Supplément ELDJAZAIR.COM - memoria.dz

11 mars 2013 - licenciés en sciences économiques, des juristes, des économistes ...... cités, ni même sur leurs appellations romaines, à l'exception de Bida ...
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El-Djazaïr.com ISSN : 1112-8860

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N° 11 - Mars 2013

Lettre de l'Editeur

AMMAR KHELIFA [email protected]

Pour une vive mémoire es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’événements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique. L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés. En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est également un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre. Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahidate et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque disparition d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoignage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’intégration dans le processus de développement. C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objective, à plus de recherche, d’authenticité et de constance. [email protected]

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Supplément

N° 11 Mars- 2013 P.13 Fondateur Président du Groupe

AMMAR KHELIFA Président d’honneur

Abdelmalek SAHRAOUI Coordination : Abla BOUTEMEN Sonia BELKADI Direction de la rédaction Assem MADJID Directeur des moyens généraux : Abdessamed KHELIFA

P.06

D.A.F : Meriem KHELIFA LA DÉLÉGATION ALGÉRIENNE À EVIAN Ils ont contribué avec nous : Dahou Ould Kablia Ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales et président de l’Association nationale du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (AN-MALG)

KRIM BELKACEM

ACCORDS D’EVIAN

P.43

P.06 Histoire

Le FLN et les négociations

Rédaction Leila BOUKLI Boualem TOUARIGT Hassina AMROUNI Abderrachid MEFTI Imad KENZI Djamel BELBEY Adel FATHI El Yazid DIB

Direction Artistique : Halim BOUZID Salim KASMI Reda Hassene DAOUADJI

Contacts : Eurl COMESTA MEDIA N° 181 Bois des Cars 3 Dely-Ibrahim - Alger - Algérie Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 / +213 (21) 360 915 Fax : +213 (21) 360 899 E-mail : [email protected] [email protected]

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P.13

rapports de forces et manœuvres politiques

P.15

PORTRAITS DE STRATÈGES ET DE FINS NÉGOCIATEURS

P.19 Témoignage

« Le GPRA était organisé comme une véritable machine d’état »

P.25

Les premiers contacts : un gouvernement Français indécis

P.29

de Gaulle veut une victoire militaire

P.31

L’annonce de l’autodétermination ouvre une nouvelle étape

P.43

Le soutien de la communauté internationale au GPRA

P.47

La presse internationale et le 19 mars 1962

L’OAS P.49

UNE HISTOIRE OCCULTéE

P.53

La tuerie de la rue d’Isly : L’armée française et l’OAS dos à dos

Supplément offert, ne peut être vendu

L’annonce du cessez-le-feu

P.49

La sinistre organisation de l’OAS

P.63

Ali Hammoutène

P.73

P.69 Supplément du magazine ELDJAZAIR.COM consacré à l’histoire COPYRIGHT COMESTA MÉDIA GROUPE PROMO INVEST Edité par COMESTA MÉDIA Dépôt légal : 235-2008 ISSN : 1112-8860

LES SOEURS SAÂDANE

P.89

DAHOU OULD KABLIA

BRAHIM BENBRAHIM DIT LAYACHI BEN AHMED

FEMMES AU MAQUIS

P.65

P.65 Portrait

Oudaï Zoulikha Yamina, née Echaïb : Une moudjahida au tempérament de feu

P.69

Fatma et Messaouda Bedj : Hommage aux sœurs martyres

P.73

Meriem et Fadéla Saâdane : Mortes sur l’autel de la liberté

P.77

« Baya El Kahla », l’ange blanc au treillis

Oudaï Zoulikha

P.95

GUERRE DE LIBERATION P.89

Brahim Benbrahim : LE PASSEUR D’ARMES A LA BARAKA INOUIE

EMIR ABDELKADER P.103

FONDATION EMIR ABDELKADER

P.109 Portrait : Mohamed-Lamine Boutaleb

HISTOIRE D'UNE VILLE P.113

Les martyrs de Mars

P.109

La ville de Tizi-Ouzou : la capitale des genêts

Mohamed-Lamine Boutaleb Tizi-Ouzou

SOMMAIRE

P.19

LES SOEURS BEDJ

Accords d’Evian

Le FLN et les négociations Par Boualem Touarigt

Accords d’Evian Histoire Les négociateurs algériens à Evian

L

e FLN fut un mouvement créé par des militants nationalistes radicaux qui voulaient obtenir l’indépendance du peuple algérien par la lutte armée. Cependant, il ne rejeta jamais le recours à des discussions. La déclaration du 1er novembre contenait l’idée de négociation. Le FLN engageait une lutte pour un objectif politique : l’indépendance. La déclaration en elle-même constituait une base de discussions pour une négociation en proposant un statut de la minorité d’origine européenne. Le FLN s’est tenu toujours prêt à tout contact venant de la partie adverse, même quand il s’est agi au début de simples pourparlers non officiels et secrets. Une fois la négociation sérieusement entamée, il la poursuivit avec persévérance et ténacité, s’adaptant aux reculs et aux accélérations brusques, conjuguant avec efficacité résistance militaire, lutte politique et offensive diplomatique. Le CNRA, instance de direction de la révolution, fut quasi unanime sur les préalables

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de la négociation et sur les points essentiels de la discussion. Aucune question ne fit l’objet de clivages profonds ni d’oppositions entre les dirigeants. Le statut de la minorité européenne, les compromis sur les bases militaires, la coopération sur l’exploitation du pétrole furent débattus avant la dernière rencontre d’Evian et reçurent l’appui unanime du CNRA. Les divergences qui apparurent très tôt au sein de la direction de la révolution ne portèrent pas réellement sur le contenu des négociations et exprimèrent des rivalités dans la lutte pour le pouvoir. Aucun dirigeant, aucun groupe ne gêna l’évolution des discussions. On observa quelquefois des positions extrêmement rigides de la part d’anciens militants modérés, qui n’étaient pas, au début, des partisans de la lutte armée. Comme il arriva que des combattants de la première heure adoptèrent des attitudes conciliantes. Les négociations ne créèrent pas de clivages entre anciens modérés et radicaux, ni entre les responsables qui s’opposaient pour diriger la révolution.

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Accords d’Evian Histoire

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3 2 1 8

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De gauche à droite : 1- Zighoud Youcef, 2- Amar Ouamrane, 3- Krim Belkacem, 4- Larbi Ben M'hidi, 5- Abane Ramdane 6-Lakhdar Bentobal, 7- Benaouda Ben Mostefa dit Ammar, 8- Colonel Amirouche

Dès le 1er novembre, le FLN se déclarait prêt à la négociation

Dès le déclenchement de la Révolution, le 1er novembre 1954, le FLN se fixait un but politique. Il considérait même toute la lutte qu’il enclenchait comme politique. Son premier objectif était de refaire l’union du mouvement national, et au-delà celle du peuple algérien dans son ensemble. Le FLN reprenait la motivation du CRUA qui l’avait précédé mais en sortant des calculs tactiques et de l’affrontement des tendances. L’unité nationale devait se faire autour d’un objectif central : l’indépendance. Le déclenchement de la lutte armée était conçu comme le moyen de cette unité à la fois des militants de la cause nationale et des Algériens dans leur ensemble. Pour la première fois, une force politique algérienne ne se limitait pas à une série de revendications, mais se fixait un objectif central unique mobilisateur : l’indépendance. Elle offrait, c’était aussi une nouveauté, une plateforme de discussions si on donnait suite à sa revendication. Instruits par des décennies de lutte dont ils

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voulaient tirer les leçons, les militants du FLN se plaçaient volontairement sur le terrain politique : ni insurrections, ni révoltes paysannes, ni combats désespérés isolés. Toute action militaire n’avait de raison d’être que par ses objectifs politiques. Mourad Didouche disait bien avant le déclenchement du 1er novembre : « Le plus important, c’est allumer la mèche, rendre l’espoir, encourager les populations à entrer dans la lutte. » Et cette guerre qui s’annonçait devait être populaire. Dès le début, on insista sur le travail d’information et d’organisation des populations qui devait précéder toute action armée. Les premiers maquisards parcoururent les villages pour convaincre les populations. L’union de tous les Algériens pour l’indépendance était l’objectif principal. Les premiers ennemis étaient les Algériens qui soutenaient la colonisation. Pendant toute la durée de la guerre, le FLN s’est attaché à rassembler le plus grand nombre à cette idée d’indépendance et à se présenter comme le seul interprète de cette volonté, étant le rassembleur de tous les Algériens.

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Accords d’Evian Histoire Le FLN était donc dès le début prêt à une négociation et même demandeur. Arriver à négocier l’indépendance était son objectif. Il ne fut pas amené, contraint et forcé, à accepter une négociation. Il ne ferma qu’exceptionnellement la porte à des discussions, seulement quand il fut convaincu que sa préoccupation principale ne fussent pas prise en compte. Pour lui, tout était négociable si on tenait compte de ses exigences : indépendance, intégrité territoriale, unicité de la représentation des Algériens. Pour ce faire, le FLN avait une stratégie appropriée. Il avait ouvert ses rangs à tous les représentants du mouvement national. Les radicaux furent rejoints par ceux qu’on considérait comme « modérés », aussi bien centralistes du MTLD non partisans à l’origine de la guerre, que les anciens de l’UDMA. Ceux-ci étaient les représentants de l’élite politique acquise au début à la lutte dans le cadre légal et à une évolution par étapes vers l’indépendance, après avoir envisagé une république française égalitaire. Les représentants des oulémas réformistes, qui plaçaient leurs revendications hors du champ politique, rejoignirent aussi le FLN. Les communistes intégrèrent les réseaux du FLN. Dès 1956, le FLN portait une revendication nationale d’indépendance soutenue par toutes les couches de la population. Le noyau dur des radicaux qui déclenchèrent la lutte armée se méfiait des anciens personnels politiques qui privilégiaient le combat électoral comme il craignait une issue politique qui viderait le combat de son sens. Il se

méfiait du gouvernement français qui aurait pu proposer des demimesures pour arrêter le combat. Sur la question de la minorité européenne, ceux que le congrès de la Soummam considéra comme des « Algériens d’origine européenne », le FLN eut une attitude extrêmement réaliste. Il refusa toute ségrégation sur une base confessionnelle. Il fut soutenu par des militants progressistes non musulmans dont beaucoup le rejoignirent. Ils furent présents dans ses réseaux : actions diplomatiques, information, organisation, logistique.

