Un mémoire pour HEC sur HEC

6 déc. 2017 - ... beaucoup de grandes écoles vendent de la mercatique, mot français que personne n'emploie. Beaucoup vendent également de la direction - je ne dirai pas. “management”- dans des “management schools”. Nombre de grandes écoles réputées, dont. HEC (...) recrutent énormément d'anglophones, ...
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Un mémoire pour HEC sur HEC par Emre Sari

Paris, le 6 décembre 2017 Chère lectrice, cher lecteur, Je suis heureux de te présenter mon mémoire de fin d’études à HEC, qui porte sur HEC. Peu avant d’être diplômé, j’ai voulu m’interroger sur un enseignement qui m’avait laissé une solide frustration et un léger énervement. Trois mois de travail intense, entre les mois de juin et septembre 2016, m’ont permis d’adopter un point de vue différent sur la responsabilité de chacun, en particulier des étudiants, quant à la réussite et à l’échec à HEC. La diffusion du mémoire n’intervenant que maintenant, fin 2017, un an après le travail d’enquête, il faut considérer ce texte plutôt comme un point de comparaison, que comme une actualité brûlante. En publiant, j’ai aujourd’hui la prétention que ce mémoire fasse réfléchir et ouvre un débat, non seulement en public, mais aussi dans ta tête, lectrice ou lecteur, venant d’HEC ou non. C’est crucial, à mon sens, pour que l’école serve au mieux sa mission éducative. Le texte se distingue des discours habituels très polarisés. Trop souvent, l’école et son enseignement sont soit encensés, soit cloués au pilori. Je n’ai cherché ni à promouvoir mon ancienne école, ni surtout, à l’incendier, comme c’est le cas dans certains ouvrages ou articles, sans parler des discours des étudiants. Je me suis plutôt employé à faire entendre des voix qui s’expriment d’habitude en privé. Au fil des pages, on croise par exemple un professeur de marketing médusé par l’attitude des étudiants, et les mêmes étudiants en manque de compréhension, voire, dans de rares cas, en souffrance ; on rencontre des enseignants qui s’ingénient à améliorer leurs cours ; on s’allonge sur le divan de la psychologue du campus, ancienne HEC ; on dialogue avec l’ancien directeur général, Bernard Ramanantsoa, et avec l’actuel directeur délégué de la Grande école, Eloïc Peyrache. La réflexion s’articule autour de deux objectifs bien connus de l’école : donner des connaissances fondamentales en management ; former des décideurs responsables. J’ai étudié en quoi l’enseignement durant les deux premières années dans le programme Grande école participait à la réalisation de ces deux buts. Ainsi, sans nier la présence de très bons cours, une enquête statistique et de multiples interviews montrent que, sur l’année scolaire 2015-2016, de nombreuses situations pédagogiques demeurent stériles, malgré les efforts de l’administration. Les élèves et les professeurs s'entrechoquent sans se comprendre. Ensuite, le texte se penche sur la responsabilisation des étudiants quant à leurs choix de vie, et à leur conscience des enjeux sociaux et environnementaux. Dans cet environnement si particulier d’HEC, juste après la classe prépa, au moment où les étudiants découvrent leur liberté mais doivent aussi choisir, le mémoire montre que la maturité est un objectif fuyant, lointain mais pas inatteignable.

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Chaque fois, je me suis efforcé de disséquer les causes des échecs, mais aussi des réussites, puis de proposer des solutions. L’une d’elles me paraît sous-tendre les autres : les élèves doivent jouer dans leur scolarité un rôle bien plus actif, bien plus conscient, dès les deux premières années. Pour ma part, je suis entré en stage de césure, après deux ans de cours, un peu à la manière d’un type en baptême de parachute s’exclamant : ​“Quoi, c’est déjà le moment de se jeter dans le vide ?” Je remercie enfin chaleureusement toutes les personnes qui m’ont accordé leur temps et leurs idées, une aide indispensable et précieuse. Bonne lecture, Emre Sari

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Majeure double diplôme avec le Centre de formation des journalistes

MEMOIRE DE RECHERCHE

Année académique 2015-2016

A HEC, quel enseignement la direction et les professeurs apportent-ils aux étudiants ?

SARI EMRE Sous la direction de François Garçon 4

Table des matières

Introduction La question de recherche Le périmètre d’étude Réalisation Avertissement au lecteur Annonce du plan Partie I : Justifier la question de recherche 1) La frustration des élèves, un sentiment consistant et partagé 2) Les classements et la recherche n’expriment rien sur l’enseignement A. Les critères des classements n’incluent pas l’enseignement B. La recherche ne donne aucune certitude sur l’enseignement C. Les classements et la recherche entretiennent néanmoins un lien distendu avec l’enseignement Partie II: Réponse à la question de recherche Objectif 1 : Donner des compétences fondamentales en management A. Méthodologie du questionnaire B. Pourquoi et comment raisonner par cours ? C. Constats du questionnaire a. De fortes divergences b. Un nombre non négligeable d’expériences pédagogiques s’avèrent infructueuses D. Le choc a. L’attitude des élèves b. Les matières totalement nouvelles après les classes préparatoires c. La pédagogie participative d. L’origine du professeur E. Illustrer le choc F. Les solutions pour atténuer le choc a. Adapter la manière de présenter les connaissances en salle de classe b. Améliorer la pédagogie d’un professeur c. Introduire de la pratique G. Un dialogue de sourds Objectif 2 : Former des décideurs responsables A. La responsabilisation individuelle b. Pour autant, devrait-on mettre plus de pression à HEC ? c. Le rôle nécessaire des élèves dans leur responsabilisation 5

d. Deux initiatives qui font réfléchir B. Responsables envers la société a. Intégrer des enjeux sociaux ou environnementaux dans les cours b. Responsables dans l’école, et après ? c. Le langage utilisé en cours s’oppose-t-il à des enjeux sociaux et environnementaux ? Partie III : Recommandations Communiquer Recommandation 1 : formaliser des canaux de discussions Recommandation 2 : publier des données Publier les compte-rendus des réunions Publier les bilans des enquêtes auprès des anciens élèves Recommandation 3 : créer un journal du campus Recommandation 4 : formaliser le système de demandes à l’administration Associer Recommandation 6 : généraliser les cours inversés Recommandation 7 : co-construire la nouvelle maquette pédagogique Repenser l’importance des enseignements d’humanités dans la maquette pédagogique. Repenser la place de la technologie dans les cours Pratiquer Recommandation 8 : amplifier les partenariats avec les associations Recommandation 9 : prolonger les programmes pratiques déjà en cours Recommandation 10 : améliorer la formation à l’entrepreneuriat Reprise de l’argumentaire et conclusion Annexes

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Introduction “La plaisanterie a assez duré.” Au printemps 20161, la petite formule me résonnait en tête, jour après jour. J’étais alors en deuxième année de Master (M2) à HEC Paris, au moment de choisir un sujet de mémoire. Et j’ai commencé à me dire que je ferais effectivement cesser cette “plaisanterie“ en travaillant dessus, en tentant de l’expliquer. Cette “plaisanterie”, c’est l’enseignement que j’avais suivi à HEC. Avec le recul de 2016, je jugeais que l’école m’avait fait perdre deux années sur le plan intellectuel, en Licence 3 (L3) et en première année de Master 1 (M1), de 2011 à 2013. Deux ans durant lesquelles je sentais que mes capacités de mémorisation et de conceptualisation avaient régressé. Deux ans où j’avais presque oublié l’espagnol, l’anglais, et toutes les autres connaissances durement acquises en classe préparatoire. Deux ans pour retenir quelques notions de business, quelques termes de vocabulaires. Deux ans vides de réflexion sur ma vie professionnelle future. Deux ans de cours qui se soldaient par une déception prégnante. Au printemps 2016, c’est ainsi que je voyais les choses. Une vision à l’emporte-pièce, très subjective, très personnelle, ni très sérieuse, ni très scientifique, basée sur des souvenirs vieux de trois ans ou plus. Seule, elle ne justifiait pas un mémoire, ni même un article. Alors, j’ai creusé. Des échanges avec de nombreux camarades de ma promotion et des promotions mitoyennes ont montré que mon opinion rencontrait de l’écho. Chez l’immense majorité des personnes, même constat : l’enseignement de L3 et M1 offre des bases, ​“pour ne pas être ridicule en entreprise, parce que si tu as fait HEC et que tu ne sais pas ce qu’est un compte de résultat, ça va trop loin”​, comme me l’a dit un étudiant en césure. Mais pas plus. Beaucoup d’interlocuteurs racontaient leurs souvenirs de partiels faciles, voire simplistes, et de cours peu exigeants intellectuellement. Certains, rarement, dénonçaient même des inepties académiques, et criaient au scandale en se remémorant certains professeurs. En juin 2016, juste avant les oraux du concours d’HEC, une lettre anonyme adressée aux admissibles2 via Facebook a critiqué vertement l’enseignement de l’école. L’auteur écrit notamment : “​Beaucoup sur ce campus ressentent une frustration profonde en réalisant qu’ils ne pourront pas s’accomplir dans cette école. Demandez à vos prédécesseurs de témoigner de leur ressenti et de leur ras-le-bol. Il va sans dire qu’une grande partie de cette frustration est due au système de Grande école en tant que tel : cours inintéressants et peu stimulants, codes sociaux artificiels et passablement stupides, sentiment d’inaccomplissement (sic).”

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La première version de ce mémoire a été rédigée entre les mois de juin et de septembre 2016, en vue de ma diplomation, c’est-à-dire plus d’un an avant la présente publication. 2 Les admissibles sont les candidats au concours d’HEC qui ont obtenu des notes suffisantes aux épreuves écrites pour venir passer les épreuves orales sur le campus.

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Le caractère anonyme, le ton vindicatif, et les rares argument factuels ne pouvaient faire de cette lettre une preuve tangible dans un argumentaire. Elle me donnait simplement un indice de plus sur l’existence d’une frustration vivace, et même, d’un ressentiment envers l’école. Face à ces critiques : HEC Paris. L’école soufflait ses 130 bougies en 2011. Trois lettres qui font changer l’attitude de n’importe quel interlocuteur quand un “HEC” révèle sa formation. Trois lettres bleues, au design simple, qui ornent la page LinkedIn d’un nombre incalculable de managers à des postes clés, dans tous les domaines de l’économie. En 2014, un quart des PDG du CAC 40 pouvaient se targuer d’être diplômé d’HEC, ainsi que le Président de la République, François Hollande. Malgré quelques difficultés après la crise de 2008, les diplômés n’ont aucun mal à rentabiliser le prix de leur scolarité, 35 700 euros quand je suis entré en 20113. Selon les chiffres de l’école, pour la promotion 2015, 99% des diplômés ont trouvé un emploi moins de trois mois après leur sortie, pour un salaire moyen de 52.000 euros par an en France, et 60.000 euros à l’étranger. Dans les classements des journaux français, HEC domine sans partage. Il s’avère ardu de dénicher des années où elle ne se classe pas première dans les cinq publications de référence : l’Etudiant, le Figaro étudiant, Challenges, le Point et le Parisien. Deux chercheurs de l’EHESS, Pierre-Michel Menger et Colin Marchika, ont montré qu’entre 2004 et 2010, l’écart type du rang de HEC dans le classement de l’Etudiant, l’étude la plus complète, était de 0,24. Infime. A l’international, dans le fameux classement Financial Times (un agrégat de plusieurs autres classements du FT, incluant les MBA), l’école a dominé les business school (BS) d’Europe en 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011, et 2013, et est arrivée deuxième en 2012, 2014, 2015, 2016 et 2017. Pour restreindre le périmètre au programme Grande école, il faut regarder la partie Master in Management. HEC a occupé la première place en 2005 -l’année de création du classement-, 2006, 2007 et 2008 et s’est toujours placée dans le top 4. En 2016 et 2017, HEC termine seconde derrière St Gallen, en Suisse. Mais alors, dans ma tête de futur diplômé, la question s’est posée. Comment l’enseignement en L3 et M1 d’une école si bien classée pouvait provoquer un tel ressentiment chez certains étudiants, dont moi ? Comment l’enseignement d’une école dont les anciens occupent tant de fonctions clés pouvait être tenu en si basse estime par certains de ses étudiants ? D’un côté, ces étudiants, ceux qui se plaignaient, n’étaient-ils pas une bande de fainéants, d’attentistes ? Après tout, ils ne cachaient pas non plus leur attention moribonde, leur participation sporadique, leur faible implication personnelle. Ou encore, les élèves n’étaient-ils pas simplement des râleurs, de mauvaise foi, dotés d’une mémoire sélective, adeptes de la critique facile ?

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Les frais ont connu un forte augmentation ces dernières années. Ils atteignent 45 300 euros pour un étudiants entrant en 2018.

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D’un autre côté, la qualité de la formation d’HEC ne tenait-elle pas surtout aux à-côtés de l’enseignement, aux expériences associatives, aux stages de césure, au sport ? Et dans ce cas, quel intérêt donner aux cours de L3 et M1 ? Après tout, la performance professionnelle des étudiants à la sortie ne venait-elle pas du puissant réseau d’anciens, recrutant et recommandant probablement d’autres “HEC” pour des hauts postes ? A présent, en plus de la petite phrase sur la “plaisanterie”, ces petites questions me tournaient en tête, jour après jour. Ainsi, j’ai choisi de leur fournir des réponses dans mon mémoire. Et puis, considérer HEC en tant qu’objet d’étude me plaisait. Par ce travail, je prendrais un attirant recul sur l’enseignement d’une institution qui avait quand même occupé cinq ans de ma vie4.

La question de recherche Précisons la question de recherche. Le sentiment des élèves constitue le point de départ de la réflexion, mais pas son coeur. J’ai considéré ce sentiment comme un révélateur, mais je n’ai pas souhaité en faire mon objet d’étude. Je craignais de m’égarer en des considérations sémantiques ou psychologiques obscures, et de manquer d’informations factuelles dignes d’étayer un argumentaire. Ce sentiment m’a plutôt conduit à me demander quel genre d’enseignement pouvait causer ce mécontentement, cette déception, cette frustration. J’ai finalement formulé ainsi la question de recherche : “​A HEC, quel enseignement la direction et les professeurs apportent-t-ils aux étudiants ?” Pour bien comprendre la problématique, mettons en scène la question dans une situation fictive. Imaginons. Prenons un étudiant brillant en classe préparatoire. Son père dirige une grande entreprise. Deux hypothèses à l’issue de ses deux ans de préparationnaire. Soit son père le dispense de faire plus d’études, et lui offre un poste en or dans sa société. Soit cet étudiant décroche HEC, mais quitte l’école en fin de M1 pour une raison quelconque. Dans l’entreprise, quelle serait la différence entre cet étudiant engagé directement et le même étudiant, ayant passé deux ans à HEC ? Dans la seconde situation, l’étudiant jouira d’un réseau d’anciens, d’amis, de l’expérience de ses échanges en France et à l’étranger… Mais est-ce tout ? Qu’en est-il des connaissances fondamentales en management ? Qu’en est-il de son développement personnel ? En L3 et en M1, que lui ont apporté l’école et ses professeurs à travers l’enseignement ? Il est certain que la qualité d’une école ne se mesure pas uniquement à son enseignement. Les personnes rencontrées, le salaire à la sortie, les opportunités internationales, les locaux, les aides diverses, la vie étudiante, le sport forment un ensemble et doivent bien

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L3, M1, deux ans de césure et M2

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évidemment entrer en considération à leur juste valeur. Et les années de césure et de M2 complètent le cursus. Mais un enseignement digne d’intérêt et de travail dès la L3 et M1 s’impose aussi comme une condition nécessaire et non négociable à la qualité d’une école. Et d’ailleurs, les ​deans d’HEC ne disent pas autre chose. ​“Nous avons dans nos programmes ceux parmi les meilleurs au monde”, a affirmé Peter Todd, le directeur général du groupe HEC, dans une vidéo Youtube du compte d’HEC, mise en ligne le  ​22 septembre 2015. D’une manière plus concrète, Bernard Ramanantsoa, l’ancien directeur général d’HEC de 1996 à 2015, a déclaré dans une interview au journal le Monde, le ​22 avril 2013 : “​Même s’il est très investi dans l’associatif, un étudiant d’HEC ne sera pas dispensé d’avoir une bonne note en droit”​.

Le périmètre d’étude Le périmètre d’étude du mémoire nécessite d’être circonscrit. ​Par “l’enseignement à HEC”, nous entendrons les activités qui comptent des crédits ECTS et qui sont organisées directement par l’école​. Autrement dit, ce sur quoi l'administration et les professeurs ont la capacité agir : les cours, les séminaires5, et les académies6. Par la négative, le restant ​non inclu dans “l'enseignement à HEC” regroupe les associations, le sport, les conférences, les stages, les échanges à l'étranger… Il n’est pas question de nier ni l’existence, ni l’utilité de ce restant d’activités non incluses. Je les ai exclues du périmètre pour isoler les éléments sur lesquels l’administration et les professeurs ont une influence directe. Par ailleurs, l’étude se limite à l’enseignement en L3 et en M1 et au programme Grande école. J’exclus les MBA, l’Executive education, les M2 Grande écoles et les autres cursus. Encore une fois, je voulais considérer un tronc commun d’activités et pas une myriade de situations disparates. Les majeures de M2, par exemple, mériteraient une étude particulière pour chacune d’entre elles. Encore une précision. Au cours de l’enquête, je ne me suis jamais intéressé au contenu des cours directement, et je n’ai pas donc pas discuté d’idées du genre : ​“Enseigner tel concept est une bonne chose” ; ou encore : ​“Tel cas est instructif, mais tel autre est daté, et devrait être retiré du syllabus.” Je me suis considéré illégitime pour discuter sur le fond des disciplines de professeurs-chercheurs titulaires d’un doctorat, et/ou expérimentés dans le monde de l’entreprise. En revanche, je me suis beaucoup intéressé à la pédagogie, à la manière d’enseigner, à la forme.

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Les séminaires sont des sessions de cours sur un sujet spécifique durant trois week-ends. Les académies sont des programmes de trois semaines en janvier, durant lesquelles les étudiants sont placés dans des situations très pratiques, souvent avec des organismes à l’extérieur du campus. Il en existe une trentaine au choix. Quelques exemples: pompier, urgentiste, journaliste, art oratoire, start-up, codage, écriture, aéronautique... 6

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Réalisation Tout au long de mon enquête, j’ai beaucoup recueilli les paroles d‘étudiants -actuels ou anciens-, de professeurs et de membres de l’administration, mais aussi de chercheurs, de journalistes... Je voulais avant tout faire entendre des voix sur ce sujet de l’enseignement, qui n’admet pas, pour être pertinent, un unique traitement statistique. J’ai déniché de toute manière peu d’études sur HEC. J’ai néanmoins adressé un questionnaire aux étudiants des promos 2017, 2018, 2019. D’une façon générale, je remercie chaleureusement tous mes interlocuteurs, avec qui mes rapports furent aussi divers qu’enrichissants. Ils m’ont fourni une aide et un temps sans lesquels mon travail n’aurait pas vu le jour. J’ai toujours tenté de rassembler les informations les plus récentes possibles, c’est-à-dire de l’année scolaire 2015-2016. J’ai utilisé des données et des témoignages plus anciens pour donner une perspective historique, pour contextualiser, mais sans en faire la matière première de ma réflexion. Un mot enfin sur les conditions de recherche et d’écriture. J’ai réalisé ce travail entre le milieu du mois de juin 2016 et le 23 septembre 2016. En parallèle, je travaillais comme journaliste stagiaire à la rédaction d’un grand quotidien français.

