(1747), babouc ou le monde comme - DigiTool Menu

leur détachement vis-à-vis de leur propre nature qu'ils déprécient. 1 Voltaire, Romans et ...... cemment la main de la jeune demoiselle avec une viva- cite, une ...
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DANS LES CONTES DE VOLTAIRE

Hilda Nahon SCHÉMATISATION DES PERSONNAGES DANS LES CONTES PHILOSOPHIQUES DE VOLTAIRE Department of French Language and Literature M.A.

March 1972 ABSTRACT

Dans cette étude nous nous sommes attaché à démontrer la schematisation des personnages dans Les Contes de Voltaire. Pour cela nous avons passé en revue, d'abord dans les contes créés de 1747 à 1768, puis dans ceux des dernières années de sa vie, de 1768 a 1775, les différents procédés employés par l'auteur, au niveau des caractères, du décor, de l'intrigue, de l'action et de l'expression, pour arriver a cet effet caricatural des personnages. En procedant ainsi, l'auteur crée une atmosphère joyeuse, et, tout en détachant le lecteur des héros, réussit a en faire un allié pour défendre ses idées et combattre "l'infâme", c'est-a-dire principalement l'injustice, l'into1erance religieuse et la guerre.

...

",

.-

SCHEMATISATION DES PERSONNAGES DANS LES CONTES PHILOSOPHIQUES DE VOLTAIRE

by

Hilda Nahon

A thesis submitted to the Facu1ty of Graduate Studies and Research McGi11 University, . in partial fulfilment of the requirements for the degree of Master of Arts

Department of French Language and Literature

@) Hilda m:ùlon 1972

March 1972

TABLE DES MATIERES Pages INTRODUCTION

CHAPITRE 1: l

........•..•...•....

1.' • • • •

• • •

• • •

• • • •



• •

• • • • • • • •

Schematisation dans les contes de 1747 à 1768

3

9

- Les contes où le personnage principai est simple observateur 14 Le Monde comme i l va (1748) . . . • . . . • . . . . . . . . . . . . . • . . . • 14 Micromegas (1752) 17 Histoire des voyages de Scarmentado (1756) 28

....................................

II - Les contes où le personnage principal est souvent victime Zadig (1747) ... ......•... .•. ...... .• ... .. .••........ . Cosi-Sancta Memnon (1749) Le Blanc et le noir (1764)

33 35 44 46 48

III - Les contes où le personnage principal est plus ou moins passif

.... .. .. . .. . .. . . ... .. . .. . . .. . . . .. . . .. . . .. .. .. ..

Candide (1759)

. .. . .... . .. . .. . . .. .. . . . . . . . . . . . .. . . .. ..

Jeannot et Colin (1764) L'Ingenu (1767) CHAPITRE II: l

Schematisation dans les contes de 1768 à 1775

- Le heros est observateur La Princesse de Babylone (1768)

II - Le heros victime Le Taureau blanc (1774) Le Crocheteur borgne (1774) Les Oreilles du comte de Chesterfield (1775)

50

51

85 87 94 94 94 103 104 107 109

III - Le heros est passif ...........•................•...•. Les Lettres d'Amabed (1769) Histoire de Jenni (1775)

111 111

CONCLUSION

118

BIBLIOGRAPHIE

..............................................

115

122

l N T R 0 DUC T ION

'\

Pendant sa longue et fructueuse carrière, Voltaire, mort à l'âge de quatre-vingt quatre ans, a eu un rôle dominant dans la vie littéraire et la pensée du "Siècle des Lumières".

Aussi "bien par son oeuvre

que par son action, il a contribué à la vulgarisation du savoir et à la destruction des vieux abus.

Dans son oeuvre si féconde, le genre du

conte philosophique n'apparaît que tard dans sa vie, alors qu'il avait dépassé la cinquantaine.

Avant la création de ses premiers contes,

Voltaire avait touché à tous les genres, poèmes, pieces de théâtre, ouvrages historiques, travaux philosophiques.

Ce sont ces écrits qu'il

considère comme les plus importants et qu'il entreprend pour la postérité.

Les contes, il les rédige rapidement et comme arme de combat, à

l'intention de ses contemporains.

Or, ironie du sort, ~"ce sont eux qui

"lui assurent l'immortalité. Jusqu'alors, il avait considéré les romans comme un genre inférieur, mineur, indigne de l'écrivain qui se respecte. XIV (1751), i l écrit:

Dans Le Siècle de Louis

"Au reste on est bien éloigné de vouloir donner

ici quelque prix à tous ces romans dont la France a été et est encore inondée; ils ont presque tous été, excepté

Za~de,

des productions d'es-

prits faibles qui écrivent avec facilité des choses indignes d'être lues par les esprits sOlides.".l Il persistera longtemps dans cette attitude

1 Voltaire, Oeuvres completes, édition Louis Moland en 52 volumes, vol. XIV (Paris: Garnier frères, 1877-1885): p. 142.

- 5 -

de mépris et constamment, dans son Dictionnaire philosophique, il assimile la fiction à "l'erreur. Dans Le Taureau blanc, il fait dire à Amaside:

"Je veux qu'un con';;'

te soit fondé sur la vraisemblance, et qu'il ne ressemble pas toujours à un rêve.".l Et dans L'Ingénu:

"Ah! s'il nous faut des fables, que

ces fables soient du moins l'emblème de la vérité!

J'aime les fables

des philosophes, • . .".2 Et voilà que soudainement conscient, apparemment, de la popularité grandissante de ce genre, il va s'essayer aussi à cette forme de 1ittérature. Il semble se trouver en contradiction avec son attitude antérieure) lorsqu'il déclare dans Le Taureau blanc:

"Ce n'est que par des contes

qu'on réussit dans le monde.".3 Il ne croyait pas si bien dire d'ailleurs, puisque de tous les genres littéraires que Voltaire a cultivés, le conte est sans contredit celui où il a le mieux réussi.

Il s'y révé-

la presque aussitôt un maître que beaucoup essayèrent d'imiter, mais qui resta inégalable.

Et l'opinion des critiques est unanime là-dessus.

Elle est bien exprimée par William R. Jones:

"Nulle part Voltaire n'est

plus grand que dans ses contes; nulle part l'esprit et l'art même du XVIIIe siècle n'ont mieux trouvé leur expression." 4

1 Voltaire, Romans et contes, présentation par René Pomeau (Paris: Garnier-Flammarion, 1966), IX: p. 583. 2 Ibid., XI: 3 Ibid., VII:

p. 353. p. 581.

4 Voltaire, L'Ingénu, édition critique de William R. Jones (Genève: Droz, 1957), Introduction, pp. 60~1.

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Il semble que le conte ait été pour lui l'aboutissement logique de l'expérience de toute une vie en même temps qu'une arme de combat.

Em-

prisonnements, exils, bastonnade, n'y faisaient rien; à mesure qu'il vieillissait, il aiguisait ses armes pour cette lutte, armes dont les plus efficaces ont éte les contes. dans Le Taureau blanc:

Son but etait de persuader.

Il dira

"Je voudrais surtout que, sous le voile de la

fable, il (le conte) laissât entrevoir aux yeux exerces quelque vérite fine qui echappe au vulgaire.". 1 Instruire en amusant, tel semble donc son but, et La Fontaine, que Voltaire admirait tant, avait bien compris cet art de conter, un siècle plus tôt: Une morale nue apporte de l'ennui: Le conte fait passer la morale avec lui. En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire. Et conter pour conter me semble peu d'affaires. 2 Grâce à lui, il aurait dO surmonter plus tôt ses prejuges contre le conte et prendre conscience des ressources philosophiques du genre, en laissant s'épanouir ses dons de

conteur~ne.

Cela nous ramène aussi à Molière et

peut-être à la "substantifique moelle" du Gargantua de Rabelais. Pour arriver à ce resultat, Voltaire aiguise son esprit satirique, qui met en evidence le ridicule, l'absurde ou l'horreur de ce qu'il veut combattre.

Et le genre particulier qu'est le conte lui permet justement

d'exagerer les realites jusqu'à la caricature.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., IX:

C'est pourquoi les contes

p. 583.

2 La Fontaine, Fables, 4 volumes, volume II (Paris, edition Jean de Bonnot, 1969): Livre VIe, Fable 1: LePatreet"le Lion"" p. 111.

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constituent un tournant décisif dans la production littéraire de Voltaire. En 1747, il a 53 ans, un âge où bien des auteurs ont terminé leur carrière. Les contes seront pour lui un instrument pour défendre sa pensée, au cours de cette période tardive, mais en même temps si debordante d'activité de sa vie.

Et cette pensée, evoluant en fonction de l'expérience personnelle,

de son existence remplie d'évenements de toutes sortes, de ses lectures, de son oeuvre précédente, de son développement intellectuel, sera le point de départ de ses contes, synthèse en quelque sorte de l'expérience de sa vie et de son immense savoir, qu'il a su propager mieux que quiconque. Si nous tenons compte de l'ordre chronologique selon lequel ses Contes ont été créés et publies, nous nous apercevons que Voltaire les a écrits par périodes, comme s'ils etaient les trop-pleins de ses moments de revoltes, d'excitations et d'humeurs.

Ils sont pour lui, dont la pensée est en

constante évolution, un moyen pour exposer ses problèmes et exprimer ses doutes ou ses intérêts. Van den Heuvel a bien. étudié "

. . Cet aspect du

conte voltairien qui est une projection symbolique de la personnalité de son auteur à différentes epoques de son existence, transposition d'une expérience vécue qui s'élargit aux dimensions de l'universel en se purifiant sans cesse par les jeux de la fantaisie et de l'humour.".

1

Zadig et Cosi-Sancta (1747), Babouc ou Le Monde comme il va, (1748), Memnon (1749), Micromégas (1752), Scarmentado (1756), Candide (1759), Le Blanc et le noir, Jeannot et Colin (1764), L'Ingénu (1767) font

1 Jacques Van den Heuvel, Voltaire dans ses contes (Paris: édition Armand Colin, 1967): Introduction, p. Il.

- 8 -

partie d'un premier groupe de contes

(1747~1768)

qui sont la consequence

de l'experience de Voltaire, ses contes-confidences en quelque sorte. La personnalite de l'auteur y cree un lien bien vivant entre la recherche de la verite et les fantaisies de la fiction. Pendant les dix dernières annees de sa vie (1768-1775), ce lien entre la verite et la fiction disparaît, et ces deux elements, qui se fondaient dans les premiers contes, se dissocient.

La fable alors n'est plus qU'un

pretexte de propagande pour les idees de l'auteur.

De ce groupe font

partie La Princesse de Babylone (1768), Les Lettres d'Amabed (1769), Le Taureau blanc et Le Crocheteur borgne (1774), Les Oreilles du comte de Chesterfield et Histûire de Jenni (1775). Dans ces contes nous passerons en revue les differents procedes employes par l'auteur, d'abord au niveau des personnages, puis à celui du decor, de l'intrigue, de l'action et de l'expression, pour arriver à cet effet de schematisation que nous voulons demontrer. Enfin dans notre conclusion nous considererons les elements de schematisation signales dans notre etude, les buts poursuivis par l'auteur en procedant ainsi, et l'efficàcite de ces moyens de schematisation, en vue de produire cet effet comique dont Voltaire se sert pour arriver à ses fins, c'est-à-dire parodier et faire de la satire pour mieux convaincre.

CHA PIT R E

I:

, ''' LA SCHEMATISATION DE ZADIG " A L'INGENU 1747 à 1768

A l'intérieur de la période de la première série de contes, la pensée

philosophfrpe~deVoltaire

subit une évolution.

Essayons de voir

dans quel sens elle se dirige. Parmi les aspects dominants de la pensée française au XVIIIe siècle, la théorie philosophique qui tient la plus grande place est celle connue sous le nom d'optimisme.

Le poète anglais Alexander Pope

en est d'abord le principal représentant.

Leibnitz le précède et le

surpasse.

Malheureusement son disciple Wolff affaiblit sa philosophie

en voulant

l~

clarifier et la systématiser.

C'est donc Leibnitz qui

reste le principal fondateur de la philosophie optimiste qui consistait en deux assertions principales: sibles, il a choisi le meilleur.

Dieu est bon.

De tous les mondes pos-

Ce qui choque Voltaire dans une telle

position,c'est la contradiction évidente entre cette théorie, qui affirme que tout est parfait, (bien que Leibnitz ne l'ait pas prétendu, reconnaissant au contraire l'existence du mal sur la terre) et la vie telle qu'elle nous apparaît, avec tous ses événements malheureux qui apportent un démenti à la thèse optimiste. A l'époque de Zàdig, premier conte important de Voltaire, rédigé de 1747 à 1748, l'auteur est historiographe à la Cour et Gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi. ses portes. plus tard.

L'Académie française lui a enfin ouvert

Il se montrera donc plus optimiste qu'il ne devait l'être

:!!:lL

- 11 -

Le héros Zadig passe à vive allure par une série d'aventures a Babylone et d'autres pays voisins. de lui.

Il souffre et voit souffrir autour

Il commence a désespérer et met en question l'action de la

Providence, quand il rencontre un ermite, qui se révèle être un ange, qui lui affirme:

"

. . Il n'y a pas de mal dont il ne naisse un

bien.".l Voltaire souscrit-il a cette opinion? N'est-ce pas lui qui doute par la bouche de Zadig?: ajoute:

"Mais, dit Zadig •.• ".2 Et la, Voltaire

"Zadig, a genoux, adora la Providence, et se somnit.".3

Un an plus tard (1748), notre conteur est moins optimiste.

Babouc,

dans Le Monde comme il va, terminant son enquête sur Persépolis _0- il faut comprendre Paris --, par l'affirmation que tout en n'étant pas parfaite, elle mérite qu'on la laisse subsister, le génie lturiel conclut: "

.• 'Si tout n'est pas bien, tout est passable' .", 4 ce qui est loin

du "Tout est bierl'des Optimistes.

C'est qu'a cette période, Voltaire

connaît des succès, mais aussi des déceptions. Dans Memnon, qui parut en 1749, le ton est encore plus amer. héros est volé, méprisé et borgne.

Le

Saisi de fièvre, il s'endort et rêve

d'un "bon génie" qui le console en lui disant que "tout est bien", si

1 Voltaire, Romans et contes, présentation par René Pomeau (Paris: Garnier-Flammarion, 1966), p. 82. 2 Ibid. , p. 83. 3 Ibid., p. 83. 4 Ibid., p. 108.

- 12 -

on considère". . . L'arrangement de l'univers entier.". 1 Memnon n'est pas convaincu et réplique pour conclure:

"'Ah! je ne croirai cela, . .

. que quand je ne serai plus borgne. ",.2 Micromégas, publié en 1752 pendant son séjour en Allemagne, mettait en scène -- après Les Voyages de Gulliver de Swift, que Voltaire avait appréciés en Angleterre -- des géants au cours d'un voyage supra-naturel, véhicule d'une forme de satire des folies humaines.

A la fin du conte,

Micromégas, le voyageur de la planète Sirius, promet aux pauvres petits humains, dont il avait fait connaissance sur la planète Terre, de leur donner un livre de philosophie dans lequel l'énigme de l'univers serait dévoilé.

Mais quand le vieux secrétaire de l'Académie des Sciences

(suggérant probablement le vieux Fontenelle, alors quinze ans) l' ouvrit, ". . .

~gé

de quatre-vingt

Il ne vit rien qu'un livre tout blanc:".

3

C'est le scepticisme au sujet de la métaphysique, qui sera aussi la caractéristique de Candide, conçu en 1758 et publié en 1759. Entre Micromégas et Candide, un seul conte notable:

Histoire des voyages de Scarmentado

(1756), sorte de sketch preliminaire de Candide, où Voltaire transpose son amertume après le voyage en Prusse. Candide est incontestablement l'oeuvre la plus durable du conteur, alors à l'apogée de sa carrière.

Les expériences vecues, les lectures,

la réflexion de toutes ces annees actives aboutissent dans ce conte à

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 115. 2 Ibid., p. 115. 3 Ibid., p. 147.

- 13 -

une prose légère, vive, spirituelle, et en même temps efficace, qui nous persuade d'écarter l'optimisme béat et fataliste, acceptant comme inévitables les choses telles qu'elles sont, pour adopter une attitude positive, pratique devant la vie et nous mettre au travail.

Sachons voir

lucidement les maux existant sur terre, mais "cultivons notre jardin". Que chacun fasse sa part, tel est le conseil qui nous est donné par Candide.

C'est un appel, non au pessimisme désespéré et stérile, mais au

courage, à l'accomplissement de sa tâche, tout en reconnaissant la méchanceté humaine et les misères de ce monde. Donc de Zadig à Candide, Voltaire a évolué et est passé d'un optimisme chancelant à un certain pessimisme.

Les événements qui ont déter-

miné ce pessimisme sont la trahison et la mort de Madame du Châtelet, la déception causée par son séjour à Berlin, les péripéties de son retour d'Allemagne.

La période comprise entre sa rentrée en France et son départ

pour la Suisse est certes une des plus sombres de son existence.

Le 1er

novembre 1755 survient le tremblement de terre de Lisbonne, et Voltaire en est secoué jusqu'au plus profond de son être. Avec la guerre de Sept Ans, c'est la cause déterminante du pessimisme contenu dans Candide. Pendant l'hiver 1763-1764, paraissent une serie de contes détendus: Le Blanc et le noir, Jeannot et Colin. en bonne voie.

C'est que l'affaire Calas est

Ferney s'est égayé de la présence de Mademoiselle de

Corneille que Voltaire vient de marier et qui attend un enfant.

1"

- 14 -

l -

Dans les deux chapitres, nous grouperons les contes selon le carac-

tère du personnage principal par rapport à l'action.

Nous considererons

l'aspect schematisation dans une première serie de contes où le heros est passif et agit en quelque sorte comme "temoin" de l'auteur. pour ce premier chapitre Le Monde comme il va, Micromegas des voyages de Scarmentado.

~t

Ce sont

Histoire

Les personnages principaux de ces contes

:servent d'une certaine manière de "camouflage" à Voltaire.

Ce rôle leur

confère une participation minime dans l'action, ce qui leur donne un certain detachement que le lecteur imite et qui fait qu'il n'est pas affecte par eux.

Ils evoluent dans des contrees etrangères où tout leur est

inconnu.

Ils commentent ce qu'ils rencontrent, ce qui permet à Voltaire,

sous le couvert du depaysement, de critiquer la civilisation de son temps.

Le Monde comme il va (1748) Dans ce conte, ce qui nous frappe, c'est le mouvement oscillatoire de l'action qui provient des jugements -- il Y en a plus de vingt -alternatifs et contradictoires de Babouc sur la ville de Persepolis, entendons Paris.

Chacun des episodes est adroitement equilibre, etant

compose d'une condamnation puis d'une reconsidération de la condamnation, ce qui fait que l'atmosphère du conte n'est jamais compromise et ne contient aucune tension.

Un exemple parmi d'autres:

Babouc est temoin du

carnage inutile entre armee persane et armee indienne, de la

h~te

des

generaux persan et indien de se livrer une dernière bataille avant l'armistice, et du traitement inhumain inflige aux blesses sur le champ de

- 15 -

bataille.

"'Sont-ce là des hommes, s'écria Babouc, ou des bêtes féroces?

Ah! je vois bien que Persépolis sera détruite. ,,,.1 Mis au courant plus tard " . . . Des actions de générosité, de grandeur d'fuIte, d'humanité, • . . ,,2 sur le même champ de bataille, il devient plus indulgent:

"'Inexplicables humains, s'écria-t-il, comment pouvez-

vous réunir tant de bassesse et de grandeur, tant de vertus et de crimes?"} et la contradiction de son évaluation est soulignée par l'opposition des termes "bassesse" et "grandeur", "vertus" et "crimes". Le cadre n'occupe qu'une petite place dans ce conte.

Il ne consti-

tue jamais une fin en soi, mais est décrit en fonction du but philosophique.

Voltaire peint juste assez pour soutenir sa démonstration et pour

éviter l'ennui au lecteur.

"

Ainsi, Babouc arrive au campement perse situé

Vers les plaines de Senaar

" 4 Le terme est vague et l'auteur

'ne, donne pas d'autres détails car, ce qu'il veut mettre en valeur, c'est d'abord la fatalité de la guerre.

Par contre, lorsqu'il veut montrer

toute son horreur, il donne des détails sur les actions des soldats: "Il vit des officiers tués par leurs propres troupes; i l vit des soldats qui achevaient d'égorger leurs camarades expirants pour leur arracher quelques lambeaux sanglants, déchirés et couverts de fange.". 5

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 96.

2 Ibid. , p. 97. 3

Ibid. , p. 97.

4

Ibid. , p. 95.

5 Ibid. , p. 96.

- 16 -

Plus l'ironie est mordante, moins il donne de détails sur le décor. Ainsi, il décrit la maison de la dame chez qui dîne Babouc comme étant "

Propre et ornée, • • .".1 Aucune trace de description du tribunal.

Le décor n'est donc qu'accidentel et en rapport avec ce qU'il veut prouver. Comme d'habitude, Voltaire fait appel à l'humour pour frapper l'esprit de ses lecteurs qu'il veut convaincre. Ainsi dans ce passage, Babouc, fottincertain sur ce qu'il devait penser de Persépolis, résolut de voir les mages et les lettrés: car les uns étudient la sagesse, et les autres la religion; et il se flatta que ceux-là obtiendraient grâce pour le reste du peuple. Dès le lendemain matin il se transporta dans un collège de mages. L'archimandrite lui avoua qù'i1 avait cent mille écus de rente pour avoir fait voeu de pauvreté, et qu'il exerçait un empire assez étendu en vertu de son voeu d'humilité; après quoi il laissa Babouc entre les mains d'un petit frère qui lui fit les lDnneurs. Tandis que ce frère lui montrait les magnificences de cette maison de penitence, un bruit se répandit qu'il était venu pour réformer toutes ces maisons. Aussitôt il reçut des mémoires de chacune d'elles; et les mémoires disaient tous en ~Jbstance: 'Conservez-nous, et détruisez toutes les autres.' A entendre leurs apologies, ces societés étaient toutes nécessaires; à entendre leurs accusations reciproques, e1ls méritaient toutes d'être anéanties. 2 En opposant les lettrés qui étudient la sagesse aux mages qui étudient la religion, Voltaire réduit simplement la religion à la bêtise, et ce

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 98. 2 Ibid., p. 102.

- 17 -

seraient les lettrés qui "obtiendraient

gr~ce

pour le reste du peuple".

Babouc visite donc "un collège de mages" (entendons de jansénistes", et l'auteur souligne ironiquement l'hypocrisie des prêtres en établissant Une relation causale, à l'aide de "pour" et "en vertu de", entre le fait de faire voeu de pauvreté et d'humilité et celui de s'enrichir.

"Magni-

ficences" s'applique à "cette maison de pénitence", et de nouveau Voltaire souligne la fausseté des prêtres sous leur masque vertueux.