Positions communes sur les grandes questions

Des militants du FLN furent hésitants lorsque eurent lieu les premiers contacts avec le gouvernement français. Les radicaux qui avaient déclenché la guerre de libération étaient méfiants envers tout ce qui pouvait rappeler les luttes politiques anciennes, maintes fois décriées. Certains militants virent d’un mauvais œil l’arrivée dès 1956 des anciens militants centralistes et « udmistes » dont certains entrèrent ans la direction du FLN : Benkhedda, Saad Dahlab puis Ferhat Abbas. Ce furent aussi bien des militants

Habib Bourguiba en compagnie de Ferhat Abbas et d’autres dirigeants du FLN

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Accords d’Evian Histoire FLN de la première heure que des « ralliés » qui conduisirent les première discussions où il n’était pas encore question d’indépendance : Khider au Caire, M’hammed Yazid et Ahmed Francis à Belgrade. A Rome, Khider était avec Yazid et Kiouane. A Belgrade, en septembre 1956, il était avec Lamine Debaghine envoyé par Ramdane Abane. Les cinq dirigeants du FLN qui furent kidnappés en septembre 1956 se rendaient à la conférence maghrébine de Tunis où les trois pays devaient préparer une position commune vis-à-vis de la France. Bourguiba et Mohammed V étaient alors partisans d’une solution modérée à la question algérienne. Il n’y eut jamais de scission au sein de la direction du FLN sur l’attitude à adopter face aux négociations. Les divergences couvrirent des luttes de pouvoir. Ferhat Abbas fut porté à l’unanimité à la présidence du GPRA, en raison de l’image modérée qu’il donnait et de ses capacités de dialogue. Sa désignation par le CNRA montre bien que cette instance se préparait à la négociation en donnant au mouvement national un visage raisonnable et crédible. Il devait lui-même se montrer particulièrement exigeant et très dur,

appelant souvent au refus des concessions et au renforcement de la lutte armée. Une fois le GPRA constitué, il considéra qu’un contact officiel avec la France était une avancée dans la reconnaissance du fait national algérien. Il joua alors de la pression internationale en se déclarant prêt à ouvrir des négociations sans préalable. La direction du FLN adopta une position unanime face aux premiers contacts initiés par de Gaulle. Boussouf déclara dans une interview à France Observateur en août 1958: « Jusqu’à présent, les Français n’ont fait aucune ouverture sérieuse. On veut nous pousser à tomber dans un piège. » En septembre, Ferhat Abbas rejeta le « document Pompidou » qui n’était qu’une offre de cessez-le-feu. Lorsque le 29 septembre, Ferhat Abbas répondit à de Gaulle que le GPRA était prêt à négocier sur la base de l’indépendance tout en affirmant que le Sahara faisait partie de l’Algérie, il reprenait une déclaration adoptée la veille par les membres du GPRA réunis avec l’ensemble des chefs militaires de l’ALN, regroupés depuis plus d’un mois à Tunis. En janvier 1960, la troisième session du CNRA

Les délégations algérienne et française sur la table des négociations

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Accords d’Evian Histoire nouveau gouvernement. Ferhat Abbas, ainsi que ses anciens amis de l’UDMA (Francis, Boumendjel) furent contestés à la fois par les « historiques » (Krim, Boussouf, Bentobbal) et les anciens centralistes (Benkhedda, Dahlab, Yazid) pour des raisons différentes. La poursuite des négociations dans le sens voulu par la grande majorité des dirigeants allait influer sur les choix du nouveau gouvernement. Krim ne réunit pas l’unanimité autour de lui du fait de l’opposition de l’Etat-major et du refus catégorique des ministres militaires (Boussouf et Bentobbal). Avec Benkhedda à la présidence et Saad Dahlab aux Affaires étrangères, ce fut à des hommes issus du nationalisme populaire du MTLD qu’on semblait faire confiance à un moment où les négociations entraient dans une phase cruciale. Même si les dirigeants de l’Etat-major de l’ALN Les conflits de direction ne concernent dénonçaient le risque d’une solution néocoloniale, à pas la négociation aucun moment ils ne mirent en cause les négociations. Le CNRA se réunit du 9 au 27 août 1961à Tripoli. Les anciens de l’UDMA qui quittèrent toute fonction Il devait évaluer le travail fait par le GPRA, se dans le GPRA (Ferhat Abbas, Ahmed Boumendjel, prononcer sur les négociations et désigner un Ahmed Francis) ne furent pas écartés pour des reconduisit Ferhat Abbas à la tête d’un GPRA qui reçut la mission de mener les négociations sur des bases claires acceptées par tous : préalable d’un accord politique sur l’indépendance, statut de la minorité européenne, concessions limitées sur l’exploitation du pétrole et sur l’utilisation des bases militaires. Les discussions reprirent du 20 au 28 juillet à Lugrin, au château d’Allaman à quelques kilomètres d’Evian. Le GPRA renforça ses positions à l’intérieur. Son appel à une mobilisation populaire pour l’indépendance le 1er juillet puis lors de la journée nationale contre la partition du 5 juillet 1961 fut largement suivi. Des heurts violents firent de nombreux morts. Par contre, le conflit s’aggrava avec l’Etat-major qui présenta sa démission le 15 juillet.

Ahmed Ben Bella au centre de la photo

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Accords d’Evian Histoire raisons de divergences politiques. Après le cessez-lefeu, ils rejoignirent le groupe dit de Tlemcen (formé autour de Ben Bella et de l’Etat-major dirigé par Boumediene). Ferhat Abbas fut élu à la présidence de la première Assemblée constituante, Ahmed Francis et Ahmed Boumendjel furent ministres dans le gouvernement constitué par Ben Bella. La nomination de Benkhedda à la tête du GPRA pouvait apparaître comme un durcissement de la ligne du FLN mais en fait n’apporta aucun changement dans les choix sur la négociation. Le nouveau chef du gouvernement affirma à peine élu : « Une solution réaliste et équitable est possible. » Les négociateurs achevèrent un texte final de dix déclarations le 19 février 1962 à 2h30 du matin. Le jour même, les délégués du FLN rentrèrent à Tunis. Le 22 février s’ouvrit la session du CNRA présidée par Benyahia. Le débat fut vif, d’une grande liberté et toutes les questions furent abordées. Le 27 février, au cours de la séance de nuit, le CNRA adopta officiellement une résolution mandatant le GPRA

pour signer les accords. Seuls quatre votants s’y opposèrent sur les 49 présents : Boumediene, Kaïd Ahmed, Ali Mendjeli et le commandant Bouizem de la Wilaya V. Les cinq ministres prisonniers en France avaient été associés à toutes les phases de la négociation. Ils avaient signifié leur accord par écrit dès le 15 février. Les dirigeants de l’Etatmajor exprimèrent de vives critiques concernant la force locale sous l’autorité de l’Exécutif provisoire chargé de gérer la transition et sur certaines dispositions du cessez-le feu qui bloquaient le retour des combattants de l’extérieur avant les résultats de l’autodétermination. Cependant, les opposants s’engagèrent à appliquer loyalement les accords. En six jours, le CNRA avait pris connaissance des textes et les avait approuvés. Les délégués avaient montré une grande cohésion et un esprit de responsabilité qui permirent de déboucher rapidement. Boualem Touarigt

De g. à dr.: Taieb Boulahrouf, Ahmed Francis, Saâd Dahlab, Krim Belkacem et Mohamed Seddik Benyahia

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Accords d’Evian Histoire

rapports de forces et manœuvres politiques

Krim Belkacem levant le bras droit avec ses compagnons négociateurs

Par Boualem Touarigt LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Accords d’Evian Histoire

L

es accords d’Evian qui aboutirent au cessez-le-feu du 19 mars marquent une étape décisive dans l’histoire de l’Algérie. Politiquement, le système colonial prenait fin. L’Algérie pouvait choisir de devenir un pays indépendant de la France, la domination politique consacrée par la loi d’une minorité sur la population locale était rejetée. Les accords d’Evian furent l’aboutissement de plusieurs décennies de luttes contre la domination locale suivies de répressions violentes. La longue gestation des luttes, l’apport des différentes expériences allaient aboutir au 1er novembre 1954 où une poignée d’éléments radicaux allait déclencher une lutte armée. Celle-ci était une nouvelle forme de lutte, inédite. Ce n’est pas le recours à la violence qui était inédit, mais le fait que celui-ci était soumis à un objectif politique : l’indépendance. Ce n’était pas une insurrection, un soulèvement, une révolte paysanne, mais une lutte armée dirigée par un mouvement avec une stratégie politique d’union de toutes les forces nationales. Le FLN pratiquait la violence armée mais se déclarait prêt à tout moment à discuter d’une issue politique : l’indépendance.

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La longue série de contacts qui eurent lieu dès 1955, fut parfois hésitante, chaotique, alliant faux espoirs et déceptions. C’est à partir de la déclaration du 16 septembre 1959 où le général de Gaulle parla pour la première fois de l’autodétermination que l’on envisagea sérieusement les possibilités de négociations. Les contacts de Melun de juin 1960, qui furent un échec formel ont été un commencement d’une grande portée psychologique. En janvier 1961 une série de données militaires, politiques et diplomatiques firent que des contacts pouvaient à nouveau être envisagés. On passa encore de longs moments où les discussions buteront sur des points essentiels. Il faudra attendre décembre pour voir un rapprochement des points de vue. Les grandes questions sont pratiquement réglées aux Rousses. De Gaulle fut amené à évoluer sur des questions essentielles : intégrité du territoire y compris le Sahara, statut de la minorité européenne, utilisation des bases militaires, coopération économique. Il ne put mettre fin aux capacités militaires du FLN, n’arriva pas à dégager une élite locale qui lui serait acquise, affronta la radicalisation d’une partie de la minorité européenne d’Algérie, et l’hostilité d’une armée divisée.

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Boualem Touarigt

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Accords d’Evian Histoire

PORTRAITS DE STRATÈGES ET DE FINS NÉGOCIATEURS

De g. à dr.: M’hamed Yazid, Saâd Dahlab et Krim Belkacem

Par Abderrachid Mefti LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Accords d’Evian Histoire Belkacem Krim (1922-1970)

occupe jusqu’en 1969, date de son départ à la retraite. Il reprend ensuite par intermittence ses fonctions d’avocat Belkacem Krim est né jusqu’à son décès le 19 novembre 1982, des suites d’un le 15 décembre 1922 à Aït cancer à l’âge de 74 ans. Yahia Moussa en Kabylie. Au cours de la révolution Taieb Boulahrouf algérienne, il est l’un des chefs historiques du Front Taieb Boulahrouf est né le de libération nationale. 9 avril 1923 à Oued Zenati Surnommé Le lion du djebel (wilaya de Guelma). Très par les soldats français, il est jeune, il se rend compte considéré comme l’un des de la nécessité du combat premiers maquisards de la nationaliste et s’engage révolution algérienne. Le 1er dans la lutte politique novembre 1954, Krim est le responsable de la zone de en devenant responsable Kabylie et devient membre de la direction intérieure du dans l’organisation du FLN (groupe des six chefs historiques). PPA-MTLD. En août En 1956, il crée, avec ses compagnons du CCE, la 1951, il entre au comité Zone autonome d’Alger (ZAA). Après le coup d’Etat central avant de devenir du 19 juin 1965, il passe dans l’opposition. Le 8 octobre en 1952 membre du comité directeur de la délégation 1970, il est assassiné à Francfort (Allemagne). permanente du MTLD en France. Il milite ensuite au sein du Front de libération nationale (FLN) en France avant d’être représentant du GPRA à Rome en 1958. Ahmed Boumendjel (1908-1982) Après l’indépendance, Taieb Boulahrouf est nommé Ahmed Boumendjel est né ambassadeur d’Algérie successivement à Rome, Lima, en 1908 à Aït Yenni (Tizi- Bucarest, Buenos Aires, La Paz et Lisbonne. Il décède Ouzou). Après trois années le 27 juin 2005 à l’âge de 84 ans. d’études à l’Ecole normale de Bouzaréah, (Alger) il Rédha Malek devient instituteur et exerce cette profession durant Redha Malek est né le 21 quatre ans puis, en 1936, décembre 1931 à Batna. En s’inscrit à la Faculté de droit 1955, il est membre fondateur de Paris. Après l’obtention de l’Union générale des de sa licence, il devient étudiants musulmans avocat-stagiaire à Paris. Il algériens (Ugema) et en regagne Alger en 1937 et, l’année suivante, y ouvre 1957, membre de son son propre cabinet d’avocat. Après le déclenchement comité directeur. En 1957, de la révolution du 1er novembre 1954, il appuie il est désigné responsable l’action du FLN et se résout à gagner clandestinement du journal El Moudjahid. Tunis en juillet 1957. En 1960, il est porte-parole du De mai 1961 à mars 1962, Gouvernement provisoire de la République algérienne il est désigné porte-parole (GPRA) aux négociations de Melun, puis à Evian en de la délégation algérienne aux négociations d’Evian mars 1962. Après l’indépendance, il est ministre de la alors qu’il a à peine 30 ans. A cette époque, il dirigeait Reconstruction et des Travaux publics jusqu’à décembre le journal El Moudjahid, organe central du Front de 1964. A compter de cette date, il se tient à l’écart de la libération nationale (FLN), et a assisté aux discussions, vie politique. Il obtient alors un poste à l’Unesco, qu’il sur les bords du lac Léman, qui ont conduit à la

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Supplément N° 11 - Mars 2013.

Accords d’Evian Histoire signature des accords, le 18 mars, et au cessez-le-feu entré en application le lendemain. Il est aujourd’hui âgé de 82 ans est reste le seul survivant des négociateurs d’Evian.

