Un populisme à l'italienne - Comprendre le M5S

big bang électoral de 2013 ? Plus que jamais, le Mouvement 5 étoiles mérite qu'on projette sur lui nos peurs et nos espoirs : peur d'une dérive autoritaire ou d' ...
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Un populisme à l’italienne ? Comprendre le Mouvement 5 étoiles, 2018 Jérémy Dousson Jérémy Dousson est politologue, directeur-général adjoint du magazine Alternatives Economiques. Son livre est l’une des rares publications en français à dresser un tableau complet du Mouvement 5 étoiles. Juliette Agez, membre de Génération.s, analyse son livre qui vise à mieux comprendre le Mouvement 5 étoiles, en faisant le récit de son ascension dans le système politique italien et en livrant une étude de son programme, de son électorat ainsi que de son organisation. Dans un contexte de montée en puissance des mouvements dits populistes, en particulier en Europe avec l’essor de l’euroscepticisme, il est intéressant de revenir sur les particularités, constructions et méthodes d’action de ces organisations, afin de s’interroger sur le futur politique de l’Europe. C’est ce que réalise ici Jérémy Dousson, directeur-général adjoint du magazine Alternatives Économiques, en se donnant pour objet d’étude le Mouvement 5 Étoiles italien. Publié en janvier 2018, soit quatre mois avant la victoire du Mouvement aux élections générales italiennes de mars 2018 avec 32% des voix, ce livre est d’une actualité brûlante. On le sait, l’Italie est désormais gouvernée par une coalition formée par le Mouvement 5 Étoiles et la Ligue du Nord, parti d’extrême-droite xénophobe. En écrivant ce livre, l’auteur ne connaissait pas encore la suite de l’histoire. Néanmoins, J. Dousson évoquait déjà la dérive probable vers des positions d’extrême-droite d’un parti dont l’idéologie initiale était pourtant proche de la gauche anti-libérale et démocratique. Par son analyse, l’auteur nous aide à appréhender la formation et le succès des partis « populistes », ainsi que les possibles changements positifs ou au contraire les risques de dérives qu’ils portent. C’est en 2007 qu’est créé le Mouvement 5 Étoiles, avec le Vaffanculo Day, journée de mobilisation à la dénomination fortement poétique visant à réclamer plus d’éthique en politique. Ce mouvement est lancé par une personnalité comique, Beppe Grillo, qui deviendra le chef politique du Mouvement 5 Étoiles. Ce mouvement se revendique comme « ni de droite, ni de gauche », mais ses premiers adhérents sont plutôt des personnes traditionnellement de gauche. Ses positions politiques se rapprochent également d’une gauche radicale et anti-libérale, avec un programme progressiste sur le plan social et hétérodoxe sur le plan économique. Ainsi, les affaires sociales constituent le premier poste de dépense du programme, principalement autour des retraites et de la mise en place d’un « revenu de citoyenneté », proche du RSA français. Sur le plan économique, le Mouvement prône l’intervention de l’État et le recours à la dépense publique pour relancer l’activité, notamment via l’investissement dans les secteurs de l’économie verte et du numérique. Sur le plan organisationnel, le mouvement se veut horizontal : un site internet participatif permet aux adhérents de voter ou de s’exprimer (propositions de loi issues des citoyens, etc.). Néanmoins, derrière cette apparence d’horizontalité, J. Dousson décrit des pouvoirs concentrés dans les mains du chef, à savoir Beppe Grillo. Le mouvement serait « halocratique » dans la mesure où, tout en donnant aux adhérents le sentiment d’avoir le pouvoir, il serait construit autour de la vision d’un leader tout-puissant chargé de définir les objectifs communs.

Le contexte politique et économique italien est un facteur clé du succès du mouvement. Sur le plan politique, les multiples affaires de corruption et de collusion entre les intérêts privés et publics amènent le Mouvement 5 étoiles à dénoncer une confiscation de la démocratie par les élites politiques et financières. Il revendique ainsi la mise en place d’une démocratie directe, après avoir destitué les élus en place. Sur le plan économique, le constat de départ est le suivant : l’emploi n’est plus un gage de confiance en l’avenir, et travailler dur ne permet plus de combler les inégalités de patrimoine. Le Mouvement souhaite donc instaurer une nouvelle approche du travail, un passage à une 3ème révolution industrielle. D’après les travaux de l’économiste américain Jeremy Rifkin, la révolution doit avoir lieu via un changement de la manière de produire de l’énergie et de la manière de communiquer. C’est-à-dire, pour le Mouvement 5 Étoiles, via les énergies renouvelables et les technologies de l’information et de la communication (open source, peer to peer…). Il est surprenant, quand on connaît la suite de l’histoire et l’alliance entre le Mouvement et la Ligue, de découvrir les origines d’un parti défendant une idéologie de gauche anti-libérale, anti-corruption, et plaçant au cœur de son programme les idéaux de démocratie directe et d’écologie politique. Néanmoins, la dimension populiste – et les risques qui y sont liés - du mouvement apparaît en filigrane dès sa naissance, à la fois dans son discours (éloge du peuple, critique des élites et des médias, simplicité du discours…) mais aussi dans ses actions (par exemple, le refus d’une loi au Parlement qui condamnait l’apologie du fascisme, ou encore la volonté d’alliance du Mouvement avec le parti britannique eurosceptique UKIP au Parlement européen). Dans cet ouvrage publié en janvier 2018, J. Dousson s’interroge encore sur la direction que pourrait prendre le Mouvement 5 Étoiles : « Est-ce qu’ils sont des « talibans » assoiffés de démocratie directe et de transparence, les bonnes étoiles de la démocratie à l’intérieur du mouvement comme à l’extérieur, ou d’habiles Tancredi prenant la tête de la nouvelle caste des anti-castes, à des années-lumières des idéaux ayant généré le big bang électoral de 2013 ? Plus que jamais, le Mouvement 5 étoiles mérite qu’on projette sur lui nos peurs et nos espoirs : peur d’une dérive autoritaire ou d’une trahison des idéaux fondamentaux ; espoir d’un mouvement citoyen ou d’un renouveau démocratique ». Quelques mois après, la réponse semble clairement être celle de la dérive vers la trahison de l’idéologie originelle du mouvement. À travers ce passionnant cas d’étude, J. Dousson nous interroge sur les mouvements populistes au sens large. Alors que des mouvements issus de la gauche radicale, en France et ailleurs, voient dans le populisme le futur d’une pensée progressiste, et que des théoriciens se revendiquent du « populisme de gauche » (en remplaçant la classe ouvrière par le peuple), il semble nécessaire de s’interroger sur les bénéfices et les possibles dérives de cette manière d’appréhender la politique. L’auteur rappelle ainsi que les populismes, malgré la connotation souvent négative du terme, répondent à des problèmes bien réels, et que cette énergie peut être utilisée pour un programme de changement politique. Néanmoins, un risque de « dérive fasciste » existe, à l’image de l’évolution du parti allemand Alternative Für Deutschland. Initialement fondé sur une critique économique de la gestion de la crise de la zone euro par l’Allemagne, ce parti a en effet progressivement développé sa rhétorique vers une critique de l’immigration et

de la religion. Il est troublant de constater que l’alliance du Mouvement 5 Étoiles avec la Ligue du Nord suit les traces du parti allemand désormais d’extrême-droite. Ces deux exemples invitent finalement à la prudence face à ce type de mouvements qui s’enracinent de plus en plus en Europe.