Une ferme condamnée pour racisme | Montérégie

23 avr. 2005 - journal a obtenu copie, révèle qu'à la ferme concernée, les Noirs étaient ... Selon le Tribunal des droits de la personne, un véritable système ...
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ACTUALITÉS FAITS DIVERS ET JUDICIAIRE Une cafétéria pour les Blancs et une cabane verte pour les Noirs

Une ferme condamnée pour racisme Samedi 23 avril 2005 00:00:00 HAE

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Selon le Tribunal des droits de la personne, un véritable système ségrégationniste régnait au Centre Maraîcher Eugène Guinois Jr de Sainte-Clotilde. (Photo d'archives)

Le Tribunal des droits de la personne a condamné le Centre Maraîcher Eugène Guinois Jr de Sainte-Clotilde à verser des dizaines de milliers de dollars à quatre travailleurs d'origine haïtienne victimes de racisme. Les faits reprochés remontent à 2000 et 2001. Entreprise familiale spécialisée dans la culture de salades et de carottes, le Centre Maraîcher Guinois Jr a connu une forte expansion au fil des années. Comme plusieurs entreprises agricoles de la Montérégie, le Centre Maraîcher doit donc faire appel aux services de l'Union des producteurs agricoles afin de lui fournir des travailleurs saisonniers. C'est ainsi qu'au plus fort de la saison, en 2000 et 2001, le Centre Maraîcher accueille environ 96 de ces travailleurs dont les quatre plaignants, Cupidon Lumène, 35 ans, Célianne Michel, 25 ans, Célissa Michel et Ronald Champagne, 40 ans. Ségrégation Le jugement rendu le 14 avril dernier par le magistrat Michèle Pauzé, dont le journal a obtenu copie, révèle qu'à la ferme concernée, les Noirs étaient traités comme au temps de la ségrégation dans le Sud des Etats-Unis.

M. Champagne a expliqué à la juge que "les blancs disposent d'une cafétéria qui leur est exclusivement réservée. Cette cafétéria, située à même les locaux de l'entreprise, est d'une grande propreté..." Les lieux sont équipés de fours à micro-ondes, d'un réfrigérateur et de deux machines distributrices très propres et en parfait état de marche. De leur côté, les travailleurs saisonniers, soit environ 96 personnes, ont accès à une bâtisse appelée "cabane verte", située en retrait des autres bâtiments de l'administration et du Centre Maraîcher. Dans cette "cabane verte"; une seule table, pas d'eau courante ni de douches ni de vestiaires ni de toilettes ni de chauffage. Le four à micro-ondes est sale et le réfrigérateur ne fonctionne pas. Pourtant, dans un document de l'UPA, il est fait mention des conditions minimales quant au lieu de travail que chaque entreprise doit mettre à la disposition des travailleurs : "un endroit adéquat pour changer de vêtements; un espace réfrigéré pour y conserver leurs repas; des tables propres en quantité suffisante; de l'eau en quantité et en qualité sur les lieux de travail; des toilettes disponibles et accessibles au champ..." Durant l'été 2000, M. Champagne a été prévenu qu'il n'avait pas le droit d'entrer dans la "cafétéria des blancs" et que s'il voulait acheter quelque chose, il pouvait utiliser la distributrice située à l'extérieur. En 2001, alors qu'il a acquis le statut de travailleur régulier, M. Champagne explique avoir tenté à deux reprises d'aller à la "cafétéria des blancs", pour faire chauffer sa nourriture dans un four à micro-ondes. Les deux fois M. Champagne s'est fait sortir. Quant à Célissa Michel, la situation est identique ou presque. En 2000, alors qu'il était devenu travailleur régulier, M. Michel a tenté d'aller faire chauffer un plat dans la "cafétéria des blancs" d'où il a été expulsé. Au début de juin 2001, c'est au tour de Mme Lumène de tenter de faire chauffer sa nourriture dans la cafétéria des réguliers. Cette fois, c'est Denise Guinois, épouse d'Eugène Guinois, président de la compagnie, qui l'interpelle en lui disant : "Ici, c'est pas votre place, ici, c'est pour les blancs." Une autre fois, M. Champagne est assis à une table à l'extérieur mais trop près de la "cafétéria des blancs" au goût de Mme Guinois qui lui dit : "C'est la place intime des québécoises et des québécois, c'est ça ou la porte." Même si les conditions de travail sont loin d'être idéales, les travailleurs prennent leur mal en patience. Mais un incident survenu le 8 août 2001 provoquera leur indignation. Des carottes dans la bouche

