sans conditions. On mettra au crédit du duo une entrée en matière digne de leurs meilleurs travaux (le progressif Bird 1), la tentative dubstep Hamburg Hotel et leur toujours bonne maîtrise de la pesanteur, en particulier sur Moon in Water. On bougera éventuellement les épaules sur Always Loved a Film. Mais de la pochette, façon Genesis, à l’insupportable ritournelle du single Scribble, trop d’éléments confinent à la faute de goût et déteignent sur le reste. “It was acceptable in the eighties”, chantait Calvin Harris. Pas mieux.

Half-Handed Cloud As Stowaways in Cabinets of Surf, We Live-out in Our Members a Kind of Rebirth Asthmatic Kitty/Differ-ant Des Californiens cinglés jouent aux Beach Boys dans un bac à sable. On croyait avoir tout entendu en matière de pop-songs gigognes : on est à peine arrivé à la troisième chanson des Californiens de Half-Handed Cloud que, déjà, on a l’impression d’avoir entendu cinq albums, ou une mixtape pleine comme un œuf d’autruche de mélodies en sucre, de chœurs excentriques et de lalalala extatiques. Sortes de Beach Boys qui préféreraient le bac à sable à la plage, les Californiens n’avaient encore jamais, en une plantureuse discographie, offert un tel festin, pas du tout nu. Visiblement, John Ringhofer, protégé de Sufjan Stevens, n’est pas très porté sur les économies, la retenue, proposant vingt-cinq chansons mais des centaines de petits bouts de refrain tournés vers le soleil, des instruments à foison et des arrangements illuminés dont raffolent des fanfares comme Polyphonic Spree ou la trop méconnue (et c’est mieux pour la santé mentale de la nation) Danielson Family, dont le leadergourou est ici aux commandes. Leur premier single s’appelait “Je suis un mouton de Panurge”. Ça leur est passé. JD Beauvallet www.myspace.com/handycloud

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Denny Renshaw

www.myspace.com/ underworld

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Klaus Maeck

Einstürzende Neubauten

Too Much Future de Michael Boehlke & Henryk Gericke Editions Allia, traduit de l’allemand par Nelly Fourment, 198 pages, 15 €

Dilapide ta jeunesse de Jürgen Teipel Pouvait-on être punk et (est-)allemand ? Ja wohl, disent deux livres passionnants. S’il existe désormais une abondante bibliographie sur leurs homologues anglais et américains, les punks allemands ne pèsent pas lourd du point de vue éditorial. Allia remédie à cela en publiant deux ouvrages substantiels qui permettent de prendre toute la mesure d’un mouvement loin d’être circonscrit aux quartiers alternatifs de Berlin-Ouest. Too Much Future dévoile ainsi ce qui se passa de l’autre côté du Mur, là où les jeunes, se sentant “pris dans l’étau d’un avenir prescrit, d’un excès d’avenir”, trouvèrent dans le punk un mode d’expression salvateur autant qu’un outil de contestation du régime communiste. Composé uniquement de fragments d’interviews, Dilapide ta jeunesse retrace quant à lui les grandes heures du punk et de la new-wave en ex-Allemagne de l’Ouest, en donnant la parole à ceux qui en furent les principaux acteurs – d’Einstürzende Neubauten à DAF en passant par Palais Schaumburg. Jérôme Provençal

Steve Double

Editions Allia, traduit de l’allemand par Guillaume Ollendorff, 448 pages, 25 €

Stereolab Not Music Duophonic/Differ-ant

Laetitia Sadier The Trip Drag City/Differ-ant Une compilation de chutes imposantes sort Stereolab du coma. Sa chanteuse sort aussi une merveille solo. lus les années carcasse fumante, c’est de d’étapes d’une lente passent et plus sa voix de dame blanche combustion. Combustion la carrière de que l’on se souviendra dont on peine d’ailleurs Stereolab ressemble à déterminer si elle avant tout. Cette voix douce à un accident de dragster. et pâle qui, comme chez Liz prendra fin ou non avec Not Un démarrage en trombe, Fraser et Hope Sandoval, Music, Stereolab étant en puis une accélération d’une exprime la dérive et pause depuis maintenant puissance à vous faire l’absence dans ce qu’elles un an et demi. Ce qui ne sortir les organes par le fait par contre aucun doute, ont de plus tragique. dos, attribuable à Emperor A ce titre, The Trip, beau c’est que, même si l’on sait Tomato Ketchup (1996), où disque de trip-hop sans déjà tout de la new-wave la formation londonienne hop composé dans prismatique de Delugeoisie, conjugua comme personne le sillage du suicide des entraînants lacis immédiateté pop et de sa petite sœur, s’avère sixties de Everybody’s Weird avant-gardisme à facettes Except Me, de l’électronique particulièrement troublant. Benjamin Mialot (musique répétitive, modulaire de Lelekato tropicalia, krautrock…). Sugar et des drones de Pop www.stereolab.co.uk Et enfin une explosion Molecules, ces chutes www.myspace.com/ soudaine et spectaculaire, de l’album Chemical Chords laetitiasadier l’incompris et pourtant sont impressionnantes En écoute sur lesinrocks.com indépassable Cobra and de sophistication avec Phases Group Play Voltage et de mélodicité. in the Milky Night (1999). La Française Laetitia Depuis, on regarde Sadier y est une fois avec autant d’effroi que de plus pour beaucoup. de respect la gomme Si bien qu’à l’arrêt complet se désagréger, la fumée du véhicule, quand on s’échapper en de brunes arrosera les fans éplorés boursouflures et les de luxueuses rééditions disques routiniers comme on asperge s’enchaîner comme autant de neige carbonique une

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Nathaniel Rateliff In Memory of Loss Rounder/Universal Avec ce troubadour inconnu, on visite l’Amérique depuis le ciel. Beau. e chanteur américain Nathaniel à l’inspiration intemporelle, insaisissable. Rateliff a déclaré dans une interview La lumière et l’humeur sont changeantes. qu’il collectionnait les portes. Moue Bonne tête de nounours du Midwest, dubitative. Après la découverte émue Rateliff a passé son adolescence derrière d’In Memory of Loss, son premier album, une batterie à jouer Led Zep et Nirvana. on déduit que ce qu’il doit aimer dans Du coup, il sait faire coexister dans une les portes, c’est le trou de la serrure. même chanson l’intimité et le lyrisme, Le secret, la vie intérieure, le point la douceur acoustique du folk et l’énergie de vue intime, la vie qui s’écoule entre rire du rock – et trouve même une place et mélancolie. pour quelques chœurs country-gospel, Tout cela, c’est peut-être aussi parce parce que, aussi, il a grandi dans qu’il a grandi dans une communauté de une famille religieuse. soixante habitants, à Bay, dans le Missouri. A l’âge de conduire, il est parti s’installer Et le Missouri accouche d’une montagne : à Denver, Colorado, où il a un temps fait un disque façon “l’americana vue du ciel”, camionneur (mais il a dû arrêter parce juste assez haut pour que l’on puisse qu’il s’endormait au volant). Aujourd’hui, apercevoir, pris d’un doux vertige, il est jardinier-musicien, et ses chansons les parcelles d’Harry Nilsson, Bob Dylan, respectent le rythme des saisons. Nick Drake, Gram Parsons, Randy Avec In Memory of Loss, chacun verra midi Newman, John Fogerty, Ryan Adams, à sa porte – et n’oublions pas que Walter Salas-Humara (qui ça ?), Ron Nathaniel Rateliff les collectionne. Stéphane Deschamps Sexmith, Greg Brown, Vic Chesnutt, Bon Iver, voire Lennon en fin d’album… Trop de références, mais beaucoup d’espace, www.nathanielrateliff.com un disque plutôt léger dans la forme, En écoute sur lesinrocks.com avec

Brantley Gutierrez

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Baden Baden 78 Starlight Walker Ambitieuse et pointilleuse, de la pop qui a le courage d’oser le français. ’est un genre de pop-folk Baden badinent badinent dans – fragile, ambitieuse, ces sous-bois touffus où vivent contemplative, épanouis aussi bien Kaolin ou Syd impressionniste – dans Matters en France que The Acorn lequel la France n’a pas souvent ou Wolf Parade au Canada. Avec brillé : sans doute par manque Baden Baden et ses architectures de voix suffisamment cascadeuses ambitieuses, Belle And Sebastian et culottées pour l’anglais. Mais, redevient même un feuilleton portés par un chant tremblant français et haletant. JD Beauvallet de nostalgie, assez courageux pour oser le français sur Tout est bien www.cqfd.com/badenbaden ou sur une Alice amie de Florent En écoute sur lesinrocks.com avec Marchet, les Parisiens de Baden

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Coldplay Christmas Lights Quel single de Noël atteindra le sommet des charts anglais cette année ? Peut-être cette ballade de Coldplay, hélas consensuelle à souhait et plus-chamallow-tu-meurs, parfaite pour faire rêver mamie et Calogero réunis. Chris Martin, attention. www.lesinrocks.com

Coconut Records It’s Christmas Ça va déjà beaucoup mieux : merci papa Noël d’avoir poussé le génial Jason Schwartzman, au travail sur le troisième album de Coconut Records, à publier un inédit. Anecdotique mais sympathique, le titre est un premier cadeau au pied du sapin. www.lesinrocks.com

4 Guys From The Future Under the New Morning Sun Rien à voir avec Noël, si ce n’est que la découverte de ces jeunes Scandinaves constitue un beau cadeau pour finir l’année : les Danois de 4 Guys From The Future, dont l’album paraîtra en France au printemps, marchent sur les traces du regretté Beta Band, et modernisent le psychédélisme sixties sur ce titre capiteux. http://tambourhinoceros.net/4gftf

Milk And Fruit Juice A Soft Hand Un ukulélé, un glockenspiel bleu et une mandoline : à Paris, Milk And Fruit Juice chante la mélancolie et la douceur de l’enfance sur des pop-songs bricolées au charme fou, comme échappées d’une compilation de singles de Magnetic Fields. www.cqfd.com/milkandfruitjuice 90 les inrockuptibles 15.12.2010

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HORS-SÉRIE Bruce Springsteen ou le rock incarné : entre héroïsme, œuvres au noir et combats politiques, la trajectoire d’une icône américaine.

+ CD sampler 2 titres exclusifs  tirés du coffret The Promise: The Darkness on the Edge of Town Story.

EN KIOSQUE promo SPRINGSTEEN indd 1 Sans titre-1 1

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Aaron 15/12 Paris, Casino de Paris Adam Kesher 18/12 Châteaulin, 21/1 Saint-Ouen, 4/2 Marne-laVallée, 18/2 Saint-Brieuc, 7/4 Paris, Boule Noire Angus & Julia Stone 27, 27 & 28/4 Paris, Trianon Anoraak 16/12 Strasbourg, 18/12 Marseille Babet 16/12 Rouen, 17/12 Limoges, 18/12 Lyon, 28/1 ClermontFerrand, 29/1 Savigny-leTemple, 11/2 Magny-leHongre Band Of Horses 26/2 Paris, Cigale Beady Eye 13/3 Paris, Casino de Paris

Blackfield 29/4 Paris, Trianon The Black Keys 15/3 Paris, Olympia, 16/3 Nantes, 25/3 Lille Bonobo 16/12 Ris-Orangis Cali 16/3 Caen, 17/3 Angers, 18/3 Le Mans, 22/3 Rouillac, 23/3 Rouen, 24/3 Brest, 31/3Luxembourg, 1/4 Reims, 7/4 Avignon, 8/4 Marseille, 12/4 Strasbourg, 13/4 ClermontFerrand,

aftershow

22/4 Bourg-enBresse, 4/5 Paris, Zénith, 5/5 Lyon, 7/5 Besançon, 11/5 Nantes, 12/5 Toulouse, 13/5 Pau, 14/5 Montpellier, 18/5 Bordeaux, 19/5 Rennes, 21/5 Grenoble Anna Calvi 8/2 Paris, Nouveau Casino Cascadeur 15/12 Belfort, 16/12 Mulhouse, 17/12 Mondorfles-Bains, 18/12 Dijon, 11/1 Paris, Point Ephémère Chapelier Fou 17/12 Lorient, 18/12 Limoges, 21/1 Bulle 18/2 Metz Chocolate Genius Inc. 7/4 Paris, Divan du Monde Club Folamour! 17/12 Paris,

Point Ephémère, avec Lo-Fi-Fnk, Dye, Small Black, Chad Valley, etc. Cocoon 9/2 Lille, 10/2 Rezé, 11/2 Reims, 14/2 Lyon, 15/2 Marseille, 16/2 Ramonville, 16/4 Nice, 26/4 Paris, Olympia Cold War Kids 15/2 Paris, Bataclan Pascal Comelade 3/3 Paris, Cité de la Musique, Curry & Coco (+ Katerine) 15/12 Rouen Cut Copy 19/3 Paris, Nouveau Casino Da Brasilians 17/12 Bordeaux, 30/1 Saint-Ouen Daphné 14/1 Cormeilles, 12/1 Nantes, 28/1 Saint-Andréde-Cubzac,

7/2 Paris, Bouffes du Nord

Marianne Faithfull 29/3 Roubaix

Deerhunter 10/4 Tourcoing

Festival Les Aventuriers Jusqu’au 17/12 Fontenay-sousBois, avec I Am Un Chien!!, Hushpuppies, Da Brasilians, Lonely Drifter Karen, We Have Band, Invasion; Jessie Evans, The Bewitched Hands, Luke, Jim Jones Revue, etc.