Avertissement au lecteur Si le lecteur attend une critique facile d’HEC telle qu’on en lit dans certains médias, ou certains ouvrages, il sera déçu. Si le lecteur s’attend à goûter à un déversement de ma rancoeur, il peut cesser de lire ici. Si le lecteur s’attend à parcourir un catalogue d’avis assassins sur HEC, il peut changer d’activité. Je me suis efforcé de faire preuve de la plus grande justesse dans mon écrit. Mon but n’a jamais été de “taper” sur HEC, ni sur quiconque. J’ai voulu m’interroger sur l’enseignement. Analyser. Et espérer comprendre pour améliorer.

Annonce du plan Dans la première partie, nous nous attacherons à légitimer la question de recherche, même si nous nous y sommes déjà employés rapidement plus haut. Pour cela, nous commencerons par donner de la consistance au ressentiment des étudiants, d’où part la réflexion. Ensuite, nous écarterons deux éléments qui pourraient apparaître comme des gages d’un enseignement de qualité : dominer les classements des écoles de commerce et

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produire une recherche reconnue. Ces deux éléments ne répondent pas au malaise des étudiants et ne nous dispensent pas de poursuivre le travail plus loin. Dans une seconde partie, une fois la question légitimée, nous nous attèlerons à y répondre. Pour ce faire, nous nous appuierons sur deux objectifs d’HEC annoncés publiquement par la direction : donner des compétences fondamentales en management ; former des décideurs responsables. Nous nous poserons la question de savoir en quoi l’enseignement en L3 et M1 du programme Grande école participe à la réussite de ces objectifs. Pour chacun, nous tenterons de donner les causes, et étudierons des solutions déjà en cours d’application. Dans une dernière partie, au vu des résultats d’enquête, nous formulerons des propositions pour améliorer l’enseignement à HEC.

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Partie I : Justifier la question de recherche Comme expliqué dans l’introduction, la question de recherche est née de la confrontation de deux idées ​a priori contradictoires. D’une part, le ressentiment de nombreux élèves à propos de l’enseignement ; d’autre part, l’excellence de l’école, matérialisée par les classements des journaux, et par les postes des diplômés. Dans cette première partie, pour justifier le sujet, il est donc nécessaire de donner plus de consistance à ce ressentiment. Puis, nous montrerons pourquoi, malgré les apparences, ni les classements, ni la recherche ne constituent des gages d’un enseignement de qualité, et ne répondent donc pas au malaise des élèves. Personne ne peut ainsi affirmer : ​“Vu le bon positionnement d’HEC dans les classements, vue sa recherche reconnue dans le monde académique, l’enseignement y est forcément de qualité. Tout est la faute des étudiants”. ​Il nous faudra pousser bien plus loin la réflexion.

1) La frustration des élèves, un sentiment consistant et partagé Même si parmi les étudiants de Grande école, la frustration envers les cours est un lieu commun, pour d’autres personnes, rien n’est évident. Lorsque j’ai contacté certains professeurs d’HEC à ce sujet, ils s’en sont montrés surpris. Et quand on discute avec des gens peu au fait des écoles de commerce, c’est l’étonnement total. Il nous faut donc trouver un moyen d’appréhender ce ressentiment, point de départ du questionnement. Une certaine documentation existe, construite principalement par des étudiants. Le questionnaire de Théo Allouch : En 2015, un étudiant de M1, Théo Allouch, a administré un questionnaire à sa promotion en vue d’une entrevue avec Eloïc Peyrache, directeur délégué de la Grande école (nous y reviendrons dans la partie II). Voici deux commentaires synthétiques écrits par Théo à partir des réponses des étudiants :

● De nombreux cours sont inintéressants et mal enseignés et ces cours sont souvent les mêmes dans les réponses (Cas Price Minister, Leading Organizations, MSI…). Certains élèves sont littéralement choqués d’assister à de tels cours. ● Manque d’éthique dans les cours enseignés à HEC. L’école devrait faire en sorte de sensibiliser de manière plus efficace les élèves aux problèmes sociétaux et environnementaux. Théo Allouch a aussi posé des questions quantitatives. Voici deux graphiques de réponses, avec cent répondants à chaque fois :

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Néanmoins, ces réponses ne remettent pas en cause l’existence, soulignée par les étudiants, de très bons cours. Théo Allouch souligne dans son étude :

● Les cours fondamentaux (comptabilité, finance d’entreprise…) sont en général bien enseignés et assez intéressants. ● Quelques électifs intéressants comme ceux sur le droit ou la géopolitique.

L’étude des délégués de promotion en 2012 A la fin de l’année scolaire 2011-2012, les délégués de promotion ont administré un questionnaire aux étudiants en fin de L3. Les réponses pour les cours du second semestre interpellent : 70 % des sondés donnent la note minimale.

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Les alertes des Bureaux des élèves (BDE) Dans le compte-rendu du 10 décembre 2013 d’une réunion du Conseil de la vie étudiante (le CVE, un organe de discussion entre l’administration et des représentants d’élèves de tous les programmes), les membres de BDE Lascars’Naval faisaient part d’une certaine déception quant à la difficulté des cours : “On the topic of business education at HEC Paris: No stimulation. Learning the results, but not the way of getting to that end results.” Dans un rapport du BDE précédent, les StarsheepTroopers, remis à l'administration en 2013, les élèves s’inquiétaient d’une absence de dimension humaine dans les cours : “Les cours ont une tendance à nous formater. Il existe de temps à autres le sentiment d'une pensée unique véhiculée par un contenu académique qui ne nous incite absolument pas à nous conduire comme de futurs managers responsables. En cours de finance ou de méthode d'analyse des coûts, on nous explique froidement, par exemple, que lorsque les coûts sont trop importants, il faut les réduire. Et que cela passe par la réduction des coûts du travail. Où se trouve la dimension humaine ?” Plus loin, le même rapport regrettait l’absence de sens : ​“Certes, ce [besoin de décompression après la prépa] existe, durant les premiers mois de la scolarité. Mais très vite, c'est le désespoir qui s'installe. Quel sens donner à ce que nous faisons ici ? Tout ça pour ça. C'est à ce moment que les élèves partent à la recherche de nouvelles stimulations, qu'ils ne peuvent malheureusement pas trouver dans les cours.” En conclusion sur cette partie, nous pouvons considérer le ressentiment des étudiants comme un point de départ solide, au vu de cette documentation, et en plus, de mes expériences et de multiples discussions informelles.

2) Les classements et la recherche n’expriment rien sur l’enseignement

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En apparence, figurer en tête des six principaux classements d’école de commerce, et produire une recherche reconnue, laissent à penser que l’enseignement est forcément de qualité à HEC. En réalité, on ne peut rien dire à partir de ces deux prémisses.

A. Les critères des classements n’incluent pas l’enseignement Les classements ne classent pas les écoles selon leur enseignement. En réalité, les journaux n’ont la capacité d’inclure ni des critères sur la pédagogie, ni sur le contenu des cours, même s’ils s’en donnent parfois l’apparence ou laissent planer une ambiguïté. Et pourtant, les classements ferment d’emblée le débat sur l’orientation dans la tête de nombreux élèves en classe préparatoire, et dans celle de leurs parents. ​“Je veux HEC car c’est la première !”​, entend-on souvent dans les lycées. De 2010 à 2015, les admis à HEC ayant choisi de se désister pour une autre école de commerce se comptent presque sur les doigts d’une main. Dans le questionnaire7, à la question “Pourquoi avez-vous choisi de faire HEC ?”, un des étudiants écrit : “​Parce que c'est la première école de France, donc je pouvais légitimement penser que ce classement était fondé…” ​Ce répondant note aussi 1 son impression générale à HEC. Les classements sont bel et bien fondés, mais pas sur l’enseignement. Ils renseignent sur le salaire à la sortie, le nombre de professeurs étrangers ou avec un doctorat, le nombre d’étudiants étrangers, la satisfaction des anciens élèves, la proportion des doubles diplômés, le nombre de forums d’entreprises, et même la moyenne au bac des intégrés... (liste non exhaustive) Baptiste Legout, responsable au journal l’Etudiant de la cellule de méthodologie et de vérification des données des palmarès des écoles de commerce, explique que pour intégrer un critère dans un classement, il doit satisfaire à quatre exigences. ​Qualitatif : ​“Le critère doit être partagé par toutes les écoles, et être un objectif d’amélioration pour toutes. Par exemple : si une école considère que le sport vaut 3 ECTS, ce n’est pas objectivement bien pour toutes. A l’inverse, embaucher des professeurs détenteurs d’un doctorat est qualitatif et partagé par toutes.” 2)​ ​Quantifiable​ ​:​ ​“Le critère doit permettre d’établir une hiérarchie​.” 3)​ ​Vérifiable​ ​:​ ​“Il faut que toutes les écoles interprètent de manière identique le critère​.” 4) ​Porteur de sens : ​“​Nous avons parfois fait des calculs, mais sans que le résultat ait un sens. Nous avions par exemple tenté de créer un critère sur les doubles diplômes. Le résultat s’est révélé trop compliqué à expliquer.”

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Baptiste Legout explique encore : “​La grande interrogation, c’est toujours la pédagogie. Nous avons fait plusieurs essais. Nous avons tenté de créer un critère avec le nombre de ​Voir le début de la partie II pour la méthodologie complète de l’enquête statistique menée à l’occasion du mémoire. 7

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MOOCs8, mais ce n’était pas pertinent. Nous avons essayé de demander aux recruteurs, mais ils ne connaissent pas les écoles. Et c’est compliqué, car ils jugent sur très peu de personnes à chaque fois. Nous ne pouvons pas nous baser non plus sur les grilles salariales, inamovibles.” Le constat de Baptiste Legout rejoint celui de Della Bradshaw, ancienne responsable -jusqu’à janvier 2016- du service Education au Financial Times. En poste pendant vingt ans, elle a créé tous les classements de son journal. Elle déclare : ​“La pédagogie est très subjective. C’est un jugement de valeur”. ​Donc impossible à classer. Elle ajoute : ​“Les classements ne doivent être qu’un élément parmi d’autres dans la décision d’un étudiant pour telle ou telle école. La meilleure pour quelqu’un n’est pas forcément la première. C’est plutôt celle qui va le conduire au métier désiré.” Le classement du FT ne renferme par exemple que peu d’intérêt si un étudiant désire devenir entrepreneur. Le salaire de sortie, tellement mis en avant au FT, ne compte pas pour lui puisqu’il va créer sa propre entreprise. D’autant que ce critère exclut du calcul les personnes travaillant dans le secteur public, dans des ONG et dans l’éducation. Pour HEC, le FT indique en 2016 un salaire de sortie à 83 000 dollars (74 400 euros), déconnecté de celui annoncé par l’école : 52 000 euros. Ailleurs, au fil du web et de la presse, l’absence de critère sur l’enseignement ne ressort pas toujours clairement. Le Parisien écrit, dans sa note de méthodologie : ​“Certains classements favorisent l'aspect académique, d'autres l'insertion professionnelle, la reconnaissance des entreprises, la popularité des écoles.” ​Il faudrait préciser que l’aspect académique ne prend pas en compte l’enseignement. Le Point, dans sa note méthodologique de 2016, reste également flou : ​“La note ​pédagogie s'est enrichie cette année puisqu'à la pédagogie traditionnelle vient s'ajouter la pédagogie numérique. La pédagogie traditionnelle prend ​notamment en compte plusieurs taux d'encadrement (celui des enseignants-chercheurs permanents, de l'ensemble des professeurs permanents et des professeurs visitants).” ​Il faudrait préciser que le terme “pédagogie” n’est pas à prendre au sens propre du dictionnaire -des méthodes d’enseignement- mais comme un ensemble d’indicateurs chiffrés. ​L’usage de l’adverbe “notamment” laisse aussi à penser que le journal n’expose pas tous les critères. Parfois, la confusion est totale, comme dans ce reportage du journal de 20 heures de France 2, le 11 septembre 2006, à propos de la place d’HEC dans le classement du FT. Le journaliste en voix-off déclare : ​“Parmi les critères, la rémunération, les débouchés, ​la qualité des enseignements​.” ​Ce dernier n’entre pourtant pas dans l’évaluation.

B. La recherche non plus ne donne aucune certitude sur l’enseignement

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Cours accessibles en ligne, en vidéo.

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Rien n’indique que de bons chercheurs soient aussi de bons professeurs. Lors de notre entretien, Bernard Ramanantsoa confirme : ​“Nous avons réalisé une étude, il y a quatre ou cinq ans. La corrélation est zéro. On ne peut donc pas dire : “c’est un très bon chercheur, donc il est nul en pédagogie”, comme on l’entend parfois.” ​L’article “The Relationship Between Research and Teaching: A Meta-Analysis”, Hattie et Marsh (1996), montre lui aussi qu’il n’existe aucune corrélation entre les deux compétences. En Grande école, 82% des heures de cours sont effectuées par des enseignants permanents et chercheurs, selon la Commission d'Evaluation des Formations et Diplômes de Gestion9. Au sein du GREGHEC, le centre de recherche d’HEC, environ 120 chercheurs et enseignants-chercheurs ont réalisé 445 publications durant les cinq dernières années, selon le site internet. Et la recherche représente une part considérable de la masse salariale de l’école. Mais on ne peut pas revendiquer tous ces chiffres pour affirmer que l’enseignement est de qualité. Quant à l’intégration des avancées de la recherche dans le contenu des cours, cela dépend des matières. En finance d’entreprise et en statistiques, le niveau académique des articles est trop élevé pour des débutants. En revanche, en marketing, il est possible d’incorporer dans les cours les notions des derniers papiers parus.

C. Les classements et la recherche entretiennent néanmoins un lien distendu avec l’enseignement Nous avons montré qu’il n’existe pas de lien direct entre un enseignement de qualité, et une bonne place dans les classements, ou une production de recherche reconnue. Il existe en revanche un lien plus distendu. Les classements et la recherche servent la bonne réputation de l’école, et sans elle, impossible d’attirer les meilleurs élèves et enseignants. Car les ​business schools ​(BS), de France et du monde entier se livrent à une compétition acharnée. Elles s’affrontent sur deux terrains. Le premier, le plus visible : les classements. Dans une note stratégique diffusée en juin 2016, Peter Todd a indiqué vouloir mettre en place une stratégie pour ​“être reconnu à l’échelon global comme l’une des 10 meilleures business schools mondiales.” Le dean d’HEC a répété cet objectif dans une vidéo Youtube de la chaîne d’HEC intitulée “A la rencontre de Peter Todd, directeur général d'HEC Paris” et datée du 20/12/2015. Enfin, la même ligne de fuite apparaît dans une tribune LinkedIn Pulse du 21 mars 2016, titrée “How I plan to propel HEC Paris into the top 10 worldwide”. M. Ramanantsoa tenait beaucoup aux classements, durant ses 20 ans à la tête d’HEC. Il annonçait toujours aux différentes promotions, par email, le classement du Financial Times. Lors de notre rencontre, il déclare : ​“Les classement sont le meilleur outil marketing. Meilleur au sens de l’efficacité versus le coût. Ils permettent d’attirer les meilleurs élèves et les meilleurs profs. Je suis certain que cette analyse est bonne.” ​Cette commission octroie aux écoles les accréditations pour délivrer des diplômes de grade Master. 9

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Sur le second terrain de lutte des business school, la recherche, des montants importants sont investis pour attirer les meilleurs professeurs qui, par leurs publications, feront rayonner le nom HEC​. La part du budget qui leur est consacrée devrait continuer de croître. Dans un email du 14/12/2015, une invitation à la présentation de Peter Todd aux Matins HEC, le dean écrit : ​“Pour être au sommet, il faut attirer les meilleurs élèves et, pour cela, avoir les meilleurs professeurs. Des professeurs qu’il faut payer au salaire d’un marché mondial. Pas européen, pas français, mais mondial.” De la victoire ou de la défaite sur ces deux terrains naît la réputation de l’école, et donc, la capacité à attirer les meilleurs professeurs-chercheurs, et les meilleurs étudiants. Des conditions nécessaires à un enseignement de qualité, mais, comme nous venons de le voir, pas suffisantes.

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Partie II: Réponse à la question de recherche Dans la partie précédente, nous venons de voir que l’enseignement en L3 et M1 dans le programme Grande école d’HEC provoque un malaise palpable chez de nombreux étudiants. On ne peut argumenter contre ce ressentiment en invoquant uniquement les bonnes places dans les classements, ou la production d‘une recherche reconnue. Car, comme nous l’avons aussi montré, ces deux éléments n’entretiennent qu’un lien distendu avec l’enseignement. Il nous faut donc continuer notre enquête pour répondre à la question de recherche : “A HEC, quel enseignement la direction et les professeurs apportent-ils aux étudiants ?” L’interrogation invite à tenir un discours sur l’enseignement, à le qualifier. Pour ce faire, j’ai choisi de m’appuyer sur les objectifs pédagogiques de l’école, tels que définis par la direction d’HEC dans certains documents, sur le site internet, et dans les déclarations de ses dirigeants. On en distingue deux : ● Objectif 1 : Donner des compétences fondamentales en management ● Objectif 2 : Former des décideurs responsables En partant de ces objectifs, nous pouvons raisonner. L’enjeu est de savoir en quoi l’enseignement en L3 et en M1 ​participe ​à la réussite, ou à l’échec, de ces objectifs. En quoi l’enseignement ​participe ​à donner des connaissances fondamentales en management ? En quoi l’enseignement ​participe ​à former des décideurs responsables ? Ainsi, en répondant à ces questions au fil des pages, nous bâtirons un discours sur l’enseignement à HEC. Une précision : j’écris “participe” parce que l’enseignement n’est pas la seule composante de la formation à HEC. Les stages, les échanges, les associations, les rencontres, les conférences, participent aussi à la réussite, ou à l’échec, de ces objectifs. Mais ces autres étapes du cursus ne font pas partie de mon périmètre d’étude.

Objectif 1 : Donner des compétences fondamentales en management Dans cette partie, nous verrons en quoi l’enseignement sert l’objectif 1 : donner des compétences fondamentales en management. Ce but figure notamment dans le guide pédagogique de L3, 2016-2017 (et également dans le même guide, édition 2015-2016). On peut lire en page 8 : ​“La Formation Fondamentale vise à donner aux étudiants les connaissances fondatrices des disciplines scientifiques fondamentales qui sont aux sources

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des sciences de gestion : droit, économie, comptabilité, finance…” ​C’est aussi l’objectif d’HEC reconnu par le grand public : former des managers, des gestionnaires d’entreprises. Pour l’évaluer, nous nous appuierons en grande partie sur une étude statistique menée à l’occasion du mémoire. Elle montre notamment que les cours demeurent infructueux pour nombre d’étudiants. Pour comprendre, nous analyserons un choc entre élèves et professeurs. Puis, nous explorerons des idées d’amélioration déjà en application.

