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5 mars 2007 - La tutelle aux prestations sociales enfant s'applique, toujours selon le ...... pulsion irrépressible, à partir de l'éclairage de la psychanalyse,.
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  Université Pierre-Mendès France UFR Economie, Stratégie, Entreprise

Des mesures judiciaires aux administratives dans la loi de protection de l’enfance de mars 2007, un recul historique ?

Mémoire rédigé et soutenu par Marie-Laurence Binet pour l’obtention de la spécialité Management des politiques sociales et sanitaires Du Master Economie Internationale et Globalisation

Directeur de mémoire : Michel Chauvière

« L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les travaux universitaires : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. »

 



 

 

Résumé

Cette recherche a été effectuée par un délégué aux prestations familiales à l’occasion d’un master de management des politiques sociales et sanitaires à l’Université des sciences économiques Pierre Mendès-France à Grenoble. Elle a pour objet d’évaluer les conséquences de la nouvelle loi de protection de l’enfance votée en mars 2007 sur la pratique des mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial, anciennement tutelles aux prestations sociales enfant, en étudiant particulièrement la mise en place, consécutive à cette nouvelle loi, de mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale dans le cadre administratif de la décentralisation. Elle repose sur une analyse bibliographique de textes, de communiqués de presse et d’enquêtes et sur une observation empirique de l’exercice des mesures. Elle questionne la pertinence d’un retour aux mesures administratives dans une pratique professionnelle auparavant exercée dans le cadre judiciaire de la protection de l’enfance en France ; en faisant un retour sur l’histoire et l’évolution de la protection des prestations familiales ; en s’interrogeant sur l’évolution sociologique des familles françaises ; et sur les conditions socioéconomiques de vie des plus défavorisées d’entre elles.

Mots-clefs : Protection de l’enfance, mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial, mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale, évolution de la famille, paupérisation des familles modestes.

 



 

 

Des mesures judiciaires aux mesures administratives dans la loi de protection de l’enfance de mars 2007, un recul historique ?

Sommaire

Introduction

1. L’histoire, le financement, les acteurs 1.1 L’histoire 1. L’histoire des allocations familiales. Tableau chronologique de l’histoire de la mesure de tutelle. Commentaires sur les évolutions jusqu’à aujourd’hui. 2. Un phénomène ancien, le glissement de la protection de l’enfant à celle de la famille. Le principe d’universalité, les tentatives de mise sous conditions de ressources des PF (1997, 2008). 3. La réforme issue de la nouvelle loi de protection de l’enfance votée en mars 2007. Les enjeux entre pouvoir administratif et judiciaire. 1.2 Le financement 1. Modalités de mise en place et de financement de la mesure judiciaire (MJAGBF). 2. Modalités de mise en place de la mesure administrative d’accompagnement en économie sociale et familiale (AESF) dans le cadre de la décentralisation: report des dépenses de l’Etat sur les collectivités territoriales. 3. Extraits commentés du rapport de l’ODAS sur les dépenses départementales d’action sociale en 2008. 1.3 Les acteurs 1. La cogestion des CAF par les partenaires sociaux. Rappel sur l’histoire des mouvements familiaux français. Les valeurs défendues par l’Union nationale des associations familiales. Les associations exerçant les mesures (les Unions départementales des associations familiales, l’Union nationale des associations de Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence). Les déléguées aux prestations familiales. 2. Les familles bénéficiaires et l’évolution dans la pratique de l’exercice des mesures : Familles en tutelle de la Caisse d’allocations familiales d’Ille et Vilaine dans les années cinquante - enquête de l’Union départementale des associations familiales des Pyrénées Atlantiques, la perception de la

 



 

  mesure par les familles bénéficiant d’une mesure de tutelle aux prestations sociales enfant en juin 2003.

2. La protection de l’enfant 2.1 Evolution de la famille 1. Retour sur l’évolution récente de la famille. De la famille traditionnelle aux nouvelles formes de la cellule familiale : familles monoparentales, familles recomposées. La famille, première instance de socialisation. 2. Le dispositif de protection de l’enfance, qui relève à la fois de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire. Le « contractualisme » et ses écueils. 2.2 Le regard porté sur la famille 1. Analyse croisée des lois de protection de l’enfance et de prévention de la délinquance. La gestion des prestations familiales, une illustration des incohérences. 2. Qui est responsable de l’enfant ? Les parents et la famille, lieu « naturel » de protection. Les autorités scolaires, au pouvoir renforcé par la loi de protection de l’enfance. Le nouveau pouvoir d’ingérence du délégué à la tutelle. Retour sur le rapport Bénisti. 2.3 De la MJAGBF à l’AESF, la subsidiarité en question 1. Affaiblissement du pouvoir judiciaire et du monde associatif, renforcement du pouvoir administratif : la nouvelle suprématie des conseils généraux, exemple des AESF issues du nouveau système de protection de l’enfance. 2. Les AESF dans le département de l’Isère, réponse à un appel d’offre. La mise en œuvre d’une logique de rentabilité économique dans le secteur social. 3. La paupérisation des familles modestes 3.1 Les conditions de vie des ménages pauvres 1. La crise de la société salariale. La composition des ménages. L’accès aux droits. Rapport de l’observatoire national de l’exclusion 2007-2008 : extraits et commentaires. La solidarité. 2. Consommer pour exister : le don, la fonction de l’argent. La dépense excessive et son envers inconscient. La capacité à consommer. Le droit au crédit. Le surendettement. Le logement. 3.2 Le double visage de la mesure d’AGBF, protection et contrôle 1. Les familles « réelles » : les bénéficiaires des mesures d’AGBF et leurs difficultés quotidiennes. Exemple des familles de l’Isère et des Pyrénées Atlantiques. 2. Protection et contrôle. Questions autour du sens de l’acronyme AGBF, qui remplace la dénomination tutelle aux prestations familiales.

 



 

 

3.3 La mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale, quel soutien pour les ménages pauvres ? 1. Les services sociaux d’intérêt général, une avancée européenne. Les mesures d’AESF dans les régions voisines et en Rhône-Alpes. 2. Le manque de moyens d’action pour les travailleurs sociaux sans ordonnance judiciaire. Les modalités de l’appel d’offre en Isère : où l’on obère l’efficacité du soutien.

Conclusion

 



 

  Introduction

La politique familiale française est née entre les deux guerres. En 1932, la loi Landry généralise les allocations familiales pour tous les salariés de l'industrie et du commerce ayant au moins deux enfants. L'adhésion des employeurs à une caisse de compensation devient obligatoire. "C'est le décret-loi du 12 novembre 1938 qui crée véritablement les allocations familiales, indépendantes des salaires et des entreprises" indiquent Bruno Ribes et Marc de Montalembert1. Ils précisent ensuite que "la charte de base est la loi du 22 août 1946. À partir de quatre prestations (dont les allocations familiales), la branche famille va mobiliser dans les années 1950 jusqu'à 40 % des dépenses de sécurité sociale". Cette politique de soutien des familles et de prise en compte du coût des enfants, selon le principe de l’universalité, est renforcée, dans le cadre général de la Sécurité sociale, par le Conseil National de la Resistance après la Libération. Elle s’inscrit également dans une histoire française marquée par le poids des associations familiales, dont Michel Chauvière situe l’origine dans la défense des familles nombreuses 2 : « Les diverses ligues de familles nombreuses (…) et leurs nombreux relais parlementaires contribuent à inscrire la question familiale dans les politiques d’assistance du début du siècle, en complément des politiques démographiques naissantes. » Le Code de la Sécurité Sociale prévoit, dès son entrée en vigueur, l'éventualité d'un détournement de ces prestations de leur objectif premier : soutenir la vie familiale et assurer, aux enfants particulièrement, des conditions de vie décentes. En effet, les prestations sont servies, dans l'esprit de la loi, pour répondre aux besoins de base des familles : logement, chauffage, alimentation, vêture. Quant à la tutelle aux prestations sociale adulte, elle protège des adultes fragiles (déficients intellectuels, malades mentaux etc.), de détournement, d'abus de pouvoir, qui les priveraient également des moyens de couvrir leurs besoins de base. Cette tutelle aux prestations sociales enfant ou adulte deviendra une mesure judiciaire en 1946. La tutelle aux prestations sociales enfant est régie par la loi n° 66-774 du 18 octobre 1966, déclinée dans le Code de la Sécurité sociale aux articles L167-1 et R 167-1 et suivants. Elle est complétée par le décret n°69-399 du 25 avril 1969, sur la professionnalisation de la tutelle, qui pose les premiers fondements : " Le tuteur aux prestations sociales reçoit les fonds versés par les services ou les organismes débiteurs. Le tuteur doit affecter les prestations à caractère familial ou destinées à des enfants aux besoins exclusifs de ceux-ci et aux dépenses de

                                                         1 Ribes

B., de Montalembert M., "La politique familiale ", La protection sociale en France, 2001, p. 138. 

2 Chauvière M. «  Equité, mon beau souci », Sociétés & Représentations, septembre 1999, pages 184 à 204, (Hors‐série 

Etudes du CREDHESS : « Protection sociale : quelle réforme ? ») 

 



 

 

première nécessité les concernant, en particulier aux dépenses d'alimentation, de chauffage et de logement. Dans le cadre de sa gestion, il est habilité à prendre toutes mesures de nature à améliorer les conditions de vie des enfants et à exercer auprès des parents une action éducative en vue de la réadaptation complète de la famille." La tutelle aux prestations sociales enfant s'applique, toujours selon le Code de la Sécurité Sociale : " Dans le cas où les enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés dans des conditions d'alimentation, de logement et d'hygiène manifestement défectueuses, ou lorsque le montant des prestations n'est pas utilisé dans l'intérêt des enfants". C'est alors que "le juge des enfants peut ordonner que les prestations soient, en tout ou partie, versées non au chef de famille, mais à une personne physique ou morale qualifiée, dite tuteur aux prestations sociales." Cette loi du 18 octobre 1966 met également en place la tutelle aux prestations sociale adulte, dans le même ensemble législatif. Ce sont le juge des enfants pour les tutelle aux prestations sociales enfant et le juge des tutelles pour les tutelle aux prestations sociale adulte qui ordonnent les mesures. Les mesures de protection des "incapables majeurs" se distinguent des tutelles aux prestations sociales en ce qu'elles "constituent un ensemble de mesures graduées, intégrées au Code Civil", articles 389 et suivants. Promulguées en 1968, elles ont pour mission de protéger les intérêts des personnes adultes particulièrement fragiles. Elles vont de la sauvegarde de justice à la tutelle aux majeurs protégés, en passant par la curatelle simple et la curatelle renforcée. Elles consistent en une simple gestion des prestations dans l'intérêt de la personne protégée, pour la tutelle aux prestations sociales adultes, par exemple ; ou en une obligation d'obtenir l'autorisation de son tuteur pour ouvrir un compte en banque, signer un contrat ou se marier, pour la curatelle renforcée, autre exemple. Dans ce système législatif, les mesures pour majeurs protégés de 1968 sont distinguées des tutelles aux prestations sociales adulte de 1966, même si elles sont toutes deux ordonnées par le juge des tutelles. Si nous les évoquons ici, c'est parce que le mouvement de réforme des tutelles aux "incapables majeurs" va entraîner dans son sillage celui des tutelles aux prestations sociales. La tutelle aux prestations sociales enfant est donc dès l'origine rattachée à la tutelle aux prestations sociale adulte, et mal connue des magistrats de la jeunesse en général, malgré quelques fervents défenseurs. Depuis la loi de protection de l’enfance votée en mars 2007, l’ancienne tutelle aux prestations sociales enfant est remplacée par la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial. Celle-ci reprend l’esprit de la formulation initiale énoncée dans le code de la Sécurité sociale, tout en étant désormais officiellement intégrée dans le dispositif de protection de l’enfance.

 



 

 

Mais il y a un changement important et qu’il faut souligner : le principe de subsidiarité prévaut désormais. En effet, le nouveau texte prévoit que le juge des enfants ne peut décider d’une mesure judiciaire que si « l’accompagnement en économie sociale et familiale n’apparaît pas suffisant ». Cela implique donc qu’une évaluation de la situation familiale ait été faite au préalable, qui peut conclure d’emblée à la nécessité d’une mesure judiciaire. L’interprétation la plus courante est que cet accompagnement en économie sociale et familiale doit être mis en place, avant une éventuelle mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial. L’accompagnement en économie sociale et familiale est alors décidé, à la demande de la famille, ou sur conseil de l’assistante sociale de secteur, par le président du conseil général du département où réside la famille. Parallèlement à cette réforme de la tutelle aux prestations sociales enfant, inscrite dans la nouvelle loi de protection de l’enfance, le gouvernement modifie également le système des mesures de protection pour adultes dans la réforme sur les tutelles aux majeurs protégés. Nous ne l’étudierons pas ici en détail. Mais il est indispensable cependant de rappeler la différence de sens fondamentale entre les mesures de protection pour adultes et celles pour enfants : la tutelle pour adultes se substitue à des capacités qui font défaut, la mesure de protection des enfants répond à des comportements inadaptés. La tutelle enfants est, de longue date et selon la formule de Jacques Donzelot, une mesure de police des familles, ce que n’est pas la tutelle adulte. Comment se repérer aujourd’hui dans ces nombreuses réformes, qui modifient plus profondément qu’il n’y paraît le paysage social ? Nous allons les aborder sous l’angle de la nouvelle mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial, et de son pendant administratif, l’accompagnement en économie sociale et familiale. Notre projet est de répondre aux questions suivantes : La récente mise en place de la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial serait-elle un des symptôme d’une régression sociale historique, signe d’une mise à mal du pacte républicain établi après la seconde guerre mondiale et de l’équilibre des forces entre les trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) ? Sinon, pourquoi donne-t elle au délégué aux prestations familiales un pouvoir d’ingérence dans l’éducation des enfants que n’avait pas le délégué à la tutelle dans le cadre de l’ancienne tutelle aux prestations sociales enfant ? Qu’en est-il alors aujourd’hui du rôle de la famille ? Y a-t il là une volonté politique précise en matière de politique familiale, puisque la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial est désormais inscrite officiellement dans le dispositif français de protection de l’enfance, depuis la loi du 5 mars 2007 ? Ce nouveau pouvoir administratif serait-il une façon de poursuivre l’affaiblissement du pouvoir judicaire, commencé, entre autres, avec la révision autoritaire de la carte judiciaire? En effet, la nouvelle mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial ne sera désormais ordonnée par un juge des enfants, selon le principe de subsidiarité, que si une mesure administrative (accompagnement en économie sociale et familiale) a au préalable été tentée, dans un cadre contractuel, entre les parents et le président du conseil général ;

 



 

 

ou si le conseil général a assez d’éléments sur la famille pour juger d’emblée la mesure administrative insuffisamment protectrice et en faire part au procureur de la République, qui transmettra éventuellement au magistrat de la jeunesse. Ainsi, des trois pouvoirs, administratif, exécutif et judiciaire, ce dernier sortirait affaibli de cette évolution législative de la tutelle à l’aide à la gestion du budget familial. Ces questions feront l’objet de trois parties. La première présentera au lecteur l’histoire des allocations familiales et du principe d’universalité, ainsi que celle de la mesure de tutelle enfant. A son origine, la mesure de tutelle protégeait l’enfant, la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial protège aujourd’hui, comme son nom l’indique, la famille entière. Mais c’est un mouvement engagé de longue date (1966). Les nouveaux enjeux entre pouvoir administratif et pouvoir judiciaire seront étudiés, par le biais entre autre, d’une observation de la mise en place sur le terrain des mesures d’AESF (accompagnement en économie sociale et familiale). Nous présenterons également les différents acteurs qui gravitent dans son champ, dont l’Union nationale des associations familiales (UNAF), représentante officielle et de par la loi des familles françaises auprès des pouvoirs publics. Dans la seconde partie, nous travaillerons sur l’évolution de la famille ces quarante dernières années, puis étudierons le regard porté sur elle par les lois de protection de l’enfance et de prévention de la délinquance, votées par le Parlement le même jour de mars 2007. Qui doit protéger l’enfant ? De longue date, ce sont la famille - et nous verrons comment se dessine un mouvement international autour de la « responsabilisation » des parents - les autorités scolaires et sanitaires, l’autorité judiciaire. Aujourd’hui, le pouvoir administratif des Conseils généraux sur les citoyens sort renforcé du nouveau dispositif de protection de l’enfance. Est-ce une avancée ou un recul ? Que dire, d’autre part, de la mise en œuvre d’une logique de rentabilité dans le secteur social ? Car la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial permet également d’aborder ce qui se joue du côté de la paupérisation des familles, et ce sera l’objet du troisième chapitre. La pauvreté des familles bénéficiant de ces mesures est un problème dont le délégué, anciennement à la tutelle, et aujourd’hui aux prestations familiales, ne peut faire autrement que de se saisir, tellement il est criant. Si la tutelle a longtemps servi, entre autre, à résoudre les impayés de loyer, elle contribue avant tout aujourd’hui à ce qu’un certain nombre de familles continuent à s’alimenter. C’est ici qu’apparaît le double visage de la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial, à la fois protection des plus démunis et contrôle social sur les familles pauvres, versant qui existait déjà avec la mesure de tutelle aux prestations sociales enfant, mais qui s’est bien renforcé avec la loi de prévention de la délinquance.

 



 

  1. L’histoire, le financement, les acteurs 1.1 L’histoire

Michel Chauvière, sociologue spécialiste de la famille, a travaillé sur les politiques familiales françaises depuis leurs débuts, et particulièrement sur l’histoire des allocations familiales et celles des mesures de tutelle enfant. C’est pourquoi nous ferons souvent référence à ses travaux. Nous nous sommes appuyés pour la chronologie ci-après sur son article 3 paru en mai 1999 dans Le temps de l’histoire n° 2, ainsi que sur Un regard sur l’histoire des mesures de tutelle enfant4, compte-rendu d’une intervention au Sénat lors du colloque pour les quarante ans de la mesure. Nous commencerons ce tableau chronologique en 1932. Cependant, il faut noter qu’il existait déjà, ici ou là, des initiatives patronales de création de caisses de compensation pour soutenir les ouvriers ayant charge de famille. Emile Romanet, jeune directeur adjoint des établissements Joya à Grenoble, fit verser aux familles nombreuses des cinq-cents ouvriers une allocation, puis, à partir de novembre 1916, vingt centimes par jour et par enfant. Ce système fut ensuite étendu en 1918, aux personnels des membres du syndicat patronal des constructeurs, mécaniciens, chaudronniers et fondeurs de l’Isère, Savoie et Haute-Savoie. Cette idée, généreuse, était quand même dans l’intérêt bien compris du patronat, qui fidélisait ainsi sa main d’œuvre.

La loi Landry du 11 mars 1932 généralise les allocations familiales pour tous les salariés du commerce et de l’industrie ayant au moins deux enfants, n’ayant pas dépassé l’âge scolaire, c’est-à-dire 16 ans. Les allocations familiales sont incessibles et insaisissables, sauf pour le paiement des dettes alimentaires prévu par l’article 203 du code civil.

Un décret-loi du 12 novembre 1938 introduit pour la première fois la mention explicite d’une sanction : « « Le versement des allocations familiales pourra être retardé ou même suspendu pendant un mois maximum lorsque, après enquête de l’organisme agrée (à savoir la caisse de compensation), il aura été établi que l’enfant est élevé dans des conditions d’alimentation, de logement et d’hygiène manifestement défectueuses. »

Un second décret-loi dit Code de la famille et de la natalité françaises du 29 juillet 1939 prévoit le versement à un bureau de bienfaisance, une œuvre ou une personne qualifiée « qui aura la charge d’affecter ladite somme aux soins exclusifs de l’enfant » dans le cas où « d’après les informations recueillies, la prime de première naissance risquerait de ne pas être utilisée dans

                                                         3 Chauvière M.  « Cent

ans de répression des violences à enfants », Le temps de l’histoire n° 2, 1999.  du 20 octobre 2006 au colloque organisé au Sénat pour les quarante ans de la mesure de tutelle enfant (1966/ 2006).  4 Chauvière M. « Un regard sur l’histoire des mesures de tutelle enfant » Intervention

 

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l’intérêt de l’enfant. »

Le 18 novembre 1942, une loi spécifique organise la tutelle aux allocations familiales et ébauche la profession de tuteur. Le texte adopté complète l’article 11 et modifie l’article 16 du code de la famille.

La loi du 22 août 1946 fixe le régime des allocations familiales en étendant le bénéfice à toute personne ayant charge d’enfants de rang deux ou plus.

Un décret du 11 décembre 1946 donne compétence exclusive au juge des enfants pour ordonner la mesure. C’est le magistrat qui désigne le tuteur.

Le 18 octobre 1966, la mesure de tutelle aux prestations sociales enfant est inscrite l’article 552-6 du code de la Sécurité sociale, dont le décret d’application paraîtra le 25 avril 1969. Conçue comme une mesure éducative, elle fait dès lors partie du dispositif de protection de l’enfance.

Le 5 mars 2007, la tutelle enfant est intégrée dans le Code civil, rebaptisée mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial et soumise au principe de subsidiarité : elle ne peut être ordonnée par un magistrat que si « l’accompagnement en économie sociale et familiale prévue à l’article L. 222-3 du code de l’action sociale et des familles n’apparaît pas suffisant ».

Cette chronologie des principales dates d’évolution des allocations familiales et de la mesure de tutelle aux prestations sociales enfant nécessite d’abord quelques commentaires sur l’importance du contexte économique et son impact sur les choix politiques. Puis nous évoquerons un phénomène ancien, le glissement de la protection de l’enfant à celle de la famille. Nous nous pencherons sur l’obligation alimentaire, le principe d’universalité et les tentatives de mise sous conditions de ressources des prestations familiales (1997, 2008). Enfin, nous nous intéresserons aux enjeux entre pouvoir administratif et judiciaire dans la réforme issue de la nouvelle loi de protection de l’enfance, votée en mars 2007 1.1.1 Voyons en premier lieu l’importance du contexte économique et politique. En 1932, se font encore sentir, pour le patronat, les effets de la crise économique de la fin des années vingt. La loi du 11 mars 1932 est adoptée par un gouvernement de centre-droit, deux mois avant les élections qui allaient donner une majorité de gauche. L’Etat y fixe une réglementation commune qui oblige les patrons à adhérer à une caisse de compensation territoriale de leur choix. Un taux minimal est fixé dans chaque département, et chaque salarié ayant à charge un enfant de moins de seize ans ouvre droit aux allocations familiales. Celles-ci sont encore fortement

 

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liées au salariat et ont en réalité un statut de sursalaire. Le mouvement de déconnexion vis-à-vis du travail s’initiera progressivement (les prestations familiales continuent à être dues en cas d’accident du travail entraînant une incapacité temporaire ou permanente), ce que souligne Michel Chauvière 5 : « Le progressif détachement du salariat, à partie de 1938, permet l’essor des mesures de tutelles, comme outil de contrôle social des familles, de plus en plus indépendant. » Il ajoute que cette déconnexion progressive du salariat et l’extension des allocations familiales vont également valider l’idée de compensation universelle des charges familiales. La seconde étape importante, dans un contexte historique et économique particulier, est novembre 1938 : c’est là qu’apparaît pour la première fois l’idée de sanction pour mauvaise utilisation des prestations familiales. Daladier vient, avec Chamberlain et Mussolini, de signer avec Adolf Hitler les accords de Munich. Le ministre des finances est Paul Raynaud, un libéral. La guerre est imminente et le lobby nataliste a pignon sur rue. La nation a besoin de soldats au front et les familles nombreuses participent à l’effort de guerre. Leurs charges doivent donc être minorées par l’apport des allocations familiales. Alfred Sauvy, économiste, démographe et sociologue, conseiller du gouvernement Raynaud, fait fixer le versement d’un minimum de 5% des salaires par les employeurs aux caisses de compensation. En contrepartie, il donne à celles-ci un pouvoir d’enquête, et de sanction (« versement retardé ou suspendu un mois maximum ») sur les familles, lorsque « il aura été établi que l’enfant est élevé dans des conditions d’alimentation, de logement et d’hygiène manifestement défectueuses. » Cette idée de sanction est renforcée en juillet 1939 par le Code de la famille et de la natalité françaises, qui remplace l’allocation versée au premier enfant par une prime de l’employeur à l’enfant légitime né dans les deux années suivant le mariage. Les taux d’allocation sont améliorés pour les familles de trois enfants ou plus. Le contrôle des ces aides à la famille est instauré dans un article spécifique (versement à un bureau de bienfaisance, une œuvre ou une personne qualifiée « qui aura la charge d’affecter ladite somme aux soins exclusifs de l’enfant » dans le cas où « d’après les informations recueillies, la prime de première naissance risquerait de ne pas être utilisée dans l’intérêt de l’enfant. »), mais le flou est total sur les modalités de recueil des informations par la caisse de compensation patronale. L’objectif est ici de veiller à l’utilisation de la prime de naissance « aux soins exclusifs de l’enfant ». Par contre, le fait que la caisse de compensation ait toute latitude pour décider de verser l’allocation de l’enfant à une autre personne que le parent est révélateur de l’esprit de suspicion qui prévaut envers les « parents qui boivent l’argent des allocs. » En 1940, le Code de la famille et de la natalité françaises est complété par l’article 11, qui prévoit une « présomption irréfragable de mauvaise utilisation ». Michel Chauvière souligne que cette mention est la plus répressive dans l’histoire de la tutelle. En cas de condamnation pénale d’un des conjoints, ou de

                                                         5 

 

Chauvière M., op. cit. (b) 

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condamnation pour état d’ivresse, la présomption irréfragable est établie, et les allocations sont versées à l’autre conjoint ou à une œuvre. Sous Vichy, en 1942, on assiste pour la première fois au durcissement administratif qui consiste à subordonner le versement des prestations familiales à la présentation d’un certificat de scolarité. Par ailleurs, c’est désormais le préfet qui décide de la mise sous tutelle des prestations familiales. La famille peut exercer un droit de recours, après trois mois minimum, auprès du Juge de Paix et, si nécessaire, devant le Tribunal civil en appel. Les droits de la famille sont alors soumis à la puissance administrative de façon plus ou moins arbitraire. C’est en 1946 que la mesure devient judiciaire, de la compétence exclusive du juge des enfants. Cependant, Michel Chauvière note6, qu’ « en 1946, on compte encore de nombreuses « tutelles officieuses ». Certaines préfectures continueront jusqu’au cours des années cinquante de préférer cette formule, sans faire intervenir le juge des enfants (…) A l’amiable, en quelque sorte, ce qui montre à la fois les voies obscures de la moralisation familiale et la situation infra – droit de nombreuses actions tutélaires, demeurées administratives. » Le contexte économique et politique des périodes évoquées paraît donc prégnant. Si l’on regarde du même œil critique la période récente, quelques rapprochements viennent immédiatement à l’esprit. Le durcissement administratif et réglementaire est en voie de réapparition : il n’était plus possible, en Isère, par exemple, de bénéficier de l’allocation parent isolée si l’enfant ou les enfants étaient placés, même provisoirement, et même à la demande du parent. Si les discours théoriques sur la nécessité de maintenir le lien entre l’enfant et sa famille d’origine sont toujours d’actualité, les moyens financiers d’accueillir l’enfant le plus souvent possible, le week-end et les vacances, afin d’adoucir les effets de la séparation, ont eux, disparus corps et biens avec cette nouvelle directive. Comment garder un toit, pour accueillir ses enfants quand ils rentrent à la maison, sans ressources suffisantes pour en payer le loyer ? Par surcroît, ce durcissement semble à géométrie variable selon les départements7 : la CAF (caisse d’allocations familiales) de Lyon appliquait la même réglementation stricte que celle de Grenoble, alors que la CAF de la Côte d’Or continuait de verser l’API (allocation parent isolé) s’il y avait des temps de retour des enfants ou si les liens sont maintenus avec le parent. Avec la mise en place du RSA (revenu de solidarité active), on ne sait plus très bien ce qu’il en est, puisque même les agents de la CAF semblent pour l’instant un peu perdus dans le maquis du nouveau dispositif. Nous retrouvons également l’esprit de suspicion à l’égard des familles dans la bouche du ministre de l’intérieur, devenu depuis président de la République, lorsqu’il présente sa loi de prévention de la délinquance en première lecture au Sénat8 : « Pour bénéficier des allocations familiales, la loi prévoit qu’il convient de produire un certificat de scolarité. La question que vous pose le Gouvernement est simple : les parents d’un enfant qui ne va pas à l’école doivent-ils bénéficier d’un certificat de scolarité pour obtenir des allocations