The Dø 11/2 Rouen, 12/2 Alençon, 16/2 Dijon, 17/2 Strasbourg, 18/2 Nancy, 19/2 Poitiers, 23/2 Caen, 24/2 Rennes, 25/2 Vannes, 26/2 Angers, 9&10/3 Paris, Trianon, 16/3 Lyon, 17/3 Lausanne, 18/3 Zurich, 19/3 Nice, 23/3 Nantes, 24/3 Bordeaux, 25/3 Toulouse, 26/3 Montpellier, 27/3 Marseille, 6/4 Lille Elista 2/2 Paris, Maroquinerie Explosions In The Sky 20/5 Paris, Bataclan

La Fiancée 15/12 Paris, Divan du Monde Arnaud Fleurent-Didier 8/2 Paris, Cigale Fortune 17/12 Saint-Lô, 18/12 Morlaix Godspeed You! Black Emperor 14/1 Paris, Grande Halle de la Villette, 28/1 Marseille, 1/2 Toulouse

Europavox

Hélène Dehon

Du 2 au 4 décembre à Bruxelles

Wildbirds & Peacedrums, la révélation

Après sa patrie Clermont-Ferrand et avant Varsovie, rien de plus normal que de retrouver ce festival européen à Bruxelles, au merveilleux Botanique. Ce qui est moins normal, c’est de voir des Lettons déguisés en pandas et créatures noires à la Tim Burton jouant une electro-pop à la fois sombre et extravagante. Instrumenti, une fois encore, a emballé avec son euphorie contrariée et son show de cabaret futuriste. Naive New Beaters n’a rien perdu de son enthousiasme contagieux, gagnant dynamisme et précision. Boogers, en trottinette ou torse-poil, fait le show chaud : il faudrait que la France s’en rende compte. Les BelgoFrançais d’Applause, malgré quelques lourdeurs, possèdent en Nicolas Ly un chanteur fascinant, qui porte à lui seul des chansons lyriques et romantiques. La Danoise Agnès Obel offre un concert solennel mais gai, face à un public électrifié par cette musique de peu : piano et violoncelle au service de chansons nettement plus excentriques que voudrait le faire croire l’austérité de façade. Avant elle, les Clermontois de Bruxelles avaient découvert la terre promise, avec un concert trop démonstratif, alors que ces chansons remuantes mériteraient moins d’attitude, plus de nonchalance. Mais la grande découverte de cette édition restera les Suédois Wildbirds & Peacedrums. Une chanteuse habitée jusqu’à l’hystérie et son batteur inventent, à la Camille, une soul physique et fugueuse. Derrière, une chorale belge s’est chargée d’adapter les mystérieuses partitions du groupe, pour des mélopées minimales d’une violente musicalité. On va en rêver longtemps, peut-être même dans des cauchemars. JD Beauvallet

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Dès cette semaine

PJ Harvey 24 & 25/2 Paris, Olympia Peter Hook “Unknown Pleasures” 10/3 Paris, Trabendo Iliketrains 17/12 Paris, Flèche d’Or Inrocks Indie Club décembre 17/12 Paris,

Morcheeba 4/4 Nantes, 5/4 Paris, Casino de Paris, 7/4 ClermontFerrand, 8/4 Marmande, 15/4 Lille, 16/4 Strasbourg Yael Naim 20/1 Caen, 21/1 Rouen, 22/1 Alençon, 26, 27, 28 & 29/1 Paris, Cigale, 2/2 Angers, 3/2 Bordeaux, 4/2 Toulouse, 5/2 Marseille,

Flèche d’Or, avec White Lies, Iliketrains, The Vaccines

18/12 Mulhouse, 22/1 Reims, 8/2 Paris, Alhambra, 6/4 Strasbourg

Interpol 15/3 Paris, Zénith Iron & Wine 7/2 Paris, Alhambra

Joan As Police Woman 23/2 Paris, Flèche d’Or, 24/2 Lille, 1/3 Strasbourg

Jamaica 15/12 Dijon, 16/12 Besançon, 17/12 Belfort,

Camelia Jordana 6/4 Paris, Trianon

9/2 Strasbourg, 10/2 Grenoble, 11/2 Lausanne, 12/2 Nancy, 22/2 Le Mans, 23/2 Nantes, 24/2 Brest, 25/2 Rennes, 16/3 Lille, 17/3 Bruxelles, 19/3 Lyon

Théâtre des Bouffes du Nord, 16/1 Nantes, 19/1 Cenon

JP Nataf 18/1 Paris, église Saint-Eustache

Orquesta Aragon 23/12 Paris, Salle Pleyel, 11/12 Annecy, 14/12 Roubaix, 17/12 SaintQuentin-enYvelines, 19/12 Fréjus, 21/12 Martigues

Joanna Newsom 14 & 15/1 Paris,

Owen Pallet 22/2 Paris, Café de la Danse,

Ray Lamontagne & The Pariah Dogs 17/2 Paris, Olympia

Sables-d’Olonne, 6/4 SaintQuentin, 20/5 Paris, Cigale

The Legendary Tigerman 23/2 Paris, Maroquinerie

Madjo 12/3 Les

Florent Marchet 17/12 Metz, 8/2 Montbrison, 17/2 Luxeuilles-Bains, 18/2  Annecy, 19/2 Fontaine, 25/3 Paris, Cigale, 29/3 Falaise,

Olivia Pedroli 17/2 Bordeaux

Gaëtan Roussel 6/4 Paris, Zénith

17/12 Paris, Point Ephémère

Omara Portuando & David Murray Cuban Ensemble 21/12 Paris, Salle Pleyel

Shout Out Louds 28/3 Paris, Machine, 29/3 Angoulême, 31/3 Strasbourg

Soulwaxmax 23/12 Paris, Grande Halle de La Villette avec 2 Many DJ’s, Soulwax

Puggy 1&2/4 Paris, Bataclan

Ballaké Sissoko et Vincent Ségal 15/3 Paris, Cigale

Sourya 14/1 Paris, Maroquinerie

Luke 31/3 HérouvilleSaint-Clair Katerine 15/12 Rouen Klaxons 18/1 Toulouse, 19/1 Nantes, 20/1 Paris, Bataclan, 21/1 Caen Lady Gaga 19&20/12 Paris, POPB

Revolver 12/1 Paris, Théâtre des Bouffes du Nord Roken Is Dodelijk 16/12 Mérignac

Lykke Li 21/4 Paris, Cigale

The Sisters of Mercy 5/3 Paris, Trianon Small Black 16/12 Dijon,

The Specials 27/9 Paris, Olympia Marie Stern 16/12 Dijon, 17 & 18/12 Besançon

1/4 Portes-lèsValence, 6/5 Sottevillelès-Rouen, 7/5 Châteauroux, 20/5 Avoine Melismell 17/12 Creil, 18/12 Epernon, 12/1 Chambéry, 21/1 Colmar, 17/2 La Bourboule

Nouvelles locations

Mercury Rev joue Deserter’s Songs 25/5 Paris, Bataclan

avec The Vaselines, Herman Dune, Heavy Trash, Da Brasilians, etc.

Minitel Rose 28/1 Orvault, 6/2 Tours

Mogwai 17/3 Paris, Trianon, 18/3 Lille, 19/3 Strasbourg, 20/3 Lyon, 21/3 Nice, 22/3 Toulouse, 24/3 Bordeaux, 25/3 Caen

Kylie Minogue 11/3 Toulouse, 14/3 Nantes, Festival Mo’Fo Du 28 au 30/, Saint-Ouen,

Stornoway 14/4 Paris, Café de la Danse

18/12 Mulhouse, 29/3 Paris, Olympia

Success 18/12 Dijon, 31/12 Paris, Batofar, 27/1 Rennes, 29/1 Blois, 3/2 Vire, 18/2 Magny-leHongre, 19/2 Saint-Ouen

Tahiti 80 7/4 Paris, Bataclan

Syd Matters 15/12 Hyères, 16/12 Montbéliard, 17/12 Dijon,

En location

TGV GéNéRiQ Festival Jusqu’au 19/12 à Belfort, Mulhouse, Besançon, Dijon, Montbéliard etc, avec Gaëtan Roussel, Jamaica, Monarchy, Florent Marchet…

These New Puritans 18/12 Paris, Centre Pompidou Boubacar Traoré 4/3 Paris, Cigale Tricot Machine 3/2 Paris, Boule Noire Saul Williams 9/2 Paris, Nouveau Casino Hindi Zahra 16/12 Rouen, 17/12 Beauvais

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Sans lien d intersection

l’insurrection en tweed De quoi le chapisme est-il le nom ? D’un mouvement subversif et anticapitaliste qui prône la révolution par le tweed. Une idéologie drolatique et politique exposée dans l’hilarant Manifeste chap.

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narcho-dandys de tous les pays, unissez-vous ! L’heure de la révolution par le tweed a sonné et le spectre du chapisme hantera bientôt l’Europe toute entière. Plus qu’une idéologie, le mouvement chap est un art de vivre, une éthique aussi frivole que subversive fondée en Grande-Bretagne dans les années 1990 par Gustav Temple et Vic Darkwood. Héritiers d’Oscar Wilde, P. G. Wodehouse, Huysmans, Robert de Montesquiou (le modèle du baron de Charlus dans A la recherche du temps perdu) mais aussi du dadaïsme et des situationnistes, les chaps entendent tout simplement faire exploser

le capitalisme, renverser ce système aussi indissociable de la vulgarité bling-bling qu’une Rolex du poignet de notre président. Leurs armes : l’élégance, l’exquise politesse, la littérature, l’humour… et une bonne dose de Martini dry et/ou d’opium. Soit “le soulèvement par le charme”. Comme tout mouvement digne de ce nom, le chapisme (de “chap”, qui signifie “gars”) s’est doté d’un logo – une pipe de bruyère et un rasoir coupe-choux entrelacés à la manière de la faucille et du marteau communistes – et d’efficaces outils de propagande : un magazine (The Chap, que l’on trouve dans les boutiques vintage de Londres) et surtout un manifeste coécrit par Temple et Darkwood, les Marx

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anticonformiste né, le chap est le cousin chic de l’altermondialiste et Engels du bon goût et du savoir-vivre révolutionnaires, également auteurs d’un Tour du monde en 80 Martini. Exhilarant et décadent à souhait, ce petit livre rouge à l’usage des gentlemen modernes (le rouge étant la couleur préférée des chaps pour leurs cravates) est un concentré d’absurdité et de nonsense so british, écrit dans un style délibérément suranné et accompagné d’illustrations rétro délicieusement décalées. S’y trouvent édictés les rudiments essentiels de la lutte : de la panoplie du parfait anarchodandy à la sémiotique du cheveu ou de la cigarette, en passant par l’entretien d’un superbe teint de phtisique et l’art de courtiser les dames. Ces dernières ne sont pas oubliées. Dans le chapitre “Le Boudoir des rêves brisés”, les aspirantes chapettes reçoivent elles aussi des instructions précises concernant la tenue et le comportement à adopter. Parmi les must-have : le monocle, un boa constrictor plutôt qu’un boa en plumes d’autruche (trop convenu) et, accessoire plus précieux que n’importe quel it-bag, un gentleman, si possible tenu en laisse. On l’aura compris, l’habit – de préférence un costume sur mesure confectionné par un tailleur de Savile Row – fait le chap. Qu’il parcoure le monde, lise les œuvres complètes de Baudelaire alangui sur une méridienne ou s’octroie une charmante escapade en automobile, le chap se doit d’être toujours impeccablement vêtu. La faute de goût est son pire ennemi. Et le monde moderne lui en offre malheureusement chaque jour d’accablants exemples. Les chaînes de prêt-à-porter, les fast-foods… Les chaps ont décidé de les combattre sans relâche, non par esprit réactionnaire ou conservateur, mais parce qu’ils voient là les emblèmes de la société capitaliste. Anticonformiste né, le chap est le cousin chic de l’altermondialiste, le grand frère sophistiqué de Julien Coupat. Sauf qu’il met un point d’honneur à mener la lutte avec panache et glamour : “Cet individu (le chap), en apparence original et inoffensif, a été repéré évoluant par petits groupes, en marge de certaines marches de protestation récentes, dans des villes aussi éloignées de la vie civilisée que Seattle ou Kyoto. Tandis que des jeunes mal peignés, vêtus de passe-montagne, hurlent des slogans et brisent les vitrines des McDonald’s, les Anarcho-Dandys se contentent d’exposer le pli impeccable de leurs pantalons en serge de coton, le sourcil levé au-dessus de leur monocle, un sourire ironique aux lèvres.” C’est vrai, quoi, flûte ! La révolution n’est pas nécessairement synonyme de laisser-aller vestimentaire. Et on peut avoir des idées contestataires sans pour autant

arborer l’apparence négligée d’un Che ou d’un Michael Moore. Sous ses airs drolatiques, Le Manifeste chap est tout aussi subversif – et nettement plus distrayant – que L’insurrection qui vient. On y retrouve d’ailleurs des idées assez proches, comme le rejet viscéral du travail, cette abomination ô combien avilissante et inélégante. Un chapitre est ainsi consacré à l’éthique du tirage au flanc. En cas de nécessité absolue occasionnée par des dettes de jeu ou une addiction croissante aux barbituriques, le chap pourra toujours opter pour un travail à temps partiel et profiter de cette incursion dans le monde de l’entreprise pour s’adonner à des opérations de sabotage de la grande machine capitaliste, en passant par exemple ses journées à photocopier des ramettes entières de poèmes de Keats et de Verlaine qu’il distribuera ensuite à ses collègues, ou bien en adoptant la technique dite “Bartleby”, inspirée du héros de Melville, un art de l’esquive qui découragera jusqu’au chef de bureau le plus zélé. De l’anti “travailler plus pour gagner plus”, en somme. Et si le chap, pourfendeur infatigable de la “vulgocratie”, se révélait le meilleur opposant à la droite clinquante et de mauvais goût incarnée par Nicolas Sarkozy ou Silvio Berlusconi ? A des sorties comme “Casse-toi pauv’ con”, il opposerait son ironie et sa désarmante courtoisie. Quel que soit le candidat de la gauche à la présidentielle de 2012, on ne saurait trop lui conseiller d’investir dans un complet en tweed parfaitement coupé (ou si c’est une femme, un tailleur, avec ou sans boa constrictor). A ce stade, il ne faut négliger aucun détail. Elisabeth Philippe Le Manifeste chap de Gustav Temple et Vic Darkwood (Editions des Equateurs), traduit de l’anglais par Anne Maizeret, 136 pages, 20 €

action ! Les chaps ne sont pas qu’une pure fiction. Une communauté d’anarcho-dandys sévit depuis une dizaine d’années en Angleterre. Elle se réunit dans d’obscures tavernes et organise des bals décadents. Chaque été, à la mi-juillet, sont même organisées des olympiades chap à Bedford Garden, au centre de Londres. Parmi les épreuves : lancer de sandwichs au concombre, préparation du Martini dry le plus authentique (seule épreuve à laquelle les enfants peuvent participer), du steeple-chase où une chapette chevauche un chap… Le site www.thechap.net recense toute l’actualité du mouvement.