A. Méthodologie du questionnaire Voici la méthodologie complète de l’enquête statistique. J’ai administré un questionnaire en anglais10 à trois promotions de la Grande école : 2017, 2018, et 2019. J’ai envoyé un premier e-mail le 31 août 2016 aux HEC 2017, 2018 et 2019, soit environ 1500 étudiants venus du concours des classes préparatoires ou des admissions directes en France (AD)11 ou de l’étranger (ADI). Puis, j’ai demandé à des personnes de publier des rappels sur le mur Facebook de leur promotion respective. J’ai reçu 273 réponses en tout, soit un taux d’environ 19%. Les étudiants issus de classe préparatoire occupent l’immense majorité des réponses, à 89%. Les 10% restants sont partagés équitablement entre AD et ADI. Il ne s’agissait pas d’un formulaire de satisfaction comme celui que les étudiants doivent remplir à l’issue de tous les cours. Mon but était de pousser le répondant à réfléchir sur sa scolarité sous plusieurs angles : son implication personnelle, ses souvenirs des cours, l’évolution de ses capacités intellectuelles, l’entrepreneuriat, sa perception de l’administration d’HEC et de la recherche. Le terme “HEC teaching”, comme je l’ai précisé aux enquêtés, faisait référence aux activités qui donnent des crédit ECTS et sont organisées directement par HEC : les cours, les séminaires, les académies. “HEC teaching” n’englobe donc pas les associations, pas le sport, pas les conférences, pas les stages, pas les échanges à l'étranger. C’est le périmètre d’étude défini dans l’introduction. Aucune des 25 questions n’était obligatoire. La majorité prenait la forme d’une échelle de note de 1 à 5. J’ai néanmoins obtenu à l’ultime question du formulaire seulement 13 réponses de moins que le nombre total de répondants. Cela montre l’intérêt des personnes interrogées, qui sont allées jusqu’au bout12. Presque à chaque question, j’avais laissé un champ d’expression libre. J’ai ainsi récolté une grande quantité d’avis précieux. Ces commentaires, parfois longs, constituent de nouvelles preuves de l’intérêt porté par les répondants. 10

J’ai choisi l’anglais pour ne pas empêcher des non-francophones de répondre. Ces étudiants entrent directement en M1 à HEC. Ils viennent de parcours universitaires divers, mais ont tous obtenu au moins une licence. 12 Le questionnaire vide et l’email de contact se trouvent en annexe. 11

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Toutefois, ce genre de questionnaire peut être soumis à un biais : seules les personnes mécontentes ou très contentes répondent. Afin de m’en prémunir, j’avais intégré une première question très générale sur l’enseignement à HEC. (1: “I am not satisfied at all” ; 5: “I am very satisfied”)

1: I am not satisfied at all

5: I am very satisfied

La répartition des réponses montre que ce biais a été relativement limité. Des étudiants moyennement satisfaits de l’enseignement à HEC ont participé en nombre.

B. Pourquoi et comment raisonner par cours ? Nous raisonnerons par cours et par étudiants. Ce découpage permet d’apprécier la diversité des opinions. En effet, les réponses dépendent de chaque étudiant, de chaque professeur et de chaque cours. En clair, un étudiant A en cours de Supply Chain avec M. Bottleneck, ne va pas retenir la même chose qu’un étudiant B dans la même salle, au même moment. A va jouer sur son portable durant deux heures alors que B va écouter et suivre le cours. Dans une autre salle, les étudiants boivent les paroles de M. Intéressant, qui les captive. Dans une troisième salle, d’autres étudiants vivent le même cours encore différemment. Et ainsi de suite. Ainsi, les questions 14, 15 et 16 étaient déclinées sur 22 lignes, demandant une appréciation des 22 cours obligatoires et semi-obligatoires de L3 et M1, sur l’année scolaire 2015-2016. Les répondants devaient les évaluer sur une échelle de 1 à 5, à la suite de cette interrogation : “Qu’avez vous retenu dans ce cours ? (Ne répondez que si vous l’avez suivi)”. L’échelle de note était doublée d’appréciation textuelles : “1=rien, 3=des connaissances théoriques, 5=des connaissances théoriques et/ou usages pratiques” Par exemple : 22

J’ai placé les usages pratiques en haut de l’échelle car HEC forme avant tout des cadres, des entrepreneurs, c’est-à-dire des gens d’action en entreprise. Seuls 5,9 % des étudiants de la promotion 2015 ont choisi de poursuivre leurs études à l’issu du M2, selon les chiffres du service carrière d’HEC. Au milieu de l‘échelle, les cours qui transmettent des connaissances théoriques sont notés 3, mais ils ne sont pas deux fois moins importants que les cours notés 5. Même s’ils ne remplissent pas immédiatement l’objectif d’HEC, puisqu’ils ne donnent pas la compétence pour agir directement en sortant de la salle de classe, il faut les considérer dans un processus global de formation qui déborde de l’enseignement. Il faut les penser en complément des stages, des expériences associatives, des autres cours... Il faut aussi les remettre en perspective avec le futur. Une responsable de l’administration en témoigne : ​“Vous ne vous rendez pas compte que ce sont des connaissances qui vous serviront dans deux ou trois ans, voire beaucoup plus”​. Il paraît en effet logique que des étudiants de L3 et de M1 ne mesurent pas immédiatement l’utilité de certaines connaissances théoriques. Les professeurs interviewés m’ont tous, sans exception, affirmé que des étudiants revenaient vers eux quelques années après HEC, pour leur demander des précisions sur leur cours, ou juste pour les remercier. Le professeur de statistique, Gilles Stoltz, renchérit : ​“Les étudiants ont une mauvaise perception. Ils sont ravis d’Excel car c’est directement utile​. ​Mais un bon cours apprend à apprendre. Si nous n’enseignons que des savoirs directement opérationnels, ils seront périmés dans cinq ans.” Par contre, dans le cas d’étudiants qui quittent le cours en déclarant ne “​rien” ​retenir, on peut douter de l’utilité des heures passées en salle de classe.

C. Constats du questionnaire

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Les résultats pointent vers deux constats : ● Il existe de fortes divergences ● Un nombre non négligeable d’expériences infructueuses

pédagogiques

s’avèrent

a. De fortes divergences Voici l’ensemble des réponses par matière Cours de L3

Cours de M1

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Cours semi-obligatoires

Académies, FACT, séminaires week-end

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En premier lieu, on observe des divergences entre les cours. On voit que certaines matières ont échoué à transmettre des connaissances à une majorité de répondants : le MSI, le leading organization, le cours d’éthique, innovation and entrepreneurship. En revanche, dans d’autres matières, les étudiants déclarent en majorité avoir acquis des outils pratiques, comme en finance d’entreprise et en Excel. Pour le reste, les étudiants disent en majorité n’avoir retenu que des connaissances théoriques. En second lieu, on observe des réponses variées au sein d’un même cours. Par exemple, le cours de business economics suscite des réactions très diverses entre “rien” et “des connaissances théoriques”. Même remarque pour la statistique. Le cours de méthodes d’analyse des coûts renvoie les réponses les plus diverses, avec les deux barres extrêmes au même niveau. Rappelons que les résultats ne permettent pas de savoir si ces divergences proviennent d’un enseignement différent de la part du professeur, ou d’une implication différente de la part des étudiants.

b. Un nombre non négligeable d’expériences pédagogiques s’avèrent infructueuses Changeons de perspective d’analyse pour adopter une vue plus globale. Voici ci-dessous le graphique du nombre total de réponses de tous les étudiants pour tous les cours. Ce graphique présente toutes les expériences pédagogiques, ​une expérience pédagogique étant l’expérience d’un étudiant, dans un cours, avec un professeur. Au total, le questionnaire a renvoyé 3938 expériences pédagogiques. Dans chaque barre, on peut lire le nombre de réponses en valeur absolue, et en proportion du total. Les connaissances théoriques représentent la majorité des expériences pédagogiques avec 27% des réponses. Point important, la colonne “rien” arrive en deuxième position avec 22% des réponses. Les usages pratiques ferment le classement. La barre bleue indique donc qu’un nombre non négligeable d’expériences pédagogiques restent infructueuses.

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D. Le choc Tentons d’expliquer ces deux constats. Concentrons-nous sur les matières qui échouent à transmettre des connaissances à une majorité d’étudiants. Concentrons-nous aussi sur les cours, à l’intérieur de certaines matières, qui font monter la barre bleue. Concentrons-nous enfin sur les étudiants qui ne retiennent rien, alors que pour une majorité de leurs camarades en classe, le cours porte ses fruits. C’est à ces trois “endroits” que l’objectif 1 n’est pas atteint. Le temps passé à étudier demeure stérile. Des professeurs enseignent à des élèves, et, dans un nombre non négligeable d’occasions, rien ne se produit, rien n’est produit. Les nombreuses interviews menées auprès de professeurs et d’étudiants mènent à penser qu’il se produit ​un choc​, entre deux mondes discordants. D’un côté, côté gradins, tables et chaises, les étudiants. De l’autre, côté tableau, écran et bureau, le professeur. Ce choc se produit lorsqu’un ensemble de facteurs impactant les professeurs et les étudiants est réuni dans une salle de classe. L’expérience pédagogique reste alors infructueuse. Et les barres bleues augmentent dans les graphiques de mon enquête. Ces facteurs sont : ● L’attitude des élèves 27

● ● ●

Les matières totalement nouvelles après les classes préparatoires La pédagogie L’origine du professeur

Etudions-les dans l’ordre.

a. L’attitude des élèves Parmi les étudiants répondant, le questionnaire indique une écoute moyenne. En revanche, on observe une faible propension à participer. Quant à la propension à faire son travail “à la maison”, elle est très inégale. ​Face à ces attitudes, les professeurs d’HEC ont du mal à transmettre les connaissances du cours.

1: Never listening

1: Never participating

5: Always listening

5: Always participating

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1: Never did my homework

5: Always did my homework

L’attitude des élèves à HEC tranche avec ce que l’on observe dans d’autres business schools à l’étranger. Guillaume Magnaval, étudiant de Grande école issu de prépa, a suivi un double diplôme en 2015-2016 à l’université de St Gallen, en Suisse. Il raconte les cours du Master : ​“J’ai vu ce que c’était des gars qui bossent vraiment. A HEC les gens ne participent pas. A St Gallen, quand le prof dit de lire quatre papiers de recherche, les gars ont tout préparé, et ils en discutent entre eux. Ça donne des débats intéressants. A HEC, c’est dommage... On rate beaucoup.” Jean-Christophe Mfato, un autre élève de St Gallen (mais pas d’HEC), en deuxième année de bachelor, évoque son travail personnel : ​“J’essaye de travailler tous les jours ; je révise un ou deux cours. Entre la fin du semestre et les examens, nous avons un mois pour se préparer. Un mois sans rien. Les gens misent dessus. La bibliothèque est remplie de personnes en train de réviser.” A HEC, 66.1% des répondants déclarent travailler seulement une semaine ou un jour avant les examens (49.6% + 16.5%). Seuls 11% disent travailler régulièrement.

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Cette plus faible propension au travail personnel tient en grande partie au système prépa puis concours, ​unique dans le monde. A l’étranger, la sélection se fait à l’entrée de l’université, ou au cours du Bachelor, ou à l’entrée du Master. Toujours sur la foi d’un dossier et d’entretiens. En France, après deux ou trois ans de travail acharné, l’état d’esprit d’un bon nombre d’étudiants d’HEC se résume par la phrase, simple, d’un des répondants, issu de prépa et entrant en césure : ​“J'ai très peu réfléchi, vraiment, mais j'avais besoin d'une pause”. “Le problème est structurel, ​analyse Bernard Ramanantsoa lors de notre entretien dans un café parisien près des Invalides, à Paris, un matin de septembre 2016​. Est-ce qu’il y a un modèle d’école de commerce en France que nous devrions imiter ? Non. Ce problème de non travail est auto-reproducteur, car on a dit aux étudiants en prépa : “Si vous travaillez maintenant, vous pourrez vous la coulez douce, et faire la Croisière Caraïbes à HEC !”” Quant à la participation, les étudiants se placent dans la continuité de leur scolarité passée en “prépa”. Pour caricaturer, c’est surtout le professeur qui parle, et ils écoutent et notent.

b. Les matières totalement nouvelles après les classes préparatoires “​Difficile de comparer Heidegger et la comptabilité​, résume Bernard Ramanantsoa en exagérant exprès. Entre la prépa et HEC, il y a une rupture dans la nature des disciplines.” Concrètement, le programme de nombreuses matières d’HEC tranche radicalement avec ce que les étudiants connaissaient auparavant. Cette nouveauté entraîne dans certains cours un manque de crédibilité​. L’ancien directeur général d’HEC reprend ​: “Il y a ce que vous appelez les cours “pipeau”, les cours qu’on croit être de bon sens, comme la gestion des ressources humaines, en leading organization. Le prof vous dit qu’il faut motiver les gens en les respectant, qu’il faut faire attention à eux. Ces cours ne plaisent pas car ça vous paraît évident. Mais souvent, ce qui 30

vous paraissait des évidences en première et deuxième année ne l’est plus en M2, quand vous revenez de stage de césure.” Un des répondants, issu de prépa et entrant en M1, réagit en ce sens, à la question “Did HEC teaching challenge you ?” : ​“Aucun apprentissage requis, simplement du bon sens. On s'en sort sans peine avec ses acquis de prépa.” Hors HEC, on peut retrouver la même incrédulité . ​“Le management, ça s’apprend ?”, ​a demandé un journaliste de France Info à Bernard Ramanantsoa, dans l’émission “Un monde d’idées” le 20/07/2016. L’ancien directeur général a répondu : ​“​La formation à HEC dure quatre ans en tout. Quatre ans pour du bon sens, ce serait long.” A l’inverse, quand le cours rappelle la classe préparatoire, la crédibilité s’en trouve renforcée par défaut. “​Le droit, c’est parfait, c’est comme la prépa, ​assure Bernard Ramanantsoa. La finance, ça plaît parce que ce sont des maths. Ca rappelle aussi la prépa.” ​Les deux cours de droit (contract law et company law) et les trois cours de finance (markets, economics, et corporate) ont tous obtenu une majorité de réponses supérieures à 3 dans le questionnaire. Pascal Quiry, responsable des cours de finance d’entreprise en M1 à HEC, tempère néanmoins la “facilité” à enseigner la finance : “Mon challenge, c’est de faire travailler les étudiants. Ils se demandent si le cours est bien. Ils testent le professeur. Et ils ne font rien si l’enseignant n’arrive pas à s’imposer.”

c. La pédagogie participative Au-delà des connaissances, le programme des cours exige ​une pédagogie plus participative qu’en classe préparatoire. Ce qui trouble les élèves, et peut aussi provoquer un manque de crédibilité. Un des répondants, issu de prépa et entrant en césure, fait part de son scepticisme quand à cette méthode : ​“Many teachers were good teachers in spite of what has already been said. I do not criticize the fact that students are given homework; on the contrary; but I felt some parts of the courses were given to students in order that they study it by themselves. The teacher was there to answer questions if some would pop up. I do not think it is an optimal way of teaching; teachers have an important role to play in class and should teach what they know instead of considering classes to be think-tanks, where knowledge is already there, but must be made explicit thanks to discussions between students. The worst I have seen was a course about venture capital where the content was almost only elicited by discussions (in other words, there was almost no content).” Face à ces rejets, Bernard Ramanantsoa décortique la situation : “​Il y a une rupture avec la forme très traditionnelle de la prépa, où il y avait un sachant, le prof, et puis des étudiants qui ne savent rien ou sont supposés ne rien savoir. C’est complètement cassé en école. Le prof y joue plutôt le rôle d’un cornac. Les étudiants font face à un gars qui leur demande à propos du cours: ​“Qu’est-ce que vous en pensez ?​” Vous imaginez ça en prépa ?” 31

d. L’origine du professeur Face aux étudiants, les professeurs sont d’autant plus décontenancés s’ils viennent de l’étranger. Ailleurs, ils ont connu des situations très différentes. Le journal le Monde en rendait compte dans un article du 17/10/2012 titré : “La trop sage HEC bousculée par ses deux tiers d’enseignants étrangers”. Le journaliste Benoît Floc'h avait cité Kristine de Valck, une professeur néerlandaise de marketing, qui enseignait à HEC depuis huit ans à l’époque. "Il m'a fallu un peu de temps pour comprendre la psychologie des étudiants, ​déclarait-elle. ​Ils sont comme des crocodiles : ils ne disent rien et ils attendent." A l’étranger, les cours se déroulent différemment. Tous mes interlocuteurs sans exception m’ont confirmé cette différence entre l’éducation française, généralement à sens unique, du professeur vers les étudiants, et les conceptions étrangères où les élèves participent activement. Guillaume Magnaval, parti à St Gallen, déclare encore : “​Le professeur joue un rôle différent là-bas. Il est comme un animateur de débats​.” A HEC, la moitié des professeurs ont obtenu leur doctorat dans une université étrangère, selon les chiffres du classement du journal l’Etudiant. Et sur les dix dernières années, le nombre de professeurs étrangers a fortement augmenté.

E. Illustrer le choc Les quatre facteurs que nous venons de détailler, lorsqu’ils atteignent une certaine intensité, provoquent ​un choc entre le professeur et ses étudiants. Les deux parties se rencontrent et se repoussent, sans plus-value pédagogique. Bien évidemment, ce choc ne se produit pas à chaque fois, comme en témoignent les barres jaunes, vertes et violettes (les étudiants ont retenu des “connaissances théoriques et pratiques”) dans les graphiques du questionnaire. Mais on ne peut pas non plus le négliger, au vu des barres bleues et oranges foncés (les étudiants n’ont “rien” retenu). Un cours a parfaitement mis en scène ce choc : le marketing en M1 avec M. LJ Shrum, professeur à HEC depuis 2013. Il ne faut pas y voir un cas représentatif, mais plutôt un extrême. Cet exemple permet de grossir le trait, d’agrandir les difficultés, et ainsi, de mieux percevoir le schéma qui fait monter les barres bleues. Dans les autres cours, mêmes si les situations d’échecs pédagogiques sont moins nombreuses, les causes restent les mêmes, quoique plus difficiles à cerner, car leurs effets sont moins visibles. Dans la salle de M. Shrum se trouvaient tous les “mauvais” ingrédients : un grand nombre d’étudiants issus de classe préparatoire, un contenu en rupture totale avec l’avant HEC, et un professeur américain adeptes des pédagogies dialectiques.

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En 2015-2016, le professeur Shrum était responsable du cours de marketing en Grande école, mais il a laissé la place pour l’année scolaire 2016-2017 à Gachoucha Kretz et Daniel Halbheer. Il enseigne désormais en M2. La raison de cet abandon réside dans une impossibilité à faire cours. Lors de notre entrevue, dans un café près de la tour Eiffel, il raconte, d’une voix pleine de regrets : “In my class, I can teach good decision making. I teach theory, knowledge principles. And then you can apply this to every single and specific situation. But students want specifics right now. They want me to tell them the answer to hypothetical questions they’re going to get.” Je demande alors s’il a expliqué cela aux étudiants. Il répond avec un rictus : ​“Yes, If I manage to get them out of their laptops…” Il reprend: “​Students sometimes ask a good question. And I say : “I am going to work you through it.” And each time, someone invariably say : “You don’t know the answer, do you ?” They assume I don’t know the answer, if I don’t give it immediately. Whereas it is a pedagogical technique to make you work your way through to discuss it. If I don’t bring slides, they say I did not prepare class, that I am just babbling. They assume I don’t know what I am talking about. I see this on my teacher evaluations. But I read all the marketing journals. I spend a lot of time trying to figure out how to present really complicated concepts in lectures. So it is a frustration to get a negative feedback when you put a lot of efforts. And in addition, you get a negative feedback from students who don’t know anything [about marketing]. That’s hard. Imagine. You want to study a case. You notice that either people have not read the case, or that nobody wants to speak because they don’t want to say what they think. You can’t actually teach the case. Here in HEC, I have never had a case situation that went well. So, I don’t teach case.” La frustration est partagée par les étudiants. L’une d’entre eux, issue de classe préparatoire, qui a suivi le cours de M. Shrum raconte : ​“Je n’ai rien retenu. M. Shrum donnait des cas à lire, mais personne ne lisait. C’était deux mondes parallèles entre lui et nous.”