Cette journée-là, M. Champagne relate, selon le jugement toujours, que la cadence de travail était très élevée. Il y a alors 14 ou 16 personnes qui remplissent les sacs de carottes mais il n'y a que deux Haïtiens, lui-même et M. Michel, pour déplacer les sacs de 50 livres une fois remplis. C'est alors que, selon M. Michel, une travailleuse qui se trouvait auprès du convoyeur, Diane Lajoie, lui a dit : "Tu me souffles dans les fesses." M. Michel tente de lui expliquer qu'il n'a pas de temps à perdre avec ça et qu'il ne vient pas au Centre Maraîcher pour niaiser. C'est alors que la travailleuse lui réplique : "Ferme ta gueule" puis prend une poignée de carottes qu'elle lui met dans la bouche. Accompagné de M. Champagne, M. Michel décide d'aller voir Jocelyne Guinois, fille d'Eugène Guinois, responsable des ressources humaines de l'entreprise. Quand elle les reçoit dans son bureau, elle réplique : "J'en ai assez de vous autres, h... de noirs". M. Michel lui répond que s'il n'obtient pas de respect, il quittera la compagnie et ajoute qu'il sait où aller pour revendiquer ses droits, ce à quoi Jocelyne Guinois répond : "O.K. je t'attends." Dans les jours qui suivent, M. Champagne et M. Michel apprennent qu'ils ont perdu leur emploi pour avoir volontairement quitté leur travail. La fille de M. Michel, Célianne, qui a quitté les lieux en compagnie de son père après l'incident, est également mise à la porte de même qu'une autre personne témoin de la scène, Cupidon Lumène. Devant la juge, M. Champagne a indiqué que selon lui, aux yeux des Guinois, les chiens avaient plus de valeur que les Noirs. En défense, Daniel Guinois, vice-président du Centre Maraîcher, a expliqué que la "cabane verte" avait été construite en 1994-1995. Il a affirmé qu'il n'était pas au courant de l'état des fours à micro-ondes et du réfrigérateur mais a précisé que "même si le réfrigérateur est malpropre, normalement les lunchs sont apportés dans des sacs de plastique." Jugement sans équivoque Dans son jugement, la juge Michèle Pauzé a reconnu que : "Comme les actes ou gestes discriminatoires proviennent de l'administration de la défenderesse (Denise Guinois et Jocelyne Guinois) en plus des membres du personnel en autorité (Louis-Marc Célestin et Wilfrid Petit, Danielle Lavigne et Lise Coallier), la responsabilité de l'employeur est engagée et retenue par le présent Tribunal." La juge ajoute qu'il "existe au Centre Maraîcher une atmosphère de mise à l'écart et d'éloignement des gens haïtiens, des travailleurs saisonniers. Les travailleurs réguliers, ce sont des blancs." "Tel que mentionné précédemment, souligne la juge, la discrimination entre les travailleurs saisonniers de race noire et les travailleurs réguliers de race blanche a été mise en place, s'est instaurée lentement sans que la

défenderesse n'intervienne ou fasse les efforts pour le contrer. S'est instauré un système de ségrégation raciale en confinant les travailleurs de race noire dans une cafétéria insalubre et en omettant de leur fournir les installations et équipements d'hygiène nécessaires." Vu les circonstances, la juge considère que les quatre plaignants ont été congédiés sans motif valable. En conséquence, le Tribunal accorde à chacun des demandeurs la somme de 5000 $ à titre de dommages intérêts punitifs. Le Tribunal accorde également à M. Champagne et Mmes Lumène et Michel la somme de 10 000 $ chacun à titre de dommages moraux et 12 500$ à M. Michel. Du côté du Centre Maraîcher, on examine actuellement la possibilité d'en appeler de la décision du Tribunal des droits de la personnes. L'entreprise affiche un chiffre d'affaires d'environ 8 M$. Centre d'aide aux travailleurs saisonniers Depuis juin 2004, le Centre d'appui aux travailleurs saisonniers de Saint-Rémi dispense aux travailleurs de l'information sur leurs droits en plus de les aider dans leurs différentes démarches administratives. Certains fermiers de la région qui utilisent cette main-d'œuvre docile et à bon marché ne voient pas d'un bon œil la présence de cet organisme. Le propriétaire du centre commercial où se trouve l'organisme a tenté en vain de résilier le bail. Comme indiquait au journal l'an passé l'intervenante Marcia Ribeiro, des fermiers ont même décidé d'emmener les travailleurs faire leur épicerie ailleurs afin qu'ils ne viennent pas au Centre alors que d'autres ont simplement interdit à leurs employés d'y aller. Le cas de ségrégation raciale mis à jour dans une ferme de Sainte-Clotilde démontre clairement l'importance du Centre d'appui aux travailleurs saisonniers de Saint-Rémi.