en marge

indignations Le succès du petit livre de Stéphane Hessel incarne le mécontentement de la rue. Il serait temps que les politiques l’entendent. L’indignation serait-elle le mot-clé de 2010 ? C’est probablement parce qu’il fait plus que jamais écho dans les esprits de citoyens à bout que le livre de Stéphane Hessel, Indignezvous !, paru cet automne chez une petite maison d’édition (Indigène), est devenu un best-seller : plus de 200 000 exemplaires vendus ! Le prix modique, le format court ou le titre en forme d’injonction ne peuvent suffire à expliquer un tel succès. De par sa riche expérience, sa très longue vie, peuplée de multiples combats (Résistance, déportation, diplomatie, lutte incessante pour les droits de l’homme…), Hessel, 93 ans, s’est imposé comme la figure réactivée d’un “humanisme” politique qui ne dérange que les cyniques. Chez cette belle personne, l’énergie militante et l’éveil se déploient avec l’âge. “Ma longue vie m’a donné une succession de raisons de m’indigner”, écrit-il. Marqué par Sartre, Merleau-Ponty et Hegel, le combattant éternel a mis l’engagement au cœur de son existence, comme il le rappelait déjà dans ses Mémoires à propos de la ligne de conduite qu’il se donna à son retour de Buchenwald : “Cette vie restituée, il fallait l’engager”. Dans Indignez-vous !, où il appelle les jeunes générations à faire vivre l’héritage de la Résistance, il met en accord ses propres colères avec celles qui agitent des citoyens exaspérés, comme le mouvement social l’illustra cet automne. Des Roms aux sanspapiers, des retraites aux excès de la finance, des libertés publiques bafouées au pouvoir de l’argent, ses indignations sont les nôtres. Sorte de grand-père libertaire, Stéphane Hessel exhorte ses enfants à revendiquer leur part d’indignation. Avec lui, le peuple se lève dans un élan partagé pour le peu qui lui reste : le sens de la dignité. Indignez-vous ! de Stéphane Hessel (Indigène), 30 pages, 3 €

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Ivy ComptonBurnett L’Excellence de nos aînés PaulN ewman et Susan Sarandon dans L’Heure magique (1998, scénario coécrit par Richard Russo)

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Hollywood s’invite clandestinement dans ce roman très autobiographique de l’auteur et scénariste américain Richard Russo.

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ans le coffre de sa voiture, une urne funéraire, qui contient les cendres de son père. Au téléphone (portable), les remontrances de sa mère, ex-universitaire acariâtre, devenue la terreur de ses maisons de retraite successives. Au bout de la route, les plages de l’Atlantique, au bord duquel une version adolescente de lui-même tente depuis quarante ans de résoudre les énigmes de l’amitié, du désir et du racisme social : sur le chemin du cap Cod, Jack Griffin a de bien encombrants passagers. Mais le véritable invité clandestin du nouveau Richard Russo est d’une autre nature : dans Les Sortilèges du cap Cod, le septième art s’incruste au pays de la littérature, de telle sorte qu’un roman admirablement ficelé abrite une malicieuse déconstruction de l’écriture hollywoodienne. Non content d’être l’un des meilleurs chroniqueurs des petites villes en crise du nord-est américain (Quatre saisons à Mohawk), doublé d’un orfèvre en comédie

le héros est un reflet des vies antérieures  de l’auteur

de campus (Un rôle qui me convient), Russo peaufine épisodiquement des scénarios de films – on lui doit l’adaptation cinématographique de l’un des sommets du polar contemporain, La Moisson de glace de Scott Philipps. On ne s’étonnera donc pas de découvrir, en la personne du héros de son septième roman, un reflet de ses vies antérieures : à la fois fils de duettistes querelleurs, prof de fac désabusé et scénariste échaudé par ses expériences californiennes, Griffin affiche un CV particulièrement proche de celui de Russo. Mais aux difficultés que le personnage rencontre pour pondre un synopsis satisfaisant aux exigences des producteurs répond la virtuosité de l’auteur. En donnant vie à une famille en voie de décomposition, qui survivra finalement à deux mariages, autant d’enterrements et quelques scènes de pur slapstick, le romancier blue collar passe de l’univers de Russell Banks à celui de Woody Allen et trouve, suggestions de casting comprises, un ton qui est l’exact équivalent de la lumière dorée dont le New-Yorkais nimbe ses comédies noires. Bruno Juffin Les Sortilèges du cap Cod (Quai Voltaire), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, 320 pages, 2 1 €

Phébus, traduit de l’anglais par Philippe Loubat-Delranc, 336 pages, 23 €

Une étude de mœurs au vitriol de la bonne société anglaise. Les premières pages rappellent un roman de Jane Austen. Les politesses s’échangent, les robes se frôlent, dans un petit bourdonnement de tracas domestiques. Ivy ComptonBurnett (1884-1969) est une contemporaine de Virginia Woolf, mais c’est à Orgueil et Préjugés que l’on pense ici. L’Excellence de nos aînés semble s’y référer sans cesse, avant de livrer un portrait au vitriol d’une famille issue de la petite bourgeoisie anglaise du début du XXe siècle. Le roman s’ouvre sur l’emménagement de la famille Donne dans un cottage. Parents, enfants et gouvernante prennent possession des lieux en déplorant la petitesse de la maison et l’inefficacité des domestiques… Derrière, l’auteur n’est pas longue à déployer ses armes, visant un pur produit de l’Angleterre edwardienne : une bourgeoisie cultivée mais fate, corsetée par les conventions et les bonnes manières mais rongée par l’amertume et l’envie. En plus d’exceller dans la satire sociale drôle et méchante, Ivy Compton-Burnett est connue pour ses romans dialogués, antinarratifs. L’afflux des répliques excède leur sens immédiat, pour se masser en une pâte de mots informe et vaine. Nathalie Sarraute ne s’y est pas trompée : elle avait décelé derrière l’étude de mœurs classique une véritable expérimentation sur le langage. Constitué ici de pensées toutes faites, de préceptes et d’adages, le dialogue ne renvoie plus qu’à un vide sémantique, “soupçonné”, selon la formule sarrautienne, de ne plus rien vouloir dire. Ici, la satire atteint son pic de cruauté. Emily Barnett

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SándorM árai, au cœur de l’histoire de la Mitteleuropa

l’impasse La crise existentielle d’un homme soumis à un dilemme amoureux. Le très subtil écrivain hongrois Sándor Márai signe un grand roman idéaliste et torturé contre le conservatisme. n ne sort pas indemne d’un roman de vivre. Sándor Márai porte sa réflexion de Sándor Márai : l’écrivain hongrois bien au-delà de la simple introspection y fait à chaque fois l’examen amoureuse : il s’agit d’un véritable “cri” approfondi et implacable du cœur métaphysique, aussi tourmenté que celui humain, sondant ses desseins secrets. peint par Munch. Pour le héros, il n’y aura Dans son œuvre, rédigée entre les années pas de moyen terme entre l’aliénation 1930 et sa mort en 1989, il est toujours – “une passion vile et dégoûtante” – question des limites de la raison, et l’ordre moral. de l’absurdité de la vie, d’existences vides “L’énorme cité où il avait élu domicile révélées par de vaines passions. C’était ne s’occupait visiblement de rien d’autre déjà le cas dans Le Premier Amour et que de milliers d’affaires intimes en exerçant Métamorphose d’un mariage, où l’irruption un contrôle indiscret et provincial”. Associé du sentiment amoureux servait à la fois à un acte de rébellion, sa liaison met de catalyseur, de révélateur et de bombe l’universitaire “indigne” au ban de la à retardement dans des vies anesthésiées société : sombre constat sur l’Europe par l’illusion d’un confort petit-bourgeois. de l’entre-deux-guerres, engoncée dans Ainsi en va-t-il du personnage central un moralisme disciplinaire et pudibond de L’Etrangère : Viktor Henrick Askenazi, un – à rebours des images d’Epinal glamour universitaire de 48 ans, “romain catholique”, sur cette époque. Un terreau idéal pour les “un homme plus très jeune, à la calvitie régimes totalitaristes émergeants. Sándor précoce, au regard myope”, réside dans une Márai le sait, lui qui a connu l’exil deux fois station balnéaire au bord de la Baltique. (après la première guerre, menacé par Là, dans la chaleur collante, d’une “moiteur la répression anticommuniste, et en 1948 tropicale”, Askenazi ressasse un mal, pour fuir le régime communiste !). un insondable sentiment de manque. Crise L’Etrangère est une charge contre existentielle ? Dépression ? Un peu tout les sociétés patriarcales, le mariage et les cela à la fois, car cet intellectuel torturé ne institutions, converties sous la plume de réalise pas une simple retraite : son voyage Márai en un réseau de mensonges bridant est également un sevrage. la meilleure part des hommes. Il en Celle qu’il doit oublier est une danseuse, surgit une lente déchéance au romantisme qui l’a dévoyé du foyer conjugal. Tel Swann exacerbé, brisé par le cours de l’histoire, s’amourachant d’Odette dans La Recherche, comme ce fut le cas pour les autres auteurs le héros mesure ici l’abîme creusé dans de la Mitteleuropa – dont Sándor Márai sa vie par cette passion physique pour une est, aux côtés de Zweig, l’un des plus demi-mondaine. Le verdict est sans appel : éminents représentants. Emily Barnett échappant enfin à son édifice moral, ce citoyen “respectable” se voit libéré d’un L’Etrangère (Albin Michel), traduit du hongrois par Catherine Fay, 240 pages, 18 € mirage, mais par là même de sa raison

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le cadeau de Noël

Pas de livre pour Ludivine Sagnier (avec Nathalie Baye dans La Californie)

A quelques jours des fêtes, la grande tendance qui s’impose définitivement : le cadeau. Qu’offrir ? Et que recevoir ? Un livre, toujours plus chic qu’une Rolex en or. l y a toujours quelque chose de de prix, trop banal ; bougies et sucreries, vaguement angoissant à feuilleter les trop anonymes. Nettement moins cher, suppléments cadeaux des magazines : voire même franchement abordable, donc comme si l’on avait besoin des conseils moins obscène, le livre est le cadeau d’une personne inconnue de nos services personnalisé, avec supplément d’âme, pour nous indiquer comment combler nos qu’il vous faut. L’offrir flattera en plus intimes – comme si, au fond, nous ne les son destinataire, constatant avec connaissions jamais vraiment, nos intimes, une certaine fierté que vous pariez sur ou pire, comme s’ils avaient les goûts son intelligence. D’autant que cette année, de tout le monde. Monsieur, par exemple, pas besoin de se triturer les méninges apprendra qu’il se doit d’offrir une paire pour savoir quel livre offrir : on peut se d’escarpins à paillettes or à sa compagne ; jeter sans risques sur les romans portant elle, une écharpe en cachemire pour lui. la bannière “Prix machin”, car rarement Vous aurez aussi la possibilité de distribuer les prix auront autant récompensé bougies parfumées, iPhone dernier cri, des œuvres vraiment littéraires. iPad, macarons chataigne-matcha, autant On offrira donc à foison La Carte et le d’objets luxueux, formatés, voire anonymes. Territoire de Michel Houellebecq, La vie est Or, en ces temps de crise, de froid, brève et le désir sans fin de Patrick Lapeyre, d’incertitude et de stress, tous ces cadeaux Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal prennent des allures vaguement vulgaires. ou Purge de Sofi Oksanen. A ceux qui vous Pourquoi pas une Rolex en or, pendant disent attendre qu’un livre sorte en poche qu’on y est ? Vade retro… Alors, que faire ? pour le lire (il y en a toujours), vous ferez Eviter de voir sa grand-mère ? Prendre la joie d’écourter l’agonie en leur offrant le risque de se faire plaquer ? Faire pleurer Suite(s) impériale(s) de Bret Easton Ellis. ses chères têtes blondes ? Il existe pourtant Pour un grand-père, l’idéal serait le nouvel une solution, et cette solution s’appelle Henning Mankell, qui, en plus de mettre le livre. Pour certains encore, hélas, ce mot en scène un retraité menant l’enquête, a quelque chose de désuet. Et pourtant… nous replonge en pleine guerre froide. A un Oubliez objets de luxe à logos, trop quinquagénaire bourré de tocs, pourquoi surfaits ; matériel électronique hors pas le Ken Follett de saison ? Ça l’éloignera

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un bon moment de ses obsessions. Au cousin nerd qui a tout lu, le génial London Orbital de Iain Sinclair. Aux jeunes ados en phase de rébellion, les vies très rock de Patti Smith (Just Kids) et de Keith Richards (Life). A une jolie fille qui en a marre du regard des garçons, le drolatique premier roman de Pauline Klein, Alice Kahn. Aux amoureux de Londres et de littérature anglaise, Le Livre de Dave de Will Self, et aux dandys anglophiles, Le Manifeste chap de Gustav Temple et Vic Darkwood (lire p. 94). A un lecteur de polars qui ne l’aurait pas encore découvert, le Vendetta de R. J. Ellory, qui sort justement en poche. Et plutôt qu’un bijou, on offrira ce beau livre autour de la créatrice de bijoux Lina Baretti, Parures, écrit et publié par Patrick Mauriès. En plus d’avoir travaillé pour Dior ou Schiaparelli, d’avoir été l’une des égéries de la café society d’après-guerre, Lina Barretti fut une résistante. Tous ces trésors, et tant d’autres, se trouvent dans les librairies, ces lieux qui ont en plus l’avantage d’être en accès libre, d’être chauffés en hiver, et où l’on peut rester un temps infini à faire des découvertes. En somme, une définition possible du bonheur. Nelly Kaprièlian

la 4e dimension nouvelle fuite de WikiLeaks

flops en stock Ils écrivent comme ils nous gouvernent, et leurs livres sont des catastrophes industrielles : Pour la nation, l’essai d’Eric Besson, s’est vendu à 1 616 exemplaires. Seulement 512 pour Et si on parlait de vous ? de Valérie Pécresse. Est-ce que l’Anthologie historique de la poésie française de Xavier Darcos, à paraître en janvier (PUF), en fera autant ?