F. Les solutions pour atténuer le choc Face à ce choc, des réactions ont eu lieu. Des manières d’enseigner ont disparu, d’autres sont apparues. Des professeurs se sont adaptés, et ont été formés. Nous explorons ici les méthodes employées par l’administration et les professeurs pour atténuer ce choc.

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a. Adapter la manière de présenter les connaissances en salle de classe Des professeurs ont adapté leur manière de présenter les connaissances en salle de classe. En finance d’entreprise, le professeur Denis Gromb explique comment il ancre son enseignement dans le monde managérial : “​Nous disons aux étudiants que la finance d’entreprise est un service. A chaque cours, nous expliquons pourquoi on ne peut pas en faire dans le vide, et qu’avant de financer une entreprise, il faut connaître son business. Nous commençons toujours par discuter cinq ou dix minutes de l’entreprise : “Quelle est son activité ? Quelles sont ses caractéristiques ?”” En statistique, les professeurs ont aussi modifié leur organisation. Depuis 2013, les élèves doivent lire les documents du cours à l’avance dans leur chambre. La classe sert à travailler les exercices. Auparavant, c’était l’inverse. ​“Mais tous les étudiant ne bossent pas le cours et ne comprennent donc rien aux exercices, ​explique Gilles Stoltz, professeur de statistique, lors d’une discussion par Skype, fin août 2016. ​A chaque séance, je consacre toujours vingt minutes à un rappel des connaissances.” Dans un article de recherche paru en décembre 2013, intitulé ​“Savoir académique et savoir pratique : tension et recherche d’équilibre”, Gilles Stoltz et une professeur de statistique de l’ESCP, Corinne Hahn, proposent une feuille de route pour faire passer les étudiants d’un type de savoir à l’autre. En classe préparatoire, la portée des calculs des probabilités n’excède pas les murs de la salle. En revanche, à HEC ou à l’ESCP, le cours doit servir à prendre des décisions dans un monde réel incertain. Lorsque les étudiants prennent conscience de cette différence d’usage, ils s’intéressent bien plus à la discipline. Pour ce faire, les deux enseignants distinguent trois procédés : ● “Systématiquement relier les méthodes statistiques présentées à des contextes managériaux authentiques.” ● “Relier la méthodologie statistique au vaste monde en la reliant par exemple à la vie d’honnête citoyen. Nous pouvons ainsi, nous aussi, raconter des histoires, et illustrer le fait que les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes.” ● “S’inscrire dans la culture de l’école.” Par exemple en montrant aux étudiants comment le cours de statistiques peut servir à la Junior Entreprise ou à la campagne BDE. Ces deux initiatives en finance et en statistique montrent combien l’incarnation des connaissances dans un contexte managérial, ou tout simplement réel, facilite l’apprentissage.

b. Améliorer la pédagogie d’un professeur Quelle que soit la matière, quelle que soit la classe, ​un enseignant bon pédagogue parviendra à faire cours comme il l’entend, de manière optimale. 34

Pour appréhender les faiblesses pédagogiques des professeurs, l’administration suit avec attention leurs évaluations par les étudiants. Comme ​“le lait sur le feu”​, selon le mot d’Eloïc Peyrache. “​Nous sommes obsédés par l’avis des élèves”, ​affirme-t-il dès le début de notre entretien matinal, dans un café près de Denfert-Rochereau, à Paris, en août 2016​. Dans les évaluations des professeurs, on retrouve les mêmes divergences que dans le questionnaire envoyé aux trois promotions à l’occasion du mémoire. “​Il peut y avoir une variance importante entre les évaluations des cours d’une même matière, ​confirme Eloïc Peyrache. Nous avons des profs avec 4,9 et d’autres à 1,8.” ​En revanche, il affirme que la moyenne des cours est très élevée, généralement supérieure à 4. ​“Le vrai sujet pour nous, avec Marcelle Laliberté [directrice des études de la Grande école], n’est pas de monter la moyenne, déjà haute, mais de monter le minimum.” Mes différentes interviews indiquent que le seuil minimum acceptable se situe aux alentours de trois sur cinq. Si un professeur récolte de mauvaises évaluations, deux solutions. Premier cas de figure : il s’agit d’un professeur vacataire. Il y a de très fortes chances pour que son contrat ne soit pas reconduit. Pascal Quiry, responsable des cours de finance d’entreprise en M1 à HEC expose sa manière de travailler : ​“Je manage mon équipe. Je dis aux moins bons qu’ils doivent s’améliorer et je les y aide, compte tenu de mon expérience pédagogique. S’ils n’y parviennent pas, je mets un terme à notre collaboration. Mais je ne peux jamais être sûr à 100 % avant des les recruter qu’ils seront de bons pédagogues. Je sais que ceux que je recrute sont bons en finance, mais je ne sais pas s’ils vont bien fonctionner en tant que pédagoque. Par ailleurs, les bons enseignants sont parfois mutés hors de la région parisienne par leur employeur principal. Il y a donc un renouvellement naturel, et nous prenons forcément des risques sur le recrutement.” Second cas de figure : il s’agit d’un professeur-chercheur permanent, comme dans 80 % des cours obligatoires13. Une discussion s’engage alors avec l’administration. Un processus d’amélioration se met en place. Eloïc Peyrache résume : “​Nous formons les profs en difficulté. Nous les filmons. Pour les aider, d’autres profs aguerris, bons en pédagogie, vont s'asseoir dans leurs cours, et inversement. Nous cherchons ainsi à améliorer toutes leurs mauvaises attitudes : parler d’une voix monocorde, en tournant le dos, lire son Powerpoint... Nous leur expliquons comment aller chercher les élèves, comment les emmener où ils veulent.” Dans le département de stratégie, pour prévenir les difficultés, les nouveaux professeurs ont droit à une formation en plus en arrivant. Tomasz Obloj -qui se situe à 4,9/5- responsable du département, explique : “​Before every class we meet for three hours with all professors, and we discuss how we teach it. And it is in addition to our teaching and research hours.” Tomasz Obloj ajoute qu’il distribue en plus aux étudiants ses propres questionnaires d'évaluation.

13

​Selon le chiffre de la CEFDG (voir dans la partie I)

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Mais ces formations demeurent fondamentalement difficiles, car une bonne pédagogie renferme une bonne part de mystère. “​There is also luck, admet Tomasz Obloj. My style seems to match with what you guys like. A big part is that I have nothing to do. I don’t know how to explain it better.” ​Une de ses étudiantes donne un élément de réponse: ​“C’est un super prof, et en plus, il est super beau. Ca aide beaucoup.” Gilles Stoltz exprime aussi toute l’incertitude d’une bonne pédagogie : “Avant que nous n'inversions les exercices et les cours, nous nous en tirions en étant un super enseignant, en faisant des blagues pour capter l’attention des élèves par exemple. Et la plupart des intervenants s’en sortaient mal...” Malgré cela, les efforts pour améliorer l’enseignement portent leurs fruits, selon Eloïc Peyrache. Il affirme qu’après quelques années sur le campus, les évaluations des professeurs, en général, augmentent.

c. Introduire de la pratique L’utilisation de la pratique facilite l’apprentissage, comme le montre le score obtenu par les académies14 au questionnaire : les répondants déclarent en très grande majorité en avoir retenu des “usages pratiques”. En revanche, le résultat des programmes FACT (voir quelques paragraphes plus bas pour en avoir le détails) est plus surprenant. Une majorité d’étudiants déclare ne “rien” avoir retenu. Cela s’explique sans doute par les différences entre les missions. Il faut préciser aussi que le faible nombre de réponses à cette question fausse peut-être le graphique.

En plus de faciliter l’apprentissage, fournir un contexte pratique aux connaissances favorise leur assimilation. Il suffit parfois d’une sortie pour se remémorer une leçon durant des années, et la réutiliser. Cyprien Canivenc, entré en tant qu’AD à HEC en 2012 après une licence d’économie à l’ENS Cachan, se rappelle encore son cours de supply chain de M1. Il s’était rendu dans 14

voir p.8 pour la définition

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l’usine Mars à Haguenau (Alsace) qui produit des M&Ms et d’autres barres chocolatées. Il raconte : “​L'intérêt, c’était d’aller sur le terrain et d’appliquer certaines formules, certaines idées de supply chain en vrai, comme les goulets d’étranglement. Je m’en rappelle très bien. Et je peux le raconter en entretien d’embauche. Je révise mes notes sur cette expérience à chaque fois.” Hors du campus, il se produit encore un autre effet bénéfique : un effet fierté. “​Quand nous sortons un étudiant du campus, il reprend ses réflexes de bon élève, ​précise ​Bernard Ramanantsoa. ​Bon élève au sens noble, c’est-à-dire qu’il s’adapte très vite à son milieu. C'est pour cela que nous avons créé les GEP15, les universités16, les académies à l’extérieur… C’est aussi pour cela que nous n’avons pas de campus à l’étranger. Cela ne changerait rien. Il faut envoyer seulement deux “HEC” à Singapour par exemple. Il faut que quand ils disent qu’ils viennent d’HEC, cela ne fasse ni chaud ni froid à l’Indien qui a demandé.” Depuis plusieurs années, l’administration a créé de nouvelles opportunités de terrain avant la césure. C’est le but des programmes Field Action, plus connus sous le nom de FACT. En voici les quatre déclinaisons : ● Fact Entrepreneur : les “HEC” travaillent en collaboration avec des étudiants de l’X sur des missions de valorisation de projets scientifiques dans l’idée de créer une start-up. ● Fact Digital : une quarantaine d’étudiants participent à une mission d’accompagnement de création de start-up innovantes dans la haute technologie. ● Fact Impact : une centaine d’étudiants (40 à l’étranger, 60 en France) accompagnent un entrepreneur social, au cours de missions en partenariat avec l’association ESP’R. ​“Pour l’étranger, on leur paye le billet d’avion”​, précise Eloïc Peyrache. ● Fact Projets : les étudiants sont accompagnés dans des projets associatifs, comme par exemple le Jump HEC17 ou le 4L Trophy. Eloïc Peyrache ajoute : “​Sur l’humanitaire, on avance. Les projets actuels n’induisent pas forcément les impacts les plus positifs. J’aimerais bien un ensemble d'accompagnements pour aider tous les étudiants.” Autre initiative en faveur du terrain, l’administration a mis en place des cours électifs, avec de l’accompagnement dans le management de projet, avec des associations comme les Carrefours HEC, qui organise un grand salon professionnel en janvier, ou Fleur de bitume, qui met en place un accompagnement culturel et éducatif de jeunes issus de zones d’éducation prioritaires.

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Les GEP sont des programmes d’échange avec des universités partenaires. En L3 ou en M1, les étudiants ont l’obligation de suivre des cours dans une université française, ou de partir en GEP. 16 Les universités permettent aux étudiants de L3 d’étudier dans un bon nombre d’université en France pour décrocher une licence : philosophie, histoire, droit, sociologie, mathématiques... 17 Un concours d’équitation organisé tous les ans sur le campus, au bord du lac.

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G. Un dialogue de sourds Nous avons vu trois initiatives pour améliorer l’enseignement à HEC. Malgré ces efforts, année après année, le choc pédagogique se reproduit. Des discussions avec des anciens élèves, aujourd’hui trentenaires, m’ont appris qu’à leur époque, ils vivaient une situation semblable. Je me suis alors demandé pourquoi les professeurs et l’administration n’arrivaient pas, après tout ce temps, à améliorer définitivement les choses. Bernard Ramanantsoa m’a mis sur la voie d’une réponse. Reprenons sa déclaration plus haut : “​Quand nous sortons un élève du campus, il reprend ses réflexes de bon élève, au sens noble, c’est-à-dire qu'il s’adapte très vite à son milieu.” ​Pour expliquer ce phénomène, l’ancien directeur général évoque la fierté de l’”HEC” devant d’autres étudiants. Plus que de la fierté, il faut parler d’un environnement de confiance différent. L’opinion d’un étudiant à l’égard d’un cadre inconnu est neutre, réinitialisée. Mieux, il regarde avec un préjugé positif une université étrangère -à propos de laquelle il a sans doute reçu des échos valorisants. Il montre plus d’attention pour un cours d’université en France -surtout si ce cours lui rappelle sa classe préparatoire. Il attend avec impatience une académie hors campus -encadrée par des personnes distinctes d’HEC. A Jouy-en-Josas, en revanche, je me suis demandé si les initiatives émanant du côté des professeurs et de l’administration ne subissaient pas une méfiance permanente, des préjugés négatifs. ​Je me suis demandé si la confiance envers l’administration ne s’était pas érodée, effritée. Et surtout, je me suis demandé si cet éventuel déficit de confiance ne nuisait pas aux cours. Dans le questionnaire, on constate que la moitié des étudiants qui ont fait une demande à l’administration n’ont jamais reçu de réponse, ou après un temps très long. Seules 12 personnes sur 245 sondées, soit 4,9%, déclarent avoir obtenu “une réponse satisfaisante dans un temps raisonnable.” Tandis que 23% affirment n’avoir jamais eu de retour.

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1: I never got my answer

5: I got a satisfying answer in a​ ​reasonable time

Dès lors, un bon nombre d’étudiants voient l’administration comme une organisation opaque, peu ou pas préoccupée par leurs intérêts, par leurs demandes, par leur bien-être. Un commentaire récolté dans le questionnaire de Théo Allouch fait une comparaison excessive, certes, mais éclairante : ​“L'école fonctionne comme une bureaucratie soviétique avec un mépris souverain des élèves : nous sommes traités comme des enfants, fliqués pour la moindre absence. Mais à côté de ça, jamais personne n'est réactif à nos demandes, besoins, recommandations. Personne n'écoute jamais les élèves dans le besoin ou la souffrance. Les initiatives sont très rarement valorisées. L'administration ne répond jamais aux messages. Elle applique de façon bornée des règles même si elles sont dénuées de sens. Tout ça pour 13 000 euros par an. C’est le comité central du parti communiste de Russie sous Brejnev ! Par-dessus le marché, elle est inefficace. Pour une école qui est censée nous apprendre le libéralisme, c'est fort de café !” Il emploie des mots frappants. Il parle d’élèves dans le “besoin” et même dans la “souffrance”. C’est le cas, par exemple, de certains étudiants issus de classes préparatoires littéraires, dépassés par le niveau de mathématiques des cours de finance de marché. May Royer vient d’une khâgne à Henri IV, à Paris. Elle raconte sa première année à HEC : “La semaine de remise à niveau en mathématiques pour les littéraires, c’est trop peu. J’ai débarqué en finance de marché, archi paumée. Avec un autre ami de khâgne, on se tapait des 5. Alors que les autres ne fichaient pas grand chose, mais s’en sortaient. J’ai dû passer trois ou quatre fois le partiel et les rattrapages avant de valider. C’était horrible. Hyper humiliant. Ca n’a fait que me descendre de plus en plus. Mais je n’avais rien contre HEC à cette époque. Je me disais que c’était une école trop bien. Qui étais-je pour cracher dessus ? Mais c’est clair que j’aurais voulu plus d’accompagnement. En plus, ça m’énervait parce que ma pote de khâgne d’Henri IV à l’Essec, elle a reçu du soutien sur six mois​.” Durant son M1, la situation ne s’améliore pas pour May Royer. “​En fin d’année scolaire, j’étais en pétage de câble total. Je voulais me barrer. Je ne me suis pas sentie aidée du tout. Quand je suis allée voir l’administration, on m’a répondu que je devais valider les matières.” Elle décide alors de partir jouer du théâtre. Elle ne se rend pas à trois partiels : comptabilité II, supply chain, et méthode d’analyse des coûts. Elle envoie des emails aux professeurs pour s’excuser. ​“Les trois m’ont répondu d’une manière incroyablement encourageante. Ils comprenaient et m’encourageaient à suivre ma voie dans le théâtre.” ​Aujourd’hui, elle a définitivement abandonné HEC.

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A rebours de ce témoignage, lors de l’entretien avec Eloïc Peyrache, le directeur délégué a assuré que l’administration suivait ​“un par un” les élèves identifiés en décrochage, en organisant des entretiens réguliers et même des discussions avec leurs parents. Dans leurs deux témoignages, May Royer et l’autre étudiant estiment que l’administration ne leur prête pas attention alors qu’ils se trouvent en difficulté. Ce qui fait dire à certains que l'institution HEC poursuit des objectifs qui ne les englobent pas. Dans cette réponse au questionnaire, l’étudiant, originaire de classe préparatoire et qui rentre en césure, écrit : ​“HEC just stands on its reputation. Here is the truth : - administrative decisions are very blurred - work/study ("alternance") programs aren't possible for irrelevant reasons - students are far from being at the core of the administration preoccupations, too focused on international rankings.” Dans cet autre témoignage, un étudiant, issu de prépa et qui entre en M1, attribue à la direction d’HEC l’argent comme motivation. Il aborde ce thème à la dernière question de libre expression de l’enquête, spontanément donc : ​“Motivation for investment in the Grande Ecole courses would be for me to feel that HEC actually cares for the Grande Ecole course. But instead, we've got the impression that HEC only focuses on what brings them money. Aren’t students what HEC should focus on ?”  

En outre, cet étudiant nous ramène brutalement au coeur de notre sujet. “​Motivation for investment in the Grande Ecole courses would be for me to feel that HEC actually cares for the Grande Ecole course”. ​Il relie la crise de confiance envers les instances dirigeantes à une démotivation pour les cours.    