La dernière

phrase se présente sous forme de deux propositions parallèles et symétriques contradictoires:

"A entendre leurs apologies • . . nécessaires;

...a entend ' . . . ,,1 re eurs l accusatlons • . • aneantles. . Dans Le Monde comme il va, les personnages se condamnent souvent euxmêmes.

Ainsi le mercenaire auprès duquel Babouc se renseigne sur les

causes de la guerre au début du conte: je_n'en sais rien.

"Par tous les dieux, dit le soldat,

Ce n'est pas mon affaire:

mon métier est de tuer et

d'être tué pour gagner ma vie; il n'importe qui je serve.". 2 Il Y a là un j eu de mots frappant avec l' anti thèse "être tué" "pour gagner ma vie" qui souligne le non-sens absurde de la guerre.

Micromégas (1752), de micro (petit) et mégas (grand). Ira O. Wade a montré que les deux extrêmes se fondent en une synthèse aussi valable au XXe siècle qu'au XVIIIe siècle. Micromégas met

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 95. 2 Ibid., p. 95.

- 18 -

l'accent sur le constant besoin de l'homme de dévaluer et de reva16ri... 1uer. 1 ser pour eva

Très souvent dans les contes, le nom du personnage principal annonce le thème de l'histoire. Ainsi, comme le dit Voltaire lui-même, Micromegas est un " ••• Nom qui convient fort à tous les grands.". 2 Donc, chacun d'entre nous pourrait être Micromégas, puisque nous pensons tous être "grands" d'une certaine manière.

Les silhouettes, que nous

decrit VOltaire.ici, sont grandes et petites.

Leur grandeur contient

de la petitesse, et leur insignificance, quelque chose de grand. Dans le premier chapitre, Voltaire multiplie les precisions absurdes.

Cette minutie de détails n'a pas pour but, à l'inverse de la dé-

marche des romanciers realistes, d'apporter de la vraisemblance dans le recit, mais plutôt d'amuser le lecteur pour le faire entrer de bonne grâce dans son jeu, de telle façon que, sans se laisser prendre, il va accorder son attention aux aventures de ce personnage auquel il ne croit pas.

Il se cree alors entre l'auteur et son public une connivence qui

fait que, sans que ni l'un ni l'autre ne soient dupes des procedes mis en jeu, le recit reste attrayant, sans/jamais prendre une apparence de vérite. Que savons-nous sur le personnage principal? Voltaire donne juste assez de chiffres et de détails pour nous amuser, sans chercher à nous

1 Ira O. Wade, Voltaire's Micromegas; a study in the fusion of science, myth and art (Princeton: Princeton University Press, 1950), p. 102.

2 Voltaire,

Romans et contes, op. cit., 1: p. 131.

- 19 -

leurrer sur leur vérité.

Physiquement, " . . . Il (le Sirien) avait

huit lieues de haut: III et ". . . Sa ceinture peut avoir cinquante mille pieds de roi de tour:

ce qui fait une très Jolie proportion. Il.2 L'ap-

parente rigueur, que Voltaire apporte dans l'évaluation de la taille du Sirien, constitue en réalité la satire du raisonnement de Wolff que le conteur parodie ici. Madame de Graffigny, au cours d'un séjour à Cirey, relate, dans une lettre datée du Il décembre 1738,3 qu'on a lu les calculs de

propor~ion

par lesquels Wolff évaluait la taille des êtres vi-

vants sur la planète Jupiter.

Ce sont ces spéculations mathématiques

dont Voltaire fait la satire dans ce premier chapitre de Micromégas. Cependant, tout en

étant·pl~isante,

cette minutie de détails sur le

Sirien, sans vouloir donner le change sur sa vraisemblance, reste le véhicule d'une vérité: selle.

la croyance de Voltaire en la relativité univer-

Le Sirien est un géant comparé aux Saturniens, mais il est petit

à côté des habitants des autres planètes qu'il a vus au cours de ses

voyages.

Intellectuellement, il est supérieur à son compagnon de Saturne,

mais c'est seulement une supériorité relative. Bien qu'il soit le plus souvent le porte-parole de Voltaire, il est ridiculisé, dès sa présentation initiale:

"Quant à son esprit, c'est

un des plus cultivés que nous ayons; il sait beaucoup de choses; il en

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., 1: 2 Ibid., I:

pp. 131-2.

3 Cité par Ira O. Wade, op. cit., p. 37.

:p~.131.

- 20 -

a inventé quelques-unes;".

1

Avec cette opposition entre ''beaucoup de

choses" et "quelques-unes", il fait une restriction et limite son hérose Les autres personnages, les "micromégas", plus petits, sont les Saturniens et les Terriens. tes.

Ces silhouettes ont des tailies différen-

Le Saturnien n'a". . . Que six mille pieds de haut.". 2 C'est

un être moins intelligent que Micromégas, " .••

~ui

n'avait à la vérité

rien inventé, . . • ,et qui faisait passablement de petits vers et de grands calculs.". 3 Le "petit-grand" est réitéré dans ce détail. Les hommes ne

SOJ~t

pas considérés dans une

persp~ctive

humaine,

mais perçus, sous la lentille du microscope improvisé du géant céleste, comme des espèces anonymes proches du néant, que Voltaire qualifie dans les chapitres V et VI d'une variété de termes tels que "infiniment petits", "atomes", (répété à plusieurs reprises) "insectes invisibles", "mites".

Ils sont ensuite présentés comme des types humains (l'aumônier,

les matelots, les philosophes), dont les activités sont résumées par un détail décrivant leur occupation:

"L'al.DIlônier du vaisseau récita les

prières des exorcismes, les matelots jurèrent, et les philosophes du vaisseau firent un système;".4

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., 1: 2 Ibid. , 1:

p. 133.

3 Ibid. , I:

p. 133.

4

Ibid. , VI:

p. 142.

p. 132.

, '

- 21 -

Comment Voltaire arrive-t-il à produire le détachement du lecteur, nécessaire à l'atmosphère joyeuse du conte? D'une part, il associe Micromégas au lecteur en suggerant à ce dernier que, malgré sa grande taille, Micromegas est un être de bon sens come lui:

"Rien n'est plus simple et plus ordinaire dans la nature.". 1

D'autre part, il établit une complicité entre lui et le lecteur: "Nos deux philosophes étaient prêts à s'embarquer • . .".2 En même temps, il met une certaine distance entre "nous" (Voltaire et le lecteur) et

les personnages, de telle sorte que nous pouvons en rire, sans penser que nous sommes come eux. Les personnages eux-mêmes ont un détachement qui provient de leur rôle d'observateurs. Micromégas et le Nain de Saturne sont des voyageurs célestes, et les Terriens sont isolés du reste de l'humanité du fait que, de retour de leur voyage d'exploration dans le cercle polaire, ils passent pour perdus.

Un des philosophes fait l'observations suivante sur

l'absurdité de la guerre:

" . • . Et presque aucun des animaux, qui

s'égorgent mutuellement, n'a jamais vu l'animal pour lequel ils s' égorgent.". 3 En adoptant ainsi l' atti tude supérieure du géant sirien qui lui avait demandé ". • . Quel pouvait être le suj et de ces horribles querelles entre de si chetifs animaux.", 4 les Terriens marquent bien leur détachement vis-à-vis de leur propre nature qu'ils déprécient.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., I: 2

Ibid., III:

p. 136.

3

Ibid. , VII:

p. 144.

4

Ibid. , VII:

p. 144.

p. 131.

- 22 L'action ici est réduite à de simples gestes, qui sont tour à tour grands et petits, comme ceux qui les font.

On

a ainsi une impression

de mouvement oscillatoire qui est en constant contraste avec la taille différente des personnages.

Micromegas est quelquefois "plus petit"

que les Terriens et les Terriens se montrent de temps en temps "plus grands" que les deux géants. Le décalage intellectuel est conforme au decalage physique, quand le nain de Saturne se montre inférieur à Micromégas:

"Le nain de Saturne,

qui jugeait quelquefois un peu trop vite, décida d'abord qu'il n'y avait personne sur la terre.". 1 Ses efforts pour prouver que cela est impossible sont mis en échec par Micromégas, au cours d'une discussion émaillée de "mais", d'un effet des plus comiques.

Par ailleurs, il se montre inférieur aux Terriens,

(même s'ils n'ont pas encore paru sur scène), en niant leur existence. Ensuite, apercevant une baleine, il conclut hâtivement qu'il n'y a sur terre que des baleines.

Les Terriens, à leur tour, deviennent "grands",

quand ils utilisent leur intelligence pour mesurer le nain de Saturne, tandis que ce dernier est relégué à une position inférieure, puisqu'il ne sait pas mesurer les Terriens:

"'Mille toises! s'écria le nain;

juste ciel! d'où peut-il savoir ma hauteur? mille toises!

Il ne se

trompe pas d'un pouce; quoi! cet atome m'a mesuré! il est géomètre, il connaît ma grandeur; et moi, qui ne le voit qu'à travers un microscope, 2 je ne connais pas encore la sienne!"'.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., IV: 2 Ibid. , VI:

p. 143.

p. 138.

- 23 -

Quand les Terriens mesurent Micromégas, ce dernier à son tour nous paraît inférieur à eux.

Là, Voltaire laisse libre cours à son humour

particulier qui, tout en frôlant le scabreux, reste dans les limites dela décence:

"Nos philosophes lui plantèrent un grand arbre dans un en-

droit que le docteur Swift nommerait, mais que je me garderai bien d'appeler par son nom, à cause de mon grand respect pour les dames.". 1 Mais Micromégas reprend de nouveau sa supériorité, en portant le jugement sage, qui a échappé aux autres, et qui est le thème du conte: "Je vois plus que jamais qu'il ne faut juger de rien sur sa grandeur apparente.

0 Dieu! qui avez donné une intelligence à des substances

qui paraissent si meprisab1es, l'infiniment petit vous coftte aussi peu que l'infiniment grand;". 2. "Un petit partisan de Locke

•,,3 est le seul philosophe qui donne

une reponse sage, quand Micromegas 1eur demande:

"Dites-moi ce que c'est que votre âme, et comment vous formez vos idées.". 4 Le "petit partisan

de Locke", ("petit" ici equivaut à grand), réitère le thème philosophique du conte et se trouve ainsi le porte-parole de Voltaire:

"Je revère

la puissance éternelle; il ne m'appartient pas de la borner:

je n'affir-

me rien; je me contente de croire qu'il y a plus de choses possibles qu'on ne pense.".

5

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit. , IV: p. 143. 2 Ibid. , VI:

p. 143.

3 Ibid. , VII:

p. 146.

4 Ibid. , VII:

p. 145.

5 Ibid. , VII, p. 147.

- 24 -

A la fin du conte, Micromégas est en définitive le plus grand, lorsqu'il promet aux hommes " . • . Un beau livre de philosophie, •. où " Il

"

ils verraient le bout des choses.", et qu'il ne leur donne •

qu'un livre tout blanc:". 1

"Ah'. • • . , Je ., '" . b·1en dout'"e., ,,2 d·1t 1 e secre"'t· m en eta1s a1re de l'Academie des Sciences de Paris, et le conte se termine sur cette pirouette de notre incorrigible conteur, qui a ainsi joué un tour aux "infiniment· petits" et, par la même occasion, à Fontenelle. La même fluctuation, que nous avons remarquée chez les personnages et dans l'action, existe dans l'expression.

Quand l'auteur parle du

"petit nain de Saturne", il est à la fois petit et grand:

petit aux

yeux de Micromégas et des créatures que ce dernier a vues en voyageant, grand aux yeux des habitants de la planète Terre.

Le lecteur est sub-

mergé par les expressions indiquant implicitement ou explicitement la quantité.

Ainsi, lorsque les Terriens attribuent le sujet de la guerre 3 à ". . . Quelque: tas de boue grand comme votre talon. l i , ils marquent leur détachement en traitant ironiquement les causes ridicules de la guerre. Les géants et les hommes sont ridiculisés tour à tour: et le nain le sont au chapitre II:

"Le Saturnien et le Sirien s'épui-

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VII:

2 Ibid., VII:

p. 147.

3 Ibid., VII:

p. 144.

Micromégas

p. 147.

- 25 -

sèrent alors en conjectures; mais, après beaucoup de raisonnements fort ingenieux et fort incertains, il en fallut revenir aux faits.". 1 Accentue par la répétition de "fort", le deuxième terme "incertains", nie le premier "ingénieux", de sorte que tous leurs raisonnements sont inefficaces. Au chapitre II toujours:

"Enfin après s'être connnuniqué l'un à

l'autre un peu de ce qu'ils savaient et beaucoup de ce qu'ils ne savaient pas, après avoir raisonne pendant une revolution de soleil, ils résolurent de faire ensemble un petit voyage philosophique.". 2 Le resu1tat de leurs interminables communications est precisement la non-communication. De même pour les hommes:

"Nous sommes d'accord sur deux ou trois

points que nous entendons et nous disputons sur deux ou trois mille: que nous n'entendons pas.".

3

Le parallelisme, qui oppose les deux parties de la phrase, souligne le contraste entre le petit nombre de points sur lesquels ils sont d'accord et qu'ils ont reso1us, et le grand nombre de points sur lesquels ils ne s'accordent pas et dont ils n'ont pas trouve la solution. Le philosophe prononce sa propre condamnation en essayant de justifier son attitude absurde, lorsqu'il affirme qu'il n'entend pas le grec, mais "' . . . Qu'il faut bien citer ce qu'on ne comprend point du

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., II: 2 Ibid., II:

pp. 135-6.

3 Ibid., VII:

p. 145.

p. 134.

- 26 -

tout dans la langue qu'on entend le moins. "-'.1 Cette vérité absurde, proférée ingénument par "la mite philosophique", soulignant lui-même son ridicule, ne peut que nous faire rire de lui. Les hommes sont encore ridiculisés lorsque le Saturnien, les voyant s'agiter à travers son microscope, " . . . Crut apercevoir qu'ils travai1laient à la propagation. fait.'

'Ah! disait-il, j'ai pris la nature sur le

Mais il se trompait sur les apparences:

ce qui n'arrive que trop, soit qu'on se serve ou non de microscope.". 2 Les nombreuses interventions du narrateur dans ce conte nous font

penser à celles du montreur de marionnettes ou du démonstrateur de 1anterne magique, deux divertissements qui occupaient une partie de la vie sociale à Civey.

Bottig1ia3 nous rapporte les passages des lettres de

décembre 1738, où Madame de Graffigny nous en fait part.

Ainsi, dans

sa lettre du 11 décembre,4 elle raconte que, dans une séance de lanterne magique, Voltaire a agité l'appareil pour essayer d'animer les figurines peintes sur les plaques.

De même dans ce conte, (comme dans les autres

d'ailleurs), il essaie de secouer la raideur de ses personnages schématiquement simplifiés "avec des propos à mourir de rire."

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VII:

2 Ibid. , V:

p. 146.

p. 141.

3 William F. Bottig1ia, Studies on Voltaire and the eighteenth century, Volume VIlA, édité par Théodore Besterman,.2e édition (Genève: librairie Droz, 1964), pp. 82-5. 4 Ibid. , p. 83.

- 27 -

Dès la première phrase du recit, le narrateur affirme sa presence: "Dans une de ces planètes qui tourne autour de l'etoile nomee Sirius, il y avait un jeune home de beaucoup d' esprit, que j'ai eu l' honneur de connaître dans le dernier voyage qu'il fit sur notre petite fourmilière;".l Et cette presence, il ne la laisse plus oublier par la suite. Quelquefois, son intervention le des engage et nie sa respûnsabilite dans le jugement qU'il porte et qu'il attribue à Micromegas:

"Il

(Micromegas) parcourut la voie lactee en peu de temps, et je suis oblige d'avouer qu'il ne vit jamais à travers les etoiles dont elle est semee ce beau ciel empyree que l'illustre vicaire Derham se vante d'avoir vu au bout de sa lunette.

Ce n'est pas que je pretende que Monsieur Derham

ait mal vu, à Dieu ne plaise!". 2 Et au chapitre V:

"Je ne pretends

choquer ici la vanite de personne, mais je suis oblige de prier les importants de faire ici une petite remarque avec moi." 3 Vol taire s'excuse ici de devoir constater avec Micromegas la petitesse des homes. Quelquefois, ses interventions ne servent qu'à detendre l'atmosphère. Ainsi au chapitre IV:

"Je vais raconter ingemunent come la chose se

passa, sans y rien mettre du mien: ce qui n'est pas un petit effort pour un historien.". 4 Et au chapitre V: "Je ne doute pas que si quelque

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., 1: 2 Ibid. , 1:

pp. 132-3.

3 Ibid. , ··V:

p. 140.

4 Ibid. , IV:

p. 139.

p. 132.

- 28 -

capitaine des grands grenadiers lit jamais cet ouvrage, il ne hausse ,d~

deux grands pieds au moins les bonnets de sa troupe; mais je l'aver-

tis qu'il aura beau faire, et que lui et les siens ne seront jamais que des infiniment petits.".l Ainsi l'atmosphère joyeuse dans ce conte est produite par le détachement des personnages eux-mêmes, à cause de leur nature de silhouettes et de leur rôle d'observateurs, et par celui de l'auteur, complice du lecteur, qui suit à la fois son exemple et celui des personnages.

Histoire des voyages de Scarmentado (1756). Scarmentado est l'exemple typique du nom qui, à lui seul, décrit le personnage qui le porte.

C'est un Grec, né à Candie en Crète, qui

est affublé d'un nom espagnol qui pourrait se traduire par "instruit par

l~expérience". ,,

Et de fait, il passe à travers beaucoup d'aventures, d'un pays à l'autre, précipitamment, comme dans un film accéléré, témoin ici d'une décapitation, là d'un autodafé et de divers autres incidents. Il fait des enquêtes-éclairs sur les événements auxquels il assiste, mais, quittant toujours précipitamment les pays respectifs où se passent ces événements, quelquefois sans même en attendre de réponse, il donne l'impression de ne pas participer à l'action.

Scarmentado est l'ébauche

de Candide, mais alors que ce dernier est motivé intérieurement dans ses déplacements, le premier est poussé à voyager à cause d'incidents d'ordre

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., V:

pp. 140-1.

- 29 -

extérieur.

Il effleure donc bien superficiellement les problèmes qu'il

approche et il constitue seulement un prétexte comique pour souligner les abus dont il est témoin. L'attitude de Scarmentado, comme nous le verrons aussi plus tard pour celle d'Amazan dans La Princesse de Babylone, reste objective. Tous les deux sont simples spectateurs des événements auxquels ils assistent.

Scarmentado passe d'un pays à l'autre, à chaque fois sauvé com-

me par miracle de ses persécuteurs, sans être aucunement affecté par aucune de ses expériences. tre.

La même séquence se répète d'un pays à l'au-

Il profère une remarque anodine, reflétant l'évaluation de l'évé-

nement par Voltaire, qui cause son emprisonnement temporaire.

Il en

sort indemne physiquement et moralement, et réitère à chaque fois son détachement par une réflexion amusante.

Ainsi, après son expérience

de l'autodafé, il déclare avec humour:

"Je me propose bien de ne plus

. sur 1es fAetes que Je . verra1S. ." 1 · mon aV1S d1re

L'effet de détachement est aussi produit par son manque de réactions personnelles devant les incidents qui surviennent dans les différents pays.

Ainsi lorsqu'on lui montre en Angleterre la place où la reine

Marie avait fait briller plus de cinq cents de ses sujets: "Un prêtre hibernois m'assura que c'était une très bonne action: premièrement, parce que ceux qU'on avait brUlés étaient anglais; en second lieu, parce qu'ils ne prenaient jamais d'eau bénite, et qu'ils ne croyaient pas au

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 164.

- 30 -

trou de Saint Patrice.".l La justification absurde de cette "bonne action" n'est qu'un simulacre de raisonnement, soutenu seulement par la forme logique:

"premièrement,.. ., en second lieu, • . ., et •

" De même, lorsqu'il parle des catholiques, il rejette toute responsabilité de ce qu'il déclare, ne faisant que répéter ce que les catholiques

eux~mêmes

lui ont dit, puisque lui se trouve être un voyageur

qui ne connaît pas ces terres étrangères.

"Je passai en Angleterre:

les mêmes querelles y excitaient les mêmes fureurs.

De saints catholi-

ques avaient résolu, pour le bien de l'Eglise, de faire sauter en l'air, avec de la poudre, le roi, la famille royale, et tout le parlement, et de délivrer l'Angleterre de ces hérétiques. ,,2 Ils se font appeler "saints" mais le paradoxe que forment leurs motifs et leurs actes provoque une réaction du lecteur qui les condamne.

Par contre par le mot

"fureurs", Voltaire rejette le blâme directement sur l'Eglise catholique. Observant les coutumes en tant qu'homme de bon sens, il ne les saisit pas et le lecteur adopte son point de vue. rive à Séville, il est témoin d'un autodafé. qu'il s'agissait d'une fête:

Ainsi lorsqu'il ar-

Tout lui laissait croire

"Je vis au bout d'une allée d'orangers

et de citronniers une espèce de lice immense entourée de gradins cou-

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 162. 2 Ibid. , p. 162.

- 31 -

verts d'etoffes precieuses.

Le roi, la reine, les infants, les infantes,

etaient sous un dais superbe. Vis-à-vis de cette auguste famille etait un autre trône, mais plus eleve."l C'est alors qu'il observe innocemment: "'A moins que ce trône ne soit reserve pour Dieu, je ne vois pas à quoi il peut servir. ".' ,2 ignorant que c' etait celui de l ' Inquisiteur.

Le

droit divin qui place le roi immediatement après Dieu est une justification suffisante de sa supposition. Mais il est arrête à cause de ses "indiscrètes paroles" et le lecteur condamnera tout naturellement les catholiques pour preferer l'Inquisiteur à Dieu. L'action presente une oscillation comique continuelle, causee par l'espoir toujours deçu du heros, que atroce que le precedent:

~e

prochain pays visite sera moins

"J'allai en Hollande, où j'esperais trouver

plùs'de tranquillite chez des peuples plus flegmatiques.

On coupait la

tête à un vieillard venerable lorsque j'arrivai à la Haye. ,,3 Le comique ici provient de l'equivoque provoquee par l'uniformite de ton avec laquelle il dit ses espoirs, et ce qu'il trouve en realite, dans deux phrases juxtaposees qui ne sont liees par aucun mot de coordination.

Le lecteur, qui ne s'attendait pas à ce changement d'idee,

en est frappe et choque, ce qui etait le but premier de Voltaire. C'est ce qui se produit aussi dans le cas de la Turquie, où il craint une mauvaise reception, raisonnant que les mahometans '" '.' • •

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 163. 2 Ibid., p. 163.

3 Ibid., p. 162.

---------------------------------_._-------_

..._ .. _ - - -

- 32 -

Sont des mécréants qui n'ont point été baptisés, et qui par conséquent - seront b'1en p1us crue 1s que 1..... ... . .. "' . 1 es reverends peres 1nqu1s1teurs.

Son raisonnement est logique, mais les prémisses, qui lui avaient été données par les catholiques, en sont fausses.