Révélations et règlements de comptes. En janvier paraîtra en Allemagne (avec une traduction anglaise dans la foulée) Inside WikiLeaks – My Time at the World’s Most Dangerous Website de Daniel Domscheit-Berg, ex porte-parole du site, fâché avec Assange.

Welsh et Pynchon au cinéma Deux projets alléchants. Après Trainspotting, Danny Boyle va adapter Porno d’Irvine Welsh. Surtout, Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood) travaille sur un film tiré de Vice caché, le livre psyché de Thomas Pynchon.

Google vs Amazon Google vient de lancer Google eBooks aux Etats-Unis, une librairie en ligne rivale d’Amazon. Le livre papier sera-t-il une victime collatérale de cette guerre numérique ? Non, à en croire Teresa Cremisi, pdg de Flammarion : “Rien n’est plus beau, plus pratique, plus économique, plus durable que le livre”, a-t-elle déclaré sur Europe 1.

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David Foster Wallace

mercredi 15

On remonte aux origines de l’œuvre de David Foster Wallace, l’auteur d’Infinite Jest, qui se suicida en 2008 à 46 ans. Sa thèse universitaire paraît en VO sous le titre Fate, Time, and Language: An Essay on Free Will (Columbia University Press, 19,95 dollars), réflexion philosophique sur la fatalité et le libre arbitre qui préfigure son œuvre à venir.

à venir jeudi 16

Sûreté contre libertés ? S’achemine-t-on vers une société de la peur ? On s’interroge avec la philosophe Mireille Delmas-Marty sur notre monde ébranlé par la menace terroriste. Une rencontre animée par Jean-Marie Durand des Inrockuptibles. A 18 h au Théâtre de l’Odéon, Paris VIe, www.theatre-odeon.fr

Marion Ettlinger

Jonathan Franzen dans la Paris Review

Jonathan Franzen

vendredi 17

On prend de l’avance sur la sortie du nouveau Jonathan Franzen, Freedom, en août en France, en se plongeant dans le long entretien qu’il a donné à la Paris Review (lire ci-contre). Dans toutes les librairies anglo-saxonnes

samedi 18

dimanche 19

On rejoue Jules et Jim en passant un moment avec Patrick Lapeyre, l’auteur du roman au titre sublime La vie est brève et le désir sans fin, chronique mélancolique qui renouvelle le trio amoureux, couronné du prix Fémina. A 16 h à la librairie L’Arbre à LettresMouffetard, Paris Ve, www.arbrealettres.com

lundi 20

On voyage en compagnie de Mathias Enard sur les traces de l’excentrique Pierre Loti, écrivain et marin du début du XXe siècle, auteur de Pêcheur d’Islande et de Ramuntcho, amoureux d’Istanbul et fumeur d’opium aux nombreux enfants illégitimes.

“Relire avec…” à 19 h 30 à la BPI du Centre Pompidou, Paris IVe, www.centrepompidou.fr

On fait le plein de bons mots pour le réveillon avec l’édition de poche “collector” à couverture hologrammée de Dieu, Shakespeare et moi suivi de Pour en finir une bonne fois pour toutes avec la culture (Points Seuil, 10 €), recueils de réflexions spirituelles de Woody Allen.

mardi 21

Martin Gregg

Le compte à rebours commence. A huit jours des fêtes, on se précipite dans toutes les bonnes libraires pour faire le plein de livres pour Noël. Pourquoi ne pas offrir à tous Que font les rennes après Noël ? d’Olivia Rosenthal (Verticales, 16,90 €) ? Une question métaphysique de saison.

Le nouveau numéro de la Paris Review (le 195) vient de paraître aux Etats-Unis et atteindra les librairies anglo-saxonnes en France ces jours-ci. Ce second numéro de la nouvelle formule de la revue vaut le détour pour son long entretien fouillé avec Jonathan Franzen, célèbre depuis Les Corrections. Son nouveau roman, Freedom, est l’événement littéraire majeur de l’automne aux USA. A propos de sa manière d’écrire et de s’inspirer de la réalité et de sa vie dans ses romans, Franzen explique : “Encore une fois, après avoir beaucoup essayé et échoué, j’ai remarqué que je ne parvenais d’aucune façon à écrire directement au sujet de moments clés de mon expérience personnelle, mon expérience avec ma mère ou mon expérience avec mon mariage. Ce qui rendait ce type de révélation impossible relevait en partie de ma honte, en partie aussi de mon désir de protéger les tiers, mais surtout du fait que ce matériau était si “hot” qu’il déformait l’écriture dès que je l’abordais frontalement. Aussi, strate après strate, j’ai conçu des masques. Comme avec du papier mâché, bande après bande, modelant des traits encore plus vrais que vrai, dans le but de montrer ce qui était autrement imontrable.” www.theparisreview.org

François Bégaudeau La Blessure la vraie (Verticales) C’est qu’il aime les titres pompeux, François Bégaudeau. Derrière cette blessure vraie qu’il ne faudra donc pas confondre avec la fausse, on trouvera la chronique d’un été de son adolescence en 1986, où un événement a eu lieu qui le marquera encore bien des années après. Sortie le 5 janvier

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HORS-SÉRIE Albums, chansons, rééditions, artistes et événements marquants Le meilleur de la musique en 2010.

+ CD 15 titres Arcade Fire, Gorillaz, LCD Soundsystem, Katerine, N*E*R*D, Sufjan Stevens…

EN KIOSQUE DÈS LE 15 DÉCEMBRE promo BEST OF indd 1 Sans titre-3 1

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Shôtarô Ishinomori Sabu & Ichi (tome 1) Kana, traduit du japonais par Simon P., 1 136 pages, 29 €

my drug body SF, drogue et vie de campus se téléscopent dans un ambitieux roman graphique de l’Américain Dash Shaw.

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nventif et ambitieux, Dash Shaw aime les défis. Après Bottomless Belly Button, où il déployait une tranche de vie toute simple sur 700 pages et avec une grande force formelle, il publie aujourd’hui Body World, récit complexe qui se déploie sur 400 pages. Débuté sur le web, Body World est édité à la verticale dans un album qui se lit de haut en bas pour recréer l’impression de lecture sur ordinateur. Un objet fou, avec ses plans à déplier, dont la forme correspond parfaitement à son contenu psychédélique. Dans un futur proche, le botaniste Paulie Panther arrive sur un campus pour étudier une plante mystérieuse. Adepte de substances illicites, il n’hésite pas à tester ses effets sur lui-même ainsi que sur une prof désinhibée et un couple d’étudiants aux relations orageuses. Il découvre que la plante possède des propriétés hallucinogènes incroyables puisqu’elle permet notamment de s’immiscer dans la conscience de son interlocuteur. Surveillé par un être mystérieux à la solde d’extraterrestres, Paulie Panther mènera tout ce petit monde, et lui en premier, à de dramatiques remises en question.

Mélangeant les intrigues des campus novels autour du sport et des rivalités sentimentales avec l’étrangeté placide de La Quatrième Dimension, Dash Shaw crée une œuvre dense, captivante et, grâce à la variété de ses styles graphiques, aussi psychotrope que les drogues dont il est question. Dans des planches éclatantes de couleurs, il passe d’une minutie très Chris Ware – pour décrire les feuilles des plantes, le contenu d’une valise, la façon de faire le café ou les règles du “déball” (un sport d’équipe violent) – à des superpositions de lignes, de couleurs et de textures lorsqu’il s’agit de montrer la confusion des sentiments ou des situations, par exemple quand les personnages, sous influence de la plante, “entrent” dans les corps et les esprits des autres. Tour à tour maniaque et déjanté, Dash Shaw réussit le tour de force de réinventer la SF à la sauce psilo tout en questionnant la multiplicité et la complexité de l’être humain. Anne-Claire Norot

Un passionnant morceau de patrimoine japonais. Voici un ouvrage de plus de mille pages peu pratique. Et pourtant, difficile d’interrompre la lecture tant les qualités abondent. Au travers des enquêtes de Sabu et Ichi, l’Occidental se fascine pour le portrait minutieux, jamais pédagogique, d’un Japon féodal en période isolationniste, où la critique sociale s’incarne dans le jeune Sabu, justicier issu d’une famille déchue de sa classe. L’amateur de chanbara, lui, s’émerveille du raffinement des passes d’arme d’Ichi, aux gestes martiaux parfois accessibles au regard, souvent d’une rapidité allusive que flatte le découpage de la bande dessinée. Le curieux de manga, enfin, se félicite d’accéder à l’intégrale de ce morceau de patrimoine, œuvre parmi les plus célèbres du premier disciple d’Osamu Tezuka à s’être émancipé. De la première à la dernière aventure, c’est une écriture incroyable qui s’affirme. Stéphane Beaujean

Body World (Dargaud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Brodsky, 384 p., 29 €

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Pascal Victor

Chéreau est de retour De nouveau souverain, Patrice Chéreau magnifie sa vision de Rêve d’automne de Jon Fosse dans une sarabande charnelle et métaphysique.

première Kurt Weill – New York, Songs from “Street Scene” direction musicale Jeff Cohen, mise en scène Irène Bonnaud En 1941, Kurt Weill déclarait à la NBC : “I am an American.” Street Scene ne dit pas autre chose et déploie “un chant de louanges à la culture urbaine d’une New York cosmopolite”. Du 18 au 22 décembre à l’Amphithéâtre Bastille, Paris XIIe, tél. 08 92 89 90 90, www.operadeparis.fr

réservez La Duchesse de Malfi de John Webster, mise en scène Anne-Laure Liégeois Ici, “on déterre les mandragores, cloue les chauve-souris, on se tord la rate avec dans la bouche un goût de plomb…” Du miel pour Anne-Laure Liégeois et ses douze comédiens. Du 5 au 7 janvier au CDR de Tours, tél. 02 47 64 50 50, www.cdrtours.fr



e théâtre est un monstre qui transcende le réel pour nous le rendre plus intelligible et proche… Tel pourrait être au final le sens du message que nous livre Patrice Chéreau à travers sa mise en scène de Rêve d’automne du Norvégien Jon Fosse. C’est en partant du postulat qu’un musée est un cimetière pour l’art que Chéreau en conclut que le Louvre est l’endroit idéal pour une pièce se déroulant dans un cimetière. Les représentations du salon Denon, série de performances actées in situ, seront autant de preuves de la justesse de son intuition. A l’image de visiteurs clandestins profitant de la liberté qu’offrent les salles vides d’un musée la nuit, les personnages de Jon Fosse se livraient alors à leur outrageux cérémonial dans le rituel fulgurant d’un fantasme adolescent convoquant le désir de la chair à l’heure où l’échéance est de cesser de vivre. Un spectacle coup de poing que l’on pensait indépassable. Pourtant, le choc restait à venir… Et c’est avec cette tournée annoncée dans les plus prestigieuses salles de France et d’Europe que Patrice Chéreau relève magistralement le défi de transformer la performance en théâtre pour distiller en salle l’essence même de sa lecture du texte. Gloire soit d’abord rendue à Richard Peduzzi, qui signe le décor, une reconstitution du Louvre paraissant, sur le plateau, plus grande et impressionnante que nature. Un salon Denon revisité dans une diagonale magique ouvrant sur les mystères labyrinthiques des salles adjacentes. Un réalisme du

moindre détail qui dénoue paradoxalement l’enfermement du réel et affirme sans ambages que l’action se déroule dans un lieu de fiction qui n’est pas plus un musée que n’est un cimetière l’endroit où la cadre Jon Fosse… Que tout cela n’est que prétexte et illusion pour désigner l’espace sans nom où se joue l’épopée métaphysique du destin des humains. Car pour Chéreau, L’Homme (Pascal Greggory) venu se perdre ici a rendez-vous avec sa propre mort, incarnée par La Femme (Valeria Bruni Tedeschi). Et la parade amoureuse de ces retrouvailles avec une ancienne maîtresse n’est qu’une ultime ruse de La Tentatrice pour l’entraîner vers le néant. Le temps halluciné de cet instant du passage entre vie et trépas convoque les vivants et les morts. La Grand-Mère (Michelle Marquais), La Mère (Bulle Ogier), Le Père (Bernard Verley), sa femme (Marie Bunel) et son fils (Alexandre Styker) sont alors autant de présences témoignant d’une existence qui se rejoue en accéléré. Patrice Chéreau et la troupe magnifique de ses acteurs invitent Jon Fosse à tutoyer des limbes qui le désignent en auteur majeur de ce siècle. On applaudit des deux mains le tonitruant come-back d’un géant de scène qui a enfin retrouvé le goût de nous sidérer à travers son théâtre. Un monument. Patrick Sourd Rêve d’automne de Jon Fosse, mise en scène Patrice Chéreau, jusqu’au 25 janvier au Théâtre de la Ville, Paris IVe, Festival d’automne, www.theatredelaville-paris.com En tournée en France jusqu’en juin