Benmostefa Benaouda Benmostefa Benaouda est né en 1925 à Annaba. En avril 1951, il rejoint les maquis pour participer à la lutte armée. Il est militant du Parti du peuple algérien (PPA) puis du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), membre de l’Organisation spéciale (OS), du groupe des 22 et du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA). Il occupe des postes de responsabilité durant la lutte de libération nationale, notamment responsable de la Wilaya II, chargé de la logistique en matière d’armement et participe en 1961 aux négociations d’Evian II en remplacement de Kaïd Ahmed, sur décision du GPRA. Il est aujourd’hui âgé de 88 ans et reste le seul survivant du groupe des 22.

Mohamed Seddik Benyahia Mohamed Seddik Benyahia est né le 30 janvier 1932 à Jijel. Durant la révolution, tout en étant jeune avocat, il prend une part active dans la lutte pour l’indépendance. Il est secrétaire général de la présidence du Gouvernement provisoire de la République algérienne et membre de la délégation algérienne lors des négociations d’Evian. Il fait partie de la délégation algérienne aux pourparlers de Melun en 1960. Il est chargé de présider la réunion du CNRA à Tripoli (Libye) en 1962. Après l’indépendance, il est nommé ambassadeur à Londres puis à Moscou. Il est ministre de l’Information de 1967 à 1971, de l’Enseignement

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

supérieur et de la Recherche scientifique de 1971 à 1977, des Finances de 1977 à 1979, des Affaires étrangères de 1979 à sa mort. En 1981, il est gravement blessé dans un crash d’avion au Mali, mais ne survivra pas à un autre accident d’avion au mois de mai 1982 lors d’une mission de paix entre l’Irak et l’Iran.

Saâd Dahlab (1919-2000) Saâd Dahlab est né en 1919 à ksar Chellala dans la région de Tiaret. Il suit des études dans sa ville natale avant de se rendre à Médéa puis à Blida et obtient son baccalauréat en 1940. Après le déclenchement de la révolution, il est arrêté et emprisonné par les autorités coloniales françaises jusqu’à sa libération au printemps de 1955. Durant l’été 1955, il rejoint les rangs du Front de libération nationale (FLN) puis est désigné membre du Comité de coordination et d’exécution (CCE) chargé de l’information et de l’orientation. Après le transfert du commandement du CCE à l’extérieur, il part au Maroc avec Abane Ramdane en passant par la Wilaya V. Il devient l’adjoint de Ferhat Abbès et membre du Gouvernement provisoire de la République algérienne au sein duquel il occupe les postes de vice-ministre de l’information, secrétaire général, puis ministre des Affaires étrangères. Il participe également aux négociations d’Evian qui se sont soldées par l’indépendance de l’Algérie. Il est décédé le 16 décembre 2000.

Lakhdar Bentobbal (1923-2010)

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Slimane Bentobbal, dit Si Lakhdar, est né le 8 janvier 1923 à Mila. Il est l’un des artisans, avec Zighoud Youcef, de l’offensive du Nord-Constantinois le 20 août 1955. Militant au PPA dès 1940 dans sa ville natale, il devient membre de l’OS en 1947. Condamné par

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Accords d’Evian Histoire contumace par les autorités coloniales, il entre dans la clandestinité. En octobre 1954, il fait partie du groupe des 22 et devient l’un des responsables de la lutte armée dans le Nord-Constantinois avant de prendre la succession de Zighoud Youcef à la tête de la Wilaya II. Après avoir rejoint Tunis en 1957, il est nommé ministre de l’Intérieur au sein du GPRA de septembre 1958 à juillet 1959 et de janvier 1960 à août 1961. Dans le troisième GPRA, présidé par Benyoucef Benkhedda, il devient ministre d’Etat sans portefeuille. Si Lakhdar a fait partie de la délégation des négociateurs qui s’est rendue en Suisse pour les négociations d’Evian entre le GPRA et le gouvernement français. Il est décédé le 21 août 2010.

M’hamed Yazid (1923-2003) M’hamed Yazid est né à Blida le 8 avril 1923 et y effectue ses études jusqu’à l’obtention de son baccalauréat. En 1945, il se rend à Paris pour s’inscrire à l’Institut des langues orientales, ce qui lui permet de maîtriser plusieurs langues. En 1942, il adhère au Parti du peuple algérien

alors qu’il est encore étudiant puis est élu secrétaire général de l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMNA) de 1946 à 1947. En 1948, il est arrêté et condamné à deux ans de prison sous l’accusation de détention de tracts clandestins. Il participe de façon efficace aux 10e, 11e et 12e sessions des Nations unies qui ont inscrit la question algérienne à l’ordre du jour de leurs travaux. M’hamed Yazid est l’un des négociateurs qui ont paraphé les accords d’Evian en mars 1962. Il est décédé le 31 octobre 2003 à l’âge de 80 ans.

Ahmed Francis (1912-1968) Ahmed Francis est né à Relizane le 12 novembre 1912. Il effectue l’ensemble de ses études en France et obtient son doctorat en médecine à l’Université de Paris. De retour en Algérie, il exerce sa profession à Sétif en 1942. En 1956, il rejoint les rangs de la Révolution et après le Congrès de la Soummam il est nommé membre suppléant au Conseil national de la Révolution algérienne. Il devint ministre des Finances dans les première et deuxième formations du Gouvernement provisoire de la République algérienne présidé par Ferhat Abbès (1958-1961). Il participe aux premières négociations d’Evian. Après l’indépendance, il est nommé député dans la première Assemblée constituante, puis ministre des Finances le 27 septembre 1962. Ahmed Francis est décédé le 1er septembre 1968 à Genève (Suisse). Abderrachid Mefti

Les Algériens à Evian

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Supplément N° 11 - Mars 2013.

Par Dahou Ould Kablia,

Ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales et président de l'Association nationale du ministère de l'Armement et des Liaisons générales (AN-MALG)

« Le GPRA était organisé comme une véritable machine d’état »

Accords d’Evian Temoignage Mémoria : Monsieur Dahou Ould Kablia, vous êtes président de l’Association des anciens moudjahidine du MALG, ministère de l’Armement et des Liaisons générales. On célèbre le cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, indépendance acquise au prix d’un grand sacrifice du peuple algérien. Elle intervient après une longue lutte et un long processus de négociations. Alors pour commencer cet entretien, pouvezvous, puisque vous avez participé à ces négociations en qualité d’expert de la délégation, revenir justement sur ce cheminement qui a abouti à la signature des accords d’Evian ? Dahou Ould Kablia :

Les dernières négociations d’Evian, celles qui ont abouti à l’accord qui a été signé, il faut le souligner, le 18 mars 1962 pour un arrêt effectif des combats, le lendemain 19 mars à 12h, ont été le fruit de la longue lutte du peuple algérien qui a résisté avec constance et détermination à la soldatesque française et à ses suppôts, en Algérie et ailleurs, depuis le premier coup de fusil du 1er novembre 1954. Pour ce qui est des préparatifs des négociations, ils ont fait l’objet d’une longue maturation de réflexions et d’idées, à la suite des initiatives émanant principalement de la partie française qui se trouvait confrontée, dès le départ, à une résistance militaire et politique qu’elle n’arrivait pas à juguler. C’est ainsi que depuis 1956, des appels discrets, directs ou indirects, ont été lancés à la partie algérienne pour l’amener à cesser les combats et à discuter de l’avenir du pays, avenir que la partie française voyait réduit à une gestion autonome

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sous sa tutelle propre, comme cela s’est passé, notamment, avec les deux pays voisins. Ce qui a été toujours rejeté.

Mémoria : Ces contacts étaient plus importants avec l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir en 1958, pensezvous que de Gaulle avait pensé, avait réfléchi à un processus qui allait aboutir à l’indépendance de l’Algérie ? Dahou Ould Kablia :

Sur ce point, il y a lieu de préciser que le général de Gaulle est arrivé après le 13 mai 1958, mais il n’a pris ses fonctions officielles qu’à partir du mois d’octobre 1958. Il est arrivé au pouvoir dans une période où l’échec des opérations dites de maintien de l’ordre était consommé, et où, sur le plan politique en particulier, le peuple algérien était totalement engagé et uni derrière ses dirigeants, donc derrière le FLN, pour mener à son terme l’objectif de recouvrement de sa liberté et de son indépendance. Par conséquent, le général de Gaulle ne pouvait rien faire de plus que ses prédécesseurs. Il faut rappeler, à ce propos, que la question algérienne a fait tomber la IVe république. Il y a eu plusieurs gouvernements qui se sont succédé entre 1954 et 1956 sans qu’ils puissent apporter une solution. Pourquoi ? Parce que ces pouvoirs étaient faibles vis-à-vis de l’armée d’une part, et des pieds-noirs d‘autre part. Le général de Gaulle a essayé, alors, de s’affranchir progressivement de ces deux contraintes : celle d’une armée fortement traumatisée par ses échecs antérieurs et qui voulait sa revanche en Algérie tout en partageant les thèses de « l’Algérie française » d’une part, et celle, d’autre part, d’une communauté française qui a cru en lui au départ mais qui a changé d’avis lorsqu’elle s’est aperçue que celui-ci avait une vision

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Accords d’Evian Temoignage différente et qu’il pensait, en son for intérieur qu’il n’y avait plus de place à la poursuite de l’idée de « l’Algérie française ».

Mémoria : On revient aux négociations, si vous le permettez. Menées par le GPRA, ces négociations se sont soldées par un succès indiscutable. Comment se sont-elles déroulées ? On dit qu’elles étaient serrées ? Dahou Ould Kablia :

Serrées bien sûr. Il faut dire que le GPRA, contrairement à ce qu’on peut imaginer, ou à ce qu’on ne dit pas assez, était organisé comme une véritable machine d’Etat. Il avait des services structurés et hiérarchisés. Il avait beaucoup d’experts : certains travaillaient directement sous sa coupe et d’autres qui n’étaient pas forcément structurés lui apportaient leur concours à la demande. La reconnaissance publique, le 16 septembre 1959, par le général de Gaulle du droit du peuple algérien à l’autodétermination, a été le déclic qui a fait qu’on changeait littéralement de voie, et qu’il fallait par conséquent mettre l’accent sur le volet politique sans négliger l’action militaire qui le confortait. Quand de Gaulle parle d’autodétermination, il est évident que les dirigeants du FLN étaient convaincus que le peuple algérien, lui donnerait un sens différent et qu’au moment du vote, il allait opter pour l’indépendance et pas pour une autre solution, bien que le général de Gaulle souhaitait aboutir à un accord d’association ou de partenariat, comme il dit privilégié. A partir de là, le GPRA s’est organisé pour se préparer convenablement à ces négociations, et ce en se dotant de moyens humains, notamment comme je l’avais dit précédemment, en mobilisant à côté des dirigeants officiels un certain nombre d’experts nationaux ou de pays amis ; et en

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se dotant également d’une base matérielle indispensable à la conduite des négociations. Des dossiers de base ont été constitués sur les différents sujets qui avaient été abordés, plus ou moins, au cours des contacts et des pourparlers antérieurs. Des commissions spécialisées ont été mises sur pied à Tunis, au niveau de la présidence du GPRA, avec comme animateur principal, le focteur Ahmed Francis assisté de Mohammed Seddik Benyahia, directeur de cabinet du président Ferhat Abbas. Ce dernier a effectué un travail remarquable d’analyse pour regrouper et mettre à la disposition de la délégation un grand nombre d’argumentaires juridiques, économiques, politiques, etc.