Ce n'est pas chez les

mahometans que Scarmentado rencontre de la cruauté, mais au contraire chez les partis rivaux de la chrétienté que les Turcs tolèrent chez eux. Dans l'expression, l'humour est toujours un moyen efficace qui permet à Voltaire d'enlever toute réaction affective au héros et par conséquent au lecteur: Je fus dans la triste nécessité de ne plus fréquenter ni l'église grecque ni la latine. Pour m'en consoler, je pris à loyer une fort belle Circasienne, qui était la personne la plus tendre dans le tête-à-tête, et la plus dévote à la mosquée. Une nuit, dans les doux transports de son amour, elle s'écria en m'embrassant: Alla, Il1a, Alla: ce sont les paroles sacramental es des TurëS:" je crus que c'étaient celles de l'amour; je m'écriai aussi fort tendrement: 'Alla, I11a, Alla. - Ah! me ditelle, le Dieu miséricordi~soit loué! vous êtes Turc.' Je lui dis que je 1e bénissais de m'en avoir donné la force, et je me crus trop heureux. La matin l'iman vint pour me circoncire; et, comme je fis quelque difficu1te, le cadi du quartier, homme loyal, me proposa de m'empaler: je sauvai mon prépuce et mon derrière avec mille sequins, et je m'enfuis vite en Perse, résolu de ne plus entendre ni messe grecque ni latine en Turquie, et de ne plus crier: Alla, Illa, Alla, dans un rendez-vous. 2 L'alternative d'être empalé, qui lui est proposée comme une suggestion favorable, est en réalité plus désastreuse que la proposition initiale

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 164. 2 Ibid., p. 165.

-----,

- 33 -

d'être circoncis.

Les mots crus frôlant l'indécence de "prépuce" et

"derrière" nous écartent de toute réaction affective. Et le conte se termine sur une note humoristique marquant le détachement du héros, -- détachement souligne par l'antithèse à allure paradoxaleentre "cocu" et "l'état le plus doux de la vie", 1 -- qui prend une sage décision:

"J'allai labourer le champ d'une vieille négresse,

pour conserver mes oreilles et mon nez.

On me racheta au bout d'un an.

J'avais vu tout ce qu'il y a de beau, de bon et d'admirable sur la terre: je résolus de ne plus voir que mes pénates.

Je me mariai chez moi:

je

fus cocu, et je vis que c'était l'état le plus doux de lavie.".2 En passant sous silence les activités de Scarmentado au cours de cette année de captivité, Voltaire insiste encore sur le détachement de son personnage.

II - Passons maintenant en revue les contes où les personnages, à la recherche du bonheur, semblent souvent victimes du sort et de l'action. Ils subissent les épreuves dans une grande partie du conte sans en paraître tirer profit, mais finalement, l'auteur les amène au but poursuivi:

le bonheur.

Ce sont, pour ce premier chapitre:

Sancta, Memnon, Le Blanc et le noir.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 167. 2 Ibid., p. 167.

Zadig, Cosi-

- 34 -

Les personnages des histoires de ce deuxième groupe sont plus humains que dans le premier groupe de contes.

Ils ne sont plus de simples

observateurs qui serviraient de prétextes a l'auteur pour faire la satire de la civilisation européenne. problème de l'homme:

Ils cherchent aussi a élucider le grand

le bonheur.

Les marionnettes, que Voltaire met en scène dans ce groupe de contes, sont le plus souvent des victimes, en ce sens qu'elles se heurtent a des obstacles qu'elles ne peuvent surmonter sur le moment.

D'autre part, si

elles prennent une plus grande part a l'action, elles gardent leur détachement devant les événements tragiques qu'elles subissent.

Si elles ne

réagissent pas émotionnellement à leurs situations, c'est pour que le lecteur en fasse autant et ne soit pas distrait de ce que l'auteur veut démontrer. Il y a toujours une atmosphère joyeuse qui allège la situation, et les personnages assument un certain détachement humoristique vis-a-vis de leur propre destin.

Ainsi, devant le désordre intérieur de l'homme et

l'apparent désordre de la nature, qu'on appelle le mal physique, la réaction de Voltaire est le rire, le rire raffiné et profond, le rire qui protège l'esprit contre les maux inévitables auxquels il faut se résigner et qui exhortent a l'action. Le conteur arrive aussi à ce détachement des personnages, en leur octroyant une nature schématique qui les réduit a l'état de simples silhouettes. lisation.

Leur simplification relative est a un pas de l'impersonna-

En les caricaturant, l'auteur pousse le lecteur à ne pas se

laisser entraîner par ses créations, à se retirer de la participation

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sympathique qui existe habituellement entre les héros d'oeuvres d'imagination et le lecteur.

Ce dernier peut alors considérer les

persoI4~ges

et leurs aventures du dehors, d'un oeil critique, en s'attachant davantage aux idées qu'ils représentent.

Ces personnages n'ont pas de passe

et ils ne pensent même plus à ce qui leur est arrive un court moment auparavant.

Si le lecteur connaissait leur histoire, il serait tenté

de prendre les marionnettes trop au sérieux. Cela n'empêche pas toute sympathie du lecteur pour les personnages victimes des événements, mais Voltaire est expert dans l'art de ne mettre que juste ce qu'il faut dans les caractères pour arriv.er à la réaction désirée du lecteur.

Celui-ci s'identifie à eux, mais d'une façon déta-

chée, puisqu'ils sont les représentants de l'humanité subissant sa destinée.

Tels sont les points que nous allons essayer de démontrer d'abord

et surtout dans Zadig puis dans Cosi-Sanota, Memnon et Le Blanc et'le noir, avant de le faire pour les contes ecrits à la fin de sa vie.

Zadig (1747) Pour illustrer le thème de l'incapacité de l'homme à être en même temps sage et heureux, Voltaire a créé un personnage qu'il nous présente sous des traits physiques vagues: "jeune", "ayant de la santé" et "une figure aimable". 1 Par contre, il nous parle assez longuement de ses qualités morales au début du premier épisode:

c'est le type de l'homme

vertueux dont la qualité principale est la modération.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 31.

Il porte bien

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son nom de Zadig ("Sadik") qui signifie en arabe: conclut sa présentation initiale:

le juste.

Et Voltaire

"Zadig, avec de grandes richesses,

et par conséquent avec des amis, ayant de la santé, une figure aimable, un esprit juste et modéré, un coeur sincère et noble, crut qU'il pouvait 1 être heureux.". Présentation qui suggère déjà le destin du héros. Il Y a ici anacoluthe:

l'accumulation des qualités est rompue brus-

quement par le verbe crut, soulignant l'opposition de la vertu avec le bonheur, opposition qui marquera l'action tout au long, lui imprimant un mouvement d'oscillation d'un effet comique. Le décor ne comporte aucune description de paysage.

Zadig est

né à Babylone, se rend en Egypte, parcourt l'ftxabie et revient à Babylone. L'intrigue se passe donc en Orient, l'Orient dont la vogue atteint son apogée au XVIIIe siècle. de Louis XV.

La cour de Moabdar est la caricature de celle

Comme le dit Verdun L. Saulnier dans son édition critique,2

Zadig est "l'anti-Versailles" où le thème principal est constitué par "les intrigues de cour et les caprices des rois." Il est ainsi plus facile pour Voltaire de mettre ses critiques dans la bouche d'un Arabe, comme Montesquieu avait mis les siennes dans celle d'un Siamois dans Les Lettres persanes. Zadig porte la responsabilité de son malheur, puisque celui-ci est causé par sa vertu.

Dans le premier episode (ilLe Borgne"), il perd un

1 Voltaire, Romans et contes: op. cit., p. 31. 2 Voltaire, Zadig ou la destinée, édition critique de Verdun L. Saulnier (Genève: Droz, 1956), p. XII.

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oeil en portant secours à Sémire qui, à cause de cela, le quitte pour épouser l'homme qui l'a blessé.

Il souffre donc du fait de son coura-

ge, mais il ne profite pas de ses expériences.

De

m~e,

l'incident du

cheval dans le deuxième épisode est une récidive de celui de la chienne. C'est alors qu'il croit avoir compris et tire une conclusion erronée, soulignée par le paradoxe qu'il est "dangereux" d'être "trop savant": "Zadig vit combien il était dangereux quelquefois d'être trop savant, et se promit bien, à la première occasion, de ne point dire ce qU'il avait vu.".l Il refuse .àOllQ d'admettre qu'il a été témoin de la fuite d'un prisonnier.

Il en est encore puni.

Cet incident est construit

selon le modèle des deux premiers, mais il en est l'inverse. n'avait pas vu mais fait croire qu'il avait vu.

Zadig

Cette fois-ci, il a vu

mais nie avoir vu. L'action est suspendue, à la fin de plusieurs chapitres de ce conte, pour permettre à Zadig de faire de fréquents retours en arrière. Mais, tout en faisant le point sur les aventures malheureuses qui lui sont arrivées, Zadig marque son détachement de son propre destin et son impersonnalisation. A la fin du troisième épisode "L'Envieux":

"'Grand Dieu!

dit-il en lui-même, qu'on est à plaindre quand on se promène dans un bois où la chienne de la reine et le cheval du roi ont passé! qu'il est dangereux de se mettre à la fenêtre! et qu'il est difficile d'être heureux dans cette vie! tI,. 2

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 37. 2 Ibid., p. 37.

- 38 -

Les faits qu'il rapporte sont reels en ce qui le concerne, mais ils deviennent absurdes quand il les transforme en axiomes applicables à l' humani te entière.

Les formes impersonnelles "on", "il est dange-

.

"

reux", "il est difficile" complètent l' impersonnalisation du personnage. A la fin du huitième episode:

o vertu!

"'Qu'est-ce donc que la vie humaine?

à quoi m'avez-vous servi? Deux femmes m'ont indignement trompe;

la troisième, qui n'est point coupable, et qui est plus belle que les autres, va mourir!

Tout ce que j'ai fait de bien a toujours ete pour

moi une source de maledictions, et je n'ai ete eleve au comble de la grandeur que pour tomber dans le plus horrible precipice de l'infortune. Si j'eusse ete mechant comme tant d'autres, je serais heureux comme eux. ",.1 Dans cette evaluation objective de son destin, Zadig etablit un faux rapport de degres entre la beaute et le bonheur merite, entre la vertu et le malheur. clusion:

Et encore une fois, il en tire une fausse con-

le mal doit être source de bonheur.

A la fin du treizième episode:

""Quoi! disait-il, quatre cents

onces d'or pour avoir vu passer une chienne! condamne à être decapite pour quatre mauvais vers à la louange du roi! prêt à être etrangle parce que la reine avait des babouches de la couleur de mon bonnet! reduit en esclavage pour avoir secouru une femme qu'on battait; et sur le point d'être brille pour avoir sauve la vie à toutes les jeunes veuves arabes?'''.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 50. 2 Ibid. , p. 63.

2

- 39 -

Ici, Zadig réitère son détachement, et son impersonnalisation est de nouveau obtenue par l'effet de la forme impersonnelle des verbes sans suj ets précis:

des infini tifs passés ("avoir vu", "avoir secouru",

l'

"avoir sauvé"), des infinitifs à la forme passive introduits par des adjectifs ou des participes passés ("condamné à être décapité", "prêt à être étranglé", "sur le point d'être brillé").

Ce faisant, il déforme

les faits et suggère que ses malheurs proviennent d'actes anodins, ou sont la conséquence directe de bonnes actions.

Ainsi ses deux derniers

malheurs ont pour cause le bien qu'il a prodigué aux femmes en général, "une femme" et "toutes les jeunes veuves arabes" généralisant les deux femmes qu'il a eu l'occasion de secourir. A la fin de l'épisode du basilic, c'est Voltaire qui intervient pour évaluer la situation à la place de Zadig, puisque ce dernier ignore qu'on a l'intention de l'empoisonner:

"Ainsi, après avoir été toujours

puni pour avoir bien fait, il était prêt de périr pour avoir guéri un seigneur gourmand.".l Voltaire emploie toujours la forme impersonnelle des verbes à l'infinitif passé pour énoncer le malheureux destin de Zadig qui est "toujours puni pour avoir bien fait". Enfin, à l'issue de l'épisode sur les combats:

"Il lui échappa

enfin de murmurer contre la Providence, et il fut tenté de croire que tout était gouverné par une destinée cruelle qui opprimait les bons et

l Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 74.

- 40 -

qui. faisait prospérer les chevaliers verts.".l La périphrase "chevaliers verts", qui a ici le sens généralisé de mauvais, est absurde, mais l'élément de vérité (Itobad a porté l'armure verte au cours de la joute) en masque l'absurdité. L'expression est étroitement liée à l'action et au caractère ambivalent de Zadig, vertueux et malheureux. dispute à propos du griffon:

Ainsi, dans l'incident de la

"Zadig voulut les accorder en leur disant:

'S'il Y a des griffons, n'en mangeons point; s'il n'yen a point, nous en mangerons encore moins; et par là, nous obéirons tous à Zoroastre. ",.2 Le deuxième point de l'alternative "S'il n'yen a point, nous en mangerons encore moins" est à la fois absurde et vrai. Et encore à propos des griffons:

'liA quoi tient le bonheur!

Tout

me persécute dans ce monde, jusqu'aux êtres qui n'existent pas. "' •.3 Le paradoxe marqué par l' anti thèse "êtres" "qui n'existent pas" est justifié par les faits et illustre l'impossibilité de Zadig de trouver le bonheur. Alors qu'il est ministre:

"On l'admirait, et cependant on l'aimait.".

La contradiction contenue dans la conjonction "cependant" donne au verbe "admirait" un sens péjoratif plus proche de:

enviait.

"Tout le monde fut pour lui, non pas parce qu'il était dans le bon chemin, non pas parce qu'il était raisonnable, non pas parce qu'il était

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 78. 2 Ibid., p. 37. 3 Ibid., p. 38. 4 Ibid., p. 44.

4

- 41 -

aimable, mais parce qu'il était premier vi~ir.".l La répétition reprises de "non pas parce qu'il" procède déj 13.

13.

13.

trois

la préparation de la

prochaine réduction comique du bonheur et de la vertu en malheur, réduction qui est humoristiquement explicitée dans cette affirmation:

"Le

malheur de Zadig vint de son bonheur même et surtout de son mérite.". 2 Considérons le passage concernant la duplicité de la femme de l'envieux: La femme de l'envieux s'y présenta des premleres; elle lui jura par Mithra, par Zenda-Vesta, et par le feu sacré, qu'elle avait détesté la conduite de son mari; elle lui confia ensuite que ce mari était ÙD.jaloux, un brutal; elle lui fit entendre que les dieux le punissaient en lui refusant les précieux effets de ce feu sacré par lequel seul l'homme est semblable aux immortels: elle finit par laisser tomber sa jarretière; Zadig la ramassa avec sa politesse ordinaire; mais il ne la rattacha point au genou de la dame; et cette petite faute, si c'en est une, fut la cause des plus horribles infortunes. Zadig n'y pensa pas, et la femme de l'envieux y pensa beaucoup. 3 L'anacoluthe:

"elle finit par laisser tomber sa jarretière", proposition

indépendante rejetée

13.

la fin de la première phrase très longue, est,

par ce fait même, mise en valeur et révèle l'intention réelle de la femme de l'envieux, intention qui contredit ses discours vertueux précédents. Par ailleurs, l'antithèse entre "petite faute",qui est en réalité un acte de réserve vertueux et le résultat "des plus horribles infortunes", met

l Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 45. 2 Ibid., p. 47. 3 Ibid., p. 46.

- 42 -

l'accent sur l'imprévisibilité du destin.

Dans la dernière phrase, le

même verbe "pensa", décrit des réactions opposées. Le billet d'Astarté portant: va vous arracher la vie!

"Fuyez, dans l'instant même, ou l'on

Fuyez, Zadig; je vous l'ordonne au nom de notre

amour et de mes rubans jaunes. ,,1

Le tragique de la situation est allégé

par l'addition de "mes ruba.ns jaunes", détail. insolite faisant antithèse avec le ton dramatique de l'énoncé précédent "au nom de notre amour". Dans l'épisode de la femme battue, le courage de Zadig, se portant au secours de Missouf apparaît comme criminel, et quand Missouf appelle de nouveau à l'aide, "'A d'autres! répond-il; vous ne m'y attraperez plus. "',

2

ce retournement d'attitude, comme celui dans l'épisode du

prisonnier, du chien et du cheval, provient du jugement implicite que la même action causerait le même effet. Mais pour une fois, le refus de Zadig d'aider Missouf va contribuer à son bonheur (sans qu'il s'en doute à ce moment-là), puisque c'est ce qui va permettre à Zadig et Astarté de se marier legalement.

Ainsi le renoncement de Zadig au bien

lui apportera le bonheur. L'épisode du pêcheur se conclut ainsi:

"Ils se separèrent:

le

pêcheur marcha en remerciant son destin, et Zadig courut en accusant toujours le sien." 3 La juxtaposition des deux propositions independantes, construites symetriquement, souligne les reactions opposees du

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 50. 2 Ibid. , p. 53. 3 Ibid., p. 68.

._-----_._--_.- !

- 43 -

pêcheur et de Zadig et accuse la vivacité du récit, qualité caractéristique de l'art voltairien. Dans l'épisode sur les combats:

"Les domestiques l'avaient persuadé

qu'un homme comme lui devait être roi; il leur avait répondu: comme moi doit régner'.". l tiques lui avaient dit.

'Un homme

Itobad répète mécaniquement ce que ses domes-

La reprise approximative de "un homme comme moi

doit régner", prolonge comme par un écho les paroles des domestiques: "un homme comme lui devait être roi".

Cette phrase prend l'apparence d'un

leitmotiv qui réduit cet imbécile à l'état de marionnette et sert à le désengager de sa défaite finale. L'épisode de l'ermite est très important car le thème philosophique y est exposé.

Les incidents dont Zadig est témoin ont le même caractère

ambivalent que ses aventures.

Chacune des actions de Zadig avait une

valeur différente dans le présent et dans le futur.

Ainsi l'envieux

avait été la cause immédiate de la disgrâce de Zadig, mais si la rupture entre le roi et Zadig n'avait pas été précipitée, le roi n'aurait pas été éliminé et Zadig n'aurait pu épouser Astarté.

Nous avons aussi vu

comment le refus d'aider Missouf, bien qu'apportant le malheur à Zadig dans le présent immédiat, fut la cause à longue échéance de son bonheur. Ainsi, les méchants réussissent sur le moment à réaliser leurs mauvais desseins, mais leurs actes à la longue s'avèrent bénéfiques.

Dans le

même ordre d'idée, les actions de l'ermite qui paraissaient méchantes étaient bonnes.

Cependant quand l'ermite se transforme en ange, la pro-

testation de Zadig "Mais . • . ,,2 restera sans réponse.

l Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 76. 2 Ibid., p. 83.

- 44 -

De retour à Babylone, Zadig n'est plus posé en victime et on assiste à un retournement complet de la situation.

Tous les personnages sont

récompensés à l'exception de l'envieux qui meurt de colère.

Leur bonheur,

final parodie le dénouement heureux d'une tragédie conventionnelle et le lecteur n'est même pas ému du sort de l'envieux, puisque celui-ci continue à éprouver de la colère jusqu'au moment de sa mort. Les éléments discordants, vertu et malheur, qui ont été en constante opposition tout le long du récit, atteignent enfin à leur harmonisation finale dans les deux simples propositions parallèles de la fin du conte: "On bénissait Zadig, et Zadig bénissait le cie1.".1

Cosi-Sancta Ce conte a été rédigé chez la duchesse du Maine à la cour de Sceaux où Voltaire, déçu par VersaiLe:i, s'était réfugié en 1747.

Il ne fut

cependant publié que dans la première édition posthume, dite de Kehl, en 1784. C'est une attaque contre l'Eglise catholique où l'auteur va nous démontrer que l'Eglise fait équivaloir le bien et le mal puisqu'elle canonise parfois ceux qui ont mené une vie immorale.

L'équivalence de

ces deux contraires est mise en évidence dans le sous-titre:

"Un petit

mal pour un grand bien"Z qui va d'ailleurs servir d'épitaphe à CosiSancta à la fin du conte.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 85. Z Ibid., p. 702.

- 4S -

L'héroine est décrite par son nom: presque une sainte. étrange avenir:

une fille très vertueuse,

Le curé-diseur de bonne aventure lui prédit son

'''Ma fille, ta vertu causera bien des malheurs; mais

tu seras un jour canonisée pour avoir fait trois infidélités à ton mari. "'. l

Ainsi sa vertu produira le malheur et le mal causera le bien.

C'est le schème, déjà mis en évidence dans Zadig, que nous retrouvons ici.

La première expérience de Cosi-Sancta vérifiera la première par-

tie de la prédiction:

"Cosi-Sancta avait donc vu assassiner son amant

et était près de voir prendre son mari; et tout cela pour avoir été ver t ueuse. " • 2 Ensuite, elle s'abandonne passivement à son destin, marquant ainsi son détachement de son propre sort.

Voltaire ne lui permet aucune

réaction, si ce n'est de s'étonner puis de se résigner. Et la prédiction du curé s'accomplit en son entier:

"Ainsi Cosi-

Sancta pour avoir. été trop sage, fit périr son amant et condamner à mort son mari, et, pour avoir été complaisante, conserva les jours de son frère, de son fils, et de son mari.".3 Voltaire nous a donc démontré ce qui paraissait d'abord un paradoxe:

Cosi-Sancta a été canonisée à

ca~se

de ses infidélités, alors

que sa vertu n'avait causé que des malheurs.

l Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 698. 2 Ibid. , p. 700. 3 Ibid., p. 702.

- 46 -

Memnon (1749) Le personnage de Memnon est caractérisé par l'épithète "sage", qui accompagne son nom à plusieurs reprises, seul élément susceptible de nous intéresser, puisqu'il constitue la motivation de ce conte. Dès l'introduction du récit, Voltaire dénonce l'absurdité du plan du héros qui va provoquer lui-même ses malheurs par sa sotte prétention à atteindre une perfection irréalisable:

"Memnon conçut un jour le

projet insensé d'être parfaitement sage.".l L'absurdité de la condition pour arriver à ce résultat ". . • Etre sans passions;,,2 est tout de suite dénoncée par l'intervention ironique "Et rien n'est plus aisé, conrrne on sait. ,,3 de Voltaire qui pense naturellement juste le contraire. Son projet insensé comporte l'abstinence de l'amour et de l'alcool, la modération dans ses désirs pour conserver sa fortune et ses amis. Voltaire procède alors immédiatement à la réfutation de "son petit plan de sagesse":

"Ayant fait ainsi son petit plan de sagesse dans sa

chambre, Memnon mit la tête à la fenêtre.".4 L'opposition, entre son plan théorique et chimérique et sa réalisation impossible, est ici bien marquée par l'antithèse entre les deux perspectives de l'intérieur et de l'extérieur:

"dans sa chambre", "mit la tête à la fenêtre".

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 111. 2 Ibid. , p. 111. S

Ibid. , p. lll.