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mots dits dans la brume S’appuyant sur la performance exceptionnelle du comédien Laurent Cazanave, Claude Régy tire la substance poétique d’un texte au noir romantisme. laude Régy n’a pas son pareil l’eau, il rumine sa situation, ses relations pour pénétrer au cœur d’un texte avec sa sœur Hege sans laquelle il ne afin d’en extraire l’essence poétique. survivrait pas. Perdu dans ses pensées, C’est une démarche qui s’appuie sur il s’aperçoit tout d’un coup que son bateau un travail infiniment précis sur la diction s’enfonce dans l’eau du lac. Il écope et le jeu de l’acteur. Ainsi, les premiers tant qu’il peut, de plus en plus angoissé mots de cette adaptation pour la scène de car il ne sait pas nager. Il craint de mourir deux chapitres centraux du roman de Tarjei noyé ; hallucine : deux yeux l’observent Vesaas, Les Oiseaux, semblent pris dans dans l’eau qui monte. Il crie : “Hege !” un brouillard sonore presque indiscernable Englouti par le noir, le corps du comédien d’où peu à peu émerge le texte. Les mots réapparaît aussitôt ; corps lumineux, et les syllabes à la fois étirés et cassés, léger et souple se détachant sur l’obscurité. la langue est comme dilatée dans Et tandis qu’il tourne doucement ses un ralenti qui en accentue prodigieusement épaules vers le fond de scène, il semble l’intensité dramatique. Il faut saluer ici littéralement flotter dans l’espace. la performance du comédien Laurent Intense et prenant, du très grand art. Hugues Le Tanneur Cazanave, qui accomplit à la perfection cette immersion dans un univers Brume de Dieu d’après Les Oiseaux puissamment évocateur. de Tarjei Vesaas, mise en scène Claude Régy, Bien qu’adulte, Mattis, le héros de ce avec Laurent Cazanave, jusqu’au 29 janvier récit, voit le monde avec des yeux d’enfant. à la Ménagerie de Verre, Paris XIe, Festival d’automne, www.menagerie-de-verre.org Parti pêcher dans une barque qui prend

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merci du conseil D’après une nouvelle de Peter Handke, un spectacle grinçant sur le monde de l’entreprise. Sur le monde tout court. e conseil d’administration se déroule dans un lieu assez improbable digne de Kafka. Une grange de campagne peut-être ou quelque hangar… on ne sait pas très bien. Dehors, il neige dru. Pas facile d’arriver là, donc. Et surtout rien ne fonctionne. Il y a ce type vaguement mal à l’aise qui, à peine entré, ressort aussi sec. La lumière vacille comme s’il y avait un problème Marc Ernotte, d’électricité. Çà et là, brillanti nterprète des câbles traînent, que de Handke l’homme branche dans un crépitement d’étincelles. D’où ces trépidations mais, assure l’homme, Il vérifie de temps à autre farouches d’un piano “il n’y a pas de craquement son ordinateur portable. rageur, colère froide sur dans la charpente de la Grimpe à une échelle pour laquelle se clôt ce spectacle société”. Les actionnaires ajuster des fils électriques. remarquable. H. L. T. peuvent dormir tranquilles. Ne manque pas d’accueillir Quelque chose cependant les actionnaires venus Bienvenue au conseil brouille son propos : là – d’où le titre de cette d’administration d’après un enfant mort, écrasé nouvelle de Peter Handke Peter Handke, mise en scène par une voiture. Tragique dont Etienne Pommeret Etienne Pommeret, accident qui expliquerait donne une adaptation musique Alexandros Markéas, la désorganisation de aussi drôle que grinçante avec Marc Ernotte (jeu) brillamment interprétée par ce conseil d’administration. et Hélène Schwartz (piano), Grain de sable venu le comédien Marc Ernotte. jusqu’au 17 décembre perturber les rouages Tout craque, la toiture au Grand T, Nantes, d’une machine anonyme. est près de s’effondrer www.legrandt.fr

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photo Aurélien Mole

la valse des pantins A la Ferme du Buisson, le Suisse Denis Savary tire les ficelles d’une exposition conçue sur le modèle de la maison de poupée. A l’échelle 1.

vernissage

Sans lien d intersection

Matti Braun Présenté à la rentrée au Credac en compagnie de Jean-Luc Moulène et Thea Djordjadze, Matti Braun, sculpteur allemand controversé auquel firent appel Hassan II et Léopold Sédar Senghor dans les années 1970, revient à La Galerie de Noisy-le-Sec. Jusqu’au 12 février à La Galerie, 1, rue Jean-Jaurès, Noisy-le-Sec, www.noisylesec.fr

idées cadeaux Irmavep  Le collectif d’artistes et commissaires Irmavep importe en France une vieille tradition initiée par les Kunstverein allemands : les “Jahresgaben”. Soit des éditions d’artistes à prix réduit. Cette année : des multiples signés Ulla von Brandenburg, Dominique Blais, Guillaume Leblon, Bruno Persat ou Benoit-Marie Moriceau à acheter en ligne sur www.irmavepclub.com



lles sont quatre. Quatre poupées présentées à l’étage, copies sommaires de la fameuse poupée de fourrure à l’effigie d’Alma Mahler que le peintre Oskar Kokoschka, amoureux déçu, commanda à sa couturière en 1918. Suspendues par des cordes, elles composent un ballet immobile qui rappelle étrangement La Danse de Matisse. Ailleurs, dans une salle recouverte d’une moquette bleu roi, c’est une autre danse invisible que Denis Savary (artiste plasticien, chorégraphe et scénographe pour le théâtre) met en scène. Une simple table peinte en noir évoque la scène. Au Centre culturel suisse, en septembre, cette même table servait de socle à une danseuse qui retraçait en live une histoire contorsionniste de la sculpture. Cette histoire du corps (et de la sculpture) démembré est l’un des motifs récurrents de l’œuvre vertigineuse de Savary : dans ses dessins (simples esquisses démantelées), ses vidéos (sur l’une d’entre elles, on aperçoit un homme couché tant bien que mal sur l’arête des marches du palais des Beaux-Arts de Lausanne) et certaines de ses sculptures, le corps performé/performeur semble soumis à d’étranges déformations. Dans une série de sculptures noires portatives, on devine la présence en creux du corps de celui qui pourrait littéralement “endosser” ces sculptures. Elles rappellent ces présentoirs mobiles qui faisaient passer les colporteurs pour de véritables hommes orchestres. La présence d’un perroquet vert empaillé, et donc muet, suggère l’idée que

se sont perdus en cours de route les modes d’emploi de ces instruments de torture. De la même façon, il est difficile de discerner la règle du jeu qui prévaut aux centaines de marines miniatures réalisées par un artiste breton et regroupés par Savary. Réalisés sur des cartons OCB, ces paysages maritimes s’alignent par rangées de trois sur les murs. Au centre, une vidéo enregistre le chant de sirènes d’un joueur de trompette amateur croisé par l’artiste. D’autres “bandes-son” viennent ponctuer l’expo, comme ces souffleries de brûleurs de montgolfières ou ces sifflements en canon échappés de brouettes noires qui dans une autre expo servaient de dispositifs de projection aux films collectés par l’artiste Jean-Marc Chapoulie. “Denis Savary remet sans cesse en jeu son travail”, commente Julie Pellegrin, la commissaire de l’expo. Comme si l’artiste lui-même était manipulé par une puissance supérieure qui l’invitait à jouer des partitions inédites. Au point de transformer, avec beaucoup d’humour, l’une de ses anciennes vidéos, tournée dans une boîte de nuit suisse, en simple dispositif d’éclairage pour une installation plus récente composée de bustes en plâtre peint. “La dramaturgie est un ingrédient clé chez Denis Savary, analyse encore Julie Pellegrin. Même s’il est trop malin et trop érudit pour en parler en ces termes, il y a chez lui quelque chose qui relève de l’œuvre d’art totale.” Claire Moulène Jusqu’au 13 février à la Ferme du Buisson, Noisiel (77), www.lafermedubuisson.com

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Continent, 2010

NástioM osquito, au festival Art, film, politique

tout est politique A Berlin ou à Paris, l’art s’inquiète à nouveau de son rapport à la politique. ui a dit que l’art politique était mort ? D’un côté, il y a cet appel lancé en direction des artistes du monde entier par Artur Zmijewski, artiste lui-même mais surtout commissaire invité de la Biennale de Berlin 2012. Considérant, dans la lignée d’Hannah Arendt, que “nous sommes des animaux politiques”, Zmijewski invite les artistes à dévoiler cette “information à caractère secret et privé” que constitue leur orientation politique. Et l’artiste de s’attaquer ouvertement à ce tabou, à cette “règle tacite pour les artistes qui consiste à concevoir un art dit politique à partir d’une position politique non identifiée tout en restant neutre, même s’il est évident qu’ils ne le sont pas…” De l’autre, il y a ce symposium et ce festival de films “artivistes” actuellement au Centre Pompidou, au palais de Tokyo et dans des centres d’art périphériques. Un marathon de la pensée critique orchestré par Le Peuple qui manque (lire p. 20), association qui s’était déjà fait remarquer avec son Festival de cinéma queer et la diffusion de films féministes rares des années 1970. “En France, il y a une certain mépris à l’égard de l’art politique, constate Kantuta Quiros, l’une des deux programmatrices. On parle trop vite de “dépolitisation des artistes” alors qu’a contrario on assiste à une véritable effervescence en la matière en Amérique latine, dans les pays d’Europe de l’Est ou en Asie.” “Cet écart tient aussi bien à l’enseignement des théories de l’émancipation, trop rares en France, qu’à une triangulaire qui s’établit avec les mouvements sociaux et militants et se vérifie à chaque fois que l’on assiste à une recrudescence de l’art dit politique”, note à son tour Aliocha Imhoff. Parmi les thématiques et les méthodes abordées par les chercheurs et artistes au cours du festival : la pratique du “re-enactment” (ou reconstitution historique), la performance, les dispositifs de représentation, les “géographies fracturées”, les nouvelles pratiques curatoriales ou les questions de genres et de migrations. C. M.

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Festival Art, film, politique les 18 et 19 décembre au Centre Pompidou, au palais de Tokyo, à l’Espace Khiasme, aux Labos d’Aubervilliers, à la Maison Pop et au cinéma Le Méliès, Paris et alentours, www.lepeuplequimanque.org

encadré

académie militaire Le storytelling ne fonctionne plus. Même dans l’art. On me retournera encore cette phrase, de Godard paraît-il, selon laquelle un critique est comme un soldat qui tire contre son propre camp : ça tombe bien, le film de Laurent Grasso, prix MarcelDuchamp 2008, observe une (ou plusieurs ?) forteresse militaire encastrée dans la côte de Carthagène en Espagne. Vu depuis la mer ou de l’intérieur des terres, le bunker est alternativement regardé selon les points de vue des assaillants et des assiégés. On préférerait dire des libérateurs et des fascistes, au vu de l’Espagne franquiste et de ces baterias construites sur le modèle des fortifications italiennes de Mussolini, mais ça, le film ne le dit pas, lui qui se veut tout sauf documentaire, esquivant les réalités de l’histoire pour mieux voguer dans une ambiance paranoïaque. Dans l’idée, peut-être, de confiner à la fiction, et c’est vrai qu’on se croirait dans la version marine du Désert des Tartares. Mais nous avons trop bien appris les dangers et les mensonges du storytelling pour tomber dans ce panneau : au bord de l’inconscience politique, il y a ici en effet une absence de point de vue, au sens non pas cinématographique mais intellectuel du terme : Silent Movie ne sait pas quoi penser de cette forteresse fantôme et se livre à une “bunker archeology” en faisant l’impasse sur le cours de l’histoire. Tout le reste, plans fixes, silence et travellings, n’est qu’une rhétorique visuelle, un décorum qui masque difficilement cette fois le manque d’inspiration d’un Laurent Grasso dont on peut apprécier à d’autres moments les fictions autrement mieux construites. Lorsque l’artiste ne se contente pas de dérouler une formule d’exposition : un petit néon “Silent Movie” en guise de générique, une petite maquette d’architecture joliment faite de cette forteresse militaire, le film au milieu et le tour est joué. Au suivant. Jusqu’au 18 décembre à la galerie chez Valentin, Paris IIIe

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semaine critique de la mode

1 l’art du cowichan

2 ouvert pour Inventory

Le cowichan n’est pas n’importe quel pull, il répond même à des règles particulièrement précises. Il doit être muni d’un col châle. Il doit être enduit d’huile naturelle afin de résister à l’eau et doit également être confectionné avec de la laine de mouton par des salish natives de la côte ouest-canadienne. Enfin, il est forcément orné de dessins d’animaux tels des ours, des élans ou des truites. En fait, le véritable cowichan est très rare et c’est tout à fait dommage. Laurent Laporte

Il est rare que les histoires commencent sur le net et finissent sur le papier. Mais c’est le cas pour Inventory. Basé à Vancouver, le site est devenu au fil des ans un rutilant magazine de mode masculine, orienté vintage et vêtements utilitaires. Dans son dernier numéro, il s’arrête ainsi sur la marque Arc’teryx, spécialisée dans le vêtement technique haut de gamme. Et comme les choses sont bien faites, Inventory propose aussi des pièces de cette marque sur sa boutique en ligne. L. L.

www.cowichantrading.com

www.inventorymagazine.com

3 écharpez-vous L’accessoire le plus visible en hiver est toujours celui qu’on met autour du cou. En matière d’écharpe, il est donc recommandé de miser sur une valeur sûre, telle la marque Drakes. Spécialisée depuis plus de trente ans dans les mailles faites main, la marque anglaise propose une gamme d’écharpes toutes plus belles les unes que les autres, de toutes les matières et couleurs possibles. Bref, tout pour faire votre bonheur. A défaut de faire celui de votre portefeuille. L. L. www.drakes-london.com

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4 caillou magique 5 c’est Etsy que ça se passe

Et si le caillou à votre annulaire harmonisait vos chakras ? C’est l’idée de l’Australien Billy Bride, qui a cerclé des pierres semi-précieuses sur des bagues, espérant leur conférer des propriétés uniques. Ainsi, le lapislazuli est censé apporter la connaissance de soi, la citrine stimuler vos pensées créatives et la fluorite arc-en-ciel améliorer le développement spirituel. Pourquoi pas ? Attention toutefois à ne pas accrocher vos collants ou la portière de la voiture de monsieur, cela nuirait à votre sérénité retrouvée.

6 sous la pluie

Injustement ignorée ou boudée, la plate-forme d’achat Etsy se distingue pourtant par sa qualité éditoriale et ses atouts communautaires. Elle est tournée vers une clientèle essentiellement féminine et on y trouve une constellation de petites boutiques proposant vêtements et accessoires réjouissants. Du col Claudine (boutique Naughty Mess) au lapin tricoté jusqu’au bout des oreilles (boutique Toys by Toddles), tout y est vintage ou fait maison. A. A.