                                                         6 Chauvière

M. op. cit. (b) 

7 Source : échanges informels entre services.  8 Séance du 13 septembre 2006, compte‐rendu intégral des débats, p. 5884.

 

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familiales servant à autre chose qu’à l’éducation des enfants ? » Cette question concernant les parents qui « bénéficieraient » d’un certificat de scolarité pour « obtenir » des allocations familiales « servant à autre chose qu’à l’éducation des enfants » semble particulièrement choquante dans la bouche d’un ministre d’Etat. De même, la tentative de suppression des allocations familiales aux parents d’enfants délinquants résonne curieusement avec la « présomption irréfragable de mauvaise utilisation » des allocations du code de la famille des années quarante. A moins qu’il ne s’agisse tout simplement de mesures punitives à l’égard des « mauvaises familles » ? Nous évoquerons plus précisément cette posture politique dans le second chapitre. 1. 1. 2 Examinons maintenant le glissement qui s’est opéré au fil du temps de la protection de l’enfant à celle de la famille. L’ambiguïté, selon Michel Chauvière résiderait dans le terme même de bénéficiaire, qui désigne à la fois celui qui profite du bénéfice matériel de l’allocation et le destinataire final de celle-ci. « Ainsi les prestations familiales peuvent-elles constituer une ressource parentale, tout en étant pré - affectée au bénéfice des mineurs de la famille. Malgré tout, c’est l’enfant, comme enfant et lui seul, qui véritablement leur donne un sens philosophique et cette contradiction, qui durcit les enjeux, expose aussi le système à diverses formes de récupérations politiques 9. » Nous venons juste d’en voir un exemple. C’est par la présence de l’enfant que les prestations arrivent dans la famille. Et en vertu de l’article 371-2 du code civil, les parents sont tenus à l’obligation alimentaire envers leurs enfants: « Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l'enfant est majeur. » La réciproque est d’ailleurs vraie également. Les allocations familiales sont donc faites pour compenser la charge financière de l'enfant. Elles sont attribuées à toutes les familles, quels que soient leurs revenus et au même montant pour le même nombre d’enfants. Ainsi un ménage de 2 enfants, à fort revenu donc forte contribution, (la contribution prélevée sur les salaires et la contribution sociale généralisée sont versées indirectement à la branche famille de la Sécurité sociale) percevra des allocations familiales identiques au ménage de 2 enfants à bas revenu ou au chômage : c'est le principe d'universalité. C’est au nom d’une politique centrée sur l’enfant que toutes les familles de deux enfants et plus sont considérées, indépendamment du revenu des parents. Cependant, des tentatives de remettre en cause ce principe d’universalité, pour cause d’inéquité, ont déjà été faites. En 1997, Lionel Jospin, premier ministre socialiste, annonçait la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, pour rétablir l’universalité un an plus tard, après une importante mobilisation des mouvements familiaux et de parlementaires, y compris de gauche, comme Marie-Noëlle Lieneman.

                                                         9 Chauvière M., op.

 

cit. (b) 

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Michel Chauvière avait alors écrit, dans un article10 intitulé « Equité, mon beau souci » : « Le compromis politique porteur de l’Etat providence à la française avait jusqu’à ces dernières années trouvé suffisamment d’arguments, y compris financiers, pour préserver une politique familiale et ses attributs universalistes référés à l’enfant, en la distinguant de la politique sociale, référée à la pauvreté individuelle. » Plus récemment, en 2008, parmi les 314 propositions de la commission de la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali, se trouve également cette préconisation. Celle-ci a donné lieu à une vive réaction de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), qui, rappelons-le, a le monopole légal de la représentation des familles française depuis l’ordonnance du 3 mars 1945. Après avoir souligné que son dynamisme démographique place la France en tête de l’Union européenne, le communiqué de presse du 23 janvier 2008 indique : « Le système des prestations familiales a démontré son efficacité. Le récent bilan démographique de la France pour 2007 publié par l’INSEE montre qu’avec un taux de fécondité de 1,98 enfants par femme, notre pays reste en pointe dans l’Union européenne. Même si les liens de causalité sont toujours difficiles à établir, on peut légitimement penser que la politique familiale et notre système de prestations familiales y sont pour quelque chose. Par ailleurs, de nombreuses études ont démontré que la redistribution opérée par des prestations universelles comme les allocations familiales joue un rôle actif pour sortir les familles du seuil de pauvreté. L’UNAF rappelle son opposition absolue à la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Le caractère universel des allocations familiales repose sur un principe simple compenser pour toutes les familles les charges occasionnées par la présence d’enfants -, induisant des règles d’attribution claires, parfaitement assimilées par les familles. En outre, ce principe est la manifestation d’un lien social fort qui unit, par un droit identique, l’ensemble des familles. Les allocations familiales constituent la pierre angulaire de la politique familiale. La mise sous condition de ressources, outre les effets de seuil que cette mesure ne manquera pas de provoquer, conduirait à un changement de nature de cette politique en ciblant les prestations sur une catégorie de familles, alors même que la finalité de la politique familiale est de répondre aux besoins diversifiés (compensation des charges familiales, articulation vie familiale - vie professionnelle, services aux familles, ....) de toutes les familles. » Nous reviendrons ultérieurement sur le rôle de l’UNAF (Union nationale des associations familiales) Mais complétons d’abord nos repères chronologiques avec l’entrée de la mesure de tutelle judiciaire dans le système de protection de l’enfance, puis avec l’apparition de son doublon administratif en mars 2007.

                                                         10 Chauvière M.,  op. cit. (a) 

 

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1.1.3 En 1958 prend forme le système de protection de l’enfance, avec la mise en place des mesures d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) par ordonnance du 23 décembre 1958. Ce sont des mesures ordonnées par le juge des enfants. Quant à leur pendant administratif, il est mis en place par simple décret : il est utilisé, dans un aspect préventif, lorsqu’il y a risque de danger pour l’enfant. Si le danger est avéré, le juge des enfants est saisi. Ces AEMO permettent de travailler avec l’enfant et sa famille dans leur cadre de vie. L’objectif est de soutenir les parents, de leur apporter aide et conseil dans l’éducation de leurs enfants. A moins qu’elle ne permette qu’un placement, bien accepté par tous, soit le plus fructueux possible. La mesure de tutelle aux prestations sociales enfant (TPSE) est inscrite à l’article 552-6 du code de la Sécurité sociale, dont le décret d’application paraîtra le 25 avril 1969 : Loi n° 66-774 du 18 octobre 1966, J. O du 19 octobre, relative à la tutelle aux prestations sociales. Article 2 Les dispositions de l’article L. 256 du code de la sécurité sociale sont remplacées par des dispositions suivantes, qui figureront à l’article L. 551 du même code (dispositions communes) : « Art. L. 551 Dans le cas ou des enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés dans des conditions d’alimentation, de logement et d’hygiène manifestement défectueuses ou lorsque le montant des prestations n’est pas employé dans l’intérêt des enfants, le juge des enfants peut ordonner que les prestations soient, en tout ou partie, versées non au chef de famille, mais à une personne physique ou morale qualifiée, dite tuteur aux prestations sociales. Article 29 Le tuteur aux prestations sociales reçoit les fonds versés par les services ou organismes débiteurs. Le tuteur doit affecter les prestations à caractère familial ou destinées à des enfants aux besoins exclusifs de ceux-ci et aux dépenses de première nécessité les concernant, en particulier aux dépenses d’alimentation, de chauffage et de logement : dans le cadre de sa gestion, il est habilité à prendre toute mesure de nature à améliorer les conditions de vie des enfants et à exercer auprès des parents une action éducative en vue de la réadaptation complète de la famille11. Conçue comme une mesure éducative, elle fait partie de l’arsenal dont dispose le juge des enfants dans sa mission de protection : action éducative en milieu ouvert, mesure de placement, tutelle aux prestations familiales. Elle est plus ou moins utilisée, nous l’avons déjà dit, selon les départements, en fonction de la bonne connaissance qu’en ont les magistrats de la jeunesse. Voici ce qu’en disait Robert BIDART, juge des enfants à PAU, Vice Président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, lors de son intervention 12 au colloque annuel du CETT (Carrefour d’échange technique des tutelles) en 2002 : « Dans le parcours de formation d'un juge des enfants, la TPSE (tutelle aux prestations sociales enfant) n'a pas vraiment trouvé de place. La plupart d'entre

                                                         11 Nous soulignons.  12 Bidart R. «  TPSE, le point de vue d’un juge des enfants » Actes du colloque, textes et contextes : « La nécessité d’une  réforme de la loi de 1966. » 

 

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nous intègrent la TPSE comme une mesure annexe, accessoire à leur champ principal de compétence. Certains, minoritaires, vont jusqu'à penser que la matière de la TPSE ne devrait même pas figurer dans le domaine de compétence des juges des enfants (…) Les juges des enfants qui interviennent sur le sujet de la TPSE sont souvent des magistrats ayant exercé les fonctions de juge des tutelles. » Même s’ils s’efforcent en principe de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure de tutelle, les juges des enfants peuvent néanmoins l’imposer, ce qu’ils font parfois en cas de risque d’expulsion du logement pour dette de loyer, par exemple. Les familles ont quinze jours à réception de la décision pour faire appel. Lors de la présentation aux sénateurs de son projet de loi réformant la protection de l’enfance, Philippe Bas présentait ainsi le nouveau dispositif d’aide à la gestion du budget familial : « Enfin, certains problèmes de l’enfant résultent des difficultés que rencontrent ses parents pour gérer le budget familial. Un accompagnement social et budgétaire par des professionnels de l’économie sociale et familiale peut alors s’avérer très utile. (…) Cet accompagnement pourra être proposé dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance et dans celui de la protection judiciaire13. » Le nouveau dispositif est à deux étages : lorsqu’il est proposé dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance, il s’agit d’une relation « contractuelle » entre les parents et le conseil général. Cette relation « contractuelle », sur la base du volontariat, peut permettre d’aider les parents en les conseillant sur les choix budgétaires les plus pertinents, compte tenu des ressources familiales. Elle existait déjà avant la réforme, sous la dénomination d’ AEB (aide éducative et budgétaire) et était proposée par les conseillères en économie sociale et familiale, dans les services sociaux de secteur pourvus de ces personnels. Depuis l’entrée en vigueur du nouveau dispositif, certains conseils généraux, dont celui de l’Isère, ont choisi d’externaliser cette prestation. La mesure judiciaire devient subsidiaire, et cela n’est que si la famille cesse sa collaboration et revient sur le « contrat » passé, alors qu’elle est en grande difficulté, que le conseil général doit signaler la situation au procureur de la République, qui peut saisir le juge des enfants, aux fins d’instauration d’une mesure d’ AGBF judiciaire. Article 375 –9 -1 du code civil (Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007, art. 20-II) Section II-1 mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial Lorsque les prestations familiales ne sont pas employées pour les besoins liés au logement, à l’entretien, à la santé et à l’éducation des enfants, et que l’accompagnement en économie sociale et familiale prévue à l’article L. 222-3 du code de l’action sociale et des familles n’apparaît pas suffisant, le juge des enfants peut ordonner qu’elles soient, en tout ou partie, versées à une personne physique ou morale qualifiée, dite « délégué aux prestations familiales ». Ce délégué prend toutes décisions, en s’efforçant de recueillir l’adhésion des bénéficiaires des prestations familiales et de répondre aux besoins liés à l’entretien, à la santé et à l’éducation des enfants ; il exerce auprès de la famille

                                                         13 Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, dans la loi de protection de l’enfance p. 10/15. 

 

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une action éducative visant à rétablir les conditions d’une gestion autonome des prestations. La liste des personnes habilitées à saisir le juge aux fins d’ordonner cette mesure est fixée par décret. La décision fixe la durée de la mesure. Celle-ci ne peut excéder deux ans. Elle peut être renouvelée par décision motivée. Mais la volonté politique semble être, sous couleur de subsidiarité de l’action judiciaire, l’affaiblissement du pouvoir des juges des enfants. En effet, lors de la présentation du projet de loi au Sénat, la commission des affaires sociales, par la bouche de son rapporteur André Lardeux14, estimait indispensable que le département soit systématiquement informé de l’ensemble des saisines directes du juge, y compris lorsqu’elles viennent de particuliers. Le département doit également pouvoir obtenir un retour d’information sur les suites données à ces signalements, demandait la commission. Or une des assises de la démocratie est l’indépendance du pouvoir judiciaire. Lors des XXIIIes Rencontres de Pétrarque à Montpellier du 14 au 18 juillet 2008, autour du thème : « L’Etat de droit n’est-il plus qu’une illusion ? », le juge Renaud Van Ruymbeke dénonçait une « reprise en main15 » de la justice par le pouvoir politique, que semble illustrer cette disposition. Pendant le débat au Sénat sur la loi de protection de l’enfance, les sénateurs de l’opposition s’inquiétaient de l’accroissement des prérogatives des présidents des conseils généraux. Car c’est bien à un retour à la puissance administrative auquel on assiste dans le dispositif de protection de l’enfance remanié par la loi du 5 mars 2007. Et ce retour semble aussi être pour l’Etat un moyen de faire des économies sur ses charges directes. C’est ce que nous allons examiner à présent. 1.2. Le financement 1.2.1 Voyons d’abord comment sont financées les mesures judiciaires. Lorsqu’une association est habilitée à exercer des mesures judiciaires, son principal financeur est l'organisme payeur des prestations familiales: caisse d'allocation familiale, Mutualité sociale agricole ou autre organisme habilité, pour les fonctionnaires par exemple. Afin de payer les services exerçant les mesures, une tarification au mois par tutelle exercée est mise en place par les préfets dans chaque département. Ce système perdure aujourd'hui : en 2008, dans le département de l’Isère, le mois tutelle était de 245€88. Les associations sont donc payées par les organismes débiteurs en fonction du nombre de mesures exercées. Ce sont également ces mêmes organismes débiteurs, qui, informées par le tribunal de grande instance dont dépend le juge des enfants, versent aux services habilités les prestations des ménages bénéficiaires de la mesure, afin qu’elles soient gérées avec eux dans l’intérêt des enfants. Daniel Buchet, chargé de mission à la Caisse nationale d’allocations familiales, est intervenu au colloque du CETT (Carrefour d’échange technique des tutelles)

                                                         14 André Lardeux, rapporteur de la commission des affaires sociales, p. 13/15, séance du 12 février 2007 sur la loi de  protection de l’enfance.  15 Le Monde du mercredi 23 juillet 2008, analyse de J. BirnBaum « L’Etat de droit est devant nous », p. 2. 

 

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de mars 200216, dont le thème était la nécessité d’une réforme de la loi de 1966. Il s’y interrogeait sur l’absence de prise en compte par les pouvoirs publics de l’implication de la CNAF dans le financement des mesures, et évoquait les quatorze CAF qui gèrent pourtant directement des mesures de tutelles. Ce manque d’intérêt se traduit, disait-il, dans les chiffres : « Le nombre de bénéficiaires de mesure de tutelle enfants régresse régulièrement depuis plusieurs années, et s'établit en 2000 à 26.440, contre 38.771 en 1994, soit 32 % de baisse en sept ans. Compte tenu du montant global du financement, le prix moyen des frais de tutelle mensuels s'établirait à 1.300 F (198, 183 €). » Nous n’avons pas pu trouver de statistiques plus récentes, car à notre connaissance, la CNAF (Caisse nationale d’allocations familiale) ne communique pas sur ce sujet. Mais à mettre en regard des sommes consacrées au prix de journée d’établissements accueillant les enfants placés, des frais consacrés par les départements dans les placements en famille d’accueil, des prix de journée hospitaliers de parents dépressifs, sujets à des addictions ou souffrant de pathologies mentales lourdes, etc, le prix d’une mesure de tutelle parait finalement relativement léger : il permet souvent d’éviter ces dépenses plus importantes. Philippe Bas semblait l’avoir bien compris. En effet, la loi votée en mars 2007 vise à améliorer le système français de protection de l’enfance. Suite à "l'appel des cents", au procès d'Outreau et au procès d'Angers, Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, avait lancé une concertation nationale au cours de laquelle ont été consultés professionnels, associations et élus. Un des axes de travail retenu était d’autoriser de nouveaux modes de prise en charge, plus souples, qui permettent de dépasser « l’alternative strictement binaire entre placement et maintien à domicile »17 ; d’autoriser l’accueil d’urgence des adolescents qui fuient le domicile familial, pour éviter qu’ils se mettent en danger ; et de proposer, dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance ou dans celui de la protection judiciaire, un accompagnement social et budgétaire des familles en difficultés de gestion. 1. 2. 2 Nous venons d’aborder le financement des mesures judiciaires, voyons maintenant celui des mesures administratives proposées par le nouveau dispositif. « Le projet de loi conforte le rôle de chef de file du président du conseil général en matière de protection de l’enfance » souligne Philippe Bas18. Les conseils généraux se sont vu, ces derniers temps, prescrire la mise en œuvre des politiques publiques auparavant prérogatives de l’Etat. Ils se retrouvent avec des missions diverses et variées qu’ils n’ont pas sollicités comme la mise en place des maisons départementales des personnes handicapées, puis des

                                                         16 Buchet

D. « La tutelle aux prestations familiales, quel rôle souhaite-t-on que jouent les CAF ? » op. cit. 

17 Séance du 20 juin, p. 9/15 du compte‐rendu intégral des débats.  18 Séance du 20 juin, p. 10/15 du compte‐rendu intégral des débats.

 

 

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maisons de l’autonomie, l’entretien des routes et des collèges, pour n’en citer que quelques unes. Les décrets ne suivent malheureusement pas toujours : ceux de la loi de protection de l’enfance sont parus au Journal officiel du 31 décembre 2008 et 1er janvier 2009, pour une mise en œuvre immédiate. Ceux de la loi de prévention de la délinquance étaient, eux, paru dès le vote de la loi en mars 2007. Une question de priorité politique, sans doute. Quant aux moyens accordés à la protection de l’enfance, les sénateurs de tous bords s’en sont préoccupés lors des débats au Sénat. Un sénateur de la majorité présidentielle s’inquiète du recrutement des médecins de la PMI (protection maternelle et infantile), sages-femmes, puéricultrices, éducateurs, conseillères en économie sociale et familiale qui seront nécessaires à la mise en œuvre de la future loi, compte - tenu de la pénurie dans ces métiers.19 D’autres soulèvent le risque d’inégalité entre les régions et les territoires de France : « Plus encore, le grave problème de l’iniquité territoriale se pose avec les diverses lois de décentralisation. C’est d’ailleurs ce qu’avait souligné Claire Brisset (Défenseure des enfants) dans son rapport en 2005. D’un département à l’autre, les droits en matière de protection de l’enfance sont loin d’être les mêmes. (…) Cette discontinuité territoriale est, à nos yeux, une grave mise en cause des fondements de notre société20. » L’argumentation des sénateurs de l’opposition est fondée sur un exemple précis des effets pervers potentiels de la discontinuité territoriale : « Une déconcentration de l’aide sociale à l’enfance sans compensation financière entrainera, de facto, des inégalités de traitement selon les territoires. On peut citer comme exemple les mesures d’accompagnement en économie sociale et familiale, prévues par l’article 12 du projet de loi et mises à la charge des départements. La mesure est bonne en soi ; toutefois, connaissant la pénurie de conseillers en ce domaine et la difficulté de les recruter, il est à craindre que ceux-ci ne soient confinés à certaines collectivités, celles qui pourront s’offrir leurs services 21. » De même, le ministre est questionné sur la compensation des charges financières nouvelles des conseils généraux : « Vous avez évalué, ce qui paraissait correct, l’accroissement des dépenses résultant du nouveau dispositif à 150 millions d’euros sur trois ans. La compensation de ces charges, inscrite dans l’article 17 de l’avant-projet de loi, a été supprimée de la version présentée en conseil des ministres. On nous parle maintenant d’un fond de compensation, financé conjointement par le ministère de la santé et la CNAF (Caisse nationale d’allocations familiales). (…) Avez-vous

                                                         19

Alain Fouché, groupe UMP, p. 16/ 37 du compte-rendu intégral des débats. Guy Fischer, groupe communiste, républicain et citoyen, p. 14/37. 21 Bernard Cazeau, groupe socialiste, p. 5/63. 20

 

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anticipé les difficultés des départements à financer cette réforme, dans le contexte du transfert du RMI et de la montée en charge de la prestation de compensation du handicap, qui résulte d’un autre texte, que vous avez fait adopter il y a quelques mois22 ? » Le fond de compensation prévu par la loi n’est, deux ans après l’adoption de la loi, toujours pas abondé. Son montant devait être de 30 millions d’euros environ par an, ce qui aurait représenté 90 millions d’euros pour trois ans. Plus grave, il a même semblé remis en question par Nadine Morano, Secrétaire d’Etat chargée de la famille lors de sa réponse à une question orale au Sénat de Claire-Lise Campion le 23 juin 2009 : « La création d’un fonds supplémentaire viendrait complexifier, brouiller les financements déjà existants. » L’Unasea/Cnape (Union nationale des associations de Sauvegarde de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte/Conseil national des associations de protection de l’enfance) et l’UNICEF France ont protesté, rappelant que « le fonds interministériel de prévention de la délinquance a été, lui, crée trois mois seulement après l’adoption du texte23. » Il a d’ailleurs été abondé de 50 millions d’euros en 2007 et de 35 millions d’euros en 2008 et 2009, pour un total de 120 millions d’euros en trois ans. Au regard des zéro euros du fond de compensation de la protection de l’enfance, les priorités politiques du gouvernement apparaissent donc on ne peut plus clairement. Et pourtant, lors des débats sur le financement de la protection de l’enfance, même les sénateurs de la majorité se posaient des questions : « En l’espèce, vous proposez une contribution de l’Etat de 150 millions d’euros. Très sincèrement, je crois que c’est insuffisant24. » 1. 2. 3 L’ODAS (Observatoire national De l’Action Sociale Décentralisée), dans sa Lettre sur les finances départementales de juin 2009, se penche sur l’évolution des dépenses pour les départements français. Elle ne note pas de modification visible des dépenses d’action sociale en 2008 consécutives à la diversification de la prise en charge des mineurs prévue par la loi du 5 mars 2007. La seule charge de gestion supplémentaire notable pour l’instant est celle induite par la mise en place des cellules de recueil, traitement et évaluation des informations préoccupantes (IP) : « Outre la charge liée à la mise en place d’une nouvelle organisation, cette centralisation des informations entraîne, comme cela était prévisible, une augmentation du nombre d’IP (identifiée dans 66% des départements). Ce phénomène se traduit par un volume accru de situations à évaluer, dont le traitement est essentiellement assuré par les services départementaux. Cependant, aucune incidence sur les dépenses relatives aux prises en charge n’est visible pour le moment, de nombreuses IP (informations préoccupantes) ne donnant pas lieu à une mesure de protection. » La Lettre note qu’ en 2008 les transferts de personnels des routes et des collèges

                                                         22

Bernard Cazeau, groupe socialiste, p. 5/63.

23 Communiqué de presse Unasea/Cnape du 1er juillet 2009.  24

Jean – Pierre Vial, groupe UC – UDF, p. 7/63.

 

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ont progressé trois fois plus vite que les dépenses départementales d’action sociale. « De ce fait, écrit-elle, la part des dépenses sociales dans les budgets départementaux diminue. » Nous avons été lire la présentation du schéma départemental d’action sociale 2007-2012, qui comporte un bilan du schéma précédent, soit 2000-2005 par le conseil général de l’Isère, sur son site Internet. Il y est noté que « les budgets départementaux d’aide sociale à l’enfance ont plus que doublé en 20 ans, de 1984 à 2004, en passant d’environ 2,29 milliards d’euros à 5,1 milliards d’euros 25.» Les répercussions financières de la réforme de la protection de l’enfance figureront en bilan dans le prochain schéma. Elles seront probablement fort lourdes. Le pronostic de l’ODAS (Observatoire national De l’Action Sociale Décentralisée) pour l’année 2009 est d’ailleurs plutôt pessimiste: « Néanmoins, tout laisse à penser que l’année 2009 sera difficile – et l’année suivante encore plus – et ce sans que nous soyons en mesure d’appréhender l’impact de la crise sur les besoins sociaux. Or ceux-ci ne peuvent que progresser. D’une part, la baisse du nombre de bénéficiaires du Revenu Minimum d’Insertion (RMI), qui a caractérisé les années 2007 et 2008, devrait laisser place à une nouvelle augmentation, à laquelle s’ajouteront les conséquences de la mise en œuvre du revenu de solidarité active (RSA). D’autre part, la progression du nombre de familles déstabilisées amplifiera certainement le champ de la protection de l’enfance (…) Autant dire qu’il est plus aisé de présenter les résultats de 2008 que ceux de 2009, et à fortiori de 2010. Ceci d’autant plus que la progression des dépenses s’accompagne d’une diminution des recettes directes et probablement des concours de l’Etat, comme le laisse penser les annonces faites récemment. » Il est encore trop tôt pour évaluer le coût du report des dépenses de l’Etat sur les collectivités territoriales. Cependant, le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2007-2008 note une inégale répartition de la pauvreté selon les territoires26 : « La pauvreté est inégalement répartie sur l’ensemble du territoire. Le rapport présente une carte de France par département des taux de pauvreté calculée par rapport au niveau de vie médian national. Cette carte se superpose sensiblement à celle qui décrit la proportion d’allocataires de minima sociaux dans chaque département. La juxtaposition de ces deux figures permet de disposer d’une présentation de la pauvreté qui fait apparaître des territoires particulièrement défavorisés dans le nord et l’est, sur le pourtour méditerranéen et dans les départements d’outre-mer. » Il est bien entendu que cette inégale répartition de la pauvreté préexistait à la loi de protection de l’enfance. Mais il est clair que le transfert de charges qu’elle prévoit ne risque pas d’améliorer la situation pour les départements les plus pauvres. On peut donc remarquer que les préoccupations des sénateurs lors du débat sur la loi de protection de l’enfance étaient fondées sur une appréhension réaliste des difficultés sur le terrain, qu’il s’agisse de la compensation par l’Etat des

                                                         25 http://www.cg38.fr/ Schéma départemental d’action sociale, p. 3  26 Rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2007‐2008, La documentation française,  p. 13. 