4 Ibid. , p. 112.

- 47 -

L'antithèse est sans conteste un des moyens favoris du matériel stylistique de Voltaire et nous en trouvons une autre un peu pius loin: "La dame affligée le mena dans une chambre parfwnée, . . • ".1 L'identité de sons "ée" cache la contradiction des termes "affligee" et "parfwnee". Comme nous l'avons vu pour

Zaè~~,

un autre procedé favori de Voltaire

consiste dans les bilans rapides qui font une mise au point de l'action: "Memnon, ayant ainsi renonce le matin aux femmes, aux excès de table, au jeu, à toute querelle, et surtout à la cour, avait été avant la nuit trompe et vole par une belle dame, s'etait enivré, avait joué,

avait~eu

une. querelle, s'etait fait crever un oeil et avait été â la cour, où l'on s'était moque de lui.". 2 Bilan établi en une seule phrase, avec une accumulation de petites propositions très courtes qui souligne la rapidite comique avec laquelle les intentions du "sage Memnon", prises le matin même, sont mises en echec "avant la nuit". L'intervention surnaturelle du "bon génie" detache le lecteur du sort du misérable Memnon, borgne et démuni, en l'écartant de la réalité et du serieux de la situation qui ne comporte en fait ni solution ni conso lation.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 112. 2 Ibid., p. 114.

- 48 -

Le Blanc et le noir (1764) Un seul trait physique caractérise le héros de ce conte: Rustan était fortjOli: II • l

Il

Moralement, il n'a aucun caractère et reste passif devant les événements qu'il subit.

Il tient le rôle d'une victime ridicule,

détaché de lui-même puisque ses conflits se passent, à l'extérieur de lui-même, en la personne de ses deux valets représentant ses deux génies, Topaze et Ebène. Rustan illustre ainsi le thème du conte, la dualité morale de l'homme tiraillé entre le Bien et le Mal.

Il est constamment ballotté

par les interventions successives de ses dëux génies, et ses jugements, extrêmes et contradictoires sur les mêmes situations, le ridiculisent. Il est poussé en avant puis en arrière par des forces inconnues de lui quoique connues du lecteur, qui se trouve ainsi détaché du personnage mais de connivence avec l'auteur. il interprète l'oracle en sa faveur:

"'Je serai prince de

Cachemire; c'est ainsi qu'en possédant ma maîtresse, je ne nossederai pas mon petit marquisat à Candahar.

Je serai Rustan, et je ne le serai

pas, puisque je deviendrai un grand prince:

voilà une grande partie de

l'oracle expliquée nettement en ma faveur, le reste s'expliquera de même; "J. 2 Son erreur vient de ce qu'il veut faire coincider ses désirs avec la réalité et cette erreur, il ne la réalisera que plus tard, quand il sera à Cachemire.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 276. 2 Ibid., p. 272.

- 49 -

Rustan montre son manque de caractère et sa passivité en faisant constamment appel à son esprit du mal, Ebène, qui encourage en lui " ••• la passion et l'esperance.,,:l "Si j'avais Ebène, il me consolerait; et il trouverait des expedients.".2 "Ebène avait raison; mais pourquoi n' est- il pas ici?" 3 ''Mais pourquoi Ebène n'est-il pas auprès de moi?".4 "Ah! Ebène, mon cher Ebène! où êtes-vous?".5 La dualite du personnage et l'intervention alternee des deux génies impriment à l'action un mouvement oscillatoire d'un effet comique.

Il

y a constamment dans l'action, une impression de progression, suivie de regression,qui nous amuse. D'autre part, tout le long du recit, nous evoluons dans le monde du merveilleux et de la fiction des Mille et une Nuits et nous assistons à des evenements miraculeux, comme l'apparition d'un beau pont de marbre qui disparaît un moment après, l'elevation, sous les yeux des voyageurs, d'une montagne qui s'ouvre peu après à sa base, leur livrant le passage



au moyen d "'. • . une longue galerie en vollte, éclairée de cent mille 6 flambeaux, • • .".

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 270.

2 Ibid. , p. 272. 3 Ibid. , p. 272.

4 Ibid. , p. 273. 5 Ibid. , p. 273. 6

Ibid. , p. 273.

- 50 -

Le lecteur est tout surpris à la fin du recit de s'apercevoir qu'il s'est laissé aller à un somme et a fait un rêve en même temps que Rustan. Voltaire le réveille ainsi que son héros, et la conclusion de cette lutte entre le bien et le mal est fournie par la confrontation avec la Réalité. Mais le lecteur, au contraire de Rustan, ne connaîtra pas le fin mot de l'histoire.

Il sera dupé une deuxième fois puisque la partie du manus-

crit où se trouvait l'histoire du perroquet n'a pas été retrouvée.

III - Nous arrivons maintenant aux contes où les personnages interprètent la réalité en fonction d'une idée fixe dont ils sont possédés.

Ils sont

ridiculisés aussi longtemps qu'ils sont réfractaires à la verité, (qui est bien entendu la vérité de Voltaire), parce qu'ils essaient de l'ajuster à leur idée fixe.

Leur nature de marionnettes est semblable à celle

des personnages des deux premiers groupes, mais ils sont plus complexes du fait de leur dualité intérieure. costume et à leur maquillage.

On a porté plus de soin à leur

Ils font partie du même monde à deux di-

mens ions de la "commedia dell'arte" et, comme le dit Pierre Grimal dans son édition critique de Zadig, "Il suffit de changer -- bien peu -- le costume de la marionnette, pour qu'elle resserve d'une pièce à l'autre.".l L'observateur du groupe un, la victime passive du groupe deux comme

1 Voltaire, Zadig, Micromégas et autres contes (Paris: p. 32.

Colin 1961),

I-

I

!

- 51 -

celle du groupe trois sont des instruments de la réfutation ironique de Voltaire mais, alors que les deux

premierspé:i:'S/l)~ages::ni"ont.pas;"del"valeur

sèque, le troisième est une fin en soi puisqu'il est lui-même objet de satire.

Son détachement provient de sa vision dirigée exclusivement

dans le sens de son idée fixe et le lecteur "éprouve peu ou pas de sympathie à son égard, puisque, du fait de son idée fixe, il est seul responsable des catastrophes qu'il subit.

Candide (1759) Nous avons vu jusqu'à présent que Voltaire n'essaie pas dans ses contes de prêter à ses personnages une vie indépendante.

Ils sont méca-

niquement passifs " . . . pensés plutôt que vus et pensés non individue1lement mais en fonction d'une idée générale; ce sont des marionnettes sans volonté, . . . ,(qui) obéissent au dessein secret de l'auteur; ils 1 sont des éléments de sa démonstration.". Nous avons aussi démontré que pour arriver à cet effet, Voltaire ne donne presque pas de détails sur leur apparence physique et quand il le fait c'est visiblement dans un but philosophique.

Il en est de même

pour Candide. Ainsi tout ce qu'on dit sur la physionomie de Candide est qu'elle "

. annonçait son âme.". 2 Par contre, la description frappante de son

1 Voltaire, Contes et romans, édition de Philippe Van Tieghem, 4 tomes, Tome l (Paris: éditions Fernand Roches, 1930), p. ~x. 2 Voltaire, Contes et romans, op. cit., p. 179.

intrin-

- 52 -

corps, après les mauvais traitements qui lui sont infligés par le régiment de l'armée bulgare, met l'accent sur les horreurs de la guerre: "Cela lui composa quatre mille coups de baguette, qui depuis la nuque du cou jusqu'au cul, lui découvrirent les muscles et les nerfs.".l Il y a autour de Candide toute une escorte de personnages principaux:

Cunégonde, Pangloss, Martin, la vieille,Cacambo. La vulgarité suggestive de la description de Cunégonde et la sono-

rité même de son nom font prévoir son rôle dans le conte.

Cunégonde

jeune, ". . . âgée de dix-sept ans • • • haute en couleur, fraîche, grasse, appétissante. ,,2 fait contraste avec Cunégonde vieillie " . . . rembrunie, les yeux éraillés, la gorge sèche, les joues ridées, les bras rouges et écaillés, •.• ".3 Pangloss, dont on ne possède à aucun moment le portrait physique, est décrit d'une manière saisissante, lorsque son corps est dévoré par la syphilis et cette description pleine d'humour ridiculise et dégrade le représentant de l'optimisme:

"

. un gueux tout couvert de pustules,

les yeux morts, le bout du nez rongé, la bouche de travers: les dents noires, et parlant de la gorge, tourmenté d'une toux violente, et crachant une dent à chaque effort.". 4

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit. , II: 2 Ibid., 1:

p. 179.

3

Ibid., IXX:

p. 255.

4

Ibid. , III:

p. 185.

p. 182.

'1

- 53 -

Par ailleurs, les personnages manquent de consistance psychologique.

Ils incarnent des idées et sont réduits à des types humains.

Il

y a par exemple le Baron allemand, le Noble espagnol, l'Inquisiteur, le Jesuite.

Ce sont des comparses que Voltaire fait surgir au bon moment

pour les faire rentrer en coulisse, aussitôt leur r6letermine.

Ainsi

le baron, la baronne, le gouverneur de Buenos-Ayres, l'Inquisiteur, Po co curant e, Vanderdendur (pour ne citer que quelques-uns) ne possèdent aucune vie propre.

Ils ne sont que des silhouettes, se mourant devant

un décor qui défile, telles les ombres de sa lanterne magique. crit leurs caractères d'une manière élémentaire.

Il dé-

Comme le dit Belles-

sort:

"Les personnages seront simples.

Trop de complexité nous gêne-

rait.

Ils ne représentent qu'une tendance de notre esprit, un

asp~ct

de notre intelligence, une qualite isolée, un travers, une attitude.".

1

La presentation de ses personnages, Voltaire nous la fait, ou bien dès la première rencontre, ou bien au moment où les personnages prennent de l'importance dans le recit.

Quand i l nous présente Jacques:

"Un

homme qui n'avait point eté baptisé, un bon anabaptiste, nomme Jacques, • . .,,2 . Pococurante:

"Le maître du logis, homme de soixante ans, fort

riche, reçut très poliment les deux curieux, mais avec très peu d'empressement, . . . ".3 Au contraire, l'image du fils du baron n:est precisée. qu'au chapitre XIX:

"C'etait un très beau jeune home, le visage plein,

1 Andre Bellessort, Essai sur Voltaire (Paris: Perrin, 1925), p. 237. 2 Voltaire, 3 Ibid., XXV:

librairie academique

Romans et contes, op. cit., III: p. 184. p. 242.

assez blanc, haut en couleur, le sourcil relevé, l'oeil vif, l'oreille rouge, les lèvres vermeilles, l'air fier, mais d'une fierté qui n'était ni celle d'un Espagnol ni celle d'un Jésuite.".l Alors qu'au chapitre I, il en disait simplement:

"Le fils du baron paraissait en tout digne de

son père. ,,2. Quelquefois leurs noms seuls les décrivent et contribuent à cette mécanisation qui met en scène les marionnettes qu'ils désignent: Thunder-ten-~~

du baron allemand.

ainsi

admirablement le snobisme et l'arrogance bruyante

De même, l'auteur ridiculise à merveille le noble

espagnol, qui se pavane un moment sur scène, en l'affublant du nom claironnant de Don Fernando D'Ibaraa y Figueora, y Mascarenes, y Lampourdos, y Souza.

Certains personnages ne portent même pas de nom:

baron, la vieille, le grand inquisiteur, l'abbé périgourdin.

le fils du Des compar-

ses épisodiques ne sont là que pour présenter les idées de l'auteur: ainsi le vieux savant de l'Eldorado parlant de Dieu, de la religion et des prêtres (XVIII, 218), l'esclave noir de Surinam dénonçant la brutalité et l'hypocrisie de l'homme blanc (XIX, 222), le vieillard turc se désintéressant des affaires publiques et se contentant de cultiver son jardin (XXX, 258), le familier de l' Inquisition et ae problème du mal CV, 190), les six monarques et la vanité des grandeurs (XXV, 248-9). Ce qui fait en partie le manque de profondeur des personnages est l'absence d'analyses de leurs sentiments et de leurs pensées, mises à

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit. XIX: 2 Ibid., I:

p. 179.

p. 208.

- 55 -

part quelques indications si brèves et superficielles qu'elles renforcent plutôt leur peu de consistence.

Le personnage de Candide (pour

n'en citer qu'un) nous en fournit plusieurs exemples.

Après l'autodafé:

"Candide, épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même:".l Son raisonnement à l'arrivée soudaine de 1 ' Inquisi teur:

"Voici dans ce moment ce qui se passa dans l'âme de

Candide et comment il raisonna:".2 Ses doutes sur le système de Pangloss, en écoutant les aventures malheureuses des hommes de Surinam: geait à Pangloss à chaque aventure qu'on lui contait.

'Ce Pangloss,

disait-il, serait bien embarrassé de démontrer son système. ",. sa rencontre avec le "bon vieillard" turc:

"I1 son-

3

Après

"Candide, en retournant dans

sa métairie, fit de profondes réflexions sur le discours du Turc.".4 Et pourtant, en dépit de cette absence d'épaisseur psychologique des personnages, Voltaire parvient à nous y intéresser. marionnettes restent malgré tout vivantes.

C'est que ces 5 Comme le dit Bellessort:

" . • . Il est nécessaire qU'ils aient assez de substance humaine pour incarner ce qU'ils représentent.".

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VI: 2 Ibid. , IX:

p. 196.

3 Ibid. , XIX:

p. 225.

Ibid. , XXX:

p. 258.

4

4 André Bellessort,

°E· cit., p. 238.

p. 191.

- 56 -

Ce ne sont que des esquisses certes, mais Voltaire a l'art de bien placer ses coups de crayon.

En quelques mots bien choisis, il campe un

personnage qu'on n'est pas près d'oublier.

A~nsi

la description de

Pangloss (que nous avons déjà rapportée page 52), quoique exagérée, n'estelle pas frappante et n'a-t-onpas l'impression de le voir surgir devant nous comme une apparition? Il excelle en deux ou trois mots à rapporter les particularités du métier et de la race. de son état ou de sa nation.

"Chacun a le pli, l'accent

La psychologie des professions et la

psychologie ethnique sont très observées et précises chez 1ui.".1 Le seul trait de Don Fernando d' Ibaraa y .". . ". . . relevant sa moustache, .

,,2 campe merveilleusement sa silhouette.

Les caractéris-

tiques du matelot sont bien dépeintes: "Le matelot disait en sifflant . . '" 3 Et plus loin: et en jurant: , Il Y aura que1que chose a... gagner ~c~. "'Tête et sang, ••. , je suis matelot et né à Batavia; j'ai marché quatre fois sur le crucifix dans quatre voyages au Japon; tu as bien trouvé ton homme avec ta raison universelle! Il,. 4 L'attitude du capitaine de la galère turque, marchandant avec Candide la rançon de Pangloss et du fils du baron, est bien particulière à son état:

"Chien de chrétien,

. • . , puisque ces deux chiens de forçats chrétiens sont des barons et

1 Gustave Lanson, Voltaire, 2e édition (Paris: 1910), p. 153. 2 Voltaire,

Romans et contes, ?p. cit., p. 205.

3 Ibid. , V:

p. 189.

Ibid. , V:

p. 189.

4

librairie Hachette,

- 57 -

des métaphysiciens, ce qui est sans doute une grande dignité dans leur pays, tu m'en donneras cinquante mille sequins.". 1 La fierté du sang apparatt bien dans le refus du fils du baron au consentement du mariage de sa soeur avec Candide:

"Vous, insolent!, • . . , vous auriez l'impu-

dence d'épouser ma soeur qui a soixante et douze quartiers!

Je vous

trouve bien effronté d'oser me parler d'un dessein si téméraire!".2 Ainsi les personnages sont animés d'une vie provisoire qui va leur permettre de remplir leur mission polémique aussi bien que comique. Par un ou plusieurs traits qui leur sont à maintes reprises attribués, l'auteur arrive à leur donner une certaine épaisseur qui fait illusion. Ainsi pour Candide qui en est dupe, Cunégonde reste le symbole de la pureté, mais les détails que Voltaire nous apporte, comme en tout innocence, nous la font voir comme la personnification même du désir animal. Elle n'est peut-être pas aussi fâchée qu'elle le dit à Candide d'avoir 3 " •.• été violée autant qu'on peut l'être;". Une sorte de fatalité de sensualité pèse sur l'héroine et l'automatisme de cet élément de sensualité, répété à chaque fois que Cunegonde est en scène ou qu'on parle d'elle, provoque notre rire. Quand elle raconte à Candide après l'autodafé ses malheurs,4 elle insiste sur la taille du Bulgare qui l'a violée: haut de six pieds, . . . Il •

Un peu plus loin, elle décrit les attraits

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., XXVII: , c 2 Ibid. , XV:

p. 210.

3

Ibid. , IV:

p. 185.

4

Ibid. , VIII:

p. 193.

"Un grand Bulgare,

p. 252.

- 58 -

physiques du capitaine qui fait d'elle sa maîtresse:

"Et je ne nierai

pas qu'il ne fat très bien fait, et qu'il n'eUt la peau blanche et douce.".l Puis elle s'attendrit sur la peau de Candide, dont elle compare la blancheur et l'incarnat à celle de son capitaine bulgare:

"Je

vous dirai, avec vérité, que votre peau est encore plus blanche, et d'un incarnat plus parfait que celle de mon capitaine des Bulgares.". 2 "Commençons par souper.", 3 dira-t-elle enfin, et cette omission comique montre bien que c'est ce qui suivra, sur " . . . ce beau canapé dont on a déjà parlé;,,4 (puisque c'est celui-là même où elle s'était déjà retrouvée avec les deux maîtres de la maison), qui est le réel objet de son désir. "Où trouver des inquisiteurs et des juifs qui m'en donnent d'au-

tres.?,,5 sera sa

.,....

prem~ere preoccupat~on,

de ses pistoles et de ses diamants.

quand eIels' apercevra du vo 1

Enfin, c'est sans scrupules qu'elle

deviendra la maîtresse du gouverneur de Buenos-Ayres ". . • qui a une très belle moustache;".6 Comme le dit Jean Sareil,7 un tel portrait ne

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VIII:

p. 193.

2 Ibid. , VIII: p. 194. 3 Ibid. , VIII:

p. 195.

4 Ibid. , VIII:

p. 195.

5 Ibid. , X:

p. 197.

6 Ibid. , XIII:

p. 205.

7 Jean Sareil, Essai sur Candide (Genève:

Librairie Droz, 1967).

'!".

résiste pas à l'analyse.

59 ....

Il possède cependant une certaine complexité

qui le fait paraître vivant.

Une remarque burlesque comme:

"Une per-

sonne d'honneur peut être violée une fois, mais sa vertu s'en affermit.",l de l'inconséquente Cunégonde, n'a aucun sens, mais demeure irrésistible de drôlerie. Il en est de même pour Pangloss.

Il est en fait une espèce d'être

monstrueux, inhumain, qui représente bien le métaphysicien plein de partipris, sans aucun contact avec la réalité.

Il devient une sorte de robot,

de machine à raisonner désincarnée qui, à la pression des événements, même les plus catastrophiques, laissera échapper une formule, toujours la même:

"Tout est bien".

Il est certainement le personnage le plus

ridicule-du conte, cas typique de la déformation et de l'exagération réalisées par Voltaire dans un but de satire .. Il est l'incarnation d'un système philosophique que l'auteur veut ridiculiser, et il y réussit à merveille.

Les exemples, qui démontrent l'échec de la philosophie opti-

miste se heurtant aux faits, fourmillent dans le conte. que quelques-uns.

N'en citons

Pangloss affirme en parlant de la vérole:

"C'était

une chose indispensable dans le meilleur des mondes, un ingrédient né.

cessa~re

" 2 ..••

Après que le bon anabaptiste Jacques se fut noyé, Candide veut essayer de le sauver:

"Le philosophe Pangloss l'en empêche, en lui

prouvant que la rade de Lisbonne avait été formée exprès pour que cet

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VIII: 2 Ibid. , IV:

p. 186.

p. 193.

- 60 -

anabaptiste s'y noyât. II •1 Après le tremblement de terre de Lisbonne, Pang10ss console les citoyens

Il

ne pouvaient être autrement:

'Car, dit-il, tout ceci est ce qU'il y a





En les assurant que les choses

de mieux; car s'il y a un volcan à Lisbonne, il ne pouvait être ailleurs; car il est impossible que les choses ne soient pas où elles sont; car tout est bien. III. 2 Au contraire des autres personnages de Candide, il ne tire pas profit de ses expériences.

Il n'est d'accord sur le jardin à cultiver que

pour prouver son énoncé

Il.





Que 1 'homme n'est pas né pour le repos. Il,

et jusqu'à la fin i l démontrera que IITout est bien ll • t-i1 comiquement à Candide:

Il

3

Autrement, dira-

. • Vous ne mangeriez pas ici des cédrats

confits et des pistaches. II .4 Il aura donc été ridicule jusqu'à la fin. A ce trait de caractère d'incorrigible bavard aux vains discours, qui est le propre des métaphysiciens, Voltaire en juxtapose un autre, sans aucun lien avec le premier, mais qui renforce son ridicule. est aussi coureur de jupons impénitent.

Pang10ss

Il est ainsi doublement objet

de satire, par l'aveuglement de son principe philosophique et par ses débordements sexuels.

C'est ainsi que son côté monstrueux est souligne

par la description de son corps ravagé par la syphilis.

1 Voltaire, Romans et contes, op. dt., V: 2 Ibid. , V:

p. 189.

3

Ibid. , XXX:

p. 259.

4

Ibid. , XXX:

p. 259.

p. 188.

- 61 -

La naiveté de Candide, de son côté, le réduit lui aussi, du moins dans une grande partie du conte, à un type.

Par~là

il n'est pas humain,

puisque cette réduction à un seul trait de caractère n'existe pas dans la vie.

Pourtant la naiveté est une des caractéristiques de l'homme,

et, dans ce sens, Candide reste un représentant de l'humanité dont nous faisons partie. Ce ou ces traits de caractère, appliqués aux personnages, donnent cet élément de rigidité, propre aux marionnettes, qui fait que les protagonistes, exception faite de la conclusion du conte,' n'évoluent pas et que leurs traits sont figés une fois pour toutes, semblables en cela aux comédiens porteurs de masques des pièces grecques de l'antiquité. La vieille et Cacambo, entre autres, en sont une illustration.

La

prudence et la sagesse pratique de la vieille sont constamment rappelées:

"Elle était fort prudente, • • .",1 "Tandis que la vieille par-

lait avec toute la prudence que l'âge et l'expérience donnent ••

." .2

Cacambo, avec sa fidélité vigilante, est une espèce de pendant de la vieil4 . " , 3 "Cacambo ne perdait jamais la tête.", le: "Le vigilant Cacambo "Cacambo, qui donnait toujours d'aussi bons conseils que la vieille, •.• ",5

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit. , IX:

2 Ibid. , XIII:

p. 205.

3 Ibid. , XVI:

p. 211.

Ibid. , XVI:

p. 213.

5 Ibid. , XVI:

p. 213.

4

p. 196.

- 62 -

.

"

Le fidèle Cacambo . • " , 1 "

"

Le prudent Cacambo • . . ".3

. • Son agent fidèle . . ." , 2

Au début du récit, le personnage de Candide ne fait pas exception. L'innocence naive le caractérise et ce trait est donné dès son introduction au début du conte.