Cet autre élève qui entre en M2, issu de prépa, développe la même idée : la mauvaise image des personnes dans les bureaux du Batzet18 nuit à l’efficacité académique. “L'intérêt que l'administration porte à ses élèves, la manière dont elle communique avec eux, voilà ce qui me semble être la clé de tout. L'administration est perçue par ce qui me semble être la majorité des étudiants du programme Grande école comme désinvolte, voire méprisante, négligente, voire incompétente (Cf l’affaire des dossiers de candidatures jamais envoyées à l'ENS19). La communication sur des sujets comme la facturation des cours redoublés20, la suppression de la deuxième année de césure21 (sur ce point, nous avons pu comparer avec l'ESCP, malheureusement pour HEC) et d'autres sujets d'une importance incontestable pour les élèves, la communication sur ces sujet, est laconique, voire inexistante. D'où le sentiment de mépris évoqué plus haut. Deux conséquences. Premièrement, la détestation de l'administration par les étudiants de l'école retombe à tort sur une partie des professeurs, du moins sur ceux qui ne sont pas 18

Nom familier pour désigner le bâtiment de études (Batzet si on le dit vite) sur le campus d’HEC. Dans le cadre d’un partenariat académique entre HEC et l’Ecole normale supérieure, rue d’Ulm. 20 L’administration a décidé en 2015 de faire repayer tous les cours non validés après rattrapage au prorata du nombre d’ECTS. Un ECTS vaut (prix de l’année/60) = 250 euros environ. 21 Avant 2015, les étudiants pouvaient aisément demander une seconde année de césure, entre la première année de césure de stage et l’année de M2. Les demandeurs en profitaient souvent pour mener à bien un projet personnel, humanitaire, artistique, de voyage… Depuis 2015, les conditions se sont grandement durcies, sous l’effet aussi de nouvelles réglementations ministérielles. 19

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assez exceptionnels pour que les étudiants fassent spontanément la distinction. Seconde conséquence : l'école n'étant pas à l'écoute de ses élèves, les solutions et innovations qu'elle propose sont trop souvent mal comprises, mal expliquées, mal adaptées, mal reçues, parfois carrément contre-productives.” A HEC, la confiance dans les personnes qui conçoivent le programme académique est pourtant absolument fondamentale. La nouveauté des enseignements, l’utilité non immédiate des connaissances transmises font que les élèves doivent accepter de s’en remettre à ceux qui les guident. Ils se jettent en quelque sorte dans le vide car ils ne peuvent pas juger eux-mêmes de ce qui est bon à étudier. Le professeur de stratégie Tomasz Obloj compare les étudiants à des patients qui vont se faire soigner : “Education is not a service. You, as a student, have no knowledge to judge the usefulness of the piece of knowledge we give you today. The role of education is to treat you. It is like a medecine. We give it to you and we change the way you are.” Or, si vous ne faites pas confiance à votre médecin, habituellement, vous en changez. HEC n’est pas un médecin qu’on quitte. Rares sont les élèves démissionnaires. Mais cette crise de confiance produit quand même en retour des ruptures. Elle mène à des décrochages scolaires plus ou moins intenses selon les étudiants, selon les cours, selon les professeurs. C’est le genre de malaise mis en évidence par la rencontre entre Eloïc Peyrache et un étudiant de M1 à l’époque, Théo Allouch, le 23 mars 2016. Comme pour le cours de M. Shrum en marketing, ce cas n’est pas représentatif. Il épaissit néanmoins le trait pour aider à mieux appréhender le schéma de la situation. Voici donc les circonstances de leur rencontre. Pendant qu’il effectuait sa GEP au Japon, Théo Allouch n’a pas reçu de réponse de l’administration à un de ses emails. Il a alors envoyé un autre message, employant un ton un peu énervé, et mettant Eloïc Peyrache en copie. Le directeur délégué lui a répondu de venir le voir à son retour d’Asie. Avant l’entretien avec le directeur délégué, Théo Allouch a décidé d’envoyer un questionnaire à sa promotion pour recueillir d’autres avis que le sien (nous avons déjà abordé son travail plus haut dans la partie I, et nous le reprendrons aussi plus bas). En revenant, il a donc fait part de ces critiques au directeur délégué. Lors de l’entretien avec moi-même, Eloïc Peyrache se souvient : ​“J’ai trouvé ça hyper intéressant la discussion avec lui. J’ai réalisé comment ça se “détricote”, comment il ne s’intéresse plus à l’école. Je lui ai demandé : “Vous avez fait ca ? Vous avez été dans tel programme ?” Il m’a répondu: “Non, non. Je vous explique. J’ai lâché l’affaire. J’ai construit ma vie à côté d’HEC.” [Théo Allouch m’a confirmé être conscient d’avoir manqué de bonnes choses à HEC et avoir renoncé à s’intéresser à ce qui se passe sur le campus, NDR].”

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Eloïc Peyrache : ”​Ce qui est intéressant, c’est de comprendre comment Théo Allouch en est arrivé à penser cela. Il a obtenu son quatrième choix de GEP. Ensuite, il n’a pas eu son choix d’électif. Il a écrit au bureau de promotion, il voulait faire le double diplôme avec Science Po. Pas de réponse. [Théo a aussi déclaré avoir été déçu au dernier degré par les cours obligatoires et les électifs, NDR]. Il a développé une furie vis-à-vis d’HEC. Je peux comprendre son attitude. C’est important d’entendre ça pour moi. Ca m’a donné des clés. Pour l’année prochaine, j'ai demandé aux équipes d’identifier tous ceux qui vont avoir leur troisième ou quatrième choix de GEP, pour leur donner leur premier choix d’académie. Parce que je veux éviter ce genre de décrochage.” Si on analyse l’origine de ces ruptures, on voit qu’elles prennent racine dans des évènements ponctuels. A chaque fois, l’image d’une administration bienveillante et proche des étudiants s’abîme un peu plus. Ces évènements vont du plus individuel, comme une réponse jamais donnée, au plus collectif. A la dernière question de mon enquête, un étudiant qui entre en césure originaire de classe préparatoire, s’est exprimé spontanément sur le sujet. Il résume toutes les “histoires” qui le pousseraient à ne pas recommander HEC à un proche, à cause de l’administration : ​“If a member of my family or a friend ever has the choice to make between HEC and another business schooI, I am not sure I would recommend HEC... The main reasons wouldn't be the teaching (I've heard it's dreadful everywhere) but all the struggles with administration. How they forbade us to take a second gap year. How suddenly all “rattrapages” [retakes exams, NDR] were charged and we didn't know about it until it was too late. How every time we come forward with a request or a project the answer is always “no”. And that's when there is an answer. How HEC is doing everything to slowly destroy the traditions and associations that made HEC students so fond of the school. How students are sent away to GEP after 3 days of school to destinations a lot of them really didn't choose.” La décision de faire payer les cours “dévalidés”22 a déchiré un peu plus -voire beaucoup plus- la confiance envers l’administration. De très nombreux étudiants ont eu l’impression d’avoir été pris par surprise, ou pour des vaches à lait. Une pétition contre cette mesure a recueilli 394 soutiens sur change.org. La lecture du texte et des commentaires éclaire sur la manière dont cette décision a cristallisé tout le ressentiment des étudiants. Voici l’image d’en-tête et deux extraits du manifeste de la pétition, disponibles en ligne :

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Cf supra. Les cours ratés, et donc à repasser, sont désormais refacturés aux étudiants.

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Autre extrait, plus loin dans le texte : ​“[En faisant payer les cours dévalidés], l'administration d'HEC n'a pas manqué, une fois n'est pas coutume, de démontrer son caractère kafkaïen et de se désavouer auprès de ses élèves (qui ne sont autres que des clients de cet établissement).” Voici maintenant trois des commentaires, mais la totalité des réactions renvoie la même teneur (tous disponibles en ligne également). Ils reprennent des éléments vus plus haut : ● Opacité de la direction ● L’administration considèrerait les étudiants comme des préoccupations secondaires ● Cette situation entraîne des conséquences négatives sur les cours Premier commentaire : “Ce système met en évidence votre lâcheté : lorsqu'un élève a des difficultés, l'école cherche à le punir plutôt qu'à le soutenir. Les élèves ne sont plus encouragés à prendre des risques et à se tourner vers des cours électifs audacieux, avec lesquels ils ne sont pas à l'aise ... désormais, mieux vaut un bon petit électif “pipeau”, dans un sujet que l'on maîtrise déjà et dans lequel on n’apprendra rien, car l'on s'assure au moins de valider !” Deuxième commentaire : “​Nous payons déjà des sommes faramineuses pour une école dont tout le monde se plaint de l'inanité des cours. Quand allez-vous assumer vos responsabilités au lieu de faire peser votre incompétence sur vos étudiants, alors que c'est pour eux et pour assurer leur avenir que vous êtes censés travailler ?​” Troisième commentaire : ​“Cette facture s'impose à nous suite à une décision sortie de nulle part et prise -comme bien souvent- unilatéralement, sans jamais que nous n'ayons été mis au courant. Que l'école fasse enfin preuve de transparence ! Nous ne sommes pas les derniers des abrutis. Nous sommes conscients des besoins croissants de financement auxquels HEC est confrontée. Si notre scolarité coûte trop cher, je préfère personnellement que l'on m'explique pourquoi, et qu'on augmente légèrement les frais de scolarité annuels. Bref, une démarche transparente et honnête. Tout l'inverse de ce que vous venez de faire.”

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Cette crise de confiance est d’autant plus dommage que les directeurs, Marcelle Laliberté, Eloïc Peyrache et Bernard Ramanantsoa, se sont rendus disponibles chaque fois qu’un élève en a fait directement la demande, malgré une charge de travail à leurs postes déjà extrêmement importante. Quand j’ai sollicité une interview pour le mémoire, j’ai reçu une réponse dans la journée, et ils m’ont chacun accordé presque deux heures de leur temps. A ce manque de confiance, s’ajoutent les discours circulants entre les élèves. L’effet contre les cours est alors double. Dans le questionnaire, une étudiante qui entre en césure évoque la différence de perception entre ceux qui viennent de classe préparatoire, et ceux qui entrent directement en M1 : ​“Je tiens à préciser qu'on nous a tellement répété que les cours seraient inintéressants que nous avons une attitude qui n'encourage absolument pas l'investissement, ni des professeurs, ni des rares élèves qui voudraient s'impliquer. Mes amis en double diplôme m'ont tous dit que leur M1 avait été assez intense et plutôt intéressant. Nous avions pourtant les mêmes cours…” Ainsi que le soulignait plus haut l’étudiant qui entre en M2, ses camarades font des amalgames entre les professeurs, les personnes en charge de l’administratif, et les dirigeants de l’école. Les conséquences du faux-pas d’un de ces type de personnes se répercutent sur les autres. Les élèves les rangent tous sous la même bannière HEC. Ce manque de confiance envers les instances dirigeantes, et donc la quasi impossibilité du dialogue, s’inscrit dans une vieille tradition à HEC. Le président du BDE Marvel’Us en 2011-2012, Grégoire Chauvin, se rappelle de ses échanges avec les responsables de la scolarité : ​“Il y avait une incompréhension réciproque entre nous. Nous leur disions: “Vous, l’administration, vous ne comprenez pas l'intérêt de la filière campus et des associations”. Dans l’autre sens, ils répondaient: “Vous, les élèves, ne comprenez pas ce que les cours vous apportent, et l’argent qu’on investit dans les professeurs, et toutes les initiatives”. Avec le recul, je me dis qu’il y aurait moyen de faire un système éducatif qui unifie les deux, qui donne un socle de compétences en business et propose des applications concrètes dans les associations. Mais à l’époque, je n’ai pas touché un mot de tout ça. J’avais la vision : “Les cours, c’est nul, et les assos, c’est bien”. Je pense que j’étais absurde dans les arguments que j’employais.” La prise de conscience, avec plusieurs années de retard, de l’intérêt des cours produit du regret23 ​. ​Tous les ans, Eloïc Peyrache prend le temps d’appeler 80 anciens élèves pour prendre des nouvelles. Il raconte les échanges au téléphone ​: “Des élèves, j’en ai des tonnes qui me disent : “Eloïc, il faut que tu y ailles à la “shlag”. Force-nous ! Ce-n'est-pas-nor-mal ! Je me retrouve à reprendre mes cours. Je n’ai rien foutu sur le campus. J’ai pensé que c’était de la merde. J’ai eu un entretien d’embauche, et j’étais pathétique sur certains sujets vus en cours.”

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Cet axe de réflexion -les anciens ont des regrets de ne pas avoir profité des cours- mériterait d’être grandement développé. Il jetterait un regard rétrospectif sur le parcours d’anciens étudiants, et sur leurs décrochages passés.

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Objectif 2 : Former des décideurs responsables Dans cette partie, nous nous demanderons en quoi l’enseignement participe à la réussite de l’objectif 2 d’HEC : former des managers responsables. “HEC Paris a un objectif prioritaire : former une nouvelle génération de managers conscients des grands enjeux du siècle, c’est-à-dire désireux d’apporter, par leur activité professionnelle, une contribution positive et créative au développement de la performance responsable. HEC Paris entend ainsi assumer le rôle incombant aux meilleures Business schools mondiales.”24 En juin 2016, dans une note stratégique, Peter Todd a souligné l’importance de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans les objectifs de l’école, aux côtés de la digitalisation et de l’entrepreneuriat. Sur France Info, le 20 juillet 2016, Bernard Ramanantsoa déclarait : ​“Un vrai leader prend le temps de réfléchir au sens de son action. Il réfléchit aux implications sociales, et pas seulement économiques, des choix qu’il faits, ou ne faitspas. Un vrai leader n’est pas une brute. Il n’a pas adopté le slogan : “Tout droit, c’est devant !”” Mais cette responsabilité, ici exprimée, s’entend de deux manières : personnelle et sociétale. On imagine en effet difficilement une génération de managers responsables et conscients ​“des grands enjeux du siècle”​, mais pas responsables d’eux-mêmes. L’enseignement d’HEC joue un rôle dans les deux cas. Mais un rôle différent. Partons dans un premier temps de l’individu, de l’étudiant. Nous élargirons ensuite dans un second temps la réflexion à des enjeux de société.

A. La responsabilisation individuelle Dans la responsabilisation personnelle, l’enseignement joue un rôle indirect, mais capital et indispensable. Paradoxalement, la faible pression académique permet en effet à l’étudiant de prendre le temps de la réflexion sur sa vie future. Mais cet effort demande une implication qui fait défaut à certains.

a. Une faible pression académique

24

On peut lire ce texte sur le site internet d’HEC, dans la partie “Qui sommes-nous ? / responsabilité sociale”.

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Par rapport à la classe préparatoire, les cours sont relativement faciles à HEC25. Il n’existe pas de contrainte académique forte sur le résultat. A de rares exceptions près, tous les élèves qui entrent à HEC en sortent diplômés. Les répondants au questionnaire déclarent ainsi en majorité ne pas avoir été mis au défi par l’enseignement.

1: No challenge at all

5: Challenge was very tough

L’un d’eux avoue même : ​“I even passed an exam without attending a single class…” ​Un ADI entré en 2012 se souvient : ​“A HEC, tout le monde m’avait dit : “tu verras c’est tranquille, c’est une année de colo.”” ​Un autre ADI entré en 2012 déclare encore : ​“Je suis devenu paresseux à HEC. Quand j’ai remarqué qu’il ne fallait pas grand chose pour valider le premier semestre, je me suis relâché pour le deuxième.” Et pourtant, il serait facile pour l’administration de mettre plus de pression. Bernard Ramanantsoa, avec un sourire indulgent, explique : “​Durcir la pression, je ne l’ai jamais fait, peut-être par souvenir personnel de dureté de la prépa [scientifique, au lycée Sainte-Geneviève de Versailles, NDR]. En plus, ce serait facile. Le discours est tout trouvé : “Il ne faut pas de rupture trop brusque.” Et c'est facile pédagogiquement à mettre en place. Il suffit de demander aux profs de durcir la notation, et puis de la respecter en jury. Si demain vous dites que 20% des gens redoublent, il va se passer des choses, vous allez voir !” Les élèves non plus ne s’imposent pas beaucoup de pression pour décrocher les meilleures notes. A l’ESADE, à titre de comparaison, en Master finance, la pression sur les notes contraint fortement les élèves. Louise Aubert, étudiante de Grande école, diplômée en 2016, et qui a fait un double diplôme dans la business school de Barcelone en 2015-2016, raconte 25

Sauf pour les élèves issus de Khâgne en finance de marché en L3. Dans mon questionnaire, une étudiante déclare : ​“Très “challengée” par la difficulté mathématique des matières avec des chiffres car je viens de prépa littéraire : finance, statistiques et même compta. TRES DIFFICILE pour quelqu’un qui n'a pas fait un seul calcul depuis quatre ans.”

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: ​“Si on avait trois matières sur cinq au rattrapage (pas dévalidées, juste au rattrapage), on se faisait virer. Quatre personnes se sont faites virées comme ça, au bout de trois mois. Tout le monde veut A+, les meilleurs résultats possibles. Ils publient le classement du Master. Il y a une espèce de compétition positive. A HEC, du moment qu’on a E… ”

b. Pour autant, devrait-on mettre plus de pression à HEC ? Je me suis longuement posé la question. Je repensais, sceptique, à des remarques du genre : ​“Les élèves ne fichent tellement rien qu’un bon coup de discipline pour les mettre au travail ne leur ferait pas de mal.” Mais d’un autre côté, la pression ne porte pas forcément ses fruits. A l’université Luigi Bocconi à Milan, la tension sur les cours est plus forte, mais pas forcément plus productive. Un ADI, parti là-bas en double diplôme, se rappelle : ​“A la Bocconi, j’ai souffert. Que du “par cœur”, au mot près. C’est vraiment le contraire d’HEC. En plus, certains cours étaient en mauvais anglais, et on devait recracher aussi du mauvais anglais.” Pour m’éclairer, j’ai contacté Claire-Marine François-Poncet, la psychologue du campus depuis vingt-ans, elle-même ancienne HEC. Selon elle, contraindre les L3 et les M1 avec plus de pression externe n’est pas souhaitable, car les élèves doivent quitter l’adolescence en arrivant à HEC. Cette entrée dans l’âge adulte nécessite l’absence de pression académique forte pour favoriser l’intériorisation des contraintes, l’introjection du surmoi, pour parler en termes de psychanalyste. Claire-Marine François-Poncet explique le mécanisme : “En L3, l’entrée en école et la fin de la prépa marquent une rupture qui provoque certaines désillusions et certaines déceptions. Mais c’est une rupture qui a un sens. Les élèves aimeraient s’engager dans une filière d’élite, tout en étant pris en charge et encadrés, tout en faisant l’économie de tout le travail d'autonomisation et de responsabilité de leur propre cursus, et de leur propre destin. Au contraire, en Grande école, on va leur demander de se prendre en charge, de se responsabiliser. Cela se fait de façon assez brutale. Ils doivent quitter un cocon, la prépa, où ils étaient pris en charge, maternés, et où ils rencontraient des substituts parentaux auprès des profs. En école, on donne énormément de liberté aux étudiants. Cette liberté coïncide paradoxalement avec le temps du choix et des renoncements. Généralement, c’est très fécond. Très rapidement, les étudiants investissent des choses qui leur plaisent, des associations par exemple. Au sein des grandes écoles, personne n’ignore la radicalité de cette rupture. Mais il est nécessaire, en quelque sorte, que les élèves accouchent d’eux-mêmes. L’avantage du système des grandes écoles, c’est qu’il donne aux étudiants le temps de choisir ce qu’ils aiment et ce qu’ils veulent devenir.​” Ils disposent effectivement de quatre ou cinq ans, selon le choix de faire une seconde césure ou non. 47

Et cette invitation à réfléchir sur eux est d’autant plus nécessaire que la majorité des étudiants entrent à HEC sans idée précise de leur futur. A la question, “Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer HEC ?” 63,7 % des répondants déclarent ne l’avoir pas vraiment décidé. Ils étaient juste bons au lycée, puis ils étaient bons en classe préparatoire, donc ils ont réussi le concours.