 

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dépenses supplémentaires, ou des difficultés de recrutement des personnels chargés au quotidien d’appliquer ces nouvelles orientations. Nous terminerons ce premier chapitre par un tour d’horizon des principaux acteurs de la mise en œuvre de cette politique familiale française « référée à l’enfant 27». 1.3 Les acteurs 1. 3. 1 Le premier d’entre eux est, au sein de la branche famille de la sécurité sociale, le Conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales, dans lequel sont représentés les partenaires sociaux. Chaque caisse d'allocations familiales est administrée par un conseil d'administration de 24 membres comprenant : 8 représentants des assurés sociaux désignés par les organisations syndicales de salariés interprofessionnelles représentatives au plan national ; 8 représentants des employeurs et travailleurs indépendants à raison de : o 5 représentants des employeurs désignés par les organisations professionnelles nationales d'employeurs représentatives ; o 3 représentants des travailleurs indépendants désignés par les institutions ou les organisations professionnelles des travailleurs indépendants les plus représentatives au plan national ; 4 représentants des associations familiales désignés par l'union départementale des associations familiales ; la désignation est effectuée par l'Union nationale des associations familiales si, dans la circonscription de la caisse régionale, il n'existe pas d'union départementale ou si, en cas de pluralité d'unions départementales dans cette circonscription, elles ne sont pas parvenues à un accord ; 4 personnes qualifiées dans les domaines d'activité des caisses d'allocations familiales et désignées par l'autorité compétente de l'État.









Siègent également, avec voix consultative, trois représentants du personnel élus dans des conditions fixées par décret. Le MEDEF, qui s’était retiré en 2001 de toutes les instances de la sécurité sociale, vient de faire son retour dans le Conseil d’administration. Nous avons déjà évoqué l’UNAF (Union nationale des associations familiales) sur le statut particulier de laquelle il est important de s’attarder un peu. En effet, Michel Chauvière rappelle28 que les associations familiales françaises, sauf la Belgique et dans une moindre mesure l’Allemagne, n’ont pas d’équivalent en Europe : « Sur fond de natalisme, elles trouvent leur origine dans la défense des familles nombreuses. » Il explique comment la loi Gounot de 1942 institue un Corps familial unique,

                                                         27 Chauvière M., op. cit. (a)  28 Ibid

 



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monopole de représentation de toutes les familles françaises et de diverses missions publiques (cogestion des caisses d’allocations familiales) ou représentations officielles (représentation des usagers dans les offices HLM, représentation des familles au Conseil économique et social). Depuis 1975, l’UNAF est cogérée par les UDAF (Unions départementales des associations familiales) et huit grands mouvements familiaux nationaux29. Son président, François Fondard, dans son discours30 d’ouverture à l’Assemblée générale annuelle de juin 2009, en présence de Nadine Morano, Secrétaire d’Etat chargée de la famille, insistait sur cette spécificité française : « D’après la dernière enquête internationale sur les valeurs, 86% des Français considèrent la famille comme très importante dans leur vie, bien avant le travail. Plus que jamais, les Français reconnaissent dans la famille le lieu où s’exprime la solidarité. Les Français ont raison, notre pays possède un atout que n’ont pas d’autres pays, une formidable arme défensive : sa politique familiale. Une politique universelle, basée sur le libre choix. Oui, notre modèle de politique familiale est notre « bouclier social (…) Comme le disait récemment une personnalité politique : « La politique familiale (…) est nécessaire pour la croissance et la prospérité. La façon dont nous allons sortir de la crise est liée aux champs d’action de la politique familiale ». Ces paroles, que vous auriez pu prononcer, Mme la Ministre, c’est votre homologue, la Ministre allemande de la famille, Mme Ursula Von Der Leyen, qui les a tenus en février dernier. Il est remarquable que nos voisins européens reconnaissent aussi clairement le rôle joué par la politique familiale pour sortir de la crise. » Il évoquait ensuite la mission d’interlocuteur des pouvoirs publics de l’UNAF : « Cette mission (…), nous la revendiquons car c’est la loi qui nous l’a confié, et nous entendons la mener dans tous les lieux de concertation et de débats. ». Le recul du gouvernement Jospin pour la mise sous conditions de ressources des prestations familiales en 1997 donne foi à cette affirmation. Considérons maintenant les associations qui mettent en œuvre les mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial, et éventuellement les mesures d’accompagnement à l’économie sociale et familiale. Ce sont les Unions départementales des associations familiales (UDAF), les Associations départementales de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence (ADSEA), les caisses d'allocations familiales ou de la Mutualité sociale agricole selon les départements. Depuis 1991, des directeurs et chefs de service UDAF, Sauvegarde de l'enfance, CAF, MSA (Mutualité sociale agricole) mutualisent leurs réflexions au sein du Carrefour National d'Echanges Technique "Tutelles aux prestations sociales enfants" (CETT, déclaré en association depuis 1998). Depuis le 1er juin 2007, l'association a modifié ses statuts et changé de dénomination (CNDPF, Carrefour

                                                         29 A savoir : les Associations familiales catholiques (CNAFC), les Associations familiales protestantes (AFP), Familles  rurales (FNAFR), Familles de France(FF), les Associations familiales laïques(CNAFAL), l’Union des familles  laïques(UFAL), les Associations populaires familiales syndicales(CNAPFS), la Confédération syndicale des  Familles(CSF).  30 Communiqué de presse du 18‐06‐2009, site internet Unaf.fr. 

 

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national des délégués aux prestations familiales). Le CETT devenu CNDPF organise tous les deux ans un colloque sur un thème de réflexion particulier, auxquels sont invités divers intervenants concernés par la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial. Nous avons évoqué par exemple l’intervention d’un chargé de mission de la Caisse nationale d’allocations familiales au colloque de mars 2002, dont le thème était « Textes et contextes : La nécessité d’une réforme de la loi de 1966 ». Le thème du colloque d’octobre 2009 sera la place de l’enfant dans la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial. Les délégués aux prestations familiales peuvent y participer dans le cadre de la formation continue. Les travailleurs sociaux exerçant ces mesures sont assistants sociaux, éducateurs spécialisés ou conseillers en économie sociale et familiale. Le décret n°2008-1512 du 30 décembre 2008 prévoit qu’en sus de leur formation initiale, les délégués aux prestations familiales doivent avoir suivi avec succès une formation complémentaire, le certificat national de compétence (CNC). Michel Chauvière indique31 que, selon des enquêtes conduites entre 1986 et 1992, les UDAF sont désignées comme personnes morales dans 71 % des cas, les associations de Sauvegarde dans 11 % des cas, les caisses de la Mutualité sociale agricole dans 1,5 %, et d'autres organismes habilités pour le reste. Nous n’avons pas trouvé d’enquêtes plus récente, mais les acteurs sont restés les mêmes, et l’on peut probablement postuler que la répartition entre les services a peu évolué. Les implantations des services dans les territoires se sont en effet faites au fil du temps, en fonction de l’histoire et des caractéristiques propres à chaque région et département. En Isère, la Sauvegarde de l’enfance avait fin 2006 une capacité de 1464 mesures annuelles d’action éducative en milieu ouvert32. Les statistiques internes33 font état pour le service des tutelles, qui fait partie du service de milieu ouvert, d’une capacité de prise en charge simultanée de 218 situations familiales (118 au sud, 100 au nord), ce qui correspond à l’année au suivi de près de 800 enfants et de leur famille dans l’ensemble du département. Nous avons souligné dans l’introduction que le texte de la nouvelle mesure d’aide à la gestion du budget familiale donnait au délégué un pouvoir d’ingérence dans l’éducation des enfants qui n’existait pas dans la tutelle aux prestations sociales. Il est désormais chargé de prendre « toutes décisions, en s’efforçant de recueillir l’adhésion des bénéficiaires des prestations familiales et de répondre aux besoins liés à l’entretien, à la santé et à l’éducation des enfants. » Dans la tutelle aux prestations sociales antérieure, il était habilité à « prendre toutes mesures de nature à améliorer les conditions de vie des enfants et à exercer auprès des parents une action éducative en vue de la réadaptation complète de la famille. » Il était fait mention des conditions de vie, et non directement de l’éducation. C’est un changement important, et qui s’explique mal. En effet, si la mesure a toujours eu une dimension éducative pour la cellule familiale, elle n’avait qu’indirectement pour objet l’éducation des enfants.

                                                         31 Chauvière

M., « Une violence discrète : le mauvais usage des prestations familiales », op. cit. a 

32 Source schéma départemental du CGI, site internet.  33 Projet de service référentiel du service de MJAGBF, mars 2008.

 

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C’est le rôle spécifique de la mesure judiciaire d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) ou de la mesure administrative d’aide éducative à domicile (AED). Qu’a donc voulu induire le législateur en spécifiant que le délégué aux prestations familiales pouvait prendre toutes décisions liées à l’éducation des enfants ? Quelle logique préside à cet ajout, à notre sens inutile, voire dangereux ? Seraitce l’idée d’une unique mesure « fourre-tout », dans une perspective, là encore, de rationalisation des coûts ? 1. 3. 2 Les derniers acteurs, mais non des moindres, ce sont les familles bénéficiaires des mesures. Voyons maintenant ce qu’il en est de l’évolution dans la pratique de l’exercice des mesures et ce qu’en disent les principaux intéressés, lorsqu’on leur a laissé la parole. Ce n’est pas le cas dans le film tourné par le service des relations publiques de la CAF d’Ille et Vilaine dans les années 1950-1960. Il n’est malheureusement pas daté. Il montre un monsieur en costume, parcourant les routes avec sa « deuxchevaux, Citroën ». Le discours qui y est tenu sur les familles bénéficiant de mesures de tutelle aux prestations sociales enfants est édifiant. En voici quelques morceaux choisis. Et tout d’abord l’introduction, présentée également par un monsieur cravaté devant un bureau : « La tutelle aux allocations familiales, Messieurs, est une institution récente, qui pour reprendre les termes mêmes du législateur, a pour but de réagir contre les manquements graves de certains parents, qui privent les enfants du bénéfice des prestations et discréditent la famille et nos institutions sociales. Il s’agit essentiellement d’intervenir en faveur des enfants, chaque fois que leur intérêt le réclame, c’est à dire lorsqu’ils sont élevés dans des conditions d’alimentation, de logement, d’hygiène manifestement défectueuses ou lorsque le montant des allocations familiales n’est pas employé dans leur intérêt . Cette tutelle s’exerce par l’intermédiaire de tuteurs dont le rôle est double. D’une part, en liaison avec les services sociaux, ils doivent participer à la rééducation de la famille. D’autre part, ils doivent gérer les allocations familiales en les affectant à l’entretien et l’éducation des enfants. Le film qui vous est présenté va tenter de vous montrer le fonctionnement de la tutelle dans le département d’Ille et Vilaine. » Le film montre le délégué se rendant à la CAF, puis le récitant continue son discours : Les familles déficientes sont signalées à l’attention de la direction de la CAF de multiples façons. L’une d’entre elles est la lettre de dénonciation habituelle (gros plan sur une lettre) : « Monsieur le directeur, je tiens à vous signaler le cas de la famille Durand. Le père est un ivrogne qui boit les allocations familiales. La mère est une pas grand chose, sa maison est un taudis. Les enfants sont battus et mal nourris. Il faut faire quelque chose et envoyer votre contrôleur. Il s’apercevra que je dis la vérité. » Le délégué part ensuite faire son enquête : instituteur, médecin, assistante sociale de secteur, gendarmes ou garde-champêtre, mais également les fournisseurs (gros plan sur une boucherie). Le droit de la famille à ne pas faire état de la mesure de tutelle est ici largement ignoré. C’est aujourd’hui un droit qui lui est signalé dès le début de la mesure, et

 

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dont les familles ne font pas toujours usage. C’est parfois fort dommage, car on voit des employés, dans les établissements bancaires par exemple, refuser aux familles de retirer de l’argent de leur compte sans avoir un contact avec le délégué. Il est vrai qu’elles ont souvent dit un peu maladroitement qu’elles étaient « sous tutelle ». Elles sont alors confondues avec les familles bénéficiant de tutelles aux majeurs protégées. Le délégué doit prendre son téléphone ou sa plume pour expliquer que la mesure n’enlève aucun de ses droits civiques à la famille. Mais on voit aussi malheureusement des employés de la CAF refuser de leur donner des informations sur leurs droits ou versements sous prétexte de la mesure, et exiger que le service des tutelles se substitue à la famille dans la gestion de leur dossier CAF, ce qui est parfaitement abusif. « Le tuteur, après avoir recueilli les avis des personnes en contact avec la famille, va poursuivre son enquête dans le milieu familial. C’est généralement sur le lieu de son travail qu’il rencontrera le père. » Celui-ci est manœuvre dans une carrière ou un entrepôt de charbon, docker, « diminué physiquement par les abus de boisson ». Mais c’est à la mère que la description la plus élogieuse est réservée : « C’est au foyer même, près de la mère de famille, que nous conduit la dernière partie de l’enquête. En effet, l’expérience nous montre que les conditions défectueuses du logement entraînent très souvent la désaffection de la mère pour son foyer. Parfois aussi, l’absence complète d’éducation et d’instruction, la paresse et l’immoralité transforment le logement en taudis. C’est ainsi que la maison, et l’enclos que nous avons sous les yeux, témoigne déjà des défauts de la mère de famille. » Puis le délégué reprend sa route. Après avoir visité les familles rurales, il se rend à la ville. « A la ville comme à la campagne, la misère est toujours présente. Le tuteur a (inaudible) plus pénible encore dans ces camps, pompeusement baptisées cités, où se rencontrent plus qu’ailleurs des familles dissociées et déficientes. C’est un monde très particulier, une communauté de pauvres gens, rejetés par la cité, ils vivent depuis toujours dans le provisoire et l’inquiétude du lendemain. Ils n’espèrent plus rien ni d’eux-mêmes ni de personnes, alors ils se complaisent dans leur crasse, et donnent libre cours à leurs défauts et à leurs vices. » La caméra fait un gros plan sur les enfants souriants. « Dans cette ambiance malsaine, derrière ce pittoresque à la poulbot, se cachent de pauvres gosses, élevés vaille que vaille, promis pour la plupart au centre de rééducation. » Il y a pourtant des bonnes bouilles souriantes et des joues rondes, des petites filles avec de jolies robes, qui contredisent un peu le discours misérabiliste, et la rue parcourue par la caméra est propre. « La tournée de la semaine terminée, le moment est venue pour le tuteur de rédiger son rapport. Il ne doit jamais perdre de vue la gravité de la mesure qui peut être provoquée par son enquête. La rédaction du rapport exige donc le maximum d’attention, et d’objectivité.

 

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Le rapport d’enquête est ensuite soumis à l’appréciation du comité départemental des tutelles, qui se réunit chaque mois sous la présidence du directeur de la population. La caméra fait de nouveau un gros plan sur une plaque indiquant: préfecture - direction de la population – service d’aide à l’enfance – division de l’aide sociale – direction de la santé). Le rapport est alors transmis, avec l’avis du comité des tutelles, au juge des enfants, qui décide de l’opportunité de la tutelle. » C’est donc finalement le magistrat qui décide. Mais on sent bien au lexique employé tout au long du film, et à la mention d’un comité départemental des tutelles, que l’on est sans doute pas bien loin de ces fameuses mesures officieuses décidées par le préfet dont nous parlions dans l’historique de la mesure. Soulignons aussi qu’aujourd’hui, si le juge des enfants estime nécessaire une enquête sur laquelle s’appuyer pour prendre sa décision, elle sera effectuée par un service d’enquête spécifique et non par le délégué à la tutelle. Ce film sur la pratique des mesures de tutelles il y a plus de quarante ans permet de mesurer l’évolution de la pratique de délégué. Si les termes employés pour décrire les familles sont pour le moins stigmatisants, le film insiste cependant aussi sur l’aspect de soutien que représente la mesure, comme en témoigne la conclusion : « Prise de vue où le père alcoolique (on l’a vu au bistrot dans une scène précédente) retourne la terre pour faire un potager en compagnie de ses enfants, puis enlève le tuteur d’un jeune arbre et serre la main du délégué à la tutelle, en répondant à son fils qui l’interroge : -

Pourquoi l’as-tu enlevé, papa ?

-

Parce qu’il n’est plus utile, petit.

Un jour peut-être, sa tâche terminée, le tuteur partira comme il est venu. Et là sera sa récompense. » C’est également la notion de soutien qui ressort de l’enquête34 faite auprès de familles par l’UDAF des Pyrénées Atlantiques, dans le cadre d’un observatoire de la famille. Le contraste avec le film est saisissant, particulièrement en ce qui concerne le regard porté sur les familles, et le droit à l’expression qui leur est offert. Les objectifs de l’étude sont ainsi définis : « Bien que la TPSE s’inscrive dans le dispositif « institutionnel » d’aide et de protection de l’enfance, elle est souvent réduite à l’éducation budgétaire et sa dimension éducative est peu repérée. Elle demeure ainsi une mesure méconnue, mal perçue et peut-être sous-utilisée alors qu’elle constitue un véritable moyen de prise en charge éducative des familles, une aide à la parentalité. » Le texte fait mention du CETT (Carrefour d’échange technique des tutelles) et de son rôle de réflexion et d’analyse autour de la mesure de tutelle, en vue d’une

                                                         34 « La perception de la mesure par les familles bénéficiant d’une tutelle aux prestations sociales enfants », enquête de  juin 2003, site internet unaf.fr. 

 

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réforme de la loi de 1966. Il explique qu’une journée d’étude départementale sur la TPSE a été organisée « de manière à dresser un bilan sur le dispositif de cette mesure et à dégager des pistes d’évolution. » Mais cette journée a également été l’occasion « de faire entendre la voix des familles bénéficiant d’une mesure de TPSE. C’est pourquoi, une enquête a été réalisée au niveau du département auprès de ces familles, de manière à recueillir leurs opinions, leurs sentiments sur la manière dont elles vivent cette mesure au quotidien : ce qu’elle leur apporte, ou au contraire en quoi elle leur est préjudiciable. » Cette enquête comporte deux volets. Un questionnaire général sur le profil des familles suivies, les conditions d’instauration de la TPSE, le vécu de la mesure, et un questionnaire de satisfaction permettant aux familles de donner librement leur appréciation sur l’aide apportée en terme d’accompagnement budgétaire, l’aide apportée en terme d’accompagnement social, la disponibilité du délégué. Le questionnaire général est renseigné directement en face à face entre le délégué et la famille, le questionnaire de satisfaction est laissé à la famille, qui le renvoie par courrier, afin de garantir la confidentialité. Quarante ans environ après le film de la CAF d’Ille et Vilaine, ce souci de laisser les familles s’exprimer librement témoigne heureusement du changement de regard porté sur elles par les services de tutelle et les travailleurs sociaux. 78% des familles ont répondu au premier, 54% ont renvoyé le second. Nous ne nous attarderons pas ici sur le profil général des familles, dont nous reparlerons dans le troisième chapitre. C’est surtout leur parole qui nous intéresse. En ce qui concerne l’instauration de la mesure : « Dans 73 % des cas (cinquante-neuf familles), c’est les parents eux-mêmes qui en ont fait la demande auprès du juge. Dans 22 % des cas (dix-huit familles) c’est l’assistante sociale de secteur qui a fait la demande, avec dans quatorze cas sur dix-huit l‘approbation de la famille. Au final la demande de TPSE émane de la famille ou est approuvée par elle dans 90 % des cas. » Voyons maintenant ce qui est dit de l’exercice même de la mesure : « Après la 1ère rencontre, 57 % des familles percevaient la mesure de TPSE comme une aide, 38 % comme une protection. Seules trois familles l’entendaient comme une privation de leurs droits et une famille comme un contrôle. Pour 96 % des familles, l’intervention du délégué pour les aider dans la gestion du budget paraissait utile (80 % l’estimant très utile). Seules deux familles estimaient que c’était inutile. » En ce qui concerne les aspects positifs, « les plus cités sont « sentiment d’être en sécurité, disparition des soucis » (21 %), « tranquillité par rapport à la régularité des paiements » (20 %), « aide morale, écoute, compréhension » (17 %), « permet d’apprendre à gérer soi-même un budget » (15 %), « aide à la gestion du budget » (12 %). A noter que la réponse « aucun » n’a jamais été donné (seules deux familles n’ont pas répondu à la question). » Pour ce qui est des points négatifs, « aucun » est la réponse qui arrive très nettement en tête (citée spontanément dans 38 % des cas). Par ailleurs en

 

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tenant compte des 27 % de familles qui n’ont pas donné de réponse à cette question, cela fait une grande majorité de familles (65 %) qui ne font mention d’aucun sentiment négatif. Les autres réponses sont ensuite dans l’ordre « manque de liberté » et « impression d’être privé de certains droits », chacune 6 % (soit cinq familles), puis « manque de disponibilité du délégué » avec 5 % (soit quatre familles). » La synthèse des résultats fait état d’une image positive de la TPSE : « Non seulement, les familles reconnaissent l’utilité de l’accompagnement budgétaire pour faire face à de grosses difficultés financières, mais elles sont également très sensibles à l’aide qui peut leur être apportée en terme d’accompagnement social. Il ressort en effet qu’elles apprécient beaucoup le rôle joué par les travailleurs sociaux : car le délégué leur apprend à mieux gérer leur budget mais il est également là pour apporter une aide morale par l’écoute et le dialogue, ce qui est essentiel pour les familles. » Un des points souligné par les parents dans l’enquête concerne l’aide à la fonction parentale. En ce qui concerne l’éducation des enfants, « l’action la plus fréquente est une aide à la fonction parentale (39 %). Pour cette aide relative à l’éducation des enfants, le délégué a le plus souvent fait les démarches avec la famille (69 %). Dans 26 % des cas, il l’a conseillée afin qu’elle effectue les démarches elle même. » Soulignons ici le rôle du délégué dans l’aide à la fonction parentale, qui illustre bien le caractère éducatif de la mesure, et le sens même de son rôle dans le système français de protection de l’enfance.

2. La protection de l’enfant 2.1 Evolution de la famille 2. 1. 1 Commençons par un état des lieux de l’évolution de la famille en France. Les travaux récents de sociologie de la famille mettent en évidence un certain nombre d’évolutions de la cellule familiale. Nous nous appuierons pour les évoquer sur l’enquête effectuée en 1999 par l’INSEE (Institut National des Etudes Statistiques et Economiques) et intitulée Etude de l’histoire familiale35. Si la famille « traditionnelle » des années 50 était composée d’un couple et d’enfants issus de cette union, elle est en effet désormais concurrencée par de nouvelles formes de cellules familiales : les familles monoparentales36 et les familles recomposées37.

                                                         35 Barre  C. Vanderschelden M.  L’enquête « Étude de l’histoire familiale » de 1999 – Résultats détaillés, Insee, Résultats& Société, Août 2004, n° 33.  36 NB : Cellule familiale composée d’un seul parent et d’un ou plusieurs enfants.  37 NB : Cellule familiale où les enfants vivent avec un de leurs parents et son nouveau partenaire et éventuellement les  enfants de celui‐ci. 

 

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Le tableau suivant, issu de l’enquête INSEE, montre l’évolution rapide du nombre de familles monoparentales : Structure familiale des ménages Structure familiale 1968 Homme seul 6,4 Femme seule 13,8 Famille monoparentale 2,9 Couple sans enfant 21,1 Couple avec enfant 36,0 Ménage complexe 19,8 Nombre de ménages (millions) 15,8 Champ : France métropolitaine. Source : Insee, Recensements de la population.

1975 7,4 14,8 3,0 22,3 36,5 16,0 17,7

1982 8,5 16,0 3,6 23,3 36,1 12,5 19,6

1990 10,1 17,1 6,6 23,7 36,4 6,1 21,5

1999 12,5 18,5 7,4 24,8 31,5 5,3 23,8

Celles-ci, comme les familles recomposées, sont apparues à partir des années 70, avec le déclin du mariage, l’augmentation du nombre des divorces et celle des unions libres, la baisse de la fécondité. La taille des ménages38 s’en est trouvé réduite et la diversité des formes familiales accrue : « Du fait des ruptures d’unions plus fréquentes, les périodes de vie seul se multiplient et les familles monoparentales sont plus nombreuses. Les remises en couple sont aussi plus courantes, ce qui augmente le nombre de familles recomposées. Les histoires familiales individuelles sont dès lors de plus en plus complexes et variées39. » Les parcours de vie ont ainsi évolué de façon rapide ces trente dernières années : une mère peut, après une première union, se retrouver seul chef de famille avec sa descendance, avant de reformer un couple avec un conjoint ayant déjà des enfants. Le nombre de familles monoparentales et de familles recomposées s’est en effet accru dans des proportions non négligeables : « En 1999, on dénombre 1 640 000 familles monoparentales avec enfants de moins de 25 ans. Ce nombre a augmenté de 17 % depuis 1990. En 1999, près d’une famille sur cinq est constituée d’un seul adulte et de ses enfants de moins de 25 ans résidant avec lui. En neuf ans, le nombre de familles recomposées (c’est-à-dire de couples vivant avec au moins un enfant dont un seul des conjoints est le parent) a progressé, quant à lui, de 10 %, passant de 646 000 à 708 000. Comme en 1990, un peu plus d’une famille recomposée sur deux est constituée d’enfants nés des précédentes unions mais aussi d’enfants du couple actuel40. » En 2006, les naissances hors mariage représentent plus de 50 % des naissances. 15 % des enfants vivaient dans une famille monoparentale et 8,7% dans une famille recomposée en 1999, selon les données de l’enquête de l’INSEE.

                                                         38 NB : Un ménage est l’ensemble des personnes qui partagent la même résidence principale, sans que ces personnes  soient nécessairement unies par des liens de parenté. Un ménage peut ne comprendre qu’une seule personne.  39 Barre C., Vanderschelden M., op. cit. p. 17. 40 Barre C., Vanderschelden M., ibid. p. 29. 