Mémoria : Justement, le rôle du MALG était-il simplement de mettre à la disposition de cette délégation toutes informations nécessaires ou avait-il un autre rôle ? Dahou Ould Kablia :

Dans ce type de négociations, l’information était capitale. La délégation algérienne était informée par les services du MALG sur tous les thèmes envisagés. Le MALG avait déjà des services organisés bien avant les négociations. Il avait une pépinière de jeunes cadres de haut niveau parmi lesquels des licenciés en sciences économiques, des juristes, des économistes, des experts militaires, etc. Tous ces cadres qui faisaient partie des services du MALG travaillaient déjà dans une perspective à long terme, y compris en anticipant le devenir de l’Etat algérien. Le MALG était chargé de réunir, de mettre en synergie de nombreux groupes de travail chargés d’exploiter les précieuses informations que détenaient ses services sur des questions politiques, économiques, financières et militaires en particulier, par les réseaux

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Accords d’Evian Temoignage d’information qu’il avait à l’extérieur, par un certain nombre également de méthodes spécifiques d’exploitation de l’information (écrite ou orale). Les services du MALG avaient une excellente connaissance des problèmes politiques qui se posaient à l’époque et de la manière avec laquelle il fallait affronter éventuellement ces négociations. C’est ainsi que des dossiers extrêmement épineux, que l’on ne pouvait traiter autrement, comme le dossier sur le pétrole, étaient pris en charge par le MALG. Tout le dossier sur le pétrole a été préparé par le secrétaire général du MALG lui-même, Laroussi Khalifa, qui en coordonnait le travail. Le MALG avait obtenu des informations de source extrêmement sûre et autorisée (proche du pouvoir français). Il avait également obtenu le concours d’Enrico Mattei, le grand patron de l’ENI, qui était l’ami personnel d’Abdelhafid Boussouf, qui l’avait aidé à s’implanter en Libye et à participer à l’exploitation de champs pétroliers alors que son entreprise l’ENI subissait un boycott en règle de la part des grandes entreprises internationales, angloaméricaines, en particulier. Le concours de Mattei a permis de pénétrer la chasse gardée des stratèges pétroliers et la manière de mener les négociations sur ce dossier.Les autres dossiers, ceux relatifs au statut de la minorité qui traite beaucoup plus des aspects juridiques, c’est-àdire des droits et des devoirs de cette minorité et ceux relatifs à la souveraineté, à l’unité du peuple, aux richesses nationales et à l’intégrité du territoire, étaient des problèmes dont les principes directeurs n’avaient pas besoin d’être préparés à la base, car, ils étaient déjà fixés dans la proclamation du 1er novembre 1954, la plateforme de la Soummam et autres résolutions du CNRA, les objectifs et les préalables étaient, donc, définis et connus. Le MALG a été également chargé de la préparation du dossier

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militaire. Pour celui-ci, il était suffisamment informé sur l’ordre de bataille, déployé par l’armée française en Algérie, sur ses difficultés matérielles, la lassitude et les hésitations de ses troupes, au lendemain de la tentative avortée du putsch, enfin sur la désillusion de son encadrement, à la suite du conflit que celuici avait avec le général de Gaulle. De ce fait, la baisse du régime de combat qui était mené à l’intérieur du pays par celle-ci était patente en cette année 1960.Tous les documents concernant ces questions ont été préparés par les services du MALG et mis à la disposition de la délégation officielle. Elle-même, d’ailleurs était assistée, tout au long des diverses négociations et ce depuis le premier jour, par des experts du MALG. A Melun, à Evian I, à Lugrin, aux Rousses et à Evian II, les éléments du MALG étaient toujours présents. Boussouf était le seul ministre qui n’a pas fait partie des différentes délégations parce qu’il avait ses hommes au sein même de ces délégations. Il était en contact permanent avec chaque délégation, et les experts du MALG qui assistaient la délégation apportaient, chaque fois que de besoin, les précisions nécessaires. Ils participaient même à la rédaction des réponses aux propositions des négociateurs français. Il y avait également une autre participation que l’on ne souligne pas assez qui est moins importante certes, mais néanmoins nécessaire : il s’agit de la sécurisation de la délégation. Le MALG avait pris en charge tout le volet relatif à la sécurité des membres de la délégation sur tous les plans, et ce en relation avec la police suisse. Il a eu connaissance qu’il y avait des tentatives d’installer des micros dans les résidences et les hôtels des membres de la délégation, comme il y avait des possibilités d’écoute à distance. Toutes les dispositions ont été alors prises par les services du MALG en liaison avec les services

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Accords d’Evian Temoignage de la sécurité suisse. La question des liaisons et communications était aussi assurée par les services du MALG. Les techniciens et les agents de transmission du MALG garantissaient la diffusion, le chiffrage et le décryptage de toutes les communications télégraphiques et de tous les messages. Quand il s’agissait de transmettre un message d’une grande importance, des agents de liaison sûrs étaient désignés pour assurer le déplacement entre la Suisse et Tunis. Les éléments du MALG qui se trouvaient avec la délégation étaient chargés, enfin, des questions techniques liées à tous les travaux de secrétariat et de duplication.

qu’elle ne céderait pas sur quatre points : en plus du problème des ressources du sol et du sous-sol qui sont une propriété nationale de l’Etat souverain, il fallait absolument qu’à partir du cessez-le- feu, les autorités françaises cessent toute attribution de concessions ou de permis de recherche, cessent également toute prorogation des délais qui avaient été accordés antérieurement, s’interdisent toute modification du capital des sociétés, c’est-à-dire de la répartition des actions pour que l’Etat ne transfère pas un certain nombre d’actions qui lui sont propres vers des sociétés qui sont sur place et il fallait aussi que ces mêmes autorités ne modifient ni le régime fiscal ni le régime des dividendes, c’est-à-dire des bénéfices.

Mémoria : Peut-on avoir une idée générale justement sur la question Mémoria :Donc, la délégation précise du pétrole ? algérienne avait pratiquement toutes Dahou Ould Kablia :La vérité essentielle, les données sur ce dossier du pétrole. c’est que dans le domaine du pétrole, les documents que le MALG détenait n’étaient pas à la disposition de tout le monde. D’abord, il avait les données réelles actualisées sur l’état de tout ce qui se faisait au Sahara : les permis qui avaient été accordés, les concessions, les tarifs douaniers, les tarifs fiscaux, les dividendes et les capitaux de l’Etat français au niveau des sociétés exploitantes (dans beaucoup de sociétés, l’Etat français était propriétaire du capital à 100% et dans d’autres il avait des participations). Il fallait absolument avoir toutes ces données pour que les intérêts de l’Etat algérien qui devait, une fois indépendant, se subroger à l’Etat français dans ces entreprises, soient sauvegardés. Cela n’a été exposé lors des négociations qu’en dernière minute, et ce pour ne pas éveiller les soupçons de la partie française qui aurait pu apporter des modifications. Comme règle de conduite, il avait été décidé, coté délégation algérienne,

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Dahou Ould Kablia :Absolument,

les négociateurs français eux-mêmes étaient assez surpris de voir que la réponse venait assez rapidement. D’ailleurs, dans une lettre du conseiller à la sécurité de Michel Debre, premier ministre français, Monsieur Constantin Melnik disait clairement que les négociateurs algériens sont « d’habiles négociateurs, sont des gens qui savent ce qu’ils veulent et qui savent où mettre les pieds ». C’est donc une reconnaissance plus qu’officielle de la compétence de la délégation. Je ne veux pas manquer, à cette occasion, de mettre en exergue la haute compétence du Président Ferhat Abbas qui a, dans une instruction historique, dont je détiens copie, tracé le cadre général de la stratégie de négociation sans esprit de confrontation, sans précipitation et surtout sans concession pour mieux asseoir la crédibilité de leur représentation et assurer

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Accords d’Evian Temoignage ainsi les meilleures chances de réussite sans omettre également de souligner l’engagement et la clairvoyance de l’ensemble des membres des délégations successives qui étaient dirigées comme chacun sait, par Krim Belkacem, un homme de principes, de conviction et de bon sens, devant des négociateurs français, professionnellement armés pour obtenir le maximum de résultats favorables à leurs intérêts.

Mémoria : Comment voyez-vous ces accords d’Evian avec du recul, aujourd’hui 50 ans après les faits ? Dahou Ould Kablia :Le

bilan de ces accords est conforme à l’esprit et à la lettre des principes et des objectifs de la révolution. Les dirigeants algériens de 1954 à 1962 ont respecté scrupuleusement et avec constance les principes énoncés dans la proclamation du 1er novembre qui se traçait comme objectif l’indépendance. Ces mêmes principes ont été redéfinis et confirmés dans la plate-forme de la Soummam ainsi que dans les différentes résolutions du CNRA. De plus, la délégation avait obtenu, cela aussi il faut le souligner, parce que les gens ne le savent pas, l’accord et le soutien des cinq dirigeants détenus en France. Il y a eu des échanges permanents, ils étaient, donc, tenus régulièrement informés. Il est bon de rappeler aussi que dès le début des différentes négociations, la délégation algérienne a toujours insisté sur la libération des cinq détenus, pour que leur participation directe ou indirecte confirme leur adhésion entière et donne plus de sens aux garanties pour l’avenir. Ce n’est qu’après les résultats estimés positifs, de la rencontre des Rousses à la mi-février 1962 que les autorités françaises ont autorisé une délégation algérienne, composée de Belkacem, Benyahia et Bentobal, à leur rendre visite en

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prison. Après concertation, les cinq détenus avaient confirmé le mandat donné au GPRA d’achever la négociation et de signer. Mandat qui sera officiellement validé par le Conseil national de le Révolution avant le dernier round, lors de la réunion de la mi-mars 1962. Le cessez-le-feu a été respecté à la lettre par les combattants de l’intérieur confirmant et confortant l’autorité pleine et exclusive des dirigeants du FLN. Le 19 mars a été la fête de la victoire et c’est comme telle que la population algérienne l’a accueilli comme prélude à la date historique du 3 juillet 1962 où les résultats du référendum ont définitivement scellé la fin de la présence coloniale française en Algérie. Pour revenir à votre question il n’échappe à personne que cinquante ans après l’indépendance, les acquis de la révolution au regard des valeurs essentielles véhiculées et défendues avec force tout au long de la lutte de libération sont présents et visibles, notamment une souveraineté inviolable, une unité renforcée, une liberté de choix dans nos relations avec les tiers nullement contestée. Sur un autre plan pour la construction du pays, de nombreux chantiers ont été ouverts depuis 1962 pour l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens (éducation, santé, emploi, logement), de grands travaux d’infrastructures ont été engagés ces dix dernières années. Il reste à souhaiter que le projet de société dans ses aspects d’approfondissement de la culture démocratique et des droits de l’homme, du rôle de la représentation populaire, de la gouvernance et de l’équilibre des pouvoirs fasse l’objet, comme cela a été inscrit dans le programme de réformes de Monsieur le président de la République, d’un consensus et d’un suivi à même d’amener à sa rapide concrétisation, pour le développement complet de notre pays et le bonheur de notre peuple.

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Entretien réalisé par Imad KENZI

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Accords d’Evian Histoire Les premiers contacts

un gouvernement Français indécis

Des membres de la délégation française à Evian entourant Michel Debré

Par Boualem Touarigt LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Accords d’Evian Histoire Les membres du GPRA: de g à dr: Krim Belkacem, Abdelhafidh Boussouf, Mohamed Boudiaf, Ahmed Ben Bella, Benyoucef Ben Khedda, Rabah Bitat, Mohamed Khider, Lakhdar Bentobbal, Derrière : Mohammedi Saïd, Hocine Aït Ahmed et M’Hamed Yazid.