Odieux décembre, il pleut des cordes, de la glace ou des cendres, vous sortez votre parapluie de poche sombre et amorphe, il se retourne illico et vous vous dites qu’il vaut bien ses 6,90 €. Abandonnez cet inutile pépin cabossé et munissez-vous enfin d’un accessoire à votre hauteur. Il s’appelle “nœud drapé ombrelle” ou encore “tutu”, il est dessiné par Chantal Thomas et est fabriqué par la maison Guy de Jean, spécialiste de la question. Bref, il est aussi beau qu’imperméable. Vous le méritez bien. A. A.

www.esty.com

www.guydejean.com

Abigail Ainouz www.billybridejewelry.com

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Sebastien Agnetti

télé et art contemporain

Spacespective du vidéaste Jean-Marc Chapoulie

télévisionnaires Après avoir nourri l’imaginaire de nombreux artistes dès son apparition, la télé, vieux média, inspire toujours les plasticiens. Une fascination dont témoignent la revue Multitudes et diverses expositions.

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ans l’excellente revue Multitudes de la rentrée dernière, consacrée à la télévision (“Art TV clash”), l’économiste Yann MoulierBoutang rappelle cette évidence : “Un changement fondamental s’est produit dans le partage du temps, creusant un vrai gap de génération : les moins de 25 ans passent plus de temps sur d’autres écrans que celui de la messe familiale.” Pourtant, la télé continue d’exercer son

pouvoir de fascination sur les artistes. Tout au long du XXe siècle, entre critique des mass media et volonté de “démocratiser l’art”, le poste de télé constitue à la fois un objet de convoitise et de suspicion, de fascination et de répulsion. Et si, au tournant des années 2000, la télé a pris un indéniable coup de vieux, elle constitue désormais un sujet d’étude quasi archéologique que continuent d’exploiter des plasticiens accros au petit écran.

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au poste

victoire des braconniers

“la télé, aussi mauvaise soit-elle, est une matière à penser et à nourrir l’art” Jean-Marc Chapoulie Dès l’apparition des premiers téléviseurs dans les années 30, les pionniers Charles Blanc Gatti ou Piot Kamler explorent la dimension plastique du moniteur, les possibilités inouïes offertes par cette nouvelle technologie. Quelques années plus tard, les artistes continuent de se pencher sur la télé… pour mieux la critiquer. Dans les années 60, il était de bon ton de détruire des téléviseurs, ces rejetons de la société du spectacle, au cours de happenings. En 1975, le collectif AntFarm propulsait une Cadillac dans un mur de téléviseurs (“Media Burn”), appelant les médias à venir assister à l’événement. D’autres artistes réfléchirent aux façons de s’immiscer dans le “système télévisuel”, pour mieux le saboter de l’intérieur. En Californie, Chris Burden acheta du“temps de cerveau disponible” à une chaîne de télé afin d’y diffuser, à la façon de spots publicitaires, des images d’une de ses performances où il rampait sur du verre pilé. Andy Warhol, quant à lui, entame dans les années 80 une véritable histoire d’amour avec le tube cathodique, au point de lancer sa propre chaîne Andy Warhol’s TV. Et puis, la télé elle-même a changé. En renouvelant les règles de la narration et en proposant une nouvelle esthétique, les séries télés cultes d’aujourd’hui sont devenues source d’inspiration pour certains plasticiens. Ainsi de Philippe Parreno, samplant des extraits de Twin Peaks pour son œuvre No More Reality. Ou de Raphaël Siboni et Fabien Giraud, citant Lost comme une référence absolue. Enfin, avec l’apparition de la télé-réalité, c’est la notion même de réel que certains artistes tâchent désormais de cerner à travers le prisme télévisuel. Pierre Huyghe crée une Mobil TV pour rendre tangible notre nouvelle hyper-réalité, celle des images qui sortent de nos écrans et nourrissent notre quotidien. Quant à l’artiste italien Francesco Vezzoli, il a fait participer Marianne Faithfull et Catherine Deneuve à sa fausse télé-réalité. Dernier épisode en date de ce feuilleton artistique : l’enregistrement live de la série télé General Hospital, cet été, au Museum of Contemporary Art de Los Angeles. Soap Opera @ Moca se présentait comme une sorte d’exposition-performance. L’épisode qui mettait en scène l’acteur James Franco, dans le rôle d’un artiste psychopathe et serial killer était diffusé le mois d’après sur ABC. Celui-ci prenait en otage une jeune

femme et était poursuivi par des flics, devant un public médusé. Une minipolémique s’ensuivit : récupération pathétique de l’audimat télé par un musée en crise ? Ou brillante expérience de happening télévisé ? Jeffrey Deitch, le directeur du musée, se défendit en citant Warhol himself et en profita pour faire rentrer les décors de General Hospital dans la prestigieuse collection du Moca. Au Centre national de l’édition et de l’art imprimé (CNEAI) de Chatou, qui accueille parallèlement une programmation de vingtquatre heures concoctée par des artistes du monde entier (François Curlet, A Constructed World, Renaud AugusteDormeuil, Lenka Clayton), le cinéphile et télévore Jean-Marc Chapoulie s’est farci les 139 épisodes de Chips, l’histoire de deux flics de la brigade autoroutière de Californie. Il a gardé toutes les scènes où les deux héros sont à moto et retrace ainsi un tour complet de Los Angeles. “La télé est incontestablement une sous-culture de masse”, confirme Jean-Marc Chapoulie qui signe pour l’occasion une exposition intitulée Mire. “Pourtant, poursuit-il, j’ai toujours considéré que la télé, aussi mauvaise soit-elle, était une matière à penser et à nourrir l’art. C’est une expérience esthétique.” Conçue comme une “rétro-fiction”, comme si Jean-Marc Chapoulie se faisait “le conservateur de ce qui pourrait constituer le département télévision du Louvre dans 4 000 ans ”, Mire lorgne du côté de l’ORTF et compile toutes sortes d’extraits puisés dans les réserves de l’INA. Comme ces images anamorphosées et microperforées que Chapoulie a disséminées dans les espaces d’expo. Sur l’une d’elles, datée du 22 février 1987, apparaît le portrait fantomatique de Warhol surimprimé sur le visage de Claude Sérillon qui présente alors le JT d’Antenne 2 avec Bernard Rapp. Ou encore ce montage réalisé à partir des titres du journal d’Antenne 2 de l’été 1976, l’été où la canicule le “poussa dans une retraite sans télé”. Parmi les images clés : celle d’un JT tout vert où Yves Mourousi fête la qualification de Saint-Etienne pour la finale de la Coupe d’Europe. Yann Perreau et Claire Moulène Mire/Channel TV, une journée de télévision jusqu’au 17 décembre au Centre national de l’édition et de l’art imprimé (CNEAI), à Chatou (78), www.cneai.com Art TV Clash, revue Multitudes, hors-série 2010, 18 €

L’affaire WikiLeaks, outre qu’elle déstabilise les codes diplomatiques, illustre ce que l’historien Milad Doueihi baptisait dans Le Monde du 7 décembre “la fracture numérique”. Selon lui, l’émergence de WikiLeaks signale une “possible fracture numérique en train de s’installer entre les politiques et les citoyens que seule une véritable prise en compte des réalités et des potentiels de l’environnement numérique peut éviter”. L’avènement de la culture web est désormais incontournable : la diplomatie elle-même doit s’y adapter. Cette mutation décisive dans la production et la circulation de l’information, dont l’année 2010 aura accéléré le rythme, correspond au “sacre de l’amateur” tel que l’analyse dans son ouvrage le sociologue Patrice Flichy, spécialiste de l’innovation et des techniques d’information, directeur de la revue Réseaux. Selon lui, le web est devenu le royaume des amateurs, des passionnés touche-à-tout, “à mi-chemin de l’homme ordinaire et du professionnel, entre le profane et le virtuose, l’ignorant et le savant, le citoyen et l’homme politique”. Ce sont eux qui animent les dispositifs de communication et d’échange dans le domaine des arts, de la chose publique et de la connaissance. Sans avoir remplacé pour autant les experts (l’alliance entre les hackers de WikiLeaks et les journalistes spécialisés des quotidiens en est une preuve), les amateurs et leurs pratiques “braconnières” reconfigurent les enjeux du débat public. Pour Flichy, cette montée en puissance des amateurs “s’inscrit dans un mouvement de diffusion et d’élargissement des savoirs et des compétences”. De Wikipédia à WikiLeaks, la culture web participe de l’extension du domaine de l’information : sa principale vertu, sans exclure la critique, a la force d’un enrichissement démocratique. Le Sacre de l’amateur, sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique de Patrice Flichy (Seuil) 96 p., 11,50 €

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Elisabeth Carecchio

Pinocchio, d’après Carlo Collodi, par Joël Pommerat

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au théâtre aujourd’hui La télé ne renonce pas au théâtre : deux nouvelles émissions centrées sur le spectacle vivant contemporain lui redonnent un judicieux coup de fouet dans le poste.

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a télévision entretient avec le théâtre une relation ambiguë, comme si l’association des deux écritures butait toujours sur un angle mort : comment restituer l’épaisseur d’un spectacle vivant au sein du petit écran qui neutralise les sensations du spectateur ? A ce défi quasi insurmontable, la télé n’a pourtant jamais totalement renoncé. Des pièces dont Roger Harth et Donald Cardwell assuraient les décors et costumes, dans Au théâtre ce soir dans les années 60-70, aux captations plus ambitieuses diffusées surtout sur Arte, mais aussi sur France 2, la télé veille à rendre vivant le théâtre auprès de ses publics. Sans réussir forcément à résoudre le dilemme de tout réalisateur : le dispositif de captation doit-il être dans le spectacle théâtral ou devant ? Faut-il privilégier l’invention d’une fiction narrative ou se contenter d’un regard frontal et extérieur ? Au-delà de cette question des dispositifs de filmage du théâtre, la télé échoue surtout dans son “discours” critique et sa capacité à parler plus qu’une minute trente, en fin de journal télévisé, de l’actualité théâtrale. D’où l’heureuse surprise de découvrir enfin un magazine, Coup de théâtre, qui porte un regard

curieux, ouvert, généreux, analytique, sur le théâtre tel qu’il s’agite aujourd’hui en France. Sans présentateur, structuré autour de six sujets réalisés par plusieurs critiques théâtrales, dont Brigitte Salino, Aurélie Charon et Judith Sibony, à l’origine du projet et auteur d’un blog éponyme sur le site du Monde, Coup de théâtre creuse autant le plaisir du spectateur que le mystère du créateur. Un reportage sur le travail pédagogique effectué par le Théâtre de l’Odéon auprès d’une classe de sixième d’un collège de Sarcelles expose la question de la sensibilisation aux textes et au jeu sur scène. Le jeune directeur du Théâtre de la Ville Emmanuel Demarcy-Mota revient dans un bel entretien sur son parcours, inauguré à Reims, sur sa conception du métier d’acteur vu comme un “athlète affectif”, sur ses projets futurs à Paris (monter Rhinocéros de Ionesco), sur son désir de rendre le théâtre influent sur la ville…

un regard curieux et généreux sur le théâtre tel qu’il s’agite aujourd’hui en France

Autres sujets passionnants : comment se construit l’enseignement de Stanislas Nordey à l’école du TNB de Rennes ? Comment se passe la première du Dindon de Feydeau à la Tempête dans la mise en scène de Philippe Adrien ? Ou comment qualifier l’expérience de la trilogie de Wajdi Mouawad à Chaillot qui dure de 11 heures du matin à 23 h ? Autant de minirécits qui racontent la vie mouvementée du théâtre sous les angles multiples de la transmission, de la direction d’acteurs, de l’institution en mouvement, du plaisir du public… A ce joli Coup de théâtre qui capte à merveille l’énergie de la pratique théâtrale, s’adjoint un autre magazine, Pass Pass théâtre, animé par Laétitia Guédon sur Arte, qui s’adresse, lui, au jeune public à travers une collection de pièces montées par des metteurs en scène contemporains (Joël Pommerat, Joël Jouanneau, Alexis Moati, Olivier Py…). Deux jolis coups et tours de passe-passe : la magie du théâtre se déploie enfin à la télé. Jean-Marie Durand Coup de théâtre sur France 5, vendredi 17 décembre à 21 h 35 Pass Pass théâtre sur Arte, dimanche 19 décembre à 14 h

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Nathalie Canguilhem

Booba

le rap mal entendu A force d’avoir mauvaise presse, il n’en aura bientôt plus. Bien que gros vendeur de disques, le rap français est mal aimé des médias. Reste les webzines et leur orthographe cataclysmique.