 

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Une projection ayant pour horizon le 1er janvier 203041 prévoit que : « Sous l’hypothèse que les différences entre les hommes et les femmes continueront à s’estomper, la désaffection pour la vie en couple devrait se poursuivre. » Les auteurs évoquent ici le fait que « les hommes et les femmes exercent aujourd’hui des fonctions moins différenciées que par le passé » depuis l’arrivée en masse dans les années soixante des femmes dans le monde du travail. La précarité croissante des contrats de travail est par ailleurs un facteur non négligeable de déstabilisation des cellules familiales, notamment dans le cas des femmes, pour lesquelles la situation de travailleur indépendant est encore plus rare que pour les hommes, en proportion de la population active. Or la famille est pour ses membres, et en particulier les enfants, la première instance de socialisation. Ils y acquièrent en effet nombre des normes et des valeurs de la société à laquelle ils appartiennent, par le biais des multiples interactions quotidiennes avec leurs parents. L’école, la société des pairs, les autres adultes rencontrés grâce à la pratique de sports ou de loisirs viennent compléter la socialisation familiale. Robert Castel, dans Métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, évoque les évolutions de la famille en ces termes42 : « Lente érosion de cet îlot de pouvoir tutélaire qu’était demeuré la famille au sein de l’ordre contractuel qu’institue le Code civil. Toutes les réformes du Code de la famille, jusqu’aux plus récentes sur les droits de l’enfant, vont dans le sens de l’établissement d’un partenariat familial fondé sur une relation d’égalité entre les rôles familiaux43. Autrement dit, la famille tend à devenir une structure relationnelle dont la consistance dépend pour l’essentiel de la qualité des relations entre ses membres. La promotion d’un ordre familial négocié fragilise la structure familiale en tant que telle, en la rendant dépendantes d’autorégulations qu’elle doit elle-même maîtriser. » Comment assumer une relation d’égalité entre les rôles familiaux, un ordre familial négocié, quand on est seule en charge de ses enfants, avec par surcroît des soucis financiers ? Le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2007-2008 souligne en effet que44 : « L’isolement est un facteur majeur d’entrée dans la pauvreté, quel que soit l’âge de la personne concernée. Les familles monoparentales, parmi lesquelles les femmes sont largement majoritaires en tant que chef de famille, sont particulièrement touchées : une personne sur quatre vivant dans une famille monoparentale est pauvre au sens monétaire. » C’est alors que la politique de soutien aux familles que représente, entre autre, le versement des allocations familiales prend tout son sens. Le rapport note que c’est son système de transferts sociaux (prestations familiales, minima sociaux,

                                                         41 Dekneudt J., Jacquot A. et Macrakis B. « Projections de ménages pour la France métropolitaine, ses régions et ses départements (Horizon 2030) » Insee Résultats& Société, n°19, Octobre 2003, p. 8. 42 Castel R. Métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Paris, Gallimard, 1995, p. 670.  43 Synthèse de cette évolution in I. Théry, le Démariage, Paris, Odile Jacob, 1993.  44 Rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2007­2008,  p. 13 

 

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couverture santé, etc) qui permet à la France d’avoir un taux de pauvreté monétaire inférieur de trois points à la moyenne européenne45. Un autre axe de soutien des familles qui peuvent basculer dans la difficulté est le dispositif de protection de l’enfance. 2. 1. 2 Nous avons déjà fait mention de « l’appel des cent46». Rappelons qu’il est, à l’initiative de Jean-Pierre Rosenczveig, président du Tribunal de Bobigny, et de Claude Roméo, directeur de l’enfance et de la famille au Conseil général de la Seine-Saint-Denis, une lettre ouverte appelant le gouvernement à organiser " une table ronde réunissant les principaux acteurs de la protection de l’enfance afin de définir les conditions de la mise en place d’un débat public national " ainsi qu’à " l’élaboration d’une loi d’orientation qui traduise une vision d’ensemble et permette la refonte d’un système dont chacun s’accorde à regretter les cloisonnements. " Le résultat de cette consultation est la loi du 5 mars 2007, dite loi réformant la protection de l'enfance, à laquelle nous allons maintenant revenir plus en détail. Lorsque Philippe Bas présente son projet au Sénat en première lecture, il le fait en ces termes : « (…) Le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui s’attaque à une réalité que nous ne pouvons ignorer. Cette réalité, c’est la souffrance de milliers d’enfants, qui sont la proie de certains adultes : des enfants victimes de négligence, d’indifférence, de manque d’amour ; des enfants victimes, aussi, de violences morales et psychiques ; d’humiliations et de brimades ; des enfants victimes, encore, de conflits familiaux aigus, et qui subissent la cruauté de ces rapports dégradés. Cette souffrance, souvent méconnue et silencieuse, est intolérable47. » Il précise ensuite comment il compte améliorer le système existant : « Aujourd’hui, 270 OOO enfants sont pris en charge par les services départementaux de l’ASE (aide sociale à l’enfance). (…) Notre dispositif de protection de l’enfance est construit sur des bases saines et solides : il repose sur le principe de la primauté de l’enfant et de son intérêt. Malgré tout, nous déplorons toujours des failles, des dysfonctionnements et des défauts dans l’organisation de ce dispositif, lesquels empêchent les professionnels d’aider comme ils le voudraient les enfants qui souffrent ou qui risquent de souffrir. Il faut remédier à cette situation, pour protéger les enfants et leurs familles. Nous devons agir dans trois directions : renforcer la prévention (…) ; organiser le signalement (…) ; diversifier les modes de prise en charge (…) ». Nous avons déjà parlé dans le premier chapitre de la diversification du mode de prise en charge, dont la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial et la mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale font partie au titre des aides à domicile, ainsi que l’AEMO (action éducative en milieu ouvert) et l’AED (aide éducative à domicile). Le renforcement de la prévention fait l’objet du titre Ier du projet de loi, car il est conçu comme le premier levier d’action. Le ministre précise qu’il souhaite

                                                         45 Ibid. p. 37  46  www.appeldes100‐debatnational.com  47 Séance du 20 juin, p. 6/15 du compte‐rendu intégral des débats.

 

 

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faire de la PMI (protection maternelle et infantile) un acteur pivot de la prévention, en prévoyant, grâce à l’entretien du quatrième mois de grossesse, un suivi précoce des femmes enceintes donnant des signes de détresse, qui perdurera à leur retour de la maternité. Le deuxième volet concerne l’organisation du signalement. Il crée une cellule pluridisciplinaire de recueil, de conseil, d’expertise, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes au sein de chaque département, en précisant les règles de signalement pour que la justice ne soit saisie qu’en cas de nécessité, c’est à dire lorsque l’enfant est en danger grave et lorsque les parents refusent l’accompagnement proposé par les services de l’aide sociale à l’enfance. Nous l’avons déjà mentionné, dans le premier chapitre également, à propos des charges supplémentaires imposées aux conseils généraux. Certains conseils généraux ont crée de vrais cellules de recueillement composées de personnels dédiés (travailleurs sociaux, chef de service). D’autres se sont contentés de nommer un des responsables de la direction enfance famille du Département, qui renvoie aux territoires d’action sociale le soin d’évaluer la gravité de la situation et de la faire ensuite remonter au service central. Si le dispositif de protection de l’enfance peut donner lieu à critique, il semble cependant un ensemble cohérents de mesures rassemblées autour d’un objectif précis et pensé. Il est conçu comme relevant à la fois de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire. Avant la réforme introduite par la loi de mars 2007, les mesures administratives avaient un but uniquement préventif, les mesures judiciaires étant réservées aux situations les plus graves. Depuis la réforme, les situations graves, où entre en ligne de compte la notion de danger peuvent être également traités par le biais de mesures administratives, pour peu que les parents des enfants concernés acceptent de signer un « contrat » avec le président du Conseil général ou son représentant. Détaillons les rapidement, en nous référant au guide pratique de la Protection de l’Enfance, édité sous l’égide du Ministère de la Santé et des Solidarités. Pour l’ A.E.M.O. judiciaire, le ministère de tutelle est le Ministère de la Justice. Il s’agit d’une compétence de l’Etat. Cette mesure peut être exercée par la Protection Judiciaire de la Jeunesse ou par le secteur associatif habilité justice, comme les Sauvegarde de l’enfance par exemple. Il faut des motifs graves pour que la justice s’immisce dans l’exercice de l’autorité parentale. Cette mesure de protection judiciaire est donc décidée lorsque la preuve d’un danger pour le mineur est apportée. Il appartient alors au juge des enfants d’évaluer la situation et d’ordonner la mesure. Une demande motivée est adressée aux autorités judiciaires sous la forme d’un rapport social. Ce rapport doit démontrer, d’une part que les conditions de l’article 375 du Code Civil sont réunies et d’autre part, que la mesure d’AEMO (action éducative en milieu ouvert) est pertinente pour la protection de l’enfant. Pour élaborer sa décision, le magistrat se base sur une enquête sociale ou une étude de personnalité de l’enfant, à laquelle il peut faire procéder une fois saisi ; sur un signalement par toute personne ayant connaissance d’une situation dangereuse pour le mineur ; ou il peut s’agir d’une requête par les personnes

 

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désignées par la loi comme ayant qualité pour agir (père ou mère, mineur, ministère public). Cette décision est toujours motivée, ce qui définit précisément la mission du service chargé d’exercer l’AEMO. La mesure d’action éducative en milieu ouvert est une mesure d’assistance éducative prononcée par le juge des enfants lorsque les détenteurs de l’autorité parentale ne sont plus en mesure de protéger et d’éduquer leur enfant, dont « la santé, la moralité, la sécurité, les conditions de son éducation ou son développement sont gravement compromises »48. Le juge des enfants ordonne la mesure et la notifie à la famille, ainsi qu’à l’organisme qu’il désigne pour l’exercer. La famille peut faire appel de cette décision, mais l’appel n’est pas suspensif. Pour l’ AED ou aide éducative à domicile, le ministère de tutelle est le Ministère des affaires sociales. Il s’agit d’une compétence locale, exercée par le conseil général. Depuis les lois de décentralisation (1983-1989), l’essentiel de la protection administrative de l’enfance a été transférée aux départements, qui assurent aux familles un droit d’être soutenues dans leur fonction éducative. Cette prestation du conseil général est mise en place par l’aide sociale à l’enfance après une évaluation sociale rigoureuse, conduite par le service départemental d’action sociale. L’aide éducative à domicile s’inscrit dans le Code de l’action sociale et des familles, qui la définit dans l’article L. 222-1 : « Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leurs familles ou à tout détenteur de l’autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, ainsi qu’aux mineurs émancipés ou aux majeurs âgés de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. » Comme la mesure judiciaire d’AEMO (action éducative en milieu ouvert), elle s’adresse à des parents confrontés à d’importantes difficultés sur le plan éducatif, pour lesquelles ils ne sont pas parvenus à trouver des réponses adaptées. Ils conservent néanmoins le plein exercice de l’autorité parentale. Par ailleurs, les usagers ont un droit d’accès à leur dossier détenu par les services d’AEMO et par l’aide sociale à l’enfance (avec, en théorie, des réserves prévues par la loi, sur les informations non communicables pour atteintes à la vie privée). Depuis peu, certains départements, dont celui de l’Isère, ont mis en place le logiciel IODAS, qui regroupe et centralise toutes les données concernant une famille : état civil et activité de toute la famille, éventuelles mesures en cours, dates des visites à l’assistante sociale de secteur, aides financières accordées, etc. Nombre de travailleurs sociaux s’inquiètent de ce fichage généralisé, d’autant qu’une famille ayant un besoin urgent d’une aide financière ne pourra l’obtenir qu’en acceptant d’être répertoriée sur IODAS. Le risque de stigmatisation des familles est important, et le droit au respect de la vie privée paraît un tant soit peu battu en brèche par ce nouveau fichier centralisé. Comme précisé antérieurement, la mesure administrative d’aide à domicile peut désormais être exercée dans le cas où un mineur est en danger, sur décision du

                                                         48 Article 375 du Code civil. 

 

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président du conseil général ou de son représentant, à la demande des parents. Il s’agit bien d’un retour à la puissance administrative. Si la famille revient sur sa demande, et que l’enfant est toujours considéré comme en danger, il appartiendra alors à l’autorité administrative de faire un signalement au procureur de la République afin qu’une mesure judiciaire d’assistance éducative en milieu ouvert puisse être ordonnée par le juge des enfants. Une des critiques, formulée principalement par les acteurs de terrain (travailleurs sociaux, chefs de service), concerne l’établissement de ce « contrat » entre la famille et le Conseil général. En effet, d’une part, un contrat se signe normalement librement, entre deux parties à égalité. Or une famille en difficulté avec ses enfants et repérée par le service social de secteur, perçoit, à tort ou à raison, la menace de leur placement si elle refuse la mesure éducative administrative. D’autre part, la famille n’a pas de recours contre le conseil général, alors qu’elle peut toujours faire appel d’une décision judiciaire. On essaie de lui faire croire qu’elle est un partenaire dans la mesure, ce qui est une façon quelque peu biaisée de lui présenter les choses. Si elle a accepté la mesure à contrecœur, la seule prérogative qui reste à la famille est de s’en tenir strictement aux termes du « contrat » signé avec le conseil général, et de faire éventuellement de l’opposition passive, espérant ainsi épuiser le travailleur social par sa force d’inertie. Cela peut aussi arriver dans les mesures judiciaires, bien entendu, mais c’est moins fréquent. Car la mesure judiciaire s’impose, elle, à la famille comme au travailleur social qui l’exerce, les plaçant ainsi symboliquement dans une position similaire, où le magistrat est à une place de tiers. C’est d’ailleurs lui qui, après avoir entendu famille et travailleur social en audience, décidera de la suite à donner, ou non, à la mesure en cours. Du côté des travailleurs sociaux, la donne change également avec la mesure administrative : leur intervention n’est plus légitimée par la mission judiciaire aux yeux des différents partenaires, et en particulier à l’école et dans les collèges et lycées. L’autorisation de la famille devient ainsi, par exemple, indispensable pour prendre contact avec l’école afin de s’enquérir du comportement de l’enfant parmi ses pairs et avec les instituteurs. Enfin, l’institution exerçant la mesure administrative peut être amenée à signaler dès le début une situation de danger au juge des enfants après le démarrage de la mesure, et même si la famille a collaboré : celle-ci a alors l’impression d’avoir été grugée. La mesure judiciaire qui prendra probablement la suite risque alors d’être d’autant plus difficile à exercer. Comme le relèvera fort judicieusement un sénateur, la confiance entre le travailleur social et la famille est un élément indispensable au travail en commun. Les familles en difficulté sont en général prêtes à ce que des professionnels leur apportent de l’aide. Encore faut-il le faire d’une façon suffisamment compréhensive et respectueuse. Chacun d’entre nous est attentif au regard que l’on porte sur lui et c’est bien naturel. 2.2 Le regard porté sur la famille

 

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2. 2. 1 Analyse croisée des lois de protection de l’enfance et de prévention de la délinquance Lors du débat au Sénat, la crainte de certains sénateurs était visiblement que la loi relative à la prévention de la délinquance ne vienne vider de sa substance celle qui concerne la protection de l’enfance : « Le débat sur la jeunesse et la protection de l’enfance fait actuellement l’objet de deux projets de loi, issus de deux ministères différents et sous-tendu par deux philosophies diamétralement opposées. (…) Deux conceptions s’affrontent au sein du Gouvernement : une conception qui fait de l’enfant un être en devenir et qui cherche à mettre en œuvre les moyens de son épanouissement et une conception dont la préoccupation principale est la protection de la société, fondée sur le déterminisme et la traque du délinquant en devenir49. » La loi de prévention de la délinquance donne effectivement l’impression d’un renforcement de mesures répressives partout où cela était possible, y compris dans les lieux de soins (hôpitaux psychiatriques), avec pour objectif une réponse immédiate aux faits divers du moment. Par ailleurs, il est impossible de ne pas noter que ce projet de loi est discuté juste avant une échéance électorale importante, et que le thème de l’insécurité, déjà utilisé lors de l’échéance précédente, n’arrive probablement pas par hasard. Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, présente ainsi son projet en première lecture devant le Sénat50: « (…) Le projet de loi que je vous présente aujourd’hui remet en cause un certain nombre de nos idées reçues. Devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite évoquer librement ce sujet. De grands textes, qu’on dit fondateurs, ont vieilli. C’est un véritable problème que de devoir s’incliner devant des « cathédrales juridiques », en les considérant comme des fondements de notre société, et, dans le même temps, de les trouver trop fragiles pour être adaptés. Parmi ces textes se trouve l’ordonnance du 2 février 1945, sur laquelle M. le garde des sceaux et moi-même avons beaucoup travaillé. (…) Cette ordonnance a vieilli parce qu’un mineur en 1945 n’a rien à voir avec un mineur en 2006. (…) Violences de plus en plus grandes, mineurs de plus en plus jeunes. (…) En effet, entre un délinquant de treize ans et un autre de dix-sept ans, entre quelqu’un qui viole et quelqu’un qui commet une incivilité, la réponse ne peut pas être la même ! Voilà pourquoi nous avons voulu augmenter la palette de sanctions qui peuvent être apportés. (…) Je terminerai par deux remarques. Il faut bien quelqu’un pour coordonner la politique de prévention. (…) Pour parler clairement, face à des enfants qui dans telle ou telle commune, tel ou tel quartier, sont tentés par la violence, qui peut le mieux dire avec certitude qu’il y a des problèmes ici et que là, il n’y en a pas ? Cherchez ! La solution est toute trouvée : ce sont les élus locaux, et parmi eux, les maires ! (…) De surcroît, rien dans le texte ne donne aux maires un pouvoir de sanction. Ces derniers ont seulement un pouvoir de coordination, d’information et d’intervention auprès d’institutions qui, elles, bénéficient du droit

                                                         49

Claire-Lise Campion, groupe socialiste, p. 22/37. 

50 Séance du 13 septembre 2006, compte‐rendu intégral des débats, p. 5884.

 

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de sanction. (…) Philippe Bas et moi-même créons la fonction de coordinateur des travailleurs sociaux. Ce dernier, également habilité au secret professionnel, aura le droit de donner au maire toutes informations qu’il estime utile, à charge pour ce dernier d’en tirer toutes les conclusions. Le premier intervenant après cette présentation du projet de loi est Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale 51: « Les craintes, car elles existent, portent notamment sur les risques de mettre en cause la responsabilité des élus locaux et de compromettre la fonction symbolique du maire, en faisant de lui le premier maillon d’un appareil répressif ou, à tout le moins, en le faisant entrer dans la mêlée. (…) Je dois à la vérité de dire que l’opinion des représentants de l’Assemblée des départements de France se révèle parfois plus critique, certains allant jusqu’à remettre en cause le rôle pivot du maire dans la prévention de la délinquance et s’inquiétant des risques de contradiction entre le présent texte et le projet de loi réformant la protection de l’enfance, adopté récemment par le Sénat en première lecture. » Dans son aspect plus général, le discours du ministre de l’intérieur est émaillé d’histoires édifiantes qui ne sont pas rapportées ici : le petit Nicolas, qui n’a pas pu être sauvé à temps du fait de l’absence de coordination entre les neuf travailleurs sociaux qui s’occupaient de sa famille ; le petit Mathias, violé et noyé par un « monstre » déjà condamné deux fois pour violence sexuelle ; le chef du « gang des barbares » qui a torturé un jeune homme et « qui n’est pas devenu barbare entre vingt-trois et vingt-quatre ans. » Michel Foucault explique ce procédé en 1975 dans Surveiller et punir

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:

« A cela s’ajoutait une longue entreprise pour imposer à la perception qu’on avait des délinquants une grille bien déterminée : les présenter comme tout proches, partout présents et partout redoutables. C’est la fonction du fait divers qui envahit une partie de la presse et qui commence à avoir ses journaux propres. Le fait divers criminel, par sa redondance quotidienne, rend acceptable l’ensemble des contrôles judiciaires et policiers qui quadrillent la société. » On peut relever aussi le lexique utilisé : il est question de violences, de catastrophes, de sanctions, de fléaux. Le garde des sceaux y ajoutera, à plusieurs reprises, le « sentiment d’impunité chez les mineurs ». C’est un discours qui creuse le même sillon que le précédent, en s’intéressant aussi aux principaux coupables, les parents. « Enfin, le projet de loi institue une peine de stage de responsabilité parentale qui permettra de responsabiliser les parents de délinquants éprouvant des difficultés dans l’éducation de leurs enfants et de leur venir en aide. »

                                                         51 Ibid. p. 5891.  52 Foucault

 

M. Surveiller et punir. Naissance de la prison, 1975, Paris, Gallimard, p. 334 et 335. 

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Les sénateurs de l’opposition feront par amendement une tentative de suppression du stage de responsabilité parentale. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis, note53 que ce dispositif d’accompagnement parental « ressemble étrangement » à celui crée dans la loi pour l’égalité des chances, à ceci près qu’il relève du maire et non du président du Conseil général. En effet, un contrat de responsabilité parentale a déjà été institué par l’article 48 de la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, dont le non respect peut entraîner la suspension du versement des prestations familiales. L’amendement sera rejeté par le gouvernement. Il s’inquiète aussi de la question du secret partagé, car il note54 que le texte « diffère sensiblement de celui qui avait été retenu dans le cadre de la protection de l’enfance, alors qu’il s’adresse globalement aux mêmes travailleurs sociaux. Comment ceux-ci pourront-ils distinguer entre ce qui relève de la protection de l’enfance et ce qui relève de l’action sociale générale au moment de procéder aux échanges d’informations ? » Jean-Pierre Godefroy, groupe socialiste et CRC, s’en inquiète également, pour une autre raison : « J’insiste : si les dispositions de l’article 5 étaient adoptées, elles affaibliraient gravement le secret professionnel institué dans le code pénal non en faveur des professionnels, mais pour offrir aux citoyens les garanties de protection de l’intimité de leur vie privée. Or c’est justement parce qu’ils savent cette intimité protégée que les parents acceptent de faire part de leurs difficultés les plus graves et de demander de l’aide aux professionnels, qui sont alors fondés à élaborer avec eux des mesures de prévention et de soins. » Les sénateurs de l’opposition reprochent au ministre de l’intérieur de s’attaquer aux conséquences de la délinquance, sans chercher à analyser et encore moins à remédier, à ses causes. Eliane Assassi

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, groupe socialiste et CRC :

« Plutôt que de prévoir des solutions en amont, c’est-à-dire une réelle prévention en terme d’habitat, d’emploi, de loisirs, de santé, de culture, d’éducation et de cadre de vie, vous préconisez d’intervenir en aval, d’abord par un contrôle de certaines catégories de personnes – malades mentaux, allocataires de prestations sociales, élèves s’abstenant de l’école -, puis par une répression accrue à l’encontre desdites personnes. » Enfin, le thème qui soulève l’indignation des sénateurs de l’opposition est le nouveau traitement réservé aux mineurs. Alima Boumediene-Thiery, groupe des Verts56 : « Constamment, vous entretenez l’amalgame en maintenant le lien entre, d’une part, certaines catégories de la population – les pauvres, les précaires, les

                                                         53 Séance du 13 septembre 2006, compte‐rendu intégral des débats, p. 5893.  54 Ibid.  55 Séance du 13 septembre 2006, compte‐rendu intégral des débats, p. 5900 à 5902. 56 Alima Boumediene‐Thiery, ibid. p. 5931. 

 

 

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malades, les toxicomanes, les jeunes – et d’autre part, les violences et la délinquance. Prenons l’exemple des jeunes : vous tentez de faire disparaître la spécificité de la justice des mineurs, en la rapprochant de façon inacceptable du régime des majeurs. C’est notamment le cas lorsque vous permettez l’accroissement de la mainmise du parquet sur les tribunaux pour enfant, ou l’extension aux mineurs de la mesure de composition pénale, ou encore la procédure de jugement rapprochée, semblable à la comparution immédiate appliquée aux majeurs. (…) Monsieur le ministre, une société qui a peur de ses enfants est une société sans avenir. » Les sénateurs de l’opposition insistent sur la nécessité de maintenir un traitement pénal différencié des mineurs et des majeurs. Ils font donc des tentatives d’amendements de suppression de la procédure de jugement à délai rapproché, rejetées, et des tentatives de faire supprimer la limitation du nombre d’admonestations ou de remise à parents, rejetées également. Ils demandent le retrait par le gouvernement des dispositions sur le dépistage précoce des difficultés chez les enfants dès trois ans, soulignant encore la contradiction entre ce texte et celui relatif à la protection de l’enfance. Aidé par la mobilisation des professionnels, ils auront gain de cause au moins sur ce point. Les dispositions relatives à la gestion des allocations familiales dans ces deux lois offrent également une illustration des incohérences. Florance Raynal, auteur d’un article57 paru dans Actualités Sociales Hebdomadaires du 22 février 2008, intitulé « Mineurs délinquants, les parents, responsables, victimes ou partenaires ? » fait un recensement des dispositifs non utilisés depuis que la loi et les décrets d ‘application sont parus : les stages parentaux, dont la conception est « relativement infantilisante et traumatisante pour les parents58. » « On ne sait pas qui doit les mettre en place ni quel doit être leur contenu. (…) Les textes avancent l’idée saugrenue que ces stages sont à la charge des parents, alors même que, dans la tête des législateurs, ils s’adressent d’abord aux personnes les plus démunies59… » Comme les stages parentaux, le contrat de responsabilité parentale, issu également de la loi de prévention de la délinquance, n’a heureusement pas grand succès dans la pratique : « Nous n’avons connaissance aujourd’hui que d’une dizaine de signatures de contrats et nous n’avons recensé aucune suspension d’allocations familiales depuis 2004, malgré l’élargissement du champ pouvant aboutir à une sanction60. (NB : Jusque là, seul un défaut d’assiduité scolaire pouvait impliquer une sanction. Aujourd’hui, cela est aussi possible en cas de carence de l’autorité parentale ou de trouble au fonctionnement d’un établissement scolaire.) »

                                                         57 Raynal F. « Mineurs délinquants, les parents, responsables, victimes ou partenaires ? », Actualités Sociales  Hebdomadaires, 22 février 2008 – n° 2546.  58 Sottet F. premier substitut du procureur au tribunal de grande instance de Paris en charge du parquet des mineurs,   op. cit. p. 43.  59 Lazerges C. directrice de l’école doctorale de droit comparé à l’université Paris‐I Panthéon ‐ Sorbonne, op. cit. p. 43.  60 Aymeric de Chalup, responsable du pôle prestations familiales à la caisse nationale des allocations familiales  (CNAF), op. cit. p. 43. 