"Sa physionomie annonçait son âme.

Il

avait le

jugement assez droit, avec l'esprit le plus simple; c'est, je crois, pour cette raison qu'on le nonnnait Candide.".4 "Candide écoutait attentivement et croyait innocemment.".5 "Le jeune homme baisa innocemment la main de la jeune demoiselle. . .". 6 Puis ce même trait est constannnent rappelé par la suite. de Candide connne ".

Tout

On parle

. · "etonne" stupe"fa1t, • .." 7 " •.. T oUJours

de tout . . .", 8 ". " " . . .", 9 " . . Au bon Candide, • Tout etonne 10 . 11 . Trop pure pour trahir . .", "... Le naif Cand1de.", à l'âme "

1 Voltaire, Romans et contes; op. cit., XXII: 2 Ibid. , XXVII: 3 Ibid. , XXX:

p. 249. p. 256.

4 Ibid. , 1:

p. 179.

5 Thid", I:

p. 180.

6 Ibid. , I:

p. 181.

__

7 Ibid. , II: 8 Ibid., VII:

p. 182. p. 191, XVI:

9 Ibid. , XXII:

p. 230.

10 Ibid. , XXIV:

p. 241.

11

Ibid. , VII:

p. 193.

p. 212.

p. 235, XXVII:

p. 249.

- 63 -

" ' " , 1au" • . • C I oes. .evres, • • . " . , , ••• De 1a ver~te. oeurlsur , 2 qu~.ag~t la manière la plus naive . . •,,3) dont on abuse de ". . . L'innocence •

. ." .4 Au debut du recit, Candide n'a aucune personnalite.

C'est une es-

pèce de cire malleable que Pangloss, Cacambo, la vieille, Cunegonde et les evenements manient à leur gre.

Ce caractère passif est souligne par

le fait que, rappelant en cela Rustan dans Le Blanc et le noir, il est constamment accompagne d'un guide, si on excepte les chapitres II et III qui suivent son expulsion du château.

Et encore là, il est sous la

com~

pIète domination de la philosophie de Pangloss à laquelle il se refère sans cesse:

"Vous avez raison, dit Candide; c'est ce que monsieur Pan5 gloss m'a toujours dit, et je vois bien que tout est au mieux.".

"Maître Pangloss me l' avai t bien dit que tout est au mieux dans ce " 6 mond e, . . .•

Pangloss lui sert donc de guide aux chapitres l, virtuellement II et III, IV à VI, XXVII à XXX.

La vieille femme le conseille aux chapi-

tres VII à XIII, XXIX et XXX.

Cacambo l'accompagne aux chapitres XIV

à XIX, XXI à XXX et Martin aux chapitres XIX à XXX.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., XIII: 2

Ibid. , XIX:

p. 223.

3

Ibid. , VII:

p. 192.

4

Ibid. , XXII:

5 Ibid. , II: 6

Ibid. , III:

p. 236. p. 182. p. 184.

p. 205.

- 64 -

Certains procedes linguistiques soulignent cette passivite. forme passive domine le texte du premier chapitre.

La

Dès le titre:

"Comment Candide fut é1eve dans son beau château et comment il fut chasse d'ice1ui.". 1 Le chap i tre commence par:

"Il y avait. . . un

jeune garçon à qui la nature avait donné les moeurs les plus douces.".

2

La forme impersonnelle "Il y avait" souligne son manque de volonte. De même son caractère est un don de la nature: çai t son âme.". a reçu en don.

3

"

Ses traits ne sont que 1e refl et du caractère qu'il On le nommait Candide.,,:4 De même pour son nom,

passif et neutre comme toute sa personne. à sa famill e:

"Sa physionomie annon-

Même situation passive, quant

" . . . Le rest e de son arbre généalogique avait ete per-

du par l'injure du temps.". 5 Toujours au: premier chapitre, c'est passivement qu'il écoute Pang1oss:

"

Le petit Candide ecoutait ses leçons avec toute la

bonne foi de son âge et de son caractère.". 6 Et plus loin:

"Candide

écoutait attentivement et croyait innocemment.".7 Ensuite, ce n'est pas lui qui agit, mais Cunégonde, qui, après avoir observe " . . . Une

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit. , I: 2 Ibid., I:

p. 179.

3 Ibid. , I:

p. 179.

4 Ibid., I:

p. 179.

5 Ibid., I:

p. 180.

6 Ibid. , I:

p. 180.

7 Ibid. , I:

p. 180.

p. 179.

- 65 -

leçon de physique expérimentale . •

Il

1

que Pangloss donnait à la femme

de chambre de sa mère, et " . . . Toute remplie du désir d'être savante, • • • 11,2 laisse tomber son mouchoir.

tient la main.

C'est elle la première qui lui

Les actions, qui se succèdent alors, en une série de pro-

positions parallèles et absolument symétriques, au passe simple, sont faites comme en dehors de leur volonté:

"Leurs bouches se rencontrèrent,

leurs yeux S'enflammèrent, leurs genoux tremblèrent, leurs mains s'égarèrent.".S Après avoir été expulsé du "plus beau" des châteaux, Il A 4 grands coups de pied dans le derrière;II par monsieur le baron, Candide est toujours victime ou temoin des horreurs de ce monde.

Quand il agit,

ses actions sont involontaires ou necessaires à sa survie. C'est involontairement qu'il tue le fils du baron puis Don Issacar et le Grand Inquisiteur. Pourtant c'est le personnage de Candide qui présente le plus de richesse du point de vue psychologique.

Sa personnalité subit une cer-

taine évolution et s'affirme peu à peu.

De romanesque et inconsistant

qu'il était au début, il finit par acquérir de la volonté et du sens pratique à la fin du conte, où il arrive enfin à formuler une philosophie

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit. , I:

Ibid. , I:

p. 180.

S Ibid. , I:

p. 181.

Ibid. , I:

p. 181.

2

4

p. 180.

- 66 -

qui lui est propre.

Il écarte alors définitivement les préjugés que

lui avait inculqués Pangloss et nous conseille de "cultiver notre jardin", attitude de courage dont nous avons déjà parlé dans l'introduction du chapitre l, page 13. Cette attitude finale de courage résigné, Candide nous y a préparés tout le long du récit où nous sommes témoins de l'évolution de sa personnalité.

Il commence à mettre en doute la théorie de Pangloss

dont il souligne les discours oiseux par les fameux "mais" de Voltaire. Après l'explication de Pangloss sur l'origine des maladies vénériennes, Candide s'impatiente: · f aut vous f a~re

"Voilà qui est admirable, dit Candide; mais il

.,. •• ,,1

guer~r

Pendant l'exposé de Pangloss sur les causes des tremblements de terre, Candide se sent mal:

"Rien n'est plus probable, dit Candide;

mais pour Di eu, un peu d' huil e et de vin.". 2 En partant pour l' Amérique, Candide reconnaît que tout n'est pas bien dans le monde où il vit: "Nous allons dans un autre univers, disait Candide; c'est dans celuilà, sans doute, que tout est bien.

Car il faut avouer qu'on pourrait

gémir un peu de ce qui se passe dans le nôtre

en

physique et en mora-

,,3 l e. .

Après sa rencontre avec l'esclave nègre, avant d'entrer à Surinam, ses doutes sur la théorie de l'optimisme s'accentuent, et il commence

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., IV: 2 Ibid., V:

p. 189.

3 Ibid., X:

pp. 197-8.

p. 187.

- 67 .-

à envisager d'y renoncer:

"Oh! Pangloss! s'écria Candide, tu n'avais

pas deviné cette abomination; c'en est fait, il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme.

- Qu'est-ce qu'optimisme? disait Cacambo.

- Hélas! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal.".l Poursuivant son évolution, après sa rencontre avec le "bon vieillard" turc, il se rend compte qu'il doit agir: dans sa métairie, fit de profondes

réfle~ions

"Candide, en retournant sur le discours du Turc.".2

Finalement (et c'est la conclusion du conte), il replique au discours oiseux de Pangloss:

"Cela est bien dit, • • • mais il faut culti-

ver notre jardin.".3 C'est la grande leçon qu'il a tiree de son expérience.

Mais jusqu'au dernier chapitre, il a subi des événements qui

le dépassaient, il a plié sous les coups du sort qui l'accablaient, sort qui se manifestait sous la forme d'une succession d'épisodes sans aucun lien entre eux, et que Voltaire ne prendra pas la peine de préparer ni de justifier d'un chapitre à l'autre. Au contraire de ce qui se passe dans le roman réaliste, il n'y a aucun décor continu et, quand un lieu est évoqué, c'est pour être changé au chapitre suivant.

C'est toujours l'inattendu qui règne dans

la plupart des contes de Voltaire et en particulier dans celui-ci.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., XIX: 2 Ibid., XXX:

p. 258.

3 Ibid., XXX:

p. 259.

p. 222.

- 68 -

Depuis le début du récit, où Candide a été mis en branle par les coups de pied du baron, il est porté d'une aventure à l'autre, sans que rien ne nous y prépare et sans que sa volonté y soit pour quelque chose. Ainsi il perd Cunégonde, la retrouve inopinément à Lisbonne, très loin de l'endroit où il l'avait laissée en Westphalie, et l'explication de l'auteur est si pleine de désinvolture qu'elle ne cherche à tromper personne.

De la même façon, il n'essaie pas d'expliquer les autres pé-

ripéties qui surviennent à point nommé parce qu'il le veut ainsi pour les besoins de la cause.

Il fait arriver Candide sur la côte portugaise

juste à la veille du tremblement de terre, sur la côte anglaise au moment de l'exécution de l'amiral Byng.

Comme le veut l'auteur, nous ne le

prenons pas au sérieux et nous entrons dans le jeu de Voltaire qui reste bien le meneur de jeu. au thème. fin en soi.

Il en découle que le cadre est constamment soumis

Exotique ou local, fictif ou réel, il ne constitue jamais une L'auteur l'utilise comme un moyen à des fins philosophiques

en vue d'illustrer, renforcer ou faire la satire d'une idée. Ainsi, le cadre est en harmonie avec le ton ironique dont il décrit "

. Le plus beau et le plus agréable des châteaux possibles. ,,1 de

monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh:

'~onsieur

le baron était un

des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres.

Sa grande salle même était ornée

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., I:

p. 181.

- 69 -

d'une tapisserie. lI •

l

La conjonction logique "car" relie deux proposi-

tions dont le rapport est absurde et souligne bien la vanité de l'apparente puissance du baron. Intention ironique encore de la part de Voltaire quand Candide va retrouver Cunégonde après l'autodafé de Lisbonne.

C'est dans le détail

du décor) où va se passer la scène de retrouvailles, que réside l'ironie: Candide est conduit " ••. à· une maison isolée, entourée de jardins et de canaux. ", mené ". • • par un escalier dérobé, dans un cabinet doré, . . •", et laissé ". . • sur un canapé de brocart, . . .". 2 Quand la démonstration de l'auteur l'exige, le décor prend de l'importance.

Ainsi les scènes du naufrage du vaisseau en route pour Lis-

bonne et du tremblement de terre de Lisbonne au chapitre V sont très détaillées parce qu'elles renforcent son intention polémique. De même, la description de l'Eldorado, précise et colorée, sur tout un paragraphe: Ils voguèrent quelques lieues entre des bords tantôt fleuris, tantôt arides, tantôt unis, tantôt escarpés. La rivière s'élargissait toujours; enfin elle se perdàit sous une vofite de rochers épouvantables qui s'élevaient jusqu'au ciel. Les deux voyageurs eurent la hardiesse de s'abandonner aux flots sous cette vofite. Le fleuve, resserre en cet endroit, les porta avec une rapidité et un bruit horrible. Au bout de vingt-quatre heures ils revirent le jour; mais leur canot se fracassa contre les écueils; il fallut se traîner de rocher en rocher pendant une lieue entière; enfin ils 4écouvrirent un horizon immense, bordé de montagnes inaccessibles. Le pays était cultivé pour le plaisir

1 VOltaire, Romans et contes, op. cit., 1: p. 179. 2 Ibid., VII:

p. 192.

- 70 -

comme pour le besoin; partout l'utile etait agreable. les chemins etaient couverts ou plutôt ornes de voitures d'une forme et d'une matière brillante, portant des hommes et des femmes d'une beaute singulière, traînes rapidement par de gros moutons rouges qui surpassaient en vitesse les plus beaux chevaux d'Andalousie, de Tétuan et de Méquinez., l souligne le caractère idéal de ce pays. A cause de la rapidite du sobre et pauvrement colorée.

réci~la

couleur locale est en général

Voltaire peint juste assez pour soutenir

sa demonstration et eviter l'ennui.

Cependant, comme le fait remarquer

Lanson,2 des touches de couleur locale, dans les contes de Voltaire, se rapportent aux menus, aux pièces de monnaie et aux moyens de communication. Notons qu'en Paraguay le menu de Candide consistera en chocolat et en jambon, qu'en Italie il aura

Il • • •

A lllanger des macaronis, des per-

drix de Lombardie, des oeufs d'esturgeon et à boire du vin de Montepulciano, du lacryma-christi, du chypre, et du samos. II ,.3 en Turquie des sorbets,

Il • • •

Du

kaimac pique d'ecorces de cedrat confit, des oranges,

des citrons, des limons, des ananas, des pistaches, du café de Moka . . Les personnages paieront, selon le pays, en ecus, louis, sequins, piastres ou pistoles.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit. , XVII:

pp. 214-5.

2 Gustave Lanson, Voltaire, op. cit. 3

Voltaire, Romans et contes, op. cit., XXIV:

4 Ibid. , XXX:

p. 258.

pp. 239-40.

Il

4

- 71 -

En faisant se succéder à vive allure les événements qui constituent l'action dans Candide, Voltaire parodiait peut-être les aventures romanesques à la mode mais, comme le dit Castex,l la manière absurde, avec laquelle il les fait survenir, a probablement une signification plus large:

l'absurdité de l'existence qu'on ne peut justifier à l'échelle hu-

maine.

La logique de cette succession d'événements échappe à l'entende-

ment humain et c'est ainsi que le comprend Martin et, à la fin du conte, Candide dont l'histoire est en définitive la vie même.

La sagesse consis-

terait à prendre conscience que le désordre et l'imprévu régissent le monde et à s'en accommdder. C'est là, semble-t-il, la leçon profonde de Candide. Si les aventures des personnages sont livrées au hasard, l'invraisemblance du récit ne révèle en aucune façon une faiblesse ou une négligence queloonque de la part du conteur.

L'action se déroule selon un

plan bien établi, malgré les apparences, pour permettre à Voltaire d'exposer ses idées sur certains problèmes comme celui de la guerre, de l'Inquisition, de l'esclavage et nous mener à une vision plus large qui est celle de la fatalité attachée à la condition de l'homme, dépassé par la raison profonde des événements qui lui arrivent. Mais comment Voltaire arrive-t-il à tenir en haleine son lecteur et à lui faire accepter les inventions les plus folles sans jamais le lasser? Comment ces marionnettes ne provoquent-elles pas l'irritation de cet auditoire

1 Pierre Georges Castex, Voltaire: Micromégas, Candide, L'Ingénu, les cours de Sorbonne (Paris: centre de documentation universitaire, 1961).

- 72 -

composé d'adultes? C'est grâce au rythme du récit qui nous tient sous le charme jusqu'à la fin.

Voltaire, dans chaque chapitre, chaque para-

graphe, chaque phrase, fait rebondir l'action et nous entraîne à sa suite. Il obtient cet effet en supprimant tous les temps morts, en ne laissant pas souffler ses personnages et par conséquent ceux qui les regardent agir.

Nous

avon~

l'impression de nous trouver dans un monde

où tout va très vite, un peu comme dans un vieux film comique, à l'action syncopée.

C'est donc une série précipitée d'événements, racontés

avec une vivacité trépidante qui ne s'attarde, on l'a vu, ni aux analyses psychologiques, ni aux descriptions.

Il fallait aussi ces phra-

ses brèves et claires dans lesquelles on ne bute sur aucune espèce d'obscurité. En voici trois exemples.

La scène d'amour muette, si comique

entre Candide et Cunégonde, au premier chapitre, semble tirée d'une pantomime.

Nous voyons très bien les gestes brusques et saccadés des pro-

tagonistes.

Nous n'avons à faire aucun effort d'imagination pour cela,

Voltaire étant, en même temps qu'un conteur-ne, un lllerveilleux metteur en scène.

Lisons donc ce paragraphe: Elle rencontra Candide en revenant au château, et rougit; Candide rougit aussi; elle lui dit bonjour d'une voix entrecoupee, et Candide lui parla sans savoir ce qu'il disait. Le lendemain, après le dîner, comme on sortait de table, Cunégonde et Candide se trouvèrent derrière un paravent; Cunégonde laissa tomber son mouchoir, Candide le ramassa; elle lui prit innocemment la main; le jeune homme baisa innocemment la main de la jeune demoiselle avec une vivacite, une sensibilite, une grâce toute particulière; leurs bouches se rencontrèrent, leurs yeux s'enflam-

- 73 -

mèrent, leurs genoux tremblèrent, leurs mains s'égarèrent. Monsieur le baron de Thunder-ten-tronckh passa auppès du paravent, et, voyant cette cause et cet effet, chassa Candide du château à grands coups de pied dans le derrière; Cunégonde s'évanouit: elle fut souffletée par madame la baronne dès qu'elle fut revenue à elle-même; et tout fut consterné dans le plus beau et le plus agréable des châteaux possibles. 1 . Nous voyons là une accumulation d'actions qui se déroulent à un rythme accéléré et provoquant notre rire.

Les propositions sont brèves,

parallèles, se limitant,pour les quatre dernières propositions de la deuxième phrase) à un suj et et à un verbe au passé simple se terminant par "èrent". Le rythme est de cette façon précipité, peignant d'une manière très suggestive l'égarement fiévreux du désir amoureux. Voyons le deuxième exemple au chapitre II.

C'est la narration de

l'entraînement militaire de Candide dans l'armée bulgare: sur le champ les fers au pied et on le mène au régiment.

"On lui met On le fait

tourner à droite, à gauche, hausser la baguette, remettre la baguette, coucher en joue, tirer, doubler le pas et on lui donne trente coups de bâton; le lendemain, il fait l'exercice un peu moins mal, et il ne reçoit que vingt coups; le surlendemain, on ne lui en donne que dix, et Ü est regardé par ses camarades connne un prodige.". 2 Le rythme haché

des actions est souligné par:1a mécanisation absurde des nombres en progression descendante trente,

~ingt,

dix.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., 1: pp. 180-1. 2 Ibid., II:

p. 182.

.. Les punitions corporelles dans les contes suivent d'ailleurs la tradition des spectacles de marionnettes. Ainsi les " . . . Coups de pied dans le derrière;"l par lesquels Candide fut chassé du château de Thunder-ten-tronckh, les ". • • Quatre mille coups de baguette, ,,2 qui lui ont été infligés par le régiment de l'armée bulgare, les"

Vingt coups de fouet par jour;,,3 donnés à la vieille par

le bo2ard, les ". . • Coups de nerf de boeuf . • ,,4 appliqués sur les épaules nues de Pang10ss et du fUs du baron sur la galère, les ". cent coups de latte sur la plante des pieds,

,,5 que le cadi fait

donner au fils du baron. Et enfin la troisième pantomime.

C'est la scène muette, étonnante

de vie, entre Candide, le précepteur et les écoliers dans le pays de l'Eldorado:

"Les petits gueux quittèrent aussit6t le jeu, en laissant

à terre leurs palets, et tout ce qui avait servi à leurs divertissements. Candide les ramasse, court au précepteur, et les lui présente humblement, lui faisant entendre par signes que leurs altesses royales avaient oublié leur or et leurs pierreries.

Le magister du village, en souriant, les

jeta par terre, regarda un moment la figure de Candide avec beaucoup de surprise, et continua son chemin.".6

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit. , I:

2 Ibid. , II:

p. 182.

3 Ibid. , XII: 4 Ibid. , XXVII:

p. 203. p. 251.

5 Ibid. , XXVIII, p. 254. 6 Ibid. , XVII:

p. 215.

p. 181.

- 75 -

Plusieurs scènes dans Candide nous montrent des images successives, passant l'une après l'autre, sans mouvement continu, qui nous rappellent étrangement celles de la lanterne magique.

Ainsi la bataille entre Bulgares

et A1bares ("Rien n'était si beau, ••. , une trentaine de mille âmes."l), l'autodafé de Lisbonne ("Ils marchèrent en procession, . . ., un fracas épouvantab1e.,,2). Quelquefois, Voltaire suspend l'action et nous présente une image figée, comme si le montreur arrêtait soudain son appareil sur une plaque.

Ainsi le carnage de la guerre ("Ici des vieillards criDes cervelles étaient répandues sur la terre à

blés de coups, . .

côté de bras et de jambes coupés.,,3), le vaisseau pris dans la tempête ("La moitié des passagers affaiblis, . . ., le vaisseau entr' ouvert. ,,4) , l'Inquisiteur apparaissant soudain chez Cunégonde ("Il entre et voit le fessé Candide, l'épée à la main, un mort étendu par terre, Cun~gonde -, effarée, et la vieille donnant des conseils. ,,5) . Une autre technique, qui nous fait penser à celle d'un montreur qui reviendrait en arrière sur des images, est celle des bilans successifs, des récapitulations rapides. sieurs exemples.

Comme dans Zadig, on en trouve plu-

Au chapitre IV, Pangloss trace la généalogie de la

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., III: 2 Ibid. , VI:

pp. 190-1.

3 Ibid. , III:

p. 183.

4

Ibid. , IV:

p. 188.

5

Ibid. , IX:

p. 196.

p. 183.

- 76 -

vérole ("Oh! mon cher Candide, • . ., de Christophe Colomb. 111).

Au

chapitre VI, Candide, après l'autodafé, passe en revue tout ce qui lui est

.,.

arr~ve.

("Passe encore, • . . ,. ren ~ d tre. Il 2) . Dans le dernier u eI ven

chapitre, la vieille fait un retour en arrière sur les misères par 1esquelles ils sont tous passés ("La .vieille osa un jour, • . . , rester . . a.. ne

lC~

.

r~en

fa~re. · 11 3 ) •

Et Pangloss fait le résumé de toutes les

catastrophes survenues à Candide ("Et Pang10ss disait quelquefois à Candide, . • . , vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. II4 ). L'accumulation des retrouvailles inattendues et invraisemblables semble aussi une parodie par Voltaire des romans de son temps.

Ainsi

les rencontres inopinées de Candide avec Pang10ss (à 1afin du chapitre III et au début du chapitre IV page 185), de Candide et de Cunégonde après l'autodafé à Lisbonne (chapitre III, page 192).

L'Eunuque, dans

le récit de la vieille, se trouve avoir été le musicien de la Chapelle de Madame la Princesse de Pa1estrine, mère de la vieille (chapitre XII, page 201).