Les réponses possibles dans l’ordre (les sondés pouvaient cocher plusieurs cases) : ● "I chose HEC for the quality of education programs" ● "I wanted to get a good network" ● "I wanted to earn a lot of money" ● "I did not really choose HEC. I was good in high school with no precise idea for my future so I integrated a prepa. Then, I was good in prepa, so I integrated HEC" ● "I knew I could get the job I wanted after HEC"

La relative facilité à valider les matières permet ainsi à l’étudiant d’adapter l’intensité de son investissement personnel aux domaines qui lui plaisent, qu’il considère comme importants pour son avenir. ​« Cette pédagogie nouvelle en grande école, qui n’est plus scolaire, renvoie certains à eux-mêmes, ​reprend Claire Marine François-Poncet​. Cela les invite à réfléchir sur eux.” ​ L’étudiant ne travaille plus pour un concours mais pour son développement personnel. Cette raréfaction de l’exigence scolaire a été mise en évidence par Yves-Marie Abraham dans son article Du souci scolaire au sérieux managérial, ou comment devenir un “HEC” (2008). Il parle d’une ​“neutralisation du jeu scolaire”​, incarnée par une facilité à valider les cours, une absence de distinction des meilleurs, et un fort laisser-aller académique des élèves. Selon le chercheur, le but de cette “neutralisation” est la conversion vers une attitude de manager. Le futur dirigeant ne doit plus se comporter comme un élève. En revanche, pour la psychologue d’HEC, cette “neutralisation” est une invitation à faire réfléchir les élèves sur leur responsabilité dans l’élaboration de leur destin, pas forcément en tant que cadre.

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Au MIT aussi, le souci scolaire s’efface devant la responsabilisation personnelle, jusqu’à pousser les étudiants à jouer avec les règles. Emmanuel Limal, entré en AD à HEC et parti faire le double diplôme au Massachussets en 2015, raconte son impression : “Au MIT, tout le monde a un bon GPA parce que les notes importent peu. On n’a jamais vu quelqu’un avec 100% de bonnes réponses devenir forcément un CEO. Pour réussir, les gens bons doivent désobéir. C’était le message du speech de rentrée [prononcé par Megan Smith, en charge des questions technologiques auprès de Barack Obama et ancienne vice présidente du laboratoire Google X, NDR]. On ne repousse pas les limites de la connaissance en réussissant des exercices convenus.”

c. Le rôle nécessaire des élèves dans leur responsabilisation Pour que l’invitation à réfléchir dont parle la psychologue produise l’effet escompté, les étudiants doivent s’investir personnellement en temps et en effort. Malheureusement, ils ignorent -souvent inconsciemment- cette invitation. Dans le questionnaire, ce répondant, issu de prépa et qui entre en césure, prend la mesure de la tâche ardue qui repose sur lui : ​“En sortant de prépa, on s'attend à ce que ce soit nos cours qui continuent de nous développer. On a tendance à rejeter HEC et son enseignement parce qu'on n’est pas habitué à être responsable de notre propre développement intellectuel. Je ne dis pas que HEC ne doit pas nous offrir l'occasion de continuer à le faire dans le cadre de l'école. Ce que je dis, c'est qu'on arrête de progresser parce qu'on ne prend pas en main notre progression. Sans l'objectif du concours, on a du mal à orienter nos capacités.” La question qui se pose alors est de savoir si les étudiants orientent effectivement leurs capacités, prennent effectivement en main leur progression, dans ce contexte de plus grande liberté académique. Les résultats du questionnaire indiquent que les années de L3 et de M1 échouent à rendre responsables beaucoup d’étudiants sur le plan académique. Une grande partie des répondants déclarent que leurs compétences linguistiques et leurs capacités intellectuelles se sont détériorées dans l’école. Et pourtant, les occasions ne manquent pas de parler des langues étrangères, avec les professeurs et les étudiants d’autres pays, ou lors des échanges. Les occasions ne manquent pas non plus de créer et de participer à des projets compliqués et exigeants. Encore faut-il les chercher.

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, 1: ​My language skill level deteriorated

  1: My intellectual capacities deteriorated

5: My language skill level improved 

5: My intellectual capacities improved

En parallèle, des événements formateurs sur le campus ne trouvent pas leur public. Par exemple, lors de notre interview, Eloïc Peyrache déclarait : “​Il y a quatre ans, nous avons monté une formation de code sur plusieurs week-ends. 50 élèves seulement sont venus. Pas 300 !” Autre constat, des attitudes scolaires demeurent en L3 et en M1. Dans le questionnaire de 2012, envoyé aux L3 par les délégués de promotion, on retrouve la volonté des “HEC” de se lover dans un cocon académique semblable à la classe préparatoire : ​“Les étudiants sont déçus par le niveau des cours proposés après le niveau exigé en prépa. Ils souhaiteraient 50

des cours d’une plus grande exigence, moins généraux et plus profonds, moins déconnectés de la réalité de l’entreprise.” ​Et les délégués de proposer : ​“Aller plus en profondeur dans les cours et mieux souligner ce qui est important pour notre vie professionnelle, détailler les concepts clés…” La proposition ​“mieux souligner ce qui est important pour notre vie professionnelle” dénote un refus encore prégnant de faire ses propres choix. Comment, en effet, un professeur pourrait-il savoir ce qui est important pour la vie professionnelle d’un étudiant à sa place ? “Les étudiants ont parfois un comportement extrêmement scolaire, ​regrette Pascal Quiry, responsable des cours de finance d’entreprise en M1 à HEC. ​Ainsi, dans les tests, ils demandent le nombre de points par question. Je refuse toujours.” ​L’enquête menée par les délégués de promo en 2012 le confirme : ​“La plupart des étudiants trouvent la notation opaque et aimeraient plus de détails.” Quant au comportement en classe, le processus de responsabilisation connaît aussi des à-coups. Dans l’article du Monde cité plus haut, Kristine de Valck, la professeur de marketing avait déclaré : ​“Les élèves français se comportent comme des petits enfants. Un jour, en cours, à l'un qui se comportait mal, j'ai dit : “Maintenant, tu quittes la salle !” Il est sorti… Jamais un étudiant néerlandais ne serait parti. Il m'aurait tenu tête en me disant : “Je suis adulte, vous n'avez pas à me traiter comme ça !”” Plus tard, à la sortie de l’école, il est probable que des “HEC” n’auront pas été au bout de leur responsabilisation. ​“Pour certains étudiants, le conseil26, c’est une recherche de vocation qui tarde, ​explique la psychologue. ​Pour eux, c’est la voie naturelle pour ne pas choisir, pour ne renoncer à rien. ​Ils se laissent toujours énormément de portes ouvertes. Ils peuvent se dire : “A 30 ans, je connaîtrai suffisamment de secteurs et d’entreprises”. Mais à côté de ça, il y a aussi bien sûr aussi des personnes avec de vraies vocations de consultants. » Lors de notre entretien, Eloïc Peyrache a confirmé cette analyse : ​“Il y en a qui font du conseil parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils ont envie de faire. Ils ont l’impression qu’ils se gardent des portes ouvertes. Le sujet, c’est comment on leur dit : “Réponds à cette question en école.” Il y a des choses très intéressantes en conseil, mais j’aimerais que les étudiants qui s’y engagent le fasse pour ces choses intéressantes, et pas par défaut. Ou pas parce que c’est “classe”, ou parce que des potes l’ont déjà fait.”

d. Deux initiatives qui font réfléchir A la frontière de l’enseignement tel que défini dans mon mémoire (des activités qui rapportent des crédits ECTS et organisées directement par HEC), deux initiatives qui stimulent cette réflexion sur soi ont été créées.

​29% des étudiants de la promotion 2015 de Grande école se sont tournés vers le conseil, selon les chiffres du services carrière disponibles en ligne. 26

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A la rentrée de 2015, le jour où les nouveaux de L3 arrivent sur le campus, une soirée innovante les attendait. A la place de la traditionnelle fête (qui a eu lieu le lendemain), le philosophe Bertrand Vergely a tenu une conférence sur le thème : “Devenir soi”. Puis, les jeunes “HEC” ont assisté à neuf mini “TEDx talk” d’étudiants de M2 ou d’anciens. Bénédicte Faivre-Tavignot est une des personnes à l’origine de cette soirée. Elle est la directrice executive du centre Society & Organization (SnO), qui a pour fonction d’intégrer l’innovation sociale dans l’enseignement d’HEC. Elle est aussi à l'origine du Master Développement Durable. Elle raconte : ​“Chaque intervenant a raconté son parcours à HEC, et ce qu'il a vécu d'extraordinaire en créant une entreprise, en partant à l’étranger, en participant à Fact Planet. A chaque fois, le message, c'était : ”Soyez acteur. Interrogez-vous sur ce que vous voulez vivre, sur ce qui compte pour vous. Ne suivez pas tout ce que disent les copains.” La seconde initiative se nomme Reinvent 2035. Peu avant la rentrée, au moment où certains effectuent le séminaire à St Cyr27, une quarantaine d’étudiants, sur la base du volontariat, ont suivi cet autre séminaire dans les salles d’HEC. Les élèves se sont répartis sur cinq entreprises de cinq secteurs : l’éducation avec HEC, l'alimentation avec Danone, l’énergie avec EDF, la mobilité avec Uber, le transport avec Airbus. Ils ont dû se projeter et imaginer les transformations géopolitiques, sociales, sociétales et technologiques de leur environnement, afin de produire quelques recommandations stratégiques. Bénédicte Faivre-Tavignot, également une des personnes à l’origine du projet, conclut : ​“Il s’agissait pour eux de penser les mutations, et de réfléchir à comment ils peuvent devenir acteur d’un monde en pleine transformation.”

B. Responsables envers la société Après la question de la responsabilité personnelle, vient la question de la responsabilité envers la société. Les étudiants par leur ​“conscience des grands enjeux du siècle” doivent contribuer au ​“développement de la performance responsable”​, selon l’objectif affiché de l’école. A l’heure actuelle, les étudiants de L3 et de M1 sont divisés sur la question de l’intégration effective d’enjeux éthiques dans les cours.

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En partenariat avec l’école spéciale militaire de St Cyr, une centaines d’étudiants participent à des ateliers pratiques en terrain militaire sur le thème du leadership.

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1: ​I have never heard ethics 

5: I have heard ethics in every course

L’enseignement joue ici un rôle direct puisque les enjeux environnementaux et sociaux peuvent faire partie des syllabus de cours.

a. Intégrer des enjeux sociaux ou environnementaux dans les cours Les enjeux sociaux et environnementaux prennent peu à peu racine dans les salles de classe, même si le processus est lent et coûteux, dans la préparation des cours, comme dans leur transmission. Illustration en cours de stratégie. Le professeur Tomasz Obloj, responsable du département, enseigne le cas Armor. L’entreprise Armor produit des encres industrielles dans la région de Nantes. La direction a choisi de ne pas entrer en bourse, pour ne pas subir les contraintes à court terme des marchés financiers, et accorde une importance particulière à la croissance durable. Pour préparer ce cas, Tomasz Obloj a passé quatre jours à Nantes, au siège, pour comprendre leur manière de travailler. Il a enregistré environ quinze heures d’interview, qu’il a écoutées en boucle pendant plusieurs jours. ​“To understand the firm, you have to be a part of the firm”, ​résume-t-il. Apprendre à enseigner un cas demande encore plus de temps : cinq ans, selon le professeur Obloj. ​“Case are like a puzzle. It is a description of a firm. You have to figure out which decisions are really important, how to analyze best competitive environment, how to explain the phenomenon best.

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Danone is doing a lot of social initiatives. You can teach it by saying : “Danone is doing a lot of social initiatives”. This is how we started teaching, the first year. Fine. You can say Danone does it maybe because Emmanuel Faber is just a good guy. Fine, he is. But it does not teach you anything. The second year, as a teacher, you try to understand why they actually do that. The third year, you try to understand how social initiatives feed back to their core business. And since case is always a discussion with students, since I am only a moderator, the only way I learn teaching case is by teaching students. This is why it takes so long.” D’autant que le cas Danone est seulement enseigné pendant trois heures dans chaque session de 36 heures de cours. A l’échelle de l’école, l’intégration de ces enjeux dans les cours se fait au cas par cas. Bénédicte Faivre-Tavignot, du S&O, liste les initiatives : ​“Un nombre croissant de professeurs s’intéressent aux dimensions environnementales et sociales. En supply chain, Sam Aflaki s’est passionné d’économie circulaire, et intègre ces sujets dans ses cours. Dans le département marketing, nous avons Frédéric Dalsace et Kristine de Valck. Cette dernière introduit une réflexion sur l'éthique dans le digital. Avec Joëlle Evans, nous avons créé le cours ethics and sustainability, etc​. ​Mais il reste encore beaucoup à faire.” Eloïc Peyrache le reconnaît : ​“Nous n’enseignons pas encore assez ces enjeux​. ​Certes, nous proposons le cours ethics and sustainability, les académies qui tournent autour des 80 femmes de banlieue que nous accompagnons28, les programmes FACT Planet... Il y a de l’offre. Mais ce sont encore des choix trop électifs, trop “exclusifs”. Les étudiants qui veulent passer à côté de ces enjeux le peuvent. Notre sujet, aujourd’hui, c’est comment intégrer dans tous les cours obligatoires ces dimensions-là.” Et les barrières qui se dressent ne se nomment pas seulement temps et argent. ​“Je ne veux pas qu’un prof vienne me dire quoi penser sur l’environnement”, ​déclare un alumni HEC, lors d’une conversation au téléphone, alors que nous débattons de l’intégration de ces enjeux, à la fin de l’été 2016. Il est pourtant possible de les enseigner en conservant une certaine neutralité, au sens de laisser à l’étudiant le choix moral final, mais en s’assurant qu’il dispose de toutes les prémisses dans son raisonnement. Ce type d’enseignement demande un effort supplémentaire de la part du professeur car, lorsque ces enjeux entrent en conflit avec l’objectif de maximisation du profit, la situation se complique. Illustration, à nouveau, avec le professeur Obloj ​: “If you have only one objective, like maximising profit, you can solve the problem. But if you have multiple objectives, there is no solution. So, you have to prioritise. But if you prioritise objectives, you put a constraint. It is a 28

A travers le programme “Stand Up HEC”, l’école accompagne 80 femmes du 93 qui créent leurs entreprises. “​Nous dépensons tellement d’énergie à mettre en place ce dispositif que nous ne prenons pas le temps de le faire assez savoir​, regrette Eloïc Peyrache. ​Peu de gens sont au courant.”

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slightly more sophisticated version of maximisation. It is much more difficult to teach. So I think this is the shortcut that professors may make : teaching things that are simpler to teach.” Tomasz Obloj reprend : “Is it our role to teach students which objective to prioritize ? I am not sure. But is it our role to teach students to be very conscious of which objective they are prioritizing by making specific decision, to be very conscious of the implication of their decision ? Then yes, it is our role.”

b. Responsables dans l’école, et après ? L’intégration de ces enjeux dans l’enseignement d’HEC renferme, à mon sens, une portée considérable après l’école. Car les “HEC”, par leur omniprésence aux plus hautes fonctions managériales, jouent des rôles décisifs dans l’économie. Prenons un exemple qui illustre parfaitement le primat du profit sur l’environnement : le scandale des tests faussés de pollution automobile. Reprenons les faits29. Les résultats des contre-expertises indiquent que les véhicules semblent avoir été programmés pour donner des niveaux de pollution acceptables lors des tests, mais pas après, en utilisation normale. Volkswagen a été le premier constructeur mis en cause aux Etats-Unis. Le groupe allemand a d’ailleurs provisionné 16 milliards d’euros en avril 2016 en prévision d’une éventuelle amende. Mais il pourrait y avoir d’autres constructeurs mis en cause. En France, Ségolène Royal, la ministre de l’environnement, en septembre 2016, a mis sur pied une commission pour tester à nouveau 100 modèles de véhicules de toutes les marques : Renault, PSA, Audi, Opel… Les résultats de l’Utac (la société qui effectue les nouveaux tests) indiquent que 86 véhicules sur 100 polluent plus en réalité que lors des tests officiels précédents, notamment sur les modèles Renault Captur, Clio IV, Audi Q3 et Fiat 500X. Au risque de passer pour un naïf, je ne peux m’empêcher de penser que si les managers coupables ou complices avaient étudié efficacement en cours, à l’école, comment et pourquoi tenir compte de l’environnement dans leurs décisions, la fraude n’aurait peut-être pas pris cette ampleur.

c. Le langage utilisé environnementaux ?

29

en

cours

s’oppose-t-il

à

des

enjeux

sociaux

et

Lire l’enquête dans les Echos du 14/09/2016: “Diesel, la boîte de Pandore est ouverte”

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“Les cours transmettent un vocabulaire managérial. Mais il y a un piège dans lequel ne pas tomber : il ne faut pas que ce vocabulaire se transforme en idéologie”, ​avertit Bernard Ramanantsoa lors de notre entretien. Sa phrase m’a laissé pensif. Un vocabulaire d’enseignement qui se muerait en idéologie ? J’ai voulu tirer le fil de ce raisonnement, en me demandant si l’usage d’un certain langage en cours pouvait effectivement installer dans la tête des étudiants un ensemble cohérent de pensées qui orienteraient leurs décisions managériales. Mieux, je me suis demandé si cette idéologie pouvait aller à l’encontre, précisément, des enjeux sociaux et environnementaux que nous explorons depuis quelques pages. Le linguiste Claude Hagège apporte une réponse. Dans son ouvrage intitulé ​Contre la pensée unique ​(Odile Jacob, 2012), il dénonce l’usage à outrance de l’anglais comme le vecteur, le véhicule, d’une pensée néolibérale qui cherche à maximiser les profits financiers sans autre considération. Selon lui, cette idéologie, et la langue qui la transporte, ont été répandues par les Etats-Unis après la Deuxième Guerre mondiale, mais se développent aujourd’hui d’elles-mêmes en Europe et en Asie du Sud-Est. Pour s’y opposer, l’ancien titulaire de la chaire de théorie linguistique au Collège de France défend la diversité des langues face à l’omniprésence de l’anglais, en particulier dans les écoles de management. Dans un texte publié sur lenouveleconomiste.fr, qui reprend la thèse de son ouvrage, il écrit : ​“Je dénonce la position monopolistique d'une langue qui façonne les esprits, les idées et impose une conception unique du monde du fait du manque de diversité. L'anglais s'impose désormais comme support de la pensée unique au service de la dictature de la pensée néolibérale car il façonne des représentations mentales. Personnellement, je ne suis pas en guerre contre l'anglais mais déplore simplement sa position de monopole et le grave manque de diversité des langues. Les conséquences de cette uniformisation se font jour dans de nombreux domaines : la recherche scientifique, le droit, l'économie et la vie des affaires. Je prédis de graves lendemains à cette pensée néolibérale qui domine le monde aujourd'hui car elle favorise l'enrichissement continu d'une toute petite poignée d'humanité et, du même coup, l'appauvrissement tout aussi continu d'une immense proportion. Cela peut un jour se terminer dans une très grande violence car cette pensée n'est pas faite pour négocier. (...) Dès lors, ce qui en est le support, le vecteur de la pensée néolibérale, c'est la langue anglo-américaine. A l'origine, les Etats-Unis en déclin, moins puissants qu'ils ne l'ont été durant les trois décennies ayant suivi la Seconde Guerre mondiale, ont évidemment été les porteurs de cette idéologie, prenant la suite de la Grande-Bretagne qui, avec Adam Smith et tous les partisans du libre-échange, ont inventé le “free trade”. Nous avons donc ici affaire à une pensée forte dont le support linguistique est l'anglo-américain, du fait que les pays qui l'ont le plus développé et appliqué en l'imposant quasiment au reste du monde sont les pays anglophones.