 

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Les élus y sont hostiles car ils savent que ces mesures atteindraient en premier lieu les plus défavorisés : « On touche là le monde de la pauvreté et ce n’est pas la solution que de supprimer une des rares ressources tombant dans le ménage61. » Par ailleurs ils sont conscients que les familles n’auraient d’autre alternative que de demander de l’aide au centre communal d’action sociale ou au conseil général, tous deux alimentés par les finances locales. Cette suppression ne ferait donc que déplacer le problème, sans le résoudre. Quant au nouveau rôle du maire, il ne fait que rajouter à la confusion. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis, n’est pas convaincu par la décision de lui donner le soin de désigner le coordonnateur de l’action sociale, alors que la coordination de l’action sociale est de la responsabilité du conseil général depuis les lois de décentralisation62: Article 375-9-2 (Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007, art. 10) Le maire ou son représentant au sein du conseil pour les droits et devoirs des familles peut saisir le juge des enfants, conjointement avec l’organisme débiteur des prestations familiales, pour lui signaler, en application de l’article 375-9-1, les difficultés d’une famille. Lorsque le maire a désigné un coordonnateur en application de l’article L. 121-6-2 du code de l’action sociale et des familles, il l’indique, après accord de l’autorité dont relève ce professionnel, au juge des enfants. Ce dernier peut désigner le coordonnateur pour exercer la fonction de délégué aux prestations familiales. L’exercice de la fonction de délégué aux prestations familiales par le coordonnateur obéit aux règles posées par l’article L. 474-3 et les premiers et deuxièmes alinéas de l’article L. 474 - 5 du code de l’action sociale et des familles ainsi que par l’article 375-9-1 du présent code. Par ailleurs, cet article pose un autre problème : comment un travailleur social isolé pourrait-il exercer correctement une fonction de délégué aux prestations familiales sans le soutien logistique (secrétariat, véhicule, ordinateur, etc) et humain qu’apporte un service, sans réunions d’équipe et de réflexion sur la pratique professionnelle ? Il sera intéressant, d’ici quelques temps, de voir combien de coordonnateurs ont été nommés pour exercer la fonction de délégué aux prestations familiales et ce qu’ils disent de leur pratique. Voyons maintenant ce qu’il en est de la responsabilité de l’éducation des enfants. 2. 2. 2 Qui est responsable de l’enfant ? Après ce tour d’horizon des nouveaux dispositifs non utilisés, Florance Raynal, tente une approche de la question de la responsabilité des parents en interrogeant des spécialistes de l’enfance : « Des parents rencontrent deux types d’impuissance : l’une, objective, fondée sur des conditions matérielles et sociales très défavorables (pauvreté, logement

                                                         61 Ibid.  62 Séance du 13 septembre 2006, p. 5893.

 

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précaire, discriminations – par l’école, la police, la justice… perspectives négatives sur le marché du travail …) ; l’autre, plus subjective, en découle en partie. Quand on doit éduquer des enfants dans des conditions pareilles, il est normal qu’on soit découragé » analyse Lode Walgrave63, professeur émérite de criminologie de la jeunesse à l’université catholique de Louvain, en Belgique. Et de s’exclamer : « Ce sont ces parents-là que l’on voudrait responsabiliser ? C’est un peu trop facile. Il est impossible d’être un bon éducateur dans certaines circonstances. Même Zinédine Zidane jouerait mal s’il devait le faire dans un champ de patates ! » C’est pourtant le constat d’une tendance générale à la responsabilisation des parents que fait Marine Boisson, du département questions sociales au Centre d’analyse stratégique, dans : « des pères et des mères plus « responsables », une réponse à la délinquance des mineurs ? Une perspective internationale ». Elle y écrit64 en effet que: « Depuis la fin des années quatre-vingt, la tendance est nettement à considérer que des pères et des mères « plus responsables » seraient une partie de la réponse aux problèmes de la délinquance juvénile et des incivilités. L’hypothèse d’un défaut d’éducation, de direction et de surveillance des parents est en premier lieu reliée à la multiplication des incivilités et à la croissance de la part des mineurs impliqués dans les crimes et délits, leur précocité et l’aggravation de la nature des infractions commises. » Marine Boisson relate ensuite diverses expérimentations menées aux États-Unis, Royaume-Uni, Canada ou en Belgique, qui vont des amendes parfois lourdes aux parents négligents (Royaume-Uni) au stage parental pour apprendre à éduquer ses enfants (Belgique). Elle souligne l’ensemble de phénomènes qui préside à cette orientation65 : « La responsabilisation comme nouvel axe des politiques de prévention et de lutte contre la délinquance apparaît reliée à un ensemble complexe de phénomènes. La recherche d’une production de sécurité par les parents, plus largement par la société civile au niveau local, est fondée sur une conception plus subsidiaire, contractuelle voire partenariale des relations entre l’État, la famille et les communautés. Cette perspective n’est pas étrangère à un souci de rationalisation des dépenses publiques. » La tentative de rationalisation des dépenses publiques est certes depuis une quinzaine d’années, en France, une réalité, comme le montrent les lois de décentralisation, la révision générale des politiques publiques (RGPP) la nouvelle loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui établit une logique de performance de la gestion publique. S’il n’y a rien de choquant en soi à ce que l’Etat soit vigilant à la bonne utilisation des fonds publics, on a vu dans la première partie que celle-ci pouvait servir de prétexte à la remise en cause de la

                                                         63 Raynal F. op. cit.,

p. 41.  pères et des mères « plus responsables », une réponse à la délinquance des mineurs ? Une perspective internationale » Actes du colloque, janvier 2008, p. 1. 64 Ibid. p. 2.  64 Boisson M.., « Des

 

 

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solidarité nationale. Et il paraîtrait normal que le gouvernement donne l’exemple en rationnalisant ses propres dépenses. Puis Marine Boisson précise que cette responsabilisation des parents est sujette à controverse : « Les critiques restent vives, notamment de la part de chercheurs, juristes, sociologues ou psychologues, qui voient dans les parents « défaillants » plutôt des familles en grande difficulté, relevant de l’assistance éducative ou de la protection de la jeunesse, et qui s’interrogent sur le contenu hybride d’une mesure de « sanction - éducation ». L’orientation française de la loi de prévention de la délinquance est donc dans l’air du temps et le regard au premier abord différencié porté sur la famille dans les deux lois votées le même jour de mars 2007 est en réalité identique. En effet, même s’il se veut dans un esprit où « la priorité est la valorisation des compétences parentales, dont l’exercice doit être soutenu66 », le texte de loi sur la protection de l’enfance désigne bien les parents comme responsables des dérèglements de leurs enfants. Rappelons-nous ce que disait Philippe Bas pour terminer son discours d’introduction aux travaux du Sénat, « c’est aux parents que reviendra toujours la responsabilité principale. Ils sont parfois moins bien préparés que leurs aînés à assumer ce rôle. Nombre d’entre eux ont été particulièrement exposés aux difficultés de la vie, qu’il s’agisse de difficultés économiques et sociales ou de difficultés liées aux fréquents coups de boutoir que la cellule familiale a pu subir67. » L’éducation, écrit le Petit Robert, c’est la « la mise en œuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement d’un être humain ». Protéger l’enfant contre les dangers, jusqu’à ce qu’il soit en mesure de le faire lui-même, doit faire partie des moyens mis en œuvre. La famille est donc le premier lieu « naturel » de protection de l’enfant68 , mais Marine Boisson évoque aussi la solidarité collective: « Si l’ordre juridique interne et international établit que « la responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents » en tant que vocation naturelle et exclusive, ce principe connaît depuis la fin du XIX siècle des tempéraments : les mesures de rappel à la responsabilité restent à mieux articuler avec les lois d’assistance et de protection fondées sur la solidarité collective vis-à-vis des familles les plus en difficulté et de leurs membres. » Ce n’est pas vraiment l’option choisie par l’actuel gouvernement : le rapport Bénisti69, rendu en octobre 2004, donne une idée assez précise des valeurs idéologiques sous-jacentes sur la famille, et il n’y est guère question de

                                                         66 Claire‐Lise Campion, p. 19/37.  67 Séance du 20 juin, p. 11/15 du compte‐rendu intégral des débats. 68 Boisson M. « Des

 

pères et des mères « plus responsables », une réponse à la délinquance des mineurs ? Une perspective internationale » op. Cit. p. 4  69 Accessible en ligne grâce aux moteurs de recherche. 

 

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solidarité. Par ailleurs, il prône le renforcement de l’autorité de l’Education Nationale sur les enfants et les parents. Rappelons que J-A Bénisti était président de la commission prévention du groupe d’étude parlementaire sur la sécurité intérieure. Cette commission s’est réuni à six reprises, entre juin 2003 et novembre 2004 et n’a compté parfois que trois personnes. Le rapport comporte soixante pages, dont vingt trois d’annexes présentant par le menu le projet d’intervention d’une société privée (une filiale d’AREVA) qui propose ses services dans la lutte contre les « actes de malveillance ». Le compte-rendu des débats lors des réunions est de douze pages, et le rapport en lui-même compte une vingtaine de pages. Il a servi de base au projet de loi sur la prévention de la délinquance. Il s’ouvre sur une splendide « courbe évolutive d’un jeune qui au fur et à mesure des années s’écarte du « droit chemin » pour s’enfoncer dans la délinquance », qui donne d’emblée la tonalité du rapport. En voici quelques morceaux choisis, où il apparaît que la mère, responsable du foyer et de l’éducation des enfants, est la première coupable d’éventuelles dérives délictuelles enfantines : « Entre 1 et 3 ans : Seuls les parents, et en particulier la mère, ont un contact avec leurs enfants. Si ces derniers sont d’origine étrangère elles devront s’obliger à parler le Français dans leur foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer (…) Si c’est dans l’intérêt de l’enfant, les mères joueront le jeu et s’y engageront. Mais si elles sentent dans certains cas des réticences de la part des pères, qui exigent souvent le parler patois du pays à la maison, elles seront dissuadées de le faire. Il faut alors engager des actions en direction du père pour l’inciter dans cette direction. On hésite, à lire cette formulation concernant le « parler patois », entre le rire et la consternation. Mais l’ensemble du rapport est malheureusement à l’avenant et une telle accumulation de formules spécieuses, de fautes d’orthographe et de syntaxe laisse perplexe lorsqu’il s’agit d’un document officiel du gouvernement français. Continuons notre examen du texte. Entre 4 et 6 ans : Ces années se passent traditionnellement à la maternelle et c’est là que les premières difficultés peuvent apparaître. Difficultés dues à la langue, si la mère de famille n’a pas suivie les recommandations de la phase précédente. » Il apparaît également que les parents, aux facultés de compréhension limitées, ont un urgent besoin de l’autorité du corps enseignant : « L’école est un lieu de construction et d’apprentissage avec des règles et des exigences qui ne sont pas comprises par les parents. Un travail d’information en direction des parents serait certainement utile pour leur rappeler les missions et les objectifs de l’école. On a tendant à trop en attendre de l’école ce qui créée un

 

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malentendu et surtout un mal être du corps enseignant. La première des actions de prévention qui pourrait être mise en place au niveau scolaire serait de restaurer l’autorité du corps enseignant sur les élèves et leurs parents. » Il se trouve que Rachida Dati a participé aux travaux en tant que conseiller technique du Ministre de l’Intérieur. Elle a été présente à la première réunion, dite réunion constitutive70 : « Aussi, Mme Dati a proposé de placer au cœur de la nouvelle politique de prévention les maires de communes en tandem avec les présidents de conseils généraux. L’enjeu essentiel de cette réforme est de favoriser l’échange d’information et de redéfinir clairement la notion de secret professionnel qui est souvent utilisée à mauvais escient. Par exemple, bon nombre d’enseignants croient être soumis au secret professionnel, alors que ce n’est pas le cas. » Les autorités scolaires font partie de longue date des institutions chargées de protéger l’enfant, si la famille est défaillante. Les directeurs d’école et instituteurs, les enseignants, avaient déjà la possibilité de signaler au procureur de la République des enfants qu’ils considéraient comme en danger. Comme tout citoyen inquiet pour un enfant, d’ailleurs. Il est assez curieux que le futur Ministre de la Justice et Garde des Sceaux ait été le fervent promoteur des mesures administratives exercées par les maires et les présidents de conseils généraux. Sans même parler, dans ses propos, de l’encouragement implicite à la délation pour les enseignants. Le regard porté sur la famille dans ce texte dénote une méconnaissance totale de la réalité quotidienne de la grande majorité des ménages vivant sur le territoire, et une vision quelque peu passéiste et stéréotypée. Par ailleurs, sous couvert de « nouvelle politique de prévention », ces deux lois permettent de restreindre les possibilités qu’avaient les familles de faire valoir leur point de vue auprès d’une instance qui ne soit pas à la fois juge et partie, comme l’est le Conseil général. Le président du conseil général a toute latitude pour accepter, ou refuser, la demande d’aide d’une famille. Par ailleurs, il devient fort difficile de bénéficier d’une mesure judiciaire, qu’elle soit en action éducative ou en gestion budgétaire, car un nombre certain de magistrats, en Isère tout au moins, renvoient désormais les familles vers les mesures administratives du conseil général. Le nouveau pouvoir administratif organisé par la loi de protection de l’enfance serait-il donc une façon de poursuivre l’affaiblissement du pouvoir judicaire ? 2. 3 De l’administratif au judiciaire, la subsidiarité en question 2. 3. 1 Affaiblissement du pouvoir judiciaire et du monde associatif, renforcement du pouvoir administratif : la nouvelle suprématie des conseils généraux, exemple des AED et des AESF issues du nouveau système de protection de l’enfance.

                                                         70 Rapport préliminaire de la commission prévention du groupe d’études parlementaire sur la sécurité intérieure, p.  23. Sénat.fr. 

 

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Depuis la loi de protection de l’enfance de mars 2007, on a assisté dans les départements à une baisse conjoncturelle importante des mesures judiciaires d’AEMO (action éducative en milieu ouvert) au profit des mesures administratives d’AED (aide éducative à domicile). Cette loi organise en effet la suprématie du conseil général, qui devient un interlocuteur incontournable, pour les associations et pour les magistrats de la jeunesse. Obligation est désormais faite à ces derniers de s’assurer que le conseil général a fait une évaluation de la situation avant de préconiser une mesure judiciaire, ou de vérifier qu’une mesure administrative a été tentée. C’est le principe de subsidiarité dont nous avons déjà parlé. Dans la pratique, les magistrats de la jeunesse semblent oublier que, selon le texte, l’évaluation du danger pour l’enfant, si elle est correctement étayée, peut suffire à ordonner une mesure judiciaire. Ils se focalisent sur la tentative préalable d’une mesure administrative. Le service social de secteur, en lien direct et régulier avec les familles, a pourtant souvent suffisamment d’éléments inquiétants pour signaler directement au procureur de la République. Et l’on voit les juges des enfants refuser de se saisir au motif qu’aucune mesure administrative n’a été tentée. Cela semble être une interprétation fort restrictive du texte de loi. La même baisse conjoncturelle d’activité risque d’affecter la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial, au profit de l’accompagnement en économie sociale et familiale (AESF). D’autre part, cette suprématie du conseil général place certaines associations en situation délicate. Suite à la loi sur le handicap de 2005, beaucoup de petites institutions de proximité, qui apportaient pourtant un vrai service aux personnes handicapées, ont par exemple du fermer leur porte. Pourtant, la particularité de l’Isère est d’être, par choix politique du président du conseil général, découpée en treize directions territoriales départementales. Le maître mot est la proximité des services du département pour les usagers. Le département se structure donc sur une base territoriale, qui s’accompagne d’une déconcentration plus importante dans les territoires des actions gérées antérieurement par les services centraux. Cela implique un personnel considérable, puisque multiplié par le nombre de territoires, dans chaque domaine de compétence du conseil général : en matière d’action sociale, d’aide sociale à l’enfance, de soins aux personnes âgées et handicapées, etc. Il est donc étonnant que le conseil général ne s’appuie pas sur les structures associatives, puisqu’il peine par ailleurs à assurer toutes les missions avec ses propres salariés. Début 2007, la DEF (direction enfance famille) du conseil général contacte le directeur général de la Sauvegarde et le directeur du SEMO (service éducatif en milieu ouvert) pour leur proposer de réfléchir à la mise en œuvre de mesures d’AED qui seraient exercées par la Sauvegarde. Il s’agit donc ici pour le conseil général de l’Isère de faire appliquer par le secteur associatif la nouvelle politique publique voulue par le gouvernement. Certains départements ont en effet choisis de faire exercer les AED par leur propre personnel. Trois rencontres ont lieu entre des conseillers techniques de la direction enfance famille (DEF) du conseil général de l’Isère et les directeurs des SEMO (services éducatifs en milieu ouvert) nord et sud Isère. Elles permettent des échanges sur

 

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les valeurs institutionnelles de la Sauvegarde, et sur les attentes de la DEF par rapport à l’exercice de la mesure d’AED (aide éducative à domicile). Des rencontres ont également lieu entre la Sauvegarde et l’autre association, qui exerce depuis vingt ans une soixantaine de mesures administratives, dans le cadre de la prévention, pour le conseil général. Un protocole est signé en février 2008, qui vise à « formaliser les relations entre les services départementaux et les associations lors de la mise en œuvre des mesures d’aide éducative à domicile par les services de milieu ouvert. » Ce protocole reprend le texte de loi et indique que la mesure administrative éducative est une prestation d’aide à domicile relevant de l’aide sociale à l’enfance, qui s’inscrit dans les orientations fixées par l’assemblée départementale, afin de proposer aux familles en grandes difficultés sociales et relationnelles des aides éducatives et de soutien parental. L’accompagnement en économie sociale et familiale est également une prestation d’aide à domicile et aurait de même pu donner lieu à un conventionnement entre la Sauvegarde de l’enfance et le conseil général. 2. 3. 2 Les AESF dans le département de l’Isère, réponse à un appel d’offre. Pourtant, en ce qui concerne cette mesure d’accompagnement budgétaire le conseil général de l’Isère choisit, en vertu de l’article 30 du code des marchés public, une procédure d’appel d’offre. Il s’agit du marché n°09-DDS -MV-01, qui est un « marché de prestations intellectuelles à procédure adaptée ». Sa durée de validité est d’un an à compter de la notification. Il est prévu la possibilité de trois reconductions, par décision expresse de la collectivité dans les deux mois précédant la date anniversaire de ladite notification. Le postulant n’est pas informé par le pouvoir adjudicateur du nombre de ses concurrents, s’il y en a. Les critères de jugement des offres sont les suivants : •

Le prix des prestations (30%).



La qualité des profils des personnes affectées à l’exécution des prestations (30%).



La qualité des outils de suivi des mesures (20%).



La qualité de l’organisation mise en place (20%).

C’est un marché à bons de commande, conformément à l’article 77 du code des marchés publics. En Isère, il a été préparé par le service des contrats de la direction des démarches qualité du département, sur décision du président du conseil général. Un cahier des clauses techniques particulières précise à quelles obligations sont astreints les prestataires :

 



La collectivité adresse un bon de commande au prestataire. A compter de la réception, le titulaire dispose d’un délai maximum de 20 jours ouvrés pour signer le contrat avec le bénéficiaire de la mesure. Les pénalités de retard sont de 1/30 du forfait mensuel par jour de retard.



La transmission du contrat à la collectivité intervient dans un délai de 8

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  jours ouvrés à compter de sa signature. Pénalités : 1/30 du forfait mensuel par jour de retard. •

La mise en œuvre de la mesure doit intervenir dans un délai de 20 jours ouvrés à compter de la signature du contrat. Pénalités : 1/30 du forfait mensuel par jour de retard.

Nous arrêterons là l’énumération des obligations à remplir sous peine de pénalités, qui est longue et fastidieuse, mais qui permettrait au lecteur de mesurer la stupeur des délégués aux prestations familiales, passés sans coup férir du monde de la protection de l’enfance à celui du marché. Une dernière précision cependant. Il est indiqué dans le cahier des clauses techniques que les travailleurs sociaux doivent rencontrer obligatoirement deux fois par mois les familles, de préférence à leur domicile. La feuille d’émargement portant la signature des parents est adressée au conseil général, à titre de preuve de ces deux visites mensuelles, comme si le nombre de visites était un gage de qualité du travail effectué . Le conseil général propose pour l’exercice de cette mesure un forfait mensuel de 23O, O5 €. Rappelons que le mois tutelle versé par la CAF pour les MJAGBF (mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial) est de 245,88 €. Il n’a pas été ici question de rencontre et d’échanges entre la direction enfance famille et la Sauvegarde de l’enfance, comme pour l’aide éducative à domicile. Il n’est même pas sûr que la DEF (direction enfance famille) ait été consultée sur la meilleure façon de mettre en œuvre les accompagnement en économie sociale et familiale. En effet, la majeure partie des secteurs d’action sociale sur les territoires est pourvue en conseillères en économie sociale et familiale (CESF) qui, comme leur titre l’indique, sont formées pour exercer des AESF. Elles exercent de longue date des AEB (aide éducative et budgétaire) et vont d’ailleurs continuer. C’est exactement la même mesure que l’AESF, on ne comprend donc pas l’intérêt de ce doublon, surtout si l’objectif était d’économiser les fonds publics. Que cela ait échappé au législateur est déjà étonnant, cela l’est plus encore de la part des élus des département. Celui-ci est découpé en lots, et le service des tutelles de la Sauvegarde, qui a répondu à l’appel d’offre et obtenu le marché, se retrouve ainsi prestataire de service pour les lots 4,5 et 6, c’est-à-dire pour le nord, le sud et le centre Isère. La prestation relative à l’exercice de la mesure d’AESF (accompagnement en économie sociale et familiale) est de 6 mois minimum et d’un an maximum. Elle est décrite dans un cahier des clauses techniques particulières71, sur la formulation duquel nous reviendrons plus précisément: « Public : ménage avec au moins un enfant à naître ou à charge de moins de 18 ans rencontrant des difficultés dans la gestion du budget familial. Objectifs : Aider les parents par la délivrance d’informations, de conseils pratiques et par un appui technique dans la gestion de leur budget au quotidien. Enrayer un dysfonctionnement dans la gestion des ressources familiales.

                                                         71 Ibid. p. 6. 

 

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L’intervention vise à comprendre, avec la famille la nature des difficultés rencontrées au niveau budgétaire; élaborer ensemble des priorités budgétaires et organiser la gestion du budget; anticiper des dépenses imprévues lorsque la nature des revenus de la famille le permet ou intégrer la diminution des ressources suite à un changement de situation. Cet accompagnement permet aussi d’évaluer les conditions matérielles de vie des enfants et de la famille relatives au logement, à l’alimentation, à l’entretien du cadre de vie et à l’hygiène des enfant, à la santé, à leur scolarité et loisirs. Plus particulièrement, l’accompagnement apporté vise à ce que les besoins des enfants (alimentation, santé, habillement, activités sportives, de loisirs, activités culturelles) soient considérés en fonction de leur âge, de leur autonomie, de leur environnement et de l’évolution de la situation. » Le document précise que la mesure vise à un accompagnement social personnalisé, dans le cadre duquel le prestataire constitue toutes « demandes liées à l’accès aux droits sociaux, au logement, et les demandes d’aides financières, notamment celles relevant des missions du Département (aides financières de l’aide sociale à l’enfance, fonds solidarité logement, fonds d’aide aux jeunes)72. » Le travailleur social qui exerce la mesure d’AESF (accompagnement en économie sociale et familiale) doit donc se substituer à la conseillère en économie sociale et familiale du secteur en ce qui concerne la gestion du budget, mais également à l’assistante sociale de secteur, habituellement chargée de l’accompagnement social personnalisé de proximité. Tout cela en ajoutant un interlocuteur supplémentaire à la famille, qui restera par nécessité en contact avec son secteur social de proximité. Pourquoi l’exécutif du conseil général de l’Isère a-t-il choisi de faire entrer une prestation d’action sociale dans la logique du marché ? La mise en œuvre d’une logique de rentabilité économique dans le secteur social est dénoncée par l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des services et organismes privés non lucratifs et sociaux) dans un communiqué de presse de février 200973. Elle rappelle que : « En amont de leur participation croissante aux politiques publiques, les associations ont historiquement été à l’origine de nombre d’initiatives en matière d’action sociale et médico-sociale en apportant des réponses à des besoins non couverts par les secteurs public et privé lucratif et ont développé une capacité d’innovation et d’adaptation aux réalités sociales (…) Nombreuses sont les initiatives expérimentées dans le secteur associatif puis institutionnalisé par la puissance publique74. » Elle regrette une mise en concurrence sur les territoires des différentes associations, et souligne le risque de voir disparaître les petites structures qui ne disposeront pas de la technicité nécessaire pour s’inscrire dans le cadre formalisé de la commande publique. Ajoutons que le prix versé pour le suivi des AESF ne peut permettre la viabilité économique que pour des équipes spécialisées (en MJAGBF et en AESF) adossées à des équipes d’action éducative en milieu ouvert,

                                                         72 Ibid. p. 9.

 

73 « Les associations de solidarité face aux logiques de mise en concurrence » communiqué de presse sur la position 

politique de l’UNIOPSS, février 2009.  74 Op. cit. p. 2. 

 

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dans un service assez grand pour organiser la mutualisation des moyens (ordinateurs, véhicules, etc). L’autre option sera de faire baisser le coût de la masse salariale en embauchant des personnels moins qualifiés. Et surtout, l’UNIOPSS souligne que « l’application de critères quantitatifs de performance contenus dans les appels d’offre semble contradictoires avec les méthodes, les objectifs et contraintes de l’intervention sociale. Le travail social doit être envisagé dans la durée, faisant place à l’écoute et à l’humain, et requiert donc davantage l’élaboration de critères qualitatifs de performance. » Nous avons déjà précisé que la fréquence des visites dans les familles n’étaient en rien un gage de la qualité des entretiens, qualité de laquelle dépend l’efficacité de l’intervention. Dans le cadre de la mesure judiciaire, en général ordonnée par période d’un an, le délégué aux prestations familiales peut se concentrer sur le sens du fonctionnement familial vis-à-vis de l’argent, pour aider la famille à s’en décaler, ou a en mesurer les risques. En bonne entente avec sa collègue assistante sociale de secteur, il lui adresse la famille pour une partie de l’accompagnement social, celle ayant trait à l’ouverture de droit RSA (Revenu de solidarité active) par exemple. Les tâches sont réparties entre chaque intervenant, dans un entretien commun avec la famille, qui sait à qui s’adresser pour quel type de demande. Dans le cadre de la mesure administrative tel que prévu par le marché du conseil général de l’Isère, la formulation concernant l’accompagnement social personnalisé est tellement vague que l’on peut craindre qu’elle ne recouvre la totalité des démarches à effectuer avec la famille. Le travail d’accompagnement éducatif et budgétaire proprement dit, ainsi que l’analyse avec la famille du sens des choix budgétaires risque alors d’être toujours remis aux calendes grecques : une des caractéristiques des ménages bénéficiaires de l’aide sociale est de subir des situations fluctuantes en terme d’ouverture de droits aux minima sociaux, ce qui complexifie la gestion des nombreux formulaires à renseigner et autres dossiers à remplir. Et le nombre de pièces justificatives à fournir pour la moindre demande s’est également considérablement accru ces dernières années. C’est pourquoi cette logique de rentabilité, outre qu’elle est inadéquate en matière de travail social, nous semble par ailleurs fort peu adaptée aux conditions économiques de vie des potentiels bénéficiaires de mesures d’accompagnement en économie sociale et familiale. C’est le sujet que nous allons aborder dans la troisième partie.