L

es premiers contacts entre le FLN et des représentants du gouvernement français furent initiés au Caire en mars 1956 par l’ambassadeur Georges Gorse, à la demande du ministre des affaires étrangères Christian Pineau qui aurait sollicité une médiation égyptienne. Ils furent poursuivis à compter du 10 avril entre Khider et Joseph Begara, un pied-noir d’Oran, membre de la direction de la SFIO. La position française était résumée par le triptyque chronologique « cessez-le-feu, élections, négociations » avec pour perspective une autonomie interne limitée et tempérée par un statut d’exception pour les Européens d’Algérie. A Belgrade, fin juillet, mandatés par les dirigeants extérieurs, Ahmed Francis et M’hamed Yazid rencontrèrent un proche de Guy Mollet, Pierre Commin, secrétaire général adjoint de la SFIO. Les protagonistes tombèrent d’accord sur l’ouverture de « discussions préliminaires secrètes, officielles et directes entre les représentants du gouvernement français et le FLN. » Les conversations reprirent à Rome à la mi août puis début septembre. A ces derniers entretiens, les représentants algériens étaient trois –Khider, Yazid, Kiouane- face à trois Français membres de la direction de la SFIO

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: Pierre Commin, Ernest Cazelles et Pierre Herbault. La délégation française présente le contenu du nouveau statut envisagé pour l’Algérie : large autonomie interne, collège unique mais statut particulier pour la minorité européenne garanti par des dispositions législatives. Ces dispositions seront d’ailleurs reprises dans le projet de loi cadre qui sera adopté en 1958. Rendez-vous est pris pour septembre. Les membres de la délégation extérieure du FLN restaient très méfiants. D’après Réda Malek, Mohammed Khider aurait envoyé une lettre le 24 août 1956 : « Si nous acceptons de rencontrer Commin fin août à Rome c’est pur lui demander si son gouvernement est prêt ou s’il n’est pas prêt à reconnaître au peuple algérien son indépendance. La réponse sera évidemment non, ce qui nous permettra de rompre sur une question infiniment plus intéressante que nos frères combattants comprendraient mieux ainsi d’ailleurs que nos amis et, d’une façon générale, l’opinion qui nous soutient. » Mohammed Khider était méfiant à juste titre. Le 31 mai 1956, il répondait à l’ambassadeur de l’Inde au Caire qui appuyait une démarche de son premier ministre Nehru. Celui-ci voulait dissuader le FLN de saisir l’ONU. Khider alla même jusqu’à accuser le gouvernement français de manœuvres et de mener une « politique double ».

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Accords d’Evian Histoire Délégation des principaux dirigeants du FLN (de gauche à droite Mohamed Khider, Mostefa Lacheraf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et Ahmed Ben Bella) après leur arrestation à la suite du détournement, le 22 octobre 1956, de leur avion.

Une nouvelle entrevue a lieu le 22 septembre 1956 à Belgrade où Pierre Herbault rencontre Mohammed Khider et Lamine Debaghine qui vient d’être désigné comme responsable de la délégation extérieure du FLN par le congrès de la Soummam. Herbault rappelle la position de son parti sur la base du projet de statut. Les représentants du FLN réaffirment le préalable de l’indépendance. Le délégué français demandent un temps pour consulter le président Guy Mollet qui l‘avait mandaté. Le FLN se méfiait de ses interlocuteurs qu’il soupçonnait de gagner du temps pour éviter un débat à l’ONU. Les 22 et 23 octobre 1956 devait s’ouvrir à Tunis une conférence maghrébine à laquelle devaient participer le président Bourguiba, le roi Mohammed V et la délégation extérieure du FLN. Il s’agissait d’évaluer la situation à la lumière des derniers entretiens de Belgrade et Rome et d’élaborer une position commune pour une éventuelle union maghrébine indépendante. Le 22 octobre 1956, l’avion qui transportait les membres de la délégation extérieure (Khider, Aït Ahmed, Ben Bella et Boudiaf) ainsi que Mostéfa Lacheraf est détourné sur ordre du commandement militaire français en Algérie, conforté par Max Lejeune, secrétaire d’Etat aux forces armées, sans en référer au gouverneur général ni à Guy Mollet chef du gouvernement français qui sera mis

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devant le fait accompli. M’hammed Yazid dénoncera le 26 octobre 1956 la duplicité du gouvernement français accusant le premier ministre de manquement à sa parole.

1957 : le CCE rappelle le préalable de l’indépendance

Les contacts sont rompus pour plusieurs mois. Le 2 juillet 1957, l’avocat Ahmed Boumendjel reçoit dans son bureau parisien Goëau-Brissonnière, officiellement chargé de mission à la présidence du conseil, mandaté par le nouveau président du conseil Bourgès-Maunoury pour prendre contact avec le FLN. Celui-ci rencontra quelques jours plus tard deux délégués syndicaux à Tunis : Mouloud Gaïd et Ameziane Aït Ahcène qui demandent à ce qu’on aborde le problème de fond, celui de l’indépendance de l’Algérie. On promet de se retrouver en juillet. Ces contacts sont diffusés dans la presse. Le chef du gouvernement français nie tout. Le nouveau CCE formé au Caire en août 1957 rappela la reconnaissance préalable de l’indépendance. Les contacts sont de nouveau coupés. En fait le FLN ne veut pas banaliser les négociations ni montrer au gouvernement français qu’il accepte le nouveau statut de l’Algérie. Il tient aussi à montrer que la revendication

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Accords d’Evian Histoire Habib Bourguiba et Mohammed V, le roi du Maroc

d’indépendance est partagée par tous les anciens courants du mouvement national, particulièrement ceux considérés comme « modérés » et partisans d’une indépendance par étapes, à la tunisienne. A la fin de 1957, le gouvernement français pratique la fuite en avant. Le contexte international a changé et il ne montre pas qu’il en tient compte. Dans un contexte de guerre froide, les deux super grands dirigent le monde et n’acceptent pas que les relations internationales échappent à leur contrôle. Ils n’acceptent pas que les puissances moyennes que sont devenues la France et la Grande Bretagne puissent déclencher des conflits dont les conséquences seraient incontrôlables. Ils l’ont montré lors de l’affaire de Suez. Les Etats-Unis évoluent rapidement sur la question algérienne. Ils craignent que le raidissement de la France et la politique de répression menée par le gouvernement français pousse le FLN dans le

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camp soviétique. Ils regrettent leur attitude envers Nasser qui a permis l’intervention des soviétiques en Egypte. Bourguiba manœuvre habilement, lorsqu’il annonce son appartenance au monde occidental tout en réclamant l’indépendance de l’Algérie. Il œuvra pour un Maghreb uni indépendant et proche de l’alliance atlantique, dans tous les cas refusant l’alignement sur les positions de l’Est. Kennedy, le premier considéra que la poursuite de la guerre en Algérie devenait un danger pour l’alliance atlantique et risquait de créer au Maghreb un foyer permanent d’instabilité entraînant même une extension du conflit au Maroc et à la Tunisie. Il le déclara dans son fameux discours du 2 juillet 1957. Le gouvernement français menait en Algérie une politique qu’il ne pouvait plus maîtriser devant une insubordination affichée de l’armée et l’irréductibilité des groupes extrémistes européens d’Algérie. L’intérêt des Etats-Unis

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voulait une politique plus souple, la fin des empires coloniaux et l’émergence de pouvoirs locaux modérés pro occidentaux et décidés à une coopération étroite avec les Américains. Pour eux, le maintien de la colonisation et la poursuite des répressions renforçaient les groupes radicaux et faisaient le jeu du camp soviétique. La France n’avait plus la liberté de mener sa propre politique mondiale sans tenir compte des intérêts des USA. Ceux-ci allaient évoluer rapidement dans leur position internationale. En 1960, la fin de la guerre d’Algérie devenait une nécessité. Même s’il avança le préalable de l’indépendance, le FLN eut une politique internationale modérée et ne se coupa pas du soutien occidental. Les conséquences diplomatiques du bombardement du village tunisien de Sakiet Sidi Youssef, particulièrement l’intervention des Etats-Unis à travers la mission des « bons offices » ont bien montré que les Américains ne voulaient pas qu’un conflit impliquant un pays occidental échappe à son contrôle. Le gouvernement français n’avait pas alors compris qu’il n’avait pas les moyens de mener une politique qui ne tienne pas compte des grandes puissances qui régissaient désormais le monde. La mission américanobritannique des bons offices évita une internationalisation et laissa le conflit algérien sous contrôle. Du 27 au 29 avril 1958 se tient à Tanger une conférence de trois partis maghrébins : Istiqlal, Néo Destour et FLN. Celui-ci est poussé à créer rapidement un gouvernement provisoire et à accepter la négociation avec le gouvernement français. Boualem Touarigt

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Accords d’Evian Histoire 1958-1960

De Gaulle veut une victoire militaire

Par Boualem Touarigt LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Accords d’Evian

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Histoire

n 1958, après l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, il y eut deux émissaires désignés: Jean Amrouche et Abderrahmane Farés. Les contacts qu’ils initièrent restèrent sans suite. Abderrahmane Farés, déjà en liaison avec le FLN, refuse d’entrer au gouvernement du général de Gaulle et accepte une mission de contacts. Ce fut aussi le cas de Jean Amrouche. Les deux sont séduits par le projet que leur dessine de Gaulle : l’Algérie deviendrait un état autonome au sein d’une communauté franco-africaine, qui serait associé aux deux autres pays maghrébins et aussi à la France. Elle pourrait plus tard demander son indépendance. A la conférence maghrébine de Tunis (17 au 20 juin 1958), Ferhat Abbas exprime une position dure : « Pour nous, la position de de Gaulle signifie la guerre. Le mot intégration signifie guerre. » Le 5 juillet, il annonce la poursuite de la lutte armée. Devant la situation militaire extrêmement difficile, le CCE prend une série de mesures : il porte la guerre sur le territoire de la métropole, adapte sa tactique militaire et redéploye son action diplomatique (à la fois vers les Etats-Unis et les pays communistes). De Gaulle cherche toujours le contact. Il transmet ses messages par le biais de ses deux émissaires. Mais il ne se déclare prêt à discuter que de la cessation des combats. En août, Abdelhafid Boussouf s’exprime dans France Observateur : « Jusqu’à présent, les Français n’ont fait aucune ouverture sérieuse. On veut nous pousser à tomber dans un piège. » En septembre, Abderrahmane Farés rencontre Ferhat Abbas à qui de Gaulle fait parvenir le fameux « document Pompidou » qui n’est qu’une offre de garantie pour le déplacement en France d’une délégation du FLN pour négocier le cessez-le-feu. Abbas rejette le document sans couper les ponts. Il propose une rencontre officielle de haut niveau sur un terrain neutre. Il n’aura pas de réponse. La constitution du GPRA et surtout la nomination à sa tête de Ferhat Abbas, connu pour sa modération et sa volonté de dialogue expriment la volonté du FLN d’aller vers des négociations véritables. Mais de Gaulle n’est pas encore prêt. Il doit trouver sa voie, mettre au point sa stratégie. Surtout, il est conscient de la difficulté de faire accepter ses choix par la hiérarchie militaire presque dans une rébellion déclarée. Il veut une solution politique qui à la fois préserve les intérêts stratégiques et militaires de la France et aussi qui soit acceptée par la minorité européenne d’Algérie. Il

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veut gagner du temps, en entretenant volontairement le flou sur ses intentions. Il joue la carte militaire à fond, espérant profiter des difficultés de l’ALN et des rivalités internes du mouvement de libération. Avec le plan de Constantine, il espère améliorer les conditions d’existence des Algériens et les détacher du FLN, en accélérant l’émergence d’une « troisième force » composée d’élus algériens favorables au maintien de la présence française sous de nouvelles formes. Le 23 octobre 1958, il confirme sa stratégie en proposant « la paix des braves », appelant à la reddition des combattants. Dans sa réponse du 25 octobre, Ferhat Abbas, président d’un GPRA constitué le 19 septembre, répond avec fermeté : « Le problème du cessez-le-feu en Algérie, n’est pas simplement un problème militaire. Il est essentiellement politique. La négociation doit porter sur l’ensemble du problème de l’Algérie. Notre but est l’indépendance. » Il a compris que de Gaulle se sentait en position de force. Pour le FLN, il fallait tenir sur le terrain en empêchant une victoire militaire et rendant impossible le dégagement d’une troisième force, tout en accentuant l’isolement diplomatique de la France. Pourtant en octobre, le GPRA à peine constitué, avait fait des concessions sérieuses pour montrer sa volonté de paix à ses alliés. Il décide d’arrêter la guerre en métropole et dans un entretien avec le journaliste autrichien Arthur Rosenberg, Ferhat Abbas informe que le GPRA est prêt à une discussion sans aucun préalable. Cette nouvelle position où Abbas exprimait à coup sûr sa vérité était tactique pour le GPRA qui cherchait à prouver sa volonté de paix et à dévoiler les intentions du général de Gaulle. L’année 1959 fut une année de point-mort pour les négociations. D’une part, la France semblait miser sur l’option militaire en lançant les offensives Challe. Le FLN fut en proie dès la fin de l’année 1958 à de graves dissensions internes difficilement surmontées. Les combattants de l’intérieur subirent de nombreuses pertes et se retrouvèrent isolés, coupés de leurs sources d’approvisionnements en armes et munitions. Mais la résistance armée ne s’arrêta pas. Lamine Debaghine fut le plus perspicace : selon lui, la position française était en train d’évoluer et elle évoluerait encore rapidement dans le sens attendu par les Algériens.