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En France, beaucoup de grandes écoles vendent de la mercatique, mot français que personne n'emploie. Beaucoup vendent également de la direction - je ne dirai pas “management”- dans des “management schools”. Nombre de grandes écoles réputées, dont HEC (...) recrutent énormément d'anglophones, en France mais aussi ailleurs. (...) Les promoteurs de l'anglo-américain ne sont pourtant qu'une poignée. Ce sont les directeurs de grandes écoles, de banques ou d'entreprises multinationales. Ils ne représentent qu'un infime pourcentage par rapport à tout le monde, à commencer par leurs subordonnés ; ainsi, en conseil d'administration, ils imposent des débats en anglais à des gens qui ne sont pas anglophones, sans se rendre compte que c'est contre-productif.” Est-ce à dire qu’il faut refouler d’HEC les étudiants anglophones ou les forcer à parler français ? Assurément non. En revanche, ​“ce qui est dans la vocation du monde, de l'espèce humaine, pour des raisons presque autant biologiques que politico-sociales, c'est la diversité”, ​poursuit Claude Hagège. Or, cette diversité se réduit comme peau de chagrin dans le champs du vocabulaire managérial enseigné en école, et parlé en entreprise. Il est aujourd’hui plus que courant de croiser des managers (pardon, des cadres) incluant des mots empruntés à l’anglais dans chacune de leurs phrases ; ou de visiter des bureaux, en particulier dans les start-up (ou plutôt, dans les jeunes pousses), où tous les écriteaux figurent en anglais ; ou, comme le dit Claude Hagège, de procéder intégralement en anglais à des réunions, à des échanges d’emails, à des calls (pardon, à des appels téléphoniques). Pour bien illustrer comment se niche cette pensée économique agressive dans le langage, prenons l’exemple d’un mot : “disruption”. Aujourd’hui, ce terme anglais noyaute un nombre incalculable de discours de créateurs d’entreprises innovante, en France. Quel “startupper” n’a jamais rêvé de “disrupter” son marché ? “Disruption” était aussi le titre de la présentation d’introduction au séminaire de l’école de code 42 pour HEC, le 13/03/2015. On le retrouve également dans l’interview de Peter Todd “How does digital disrupt education ?” Enfin, du 12 au 14 septembre 2016, le grand média américain de l’univers de la “tech”, TechCrunch, a organisé un concours intitulé “TechCrunch Disrupt”. Bref, on se bat aujourd’hui pour être celui qui “disrupt” le mieux. Pourtant, à l’origine, ce mot revêt une connotation éminemment négative. En bon français, “to disrupt” se traduit par “perturber, déranger, troubler”. Le site wordreference.com donne deux exemples de phrases : “​The war disrupted millions of people's lives” (“La guerre a perturbé des millions de vie”) ; et, ​“The student was given detention for disrupting the class.” (“Cet élève a été mis en retenue pour avoir perturbé le cours”). Aujourd’hui, la connotation négative s’est évaporée. Voici la première phrase de la page Wikipedia “disruptive innovation” : ​“A disruptive innovation is an innovation that creates a new market and value network and eventually disrupts an existing market and value network, displacing established market leading firms, products and alliances.” Disrupt signifie à présent “créer un nouveau marché, créer de la valeur, en déplaçant un ancien marché” (on note le bel euphémisme “displacing”, “déplacer”, qui signifie en fait “remplacer” les entreprises déjà en place). 57

En français, les connotations négatives de “perturber” ou “déranger” ou “troubler” ont résisté. Qui aurait envie de “perturber” un marché ? On a donc importé les anglicismes “disrupter” ou “disruption” affublés de leurs connotations mélioratives. En revanche, bien que les connotations négatives se soient envolées, l’action reliée au mot demeure bel et bien : prendre plus ou moins violemment la place d’acteurs déjà présents. Bien évidemment, certains marchés qui fonctionnent mal, soumis par exemple à des forts corporatismes, ont besoin d’être “perturbés”, “troublés” dans leur inefficience. Mais l’utilisation de ces mots en français poussent à s’interroger sur le bien-fondé de l’action du startupper qui va attaquer tel ou tel marché. L’utilisation du terme “disrupter” pousse juste à applaudir, comme à la finale du concours TechCrunch Disrupt. “Disrupt” complexifie -voire supprime- le questionnement sur les enjeux sociaux. Comment rendre cohérent le bouleversement d’un marché en écrasant les entreprises en place, et le respect des travailleurs de ces entreprises ? Comment même rendre cohérent “disrupt” avec le respect de ses propres salariés -ou micro-entrepreneurs, à vélo ou en VTC- puisqu’on se lance dans une bataille concurrentielle sans merci ? Ce changement de connotation en anglais d’une part, et l’importation de cet anglicisme en français d’autre part, normalisent et même encouragent des comportements économiques de rupture, de conquête, d’agression. Des comportements qui ne font pas forcément la part belle à la “performance responsable”. Des comportements évoqués par Claude Hagège lorsqu’il écrit, dans le texte reproduit plus haut : “​Cette pensée n'est pas faite pour négocier”.

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Partie III : Recommandations La dernière partie du mémoire expose des recommandations pour améliorer l’enseignement à HEC, c’est-à-dire atteindre plus efficacement les deux objectifs : donner des connaissances fondamentales en management ; former des décideurs responsables. Ces dix recommandations s’appuient évidemment sur les parties I et II. Parfois, elles s’attaquent aux causes des blocages et proposent des solutions ; dans d’autres cas, elles prolongent les idées déjà en cours d’application. J’ai estimé les moyens humains à mettre en oeuvre pour chacune. Je les ai ensuite classées de la plus économe à la plus gourmande en énergie. Je les ai aussi groupées en trois grandes orientations : ● Communiquer ● Associer ● Pratiquer

Communiquer Ce premier temps répond au blocage identifié dans la partie I, objectif 1, G : Un dialogue de sourds. Nous y avons vu que de nombreux étudiants considèrent l’administration comme opaque, et peu préoccupée par eux. Cela nuit directement à l’attitude en cours, et provoque des préjugés négatifs sur les initiatives pédagogiques. Communiquer, je crois que c’est le point fondamental. Les étudiants ont besoin de parler. “Merci de nous donner l’occasion de nous exprimer,” ​écrivaient plusieurs étudiants dans le questionnaire et dans des emails. Sans une amélioration du dialogue entre les étudiants, les professeurs et l’administration, améliorer l’enseignement s’apparente à remplir un tonneau des Danaïdes30. D’autant que les solutions pourraient être mises en oeuvre sans gros moyens humains.

Recommandation 1 : formaliser des canaux de discussions Je propose de mettre en place un ou des espaces formalisés de discussion, c’est-à-dire avec une régularité connue, un ordre du jour défini à l’avance, et une liste de participants réguliers, incluant des représentants des élèves, des professeurs, et de l’administration. L’idée est de montrer aux “HEC” que leurs demandes ne restent pas lettre-morte. Dans la mythologie grecque, ​les Danaïdes, les cinquante filles du roi ​Danaos​ d’Argos, sont condamnées à remplir sans fin un tonneau troué, aux Enfers. 30

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Le Conseil de la vie étudiante (CVE) pourrait remplir ce rôle. ​“Nous l’avons relancé, ​déclare Eloïc Peyrache, lors de notre entretien. ​Nous tenons des réunions tous les mois.” Autre avantage, les difficultés évoquées par les étudiants dans le CVE pourraient constituer un nouvel outil de pilotage de l’enseignement, aux côtés des évaluations des professeurs.

Recommandation 2 : publier des données Publier les comptes-rendus des réunions Une instance de dialogue ne produira pas l’effet escompté sans une bonne transparence des discussions. Pour cela, je recommande de publier les compte-rendus de toutes les discussions formelles, comme par exemple de celles dans le cadre du CVE.

Publier les bilans des enquêtes auprès des anciens élèves Tous les ans, les jeunes diplômés répondent à un questionnaire général sur leur scolarité. Je préconise la publication d’un résumé des grandes tendances, et de témoignages particuliers. J’y vois deux bénéfices : ●



Prouver aux étudiants de L3 et M1 que les avis d’autres élèves sont lus et analysés, donc que l’administration ne les ignore pas. Cela répond encore à la partie “Dialogue de sourds”. Exposer aux étudiants de L3 et de M1 leur avenir. Ces parcours plus avancés constitueraient des sources d’inspiration, et contribueraient à inscrire l’utilité de l’enseignement dans les quatre ou cinq ans d’HEC. Par exemple, les cours qui transmettent des connaissances théoriques, non utilisables immédiatement, et qui tranchent avec les cours de “prépa” seraient perçus avec plus de crédibilité (un des facteurs du choc entre professeurs et étudiants expliqué dans l’objectif 1).

Une étudiante de Grande école issue de prépa, diplômée en 2015, se posait justement la question du devenir de ses réponses à cette enquête : “J’ai pris un certain temps pour remplir l’enquête des jeunes diplômés. Mais je n’ai eu aucun retour. Je ne sais même pas s’ils ont lu ce que je leur ai envoyé. J’avais précisé que je me tenais à leur disposition pour discuter de mes constats et de mes propositions. Je leur avais dit que, à mon avis, ils devraient décliner tout l’enseignement à partir du modèle des académies. J’avais personnellement pris l’académie cinéma, et j’ai énormément appris. Bien plus que dans les cours classiques.”

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Recommandation 3 : créer un journal du campus Je recommande de créer un support pour faire circuler l’information. ​A mon sens, un journal officiel du campus constituerait la plus grande et la plus efficace avancée. Il permettrait d’aborder les demandes collectives des élèves dans le cadre d’un débat ouvert. Il serait le médium privilégié pour les publications de la recommandation précédente, et pour tous les autres messages de l’administration. Personne ne pourrait se plaindre d’un manque de communication sur un sujet si l’information en question se trouve dans le journal. Je propose aussi une gestion étudiante de la rédaction, ce qui créerait sur le campus une nouvelle expérience pratique, et très formatrice, quant à la responsabilité de l’écrit. Une telle organisation n’empêcherait pas un soutien de l’administration sur les aspects managériaux, artistiques, éditoriaux, et d’écriture, dans la lignée des académies en collaboration avec un écrivain, le Monde, le Parisien ou les Echos. Enfin, au-delà de l’enseignement, un journal constituerait un outil puissant de liaison entre les promotions, avec les anciens élèves, entre les étudiants étrangers et français, entre les programmes d’HEC, avec l’extérieur du campus, entre les associations, avec les clubs de sport, avec des universités partenaires…

Recommandation l’administration

4

:

formaliser

le

système

de

demandes

à

Je propose de créer un système de tickets pour chaque demande à l’administration, sur le modèle des services de traitement des soucis informatiques en entreprise. L’idée est de supprimer purement et simplement le risque que la question d’un étudiant ne reçoive pas de réponse, en assurant la traçabilité de chaque demande. L’élève devrait ouvrir un ticket en précisant très clairement sa requête. Puis, les personnels de l’administration la recevraient au sein d’un système d‘informations, indiqueraient un statut, une priorité et suivraient la résolution. L’autre avantage est de faciliter le travail des membres de l’administration, en améliorant leurs outils. Il est probable que certaines demandes n’aient pas été traitées simplement parce que les emails se sont noyés sous d’autres.

Associer

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Je propose d’associer les étudiants à une partie des décisions pédagogiques. Cette collaboration se ferait sur deux niveaux : ● A l’intérieur des cours, associer les étudiants à la création de la connaissance ● A l’extérieur des cours, associer les étudiants à la création de la nouvelle maquette pédagogique

Recommandation 6 : généraliser les cours inversés Un “cours inversé” signifie que le professeur, en amont, indique des documents à lire ou impose une recherche. En classe, les élèves arrivent avec des connaissances -“leurs” connaissances- et en discutent. Le professeur corrige les mauvaises interprétations, oriente les débats, et joue plutôt un rôle de guide. Les cours inversés répondraient à l’objectif 2 de responsabilisation, puisque les étudiants seraient obligés de se demander ce qu’ils veulent apprendre. C’est aussi la prolongation de la pédagogie du cours de statistiques de Gilles Stoltz depuis 2013 : les étudiants, en théorie, lisent le cours chez eux, et arrivent en classe prêts pour les exercices. Plus largement, cette proposition questionne la volonté de l'administration de transmettre un socle commun de compétences managériales à tous les “HEC”. Car les cours ne se ressembleraient fatalement pas d’une salle à l’autre. Mais comme le disait justement Gilles Stoltz, ​“un bon cours apprend à apprendre”.​ Dès lors, l’accumulation de telles ou telles connaissances revêt une importance moindre que d’apprendre à traiter et critiquer des informations, quelles qu’elles soient.

Recommandation 7 : co-construire la nouvelle maquette pédagogique Une revue en profondeur de la maquette pédagogique a lieu tous les cinq ans. La prochaine tombe dans les prochains mois31. Je recommande de saisir cette occasion unique et d’associer les étudiants à sa conception. C’est l’occasion de répondre efficacement aux enjeux de responsabilisation. ​“Nous allons intégrer des élèves dans la réflexion de la grosse curriculum review”, ​promet​ ​Eloïc Peyrache, lors de notre entretien, en août 2016. A l’Essec, ce genre de réflexion a déjà eu lieu, sous l’impulsion de Jean-Michel Blanquer32, directeur général de l’école. Arrêtons-nous quelques instants sur ce modèle qui pourrait donner des idées à HEC. Alors que je cherchais des points du vue originaux, j’ai contacté Xavier Cornu, l’ancien directeur général adjoint de l’enseignement, de la recherche et de la formation au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris. Il supervisait la gestion des vingt-quatre écoles de la CCI dont HEC, l’Essec et l’ESCP. Son ancien poste lui permet d’adopter une vue globale des différentes offres pédagogiques.

31 32

Pour rappel, le mémoire a été rendu le 23 septembre 2016. Nommé Ministre de l’éducation nationale sous le gouvernement d’Edouard Philippe.

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Il raconte l’initiative de l’Essec ​: “Jean-Michel Blanquer a imaginé “la semaine de l’entreprise” avant la troisième année (M2). Les cours s’arrêtent. Tous les étudiants de la Grande école rencontrent tous les professeurs, les vacataires, les anciens, et des entreprises et ils débattent ensemble. Les discussions portent sur les transformations du monde professionnel. Les étudiants dressent un diagnostic de ce qu’ils ont appris durant les deux premières années par rapport à ce qui les passionnerait comme métier de demain, et les qualifications à obtenir​. A la fin de la semaine, ils sont en position d’aller voir un professeur et de lui demander un cours sur un sujet particulier. Dans le jargon, on dit qu’ils ont participé au “design du curriculum”, c’est-à-dire à la définition du programme.”

Repenser l’importance pédagogique.

des

enseignements d’humanités dans la maquette

Cette curriculum review pourrait aussi être l’occasion de repenser l’importance des enseignements d’humanités dans la maquette pédagogique. ​“En L3, j’accorderais une importance extrême à la culture, ​préconise Xavier Cornu. Sans objectif de concours, sans pression, on reviendrait sur l’histoire de la pensée économique, des idées politiques, la philosophie, l’anthropologie, l’histoire, l’art, le théâtre...” Cette sous-proposition rejoint l’objectif 2 de responsabilité envers la société. Peut-on prendre une bonne décision managériale sans une bonne culture des sciences sociales et humaines ? ​“Pour être un bon dirigeant, il ne suffit pas d’avoir la tête bourrée de concepts de management, ​répond Xavier Cornu. Ce n’est pas ainsi qu’on forme quelqu’un avec une intelligence complète. Il faut parvenir à discerner le problème sous tous ses aspects.” A l’heure actuelle, étudier ces matières reste possible par l’intermédiaire des cours dans les Universités partenaires en L3 et de certains électifs. Mais, “​si c’est fondamental, cela devrait prendre plus d’importance dans la maquette”, ​affirme Xavier Cornu.

Repenser la place de la technologie dans les cours Cette curriculum review serait aussi l’occasion de s’interroger sur la place de la technologie. Aujourd’hui, de nouveaux outils permettent de décentraliser et d’adapter le contenu à chaque étudiant. Peter Todd évoque ces changements digitaux dans la vidéo : “How does digital disrupt education ?”, le 19 février 2016 : ​”There is still going to be a long and strong role for face-to-face education. The challenge is to figure out how to blend technology with what we do in face-to-face.” HEC a déjà lancé une expérimentation sur les MOOCs. Pascal Quiry, dans le cours de finance d’entreprise en M1, a mis en place un test sur l’année 2015-2016. 63

Par ailleurs, deux étudiantes d’HEC, Svenia Busson et Audrey Jarre, ont réalisé un tour du monde des initiatives digitales dans l’enseignement, et montrent comment la technologie permet de s’adapter à chaque personne. Le rapport est disponible en ligne sur edtechworldtour.com.

Pratiquer La proposition de recevoir des enseignements dans un cadre pratique avec des enjeux réels a été plébiscitée par 83% des répondants à l’enquête. Je recommande d'accéder à leur demande.

L’ordre des réponses : ● Doing more practical cases in real situation with real problems (like les académies) ● Granting ECTS for every single serious association project ● Reading research papers before courses to discuss them with everyone ● Studying MOOCs in your room ● Offering more ECTS for elective courses

Nous avons vu dans l’objectif 1, que la pratique permettait d’atténuer le choc pédagogique entre professeurs et étudiants. Et encore une fois, cela rejoint l’objectif 2 de responsabilisation.

Recommandation 8 : amplifier les partenariats avec les associations Je recommande de tenter la mise en place de partenariats avec toutes les associations du campus.

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Dans le questionnaire, 40% des répondants déclarent avoir connu leur meilleure expérience éducative au sein une association, et 35% jurent que des crédits ECTS pour chaque projet associatif sérieux constitueraient une bonne source de motivation pour eux (voir dans le graphique précédent).

Recommandation 9 : prolonger les programmes pratiques déjà en cours Les programmes pratiques répondent à l’objectif 1 et 2 en même temps. La pratique atténue le choc pédagogique, responsabilise les élèves. Je recommande donc de prolonger les programmes FACT, les académies, les visites sur le terrain dans le cadre d’un cours... Mais la mise en place de tels projets rencontre des contraintes considérables en moyens humains et financiers. Eloïc Peyrache explique ​: ”Vous êtes 700 en cours de finance par exemple. Comment faire pour vous mettre à 700 sur le terrain ? Prenons les académies. Il y en a 30. C’est un travail de dingue. Pour chacune, nous plaçons un prof qui pilote ses équipes. Nous salarions aussi un permanent qui ne travaille que sur les académies durant l’année. Et vous pouvez y ajouter en plus le temps de réflexion de Marcelle Laliberté et le mien.”

Recommandation 10 : améliorer la formation à l’entrepreneuriat L’entrepreneuriat forme les étudiants à de multiples tâches pratiques dans les conditions du réel. Cet exercice s’inscrit dans la droite ligne des deux recommandations précédentes, et répond aux objectifs 1 et 2. C’est aussi un des buts affichés de l’école. Dans le guide pédagogique de L3, de 2016-2017, on lit : ​“La L3 est une année centrée (...) sur l’univers de l’innovation et de l’Entrepreneuriat.” Malgré ce “centrage”, les étudiants se déclarent plutôt pas sensibilisés à l’entrepreneuriat en L3 et M1.