3. La paupérisation des familles modestes 3. 1. Les conditions de vie des ménages pauvres. 3. 1. 1 Robert Castel, dans Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, explique comment le fait d’avoir un emploi était peu à peu devenu, laborieusement, au fil des siècles, un état constitutif de l’identité sociale

 

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et une sécurité de vie. Mais il constate que la situation se dégrade et note75 dans la société contemporaine " la présence, apparemment de plus en plus insistante, d’individus placés comme en situation de flottaison dans la structure sociale, et qui peuplent ses interstices sans y trouver une place assignée. Silhouettes incertaines, aux marges du travail et à la lisière des formes d’échanges socialement consacrées – chômeurs de longue durée, habitants des banlieues déshéritées, allocataires du revenu minimum d’insertion, victimes des reconversions industrielles, jeunes en quête d’emploi et qui se promènent de stage en stage, de petit boulot en occupation provisoire…-, qui sont-ils, d’où viennent-ils, comment sont-ils arrivés là, que vont-ils devenir ? " Un des premiers facteurs de paupérisation est en effet lié à la situation au regard de l’emploi. En 2005, la France comptait 1,74 million de travailleurs pauvres, soit 7% des travailleurs, selon l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale76. En 2005, 2,35 millions de personnes vivent dans un ménage comportant au moins un travailleur pauvre. Les enfants (seize ans ou moins) en constituent près de la moitié. En moyenne, les travailleurs pauvres ont perçu 775 euros par mois en 2005 au titre de leur activité, soit environ la moitié des revenus d’activité moyen de l’ensemble des travailleurs. Ils occupent, pour 70% d’entre eux, un emploi toute l’année77. Celui-ci n’est donc plus aujourd’hui, on le voit bien à la lecture de ces chiffres, une sécurité de vie et travailler ne donne pas l’assurance d’un toit et de ressources suffisantes. D’autre part, il est désormais communément admis que la gestion du personnel est devenu au fil des années pour les entreprises une variable d’ajustement, et l’on peut se voir priver de son gagne-pain si l’entreprise décide de licencier pour donner plus de dividendes aux actionnaires, ou de délocaliser sa production à l’autre bout du monde pour la rendre moins coûteuse. Le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2007-2008 note par ailleurs ces trente dernières années une tendance à la polarisation de l’emploi au sein des ménages 78: « On compte de plus en plus de ménages dans lesquels soit personne ne travaille, soit l’ensemble des membres travaillent. » La proportion de ménages où personne ne travaille a quasiment doublé (de 6,3% à 12,2%, et celle des ménages « mixtes » a fortement diminué (de 36,9% à 19,9%). Outre l’ébranlement de la société salariale dont parle Robert Castel, un autre facteur important de paupérisation est la composition des ménages. C’est ce que souligne Eric Maurin, économiste. Il précise dans79 L’égalité des possibles, la nouvelle société française, qu'à son sens: " En France, la précarité des situations professionnelles semble n’être en tant que telle qu’un facteur secondaire de récurrence et de persistance dans des situations de pauvreté. La précarité des situations familiales semble un facteur bien plus décisif. Il ressort ainsi de

                                                             75 Castel R.., Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, 1995, Paris, Gallimard, p. 16  76 Rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 2007‐2008, p. 54.  77 Ibid. p. 55.

 

78 Ibid., p. 53.  79 Maurin  E.  L’égalité des possibles, la nouvelle société française, 2002, Editions du Seuil, p. 50 et 51. 

 

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l’étude80 que la pauvreté concerne avant tout les familles avec plusieurs enfants, notamment monoparentales. La persistance dans la pauvreté est d’abord et avant tout le lot des parents isolés ou à faibles salaires potentiels, qu’ils aient ou non un emploi et que cet emploi soit ou non un emploi stable. » Pour lui, c'est donc surtout la composition de la famille qui est déterminante. Cette assertion est corroborée par une récente enquête81 de l’INSEE (Institut national des études statistiques et économiques) sur les niveaux de vie en 2006, qui fait état d’un taux de pauvreté d’environ 13,2% en France métropolitaine en 2006, soit 7,9 millions de personnes. Elle précise que le taux de pauvreté correspond à un revenu inférieur à 880 euros par mois. Parmi ces ménages pauvres, 30,3 % des personnes vivant au sein d’une famille monoparentale ont des ressources inférieures au seuil critique. Or, précise le rapport de l’Observatoire 2007-2008, « les familles monoparentales ne représentent que 7% des ménages, mais constituent 20% des ménages pauvres au sens monétaire82. » La fragilité des familles monoparentales, et des familles nombreuses, avait déjà été repérée par les acteurs de terrain. Il en est fait mention en septembre 2001, dans les actes d’un colloque sur les mesures de tutelle organisé par l’Union nationale des associations familiales (UNAF). Ce colloque restitue à quelques trois cents cinquante délégués à la tutelle les travaux de plusieurs groupes de professionnels constitués en 2000. Eric Mainguenau et Fréderic Marinacce, respectivement responsable et conseiller technique du département des politiques et des prestations légales à la Caisse nationale d’allocations familiales, y font une analyse qui rejoint à la fois le propos de Robert Castel sur les "silhouettes incertaines", et celui d'Eric Maurin sur la présence des enfants qui fragilise la cellule familiale83 : " La pauvreté ne concerne pas seulement les familles, ni l’ensemble des familles. Mais un très grand nombre d’entre elles disposent d’un faible revenu et sont exposées au risque de précarisation. Une proportion importante des familles allocataires perçoit un revenu primaire qui ne peut suffire à l’entretien de leurs enfants. Ce revenu est inférieur au SMIC pour environ 20% d’entre elles et inférieur au salaire moyen pour près de la moitié d’entre elles. Ce constat se trouve confirmé par la répartition des ménages par déciles en fonction du niveau de vie (revenu par unité de consommation) : les ménages situés dans les trois premiers déciles, soit les plus pauvres, représentent 42% des bénéficiaires de prestations familiales alors que ceux situés dans les trois derniers déciles ne représentent que 16% de ces bénéficiaires. Cette situation s’explique par plusieurs facteurs : ° La présence d’enfants à charge, quel que soit leur nombre, conduit à une diminution du niveau de vie. Les études sur le coût de l’enfant montrent que cette diminution est de l’ordre de 30% par enfant, c’est à dire qu’il faudrait

                                                         80 C. Chambaz et E. Maurin, " La persistance dans la pauvreté et son évolution de 1987 à 1994 ", Economie et prévisions,  1996.  81 Goutard L. INSEE Bretagne et Pujol J.  « Les niveaux de vie en 2006, » INSEE n° 1203, juillet 2008.  82 Rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 2007‐2008, p. 72.  83 Maigueneau E. et  Marinacce F.  "La TPSE : la problématique des CAF face à la pauvreté des familles",  Recherche et  prévisions, mars 2002, n°67, p.89 et 90. 

 

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augmenter le revenu des parents de 30% pour qu’ils ne subissent aucune baisse de leur niveau de vie en raison de l’arrivée d’un enfant à leur foyer. Il s’agit d’une moyenne car le pourcentage varie en fonction de nombreux paramètres, dont le rang et l’âge de l’enfant ; ° Les familles nombreuses sont particulièrement menacées par le risque de pauvreté. Bien que leur revenu primaire soit supérieur de 18% au revenu moyen, leur niveau de vie avant transferts sociaux ne représente que 75% du niveau de vie moyen si on considère les familles de trois enfants et 52% pour les familles de quatre enfants et plus (chiffres 1997, échelle de consommation INSEE). » Les deux auteurs parlent ici des familles allocataires en général, et non pas spécifiquement des familles bénéficiaires de mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial. Cependant, il est à noter que, d'après ces deux responsables de la CAF, la venue du premier né conduit déjà mécaniquement à une diminution du niveau de vie, alors que les prestations familiales ne sont servies qu'à partir du deuxième enfant. Certaines familles ne disposent donc pas des ressources suffisantes pour élever correctement leurs enfants, et cette difficulté s’accroît avec leur nombre. Or, pour les enfants, « la pauvreté n’est pas seulement une absence de ressources immédiate ; elle compromet bien souvent les chances d’une insertion sociale et professionnelle réussie à l’âge adulte. » Le rapport de l’Observatoire 2007-2008 fait état de ce que « la probabilité d’avoir des difficultés financières à l’âge adulte est plus élevée pour les individus qui avaient des parents pauvres84. » Cette pauvreté des enfants au sein de leur famille a déjà été soulignée par les associations caritatives françaises, qui tentent depuis plusieurs années d’alerter les pouvoirs publics. Mais au contraire du Royaume-Uni, peu d’études ont été menées en France sur le devenir des enfants de parents pauvres. En mars 2006, un groupement d’intérêt scientifique (étude longitudinale française depuis l’enfance) a été crée pour suivre jusqu’à l’âge adulte une cohorte de 20 000 enfants nés en 2009. Les résultats d’une étude comparative de ce type au Royaume-Uni85 indiquaient que les adolescents de parents pauvres, dans une cohorte des années 1970, avaient quatre fois plus de risques de devenir pauvres que les autres. Dans la cohorte des années 1960, le risque était d’être deux fois plus pauvre. La situation s’est donc fortement dégradée, en l’espace de dix ans seulement, entre 1960 et 1970. Les résultats de l’étude française, d’ici quelques années, permettront de savoir si la dégradation s’est accentuée depuis. Un des premier signe de la paupérisation des ménages est le taux de renoncement aux soins, qui augmente depuis près de trois ans : « En 2004, 13% de a population métropolitaine déclarent avoir renoncé aux soins pour des raisons financières au cours de l’année86. » La mise en place des franchises médicales n’a amélioré les choses pour les familles modestes, l’expérience quotidienne d’un travailleur social de terrain peut en témoigner. A ce

                                                         84 Rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 2008‐2008 p. 92.

 

85 Blanden J., Gibbons S., The Persistence of Poverty Across Generations. The London School of Economics and Political 

Science.  86 Rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, 2008‐2008. p. 49. 

 

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phénomène, inquiétant pour l’état sanitaire de l’ensemble de la population française, s’ajoute celui des médecins de ville, spécialistes divers et dentistes dont certains refusent, et le revendiquent, de soigner les bénéficiaires de la CMU (couverture maladie universelle). Autre sujet préoccupant, le rapport de l’Observatoire précise que « 20% des bénéficiaires du RSA (revenu de solidarité active) n’ont pas la CMU (couverture maladie universelle) complémentaire à laquelle ils ont droit, en partie faute d’informations. » L’accès aux droits est une des principales difficultés à laquelle se heurtent les familles modestes. « Force est de constater que de nombreux droits fondamentaux ou spécifiques ont fait l’objet de proclamations solennelles sans devenir pour autant accessibles ou effectifs pour les plus pauvres87. » soulignent les auteurs du rapport 2007-2008. Ils ajoutent qu’une réflexion globale sur la manière dont le droit traite la question de la pauvreté doit être engagée. En effet, « aujourd’hui, la reconnaissance de droits s ‘accompagne souvent d’une référence à des notions peu précises sur le plan juridique, comme la compensation, la contrepartie ou les devoirs, le contrat, l’opposabilité. Leur clarification serait d’autant plus nécessaire que la décentralisation de certaines politiques sociales, en particulier en matière d’insertion, risque de mener à des interprétations différentes selon le territoire et d’accentuer les inégalités. » On constatait effectivement ces différentes interprétations sur le terrain depuis la mise en œuvre du RMI (revenu minimum d’insertion): selon la circonscription d’action sociale, le bénéficiaire pouvait être contraint de prouver ses démarches d’insertion pour rester dans le dispositif, alors que dans celle d’à côté, on ne lui demandait rien de plus que de revenir signer le contrat régulièrement. Cependant, la pratique la plus courante est de demander une contrepartie au bénéficiaire pour le droit octroyé. Robert Castel88 évoque cette exigence en ces termes: « Qui ne peut payer autrement doit continuellement payer de sa personne (c’est l’auteur qui souligne) et c’est un exercice épuisant. Ce mécanisme se voit bien dans les procédures de contractualisation du RMI : le demandeur n’a rien d’autre à apporter que le récit de sa vie avec ses échecs et ses manques, et on scrute ce pauvre matériau pour dégager une perspective de réhabilitation afin de « construire un projet », de définir un « contrat d’insertion ». Les fragments d’une biographie brisée constituent la seule monnaie d’échange pour accéder à un droit. Il n’est pas certain que ce soit un traitement qui convienne à un citoyen à part entière. » D’autant que ces minima sociaux sont effectivement, comme leur nom l’indique, un minimum : aucun de ceux-ci ne permet de dépasser le seuil de pauvreté, quelle que soit la composition du ménage, même après cumul de l’allocation logement. Selon Robert Castel, l’ébranlement de la société salariale implique plus que jamais une nécessaire solidarité entre les différents membres du corps social, dont ne sont pas exempté les plus modestes. En effet, tout individu, en arrivant

                                                         87 Ibid. p. 144.

 

88 Castel R., Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, 1995, Paris, Gallimard, p. 448. 

 

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au monde, trouve une société prête à l’accueillir, dont il profite, et à laquelle il doit apporter son écot 89 : « Une société est un ensemble de services que ses membres se rendent réciproquement. Il en résulte que chacun a des dettes à l’égard de tous, d’autant plus qu’un individu, en arrivant au monde, y trouve une accumulation préalable de richesses sociales dans lesquelles il puise. Les obligations à l’égard de la collectivité ne font que traduire cette position de débiteur, qui est le fait de chacun en société. Des prélèvements obligatoires, des redistributions de biens et de services ne représentent donc pas des atteintes à la liberté des individus. Ils constituent des remboursements qui peuvent lui être demandé en droit, et ce n’est que justice. » Mais en contrepartie, une famille en situation difficile suite aux aléas de la vie (chômage, maladie, accident du travail) doit également pouvoir compter sur la solidarité nationale. Comme le proclamait déjà en 1944 l’Organisation internationale du travail dans la déclaration de Philadelphie, « la pauvreté, partout où elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous. » Les ménages modestes, dans leur composition, leur situation au regard de l’emploi, du taux de renoncement aux soins et de l’accès aux droits, ont vu leur situation se détériorer de façon importante ces dix dernières années. La pauvreté des enfants au sein de ces ménages est préoccupante. Leur pouvoir d’achat a également nettement chuté. Pourtant, la capacité à consommer est aujourd’hui ressentie par beaucoup comme une nécessité, y compris parmi les familles pauvres. Car l’argent n’est pas simplement un moyen de paiement, il est aussi vecteur d’intégration, signe d’existence sociale. 3. 1. 2 Consommer pour exister Si l’on cherche l’article « argent » dans l’Encyclopédia Universalis, on trouve cette citation de Louis Dumont, anthropologue français spécialiste de l’Inde et élève de Marcel Mauss: « La fausse familiarité entretenue avec le phénomène monétaire masque, en effet, la fonction de l’argent comme médiation des rapports humains, d’une part, principe des divisions sociales, d’autre part90. » Pour le principe des divisions sociales, nous venons de voir ce qu’il en était. Attachons-nous maintenant à l’argent comme médiation des rapports humains, en faisant un détour par l’aspect social de l’échange, à partir du don. Jean Hochmann, pédopsychiatre et membre de la Société Psychanalytique de Paris, fait référence à l’Essai sur le don, étudié dès 1923 par Marcel Mauss, dans son ouvrage Pour soigner l’enfant autiste 91: « Marcel Mauss, en insistant sur sa nature de processus social, nous enseigne que le don dans toutes les sociétés, y compris dans l’imaginaire collectif de la nôtre, n’est qu’apparemment

                                                         89 Castel R., op. cit., p. 448.

 

90 Valade, B.,  « L’argent, », Symposium Les enjeux ** , Encyclopoedia Universalis,  1993, Paris, p. 1193.  91 Hochmann J. Pour soigner l’enfant autiste, 1997, Paris, Editions Odile Jacob, p. 159. 

 

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gratuit, ou plutôt qu’il est désintéressé tout en étant obligatoire92. Il qualifie cette fausse gratuité de « mensonge social » et montre, à l’œuvre derrière ce leurre, trois obligations fondamentales : donner, rendre, recevoir. » Il précise plus loin l’importance du don dans la vie sociale : « Le don93, lui aussi, procure un plaisir auto-érotique à celui qui donne et qui, dans une certaine mesure, se fait à lui-même un cadeau. « Il n’est point de plus bel acquêt que de don », disait déjà Bonaventure des Périers. Mais, parallèlement, le don nécessite un donataire, quelqu’un qui reçoit le cadeau et trouve plaisir, non seulement à le recevoir, mais aussi à se voir désigné comme complice du plaisir pris par celui qui donne, par le donateur. En même temps, le don a un caractère de gratuité. » La générosité est une capacité à donner qu’on trouve souvent chez ceux qui n’ont pas grand-chose, mais sont prêts à le partager quand même. Combien de fois ai-je dû ruser pour repartir d’une visite dans une famille où j’exerçais une mesure sans l’assiette de couscous ou les gâteaux qui m’était proposés de grand cœur, mais qui aurait fait défaut aux enfants…Et parfois cela semblait tellement important aux yeux du donateur que j’ai pris ce qu’on me proposait. Retenons donc ici que la notion de plaisir entre en ligne de compte dans les relations d’échange entre humains, et dans leur vie quotidienne. Outre le don, l’échange se matérialise sous forme d’argent. Que disent de sa fonction les nombreux sociologues qui ont travaillé cette question ? L’auteur de l’article de l’Encyclopédia Universalis, Bernard Valade, précise à quel point l’argent a pris d’importance dans la civilisation contemporaine : « Moyen de quantification, instrument de rationalisation des échanges, l’argent s’est élevé à la signification psychologique d’une fin absolue. Sa valorisation continue, due à ses possibilités illimitées d’emploi, est inséparable d’un processus de symbolisation où le progrès est assimilé à un enrichissement quantitatif, à l’augmentation des capacités d’abstraction, ainsi qu’à la multiplication des interactions 94. » Il fait également référence à Georg Simmel, qui écrit, dans un ouvrage traduit en France en 1987 : « La civilisation95 confère à l‘argent une importance telle qu’il devient l’âme universelle du cosmos des intérêts objectifs et que, poursuivant sur cet élan, il envahit aussi les valeurs personnelles. Mais, d’autre part, elle l’éloigne de ces dernières, rend sa signification de moins en moins comparable à celle de tout ce qui est authentiquement individuel, et préfère étouffer le rôle des valeurs personnelles plutôt que de leur attribuer un équivalent aussi peu adéquat. » Le sociologue Jean Baudrillard a, pour sa part, étudié La société de consommation dans un ouvrage datant de 1970 : « Baudrillard y définit le rôle de la consommation dans les sociétés occidentales comme un élément structurant des relations sociales. Dès lors, la consommation n’est plus, pour

                                                         92 Mauss M.  « Essai sur le don », 1923.  93 Hochmann J. Pour soigner l’enfant autiste, 1997, Paris, Editions Odile Jacob, p. 159.

 

94 Encyclopédia Universalis,  Symposium Les enjeux ** Bernard Valade, l’argent, p. 1198.  95 Simmel G., Philosophie de l’argent, trad. Cornille S. et Ivernel P., 1987, P.U.F, p. 465. 

 

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chaque individu, le moyen de satisfaire ses besoins mais plutôt de se différencier. Cette personnalisation tend à remplacer les différences réelles entre les individus par essence contradictoires96. » La consommation est aujourd’hui pour l’individu un moyen de se différencier, dit Baudrillard, mais aussi de se sentir exister, de participer à la vie sociale. Les choix budgétaires de certaines des familles bénéficiant de mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial sont à cet égard éclairants. J’ai débuté un jour une mesure d’aide à la gestion du budget familial pour un couple avec quatre enfants, ayant de grosses dettes d’eau, d’électricité, de cantine, d’assurance. Ce couple qui risquait l’arrêt des fournitures, se voyait de surcroît refuser par la mairie la réinscription des enfants à la cantine tant que les dettes antérieures n’étaient pas soldées. Lorsque nous avons fait ensemble l’état des ressources et des charges, je me suis rendue compte que le père cotisait chaque mois une somme conséquente à un fond épargne d’entreprise, et avait ainsi de quoi payer deux fois la totalité des dettes. A ma question de savoir pourquoi il privilégiait une épargne au règlement de ses charges courantes, il m’a répondu : « Mon entreprise risque de fermer, je préfère avoir de l’argent de côté. » Gageons que l’argent épargné avait probablement pour fonction de préserver un accès potentiel à la consommation : le ménage avait déjà de nombreux crédits, pour l’accession à la propriété de sa maison, pour une voiture, pour un téléviseur grand écran, etc. Les crédits étaient payés par prélèvements automatiques en début de mois. Quant aux factures correspondant à la fourniture d’énergie, de cantine et d’assurance, elles étaient honorées, s’il restait de quoi, en fin de mois. Précisons cependant que cette famille n’est pas représentative de l’ensemble de celles suivies en aide à la gestion du budget familial, dont le principal problème est le plus souvent d’avoir des ressources insuffisantes, plutôt que de faire des choix budgétaires discutables. Michel Gardaz, maître de conférence en psychologie clinique à l’Université d’ Angers, explique dans son article97 « La dépense excessive et son envers inconscient » que l’argent n’est pas « un objet comme les autres. Il est le support de désirs, de préceptes moraux et aussi source de tracas, de malaises. Les figures du joueur, de l’avare, du prodigue en témoignent. » Il étudie donc la dépense comme pulsion irrépressible, à partir de l’éclairage de la psychanalyse, en soulignant que la dépense d’argent peut momentanément apaiser un malaise, à défaut de guérir l’angoisse. Il raconte comment Sigmund Freud, à partir de l’étude de la nouvelle de Stephan Zweig Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, qu’il qualifiait de « chef d’œuvre », met en évidence « une problématique narcissique chez le sujet qui est sous l’emprise de la pulsion à dépenser sans compter. » D’autre part, il souligne également qu’ « avec l’avènement du crédit et de la société de consommation, les possibilités de dépenses excessives, autrefois réservées aux grands de ce monde et aux fils de bonne famille, se sont démocratisées (…) Ce qui est nouveau (…), c’est (…) qu’à l’emprise des pulsions et des passions du sujet particulier peuvent s’ajouter d’autres emprises, d’autres aliénations. » Michel Gardaz fait ici référence au fait

                                                         96 Wikipédia,  article « société de consommation. » 97 Gardaz

 

 

M., « La dépense excessive et son envers inconscient » Informations sociales, n° 64, 1997. 

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que la société d’aujourd’hui encourage et valorise l’endettement. Ces différents éclairages de spécialiste confirment ce que chacun peut constater pour peu qu’il analyse sa propre relation à l’argent ou celle de son entourage proche : il ne s’agit pas là d’un objet neutre. Il n’est pas indifférent par ailleurs de constater que la consommation des ménages est le principal facteur de la croissance française : un ménage doit donc travailler, produire, et consommer. Le revenu est un puissant moyen d’intégration, car il permet d’accéder à la norme de consommation d’une société. Avoir un téléviseur, une voiture, un téléphone mobile, c’est faire partie du corps social. Le monsieur, évoqué plus haut, qui épargnait alors qu’il avait par ailleurs des dettes, gagnait en l’occurrence un salaire, mais l’on voit aussi de nombreux ménages ayant pour seul revenu les minima sociaux contracter des crédits. Le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2005-2006 a étudié la capacité réelle à consommer pour les ménages pauvres. Il indique que les inégalités des dépenses de consommation reflètent les contraintes budgétaires auxquels ceux-ci sont soumis : « Dans une économie de marché, les difficultés dans l’accès à la consommation sont les éléments les plus visibles de la pauvreté. La mesure de ces difficultés permet d’approcher la pauvreté vécue comme un sentiment de privation; elle est aussi parmi les plus difficiles (…) L’évolution des prix du logement et de l’alimentation grève le budget des ménages pauvres. Ces travaux posent la question des possibilités de choix de consommation qu’ont les personnes après prise en compte des dépenses incompressibles, comme le logement 98 ». Le droit au crédit est un des sujets étudié par le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion 2007-2008 99: « Le crédit étant un produit risqué tant pour l’emprunteur que pour le prêteur, il n’est évidemment pas envisageable de définir un « droit au crédit » qui consisterait en un accès universel et inconditionnel. » Le problème principal, soulignent les auteurs, « est qu’il est aujourd’hui quasiment impossible d’obtenir un prêt personnel de 500 euros. En deçà de 1500 euros, seuls les découverts bancaires et les crédits revolving sont accessibles. Or les découverts bancaires sont moins accessibles aux personnes fragiles. En matière de crédit revolving la principale difficulté tient au fait que, une fois le besoin initial financé, il reste de l’argent disponible. En effet, si le besoin à financer est de 500 euros, le montant total disponible sera lui de 1 000 et plus probablement de 1 500 euros. Compte tenu des contraintes budgétaires auxquelles font face ces personnes, il est particulièrement difficile, même en ayant conscience des risques, de ne pas y recourir. » D’autant que les organismes de crédit ne prennent la peine, ni de s’assurer que l’emprunteur potentiel a bien des ressources suffisantes, ni de vérifier qu’il n’est pas déjà inscrit au fichier des incidents de paiement de la Banque de France. Ils ne se priveront pas, par la suite, de mandater services de recouvrement et huissiers

                                                         98 Rapport de l’Observatoire national de la pauvreté, 2005‐2006, p. 90 et 93.  99 Rapport de l’Observatoire national de la pauvreté, 2007‐2008, p. 185. 