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Boualem Touarigt

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Accords d’Evian Histoire

L’annonce de l’autodétermination ouvre une nouvelle étape

Le général Charles de Gaulle annonce le cessez-le-feu conclu à Evian

Par Boualem Touarigt LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Accords d’Evian

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e 16 septembre 1959, le général de Gaulle parle de Le 16 septembre 1959, le général de Gaulle parle de l’autodétermination de l’Algérie. Il s’engage à consulter les Algériens sur leur choix. Le 29 septembre, Ferhat Abbas répond que le GPRA est prêt à négocier sur la base de l’indépendance. Il affirme que le Sahara fait partie de l’Algérie. Cette déclaration avait été adoptée le 28 septembre par les membres du GPRA réunis avec l’ensemble des chefs militaires de l’ALN, regroupés depuis plus d’un mois à Tunis. Mais la méfiance envers de Gaulle n’a pas disparu. On craint la manœuvre. Le 4 octobre, le commandement de l’ALN lance un appel au renforcement de la lutte. L’acceptation du principe de l’autodétermination est un pas en avant. Mais celui-ci reste insuffisant. De Gaulle privilégiait l’association et n’envisageait pas encore l’indépendance. Il semblait privilégier l’éclatement du pays, excluait le Sahara et fixait des délais extrêmement longs pour la consultation des populations, tout en exigeant la fin des combats. La paix des braves était toujours à l’ordre du jour. De Gaulle propose, le 10 novembre, l’ouverture de pourparlers, en vue de discuter du cessez-le-feu. Le GPRA répond en désignant comme interlocuteurs les cinq dirigeants emprisonnés. Le gouvernement français se dérobe. Pour lui, les cinq sont « hors de combat ». Cette volte-face a des conséquences favorables au FLN sur la scène internationale. En décembre 1959, les EtatsUnis ne s’opposent pas à une

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Histoire résolution de l’ONU qui demande l’ouverture de négociations directes pour l’application du droit à l’autodétermination. En janvier 1960, se tient à Tripoli la troisième session du CNRA qui sort avec un nouveau GPRA où Ferhat Abbas est reconduit avec pour mission de mener les négociations sur des bases claires acceptées par tous : préalable d’un accord politique sur l’indépendance, statut de la minorité européenne, concessions limitées sur l’exploitation du pétrole et sur l’utilisation des bases militaires. Le FLN ne se fait pas d’illusions. L’heure n’est pas à la conciliation. Sur le plan strictement militaire, il faut tenir face à l’offensive Challe et redéployer l’activité de l’ALN. Sur le plan diplomatique, le GPRA noue des contacts avec les pays communistes et avec les mouvements de libération africains. Le FLN traverse ses moments les plus difficiles. Mais la résistance ne fléchit pas.

Juin 1960 : le commencement a lieu à Melun

De Gaulle fait un pas de plus. Il n’est pas sûr de tenir complètement en mains ses troupes en Algérie. Il arrive difficilement à réduire la révolte des ultras d’Alger lors de la « semaine des barricades », l’armée ayant obéi à ses ordres. Il fait du 5 au 7 mars sa « tournée des popotes » pour prendre le pouls de la situation sur place. Après avoir tenté des redditions séparées de combattants de l’ALN avec « l’affaire Si Salah » qui échoua, en mai 1960, il dépêche encore une fois Jean Amrouche auprès de Ferhat Abbas pour lui faire part de ses intentions qu’il

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Ferhat Abbas

Mohamed Seddik Benyahia

Ahmed Boumendjel

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Accords d’Evian Histoire confirme officiellement par son appel du 14 juin où il demande au FLN de venir discuter « pour trouver une fin honorable aux combats qui se traînent encore, régler la destination des armes et assurer le sort des combattants. » Le 20 juin 1960 Ferhat Abbas répond par une déclaration : « Le GPRA constate que la position actuelle du président de la République française, tout en constituant un progrès par rapport à ses positions antérieures, reste cependant éloignée de la sienne. Néanmoins, désireux de mettre fin au conflit et de régler définitivement le problème, le GPRA décide d’envoyer une délégation présidée par M. Ferhat Abbas pour rencontrer le général de Gaulle. » Le 25 juin arrivent en France les envoyés du GPRA : Ahmed Boumendjel, Mohammed Benyahia et le technicien des transmissions Hakiki. Ils sont transportés à Melun où se tint, au siège de la préfecture, la première véritable séance de négociations entre le GPRA et le gouvernement français représenté par Roger Morris directeur du secrétariat général des affaires algériennes, le général de Casties et le colonel Mathon. Les délégués s’en tinrent au cadre strict de la mission qui leur avait été confiée : discuter des conditions techniques d’un cessez-le-feu. Les contacts politiques auraient lieu plus tard. Les plénipotentiaires algériens furent traités comme des prisonniers : ils ne purent s’adresser aux médias, rencontrer les cinq dirigeants emprisonnés comme ils l’avaient demandé. Ils firent cependant traîner les discussions en demandant des éclaircissements sur les termes utilisés par le général de Gaulle dans sa déclaration du 14

juin. Le président français exigea la rupture des discussions. Il semble, ce ne sont que des hypothèses, que de Gaulle croyait ; qu’il était possible de mener des discussions séparées avec les chefs des combattants de l’intérieur. Le GPRA n’eut connaissance de l’affaire Si Salah qu’après Melun. Mais le gouvernement algérien ne se faisait pas d’illusions. La participation à Melun fut d’ordre tactique pour mettre à nu les intentions du général de Gaulle et prouver la bonne volonté du GPRA. Après l’échec de Melun, le FLN voit son influence grandir sur la scène internationale. A l’heure de l’accélération de la décolonisation dans le monde, la lutte du peuple algérien devient un symbole. Le FLN intensifie son action diplomatique en installant des représentations dans tous les continents. Les pays arabes reconnaissent le GPRA dans les mois qui suivent sa constitution. Les pays de l’Europe de l’Est accordent leur aide mais sont bridés par les nécessités de la relation entre les deux grands blocs, de

Gaulle ayant décidé de rompre les relations diplomatiques avec tout pays qui reconnaîtrait le GPRA. La Chine populaire apportera un appui conséquent et même inattendu. En Europe occidentale, les délégués du FLN obtiennent des résultats remarquables, tissant des relations avec tous les cercles influents de Grande-Bretagne, d’Allemagne, d’Italie, dans les pays scandinaves. Ils montrent un visage séduisant et inattendu pour des révolutionnaires : cultivés, modérés, raisonnables. Ils sont introduits dans les milieux politiques de différents bords, la presse, les cercles économiques.

L’impact des manifestations de décembre 1960

Des deux parties, c’était le GPRA qui semblait le plus à l’aise. Les conflits qui étaient apparus entre les dirigeants de la révolution et surtout le différend entre le gouvernement et l’état-major de l’ALN ne le gênaient pas. Tout le monde avait la même position sur les négociations. La réunion du CNRA de janvier

Manifestation de décembre 1960 ayant fait basculer Charles de Gaulle

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Accords d’Evian Histoire 1960 en avait fixé les termes et avait obtenu l’accord de tous. Par contre, de Gaulle était dans une position plus délicate. Il n’était pas encore totalement sûr de son armée. Jusqu’à Melun, il avait cherché la reddition des combattants du FLN. Lors de ces négociations, il avait exigé de ne s’en tenir qu’aux aspects militaires du conflit, reconnaissant implicitement par là que la victoire militaire n’avait pas été acquise sur le terrain. Il avait espéré alors obtenir un cessez-le-feu sans aborder les questions politiques. Michel Debré reconnaîtra plus tard : « Le général considérera alors que la paix des braves ne saurait être obtenue que par un accord direct avec le GPRA. » (Mémoires t3, 1988) Les manifestations de décembre 1960 firent basculer de Gaulle. Il constata que les Algériens suivaient le FLN et que les élites locales sur lesquelles il comptait pour constituer cette 3e force étaient acquises au FLN. Louis Terrenoire, son ministre de l’Information de l’époque déclara plus tard qu’ils avaient constaté que ces modérés algériens « étaient peut-être francophiles mais voulaient la paix et savaient que la paix passait par le FLN. » Et même de Gaulle aurait dit d’eux : « Ils cotisent tous au FLN. » C’est à ce moment que de Gaulle changea sa manœuvre. Il n’a pas obtenu de victoire militaire comme il l’espérait et ne pourra arriver à un cessez-le feu sans aborder les questions politiques. Il sait aussi qu’il ne trouvera pas sa troisième force en dehors du FLN. Bruno de Leusse révélera bien des années plus tard que de Gaulle soupçonnait – à tort – le GPRA de vouloir faire traîner les choses et de refuser la négociation. Quoi qu’il en soit, les

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marges de manœuvre se limitaient : impossibilité d’une victoire militaire malgré les moyens du plan Challe, ralliement des élites profrançaises à la négociation avec le FLN, soutien populaire au GPRA, aggravation des conflits avec une partie de l’armée et avec l’aile dure de la minorité européenne d’Algérie. De Gaulle signifie au gouvernement suisse son accord pour rechercher de nouvelles possibilités d’accord avec le GPRA.

1961 : de Gaulle relance les contacts avec les Suisses C’est Boulahrouf, représentant du FLN à Rome, qui relance des contacts par l’intermédiaire du Suisse Olivier Long qui en parle à Max Petitpierre, chef du département politique au conseil fédéral suisse. Le 19 janvier 1961, Boulahrouf

reçoit une communication d’Olivier Long qui lui confirme que le gouvernement français était prêt. Il part aussitôt pour Tunis où il rend compte à Belkacem Krim, Boussouf, Bentobbal, Saad Dahlab qui lui confirment leur accord. Puis il voit Ferhat Abbas au Caire qui lui donne le feu vert pour continuer. Il retourne à Genève où il confirme à Olivier Long l’accord du FLN pour la reprise des négociations. Il reçoit le 26 janvier une proposition de rencontre en Suisse avec Georges Pompidou. L’Histoire retiendra que le Premier ministre de l’époque Michel Debré tenta une démarche parallèle par l’intermédiaire du journaliste suisse Charles-Henri Favrod qui est chargé d’organiser une rencontre secrète qui a eu lieu à Genève entre Saad Dahlab et Claude Chaillet, conseiller de Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes.