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ooba déchaîne déjà les enfers avec son nouvel album Lunatic, suivi depuis lundi d’Universel du 113. Rohff, lui, livrera La Cuenta la semaine prochaine... La fin de l’année rapologique rime avec sorties pour les principales têtes de gondole du mouvement. Dans les bacs depuis le 4 octobre, La Colombe de Soprano est certifiée or, et tous ces opus sortis ou à venir s’annoncent comme de francs succès. “La France est l’autre pays du rap, toutes proportions

les journalistes culturels ont du mal à opérer leur rôle de médiateur entre les rappeurs et le grand public.

gardées, avec les Etats-Unis”, commente Fredéric Drewniak, responsable du hip-hop au Centre d’information rock, chanson, hip-hop, musiques (Irma), sémillant observatoire des musiques en France. “Bien que les chiffres de ventes ne le démontrent pas clairement, ce genre y est surécouté.” Mieux : “En vingt ans d’existence, le rap a prouvé qu’il n’était pas qu’une simple mode, ni une musique de jeunes. Aujourd’hui, le noble art est parvenu à conquérir un public de trentenaire.” Etrangement, les journalistes culturels ont du mal à opérer leur rôle de médiateur entre les rappeurs et le grand public. “La critique artistique est rare quand on parle du rap en France, explique Fawzi

Meniri l’ex-attaché de presse d’IAM, Diam’s ou Rohff. En partie parce que les albums ne sont pas toujours écoutés dans certaines rédactions. On peut regretter que nos rappeurs ne soient toujours pas considérés comme des artistes à part entière, mais plutôt comme des porte-voix des banlieues qu’on convoque sur les plateaux télé quand trop de voitures crament dans les quartiers.” Avec plus de treize ans passés dans les services communication de Delabel et Hostile, Fawzi Meniri sait de quoi il parle : “Le lendemain du 11 Septembre, tout le monde voulait Akhenaton pour avoir son sentiment sur les attentats, évidemment parce qu’il est musulman. Avant son clash avec Eric

Zemmour, personne ne voulait entendre parler de Youssoupha. Hors polémiques, les MC ont du mal à exister médiatiquement, on ne parle jamais de leur musique, mais de ce qu’ils sont censés représenter socialement dans l’imaginaire collectif.” Et quand il n’a pas mauvaise presse (cf.les “affaires” Hamé de La Rumeur, Sniper, Orelsan ou plus récemment Sexion D’Assaut), le rap n’en a pas du tout. Brûlé sur le bûcher de la rentabilité il y a plus d’un an, Groove laisse le titre Rap Mag en situation quasi monopolistique – mais au bord du gouffre –, des payants hip-hop pour adultes. Cette presse de niche, souveraine il fut un temps (avec L’Affiche, Radikal ou l’excellent Gasface) est détrônée aujourd’hui – en partie – par le net. La toile, où des webzines comme streetlive.fr, n-da-hood. com ou booska-p.com, malgré une orthographe surréaliste ainsi qu’une tendance tenace à relayer coups de gueule et humour douteux, représentent un nouvel eldorado de la communication pour les B-girls et B-boys de France : “Finalement, une bonne campagne sur un gros site hip-hop est aussi efficace qu’une double page en presse quotidienne, admet Fawzi Meniri. Encore marqués par l’amateurisme, ces portails permettent néanmoins de toucher efficacement le cœur de cible en vidéo. Du cousu-main pour le Game.” Théophile Pillault

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mafia

l’empire contre-attaque Boardwalk Empire, nouvelle série vedette de HBO sur la prohibition dans les années 1920, démarre poussivement. Mais elle devient peu à peu passionnante.

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u mois de septembre, HBO diffusait en fanfare le pilote de sa nouvelle série monstre, au budget officieux mais faramineux de 50 millions de dollars (sans compter les onze autres épisodes de la première saison !) avec un nom plus que ronflant à la réalisation : Martin Scorsese. Pour la première fois, l’auteur de Raging Bull, VRP infatigable de la cinéphilie mondiale, s’acoquinait avec le petit écran. Un nouvel hybride cinéma/télé devait naître. Telle ne fut pas notre (demi) surprise devant le résultat, que l’on qualifiera de légèrement, voire carrément ampoulé. Travellings, plans-séquences, en veux-tu, en voilà, toute la gamme du parfait petit Scorsese était là pour lancer un récit qui n’en demandait pas tant. A trop vouloir gagner ses galons culturels et esthétiques en louchant vers le cinéma, la série semblait perdue dans les limbes de son propre pompiérisme dès ce coup d’essai. Horizon bouché. Mais on le savait déjà : une fiction télé contemporaine ne se juge pas au premier coup d’œil. Ni au deuxième, d’ailleurs. Parfois, quelques semaines au moins s’avèrent nécessaires pour pénétrer sous la chair du monstre. Boardwalk Empire s’occupe pendant ses premiers épisodes

(jusqu’au quatrième au moins) de lancer des pistes comme on décocherait des flèches sans être sûr qu’elles atteindront leur cible immédiatement – parfois, en étant même persuadé du contraire. Située dans le New Jersey (et par moments à Chicago) à partir de 1920, la série raconte l’ascension de Nucky Thompson, un baron du crime d’Atlantic City qui profite de la prohibition pour étendre son empire. C’est un gangster placide, parfois un peu falot, que Steve Buscemi met du temps à apprivoiser. Terence Winter, le créateur du show, a travaillé longtemps en tant que scénariste des Soprano, œuvre télé séminale des années 2000. Son héros est aussi frêle que Tony Soprano était massif. Ils partagent une tendance à l’introspection, mais leur douleur face à la vie n’a rien à voir. Tony Soprano regrettait un âge d’or perdu et verbalisait ses manques chez un psy, Nucky Thompson tient les représentations du passé en horreur et fait tout pour les empêcher de remonter. Il va jusqu’à brûler la maison de son enfance, mais on n’en dira pas plus. Si Boardwalk Empire ne se débarrasse jamais complètement de quelques lourdeurs “folkloriques” dans sa manière de rejouer les codes du film noir, à cause de choix visuels plutôt conservateurs, il devient difficile de balayer la série d’un

revers de la main quand on comprend après plusieurs épisodes une partie de son sujet : une réflexion sur le mal comme un genre d’acrobatie entre le hasard, le destin et la nécessité. Entre ce qui s’échappe d’eux-mêmes sans contrôle apparent et ce qu’ils croient faire en pleine conscience, les criminels ont du mal à effectuer le tri. Les autres personnages (les femmes, en général, toutes impressionnantes) mènent également une existence troublée, parfois semi-clandestine, foncièrement solitaire. Les liens entre tous semblent prêts à rompre au moindre coup de dé. “La base du romanesque, c’est que les gens développent une sorte de connexion entre eux. Mais dans la réalité, les gens ne se connectent pas”, explique à l’épisode 7 un jeune homme défiguré par la guerre, qui a décidé d’arrêter pour toujours de lire de la fiction. Terence Winter a-t-il vu Les Deux Anglaises et le Continent (“La vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas”) ? Il tente en tous les cas de nouer à son rythme un dialogue avec l’humanité à travers un récit de plus en plus troué. Boardwalk Empire, où l’art d’aimer les séries pour ce qu’elles sont. Olivier Joyard Boardwalk Empire à partir du 19 décembre sur Orange Cinéma Séries.

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un Platane chic Nouvelle comédie de Canal+ (il était temps !) créée par Eric Judor, Platane arrive en début d’année et raconte une histoire rigolote où il est question d’un sequel de La Môme, mais trop longue pour être résumée dans une brève. Surtout que l’on brûle de vous donner la liste des guests, globalement classe : Monica Bellucci, Guillaume Canet, Gilles Lelouche, Mathieu Amalric, Vincent Cassel, Clotilde Courau, Pierre Richard… Pierre Richard !

Dexter prolongée Les amateurs du serial killer/ justicier/homme blessé se réjouissent : Dexter va poursuivre sa route pour une sixième saison, alors que la cinquième vient tout juste de cartonner sur Showtime. Créativement parlant, l’année de trop semble pour bientôt. Terriers, pilotée par Shawn Ryan (The Shield), ne connaîtra pas ce problème. Elle vient d’être annulée par FX après treize épisodes.

focus

scénaristes zombifiés

The Walking Dead repartira pour une saison 2 sans salle d’écriture. Révolution aux Etats-Unis ? ous cherchez encore une nouvelle série qui fait frissonner, en espérant devenir sa prochaine victime ? Plongez dans The Walking Dead. La série pleine de zombies de la chaîne AMC a secoué les ondes du câble et plus de cinq millions d’Américains en moyenne jusqu’au 5 décembre. Avec son air d’épopée intime dans les ruines du monde actuel (un groupe de survivants tente de survivre en échappant aux morts-vivants), elle a un canon criminel battu plusieurs records et figure en bonne La bombe Rachel Nichols place dans les tops du téléchargement (ex-Alias) va rejoindre illégal publiés chaque semaine par Pirate le casting de Criminal Minds Bay… Et pourtant, fin novembre, le à titre régulier après showrunner Frank Darabont annonçait que plusieurs apparitions paraît-il la deuxième saison, déjà commandée et convaincantes. Du coup, prévue pour une diffusion fin 2011, se ferait on va peut-être commencer sans les scénaristes de la première. Virés. à regarder. Tous, sauf le créateur du comics original, Robert Kirkman. La justification d’une telle purge n’a pas été donnée, mais les conséquences qu’en tire Darabont intéressent. L’auteur de The Mist a expliqué ne plus vouloir s’entourer d’une équipe de scénaristes. Breaking Bad (Orange Cinéma Séries, le 18 à 22 h 25) Il souhaite faire appel à des collaborateurs La saison 3 de l’une des grandes ponctuels. Julie Lescaut style ? C’est ainsi séries du moment, injustement que fonctionne la télé française (et souvent moins connue que certaines de anglaise) depuis des lustres. En Amérique, ses concurrentes. On vous aura la dynamique de la salle d’écriture prévenus. collective fait partie de la mythologie de la création télévisuelle. Darabont s’en fiche. Il souhaite sans doute renforcer Police Squad (TF6, le 24 à 22 h 15) sa mainmise sur le show. Un signe C’est pour la semaine prochaine, des temps. Aujourd’hui, les Auteurs mais la semaine prochaine, du petit écran exigent une liberté créative pas d’agenda, donc écrivons-le totale et personne n’ose leur dire non. maintenant : l’intégrale de la série Petite question perverse : Francky sera-t-il burlesque avec feu Leslie Nielsen assez fort pour imiter Aaron Sorkin, (6 épisodes seulement) est inratable. qui a écrit presque seul les saisons 1-4 d’A la Maison Blanche ? O. J. Amicalement vôtre (Paris Première,



agenda télé

le 18 à 12 h 55) Un autre mort récent (Tony Curtis) pour aider à passer les fêtes dans cette production série anglaise so chic. Les séries vintage reviennent en force. 15.12.2010 les inrockuptibles 117

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Xavier Lahache/Canal+

émissions du 15 au 21 décembre

L’Année des Guignols 2010

INA

Emission présentée par PPD, Lundi 20 décembre, 20 h 45, Canal+

Raymond Queneau

doukipensedonktan ? L’histoire et l’actualité de l’OuLiPo, cénacle littéraire expérimental fondé par Raymond Queneau en 1960.

L’

OuLiPo a 50 ans. Qu’est-ce que l’OuLiPo ? L’OUvroir de LIttérature POtentielle, une branche du Collège de pataphysique créée par l’écrivain Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais. Un cercle littéraire ludique où, en fonction de contraintes arbitraires, souvent mathématiques, on invente des jeux langagiers. L’esprit du groupe fut illustré avec maestria par Queneau (dans Exercices de style, proposant 99 versions d’une même histoire) et Georges Perec, le plus célèbre membre de l’OuLiPo (dans La Disparition, roman n’employant que des mots qui ne comportent pas la lettre e). On pouvait penser que l’Ouvroir n’existait plus ou végétait pauvrement. Il n’en est rien, comme le prouve ce documentaire où l’on voit les jeunes recrues se mêler joyeusement aux vieilles barbes de la bande – notamment Jacques Roubaud, poète-mathématicien majeur. On assiste à leurs réunions du jeudi, chez les uns ou les autres, à leurs colloques, leurs ateliers, leurs lectures publiques, leurs voyages. Somme toute, une activité très fournie pour ce phalanstère d’expérimentation littéraire, dont les membres sont également des amis fidèles. C’est autre chose que le groupe surréaliste, dont les réunions se déroulaient sous la férule de plomb d’André Breton. Le rôle et le but de l’OuLiPo transparaissent aussi bien à travers son histoire que ses séances actuelles : renouveler la littérature grâce à des expériences rigoureuses qui génèrent des formes nouvelles. Comme le film le rappelle,“l’oulipien est un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir”. CQFD. Vincent Ostria L’OuLiPo mode d’emploi documentaire de Jean-Claude Guidicelli et Frédéric Forte. Lundi 20 décembre, 23 h 35, Arte

2010 est un grand cru pour les marionnettes Les Guignols doivent être désolés (ou soulagés) de constater que, année après année, l’actualité leur offre matière à s’agiter comme des marionnettes affligées. En attendant les combats électoraux à venir, ils se sont frottés en 2010 à quelques histoires qu’on pourrait croire écrites rien que pour eux : le triomphal Mondial, l’affaire Bettencourt (mamie Zinzin), la crise grecque expliquée par Jean Sarkozy, la carrière d’actrice de Carla Bruni (grande découverte de l’année), le génie de Steve Jobs, les succès de David Guetta… JMD

Tant qu’il y aura de la poussière Documentaire de Marcia Romano et Andrès Jarach. Mardi 21 décembre, 22 h 20, Arte

Les tâches ménagères, nerf de la guerre des sexes. La guerre des sexes, lorsqu’elle se déploie au cœur de l’espace domestique, peut être dévastatrice. 47 % des disputes conjugales ont, dit-on, pour origine la répartition inégalitaire des tâches ménagères. Les hommes ne se heurteraient-ils pas à l’obsession des femmes à contrôler leur territoire ? Entre combat féministe et blocages anthropologiques, Marcia Romano et Andrès Jarach creusent dans un documentaire pétillant la question de la poussière qui fait éternuer les deux sexes, à travers quelques scènes de ménage bien trempées. JMD

Les Terres imaginées Documentaire d’animation de Paul Guidal et Wilson Dos Santos. Vendredi 17 décembre, 20 h 45, Canal+ Family

Un gentil dessin animé décrit les cosmogonies de diverses civilisations Tiens, un nouveau concept : le “documentaire d’animation”. Une autre manière de définir le dessin animé éducatif. En l’occurrence, un film ludique où, dans un grenier familial, une malle parlante initie un enfant aux différents systèmes cosmogoniques des civilisations primitives ou avancées (des Inuits aux Vikings, en passant par les Bouddhistes et les Occidentaux). C’est tellement intéressant et mal connu qu’on aurait préféré quelque chose de moins gnangnan et décoratif, que les enfants puissent appréhender sans que les parents s’ennuient, et vice versa. Là ça patine un peu. Non au paternalisme gaga. V. O.

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l’Occupation sans relâche Documentaire d’Yves Riou et Philippe Pouchain. Dimanche 19 décembre, 20 h 35, France 5

Jean-Louis Barrault, le théâtre pour la vie Documentaire de Françoise Dumas. Jeudi 16 décembre, 22 h 10, France 5

Le point sur un acteur fondamental, précurseur du théâtre total Centenaire de la naissance de Jean-Louis Barrault, fer de lance de toutes les expériences du théâtre au XXe siècle : du mime avec Etienne Decroux, aux happenings du Living Theatre – qu’il accueillit dans les années 1960 à l’Odéon –, en passant par son compagnonnage avec Artaud… Une foule de documents filmés permet de retrouver Barrault au fil des ans, dans les différentes salles qu’il dirigea avec sa femme Madeleine Renaud. On le voit même en Pierrot lunaire, exécutant “la marche sur place” (classique du mime) réinterprétée par Michael Jackson sous le nom de “moonwalk”. Mais la carrière cinématographique du comédien est juste esquissée. V. O.