 

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pour recouvrer leurs créances. Parce qu’ils sont dans une situation de précarité de leurs revenus, parce qu’ils doivent doit toujours prouver qu’ils méritent ce que la société leur octroie, les plus pauvres sont en difficulté pour consommer comme les autres, alors que c’est la seule voie d’intégration qui reste, en s’insérant dans l’interdépendance des membres d’une société. Le Monde faisait récemment 100 état de l’augmentation du nombre de dossiers de surendettement déposés à la banque de France de juillet 2007 à juin 2008 : 205 297 dossiers ont été enregistrés, soit une augmentation de 12,6% sur un an. Le rapport 2007-2008 précise le profil des personnes concernées : « les employés et ouvriers représentent 55% de la population des surendettés, et les chômeurs et inactifs 34%. Ces deux catégories composent donc à elles seules 89% des surendettés101 ». L’UNAF (Union nationale des associations familiales) rappelait pour sa part dans un article du 9 novembre 2008, paru sur son site Internet, que la majorité des dossiers de surendettement concernaient le surendettement dit « passif », provoqué par la faiblesse des revenus : « Appauvris par le chômage, la maladie ou le divorce, de nombreux débiteurs ne parviennent plus alors, ou avec difficulté à payer les charges courantes que représentent le loyer, l’électricité, voire même l’alimentation, et sont dans l’incapacité de régler leurs dettes. » Les délégués aux prestations familiales constatent parfois, en débutant les mesures d’aide à la gestion du budget familial, que certaines familles ont abandonné le règlement du loyer. Sachant qu’elles bénéficieront d’un délai avant que les procédures d’expulsion ne se mettent en route, elles espèrent un retour à meilleure fortune pour rattraper ensuite le retard. C’est parfois le contraire qui se produit. En effet, le Conseil social des HLM (habitation à loyer modéré) du 30 juin 2009, auquel a participé l’UNAF fait le récent constat d’une augmentation importante de la proportion des dépenses de logement des locataires dans le parc social : elle représenterait entre 35% et 40% des ressources et résulterait de l’augmentation incontrôlée du prix des charges et en particulier de l’énergie, mais aussi de l’augmentation des loyers. Constatons que c’est une proportion des dépenses supérieure à celle de ceux qui empruntent pour être, eux, propriétaires de leur logement vingt ans plus tard. L’UNAF constate102 également que « le nombre de logement sociaux est en progression de 22 900 en un an (+0,5%) soit deux fois moins que l’année précédente », et se demande comment répondre aux enjeux du DALO en 2012, quand le recours sera ouvert à tous les ménages en attente de logement. Rappelons que le droit au logement est devenu une « obligation de résultat juridiquement opposable » devant les tribunaux, depuis la loi 2007-290 du 5 mars 2007, conçue en deux étapes : dans un premier temps, depuis le 1er janvier 2008, à destination des personnes dans les situations les plus difficiles : citoyen sans domicile fixe, travailleurs pauvres, parents isolés avec enfants. A compter du 1er janvier 2012, toute personne éligible aux logements sociaux

                                                         100  Le Monde, mardi 11 août 2009, p. 11.  101 Op. cit. p. 185.

 

102 Communiqué de presse du 6 juillet 2009. 

 

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pourra y recourir. « En 2007, 50 500 logements ont été mis en service, soit 4,8% de moins qu’en 2006 ; près de 85% d’entre eux sont neufs. Dans le même temps, 14 400 logements ont été démolis et 10 500 vendus. 54 900 logements du parc social étaient vides au 1er janvier 2008. Les logements vacants représentent 2,3% du parc. » Ces chiffres sont difficiles à comprendre quand on sait le parcours du combattant que doivent souvent mener les familles pour obtenir un logement social; et que l’on voit des familles françaises, au XXIème siècle, vivre encore dans des taudis. Le droit au crédit et la capacité à consommer des ménages modestes sont donc obérés par leurs charges fixes, logement et liquides particulièrement. Les ménages bénéficiaires de mesures d’aide à la gestion du budget familial sont-ils mieux lotis ? Penchons-nous sur la question. 3. 2 Le double visage de la mesure d’AGBF, protection et contrôle 3. 2. 1 Les familles « réelles » : les bénéficiaires des mesures d’aide à la gestion du budget familial. Qui sont donc ces familles bénéficiaires des mesures ? Celles pour lesquelles on voit aujourd’hui ressurgir, dit Robert Castel, la vieille obsession populaire d’avoir à vivre "au jour la journée ", sans savoir de quoi demain sera fait. C’est une angoisse que connaissent bien ceux qui en viennent à demander l’aide de cette mesure auprès des services sociaux de secteur ou directement au juge des enfants. Robert Castel souligne à quel point est difficile le sort « des valides invalidés par la conjoncture. » Les bénéficiaires de mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial en font partie : pères de famille au chômage dont les droits à l’allocation chômage sont arrivés à leur terme, anciens artisans des métiers dits manuels victimes d’accident du travail ou en invalidité à cause de l’usure professionnelle, caissières à temps partiel et à horaires « dégroupés », etc. Et la récente suppression de la dispense de recherche d’emploi à partir de cinquante-sept ans risque fort de jeter de nouveaux ménages dans la précarité. Comment trouver un employeur qui veuille de vous à cinquante-sept ans ? Mais à cinquante-sept ans, on n’a pas toujours fini d’élever ses enfants. C’est alors toute une cellule familiale qui subit les contrecoups de cette nouvelle règle du jeu. Et qui court le risque de la pauvreté et de l’exclusion. Robert Castel aborde la question de l’exclusion en ces termes103 : « Si la question du paupérisme est devenue la question sociale du XIXe siècle qui a dû être prise frontalement en compte, c’est qu’elle était la question de la société toute entière, qui risquait la « gangrène » et la déstabilisation, par un effet boomerang de sa périphérie sur son cœur. Il en va de même aujourd’hui avec l’ « exclusion », et c’est pourquoi il faut manier ce terme avec infiniment de précautions. J’y reviens une dernière fois : l’exclusion n’est pas une absence de rapport social mais un ensemble de rapports sociaux particuliers à la société prise comme un tout. Il n’y a personne en dehors de la société, mais un

                                                         103 Castel R. Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, 1995, Paris, Gallimard, p. 716 et 717. 

 

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ensemble de positions dont les relations avec son centre sont plus ou moins distendues : d’anciens travailleurs devenus chômeurs de longue durée, des jeunes qui ne trouvent pas d’emploi, des populations mal scolarisées, mal logées, mal soignées, mal considérées, etc. (…) C’est pourquoi dire que la question posée par l’invalidation de certains individus et de certains groupes concerne tout le monde n’est pas seulement faire appel à une vague solidarité morale, mais constater l’interdépendance des positions travaillées par une même dynamique, celle de l’ébranlement de la société salariale. » Les ressources des ménages bénéficiaires de mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial ont trois origines :le travail, tout d’abord, le plus souvent à temps partiel subit, ce qui est le cas des familles monoparentales dont la personne de référence est une femme peu ou pas qualifiée, et pour un montant mensuel par conséquent très inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) ;les minima sociaux (allocation spécifique de solidarité, revenu de solidarité active, allocation adulte handicapé) ou les indemnités de chômage ensuite ;les allocations familiales enfin, dans lesquelles nous inclurons l’allocation parent isolé, qui fait désormais partie du RSA (revenu de solidarité active), que les familles monoparentales perçoivent pour un temps – un an après une séparation ou jusqu’aux trois ans du dernier né –. D’autres facteurs viennent aggraver les problèmes financiers, qui concernent plus spécifiquement la population bénéficiaire des mesures, nous disent les deux responsables de la CAF déjà cités104. Ce sont le fait qu’un seul des deux parents travaille, et celui qu’un parent élève seul ses enfants : « Le concept de taux d’effort pour élever ses enfants constitue une autre approche possible du phénomène. Il s’agit du coût des enfants rapporté au revenu disponible (revenu primaire moins impôt sur le revenu). Les calculs montrent que le taux d’effort pour élever ses enfants croît fortement avec la taille de la famille, puisque pour une famille percevant un revenu équivalent à deux SMIC, il est de 26% si cette famille n’a qu’un enfant, de 48% si elle a deux enfants mais de 77% si elle a trois enfants (la perception des prestations familiales atténue fortement ces écarts mais ne les gomme pas) ; ° La mono activité, caractéristique souvent présente au sein de la population bénéficiaire de mesures de TPSE, constitue également un facteur de précarisation. On estime, par exemple, que la pauvreté touche 8% des couples avec trois enfants lorsque les deux conjoints sont actifs mais 17% d’entre eux lorsqu’un seul exerce une activité professionnelle ; ° L’isolement a très souvent pour conséquence une situation financière difficile. Le taux de pauvreté – estimé à environ 7% pour l’ensemble des ménages – est de 14% pour les familles monoparentales. Leur revenu moyen représente 65% de celui de l’ensemble des ménages et leur niveau de vie avant transfert 51% du niveau de vie moyen lorsqu’elles ont plus d’un enfant à charge (chiffres 1997, échelle de consommation INSEE). »

                                                         104 Maigueneau E. et  Marinacce F. «  La TPSE : la problématique des CAF face à la pauvreté des familles, » p. 89 et 90. 

 

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Le tableau des ménages bénéficiaires des mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial se dessinent ainsi sous nos yeux : des ressources insuffisantes, qu’elles proviennent du salaire ou des minima sociaux, des enfants parfois trop nombreux pour les ressources disponibles, des parents souvent isolés. Pour illustrer la composition des familles, prenons l’exemple des bénéficiaires de mesure isérois. En Isère, au 1er janvier 2007, 93 ménages, soit 283 enfants ont bénéficié d’une mesure d’aide à la gestion du budget familial dans le nord Isère, et 102 ménages dont 311 enfants dans le sud Isère. En 2008, 88 ménages avec 267 enfants dans le nord et 103 ménages et 303 enfants dans le sud105 .Cela représente donc une moyenne générale de trois enfants par famille. On voit de plus en plus rarement des familles de sept ou huit enfants, sans pouvoir déterminer si la raison en est une modification du désir d’enfant ou si cela est lié aux difficultés économiques que rencontrent les familles nombreuses. Cependant, dans mes deux territoires d’exercice depuis dix ans (Grenoble et sa proche périphérie ; les communes rurales du sud Grésivaudan), plusieurs d’entre elles comptent encore six, cinq ou quatre enfants. Sur dix-sept familles suivies en 2008, six ne comprennent qu’un ou deux enfants, les dix autres en ayant trois ou plus106. Ces dix-sept ménages sont des familles monoparentales pour quatorze d’entre eux, seuls trois sont composés de couples. Cet exemple n’est bien entendu qu’illustratif, compte tenu du petit nombre de familles étudié. Dans l’enquête faite par l’Udaf des Pyrénées Atlantiques en juin 2003, à l’époque où la mesure était encore TPSE (tutelle aux prestations sociales enfant) la population cible est composée d’une base de cent quatre familles : « 59 % des familles sont sous la responsabilité d’un couple, 36 % sous la responsabilité d’une femme seule et 2,5% d’un homme seul (deux cas). Le nombre de familles monoparentales est élevé si l’on compare leur proportion avec celle observée sur la population des familles ayant des enfants âgés de 18 ans ou moins (15 % pour 85 % de couples : INSEE Recensement de la Population 1999). La plupart des familles qui bénéficient d’une TPSE sont des familles nombreuses : 70 % ont trois enfants ou plus. Toutefois, parmi les enfants qui ont plus de 18 ans, tous ne vivent pas au domicile et ne constituent donc pas une charge financière pour la famille. Il paraît donc préférable pour décrire le profil des familles de ne tenir compte que des enfants ouvrant droit à des prestations familiales : - le nombre moyen d’enfants ouvrant droit aux prestations est de 2,9 par famille. - 57 % des familles ont au moins 3 enfants ouvrant droit à des prestations. Il s’agit plutôt de couples (69 % ont 3 enfants ou plus), les femmes seules n’étant

                                                         105 Statistiques internes ADSEA (Association de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence) 38.

 

106 Statistique interne réalisée par C. Tupin, éducatrice spécialisée en formation dans l’équipe AGBF en 

2008‐2009. 

 

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que 41 % à avoir 3 enfants ou plus (10 % ont un enfant et 48 % ont deux enfants). » Le nombre de familles nombreuses et de familles monoparentales semble donc plus élevé que la moyenne parmi les bénéficiaires de mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial. Les difficultés durables ou chroniques sont le lot quotidien des plus démunis de notre collectivité nationale, et la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial peut les aider à y faire face. C’est une mesure qui protège et contrôle à la fois. 3. 2. 2 La protection et le contrôle La partie « Droit et pauvreté » du rapport de l’Observatoire national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale 2007-2008 se termine ainsi : « De cette première analyse des relations entre le droit et la pauvreté, il ressort que la pauvreté s’analyse désormais comme une violation des droits fondamentaux ; les mesures législatives mises en œuvre pour le traitement de la pauvreté sont donc justifiées par la volonté de permettre aux personnes pauvres d’accéder à leurs droits au même titre que l’ensemble des citoyens. Le ciblage de mesures spécifiques à l’endroit des personnes les plus précarisées peut avoir des effets néfastes en créant un système dual d’accès aux droits qui peut s’avérer stigmatisant. Ces effets de stigmatisation peuvent mener à des phénomènes de non-recours aux prestations sociales chez les personnes pauvres et donc aboutir à un effet inverse de celui qui était recherché. Au-delà de l’affirmation des droits, leurs modalités de mise en œuvre sont donc au moins aussi importantes que leur proclamation. Enfin, l’accompagnement, tant social que juridique, est indispensable pour que les personnes les moins bien insérées puissent accéder à la plénitude de leurs droits. » Cet accompagnement social et juridique est justement proposé dans le cadre de la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial. Un diagnostic de la situation familiale est établi dans les premières semaines de la mesure. Le délégué vérifie que les membres de la famille bénéficient bien de tous leurs droits sociaux. Si ce n’est pas le cas, il guide le ménage dans les démarches à accomplir. L’aide d’un conseil juridique rencontré régulièrement par le délégué permet de faire face aux situations de déni des droits avec les créanciers, les huissiers et parfois même les bailleurs sociaux. Car certains parents sont affolés par la pression des huissiers, jusqu’à en perdre le sommeil. L’ordonnance du juge des enfants est un point d’appui pour faire autorité auprès des différents interlocuteurs de la famille. Enfin, l’argent des prestations, versé au service sur un compte au nom du ménage, permet, avec son accord le plus souvent, de faire des propositions de règlement auprès des différents créanciers. C’est ainsi par exemple que le délégué, après avoir mis fin par lettre recommandée, à la date anniversaire de signature du contrat, à un crédit revolving, fait une proposition de règlement de 8 euros par mois, par exemple. Si l’organisme de recouvrement refuse, il n’aura aucun versement, car le débiteur n’est en général pas solvable. Mais il est indispensable avant tout de vérifier les conditions dans lesquelles ce crédit à été contracté : il ne faut pas priver les

 

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enfants de l’indispensable pour rembourser une dette, mais le fait d’être insolvable ne doit pas être perçu par les parents comme un encouragement à pratiquer régulièrement la « cavalerie107 ». Et un bien acquis doit être payé. Nous avons déjà insisté sur le caractère éducatif de la mesure, qui nécessite, outre une solide formation, de la rigueur de la part du délégué. Nous y reviendrons. Mais il ne s’agit pas toujours, loin de là, de crédits revolving. Un couple du sud Grésivaudan, parent de trois enfants, s'est, par exemple retrouvé privé du jour au lendemain des deux salaires qui lui avait permis de contracter un prêt d'accession à la propriété pour son logement. Suite à un jugement du tribunal d’instance et menacée d'expulsion, le ménage a sollicité une mesure de protection des prestations familiales auprès du juge des enfants. Celle-ci a permis, entre autres, de proposer au créancier un échéancier sur plusieurs années, avec une sécurité de règlement, puisque les versements étaient faits par le service à partir des prestations familiales. Quelques années plus tard, le prêt était soldé et le ménage enfin propriétaire de son logement. La mesure a donc été levée par le juge des enfants. La mesure d’aide à la gestion du budget familial peut être également, et là n’est pas son moindre intérêt, une mesure de soutien à la parentalité, durant les périodes de fragilité que traversent certains parents (deuil, séparation, chômage), et parfois particulièrement dans les ménages qui comprennent un ou des adolescents. Madame X. est mère de quatre enfants, dont deux adolescentes de 16 et 18 ans. Lors de ma visite mensuelle, elle m’informe que ses filles réclament le versement de « leur » allocation de rentrée scolaire sur leur livret d’épargne. Je rappelle que le sens de l’allocation de rentrée scolaire n’est pas de servir uniquement aux fournitures scolaires, mais aussi de permettre à la famille d’assumer ses enfants pendant leur scolarité. Elle en est bien consciente, mais me demande de le dire à ses filles. Celles-ci, que j’ai déjà rencontrées, savent que les prestations familiales sont sous tutelle. Elles arrivent donc toutes les deux dans le salon, et les négociations commencent. Elles m’expliquent qu’elles ont besoin de fournitures scolaires, certes, mais aussi de produits de beauté, de vêtements, et qu’elles veulent s’en occuper elles-mêmes. C’est pourquoi elles trouveraient normal que je verse la totalité de l’allocation sur leur compte. Je leur rappelle le sens de cette allocation, et qu’il y a aussi des factures à payer. Cependant, il est compréhensible qu’elles aient envie de faire leur rentrée avec tout ce dont elles ont besoin, comme les autres adolescentes. Nous arrivons donc au compromis suivant : je verserai sur leur compte une partie de l’allocation de rentrée scolaire, qu’elles utiliseront à leur guise. Le reste ira alimenter le budget familial global. La répartition décidée est d’un tiers de la somme versée sur leur compte et le reste pour le budget familial. Cette décision semble satisfaire tout le monde. Madame X. sait qu’elle peut s’appuyer sur le délégué pour soutenir des positions fermes face aux demandes des enfants. Ses deux filles ont été entendues dans leur demande de consommation. Et les factures seront payées.

                                                         107 Pratique qui consiste à racheter un crédit en en prenant un nouveau. 

 

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Mais l’on voit aussi de jeunes mères de familles manquant de repères éducatifs et littéralement tyrannisées par leurs bambins. Les pères, quand ils sont présents, sont d’ailleurs tout aussi démunis. Les petits font parfois des scènes si spectaculaires pour rester à la maison avec leur maman que les parents n’osent plus les emmener à l’école, par peur de la réprobation des autres parents et de la maîtresse. Il faut alors rappeler que l’école est indispensable aux enfants. Et avec le soutien du délégué, la mère de famille arrive à passer outre sa culpabilité de voir son enfant en larmes quand elle s’en va pour le laisser en classe. Les familles bénéficiaires des mesures en perçoivent en général très vite l’aspect protecteur ; et le soutien apporté par le délégué aux prestations familial, qu’il soit moral ou plus pragmatique, est également très apprécié. Mais la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial a aussi été, à son origine, une "mesure de police administrative", comme le rappelle Michel Chauvière. Il souligne que le décret-loi dit Code de la famille et de la natalité françaises du 29 juillet 1939, œuvre du Haut comité de la population, « est avant tout nataliste et interventionniste (…) En réalité, comme le montrent les chapitres suivants du code de 1939, et notamment celui consacré à la « Protection de la race », ces textes sont inséparables de la lutte contre quelques fléaux sociaux bien identifiés, au premier chef desquels l’alcoolisme, mais aussi la pornographie ou l’avortement. De cette époque date la formule stigmatisante bien connue visant « les parents qui boivent l’argent des allocs. 108 » Puis elle est devenue une mesure judiciaire, gardant cependant ce versant de contrôle social des familles du « bas de l’échelle ». C’est bien là qu’est le double visage de la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial : elle permet de vérifier que l’argent des prestations familiales est utilisé « correctement », c’est-à-dire en bon père de famille, donc dans l’intérêt de l’enfant. En ce sens, elle consiste à rappeler aux familles bénéficiaires que les prestations familiales sont servies, parce qu’ils ont des enfants, afin de les aider dans le règlement de leurs charges courantes : loyer résiduel, assurance habitation, fournitures de liquides – eau, électricité – cantines scolaires, activités sportives ou culturelles. La mesure judicaire d’aide à la gestion du budget familial est une mesure de surveillance, nécessaire à l’existence des minima sociaux quels qu’ils soient, car elle maintient la légitimité des prélèvements obligatoires nécessaires au financement de l’aide sociale aux yeux de ceux qui payent des impôts, et de sauvegarde ainsi la solidarité, au sens de l’interdépendance (« in solido »). Mais elle aide également des parents en manque de repère à retrouver le sens de l’essentiel, en leur remettant à l’esprit « l’ordre des choses », c’est-à-dire la vision claire de ce qu’est l’intérêt de l’enfant : d’abord les besoins prioritaires, et, ensuite, s’il reste de l’argent, des baskets de marque pour se sentir à égalité avec les copains. C’est pourquoi elle est une mesure « double face », contrôle et soutien, de populations fragilisées, par l’ébranlement de la société salariale et par

                                                         108

Chauvière M., " Une violence discrète : le mauvais usage des prestations familiales ", Vaucresson, Le temps de l’Histoire, n°2, mai 1999, p. 150 et 151. 

 

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l’affaiblissement des solidarités. La solidarité nationale envers les plus démunis est une nécessité vitale pour l’ensemble du corps social, la MJAGBF (mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial) pourrait donc être mieux utilisée comme outil de lutte contre la paupérisation : elle évite l’effondrement de familles sur le fil du rasoir, elle permet aux parents déstabilisés de reprendre en main le contrôle de leurs budgets, et souvent aussi de retrouver leur estime d’eux-mêmes et leur dignité. Elle est par ailleurs peu coûteuse compte tenu des détresses qu’elle permet le plus souvent de soulager. Elle peut accessoirement soutenir la consommation des plus pauvres, leur permettant ainsi de participer à la vie économique du pays. Mais elle a toujours été sous-utilisée au regard du nombre de ménages qu’elle pourrait aider, et l’espoir que cela change avec son entrée officielle dans le Code civil semble s’éloigner, puisque les mesures judiciaires sont en baisse, en Isère tout au moins, depuis l’application effective de la loi. Dans cette loi de mars 2007, la mesure de tutelle aux prestations sociales enfant a été donc rebaptisée mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial. Un débat sur la dénomination la plus appropriée avait eu lieu, il y a quelques années déjà, lors d’un colloque du CNDPF (Carrefour national des délégués aux prestations familiales). Il avait été animé, car les avis étaient partagés sur l’opportunité de changer le nom d’une mesure déjà si mal repérée. Par surcroît, si le terme de tutelle prêtait parfois à confusion pour les néophytes, le sens symbolique en était perceptible immédiatement, et l’enfant, destinataire final de la mesure, était nommé. La nouvelle appellation choisie n’est pas très convaincante. D’une part car la famille n’a pas de réel statut juridique, ce que souligne Michel Chauvière109 : « (La famille) est depuis deux siècles dans le silence du Code (…) Le Code organise en effet le mariage, les droits et les devoirs qu’il entraine, mais ne dit mot du statut du groupe ainsi constitué. La famille n’est pas une personne morale au sens juridique. » Le terme de budget « familial » est assez vague. D’autre par car le délégué aux prestations familiales, qui remplace le délégué à la tutelle, n’a un droit de regard, de par l’ordonnance judiciaire, que sur les prestations servies pour les enfants. Il peut conseiller la famille sur la totalité du budget, si elle le souhaite. Et si elle ne le souhaite pas, il s’en tient à sa mission principale, qui est de veiller à ce que les prestations versées pour les enfants soient bien utilisées dans leur intérêt. La formule « aide à la gestion du budget familial » est donc, au sens propre, inadéquate. L’autre changement de la loi de 2007 est d’instituer une mesure administrative. Nous l’avons déjà évoquée à la fin de la seconde partie, sous l’angle des principes de mise en œuvre. Nous allons à présent étudier son entrée en application de façon concrète. Mais nous ferons au préalable un préambule sur la notion de service social d’intérêt général (SSIG). 3. 3 La mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale, quel soutien pour les ménages pauvres ?

                                                         109 Chauvière M., « Evolutions de la question de la famille », janvier 2008, Grenoble, intervention au master MP2S.  

 

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3. 3. 1 Les services sociaux d’intérêt général, une avancée européenne, si on l’utilise. Qu’est-ce qu’un service social d’intérêt général, et quel intérêt présente-t-il pour le citoyen? Souvenons-nous des débats suscités, lors du référendum sur le traité de Lisbonne en 2004, par la proposition de directive européenne (dite directive Bolkenstein) sur les services dans le marché intérieur de l’Union. Un appel avait alors été lancé en direction des parlementaires européens afin d’exclure les services sociaux de la future directive. Cette exclusion des services sociaux, acquise depuis par le Parlement européen et confirmée par le Conseil européen, doit maintenant être transposée en droit national par chacun des Etatsmembres, dont la France. Comme l’écrit Jean-Louis Destans, président de la délégation française au comité des régions et président du conseil général de l’Eure, « la question des SSIG – en ce qu’elle pose la question de la concurrence et de l’universel, du marché et de la protection des plus vulnérables – est essentielle. Elle est une chance pour l’Union européenne110. » Le Collectif SSIG s’est constitué dans la continuité de l’appel lancé en direction des parlementaires européens, afin de veiller à la bonne transposition du principe d’exclusion des services sociaux. Il regroupe une vingtaine de fédérations et d’organisations représentatives des services sociaux et de santé, relevant potentiellement de services d’intérêt général selon la Commission européenne (régimes complémentaires de protection sociale, formation professionnelle continue, action sanitaire et sociale, soins de santé, hôpitaux, médico-social, insertion, éducation, emploi, logement, hébergement). L’UNIOPSS, en fait, entre autres, partie. Ce collectif milite pour que « conformément aux dispositions du Traité, l’Union européenne et ses États membres veillent à ce que ces services essentiels pour les citoyens fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leurs missions d’intérêt général111 . » En effet, comme le précise un des membres 112 du collectif, « ouvrir le débat sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG), c’est se poser la question centrale du rapport entre le marché et la cohésion sociale. Les services à la personne, le secteur social et médico-social, les services d’aides et d’accompagnement des publics les plus difficiles ou encore le secteur de l’insertion par l’activité économique ou du logement social sont des services essentiels aux yeux de nos concitoyens européens et nous ne pouvons les soumettre – parce que telle est notre culture et notre conviction – aux seules lois du marché intérieur. (…) Les normes de concurrence, d’aides publiques et de marché intérieur doivent être compatibles avec les obligations de service public, et non l’inverse. » Mais l’activation de la force protectrice des services sociaux incombe aux autorités publiques compétentes au niveau local (régional, départemental, municipal). Le collectif SSIG a donc écrit un guide pratique à l’usage des collectivités territoriales, publié en novembre 2008 dans le Courrier des maires et

                                                         110 Le courrier des maires et des élus locaux, guide pratique « Les services sociaux d’intérêt général (SSIG),  novembre 2008, p. 5.  111 Ibid., p. 8.  112 Op. cit., p. 5. 