Taieb Boulahrouf esquissant un large sourire

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Accords d’Evian Histoire Informé, le général de Gaulle tranche. Olivier Long écrira plus tard : « Le général demanda que l’on cesse les initiatives intempestives de certains services. » Le 20 février 1961, Ahmed Boumendjel et Taieb Boulahrouf rencontrent au Schweitzer Hôtel de Lucerne Georges Pompidou et Bruno de Leusse directeur des affaires politiques au ministère des Affaires algériennes. Les deux délégations font le constat de leurs profondes divergences. Le 5 mars, les mêmes délégués se retrouvent à l’hôtel Terminus de Neufchâtel. Le même jour la presse publiait l’appel de onze députés algériens (dont sept appartenaient au parti gaulliste) qui estimaient que l’autodétermination devait être discutée entre, d’une part, le gouvernement français et, d’autre part, le GPRA alors que certains dirigeants français n’excluaient pas la consultation d’autres tendances politiques algériennes. Les deux délégations parlent de l’autodétermination et du cessez-le-feu. Sur le Sahara et sur la base de Mers El Kébir, les positions sont fort éloignées. Devant ce constat d’échec, Olivier Long prend sur lui de se rendre à Paris pour obtenir des éclaircissements. Le 8 mars, il retrouve les délégués algériens en compagnie de Bruno de Leusse qui arrive de Paris. Celui-ci fait communication d’un texte secret du général de Gaulle. Le président français y proposait de passer à une discussion officielle sans préalable qui traiterait le problème au fond, dans ses dimensions militaires et politiques. Les deux délégués algériens retournent à Tunis où ils rendent compte au GPRA. Celui-ci reste méfiant mais décide de sauter le pas. Le 29 mars, Boulahrouf est de retour à Genève et donne l’accord du GPRA pour l’ouverture de négociations officielles directes le 7 avril. Il rencontre Bruno de Leusse avec lequel il rédige le communiqué suivant qui sera publié le 30 mars: « Le gouvernement fait savoir que les pourparlers relatifs aux conditions de l’autodétermination et aux problèmes qui s’y rattachent s’ouvriront à Evian le 7 avril avec les représentants du FLN. La délégation française sera conduite par le ministre d’Etat chargé des Affaires algériennes, M. Louis Joxe. » Avec habileté, le GPRA avait réussi à obtenir des autorités suisses un communiqué qui reflétait un accord entre deux partenaires égaux : « L’ambassade de France à Berne ainsi que les représentants du GPRA ont communiqué au Département politique fédéral que les négociations prévues au sujet de l’Algérie auront lieu prochainement à Evian. » Aussitôt annoncée, la première conférence d’Evian est reportée. Le 30 mars,

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Louis Joxe fait une déclaration à Oran par laquelle il confirme qu’il rencontrera aussi le MNA de Messali Hadj. Le lendemain le GPRA déclare le report des négociations.S’ouvre alors une période de grande tension. Il n’est pas exclu que le gouvernement français avait tenté là une manœuvre. Le MNA avait perdu toute influence et n’avait plus d’existence réelle. Bien des années plus tard, Claude Chaillet, conseiller de Louis Joxe, reconnut avoir été chargé de contacter Messali pour l’informer des préparatifs des négociations. L’ancien leader nationaliste lui-même avoua qu’il avait été utilisé pour faire pression sur le FLN. Bien des années plus tard, on sut que le gouvernement avait été tenté de lancer une nouvelle force politique nationaliste, proche du MNA, le FAAD (Front algérien d’action démocratique). Or cette formation politique était une création des services secrets français qui en manipulaient les dirigeants à leur insu, dont le cadi Belhadi. D’ailleurs, ce FAAD servit d’appât pour arrêter Salan. Olivier Long tente une médiation en contactant Michel Debré et Louis Joxe. La question du MNA pourrait être abordée lors des négociations même. De Gaulle veut aller à la négociation. Le GPRA est conscient des divergences entre les dirigeants de la Révolution. L’Etat-major insiste sur le règlement préalable des problèmes internes. Le GPRA estime être dûment mandaté et s’arrange pour préparer au mieux les négociations.

Le GPRA s’organise en vue des négociations

Lorsque les négociations se précisent, le GPRA met en place des structures de réflexion et d’élaboration chargées de réfléchir à toutes les questions en discussions. Il ne laissera rien au hasard et se montrera à la hauteur de ses interlocuteurs en proposant des textes de haute teneur, très documentés et abordant les questions les plus ardues. Une commission dirigée par Mohammed Benyahia, alors directeur du cabinet de Ferhat Abbas, est hautement politique. Elle est chargée de recueillir les avis des dirigeants de la Révolution et d’en tenir compte. Elle veilla ainsi à maintenir la ligne de conduite tracée par le CNRA et à préserver la cohésion de la direction, le cadre ayant été défini : • Préalable de la discussion des questions politiques • Souveraineté politique totale sur le Sahara et

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Accords d’Evian Histoire Ferhat Abbas et Ahmed Francis tous deux assis

laquelle il réaffirme le choix de l’autodétermination : « La France n’a aucun intérêt à maintenir sous sa loi et sous sa dépendance une Algérie qui choisit un autre destin… La décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique. »

Les événements imposent la reprise des discussions

les bases militaires, ce qui n’exclut pas une coopération économique privilégiée et des concessions temporaires de droits d’utilisation. • Egalité totale de droits entre tous les Algériens de confessions différentes • Unicité de la représentation politique des Algériens La commission présidée par Ahmed Francis avait été chargée de préparer les dossiers des négociations. Elle traça les perspectives qui seront développées lors des négociations, allant parfois dans des détails précis sur la période transitoire, les structures administratives et militaires, l’organisation du référendum, la question du pétrole, de l’enseignement, de la justice. Le GPRA installa plusieurs commissions spécialisées et des

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groupes de travail qui étudièrent à fond les questions les plus complexes. Des équipes du MALG travaillèrent sur les questions économiques, le projet de code pétrolier. On confia à l’état-major de l’ALN les questions militaires. Le 6 mars 1961, l’intermédiaire suisse Olivier Long avait organisé un contact secret entre, d’une part, Boumendjel et Boulahrouf et, d’autre part, Bruno de Leusse qui communiqua un texte secret rédigé par le général de Gaulle luimême. Ce document recommande des discussions sans préalables qui pourraient déboucher sur un accord réglant toutes les questions politiques et militaires. On peut alors entrer dans une négociation officielle et publique. Le 11 avril, de Gaulle tient une conférence de presse dans

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Boulahrouf arrive le 23 avril à Genève, apportant la réponse du GPRA. Le putsch des généraux du 22 avril accélère les choses : la négociation avec le GPRA est inévitable. L’échec des généraux d’Alger déblaie le terrain et lève l’hypothèque d’une opposition de l’armée à toute négociation. Par le bais de Olivier Long, la date de l’ouverture des pourparlers est fixée au 20 mai 1961. Les négociations se dérouleront sur le territoire français à l’Hôtel du Parc d’Evian. La délégation algérienne établit ses quartiers à la résidence du Bois d’Avrault qui a été mise à leur disposition par son propriétaire, l’émir du Qatar. Les autorités suisses et françaises prennent des mesures exceptionnelles de sécurité. Cette dernière étape de négociations connaîtra quatre phases : • Une phase publique (20 mai-13 juin 1961) à Evian suivie des rencontres de Lugrin (20- 28 juillet) • Des négociations secrètes (décembre 1961-janvier 1962) • De nouvelles discussions secrètes aux Rousses (2-12 février 1962) • La dernière phase publique (718 mars 1962) La composition de la délégation du GPRA a connu quelques remaniements. Les négociations

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Accords d’Evian Histoire Krim Belkacem face à la presse internationale

avaient été évoquées à plusieurs reprises et avaient fait l’objet d’un accord sur les grands points abordés lors de la réunion du CNRA de janvier 1960. Des divergences internes persistaient. L’état-major de l’ALN était toujours réticent, exigeant au préalable le règlement des questions internes. Ben Khedda qui n’exerçait plus aucune fonction depuis décembre 1959 estimait que l’on avait fait trop de concessions. La délégation du GPRA dirigée par Belkacem Krim comprenait Ahmed Francis, Saad Dahlab, Ahmed Boumendjel, Taieb Boulahrouf, Mohamed Benyahia, Réda Malek. Ahmed Kaïd et Ali Mendjeli représentaient l’Etat-major de l’ALN, le secrétariat était assuré par Yadi du MALG, accompagné de son épouse, dactylographe. Sadek Moussaoui assista Réda Malek dans la couverture médiatique. Cette première séance est très médiatisée. Les Algériens avaient embarqué à l’aéroport de Tunis au milieu d’une grande affluence. Beaucoup de représentants diplomatiques sont là pour les saluer (dont les Américains et les Britanniques). Une importante foule manifeste bruyamment son soutien.

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Lors de la première séance, Louis Joxe présente la position française. Belkacem Krim lit ensuite une courte déclaration dans laquelle il parle de décolonisation totale. Louis Joxe annonce alors une série de mesures dont l’allégement des conditions de détention des cinq ministres algériens emprisonnés et une trêve unilatérale d’un mois, comprenant la suspension des opérations offensives. L’après-midi, le GPRA tient sa première conférence de presse dans la salle de la Maison de la Presse de Genève. Il lit un communiqué du ministère de l’Information du GPRA qui venait d’être publié à Tunis. Le GPRA considère que sa position sur l’arrêt des combats est connue et a été maintes fois rappelée. Il considère la décision de trêve unilatérale comme « un acte de pure propagande». Après une interruption de deux jours, les pourparlers reprennent le mardi 23 mai. Krim Belkacem précise les positions. L’autodétermination s’appliquera sur tout le territoire algérien et concernera tout le peuple algérien pris dans son unité en tant qu’entité homogène

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Accords d’Evian Histoire Des membres de la délégation algerienne à Evian

avec ses différences confessionnelles, ce qui exclut des droits particuliers et une partition. La cessation des hostilités interviendra après un accord politique global. Dans sa réponse Louis Joxe revient sur les garanties organiques pour la minorité européenne et insiste pour une suspension temporaire des hostilités. Le soir, la délégation algérienne organise une nouveauté médiatique : une vidéo conférence est organisée entre la salle de la maison de la presse à Genève où les journalistes posent leurs questions relayées par Réda Malek et suivent les réponses de Belkacem Krim sur écran géant et qui s’exprime en direct à partir de la

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résidence de la délégation algérienne de Bois d’Avrault. Le 27 mai, les délégués algériens abordent la question du Sahara, les structures de la phase transitoire, les bases militaires. Les Français campent sur leurs positions : le Sahara n’est pas concerné, la souveraineté totale de la France s’exercera pleinement jusqu’au transfert des compétences, la France maintiendra des enclaves territoriales (notamment Mers El Kébir). La séance du 31 mai est consacrée à la présentation par les délégués français de leur position sur le Sahara. Ils développent leurs arguments historiques et économiques. Le 2 juin, les Algériens répondent.

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Accords d’Evian Histoire Les positions sont divergentes. La séance suivante est consacrée à la minorité européenne. Le 6 juin, le chef de la délégation algérienne précise ses positions : « La citoyenneté algérienne à tous ceux qui la désirent. Les Algériens d’origine européenne auront les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous les autres Algériens ». Il se dit prêt à discuter de toutes les garanties concernant les libertés d’enseignement et de culte, les droits de propriété, les libertés individuelles et collectives.

La première conférence d’Evian n’aboutit pas

Les deux dernières séances du samedi 10 juin et du mardi 13 juin sont consacrées aux conclusions que chaque partie tire de la négociation. La délégation française constate que la partie algérienne reste accrochée à ses positions de principes. Les divergences sont profondes sur l’intégrité territoriale et les droits de la minorité européenne. Louis Joxe demande une suspension des discussions contre l’avis des Algériens. Le 13 juin, après avoir consulté le général de Gaulle il confirme sa position. C’est la rupture. Le 14 juin Belkacem Krim tient une conférence de presse où il situe les divergences. Il ne ferme pas la porte : «Je ne veux rien dire qui insulte l’avenir ». Les Algériens reviennent à Tunis le 17 juin, laissant une antenne sur place dirigée par Saad Dahlab, avec Bentami du Croissant-Rouge algérien, Yalaoui et Yadi. Il n’y aura qu’un seul vrai contact, le 15 juillet. Bruno de Leusse et Vincent Labouret confirment à Saad Dahlab la position rigide de leur gouvernement : la discussion ne reprendra que la question du Sahara est mise de côté. Les discussions reprennent du 20 au 28 juillet à Lugrin, au château d’Allaman à quelques kilomètres d’Evian. Le GPRA a renforcé ses positions à l’intérieur. Son appel à une mobilisation populaire pour l’indépendance le 1er juillet puis lors de la journée nationale contre la partition du 5 juillet 1961 a été largement suivi. Des heurts violents ont fait de nombreux morts. Le conflit s’est aggravé avec l’Etat-major de l’ALN qui a présenté sa démission le 15 juillet mais qui, à aucun moment, ne tenta de gêner les négociations. Le GPRA a toutefois été perturbé par les positions de Bourguiba qui, tout en faisant de la surenchère en déclenchant les incidents de Bizerte où tombèrent un millier de Tunisiens, poussait en même temps à un compromis sur le Sahara d’où il espérait recueillir quelques bénéfices. Par contre, les

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actions menées vers le Maroc et le Mali avaient eu des échos qui indisposaient le gouvernement français. Par contre, le général de Gaulle n’était pas dans une position confortable. Les manifestations populaires de juillet 1961 avaient montré l’emprise du GPRA sur les populations algériennes après que le chef de l’Etat français eut menacé à la fin juin de regrouper les populations européennes. Mais en même temps, il avait montré la continuité de son objectif stratégique avec le rapatriement d’une partie des forces militaires engagées avec l’embarquement de la 2e division d’infanterie légère au début du mois de juillet. En plus des cas de conscience des militaires, les extrémistes multipliaient les actions violentes. Quand les pourparlers reprennent à Lugrin, le 20 juillet, les positions de chacune des deux parties sont figées. Après six séances qui n’ont apporté aucun progrès, la délégation algérienne décide l’ajournement des discussions.