Panorama de l’activité culturelle sous l’Occupation Très peu d’artistes français entrèrent dans la Résistance (à part Joséphine Baker, qui était américaine). Ce documentaire ne nous apprend pas grand-chose que nous ne sachions déjà sur l’attitude des uns et des autres durant l’Occupation. Disons qu’à part l’acteur Robert Le Vigan (oublié dans ce documentaire), antisémite déclaré, la plupart des artistes, écrivains (dont Sartre et Beauvoir), comédiens de l’époque, ont eu une attitude pour le moins passive. Les plus opportunistes : Sacha Guitry et Fernandel. Le plus déroutant : Michel Simon qui, dit-on, arbora l’étoile jaune sans être juif. Bonne évocation du climat culturel de la période. V. O.

l’œuvre au Renoir La genèse mouvementée du chef-d’œuvre de Jean Renoir, La Règle du jeu. Serge July et ses complices retracent l’histoire de La Règle du jeu, une des œuvres majeures de Renoir et du cinéma français en général. C’est un peu le joyau maudit du cinéaste, quasiment son film préféré, mais aussi celui qui reçut le plus mauvais accueil à sa sortie en 1939. De l’avis unanime des cinéphiles, acteurs, et réalisateurs interrogés, cette Règle… était trop nouvelle et complexe pour son temps. Aujourd’hui, on apprécie ce mixte de loufoquerie, de marivaudage et de drame. C’est dans ce film que Renoir énonce le fameux adage : “Tout le monde a ses raisons”. C’est bien parce qu’il illustre ces raisons divergentes que le film

Marcel Dalio et Jean Renoir

a dérouté. Pour Renoir, le film reflétait une époque qui ”dansait sur un volcan” ; la frivolité des années folles allait être stoppée par la furie allemande. La perméabilité du cinéaste à son environnement avait pour corollaire une certaine volatilité idéologique. Peu après avoir tourné ce film, il partira pour Hollywood. V. O. Il était une fois… La Règle du jeu documentaire d’Anne Kunvari. mardi 21 décembre, 21 h 30, France 5 15.12.2010 les inrockuptibles 119

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in situ Jumo, le réseau très social Lancé par un des fondateurs de Facebook, le réseau social humanitaire Jumo permet de soutenir des associations caritatives. Chaque catégorie regroupe de nombreux organismes sur lesquels on peut s’informer ou agir (pas forcément de manière financière). Objectif : “Accélérer le rythme d’un changement global.” jumo.com

tweets du futur “Programmer vos tweets dans le futur avec amour” est la fonction de ClockTweets. Le site prolonge les fonctionnalités de Twitter en rendant possible l’envoi différé des mini-messages postés. Il suffit d’écrire le message, d’indiquer le jour et l’heure d’envoi et le tour est joué. Une bonne excuse pour décrocher du smartphone. clocktweets.com

coloc idéal Mieux vaut bien choisir son colocataire avant d’emménager. Pour s’assurer de la compatibilité des goûts et personnalités, smoovup regroupe dans les annonces les profils similaires pour que colocation rime avec joie de vivre. Une manière funky d’éviter de se retrouver avec un fan de hard rock nocturne qui n’aime pas les pâtes. smoovup.com

explosion d’images Arte lance Blow Up, un webzine original consacré à l’actualité du cinéma, conçu comme un laboratoire de formes courtes. Chaque semaine, trois vidéos sont mises en ligne. Fausses bandes annonces, montages thématiques, comme les plus belles scènes de pluie (photo), des tops, des cartes blanches à des auteurs, des rencontres, des bios en images… On retrouvera une sélection de vidéos sur lesinrocks.com www.arte.tv/blow-up

Shara de Naomi Kawase

la revue du web The Guardian

Rue89

Los Angeles Time

sur la route de Tanger

maison fausse ?

copains comme cochons

Tanger a inspiré les plus grands écrivains de la Beat Generation, de Jack Kerouac à William Burroughs… Mais cinquante ans plus tard, son port apparaît vide et bien rangé. Et témoigne de la modernisation économique du Maroc, bien loin des romans d’époque. Malgré tout, une certaine atmosphère demeure dans la ville : les saveurs des livres se retrouvent au Café de Paris, où les auteurs se réunissaient jadis. Tout comme la nostalgie se fait sentir aux abords de l’hôtel el-Muniria, où s’est écrit Le Festin nu. tinyurl.com/3xtnrcd

La série Maison close, diffusée en octobre sur Canal+, est critiquée par des spécialistes de l’histoire de la prostitution pour sa très libre interprétation des bordels fin XIXe. Selon Tiphaine Besnard, chercheuse, les rapports des filles à la police étaient à l’époque bien plus crus que dans la série, et le fait que ce soit un homme qui possède l’établissement n’est que pure fiction. Les erreurs s’accumulent et la série offre ainsi une vision assez éloignée de la réalité historique, au risque de fausser le débat sur leur réouverture. tinyurl.com/2wm6jkx

L’application Angry Birds, jeu de lancer de poules sur des cochons qui grognent, est en tête des ventes sur l’App Store et devient un phénomène de société. David Cameron, Salman Rushdie et Conan O’Brien ont avoué y jouer, quand une mère au foyer dit apprécier “le mélange des rires et des grognements” quand elle parvient à frapper les cochons. Malgré le prosaïsme du jeu, son graphisme efficace et son système de récompenses rendent accro. Une étude montre que le jeu améliorait l’humeur et réduirait le stress. Pour 99 cents, c’est donné. tinyurl.com/2eutdm5

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François Poche/Atelier culturel - Photothèque Vinci

vu du net

hauts et bas du mécénat Alors que le Louvre demande aux particuliers d’aider à l’achat d’un tableau, la crise du mécénat culturel est décortiquée sur le web. e Louvre a lancé mi-novembre Louvre (bit.ly/hTsCrg), BNP Paribas est un appel aux dons privés pour partenaire de festivals de musique pouvoir acheter un tableau de classique et aide les musées français Lucas Cranach, Les Trois Grâces (mecenat.bnpparibas.com), Areva, le (bit.ly/bCII6p). Un site dédié, Crédit Agricole, Suez et Vinci sont mécènes troisgraces.fr, incite les du musée Guimet (bit.ly/dYgPz4)… particuliers à devenir mécènes. Si ce genre Jean-Paul Claverie, responsable du d’opération n’est pas nouveau (à Arras mécénat chez LVMH, explique la stratégie par exemple, le public peut aider à la de l’entreprise, qui passe entre autres restauration de deux portraits du musée par des commandes de réalisation, à des des Beaux-Arts, bit.ly/dkdD8t), le mécénat architectes par exemple (bit.ly/crUHau). culturel est d’ordinaire plutôt l’apanage Mais depuis deux ans, le mécénat des entreprises que des particuliers. Il ne culturel subit la crise de plein fouet (bit.ly/ s’est toutefois développé que récemment, hjJSKK) et souffre face au mécénat faute de dispositif fiscal attrayant. environnemental et de solidarité, comme Si la France était ainsi en retard sur l’explique Catherine Tsékénis, déléguée les autres pays c’est notamment à cause générale de la fondation Hermès (bit.ly/ de “l’importance du rôle de l’Etat dans faLu0X). Il est plus valorisant de parrainer la culture et la répartition des richesses”, des actions éducatives ou de soutenir explique Jacques Rigaud (bit.ly/gJ1hYv), le développement durable que de payer ancien président de l’Admical (admical. pour des actions culturelles. Comme le org), association qui promeut le mécénat reconnaît Michel Janneau des champagnes d’entreprise. Les travaux de l’Admical sont Roederer (champagne-roederer.com), d’ailleurs à l’origine de la loi Aillagon l’acte doit être généreux mais aussi être d’août 2003 (bit.ly/hatTV0) qui, via des gratifiant en termes d’image et de déductions d’impôt, a contribué à aiguiser retombées (bit.ly/ePL2U8) – ce qui n’est la générosité des entreprises. pas toujours le cas. Le mécénat vit, depuis, une période Pourtant, en période de restrictions florissante. En 2007, 54 % des entreprises budgétaires, ce soutien privé est de plus en françaises se déclaraient intéressées (bit. plus indispensable comme le souligne ly/gu42co) et en 2008, un sondage de l’adjoint à la culture de la ville de Cognac l’Admical montrait que 30 000 entreprises Gérard Jouannet (bit.ly/f3OgKI). La France de plus de 20 salariés avaient participé n’est toutefois pas la plus mal lotie. L’Italie, au cours de l’année à une action de qui laisse tomber en poussière son mécénat pour un total de 2,5 milliards patrimoine (comme à Pompéi, bit.ly/ d’euros (bit.ly/dHx7d0). Les grandes goUuIv) a bien du mal à trouver un mécène entreprises, qui font du mécénat une pour financer la restauration du Colisée vitrine, se concentrent souvent sur des (bit.ly/f8leMC). Peut être lui faudra-t-elle projets prestigieux. Vinci a contribué se tourner vers les Américains, rodés à la restauration de la galerie des Glaces au mécénat culturel, comme en atteste à Versailles (vinci.com/mecenat), Total le programme international de Bank of à la rénovation de la galerie d’Apollon au America (bit.ly/fs7Gqm). Anne-Claire Norot

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1933 fut une mauvaise année de John Fante Une nouvelle sur un type qui rêve de devenir joueur de base-ball et se retrouve confronté à la crise économique. C’est sans doute son livre le plus drôle, acerbe, et en même temps c’est très triste. Une mélancolie qui me touche beaucoup.

Close-up

We Are Four Lions de Chris Morris Une virée absurde dans le quotidien de musulmans paumés pour rire du terrorisme.

Indigènes d’Eurasie de Sharunas Bartas Le contemplatif cinéaste lituanien s’essaie avec brio au film noir.

Holiday de Guillaume Nicloux Micmacs sexuels dans un relais-château. Une comédie anar et paillarde.

N.E.R.D Nothing Souple et débraillée, la clique de Pharrell Williams retrouve le cool sur ce quatrième album.

Kanye West My Beautiful Dark Twisted Fantasy Ce cinquième album ne révolutionne pas le hip-hop : il s’occupe aussi de la pop music.

London Orbital d’Iain Sinclair Une exploration fascinante des zones satellites de Londres.

The Ruminant Band de Fruit Bats Clairement leur meilleur album. Le chanteur a une sublime voix, c’est très énergique, ça change de rythme et de ton en permanence. La batterie est absolument imprévisible, et toutes les chansons sont catchy. C’est un album fait à l’instinct, tout ce que j’aime. recueilli par Jacky Goldberg

Le Club de Leonard Michaels Des hommes qui parlent du couple et de sexe. Le livre le plus connu de l’auteur, lucide et désabusé. Trop n’est pas assez d’Ulli Lust Road-trip punk galère dans les années 1980.

Booba Lunatic Une écriture personnelle sur des beats balèzes, élevés à la ricaine. Nord de Frederick Busch Le dernier roman d’un écrivain mort en 2006, qui clôt une œuvre désabusée.

Machete de Robert Rodriguez et Ethan Maniquis Un vengeur chicano surgit dans une comédie d’action parodique très réjouissante.

d’Abbas Kiarostami Je l’ai acheté en DVD sur les conseils d’un ami. J’étais très ému par cet usurpateur qui se fait passer pour un cinéaste mais se fait arrêter. J’ai aussi acheté Le Goût de la cerise, mais je ne l’ai pas encore vu.

Fyfe Dangerfield Fly Yellow Moon Un disque riche et majestueux, belle escapade solo du leader des Guillemots.

Le Fils de Rembrandt de Robin Une biographie touchante et élégante du fils du peintre, révélant en creux le portrait de son père.

Le Règlement d’Heather Lewis Un premier roman trash et violent, autour de marginaux rompus aux concours équestres.

Luchino Visconti Quatre chefs-d’œuvre du plus baroque des cinéastes italiens. Menaces dans la nuit de John Berry. Un film dont les auteurs seront exclus d’Hollywood. F. W. Murnau La courte période américaine du grand maître du muet. Sublime à jamais.

Le Jour du marché de James Sturm Un roman graphique limpide sur les aléas du progrès.

La Loi du marcheur de et par Nicolas Bouchaud, mise en scène Eric Didry Centquatre, Paris Mise en abyme de la figure du passeur Serge Daney par l’acteur Nicolas Bouchaud.

Rêve d’automne de Jon Fosse, mise en scène Patrice Chéreau Théâtre de la Ville, Paris Chéreau précise et magnifie au théâtre sa vision de Jon Fosse, dans une sarabande aussi charnelle que métaphysique.

Brume de Dieu mise en scène Claude Régy La Ménagerie de Verre, Paris, Festival d’automne Claude Régy n’a pas son pareil pour pénétrer au cœur d’un texte afin d’en extraire l’essence poétique.

Michael Cera L’acteur Michael Cera est actuellement à l’affiche du film Scott Pilgrim.

Mona Isa d’Isa Genzken Galerie Chantal Crousel, Paris Un miroir de la société de consommation où l’artiste allemande clame son goût du jeu et son dégoût du monde.

Hors jeu CAPC Bordeaux Minimalistes et avant-gardistes, les Floats de Robert Breer détournent les canons esthétiques et sociaux depuis les années 1960.

Walid Raad Centquatre, Paris L’artiste libanais déploie une cartographie vertigineuse de l’histoire de l’art dans le monde arabe.

Assassin’s Creed – Brotherhood sur Ps3 et Xbox 360 Missions haletantes et plaisir de l’exploration.

Golden Eye 007 ; Blood Stone 007 sur Wii, PS3, Xbox 360 et PC L’agent 007 fait le bonheur des gamers, plutôt deux fois qu’une.

Call of Duty – Black Ops sur PS3, Xbox 360, Wii et PC La guerre froide en mode Call of Duty.

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