 

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des élus locaux. Les couleurs et choix politiques des élus locaux prennent en effet une importance capitale : « Pour faire simple, l’Europe ne peut protéger les services sociaux des seules forces du marché que si les autorités publiques compétentes font usage des instruments mis à leur disposition par le Traité et le droit dérivé. En l’absence de mobilisation de ce principe de sanctuarisation par les autorités publiques compétentes, les services sociaux et leurs prestataires restent soumis aux règles communes de concurrence et du marché intérieur, au même titre que l’ensemble des opérateurs présents sur le marché 113. » Rapprochons-nous à présent de nos régions pour étudier leurs positionnements face à cette question des SSIG. Dans le Rhône, les mesures d’AESF (accompagnement en économie sociale et familiale) sont exercées par les personnels propres du conseil général. L’UDAF du Cantal et de l’Aude, fortes de leur expérience en tutelle aux prestations sociales enfant et en mesures de protections pour les adultes, ont proposé une convention au président du conseil général, sur la base de leurs projets pédagogiques. Celles-ci ont été acceptées. L’exécutif du département de l’Isère a choisi l’appel d’offre. Voyons-en plus désormais précisément les modalités. La prestation relative à l’exercice de la mesure d’AESF est de six mois minimum et d’un an maximum. Elle est décrite dans le cahier des clauses techniques particulières : « Public : ménage avec au moins un enfant à naître ou à charge de moins de dixhuit ans rencontrant des difficultés dans la gestion du budget familial. Objectifs : Aider les parents par la délivrance d’informations, de conseils pratiques et par un appui technique dans la gestion de leur budget au quotidien. Enrayer un dysfonctionnement dans la gestion des ressources familiales. L’intervention vise à comprendre, avec la famille la nature des difficultés rencontrées au niveau budgétaire ; élaborer ensemble des priorités budgétaires et organiser la gestion du budget ; anticiper des dépenses imprévues lorsque la nature des revenus de la famille le permet ou intégrer la diminution des ressources suite à un changement de situation. Le cahier des charges est, on le voit, très précis. Sa formulation est d’emblée sujette à caution, car elle suppose un « dysfonctionnement dans la gestion des ressources familiales ». Or les deux parties précédentes nous ont permis de mettre en évidence que des ressources insuffisantes sont la principale difficulté des familles. Anticiper des dépenses imprévues est également une formule curieuse : quand on se débrouille jour après jour pour avoir de quoi nourrir les enfants, qu’on court après les bons alimentaires en nature pour aller jusqu’à la fin du mois, comment anticiper quoi que ce soit ? Un autre problème de ces familles est le fait qu’elles dépendent pour leurs ressources mensuelles d’organismes divers (CAF, Pôle emploi) qui ont parfois du

                                                         113 Ibid., p. 9.

 

 

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mal à gérer tous les dossiers dans des délais raisonnables : les CAF ont fréquemment du retard dans le traitement des courriers à l’arrivée. Si votre courrier n’est pas réceptionné et étudié, vos droits ne sont pas calculés, et vous n’avez en conséquence aucun versement. Ou bien votre changement de situation n’est pas pris en compte tout de suite, et un courrier de créance vous est ensuite envoyé pour remboursement immédiat du trop-perçu. Il faut solliciter par courrier, lui-même traité avec retard, un étalement des remboursements. Quant aux personnels des Pôle emploi, qui regroupent depuis le 1er janvier les agences ANPE (Agence nationale pour l’emploi) et les agences ASSEDIC (Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce), ils sont également tellement débordés qu’ils en font parfois part aux usagers en leur présentant des excuses, conscients des répercussions importantes de leurs retards de traitement. De nombreuses familles se retrouvent ainsi, pour une durée indéterminée, sur laquelle ils n’ont aucun moyen d’action, sans les ressources auxquelles elles ont théoriquement droit, sans aucune possibilité de recours, ni négociations auprès de leurs établissements bancaires : les prélèvements éventuels sont rejetés, les frais s’accumulent et les agios également, si aucun découvert n’était autorisé par la banque. Les ménages se tournent alors vers le conseil général pour bénéficier des aides de droit commun prévues par la loi, mais les fonds publics départementaux ne sont pas illimités. Dans l’exercice de la mesure d’AESF (accompagnement en économie sociale et familiale), la situation particulière du ménage va nécessiter, comme pour la mesure judiciaire (d’aide à la gestion du budget familial) une première période de diagnostic : « comprendre la nature des difficultés rencontrées au niveau budgétaire » implique d’analyser au préalable le fonctionnement familial. Ce travail de compréhension ne peut se faire, par un travail d’écoute dans la durée, que si un climat de confiance réciproque s’est installé entre la famille et le travailleur social. Nous avons vu que ce qui touchait à l’argent était loin d’être anodin, pour chacun d’entre nous, et pas seulement pour les familles en difficultés sociales. D’autre part, le délégué voit la famille au domicile, pénétrant ainsi son espace privé, ce qui est également assez délicat. Même si la mesure administrative a été sollicité, le délégué doit arriver « sur la pointe des pieds », tout en asseyant assez vite une certaine autorité. Le dosage est subtil, mais c’est bien aussi l’établissement de cette relation qui permettra, ou non, le travail indispensable pour aider la famille à se sortir d’une situation invivable pour elle. L’AESF ne permet pas de gérer les prestations familiales. Le travailleur social en charge de cette mesure ne peut donc pas faire des propositions de règlement comme il le fait, sous réserve des prestations familiales bien entendu, dans le cadre d’une mesure judiciaire. Le ménage peut, pour sa part, faire ces propositions. Il a souvent d’ailleurs déjà essayé. Le problème est qu’il est beaucoup moins crédible qu’un service chargé de mission par la justice, surtout quand il propose des petites mensualités, les seules supportables pour son budget. Là se trouve à notre sens l’écueil principal de la mesure administrative, qui met sérieusement à mal son efficacité potentielle. L’autre point dommageable pour les parents, et leurs enfants, tient à la durée de la mesure. Un des atouts de la mesure judiciaire d’AGBF est le temps, que les magistrats de la jeunesse, inscrits comme les travailleurs sociaux dans la durée

 

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des histoires familiales, laissent au délégué pour mener à bien sa mission éducative. C’est aussi par l’exemple et le partage que celui-ci travaille, et toute la famille en profite, enfants compris. C’est à force de rencontres renouvelées, de factures imprévues, de moments difficiles, de solutions trouvés ensemble, encore et encore, que les parents se sentiront enfin capables, dans la grande majorité des cas, de faire tout seuls ce qu’ils faisaient en compagnie du délégué. Et l’on voit un beau jour une mère de famille qui, au début de la mesure, jetait tous ses papiers, y compris ceux des tribunaux, montrer fièrement un gros classeur où tout est bien rangé en disant : « Quand même, pour anticiper la prochaine facture d’EDF, c’est plus pratique comme ça ! » Certains magistrats parlent même d’une « addiction » à la mesure, à la fin de laquelle il faut aider la famille à se préparer. Il est à craindre que les mesures administratives ne puissent pas s’inscrire dans la même durée, qu’elles n’aient donc pas les mêmes vertus pédagogiques, et que, levées trop vite, elles ne laissent un goût d’échec à ceux qu’elles auraient du aider, qui n’avaient pas besoin de cela. Les six AESF arrivées à la Sauvegarde depuis fin juillet sont prévues pour six mois. « Cet accompagnement permet aussi d’évaluer les conditions matérielles de vie des enfants et de la famille relatives au logement, à l’alimentation, à l’entretien du cadre de vie et à l’hygiène des enfant, à la santé, à leur scolarité et loisirs. Plus particulièrement, l’accompagnement apporté vise à ce que les besoins des enfants (alimentation, santé, habillement, activités sportives, de loisirs, activités culturelles) soient considérés en fonction de leur âge, de leur autonomie, de leur environnement et de l’évolution de la situation. » Cette deuxième partie des clauses techniques va nous donner l’occasion de voir la mise en œuvre concrète de la mesure administrative d’AESF, où les conditions de vie des enfants restent, comme pour la mesure judiciaire d’AGBF, au cœur des préoccupations du législateur dans la nouvelle loi de protection de l’enfance. 3. 3. 2 Le manque de moyens d’action pour les travailleurs sociaux sans l’ordonnance judiciaire. Les modalités de l’appel d’offre en Isère : où l’on touche au cœur de métier et à l’efficacité du soutien. La première mesure administrative d’AESF (accompagnement en économie sociale et familiale) est arrivée fin juillet au service sud Isère de milieu ouvert de la Sauvegarde de l’enfance. Afin d’expliquer à la famille le contexte et le sens de cette mesure, un premier entretien en présence d’un cadre a lieu au service social de secteur d’une ville du sud Grésivaudan proche du domicile de la famille. C’est en effet la modalité d’entrée dans la mesure judiciaire d’AGBF, qu’il a paru judicieux de conserver. Elle permet de poser le cadre de l’intervention, de présenter le travailleur social à la famille, à qui il est précisé qu’elle peut se tourner vers le chef de service en cas de désaccord avec le travailleur social dans la conduite de la mesure. Le premier entretien, dit institutionnel, se fait au service pour une MJAGBF (mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial). Pour l’AESF, et puisque les clauses techniques l’imposent, il se fera à proximité du domicile. Il s’agit d’un ménage composé d’un père et de ses quatre enfants, qui ont entre treize et vingt et un ans. Le père, après un parcours professionnel parsemé d’embûches (maladies, accidents de travail, effort de reconversion) a obtenu

 

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depuis quatre ans un contrat à durée indéterminée comme responsable d’une équipe de nettoyage en grande surface. Le plus grand des garçons a réussi son certificat d’aptitude professionnelle en boulangerie, et a été embauché par son ancien maître d’apprentissage. Les trois autres garçons sont toujours scolarisés. La mère de famille, qui rencontrait assez régulièrement l’assistante sociale du secteur pour faire part de problèmes financiers, a quitté le domicile familial un mois auparavant, vidant le compte bancaire de son compagnon et de son fils aîné. « C’est elle qui s’occupait de tous les papiers, nous dit le père désemparé, je ne sais pas très bien lire. Je suis perdu. Mais j’ai toujours travaillé pour gagner le pain de ma famille. » Monsieur fait état de relations depuis longtemps difficiles avec sa belle-famille, malgré ses efforts, nous dit-il. Il est français d’origine espagnole, et elle française d’origine sicilienne. Il mentionne également le fait que leur logement a été déclaré insalubre, suite aux efforts de sa compagne et de sa belle-sœur. En effet, pourtant habituée, dans ces milieux souvent très pauvres, à voir des conditions de logement pour le moins déplorables, je suis stupéfaite, lors de ma première visite à domicile, par l’état de la maison familiale : il s’agit d’un taudis. La vieille bâtisse, entourée de champs et d’un bois, est probablement restée en l’état depuis sa construction, il y a longtemps, et présente un aspect vraiment délabré. Mais elle semble à peu près solide au premier abord. La famille, qui vit là depuis plus de dix ans, semble ne pas percevoir l’indigence de ces conditions de vie, en France, au XXIème siècle, et a versé toutes ces années un loyer de 400 euros par mois au propriétaire, grâce à l’allocation logement de la CAF. On peut imaginer que la mère de famille a craqué, fatiguée de vivre ainsi. Mais il y a peu de chance que nous connaissions un jour ses motivations : elle s’est réfugiée dans sa famille et refuse de parler à son compagnon autant qu’à ses enfants. La visite dure deux heures, qui sont passées à trier, avec l’aide des trois garçons présents, les courriers de relance de services contentieux et d’huissiers. Pendant ce temps, Monsieur nous raconte ses malheurs, qui le mènent parfois au bord des larmes. Il a signé trois des crédits, d’autres ont été contractés par sa compagne, nous dit-il, en imitant sa signature et à son insu. Il nous faudra probablement un peu de temps pour les répertorier : les deux fils aînés ont tenté de classer les courriers de relance par types de dettes, mais la pile est épaisse. La nécessité d’un plan de surendettement s’impose rapidement, et Monsieur en est d’accord ; celle de porter plainte contre sa compagne pour faux, si ces assertions sont fondées, afin de ne pas endosser des dettes qui ne le concernent pas, paraît également indispensable. Sinon, il risque de passer le reste de sa vie à rembourser. Mais c’est fort délicat à dire d’emblée à un père de famille, en présence des enfants, qui explique que sa compagne est « une femme formidable ». Le premier conseil est donc de prendre un avocat à l’aide juridictionnelle, ce qu’il accepte. En effet, Madame a porté plainte contre lui pour coups et blessure, nous dit-il. Il reconnaît « s’être un peu énervé » quand il a découvert l’étendue du désastre concernant les crédits. Le second conseil est d’ouvrir un livet d’épargne populaire ou un livret A dans une autre banque que celle où il a son compte courant : si les huissiers arrivaient à remonter sa trace pour bloquer son compte, il ne serait pas totalement

 

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démuni, le temps de le faire débloquer. Monsieur entend bien rembourser tout ce qu’il doit en bonne et due forme car outre son salaire, il dispose des ressources supplémentaires fournies par un élevage de lapins. L’électricité a été coupée faute de règlement, mais il montre un placard relativement rempli de pâtes, de boîte de conserves, et explique que ses poules donnent des œufs, et qu’il tue parfois un lapin. Arrêtons-là cet exemple pour constater deux choses : Monsieur a besoin d’aide et semble prêt à profiter de nos conseils. Nous sommes donc bien dans l’esprit de la mesure administrative, qui a été proposée par l’assistante de secteur compte tenu du départ de Madame, et acceptée avec soulagement. Mais en ce qui concerne les conditions de vie de la famille en général, et des enfants en particulier, la protection judiciaire d’une mesure d’AGBF semblerait s’imposer. Le moins qu’on puisse dire est que « les enfants donnant droit aux prestations familiales sont élevés dans des conditions (…) de logement et d'hygiène manifestement défectueuses. » Si cela a échappé à l’assistante sociale de secteur, c’est fort probablement qu’elle n’a jamais eu la possibilité de se rendre à domicile. Alors que c’était une règle pour les premières assistantes sociales des années 50, c’est devenu quasiment impossible au fil des ans et des missions qui leur ont été rajoutées, comme le suivi des contrats RMI, par exemple. Cette famille perçoit des prestations familiales. Une mesure judiciaire permettrait de faire remettre immédiatement l’électricité en réglant la dernière facture, quitte à solliciter une aide au conseil général dans le cadre du fonds social énergie, si elle est très importante. La réglementation prévoit, dans le cadre de la mesure judiciaire, que les aides soient versées au service, ou directement au créancier. Dans celui de la mesure administrative d’AESF, je peux juste conseiller à Monsieur le règlement rapide de la facture, et rapporter la liasse de demande d’aide à lui faire signer le cas échéant lors du prochain rendez-vous, fixé début septembre. Je n’oublie pas en repartant de lui faire signer « l’attestation mensuelle de service fait » prévue par les clauses techniques, qui atteste que nous nous sommes bien rencontrés deux fois dans le mois. Il est bien entendu trop tôt pour tirer des conclusions des débuts ce tout premier exercice d’une mesure administrative. Nous avons déjà souligné qu’une période de diagnostic était indispensable dans la mise en œuvre d’une mesure, laquelle peut durer de quelques semaines à quelques mois selon la complexité de la situation particulière de chaque ménage. Mais il semble quand même que les conditions de vie de ces enfants relèvent plutôt d’une protection judiciaire, dans le cadre de la protection de l’enfance. D’autre part, si la compagne de Monsieur a déjà auparavant bénéficié de l’aide éducative et budgétaire de la conseillère en économie sociale et familiale du secteur, comme il le dit, et que la difficulté était d’arriver à rencontrer le couple, comme on peut le subodorer, c’est encore la mesure judiciaire qui serait opérationnelle d’emblée dans les circonstances présentes. La suite des évènements avec cet homme et ses enfants permettra donc de déterminer si cette AESF ne risque pas d’aboutir finalement à une MJAGBF, après avoir perdu du temps et coûté plus cher à la collectivité.

 

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Conclusion

Cette recherche avait pour objet d’évaluer les conséquences de la nouvelle loi de protection de l’enfance, votée en mars 2007, sur la pratique des mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial, anciennement tutelles aux prestations sociales enfant. Elle souhaitait questionner la pertinence d’un retour aux mesures administratives dans une pratique professionnelle auparavant exercée dans le cadre judiciaire, en étudiant particulièrement la mise en place de mesures d’accompagnement en économie sociale et familiale dans le cadre administratif de la décentralisation. Cela nécessitait au préalable un retour sur l’histoire et l’évolution de la protection des prestations familiales. Mais il fallait également s’interroger sur l’évolution sociologique des familles françaises et sur les conditions socioéconomiques de vie des plus défavorisées d’entre elles. Au terme de ce voyage au cœur de la nouvelle mesure d’AGBF, et de son pendant administratif, l’AESF, où en sommes-nous de nos questions initiales ? Si la mesure d’action éducative en milieu ouvert pouvait déjà, suite au décret de 1959, être administrative, c’était uniquement dans le cas d’une suspicion de danger pour l’enfant. Depuis la réforme de la loi de protection de l’enfance, cette mesure peut être administrative même en cas de danger avéré, si les parents acceptent la décision du président du conseil général. En ce qui concerne la mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale, il s’agit clairement d’un retour en arrière, à l’époque d’avant le décret de 1946, qui avait donné compétence exclusive au juge des enfants pour ordonner la mise des prestations familiales sous tutelle. Le président du conseil général peut désormais décider officiellement des mesures officieuses ordonnées

 

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à l’époque par les préfets. Avec cette différence, que nous avons exposée, que le travailleur social a uniquement un rôle de conseil, et ne gère pas directement les prestations familiales. C’est heureux, s’agissant d’une mesure privative des libertés. Mais l’AESF (accompagnement en économie sociale et familiale) n’a pas le même impact que la MJAGBF (mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial), et risque simplement d’en retarder la mise en œuvre, ajoutant au coût pour la collectivité sans être d’une grande efficience. Les mesures de tutelles aux prestations sociales, mal connues, étaient déjà ordonnées dans des situations familiales et sociales très dégradées ; les AESF risquent de reporter encore une prise en charge ayant pourtant fait la preuve de son efficacité lorsqu’elle permet, sur décision judiciaire, de gérer avec les parents les prestations dans l’intérêt des enfants. Le retour de la puissance administrative semble ainsi avéré, et l’affaiblissement du rôle des magistrats de la jeunesse également. La loi de rétention de sûreté, en autorisant le maintien en détention de justiciables ayant purgé leur peine, sur simple décision administrative, a peut-être ouvert une brèche dangereuse pour les libertés publiques. Une inflation législative est en effet perceptible en France depuis 2002. Pour rappel, y ont été votées : la loi Perben I du 9 septembre 2002, la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, la loi Perben II du 9 mars 2004, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales du 12 décembre 2005, la loi de lutte contre le terrorisme du 21 mars 2006, la loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006. Suite aux lois de protection de l’enfance et de prévention de la délinquance, seront encore votées la loi sur les peines planchers du 10 août 2007, et la loi de rétention de sûreté du 26 février 2008. Une réforme de l’ordonnance de 1945, texte fondateur qui régit la justice des mineurs, est en cours de préparation. Ces lois ont le plus souvent pour objet le durcissement des peines et l’augmentation des pouvoirs de police. C’est une stratégie évoqué par Michel Foucault dans Surveiller et punir

114

:

« La délinquance, avec les agents occultes qu’elle procure mais aussi avec le quadrillage généralisé qu’elle autorise, constitue un moyen de surveillance perpétuelle sur la population : un appareil qui permet de contrôler, à travers les délinquants eux-mêmes, tout le champ social. La délinquance fonctionne comme un observatoire politique. Les statisticiens et les sociologues en ont fait usage à leur tour, après les policiers. » Cette inflation législative, outre qu’elle met à mal les libertés individuelles, n’est hélas pas un gage d’efficacité : nous avons vu que les présupposés idéologiques qui la sous-tendent sont complètement à côté de la nouvelle réalité sociologique des familles françaises.

                                                         114 Foucault

M. Surveiller et punir. Naissance de la prison, 1975, Paris, Gallimard, p. 328 et 329.

   

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S’agit-il d’un aveuglement réel, ou d’une posture cynique, qui consiste à tenter de faire croire que l’on agit alors que l’on n’agit pas, pour ne pas dépenser ? Si la frénésie actuelle de réformes a déjà produit de nombreuses nouvelles lois, non appliquées pour un certain nombre d’entre elles faute de décrets, le seul affichage politique d’une volonté de réforme semble actuellement remplacer dangereusement la réflexion préalable indispensable à des modifications parfois nécessaires. Le monde évolue, et la législation doit évoluer aussi. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour, et si les « cathédrales juridiques » dont parlait le président de la République sont encore debout, c’est qu’elles étaient construites solidement et leur utilité reconnue par la majorité des citoyens et de leurs élus. Or les réformes sont menées tambour battant, la plupart du temps sans prendre la peine de consulter ni les professionnels ni les chercheurs, portées par une majorité présidentielle qui n’est parfois majoritaire dans les assemblées qu’à quelques voix près, comme l’a montré l’actualité récente.

Le nouveau pouvoir d’ingérence du délégué aux prestations familiales dans l’éducation directe des enfants, ajouté par le législateur aux missions antérieures du délégué à la tutelle dans la nouvelle loi de protection de l’enfance, a-t-il par exemple une visée précise, ou n’est-ce qu’une coquille dans un copier-coller ? L’idée d’un super travailleur social capable de tout sans être spécialisé en rien serait-elle envisagée, afin de faire des économies de personnel éducatif ? On voit bien aujourd’hui des supers professeurs à qui l’on demande d’enseigner plusieurs matières. Ou bien sont-ce les élucubrations paranoïaques d’un travailleur social de terrain déprimé par l’évolution de son métier, des réalités duquel semblent si loin ceux qui gouvernent la France ? L’évolution de la tutelle aux prestations sociales enfants à la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial et à l’accompagnement en économie sociale et familiale serait-elle alors emblématique d’un changement social plus profond ? Quels sont les choix de société qu’il révèle, et comment les citoyens y ont-ils été, ou pas, associés ? L’autre problème que met en lumière la nouvelle loi de protection de l’enfance est celui de l’égalité des citoyens dans l’accès à leurs droits fondamentaux. Si la décentralisation du pouvoir central vers les territoires parait une décision de bon sens, encore faut-il qu’elle se fasse avec des moyens suffisants pour tous les départements français, et pas seulement pour les plus riches. Sinon, les proclamations gouvernementales sur les droits des citoyens restent lettre morte dans la réalité, et il « vaudra mieux » être mère isolée en Ile-de-France plutôt qu’en Martinique. Quant à la logique de rentabilité économique appliquée au secteur social, elle est de nature à ouvrir la porte à toutes les dérives. On voit déjà arriver dans le secteur des aides à la personne, dans celui de l’insertion ou dans celui de la prise en charge des personnes âgées, par exemple, des entreprises à but lucratif, dont le seul objectif est le profit. Souvenons-nous également de la filiale d’AREVA115 ,

                                                         115  Groupe industriel français spécialisé dans les métiers de l’énergie.

 

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proposant ses services pour la lutte contre les « actes de malveillance », dans le rapport Bénisti. Les présidents des conseils généraux ont pourtant, nous l’avons souligné, les moyens de sanctuariser les services sociaux d’intérêt général. En ont-ils tous le désir ? Enfin, la perception actuelle des parents, surtout s’ils sont de milieu modeste, évolue vers une suspicion d’incompétence, d’incapacité à donner des repères éducatifs à sa progéniture. C’est parfois le cas, mais on ne résoudra pas ces carences en privant les parents d’enfants à la dérive de leurs prestations familiales. Les familles en difficulté ont besoin d’être soutenues, et non punies. Elles ont aussi, et surtout, besoin d’avoir comme tout le monde un logement décent, des moyens de gagner leur vie en travaillant, sans avoir à dépendre de la solidarité nationale, et le droit d’avoir des loisirs, de prendre des vacances, de voyager. Les droits fondamentaux du citoyen de base, en somme. Comment laisser des quartiers entiers en déshérence, pour feindre de s’étonner ensuite que leurs propres habitants y mettent le feu ?

Car il s’agit bien là de choix politiques délibérés, qui engagent la société française, et l’ensemble de ses citoyens, au cœur d’une Europe qui peine à se construire. Et pourtant, comme le soulignait Juan Somavia, directeur de l’Organisation internationale de travail116 (OIT) en 2003 : « L’avenir social du monde est en Europe. Si l’Europe est capable de préserver son modèle social, ce sera un signe d’espoir pour le reste du monde. »

                                                         116

La première session de la Conférence internationale du Travail, réunie à Washington en octobre 1919, adopta les six premières conventions internationales du travail, qui portent respectivement sur la durée du travail dans l’industrie, le chômage, la protection de la maternité, le travail de nuit des femmes, l’âge minimum et le travail de nuit des jeunes dans l’industrie.

 

 

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BIBLIOGRAPHIE

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septembre 2006 en première lecture – résumé ( 72 pages), et du 9 janvier 2007 en deuxième lecture - compte-rendu intégral ( 124 pages). Communiqués de presse « Les associations de solidarité face aux logiques de mise en concurrence » Position politique de l’UNIOPSS- Février 2009.   Communiqué de presse de l’UNAF, 6 juillet 2009.

Table des matières

Introduction

p. 6

1. L’histoire, le financement, les acteurs 1.1 L’histoire

p. 10

1. L’histoire des allocations familiales. Tableau chronologique de l’histoire de la mesure de tutelle. Commentaires sur les évolutions jusqu’à aujourd’hui. p. 11 2. Un phénomène ancien, le glissement de la protection de l’enfant à celle de la famille. Le principe d’universalité, les tentatives de mise sous conditions de ressources des PF (1997, 2008). p. 14

3. La réforme issue de la nouvelle loi de protection de l’enfance votée en mars 2007. Les enjeux entre pouvoir administratif et judiciaire. p. 16 1.2 Le financement 1. Modalités de mise en place et de financement de la mesure judiciaire (MJAGBF) p. 18

 

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2. Modalités de mise en place de la mesure administrative d’accompagnement en économie sociale et familiale (AESF) : report des dépenses de l’Etat sur les collectivités territoriales. p. 19

3. Extraits commentés du rapport de l’ODAS sur les dépenses départementales d’action sociale en 2008.

p. 21

1.3 Les acteurs 1. La cogestion des CAF par les partenaires sociaux. Rappel sur l’histoire des mouvements familiaux français. Les valeurs défendues par l’Union nationale des associations familiales. Les associations exerçant les mesures (les Unions départementales des associations familiales, l’Union nationale des associations de Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence). Les déléguées aux prestations familiales. p. 23 2. Les familles bénéficiaires et l’évolution dans la pratique de l’exercice des mesures : Familles en tutelle de la Caisse d’allocations familiales d’Ille et Vilaine dans les années cinquante - enquête de l’Union départementale des associations familiales des Pyrénées Atlantiques, la perception de la mesure par les familles bénéficiant d’une mesure de tutelle aux prestations sociales enfant en juin 2003. p. 26

2. La protection de l’enfant 2.1 Evolution de la famille 1. Retour sur l’évolution récente de la famille. De la famille traditionnelle aux nouvelles formes de la cellule familiale : familles monoparentales, familles recomposées. La famille, première instance de socialisation. p. 30 2. Le dispositif de protection de l’enfance, qui relève à la fois de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire. Le contractualisme et ses écueils. p. 33 2.2 Le regard porté sur la famille 1. Analyse croisée des lois de protection de l’enfance et de prévention de la délinquance. La gestion des prestations familiales, une illustration des incohérences. p. 37

2. Qui est responsable de l’enfant ? Les parents et la famille, lieu « naturel » de protection. Les autorités scolaires, au pouvoir renforcé par la loi de protection de l’enfance. Le nouveau pouvoir d’ingérence du délégué à la tutelle. Retour sur le rapport Bénisti. p. 42

 

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2.3 De la MJAGBF à l’AESF, la subsidiarité en question 1. Affaiblissement du pouvoir judiciaire et du monde associatif, renforcement du pouvoir administratif : la nouvelle suprématie des conseils généraux, exemple des AESF issues du nouveau système de protection de l’enfance. p. 46 2. Les AESF dans le département de l’Isère, réponse à un appel d’offre. La mise en œuvre d’une logique de rentabilité économique dans le secteur social. p. 47

3. La paupérisation des familles modestes 3.1 Les conditions de vie des ménages pauvres 1. La crise de la société salariale. La composition des ménages. Rapport de l’observatoire national de l’exclusion 2007-2008 : extraits et commentaires. La solidarité. p. 51 2. Consommer pour exister : le don, la fonction de l’argent. La dépense excessive et son envers inconscient. La capacité à consommer. Le surendettement. Le logement. p. 56 3.2 Le double visage de la mesure d’AGBF, protection et contrôle 1. Les familles « réelles » : les bénéficiaires des mesures d’AGBF et leurs difficultés quotidiennes. Exemple des familles de l’Isère et des Pyrénées Atlantiques. p. 60 2. La protection et le contrôle. Questions autour du sens de l’acronyme AGBF, qui remplace la dénomination tutelle. p. 63

3.3 La mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale, quel soutien pour les ménages pauvres ? 1. Les services sociaux d’intérêt général, une avancée européenne. Les difficultés d’application dans les territoires. Les mesures d’AESF en RhôneAlpes et dans les régions voisines. p. 67

2. Le manque de moyens d’action pour les travailleurs sociaux sans ordonnance judiciaire. Les modalités de l’appel d’offre en Isère : où l’on obère l’efficacité du soutien. p. 71

Conclusion

 

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