Candide rencontre Paquette (chapitre XXIV, page 240),

Cacambo (chapitre XXVI, page 247), et reconnaît avec stupéfaction le fils du baron dans le commandant jésuite du Paraguay (chapitre XIV, page 208), et le fils du baron et Pang10ss dans les deux bagnards (chapitre XXVII, page 251).

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., IV: 2 Ibid. , VI:

p. 191.

Ibid. , XXX:

p. 257.

4 Ibid. , XXX:

p. 259.

3

p. 186.

- 77 -

Les résurrections miraculeuses sont aussi une satire du goftt de l'époque:

Pangloss se trouve toujours en vie après avoir été pendu

et disséqué et le fils du baron ressuscite deux fois. Nous avons déjà vu (page 34 de cet exposé) comment Voltaire arrive à détacher les personnages de leur propre sort et ne permet pas au lecteur de croire en eux ni d'être trop complètement entraîné à leur suite. Ce sont les idées qui doivent prédominer.

Jamais les infortunes de

Cunégonde, par exemple, n'ont arraché la moindre larme aux plus sensibles des lecteurs.

Ce sont là des personnages sans vie qui savent nous rap-

peler, au moment opportun, que les malheurs qui leur arrivent sont pure fantaisie, qu'ils ne portent pas à conséquence et qu'ils ne faut pas s'en émouvoir. qu'est Voltaire.

Les marionnettes ne font qu'obéir à cet aimable montreur Comment en effet pourrait-on s'attendrir sur un person-

nage comme Cunégonde qui, au milieu de l'exposé à Candide de ses souffrances passées, glisse une réflexion incongrue sur l'incarnat de la peau nue de ses amants? Comment d'autre part prendre au sérieux un philosophe coureur de jupons comme Pangloss, ou s'apitoyer sur sa mort et sur celle du fils du baron, quand ils ressuscitent peu après pour les besoins de la cause, l'auteur ayant décidé qu'ils avaient encore un r6le à jouer. D'autre part, l'histoire d'amour entre Candide et Cunégonde n'est ni réaliste, ni psychologique, ni pornographique, comme certains ont bien voulu le dire.

Elle contient un peu de tous ces éléments mais sa

principale fonction est d'être comique et ne présente d'intérêt que par les développements qu'elle permet.

C'est l'affirmation sans cesse répé-

tée d'un sentiment immuable, sans nuances, qui n'évolue pas.

Tout le

- 78 -

monde admet, une fois pour toutes, que Candide aime Cunegonde et qu'il est paye de retour. Candide n'en a cure.

Cette verité subit de constants dementis, mais Lorsque Cunégonde, à Lisbonne, (Chapitre VIII,

pages 193-194), fait le récit de ses infidélités à son amoureux, celuici ne démontre ni douleur, ni jalousie, bien que, plus loin (chapitre IX, page 196), il donne entre autres raisons pour avoir tué Don Issacar et l'Inquisiteur, celles de la jalousie et de son amour pour Cunégonde:

"

• " Quand on est amoureux, jaloux, et fouetté par l'Inquisition, on

ne se connaît plus.". 1 Mais cela n'est guère convaincant.

De même,

quand Candide apprend que Cunegonde est la maîtresse du gouverneur de Buenos Ayres, Voltaire ne s'attarde pas longtemps sur son chagrin:

"Ce

fut un coup de foudre pour Candide, il pleura longtemps; enfin il tira à part Cacambo.".2

Nous avons aussi vu comment Voltaire savait nous entraîner dans l'agitation trépidante de son action. ayons envie de l'y suivre. ne fUt pas monotone.

Mais encore fallait-il que nous

Pour cela, il était nécessaire que la course

Et c'est à cela que Voltaire s'attache sans cesse.

Sous des dehors sans artifices, l'expression de ses récits, apparemment dépouillée, nous retient sans relâche.

Parmi les nombreux procédes de

l'art voltairien, ceux qui exercent sur notre esprit la plus forte emprise, sont sans contredit l'humour et l'ironie.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., IX: 2 Ibid. , XIX:

p. 223.

p. 196.

- 79 -

Un moyen souvent employé par Voltaire, pour arriver à ce but, est qU'il exprime intentionnellement d'une manière modérée ce qui, de toute évidence, est très grave à ses yeux.

Il rapporte fréquemment les abus

les plus atroces ou des absurdités avec une indifférence affectée ou sur un ton froid, comme si c'étaient les choses les plus naturelles au monde, (ce qui est souvent le cas d'ailleurs). Et ce décalage entre la réalité et ce que l'auteur exprime ne peut qu'impressionner le lecteur. Ainsi le chapitre VI (qui est entièrement marqué d'humour noir) qui suit le tremblement de terre de Lisbonne, débute par:

"Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois

quarts de Lisbonne, les sages du pays n'avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé; il était décidé par l'université de

Co~bre

que le spectacle

de quelques personnes brOlées à petit feu, en grande cérémonie, est un 1 secret infaillible pour empêcher la terre de trembler.". Voltaire présente l'autodafé comme une mesure efficace décidée par les sages du pays pour prévenir un autre séisme.

Par l'absurdité même

de l'idée, qu'il y aurait cause à effet entre une cérémonie religieuse et un phénomène naturel, l'auteur suggère au lecteur le contraire de ce qu'il exprime.

L'ironie est encore plus forte dans la deuxième partie

de la phrase avec l'opposition entre le verbe "décidé" et le suj et de la décision.

Quelle bouffonnerie de penser que les membres de l'univer-

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VI:

p. 190.

- 80 -

sité de Coimbre peuvent agir sur un mouvement naturel comme celui d'une secousse sismique! Sous une apparente simplicité, ce petit paragraphe est un chefd'oeuvre de construction en chiasme qui met en relief l'opposition qu'il contient.

La double antithèse, sous deux formes différentes,

qui se croisent, souligne l'absurde initiative des sages du pays pour contrôler la marche du phénomène de la nature. cié à l'ironie.

L'humour est ici asso-

Il y a en effet de l'humour à évoquer " . • . Un bel

auto-da-fé; Il et à y associer

Il

Le spectacle de quelques personnes

brtllées à petit feu, . . • ", contraste violent qui soulève notre esprit mis en

fac~

de la réalité brutale cachée sous

~s

dehors solennels

d'une ". • . Grande cérémonie • . •III évoquant la liturgie catholique. On devine la révolte de Voltaire, (et nous nous révoltons avec lui), ' qui cache habilement son indignation, sous la légèreté apparente du ton, et cet enjouement appliqué à un sujet aussi cruel va nous convaincre' mieux que ne l'aurait fait une violente diatribe. Et le récit continue sur le même ton froid et détaché.

De cette

décision, toute gratuite des théologiens de Coimbre, découle l'arrestation de personnes innocentes.

Voltaire s'indigne qu'on ait arrêté

le Biscayen parce qu'il a épousé sa commère, détail dont il a déjà parlé dans Scarmentado et dont il va reparler dans le chapitre V de L'Ingénu, et les deux Portugais parce qu'ils ont pratiqué leur rite, rite auquel il lance une pointe en passant cependant.

Ces exemples condamnent le

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VI:

p. 190.

- 81 -

-.,...... . fanatisme de l'Inquisiteur mais Voltaire en parle d'une manière si légère que nous nous en apercevons à peine.

Le lecteur sourit de l'absur-

dité des accusations, jusqu'au moment où il en saisit toute la portée, lorsqu'elles entraînent la mort de ces malheureux qui n'ont fait que croire en leurs traditions.

Nous en arrivons à Pangloss et à Candide

qui sont liés " . . • L'un pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec un air d'approbation:".l N'est-il pas révoltant d'arrêter quelqu'un pour avoir exprimé une opinion, même si celle-ci est aussi absurde que celle de Pangloss, et encore plus Candide qui n'a même pas parlé mais écouté avec l'air d'approuver? Voltaire ne le dit pas, il ne fait que rapporter les faits sans insister.

Il fait confiance à l'intelligence

du lecteur qui interprétera lui-même les faits et tirera seul la conclusion à laquelle il veut le mener. Humour encore une fois, lorsqu'il parle"

. . Des appartements

d'une extrême fraîcheur, dans lesquels on n'etait jamais incommodé du soleil:".2 Voilà une periphrase qu'on ne songerait pas habituellement à utiliser pour décrire les cachots d'une prison.

D'ailleurs, dans

Scarmentado, il a déjà utilise une périphrase semblable où il est question

d"' . . . Un cachot très frais, meublé d'un lit de natte et d'un beau crucifix.".

3

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VI: 2 Ibid., VI:

p. 190.

3 Ibid., p. 163.

p. 190.

- 82 -

Nous voilà arrivés au jour fatidique de l'autodafé, sans que Voltaire se soit arrêté à nous décrire les souffrances des deux prisonniers pendant ces huit jours.

Bel exemple de la manière de Voltaire, toute de

rapidité, qui rapporte les événements les uns à la suite des autres, sans détails ni conunentaires:

"Huit jours après ils furent tous deux revêtus

d'un san-benito • . . , et les flammes étaient droites .... l

Là, le récit

devient pittoresque et notre imagination en est frappée, bien que les détails n'en soient pas très clairs.

Le passage entier est un mélange

de solennité et de burlesque inimitable.

On atteint le sonunet du grotes-

que, quand Candide est " •.• Fessé en cadence, pendant qu'on chantait;". Le lecteur sourit de nouveau, en confiance, quand lui est assenée une réalité des plus cruelles.

Les trois honunes bralés, Pangloss pendu,

..

Quoique ce ne soit pas la coutume.II~ ajoute Voltaire conune en pas-

sant.

Nous voilà au comble de l'horreur,

aprè~

un récit des plus plai-

sants, et d est le moment que choisit l'auteur pour laisser tomber sans transition cette remarque:

ilLe même jour, la terre trembla de nouveau

avec un fracas épouvantable.",4 qui accable de ridicule ces inquisiteurs criminels. Ainsi sous une apparente simplicité nous sont apparus dans ce court chapitre toute une série de procédés, mais Voltaire les utilise d'une manière si subtile qu'on ne peut en démonter tout le mécanisme.

1

Voltaire, Romans et contes, VI:

2

Ibid. , VI:

p. 191.

3

Ibid. , VI:

p. 191.

4

Ibid. , VI:

p. 191.

p. 190.

2

- 83 -

De même qu'il s'exprime avec modération alors qu'il n'en pense pas moins, Voltaire utilise aussi l'hyperbole et l'exageration dans ses propos.

Ainsi il emploie intentionnellement des superlatifs dithyrambiques

comme "le plus beau des

ch~teaux",

"le meilleur des mondes", "le plus

grand philosophe de toute la terre".

Et la manière dont il les repète

encore et encore, tout le long du conte, les rend encore plus frappants. L'opposition inattendue est aussi employée efficacement. dats bulgares félicitent Candide: votre gloire est assuree.'

'"

Les sol-

• . Votre fortune est faite, et

On lui met sur le champ les fers aux pieds

et on le mène au regiment.".

Là, le troisième jour de l'exercice mili-

taire, ne recevant que dix coups de

b~ton,

". • . Il est regardé par

ses camarades comme un prodige.". 1 Commentant la bataille entre le roi des Bulgares et celui des Abares, Voltaire obtient un effet impressionnant par la simple juxtaposition de deux mots contrastants:

"

Boucherie héroique.". 2

Similaire est le moyen conduisant à une conclusion surprenante. Ne citons que quelques-uns parmi les nombreux exemples: Bulgares lui accorda sa

gr~ce

"Le roi des

avec une clemence qui sera louee dans

tous les journaux et dans tous les siècles.".3 Ca cambo renseigne Candide sur le gouvernement "admirable" du Paraguay:

"Los Padres y ont

tout, et les peuples rien; c'est le chef-d'oeuvre de la raison et de

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., II: 2 Ibid., III: 3 Ibid., II:

p. 183. p. 183.

p. 182.

- 84 -

la justice.".l Candide s'enfuyant du Paraguay après avoir tué le frère de Cunégonde se désespère: "A quoi me servira de prolonger mes misérables jours, puisque je dois les traîner loin d'elle (Cunégonde) dans les remords et dans le désespoir?".2 Et vient la conclusion inattendue et pour le moins surprenante:

"Et que dira le Journal de Trévoux?". 3

Le rapport logique, mais absurde, est aussi un de ses moyens favoris.

Nous avons déjà cité le "car" qui relie le baron tout puissant à

son château qui ". • • Avait une porte et des fenêtres." (page 68 de mon étude).

"Les nez ont été faits pour porter des lunettes; aussi avons-

nous des lunettes.

Les jambes sont visiblement instituées pour être

chaussées et nous avons des chausses ll • 4 Et maître Pangloss continue sur la même veine dans tout le paragraphe, page 180 du premier chapitre, tirant des conclusions dignes de M. de la Palisse.

Et pourtant il, est

institué " . . . Le plus grand philosophe de la province, et par conséquent de toute la terre.". S Tout le long du conte, il y a des trouvailles heureuses telles que: "

. Nous ferons bonne chère; mangeons du jésuite, mangeons du jésuite.",6

l Voltaire, Romans et contes, op. cit. , XIV, p. 207. 2 Ibid. , XVI:

p. 211. p. 211 .

~

.,.

Ibid. , XVI:

4

Ibid. , I:

p. 180.

S

Ibid. , I:

p. 180.

6 Ibid. , XVI:

p. 212.

- 85 -

comme on dirait:

mangeons du jambon.

Ayant raté le fils du baron dans

son combat anterieur, Candide le menace:

"Je te retuerais .•• ".1

L'or et les bijoux de l'Eldorado sont réduits à ce qu'ils sont, c'està-dire du sable jaune et de jolis cailloux et cela est plus efficace que si Voltaire s'etait livre au plus long des raisonnements. Et enfin, tout le long de ses contes, ce qui rend la prose de Voltaire inimitable, ce sont ses phrases incisives, courtes où les mots de liaison sont supprimes, ce qui donne à ses récits cet effet frappant de rapidite,de clarte et de concision qui fait l'admiration de tous.

Jeannot et Colin (1764) Comme le nom des personnages l'indique (Jeannot le fils, Jeannot le père et Jeannotte la mère), les trois Jeannot ont éte conçus sur le même moule.

Ils sont trois varietes du même specimen.

Voici ce que l'auteur nous dit sur leur portrait physique:

"Jeannot

et Colin etaient fort jolis pour des Auvergnats.".2 "Monsieur Jeannot était bien fait, sa femme aussi, et elle avait encore de la fraîcheur.".3 Ils suivent tous les trois la même conduite et ont le même trait de caractère ridicule:

la vanite.

Ce caractère unique incarné dans trois

personnages différents est d'un effet comique.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., XXIX: 2 Ibid., p. 283. 3 Ibid., p. 284.

p. 255.

- 86 -

'"

Comme Candide, Jeannot et ses parents seront formes par l'experience. C'est d'elle que Jeannot recevra, bien ma1gre lui, son education et la leçon qu'en tire toute la famille se trouve dans la conclusion mora1isatrice de ce petit recit: '''Et Jeannot le père, et Jeannotte la mère, et Jeannot le fils, virent que le bonheur n'est pas dans la vanite.". 1 La formation de Jeannot se fait en deux temps, d'abord academique puis sentimenta1e.

Tout le long de son education, le precepteur est represente

comme ayant des manières mais pas de science:

". • • Un homme de bel

.

Le gracieux ignorant, . • " , 3

air, et qui ne savait rien.", 2 "

"L'aimable ignorant • . . ".4 Une fois son instruction terminee, Jeannot " . . . Acquit l'art de parler sans s'entendre, et se perfectionna dans 1'habitude de n'être propre à rien.".

5

Double antithèse où la deuxième

expression de chacune d'elles detruit la première. Commence alors la seconde etape de sa formation:

l'intrigue amou-

l ·1 t'"e, . . .,,6 reuse avec 1a " .•• J eune veuve d e qua . Le d'"enouement en aurait pu être tragique, mais Voltaire evite soigneusement l'effet dramatique en passant très rapidement sur les reactions emotives des protagonistes.

Il distrait d'abord le lecteur du serieux de la situation de

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 290. 2 Ibid. , p. 284. 3

Ibid. , p. 285.

4 Ibid. , p. 286. 5 Ibid. , p. 287. 6 Ibid. , p. 287.

- 87 -

le mère par l'allitération des "s": ~ans con~ola!ion,

~ouvenir

...

~a

de

depen~es.".

1

qu'au passé:

"~a

mère était

noyée dans les larmes; il ne lui

fortune, de

~a

beauté, de

~es

~eule, ~ans ~ecours,

re~tait

fautes, et de

rien que le ~es

folles

Ensui te, il ne fait allusion aux lamentations du fils "Après que le fils eut longtemps pleuré avec la mère,

il lui dit enfin:

"Ne nous désespérons pas; ",.2

Enfin, nous assistons à un renversement de situation assez comique .de Jeannot et de Colin.

L'Ingénu (1767) Voltaire tire les rideaux de scène sur un gai décor.

L'ambiance

joyeuse du premier paragraphe: Un jour saint Dunstan, Irlandais de nation et saint de profession, partit d'Irlande sur une petite montagne qui vogua vers les côtes de France, et arriva par cette voiture à la baie de Saint-Malo. Quand il fut à bord, il donna la bénédiction" à sa montagne, qui lui fit de profondes revérences et s'en retourna en Irlande par le même chemin qu'elle était venue. 3 met en effet en éveil le sens de l'humour du lecteur et l'avertit que l'auteur va s'en prendre cette fois à la religion. Le milieu où va évoluer l'Ingénu est ridiculise avant même qU'il n'y soit introduit.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 288. 2 Ibid., p. 288. 3 Ibid., I:

p. 323.

- 88 -

L'abbé de Kerkabon lit la Sainte Ecriture mais n'y croit pas.

"Le

prieur, déjà un peu sur l'âge, ••. : aussi tout le monde disait du bien de 1ui.". 1 "Un très bon ecc1ésiastique,,2 est ironique à cause de ce qui suit, l'allusion à l'amour que lui portent ses voisines étant évidente et "bon" signifiant ici typique de sa profession.

L'antithèse

"las" et "s'amusait" condamne l'abbé avec le renversement des valeurs correspondant à Saint Augustin et à Rabelais et la conjonction "aussi" fustige ses paroissiens qui l'estiment pour cette préférence. Dans la description de sa soeur, Mademoiselle de Kerkabon, un peu plus loin, Voltaire donne deux traits incompatibles "Elle aimait le plaisir • • ." et ". . . Etait déyote." comme équivalents et souligne '~demoise11e

ainsi son caractère hypocrite:

de Kerkabon, qui n'avait

jamais été mariée, quoiqu'elle eat grande envie de l'être, conservait de la

.~f:Eâ.îcheur

à l'âge de quarante-cinq ans; son caractère était bon et sensible; elle aimait le plaisir et était dévote.". 3 De l'Ingénu, Voltaire nous fait le portrait type de l'homme de la nature, du "bon sauvage":

"

Un jeune homme très bien fait qui

s'élança d'un saut par-dessus la tête de ses compagnons,

., sa fi-

gure et son ajustement attirèrent les regards du frère et de la soeur. Il était nu-tête et nu-jambes, les pieds chaussés de petites sandales, le chef orné de longs cheveux en tresses, un petit pourpoint qui serràit

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., 1: p. 323. 2 Ibid. , p. 323. 3 Ibid. , p. 323. \' -

- 89 -

une taille fine et dégagée; l'air martial et doux. • . Et tout cela d'un air si simple et si naturel que le frère et la soeur en furent charmés.". l Ainsi, dès la première rencontre, nous sommes confrontés avec lui, alors qu'il fait pour ainsi dire irruption de son bateau dans la civilisation.

Son introduction est soudaine et naive, semblable à

son caractère. Comme tous les autres héros de Voltaire qui n'ont, au début du conte, aucune personnalite, le manque d'artifices de l'Ingénu (dont l'adjectif-surnom se rapprochant de celûi de Candide suffirait à décrire le caractère), permet aux influences extérieures de le marquer au point de vue civilisation et éducation mais le rend aussi capable, grâce à la supériorité de son sentiment intuitif dans le domaine religieux, d'imprimer sa propre influence sur les autres. trois étapes.

Son éducation se fera en

D'abord à Saint-Malo où il devra observer certaines

coutumes sociales et religieuses.

Ensuite pendant son séjour en prisün

où il sera enfermé avec un Janséniste et où ils s'éduqueront mutuellement, Gordon enseignant au Huron à développer son potentiel intellectuel et esthétique et le Huron convertissant le Janséniste à un point de vue religieux plus tolérant.

Enfin l'Ingénu complète son éducation après

la mort de Mademoiselle de St-Yves en apprenant à se conduire stoiquement et en s'intégrant complètement à la société. Ains~,

ces forces opposées, qui se heurtaient au début du conte,

représentées par la société et le bon sauvage, arrivent à un accord

l

Voltaire, Romans et contes, op. cit., I:

p. 324.

-------~---------------------------------

- 90 -

harmonieux à la fin du récit, le bon sauvage ayant été en définitive civilisé mais ayant réussi à changer bénéfiquement les impératifs sociaux qui l'ont transformé. La franchise et la sincérité du bon Huron contrastent violemment avec l'hypocrisie du troupeau à une voix que forme la société de SaintMalo.

Leur caxactère de moutons de Panurge est souligne par les repe-

titions qu'affectionne Voltaire:

"

Tout le monde répetait 'Ni père,

ni mère! ",.1 "Nous le baptiserons, nous le baptiserons, disait la Kerkabon • •.

Toute la compagnie seconda la maîtresse de maison; tous

les convives criaient:

-

'Nous le baptiserons!".

2

Le personnage ridicule

du bailli, père du rival de l'Ingenu, qui apparaît à intervalles réguliers avec ses questions tout au long du conte, est une veritable machine ...a 1nterroger . ... " • •. Sa f ureur d · ,,3 ne pouvant repr1IDer e quest10nner, . . '}

et nous fait un peu penser à la machine à raisonner qu'etait Pangloss. "Monsieur le bailli, qui s'emparait toujours des etrangers dans quelque maison qu'il se trouvât et qui etait le plus grand questionneur de la province, lui dit en ouvrant la bouche d'un demi-pied: 'Monsieur, comment vous nommez-vous?",. 4 Et Voltaire lui applique, de même qu'aux autres protagonistes des contes, une étiquette:

"L' interrogant bailli"

(chapitre l, page 326, répété au chapitre XII, page 359, et varie legère-

l Voltaire, Romans et contes, op. cit., I: 2 Ibid. , I:

p. 328.

3 Ibid. , I:

p. 327.

Ibid. , I:

p. 325.

4

p. 326.

- 91 -

ment au chapitre IV, page 336 "Le bailli, toujours interro~ant

interro~ant

..

." ,

ainsi orthographie).

Bien que l'Ingenu soit, de tous les contes de Voltaire, le recit où l'intrigue est la plus consistante, l'auteur n'a jamais voulu nous presenter des personnages d'une densite suffisante, susceptibles d'eveil1er et de garder notre interêt.