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1 : No incitation to be entrepreneurs/innovative at all 5 : Very strong incitation to be entrepreneurs/innovative

Un répondant au questionnaire regrette que l’entrepreneuriat ne se répande pas plus dans les cours : “​Quelques initiatives (académie start-up, électif nouvelles technologies) permettent de découvrir le monde des nouvelles technologies et de l'entrepreneuriat, mais c'est franchement minoritaire, alors que totalement fondamental, et on peut clairement passer à côté.” “​Les L3 s’intéressent peu à l’entrepreneuriat, ​analyse quant à elle Margaux Pelen, l’ancienne directrice du centre d'entrepreneuriat à HEC de janvier 2014 à septembre 2015​. Quand ils arrivent dans l’école, soit ils pensent déjà entrepreneur, soit ils attendent et ils commencent en M1. Ils construisent une année associative à la place. Les plus dynamiques dans ce domaine sont les M1 et les M2 internationaux.” Un seul cours semi-obligatoire y est consacré totalement, “Innovation and entrepreneurship”, mais, dans le questionnaire, une majorité d’étudiants déclarent n’en avoir “rien” retenu. L’un d’eux critique le format : “​Nothing kills innovation quite as fast as a three-hour long lecture that rambles on about people or companies that were innovative decades ago.” Je recommande aussi de produire et d’afficher des statistiques de succès incluant les entrepreneurs. Car, de manière incompréhensible pour une école qui a inscrit l’entrepreneuriat dans ses objectifs majeurs, la page carrière d’HEC les élude. Elle mentionne à la place le taux de placement trois mois après la sortie, la localisation des emplois, le salaire en France et à l’étranger. Quatre indicateurs qui n’intéressent pas un créateur d’entreprise. En 2015, les étudiants sortant de l’école n’étaient que 5,92 %, soit 27 personnes, à monter une affaire, selon l’enquête auprès des 589 diplômés (avec 456 répondants, soit un bon taux 66

de 77%). C’est le même chiffre que pour les personnes qui continuent leurs études (5,9 % selon la même source), sans que cet axe soit prioritaire pour l’école. Mais cette proportion est à comparer avec les résultats du baromètre de l’entrepreneuriat à HEC 2015. Le cabinet de Peter Todd a sollicité la Junior entreprise pour réaliser cette enquête auprès de 8 500 diplômés de cinq promotions, et avec un taux de réponse de 30%. Dans la promotion 2013, les résultats indiquent que 19% des diplômés de la Grande école (prépa, AD, MS et MSc) ont fondé au moins une entreprise dans l’année suivant leur sortie, contre 2% dans la promotion 2004. Si les étudiants fondent leur entreprise quelques années après la diplomation, il est de toute manière difficile d’estimer si l’enseignement a rempli sa mission ou non. Comme le précise Margaux Pelen : “​Ce n’est pas parce que l’entrepreneur ne se lance pas à la sortie qu’il n’a pas été sensibilisé à l’entrepreneuriat. Et que ce n’est pas un succès.”

Reprise de l’argumentaire et conclusion Dans une première grande partie, nous avons montré que le questionnement sur l’enseignement à HEC était nécessaire. Le ressentiment d’un grand nombre d’étudiants nous y pousse. Nous avons d’emblée écarté deux éléments qui auraient pu apparaître comme des gages d’un enseignement de qualité, et qui ne permettent pas d’avancer dans le raisonnement : une excellente place dans les classements des écoles de commerce et une recherche reconnue. Dans la seconde partie, la réponse à la question de recherche -”A HEC, quel enseignement la direction et les professeurs apportent-ils aux étudiants ?”- s’est déclinée en deux sous-parties, en deux objectifs.

Objectif 1 : En quoi l’enseignement ​participe ​à donner des connaissances fondamentales en management ? Dans les réponses du questionnaire, nous avons constaté de fortes divergences entre les cours, et un nombre non négligeable d’expériences pédagogiques infructueuses. C’est le résultat d’un choc entre les élèves et les professeurs, dont l’intensité dépend des matières, et des personnes. Nous avons identifié et exploré plusieurs facteurs : l’attitude des élèves, les matières totalement nouvelles après les classes préparatoires, les cours sous forme de débats, l’origine géographique du professeur. L’administration et le corps enseignant s’efforcent d’atténuer le choc en améliorant la pédagogie, en formant les professeurs, en ayant recours à la pratique. Cependant, un 67

manque de confiance dans les instances dirigeantes de la part des étudiants mine d’avance toutes les initiatives. Objectif 2 : En quoi l’enseignement ​participe ​à former des décideurs responsables ? Nous avons décliné la réponse en deux temps. Premièrement, la responsabilité de sa propre personne. La facilité relative des cours invite à réfléchir sur soi. Mais le processus connaît des blocages. Des attitudes scolaires demeurent. Les étudiants doivent absolument jouer un rôle actif dans leurs apprentissages, sous peine de ne pas évoluer. Certains manquent ainsi de maturité en sortant de l’école. Deuxièmement, la responsabilité envers la société. L’enseignement doit pousser les étudiants à inclure dans leurs raisonnements des enjeux environnementaux et sociaux, pour inclure dans leurs décisions toutes les composantes d’un problème. Des initiatives sont en cours pour intégrer ces réflexions dans toutes les matières. La réalisation de cet objectif revêt une importance capital du fait de l’influence des “HEC” dans leur vie et carrière future. * *

*

Pour conclure ce travail, j’aimerais raconter une anecdote qui me revient souvent en tête, une histoire qui s’est passée en septembre 2011, juste après mon arrivée dans l’école. J’ai joué au rugby durant ma scolarité à HEC et, honnêtement, sans cela, la vacuité de mes années de L3 et de M1 aurait été bien plus étouffante. Comme moi, 17 % des répondants à l’enquête estiment que le sport leur a offert leur meilleure expérience d’apprentissage à HEC. Je me souviens très bien des paroles du coach à la fin d’un des premiers entraînements du Rugby Club HEC (RCH). Dans le soleil de la fin d’après-midi, on se reposait, encore un peu sonnés par le jeu, assis en cercle dans l’herbe rase, encore un peu jaunie par l’été. Le coach debout au milieu ​: “Il y en a certains ici qui sont nés avec une cuillère d’argent dans la bouche et d’autres moins privilégiés. Ca ne pose aucun problème. On va tous bosser ensemble. On va arriver à créer quelque chose. Tout le monde va s’y filer pareil sur le terrain. Dites-vous bien que vous ne venez pas ici en consommateur. Vous n’imaginez pas encore ce que le rugby vous apportera. Mais ça ne se fera pas sans votre investissement.” Un silence. “La vérité, elle est là les gars. Pas dans vos bureaux, pas devant vos ordis, pas dans vos costumes. La vérité elle est là, avec vos potes, sur le terrain, tous les mardis et tous les jeudis.”

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Bibliographie Articles de recherche cités Menger, Marchika, “La technologie de sélection des étudiants dans les grandes écoles de commerce françaises”, revue française d’économie. Article disponible sur le portail internet CAIRN Stoltz G., Hahn C​. (2013), “Savoir académique, savoirs pratiques : tensions et recherche d’équilibre”, Décembre, Statistique et Enseignement, 4(2), 19–52 Abraham Yves-Marie​, « Du souci scolaire au sérieux managérial, ou comment devenir un « HEC » », Revue française de sociologie 1/2007 (Vol. 48) , p. 37-66 URL : ​www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2007-1-page-37.htm​. DOI : ​10.3917/rfs.481.0037​. John Hattie, ​“The Relationship Between Research and Teaching: A Meta-Analysis”, de University of North Carolina at Greensboro et H. W. Marsh, University of Western Sydney

Principales références internet Méthodologie du classement du point http://www.lepoint.fr/grandes-ecoles-de-commerce/grandes-ecoles-de-commerce-notre-nouv elle-methodologie-pour-le-palmares-2016-10-02-2016-2016848_123.php Reportage de France 2 du 11 septembre 2006 sur le classement d’HEC dans le financial times http://www.ina.fr/video/3172624001031 Article du Monde 17.10.2012 titré “La trop sage HEC bousculée par ses deux tiers d’enseignants étrangers”. http://www.lemonde.fr/orientation-scolaire/article/2012/10/17/la-trop-sage-hec-bousculee-par -ses-deux-tiers-d-enseignants-etrangers_1776619_1473696.html Annonce de l’objectif responsable d’HEC http://www.hec.fr/A-propos-d-HEC/Qui-sommes-nous/Responsabilite-sociale Article de Claude Hagège sur les dangers de l’usage intensif de l’anglais http://www.lenouveleconomiste.fr/langlais-support-de-la-pensee-unique-au-service-de-la-dict ature-de-la-pensee-neoliberale-13678/

Présentation du séminaire de 42 pour HEC, pour illustrer l’utilisation de “disrupter” http://fr.slideshare.net/mikiane/disruption-introduction-du-sminaire-donne-pour-hec-ecole-42 69

Etude de la Conférence des grandes écoles sur le parcours académique des startuppers français présents au CES de Las Vegas http://intranet.cge.asso.fr/uploads/upload/CP-CGE/2016-01-28%20%20CP%20CGE%20-%2 0Etude%20CES%20Las%20Vegas%20-%20Janvier%202016.pdf Article LinkedIn de Peter Todd : “How I plan to propel HEC in the top 10 worldwide” https://www.linkedin.com/pulse/how-i-plan-propel-hec-paris-top-10-worldwide-peter-todd?trk =prof-post Pétition des étudiants contre la facturation des cours dévalidés https://www.change.org/p/administration-hec-nous-ne-paierons-de-frais-suppl%C3%A9ment aires-pour-les-cours-d%C3%A9valid%C3%A9s-en-l3?recruiter=492204934&utm_source=sh are_petition&utm_medium=copylink Baromètre sur l’entrepreneuriat à HEC réalisé en 2015 http://www.hec.fr/News-Room/Actualites/Le-premier-barometre-sur-l-entrepreneuriat-a-HECrevele-qu-aujourd-hui-un-quart-des-diplomes-sont-des-entrepreneurs Chaîne Youtube d’HEC https://www.youtube.com/user/HECParis Les Echos du 14/09/2016: “Diesel, la boîte de Pandore est ouverte” http://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/0211244209839-diesel-la-boite-de-pan dore-est-ouverte-2027098.php Statistiques de placement d’HEC http://www.hec.fr/Grande-Ecole-MS-MSc/Programmes-diplomants/Grande-Ecole/Master-inManagement/Carrieres Un Monde d’idées, l’émission de la radio France Info, où B. Ramanantsoa a été interviewé. http://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-idees/

Dates des entretiens des principaux intervenants D’une façon générale, je remercie chaleureusement tous mes interlocuteurs, avec qui mes rapports furent aussi divers qu’enrichissants. Eloïc Peyrache, directeur délégué d’HEC, mardi 6 septembre 2016 Bernard Ramanantsoa, ancien directeur général d’HEC, Jeudi 1er septembre 2016 Bénédicte Faivre-Tavignot, responsable du centre S&O à HEC, le 6 septembre 2016 Tomasz Obloj, professeur de stratégie, 5 septembre 2016 70

Pascal Quiry, professeur de finance, 23 août 2016 Gilles Stoltz, professeur de statistique, 29 août 2016 Denis Gromb, professeur de finance, 6 septembre 2016 Claire-Marine François Poncet, psychologue d’HEC, vendredi 2 septembre 2016 Margaux Pelen, ancienne directrice du centre d’entrepreneuriat d’HEC, le 7 septembre 2016 Théo Allouch, étudiant à HEC, 24 août 2016 Grégoire Chauvin, ancien président du BDE, 11 août 2016 May Royer, ancienne étudiante à HEC, 12 août 2016 Xavier Cornu, ancien responsable de l’éducation à la CCI de Paris, 29 août 2016 J’ai parlé à de nombreux étudiants d’HEC et d’autres business school durant les mois de juillet et d’août 2016.

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Annexes Courte biographie de l’auteur au 06/12/2017 Je suis journaliste indépendant. Je collabore régulièrement pour les Echos Entrepreneurs et la revue l'ADN, et j'ai déjà écrit dans le Monde, l’Obs, Society, 8ème Etage, sur des sujets assez divers. A HEC, j'ai suivi un parcours classique d'étudiant en Grande Ecole, une césure en stage, une autre en voyage. En majeure, j'ai suivi le double diplôme avec le Centre de formation des journalistes. J'ai écrit mon mémoire au cours de l'été 2016 et je suis sorti diplômé la même année.

La version vide et non mise en forme du questionnaire envoyé aux trois promotions.

Questionnaire sur l'enseignement à HEC **English version Below** Salut à tous, Je suis étudiant à HEC Paris en M2. J'ai un petit questionnaire à vous faire remplir pour mon mémoire de Master. J'ai eu l'idée de travailler sur l'enseignement à HEC, dans le programme Grande Ecole. Je voulais réfléchir sur l'expérience éducative dans l'école. D'où ma question de recherche : quel enseignement la direction d'HEC et les professeurs apportent-ils aux étudiants ? Cela ne vous prendra que 3 min. 3min pour vous exprimer sur l'enseignement à HEC et avoir un retour. Je vous transmettrai le mémoire une fois achevé. Ce questionnaire s'adresse seulement à ceux qui étaient en L3, M1, ou première césure l'année dernière (2015-2016). Précision importante: dans le questionnaire, "HEC teaching" fait référence aux activités qui donnent des crédit ECTS et sont organisées directement par HEC : les cours, les séminaires, les académies. Donc PAS les associations, pas le sport, pas les conférences, pas les stages, pas les échanges à l'étranger.

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Aucune question n'est obligatoire sauf les deux premières sur vous. Le questionnaire est anonyme. Merci beaucoup d'avance à tous. Votre aide me sera précieuse ! A bientot, Emre Sari *******************************************************************************************

Dear all, I am a M2 student from HEC Paris. Here is a small survey for my master dissertation. I work on teaching in HEC, in Grande Ecole. I wanted to reflect on the educative experience in the school. Here is my research question: What is the kind of teaching brought to students by HEC administration and HEC professors ? This will only last 3min. 3min to express yourself about teaching in HEC and get a feedback. I will send you my final work. The form is only adressed to those in L3, M1 or first gap-year, last lear (2015-2016). Important: "HEC teaching" refers to what grants ECTS, and is organized by HEC directly :courses, les académies, seminars. HEC teaching does NOT concern associations, not exchange programs, not double degrees, not sport, not internships. No question is compulsory except the two first ones about you. It is anonymous. Your help would be much appreciated and would be very precious for me ! Thanks in advance Kind regards, Emre Sari

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*Required

What was your pathway before HEC ? ​* Classe prépa French university (I am an AD) Foreign university from Europe (I am an ADI) Foreign university from out of Europe (I am an ADI)

In which program where you enrolled last academic year (2015-2016) ? ​* L3 M1 Césure

Are you generally satisfied with HEC teaching ? I am not satisfied at all 1 2 3 4 5 I am very satisfied

What was your general attitude in class (part 1 - listening) ? Never listening 1 2 3 4 5 Always listening

What was your general attitude in class (part 2 - participation) ? Never participating 1 2 3 4 5 74

Always participating

What was your general attitude in class (part 3 - homework)? Never did my homework 1 2 3 4 5 Always did my homework

Tell me more... Your answer 

How did your language skill level evolved in HEC ? My language skill level deteriorated 1 2 3 4 5 My language skill level improved

How often did you review your courses / lessons ? Never The day before the exam One week before the exam Two weeks before the exam I use to review my courses on a regular basis

Did HEC teaching challenge you ? No challenge at all 1 2 3 4 5 Challenge was very tough

You can explain why... 75

Your answer 

Would you say your intellectual capacities (memorizing, conceptualizing, creating ideas...) evolved in L3 and M1 ? My intellectual capacities deteriorated 1 2 3 4 5 My intellectual capacities improved

Explain why Your answer 

During your teaching hours, do you consider that you took advantage of research ongoing in HEC ? I did not take advantage at all 1 2 3 4 5 I took advantage very much

Tell me more... Your answer 

Did you feel that professors transmitted an ethical point of view of their study field ? I have never heard ethics 1 2 3 4 5 76

I have heard ethics in every course

Why did you choose to integrate HEC ? (you can tick several answers) "I chose HEC for the quality of education programs" "I wanted to get a good network" "I wanted to earn a lot of money" "I did not really choose HEC. I was good in high school with no precise idea for my future so I integrated a prepa. Then, I was good in prepa, so I integrated HEC" "I knew I could get the job I wanted after HEC" Other:

You can say why... Your answer 

What did you retain in those L3 courses ? (answer only if you attended courses) 1 - Nothing 2 3- Theorical knowledge 4 5- Theorical knowledge and/or practical use Business economics Contracts law Statistics Financial economics Financial markets Accounting Business economics Contracts law Statistics Financial economics Financial markets Accounting

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What did you retain in those M1 courses ? (answer only if you attended courses) 1 - Nothing 2 3- Theorical knowledge 4 5- Theorical knowledge and/or practical use Method of cost analysis Company law Business performance management Corporate finance Marketing Supply chain Strategy Leading organization Method of cost analysis Company law Business performance management Corporate finance Marketing Supply chain Strategy Leading organization

What did you retain in those M1 short courses ? (answer only if you attended courses) 1 - Nothing 2 3- Theorical knowledge 4 5- Theorical knowledge and/or practical use Management Information System (MIS) Tax and law Ethic and sustainability Innovation and entrepreneurship Excel Management Information System (MIS) Tax and law Ethic and sustainability Innovation and entrepreneurship Excel

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What did you retain in those other educative experiences ? (answer only if you attended activities) 1 - Nothing 2 3- Theorical knowledge 4 5- Theorical knowledge and/or practical use Les Académies FACT Week-end seminars Les Académies FACT Week-end seminars

What is the proportion of those 22 courses with a satisfying pedagogy method ? 0% - 20% 20% - 40% 40% - 60% 60% - 80% 80% - 100% Other:

What is the proportion of those 22 courses with a satisfying content of knowledge ? 0% - 20% 20% - 40% 40% - 60% 60% - 80% 80% - 100% Other:

You can explain the two last questions... Your answer  79

Would you say that L1 and M3 teaching integrate the impact of the latest technologies (big data, machine learning, internet innovations...) on business ? Not at all 1 2 3 4 5 Yes completely

Did you feel an incitation from professors or programs to be innovative and/or entrepreneurs in L3 and M1 ? No incitation to be entrepreneurs/innovative at all 1 2 3 4 5 Very strong incitation to be entrepreneurs/innovative

You can develop your point of view... Your answer 

In general, how does HEC teaching prepare you for your future jobs ? I am very bad prepared by teaching 1 2 3 4 5 80

I am very well prepared by teaching

If you have already requested something from HEC administration, what was the outcome ? I never got my answer 1 2 3 4 5 I got a satisfying answer in a reasonable time

What was the best learning experience you had in L3 or M1 ? A course (lectures, a discussion with a guest, a group project...) An Académie An association project A sport experience An informal discussion with a friend, or a professor A conference organized by an association

Which one(s) of those changes would be a source of motivation for you ? (you can tick several answers) Doing more practical cases in real situation with real problems (like les académies) Granting ECTS for every single serious association projet Reading research papers before courses to discuss them with everyone Studying MOOCs in your room Offering more ECTS for elective courses

You can suggest whatever you want... Your answer :

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