Ils sont toujours, exception faite de

Mademoiselle de Saint-Yves, des silhouettes, des fantoches sans expression de physionomie, sans profondeur psychologique, evoluant dans une intrigue dramatique sans beaucoup de vraisemblance. membres de la societe de Saint-Malo sont ridiculises.

L'Ingenu et les Le Huron raisonne

logiquement mais sur de fausses premisses fournies par ceux-là mêmes qui veulent l'instruire en lui donnant à lire le nouveau testament.

C'est

ainsi qu'il veut se faire circoncire puis baptiser nu dans la rivière, comme il l'a lu dans la Bible, et cela donne lieu à des situations cocasses qui font l'atmosphère joyeuse de cette première partie du conte. Cette ambiance se prolonge avec la scène où le sauvage veut epouser Mlle de

Saint~Yves

"à la Huronne" et avec la suivante où il menace de

mettre le feu au couvent où se trouve celle qu'il aime, cette " . • . Espèce de prison où l'on tenait les filles renfermees, . . • ",1 donnant l'occasion à Voltaire de condamner un des rites de la liturgie catholique, par la bouche de Mlle de Kerkabon qui ". • • Disait en pleurant qu'il 2 avait le diable au corps depuis qu'il etait baptise.".

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VI: 2 Ibid., VI:

p. 341.

p. 341.

- 92 -

Une atmosphère comique a donc regne dans les incidents vecus à Saint-Malo (chapitres l à VIII) et dans les aventures survenues anterieurement à l'arrestation du heros (chapitre IX). le ton change.

Tout de suite après,

Le recit de son emprisonnement avec Gordon est traite

avec serieux (chapitres X à XII). "Le reste du conte, touche par la tragedie de la mort de Mlle de Saint-Yves, se termine sur une note presque euphorique.

L'Ingenu, comme les autres contes de Voltaire,

reste un récit philosophique, malgré son sous-titre "L'Histoire veritable" et l'intrigue romanesque y est toujours subordonnee à la mise en valeur de quelques idées.

Comme dans Zadig et dans Candide, l'Ingénu,

recherchant sa bien-aimée, est transporté dans différents milieux dont il fait la satire. On ne s'émeut pas outre-mesure des mésaventures du héros ou des malheurs de l'héroine, quoique Voltaire fasse de Mlle de Saint-Yves une victime vraie.

Il l'autorise à prendre son rôle au sérieux au point

d'en mourir, lui permettant ainsi de se réhabiliter.

Le récit de sa

mort, tout de simplicité et de gravité, réussit à nous émouvoir et on ne peut s'empêcher de faire un parallèle, tout à l'honneur de Voltaire, avec celui de la mort mélodramatique de Julie dans La Nouvelle Héloise de Rousseau. Cependant, le drame, qui menace le dénouement, est détourné par le détachement de l'amoureux après la mort de sa bien-aimée et la tragédie s'en trouve ainsi rétrospectivement adoucie. Comme dans Zadig et dans Candide, les personnages à la fin du conte, sont réunis et ils se trouvent tous enrichis de leur expérience.

L'impres-

- 93 -

sion finale est euphorique, les personnages pouvant s'estimer heureux de pouvoir dire "Malheur est bon à quelque chose.", alors que beaucoup d'honnêtes gens de par le monde ne peuvent que dire "Malheur n'est bon à rien!".l

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., XX:

p. 381.

1"

,

CHA PIT RE" "II:

, SCHEMATISATION DANS LES CONTES DES DIX DERNIERES ANNEES DE LA VIE DE VOLTAIRE ~

~

1768 à 1775

Il est frappant de constater, comme l'a si bien souligné Van den Heuyel,

1

que dans les contes des dernières années de la vie de Voltaire,

le lien qui faisait l'unité entre la réalité et la fantaisie disparaît, la fiction existant pour elle-même ou comme prétexte commode pour l'auteur de faire la propagande de ses idées philosophiques ou autres.

l - La Princesse de Babylone (1768) Ce roman fait partie du premier groupe de contes où le héros, simpIe témoin, ne porte pas de jugements sur les situations qu'il rencontre au cours de ses voyages, comme nous l'avons vu aussi pour Scarmentado. Mais ici, le conteur, sans aucun souci de vraisemblance, laisse libre cours à la fantaisie du monde merveilleux de l'Orient, ce qui lui permet de critiquer la société contemporaine sous le couvert de coutumes orientales et à la faveur des voyages de deux Orientaux dans le monde. La longue description de la magnificence du palais de Bélus, (qui contraste avec la sobriété des décors, habituelle dans les contes de Voltaire), s'étendant sur presque toute une page du chapitre l (page 449), prépare à l'apparition de Formosante dont la beauté insurpassable justifie le nom: "On sait que son palais et son parc (de Bélus) ,

. ces antiques mer-

veilles.".2

1 Jacques Van den Heurel, Voltaire dans ses contes (Paris: Armand Colin, 1967), p. 319. 2 Voltaire, Romans et contes, op. cit., 1:

p. 449.

édition

- 96 -

En décrivant Formosante, Voltaire l'associe à la fable, en faisant d'elle le modèle d'objets d'art authentiques.

"Ce fut d'après ses

portraits et ses statues que dans la suite des siècles Praxitèle sculpta son Aphrodite et celle qu'on nomma la Vénus aux belles fesses. .

différence, 0 ciel! de l'original aux copies!".

1

Quelle

Le lecteur, étant

obligé de reconnaître les copies, ne peut pas rejeter l'authenticité de l'original, qui pourtant n'existe pas, comme il ne peut pas nier que Vénus avait de "belles fesses.". L'arrivée du héros Amazan est, de même, préparée par une serie de conditions qu'il aura à remplir pour obtenir la main de la belle princesse, conditions qu'il remplira le moment venu:

"I1 était dit encore que

le bras qui aurait tendu cet arc tuerait le lion le plus terrible et le plus dangereux qui serait lâché dans le cirque de Babylone. pas tout:

Ce n'etait

le bandeur de l'arc, le vainqueur du lion devait terrasser

tous ses rivaux; mais il devait surtout avoir beaucoup d'esprit, être le plus magnifique des hommes, le plus vertueux, et posséder la chose la plus rare qui fftt dans l'univers entier.". 2 La plus pure fantaisie règne quand le conteur fait parler un oiseau, en fait le confident de l'héroine, tout au long du conte, et le fait ressuscl."t er. 3

1 Voltaire, Romans et contes, I: 2 Ibid. , I: p. 450. 3 Ibid., IV: p. 471.

p. 450.

-

- 97 -

Voltaire, s'évertuant à nous convaincre par des preuves absurdes de la vérite historique de sa Babylone et de ses heros fictifs, n'a d'autre intention que 'de nous faire rire: parler d'Amazan.

"Elle passa toute la nuit à

Elle ne l'appelait plus que son berger; et c'est

depuis ce temps-là que les noms de berger et d'amant sont toujours employes l'un pour l'autre chez quelques nations.".l Voltaire revèle soit-disant l'origine du mot berger, et Amazan étant un berger en plus d'être l'amant de Formosante, la fiction inventee par l'auteur est pourtant confirmee par les faits. Lorsque les rivaux défaits par Amazan déclarent une guerre à à Belus qui leur a manque d'égards, le conteur déclare:

~ort

"L'Asie allait

être désolée par quatre armées de trois cent mille combattants chacune. On sent bien que la guerre de Troie, qui etonna le monde quelques siècles après, n'était qu'un jeu d'enfants en comparaison; mais aussi on doit considérer que dans la guerre des Troyens il ne s'agissait que d'une vieille femme fort libertine qui s'etait fait enlever deux fois, au lieu qu'ici il s'agissait de deux filles et d'un oiseau.".

2

.'

Il en appelle

au lecteur pour affirmer que la guerre de Troie "n'était qu'uT, jeu d'enfants" comparée à cette bataille.

La preuve en est sa cause JIloins se-

rieuse, et cette preuve, qui n'a aucun sens, donne l'illusion de la vérité par sa forme, parachevee par les nombres qui représentent les causes des deux guerres:

l

"une vieille femme", "deux fois" s'opposant à "deux filles",

Voltaire, Romans et contes, op. cit., IV: p. 465.

2 Ibid., IV:

p. 468.

--------: 1

,

- 98 -

"un oiseau". comique.

Cette répétition de nombres par son absurdité a un effet

Voltaire emploie d'autres moyens pour faire accepter cette

Babylone où il a transposé les maux de son temps.

Par exemple, en as-

sumant que le lecteur est au courant de certains faits qu'il ne connaît pas en réalité.

Dans le passage, chapitre XI, page 508 ("Chacun sait,

., les Ethiopiens d'Egypte."), il emploie les expressions "Chacun sait", "On se souvient".

Puis il poursuit:

"Ces prodiges ne sont-ils

pas écrits dans le livre des chroniques d'Egypte? La renommée a publié de ses cent bouches . . . ".

Le lecteur s'aperçoit que l'ancienne Baby-

lone utopique représentée par l'auteur dans ce conte, contient les maux de la société présente de son pays.

Bélus et les rois qui concourent

pour obtenir la main de Formosante sont la représentation vivante des institutions dont Voltaire veut faire la satire:

le pouvoir absolu de

la monarchie, la noblesse de naissance, la bigoterie et la superstition de la religion, la guerre.

L'auditoire français du XVIIIe siècle pou-

vait rire de ses propres institutions puisqu'elles étaient déguisées et transposées dans un pays fictif.

Lorsque le phénix parle du pays uto-

pique des Gangarides, terre d'origine de son maître, la société contemporaine de Voltaire est encore plus dépréciée, puisque la Babylonie lui est inférieure et que le XVIIIe siècle français est lui-même inférieur à la Babylonie.

Les maux présents sont encore transposés dans le passé quand Amazan passe en revue tous les pays viSités à;

~a_:faveut.de,_sa

fuite:.' . LHntr.:i:gue entre

Formosante et Amazan se déroule parallèlement à cette revue.

Leurs re-

lations, sentimentales sont purement théoriques en ce sens que le conteur

- 99 -

ne fait qu'en parler sans les réunir.

Il arrive ainsi à créer une impres-

sion d'impersonnalisation nécessaire à l'atmosphère comique du récit.

Si

le lecteur était pris par les réactions affectives des personnages, il ne serait pas porté au rire. Il y a ainsi une oscillation constante dans les rapports Amazan - Formosante qui se déplacent parallèlement sans jamais se rencontrer.

Formosante, se rendant de pays en pays, à la pour-

suite d'Amazan, est toujours sur le point de le retrouver mais n'arrive jamais tout à fait à temps.

Il se produit alors, dans les scènes précé-

dant et succédant à celles où Amazan observe les coutumes des pays où il se trouve, un mouvement continuel de fluctuation dft à leurs déplacements parallèles, d'un effet des plus comiques. la frustration constante de Formosante.

Cet effet est aussi créé par Amazan est tenu constamment hors

de sa portée et c'est quand elle pense l'atteindre, que Voltaire l'éloigne encore plus. Au chapitre X, il se produit une volte-face dans leur attitude. Formosante arrive à joindre Amazan mais à un moment inopportun, alors qu'il succombe en France aux avances d'une "fille d'affaire".1 Il y a alors une répétition de l'action mais, cette fois, les rôles sont renversés.

C'est Formosante qui fuit, indignée de l'infidélité de son amou-

reux, et Amazan qui la poursuit.

Encore une fois, ils sont ridiculisés.

Dans la scène de réconciliation (chapitre XI), le lecteur est enfin témoin de leur première rencontre.

Mais même quand ils sont finalement

en présence l'un de l'autre, ils donnent l'impression de se livrer à des

l Voltaire, Romans et contes, op. cit., X:

p. 498.

- 100 -

soliloques, quand "le roi de la : Bétique" leur demande quels sont leurs projets.

"Pour moi, dit Amazan, mon intention est de retourner à Baby-

lone, . • . , et de demander à mon oncle Bé1us ma cousine issue de germaine, l'incomparable Formosante, à moins qu'elle n'aime mieux vivre avec moi chez les Gangarides.

- Mon dessein, dit la Princesse, est assurément

de ne jamais me séparer de mon cousin', issu de germain.". 1 En substituant au nom de l'autre "ma cousine issue de germaine", répété sous la forme "mon cousin issu de germain", et en en parlant à la troisième personne, le voeu d'amour mutuel et éternel est parodié, et chacun d'eux démontre le contraire de ce qu'il veut prouver. Mais cette poursuite d'Amazan par Formosante puis de Formosante par Amazan, a aussi peu de consistance que leur beauté incomparable ou leur très grand amour.

Elle est un prétexte commode pour Voltaire de faire

voir du pays au héros pour qu'il puisse en faire la critique. Amazan, constamment poursuivi par Formosante, se rend d'abord dans les pays lointains ou utopiques comme la Chine, la

Scytlii~l'empire

des

Cimmériens, la Scandinavie, le pays des Sarmates et celui des Bataves. Comme ses héros ne peuvent pas tous les visiter, le narrateur se substitue quelquefois à eux pour leur fournir les informations qui leur manquent. Ainsi Amazan, ne connaissant pas les pays méridionaux, en parle par la bouche de Voltaire, qui les voit cependant sous un angle particulier, celui de son personnage d'origine orientale:

"On avait banni dans tous

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., XI:

p. 505.

------------------.-._-

--. _

..

_---------------

- 101 -

ces Etats un usage insensé, qui énervait et dépeuplait plusieurs pays méridionaux:

cette coutume était d'enterrer tout vivants, dans de vas-

tes cachots, un nombre infini des deux sexes éternellement séparés l'un de l'autre, et de leur faire jurer de n'avoir jamais de communication Cet excès de démence, accrédité pendant des siècles, avait . 1 dévasté la terre autant que les guerres les plus cruelles.". Etant ensemble.

une créature de bon sens fabriquée par Voltaire, Amazan assimile les monastères qui lui sont inconnus à une forme de punition analogue, existant en Orient, qui est d'enterrer vivants les criminels.

Sa conclusion

est à la fois logique et absurde, et le mode de vie des monastères se trouve ainsi ridiculisé. Puis Amazan est introduit dans des pays plus proches de la réalité où existent certains abus: Albion (Angleterre), Gaule (France), Italie et Espagne.

Les personnages, que le héros rencontre alors, sont les re-

présentants humains de quelque caractéristique de la nation en question. Ils sont ainsi la matérialisation d'un trait de caractère à l'exclusion de tous les autres, de sorte qu'ilS sont à la fois vrais et faux, par conséquent comiques.

"Milord Qu'importe" est le seul personnage qui pa-

raisse reel parmi les representants des différents groupes ethniques decrits.

Tout en lui contribue à donner une impression d'incarnation meca-

nique du sang-froid et du flegme britanniques, et pourtant le bonhomme semble anime d'une vie propre.

Cette impression de mecanisation resulte

du nom incongru que lui donne Voltaire, de ses apparitions intermittentes (comme celles de ces pantins

articulés~

qu'on fait surgir de leur boîte

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VI: '---

p. 484.

- 102 -

en l'ouvrant), de son sens de l'humour très particulier devant certains incidents de la vie.

Ainsi il démontre un flegme très britannique lors

de sa panne, au cours de sa rencontre avec Amazan,et à la découverte de la tentative d'adultère de sa femme. Les Italiens sont vus seulement sous le jour que veut bien leur donner Voltaire.

Le~. ~énitiens

sont présentés comme des séducteurs

masqués possedant ". . . Douze mille filles enregistrées . . . ,,1 (des filles publiques). A Rome, les membres du clergé sont castrés ou pervertis, les Français sont livrés à l'hédonisme, les Espagnols sont tous victimes de l'Inquisition. La fonction d'observateur d'Amazan est prise en charge par les porte-parole des pays qu'il visite et il en résulte une sorte de dédoublement du personnage qui révèle en même temps son identité avec Voltaire. Ainsi en Angleterre, le membre du Parlement utilise le vocabulaire d'Amazan en désignant le Pape comme " •• ~ Le Vieux des sept montagnes:".2 Un prêtre de Rome répond à la question d'Amazan, à savoir s'il y avait encore une production de chefs-d'oeuvre artistiques aussi beaux que ceux des musées:

"Non, Votre Excellence, lui répondit un des ardents; mais

nous méprisons le reste de la terre, parce que nous conservons ces raretés. Nous sommes des espèces de fripiers qui tirons notre gloire des vieux habits qui restent dans nos magasins." 3 C'est ainsi qu ' aurait

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., IX: 2 Ibid., VIII:

3 Ibid. , IX:

p. 488. p. 493.

p. 491.

- 103 -

répondu un homme de bon sens comme Voltaire.

Deux

r~tUïes

contradic-

toires, celle de Voltaire et celle du prêtre, sont de cette façon mêlées en une, la soi-disant défense du catholicisme par le prêtre étant en réalité la condamnation de sa religion par les esprits critiques.

Il

n'y a pas en fait de jugement direct et explicite, mais le lecteur intelligent se chargera de condamner le prêtre et la religion.

Amazan compare

Rome et Venise:

"J'ai vu une ville où personne n'avait son visage; en voici une autre où les hommes n'ont ni leur voix, ni leur barbe .... l Ces observations sont fondées sur des faits:

à Venise, Voltaire a été témoin

de l'usage du masque,à Rome il a vu des moines castrés, mais la généralisation, englobant tous les habitants des deux villes, n'en demeure pas moins absurde. Le double rôle d'Amazan constitue l'unité du conte.

Ses observations}

au nom du bon sens)sur les différents paysiprovoquent la condamnation par le lecteur de leur objetJet sa situation comique par rapport à Formosante fait qu'on ne s'ennuie pas en suivant ces deux actions parallèles.

II - Dans les contes du deuxième groupe composés à la fin de la vie de Voltaire, les personnages semblent les acteurs d'une comédie dont l'action se termine plus ou moins à son point de départ.

Comme il n'y a pas de

solution au bonheur humain, le lecteur a l'impression que le conteur ne

l Voltaire, Romans et contes, op. cit., IX:

p. 492.

- 104 -

l'a conduit nulle part, bien qu'il y ait eu une illusion de progression. Ce caractère de gratuité dans l'action montre que' le narrateur a seulement voulu s'amuser en nous divertissant.

.

Le Taureau blanc (1774) Si l'allégorie est représentée seulement par un oiseau dans La Princesse de Babylone, toute une ménagerie fait vivre la fable dans Le Taureau blanc.

En plus des animaux, on voit évoluer,'connne le dit Van den Heuv.el,l

le plus naturellement et le plus familièrement du monde, tous les mythes, dieux et prophètes des religions judaique et egyptienne.

Le fantastique

et la fantaisie la plus débridée règnent tout le long du conte.

En faisant

appel à l'allégorie et au symbolisme, Voltaire évite peut-être la censure et flatte l'élite intellectuelle en lui donnant l'impression d'appartenir à une minorité privilégiée partageant un savoir spécial.

Connne l'épître

dédicatoire de Zadig avait averti le lecteur qu'il se trouvait en présence d'un". • . ouvrage qui dit plus qu'il ne semble dire.", 2 dans Le Taureau blanc, Amaside proclame sa préférence pour l'espèce de conte qui ". . . Sous le voile de la fable, •.• , laissât entrevoir aux yeux exercés quelque verité fine qui échappe au vulgaire.".3

1 Op. cit., p. 321. 2 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 29. 2 Ibid., IX:

p. 583.

- 105 -

Passons en revue les personnages et leur signification allégorique dont parle Dorothy McGhee. l La princesse Amaside est amoureuse du roi Nabuchodonosor métamorphosé en Taureau blanc, incarnant l'Amour mais aussi la Vanité.

Le roi Amasis (personnifiant l'Egoisme), qui a usurpé le trône

de l'amoureux de sa fille, a défendu à cette dernière sous peine de mort de prononcer le nom de Nabuchodonosor.

Le taureau est gardé par la pytho-

nisse d'Endor et tout un troupeau d'animaux dont le serpent symbolisant la tromperie, l'ânesse l'entêtement, le poisson la prudence, le chien la jalousie, le bouc l'expiation, le corbeau la calomnie, le pigeon la paix.

La pythonisse les présente tous, sauf le taureau, à son "collègue"

Mambrès, ancien grand mage et eunuque d'Egypte, qui sauvera Amaside et son taureau du sacrifice. Le détachement des principaux personnages, Amaside, Amasis, Mambrès et Nabuchodonosor, provient de leur dédoublement donnant l'impression qu'ils ne font que jouer le rôle qu'on leur a assigné. Amaside se détache comiquement d'elle-même pour evaluer sa propre situation, quand elle demande à la vieille de lui vendre son taureau: 2 "Mais je suis fille à tomber malade de vapeurs • • .", et quand elle s'adresse au serpent qui essaie vainement de la distraire avec ses contes: "Vous sentez .9.,u 'une fille .9.,ui

~raint

de voir avaler son amant E.ar un

1 Dorothy Madeleine McGhee, Volterian narrative devices as considered in the author's Contes philosophiques (Menasha, Wisconsin: George Banta Publishing Company, 1933). 2 Voltaire, Romans et contes, op. cit., II:

p. 563.

- 106 -

gros E,oisson, et d'avoir elle-même le E,.ou E,.ouE,é E,ar son E,r0E,re Eère, a besoin d'être amusée;". 1 Se dedoub1ant curieusement, elle parle d' ellemême .à la troisième personne, ce qui met une certaine distance entre elle et ces catastrophes imminentes dont elle parle froidement. tération des lettres

~

L'alli-

et E, attire l'attention du lecteur sur la forme

plutôt que sur le fond de l'énonce qui aurait risqué d'être attristant. Amasis porte toujours le masque de roi et n'agit pas en père:

"

• Vous avez crié Nabuchodonosor!

Il est juste que je vous coupe

le cou.".2 Et la princesse ayant demandé du temps pour pleurer sa virginité:

"Cela est juste, dit le roi Amasis; c'est une loi établie chez

tous les princes éclairés et prudents.

Je vous donne toute la journée

pour pleurer votre virginité, puisque vous dites que vous l'avez.

Demain,

qui est le huitième jour de mon campement, je ferai avaler le taureau blanc par le poisson, et je vous couperai le cou à neuf heures du matin.,,3 La soi-disant loi,énoncee par le roi, est en réalité une fausse prémisse. La précision avec laquelle il fixe le jour et l'heure où il fera avaler le taureau blanc par le poisson et couper le cou à sa fille lui enlève toute trace de sensibilité paternelle. Mambrès est présente comme un faux sage dont la steri1ité de pensee est constamment soulignée.

Il ressemble un peu à Pang10ss en tant que

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit. IX: 2 Ibid. , X:

p. 586.

3 Ibid., X:

p. 586.

p. 583.

- 107 -

machine à réfléchir.

"Jamais le sage Mambrès n'avait fait de réflexions

si profondes.".l Ses vaines réflexions ne mènent jamais à aucun résultat. Nabuchodonosor possède une triple personnalité, amoureux, roi et taureau, et même quadruple à la fin du conte, puisqu'il devient dieu.· Amaside et Nabuchodonosor sont, comme tous les personnages de ce groupe de contes, des victimes et se trouvent inchangés par leur expérience à la fin du récit, même si le taureau a changé de forme.

Le lecteur a

l'impression que le conteur l'a fait tourner en rond inuti1èment. complissement

fati~ique

L'ac-

du temps, que devait durer le charme sous lequel

se trouvait Nabuchodonosor, donne à toutes les frustrations subies par les amoureux un caractère de gratuité et de futilité rétrospective qui fait de ce conte un pur divertissement.

Fiction encore pour le seul plaisir de la fantaisie dans: Le Crocheteur borgne (1774) C'est un récit extrêmement gai fait sur le ton de la conversation qui sous-entend une grande intimité avec l'audience.

De même que dans

le conte qui va suivre, c'est comme si l'auteur manipulait joyeusement les événements devant le spectateur et accomplissait des tours de passepasse. Le conteur commence sa narration par un paradoxe, (liNos deux yeux ne rendent pas notre condition meilleure; . . • , Mesrour en est un

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., X:

p. 587.

- 108 -

exemple. 111), affirmant qu'un oeil vaut mieux que deux yeux, paradoxe qui va être le point de depart de plusieurs associations comiques ayant toutes plus ou moins trait à un aspect quelconque de la vue. _ Ce qui aurait pu être une triste realite n'est que l'illustration du bonheur de Mesrour qui se trouve ainsi detache de son etat de borgne: " • . . C'etait un borgne si content de son etat qu'il ne s'etait jamais .... d e d"es~rer . un autre

av~se

'1 •Il . 2

oe~

Au milieu d'un festin appartenant au monde feerique de l'Orient, en compagnie de la merveilleuse princesse Melinade, Mesrour est reveille (en même temps que l'audience) par un malencontreux seau d'eau qui ramène chacun à la realite. Comme dans Le Blanc et le noir, l'action contient un mouvement d'oscillation d'un effet comique:

Mesrour est d'abord dote d'un oeil, puis

il en gagne un autre et enfin se retrouve dans son etat premier de borgne. Il n'en est pas plus malheureux pour cela, et Voltaire nous rappelle encore une fois les avantages d'être borgne, comme il l'avait fait au debut du conte, donnant à cette fin une allure de refrain:

"Un autre se serait

desole d'être un vilain borgne, •.• ; mais Mesrour n'avait point l'oeil qui voit le mauvais côte des choses.II. 3

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 593. 2 Ibid., p. 593. 3 Ibid., p. 597.

- 109 -

A l'inverse des deux contes précédents, Les Oreilles du comte de Chesterfield (1775), est voué à la propagande des idées de Voltaire.

Le récit n'est

qu'un prétexte à de longues discussions entre trois philosophes:

le

prêtre Goudman et les docteursSidrac et Grou, sur des sujets aussi sérieux que la nature, la Providence dont les mortels sont les marionnettes et ". . . Le premier mobile de toutes les actions des honnnes. III qu'ils expos-ent.ainsi:

"~oudman,

qui avait toujours sur le coeur la perte de

son bénéfice et de sa bien-aimée, dit que le principe de tout était l'amour et l'ambition.

Grou, qui avait vu plus de pays, dit que c'était

l'argent; et le grand anatomiste Sidrac assura que c'était la chaise per2 cée. II • Le docteur Sidrac justifie comiquement cette absurdité en montrant l'effet de la digestion et de la constipation sur les hommes, effet ".' . . Plus important qu'on ne pense.".

3

Le prêtre Goudman indique son détachement de sa propre aventure au début du récit:

"Ah! la fatalité gouverne irrémissiblement toutes les

choses de ce monde.

J'en juge, comme de raison, par mon aventure. ".

4

Les allusions répétées, faites sur un ton gai, au bonheur personnel de Goudman, montrent encore le détachement du personnage et servent de relances aux discussions.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VII:

2 Ibid. , VII: 3

Ibid. , VII:

4

Ibid. , I:

pp. 684-5. p. 685. p. 671.

p. 684.

- 110 -

Il est d'abord une victime en quelque sorte, puisqu'il est frustre, au profit d'un rival, des deux objets de son ambition: Fidler.

une cure et Miss

A la fin du conte, il les obtient d'une manière inattendue:

"Il eut la cure, il eut Miss Fidler en secret, ce qui etait bien plus doux que de l'avoir pour femme.".l Quoique Miss Fidler n'apparaisse jamais en personne dans le conte, les allusions qu'on en fait à intervalles reguliers, même au milieu des discussions les plus serieuses, evoquent des situations similaires dans les autres contes où les amoureux sont separes. Ainsi au chapitre III, Goudman declare:

"Mr. Sidrac, nous avons embrasse bien du terrain,car,

sans compter Miss Fidler, nous examinons si nous avons une âme, s'il y a un Dieu, s'il peut changer, si nous sommes destines à deux vies, si .

" 2

Et le conte encore une fois se termine sur une allusion à la fatalite, comme au debut du conte, prenant ainsi l'allure d'un refrain: " . . . Et il (Goudman) est plus persuade que jamais de la fatalite qui gouverne toutes les choses de ce monde.".

3

1775 va encore être l'annee où Voltaire va faire deux brèves incursions dans le domaine de l'allegorie avec L'Eloge de la raison et L'Aventure de la memoire.

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., VIII: 2 Ibid. , III: 3 Ibid., VIII:

p. 679. p. 688.

p. 688.

- 111 -

III - Dans ce groupe de contes, la fiction se dépouille au point de n'être plus qu'un prétexte à de substantiels exposés d'idées sur la religion et l'athéisme sous forme de dialogues et de pamphlets.

Les Lettres d'Amabed (1769) . Voici le seul conte de Voltaire sous forme épistolaire.

L'épisto-

lier, naif, tout en n'étant pas stupide, est un Indien, ce qui lui confère le privilège de ridiculiser ce qu'il observe en tant qu'étranger. Cela lui permet aussi de rester détaché des événements qu'il subit.

Les

réactions émotionnelles des héros Amabed et Adaté sont réduites et la façon métaphorique qu'ils ont de s'exprimer, sonnant étrangement aux oreilles occidentales du lecteur, détourne son attention du tragique de leur situation.

Ainsi AIDabed, se plaignant du prêtre Fa tutto, s'exprime

plaisamment en utilisant les terminaisons italiennes en sont pas familières:

~

et

~

qui ne lui

"Ce rhinocéros de Fa tutto, qui avait cousu à sa

peau celle du renard, soutient ••• que je suis apostato, et que Charme des yeux est apostata.". 1 L'éducation d'Amabed et d'Adaté se fait en plusieurs étapes.

D'abord ils se moquent de la nouveauté relative du

catholicisme comparée à la religion des brahmanes et des autres cultes orientaux. Leur emprisonnement par les inquisiteurs et le viol d'Adaté par Fa tutto ouvrent la deuxième étape, mais Amabed arrive encore à se détacher de sa situation pour philosopher humoristiquement sur sa destinée

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., première lettre:

p. 532.

- 112 -

qu'il assimile à celle de l'humanité:

"Je ne cesse de réfléchir sur la

destinée qui se joue des malheureux mortels.

Nous voguons sur la mer

des Indes avec un dominicain, pour aller être jugés dans Roume, à six mille lieues de notre patrie.".l Toujours sur le bateau qui les mène à Rome, il lit la Bible et dénonce les abus et absurdités qui y sont

contenus. Une fois à Rome, il penche vers la corruption et devient plus un complice qu'une victime des catholiques qui se chargent de son éducation. Son hypocrisie égale en adresse celle de ses éducateurs lorsqu'il écrit au grand brame Shastasid, son maître spirituel:

"On nous a pressés avec

tant de grâce, on a dit tant de bons mots, on a été si poli, si gai, si séduisant, qu'enfin ensorcelés par le plaisir (j'en demande pardon â Brama), nous avons fait, Adaté et moi, la meilleure chère du monde, avec un ferme propos de nous laver dans le Gange jusqu'aux oreilles, à notre retour, pour effacer notre péché. 2 chrétiens.".

On n'a pas douté que nous ne fussions

Leurs protestations d'avoir été baptisés deviennent donc de plus en plus faibles et, comme ils acceptent le côté hédoniste des chrétiens, ils finissent par se résigner à l'acceptation de leur soi-disant baptême. Amabed admet sa tolérance/penchant vers la facilité, lorsqu'il écrit: "J e crois que le plus sage est de rire comme les autres, et d'être poli comme eux.

Je veux étudier Roume, elle en vaut la peine.". 3

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., seconde lettre: 2 Ibid., l2e lettre, p. 546. 3 Ibid., ISe lettre, p. 547.

p. 533.

- 113 -

Son éducation est définitivement accomplie à la fin de la quatorzième lettre:

"Ce monsignor me paraît bien dessalé; je me fome beau-

coup avec lui, et je me sens déjà tout autre.".l Après leur audience par le pape ("le vice-Dieu") qui leur dit adieu en les embrassant et en 1 1eur donnant " . . • De petl't es caques sur 1es f esses. • •,,2, l'1 S sont

près de leur corruption finale, puisqu'ils oublient ce pour quoi ils sont venus à Rome, demander justice du viol d'Adaté.

En sortant ils croisent

Fa tutto et Fa molto, et les conseils du violet qui les accompagnent contribuent à leur éducation:

"Vous n'êtes pas encore entièrement for-

més; ne manquez pas de faire mille caresses à ces bons pères:

c'est un

d"evoir essentiel dans ce pays-ci d'embrasser ses plus grands ennemis; vous les ferez empoisonner, si vous pouvez, à la première occasion; mais, en attendant, vous ne pouvez leur marquer trop d'amitié.".3 L'absurdité du conseil est justifié par les faits, et Amabed termine ainsi sa lettre:

"En vérité je doute que Maduré soit plus agréable

que Roume.". 4 I1 surpasse ses maîtres en hypocrisie et adopte volontairement la vie immorale qu'il avait condamnée.

Il confie sa femme -- qui

se laisse faire -- aux cardinaux aux noms suggestifs, Sacripante et Faquinetti, et Voltaire arrête là l'action, ayant soin dans un "nota bene

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., l4e lettre, p. 549. 2

Ibid. , ISe lettre, p. 554.

3

Ibid. , ISe lettre, p. 554.

4 Ibid. , ISe lettre, p. 554.

- 114 -

de mettre en garde le lecteur sur les faussaires qui s'aviseraient d'imprimer la suite des aventures des deux Indiens, " • . . Comme il est

' .. arr~ve

' en cas cent fo~s

• .1

'1" pare~

Adaté n'écrit à Shastasid que lorsque son mari se trouve dans l'impossibilité de le faire.

Elle perd donc son individualité au pro-

fit d'Amabed dont elle est, pour ainsi dire, le double. Quant aux personnages secondaires, ils sont du type comique: Dera apparaît d'une manière intermittente tout le long du conte, comme un leitmotiv, et toujours comiquement associée à un acte sexuel.

Le

tyPe de personnage qu'elle représente souligne la naiveté de ses maîtres, puisqu'ils ne la voient pas telle qu'elle est en réalité. Les noms de Fa tutto (en italien qui fait tout) et Fa molto (qui fait beaucoup) reflètent ironiquement leurs rôles de promoteurs de la Foi.

Ils se comportent en comédiens à Rome mais sont considérés par

la population comme des saints parce qU'ils ont accompli leur contingent de conversions, et nous connaissons l'opinion de Voltaire sur les saints quand Amabed rapporte que ce sont ". • . Des espèces de singes élevés avec soin pour faire des tours de passe-passe devant le peuple;".

2

A cause de la forme épistolaire du conte, Voltaire ne peut intervenir que sous forme de remarques sur certains mots où il ne se prive pas d'attaquer le religion catholique.

Ainsi, au cours de la traversée

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., 20e lettre, p. 556. 2 Ibid. , l3e lettre, p. 547.

- Ils -

vers Rome, Fa molto explique à Amabed qu'il tient à èonvertir les deux Indiens pour devenir obispol.

Voltaire annote ce mot, procède à sa

traduction, ajoutant laconiquement qu'il ne se trouve pas dans les Saintes Ecritures. A la fin du conte, l'histoire tourne court, comme elle a tourne court dans Micromegas ou dans Le Blanc et le noir, Voltaire refusant toujours le pathetique pour rester dans la note joyeuse. Et cela prouve encore une fois l'habilete du propagandiste qui evitera de montrer la déchéance complète du heros, corrompu par le clerge catholique, son education se faisant dans le sens contraire des heros des autres contes de Voltaire qui, generalement, tirent profit de leur expérience.

Histoire de Jenni (1775) Jenni n'a aucune personnalite.

Il se laisse entraîner par l'une

ou l'autre des forces en presence, se contentant d'ecouter passivement leurs debats dont le thème est l'athéisme. Mais Voltaire ne se prive pas pour autant d'attaquer le catholicisme. Il le fait dans les cha2 pitres l à 111 en même temps qu'il présente Jenni et son père Freind. Ainsi Dona Las Nalgas ecrit que, lorsque les Espagnols apprirent que les Anglais venaient assiéger Barcelone:

,.

". • • Nous commençames

par faire des neuvaines à la sainte Vierge de Manreze; ce qui est 3 assurément la meilleure manière de se défendre.".

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., 6e lettre, p. 540. 2 Ibid., pp. 613-26. 3 Ibid., 1:

p. 614.

- 116 -

L'ironie de Voltaire transparaît à travers l'apparente credulite de Dona Las Nalgas qui poursuit son recit:

"Notre reverend père inqui-

siteur don Jeronimo Bueno Caracucarador ..• nous assura •.• que la Sainte-Vierge, qui est très favorable aux autres pecheurs et pecheresses, ne pardonnait jamais aux heretiques, et que par consequent ils seraient tous infailliblement extermines, surtout s'ils se presentaient devant le Mont-Jouy.". 1 Et, selon sa coutume, Voltaire se contente de faire refuter la prediction du prêtre par la realite:

"A peine avait-

il fini son sermon que nous apprîmes que le Mont-Jouy etait pris d'as-· saut.".2 Au chapitre III, le bachelier don Inigo y Medroso y Comodios y Papalamiendo defend la religion catholique:

" • . . Il est de foi, dis-

je, que Saint-Pierre etait à Rome une certaine annee; car il date une de ses lettres de Babylone; car puisque Babylone est visiblement l'anagramme de Rome, il est clair que le pape est de droit divin le maître de toute la terre; car, de plus,

.".3 Ses arguments n'ont aucun

sens mais la forme du discours (avec ses multiples "car" et "il est clah que") donne l'illusion d'un raisonnement logique. Voltaire a l'art de caracteriser ses personnages par leurs noms, qui sont si expressifs qu'ils le dispensent souvent de nous les presenter en detail.

L'auteur s'amuse visiblement en choisissant des noms

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., I:

2 Ibid., I: 3 Ibid., III:

p. 614.

p. 620.

p. 614.

- 117 -

qui suggèrent leurs rôles aux dames espagnoles Dona Boca Vermeja (Madame bouche vermeille) et Dona Las Nalgas QMadame les fesses).

La seductrice

anglaise Clive-Hart porte un nom aux consonnances suggestives ("Cleaveheart":

bourreau de coeursj, alors que le nom de Primerose évoque la

pureté. Nous avons déjà signalé les appellations burlesques de l'inquisiteur et du bachelier qui les assimilent à la cohorte de marionnettes dont Voltaire a besoin pour appuyer sa cause.

CON C LUS ION

1

'--

A l'issue de la lecture des Contes, nous demeurons sous l'impression que nous venons de converser avec l'auteur et nous ne pouvons que nous associer à l'opinion d'Emile Faguet:

"Quand on ferme un de ces petits

livres, on n'a vécu ni avec Zadig, ni avec Candide, mais avec Voltaire dans une demi-intimite très piquante, qui a quelque chose d'accueillant, de gracieux et d'inquiétant.".l Le narrateur projette en effet dans ses recits une presence qui prend l'allure d'une causerie avec son auditoire.

Un exemple frappant en est

L'Homme aux guarante écus que nous n'avons pas etudie parce que son affabu1ation est si mince qu'on peut à peine le qualifier de "conte". Un certain monsieur André dialogue avec une serie d'interlocuteurs, plusieurs "je", qui se confondent finalement en une seule personne, Voltaire, s'entretenant avec le protagoniste, c'est-à-dire avec lui-même, pour exposer ses théories economiques et sociales. Et cette omniprésence de l'auteur est sensible dans tous ses contes où Voltaire se cache sous le travesti de ses marionnettes avec un maqui11age plus ou moins apparent. protagoniste est encore

Nous l'avons démontré pour Micromegas où le

I:'-àutè~12

lui-même:

. . ·.)'loltaœre-Micromégas a fait

ses etudes au collège des jésuites, s'est livré à des expériences scientifiques sur lesquelles il a écrit un livre qui lui a valu une poursuite du "muphti" et son exil de la cour ". • • Qui n'etait remplie que de tracas-

1 Emile Faguet, Dix-huitième siècle (Paris: p. 281.

études littéraires, 1890),

il 1

i

- 120 -

series et de petitesses.".

1

Il fait une chanson "fort plaisante" contre

le'muphti et se met à voyager de planète en planète. Voltaire, s'affublant des attributs convenant à la taille démesurée du voyageur céleste, n'en est pas moins reconnaissable aux yeux des privilégiés composant son assistance et partageant avec lui " .•• Quelque vérité fine qui échappe au vulgaire.". 2 A la fin de La Princesse de Babylone, il fait même irruption en personne pour invoquer les muses et attaquer ses adversaires Coger, Larcher, Fréron et Riballier.

Au début de cette sortie, il se reconnaît l'auteur

de Candide et de L'Ingénu, manquant ainsi à ses habitudes de prudence. Micromégas est en effet le seul conte à sa publication dont le titre reconnaisse son auteur:

"Le Micromégas de M. de Voltaire".

Zadig est écrit

par ". . • Un ancien sage . . . ,,3 et traduit de l'ancien chaldéen par Sadi. Candide est "Traduit de l'allemand de M. le docteur Ralph" qui " . . • Mourut à Minden, l'an de gr~ce 1759).4 Le Blanc et·le noir est attribué)à feu Antoine Vadé dont sa cousine Catherine Vadé publie les manuscrits. L'Ingénu est une "Histoire véri tabl e tirée des manuscrits du

P.

QuesneL". 5

Il a aussi fait preuve de prudence et évité la censure en faisant passer son action dans des lieux fictifs, déformations de lieux réels, en

1 Voltaire, Romans et contes, op. cit., p. 132. 2

Ibid., IX:

p. 583.

3 Ibid. , p. 29. 4 Ibid. , p. 179. 5 Ibid. , p. 323.

:' i

- 121 -

projetant les pays d'Europe à l'étranger ou en les observant avec des yeux d'étranger. La caricature des personnages, en harmonie avec l'exagération des événements et l'irréalité des conditions dans lesquelles prend place chacune des petites comédies, écarte d'autre part toute participation affective de la part du lecteur.

Elle sauvegardera par ailleurs l'atmos-

phère joyeuse, soulignée par son expression artistique que Voltaire a définie lui-même dans le mot Esprit de son Dictionnaire philosophique: "Ce qu'on appelle esprit est tantôt une comparaison nouvelle, tantôt une allusion fine:

ici l'abus d'un mot qu'on présente dans un sens, et qu'on .~

_.

"~._--_._------

laisse entendre dans un autre; là un rapport délicat entre deux idées peu communes; c'est une métaphore singulière; c'est une recherche de ce qu'un objet ne présente pas d'abord, mais de ce qui est en effet dans lui; c'est l'art ou de réunir deux choses éloignées, ou de diviser deux choses qui paraissent se joindre, ou de les opposer l'une à l'autre; c'est celui de ne dire qu'à moitié sa pensée pour la laisser deviner.".l Notre désengagement émotionnel vis-à-vis des personnages schématisés des contes de Voltaire, favorise notre complicité avec l'auteur.

Nous nous

joignons alors à son armée de marionnettes au service de la bonne cause, dans leur lutte contre les forces mauvaises que Voltaire a dénoncées, entre autres l'injustice, l'intolérance religieuse et la guerre.

Ces fléaux de

l'humanité, existant toujours, font que Voltaire dans ses contes, au-delà du temps, reste actuel) et le restera) tant qu'un monde nouveau) à l'image de son

E1dorad~ne

sera pas institué.

1 Voltaire, Dictionnaire philosophique (paris: vol. 4, p. 215.

chez P. Dupont, 1826),

-_.

--.".

,

BIBLIOGRAPHIE DES OUVRAGES CONSULTES

l

- Différentes éditions des Contes de Voltaire Romans et contes de Voltaire, présentation par Rene Pomeau (Paris: Garnier - Flammarion, 1966)

Contes et romans de Voltaire; 4 volumes, edition de Philippe Van Tieghem (Paris: Roches, 1930) Vo1taire's Micromegas, Ira O. Wade (Princeton: Princeton University Press, 1950) Romans et contes, Rene Groos, édition de la Pléiade (Paris: Gallimard, 1954) Zadig ou la destinee, édition Verdun L. Sau1nier (Genève: librairie Droz, 1956) L'Ingénu, édition William R. Jones (Genève: librairie Droz, 1957) Voltaire and "Candide", Ira o. Wade (Princeton: Princeton University Press, 1959) Zadig, Micromégas et autres contes, édition de Pierre Grimal (Paris: Colin 1961) Candide ou l'optimisme, édition René Pomeau (Paris: Nizet, 1963) Candide ou l'optimisme, Christopher Thacker (Genève: librairie Droz, 1968)

II - Oeuvres d'analyse des contes de Voltaire Bottig1ia, William F.

Travaux sur Voltaire et le dix-huitième siècle, volume VIlA, Vo1taire's Candide: ana1ysis of a c1assic, 2e édition par Theodore Besterman (Genève: Institut et musee Voltaire, 1964)

- 124 -

Castex, Pierre Georges

Voltaire: Micromegas, Candide, L'Ingenu, Les cours de Sorbonne (Paris: centre de documentation universitaire, 1961)

Flowers, Ruth Cave

Voltaire's stylistic transformation of Rabelaisian satirical devices (Washington: The Catholic University of America Press, 1951)

McGhee, Dorothy Madeleine

Volterian narrative devices as considered in the author's Contes philosophiques (Menasha: George Banta Publishing Company, 1933)

Sareil, Jean

Essai sur Candide (Genève: librairie Droz, 1967)

Van den Heuvel, Jacques

Voltaire dans ses contes (Paris: librairie Armand Colin, 1967)

III - Ouvrages genéraux sur Voltaire et le XVIIIe siècle Bellesort, Andre

Essai sur Voltaire (Paris: librairie academique Perrin, 1925).

Faguet, Emile

Dix-huitième siècle: etudes litteraires 1ge edition (Paris: Lecène et Oudin, 1901)

Lanson, Gustave

Voltaire, 2e edit ion (Paris: Hachette, 1910)

Naves, Raymond

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Pomeau, ,.. Rene .

~..

..

...... . .

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Wade, Ira O.

Voltaire par lui-même (Paris: Le Seuil, 1965) The Search for a new Voltaire (Philadelphia: The American Philosophical Society, 1958)

IV - Ouvrage de reference Marouzeau, J.

Precis de stylistique française, 5e édition (Paris: Masson et cie, 1965)