Le CNRA maintient la ligne

Le CNRA se réunit du 9 au 27 août 1961 à Tripoli. Il devait évaluer le travail fait par le GPRA, se prononcer sur les négociations et désigner un nouveau gouvernement. Ferhat Abbas, ainsi que ses anciens amis de l’UDMA (Francis, Boumendjel) est contesté à la fois par les « historiques » (Krim, Boussouf, Bentobbal) et les anciens centralistes (Ben Khedda, Dahlab, Yazid) pour des raisons différentes. La poursuite des négociations dans le sens voulu par la grande majorité des dirigeants allait influer sur les choix du nouveau gouvernement. Krim ne réunit pas l’unanimité autour de lui du fait de l’opposition de l’Etat-major et du refus catégorique des ministres militaires (Boussouf et Bentobbal). Avec Ben Khedda à la présidence et Saad Dahlab aux Affaires étrangères c’est à des hommes issus du nationalisme populaire du MTLD qu’on semble faire confiance à un moment où les négociations entrent dans une phase cruciale. Le CNRA resta très méfiant vis-à-vis de l’association, du statut particulier des Européens d’Algérie et des concessions économiques à faire Par un effet de balancier, les anciens de l’UDMA s’allieront quelques mois plus tard avec l’Etat-major uni à Ben Bella. Le changement de chef de gouvernement apparaît comme un durcissement de la ligne du FLN. Le discours du nouveau président du GPRA ne ferme pas la porte à la négociation et affirme qu’« une solution réaliste et équitable est possible. » Le 5 septembre suivant, le

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Accords d’Evian Histoire général de Gaulle adopte une position beaucoup moins rigide sur le Sahara. Il fait l’objet, quatre jours plus tard, d’un attentat manqué à Pont-sur-Seine. La violence de l’OAS se déchaîne. Elle a atteint des niveaux jamais égalés. Ben Khedda suggère même une procédure plus directe qui supprime l’autodétermination.

Début octobre, Olivier Long relance sa médiation

Il rencontre Louis Joxe qui lui donne son accord pour la reprise de contacts secrets en Suisse. Le GPRA donne son accord et désigne Mohamed Benyahia et Réda Malek. Ceux-ci arrivent à Genève le 26 octobre et rencontrent secrètement à Bâle les 28 et 29 Bruno de Leusse et Claude Chaillet. Les délégués français confirment la position de leur gouvernement sur le principe de l’autodétermination. L’accord sur le Sahara peut être aisément trouvé si on met au point une politique de coopération. On avance sur la question des droits de la minorité européenne et sur la période transitoire. Les quatre personnes se retrouvent au même endroit le 9 novembre 1961 avec l’entremise d’Olivier Long. On confirme des rapprochements de vues sur des questions importantes. Un accord de principe est donné de part et d’autre pour une prochaine réunion de niveau ministériel. La grève de la faim enclenchée par les prisonniers algériens réclamant le statut de prisonniers politiques retarde le processus. L’intervention du Conseil international de la Croix-Rouge permet le dénouement de la crise après des pourparlers avec l’administration française. L’intervention du roi Hassan II permet d’adoucir les conditions des cinq ministres emprisonnés qui s’étaient joints au mouvement. Transférés au château d’Aulnoy, ceux-ci bénéficieront de meilleures conditions et la visite fréquente d’émissaires marocains. Le 9 décembre, Dahlab et Benyahia rencontrent Louis Joxe et Bruno de Leusse aux Rousses. On réalise des progrès essentiels sur les questions importantes : Sahara, minorité européenne, période transitoire, les bases militaires, le cessez-le feu. Les difficultés sont cernées et font l’objet de documents finalisés par les délégués français et remis à leurs interlocuteurs. Le 9 février, Benyahia remet à Bruno de Leusse les textes élaborés par le GPRA.

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Le GPRA étoffe ses groupes d’experts

La direction du FLN avait intensifié la préparation des négociations. Au ministère de l’Information, Benyahia dirigeait une commission chargée des questions économiques et Réda Malek animait une équipe qui se penchait sur les aspects politiques. On fit appel à un grand nombre de compétences au sein des militants. Le MALG monta un important service de documentation et de recherche qui traita de toutes sortes de questions et alimenta les négociateurs de ses documents. Il mena un grand travail sur les questions économiques tout particulièrement sur le pétrole. Il fit appel à des professionnels, organisa des missions d’information et ses spécialistes bénéficièrent de l’expertise de nombreux partenaires étrangers de cette question, notamment italiens, britanniques, allemands et américains. Les époux Chaulet rédigèrent une étude complète sur la minorité européenne. Claude Cixous, Algérien de confession juive, apporta ses compétences dans une des équipes du MALG, de même que Salah Bouakouir, alors directeur au gouvernement général, qui apportera une contribution sur les questions économiques. Seghir Mostefaï, alors en poste dans une banque à Tunis, participa à la délégation d’Evian. La partie française répondit aux travaux du GPRA par de nouveaux dossiers qu’il fallut aussi étudier et pour lesquels on présenta de nouvelles réponses. Les négociations prirent ainsi un aspect de haut niveau par la confrontation de dossiers épais réalisés par des équipes de hauts spécialistes. Ces travaux académiques permettront de préciser les points de vue et cerner les difficultés et de préparer les décisions dans les meilleures conditions. Les questions juridiques prennent une importance particulière et sont décortiquées dans le moindre détail. Le projet du GPRA en matière de coopération pétrolière par exemple est extrêmement fouillé et précis. Il servira encore des années plus tard lors de la discussion des accords officiels de coopération. Tous les aspects techniques et juridiques des futurs accords sont étudiés, contredits, enrichis et décortiqués dans le moindre détail. Rien n’est laissé au hasard ou à des discussions à venir. Ce qui fera des futurs accords de véritables chefs d’œuvre tant techniques que juridiques. Le 27 décembre, Bentobbal rencontre les ministres emprisonnés pour les mettre au courant et les associer au débat. Un mois plus tard, Belkacem Krim, Bentobbal et Benyahia referont un nouveau déplacement.

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Accords d’Evian Histoire La rencontre décisive des Rousses

Après les réunions secrètes des 28 et 29 janvier 1962 s’ouvrent les rencontres des Rousses qui seront décisives. Louis Joxe est accompagné par Robert Buron ministre des Travaux publics, Jean de Broglie secrétaire d’Etat au Sahara ainsi que les hauts fonctionnaires habituels Bruno de Leusse, Claude Chaillet, Yves Roland-Billecart et le général de Camas. En face, le GPRA était représenté par Belkacem Krim, Lakhdar Bentobbal, Saad Dahlab, M’hamed Yazid, Mohamed Benyahia, Réda Malek, Seghir Mostefaï, Kasdi Merbah. On discutera pied à pied par le bais des spécialistes concernés des textes extrêmement compliqués où rien n’est laissé au hasard. Ainsi tous les points sont abordés presque d’une manière simultanée. Chaque groupe de travail soumet à la plénière les accords trouvés et les points de divergences. La rencontre se déroula dans des conditions de sécurité exceptionnelles. Les autorités suisses s’arrangèrent pour changer les lieux de résidence de la délégation du FLN à chaque nuit. Elles se chargèrent des conditions de transport, les discussions ayant eu lieu en territoire français. On a retenu le nom d’un chalet discret, lieu de repos des services français des ponts et chaussées, le « Yéti », édifice austère à l’écart du village.

Le CNRA vote confiance au GPRA

présidée par Benyahia. Le débat est vif, d’une grande liberté et toutes les questions sont abordées. Le 27 février au cours de la séance de nuit le CNRA adopte la résolution suivante : « Le CNRA demande au GPRA de poursuivre ses efforts au cours de la prochaine négociation publique pour améliorer le contenu des accords. En conséquence, et conformément à l’article 12 des statuts du FLN, mandate le GPRA pour signer les conventions de cessez-le-feu ». Le vote est acquis par 45 voix contre 4. Les opposants ont été Boumediene, Kaïd Ahmed, Ali Mendjeli, commandant Bouizem de la Wilaya V. Les cinq ministres prisonniers en France, tenus régulièrement au courant du déroulement des négociations et visités par les premiers responsables des négociations, avaient signifié leur accord par écrit dès le 15 février. La dernière phase des pourparlers dura plus longtemps que prévu (douze jours au lieu de trois). Elle s’est tenue à l’Hôtel du Parc à Evian. Les délégués algériens furent hébergés dans un hôtel suisse du Bois d’Avrault, le Signalde- Bougy. La délégation du GPRA est toujours composée de Belkacem

Krim, Lakhdar Bentobbal, Saad Dahlab, M’hamed Yazid, Mohamed Benyahia, Réda Malek. Il ya aussi le colonel Benaouda et Seghir Mostefaï expert financier. On repassa en revue les mêmes textes, un par un, au cours de longues et parfois difficiles sessions de discussions. Il y eut parfois des moments de grande tension. Les délégués furent extrêmement pointilleux, s’arrêtant parfois à des détails et à des questions d’orthographe. Le 18 mars en fin de matinée alors qu’on avait la mouture définitive des textes, Krim Belkacem demanda une dernière lecture en séance plénière. Les délégués français, à tour de rôle, relurent les 98 pages. On corrigea une dernière erreur. Puis ce fut la signature à 17 heures 30. Après les trois ministres français, Belkacem Krim assume une mission historique. Aussitôt prévenu, le général de Gaulle sera le premier à l’annoncer au monde en parlant à la télévision. Réda Malek tiendra sa dernière conférence de presse quelques heures plus tard. Benyoucef Benkhedda, président du GPRA prononce un discours dans la soirée du 18 mars. Boualem Touarigt

la

On achève un texte final de dix déclarations le 19 février à 2h30 du matin. Le jour même les délégués du FLN rentrent à Tunis. Le 22 février s’ouvre la session du CNRA

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Conférence de presse de Reda Malek à la veille de l’annonce officielle du cessez-le-feu

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Accords d’Evian Histoire Evian : quelques points forts Il n’est pas aisé de résumer en quelques points essentiels ce que furent les négociations d’Evian. Nous tentons, pour nos lecteurs, de donner un aperçu de ce qui a été décisif. 1. La situation militaire a été déterminante. La quatrième république n’a pas cherché à négocier. Elle a voulu réprimer la révolte des Algériens en laissant à l’armée, munie de tous les pouvoirs, le soin d’obtenir une victoire militaire à n’importe quel prix. Celle-ci pratiqua une répression systématique qui toucha toutes les catégories de la population. La hiérarchie militaire devenait de plus en plus rebelle à l’autorité du gouvernement français qu’elle rendait responsable des échecs de l’Indochine. Elle était sûre de remporter une victoire en utilisant ses méthodes : déplacements des populations, recherche systématique de l’information et usage de la répression. Ces méthodes firent son échec. Malgré son importance (600.000 hommes) dont un grand nombre d’appelés, elle n’arriva pas à mettre fin à la guerre populaire. A son arrivée au pouvoir, de Gaulle chercha à obtenir une victoire militaire en déclenchant le plan Challe qui mobilisa des moyens considérables. Il se déclara prêt à accepter la reddition des combattants. L’impossibilité d’obtenir une victoire militaire et même l’extension de la lutte armée dans les villes l’amenèrent à changer ses positions et à envisager de négocier les questions politiques. 2. Une solution politique au problème algérien s’est dessinée très tôt, hors de l’indépendance : améliorer les conditions de vie des Algériens, faire participer un grand nombre d’entre eux à la gestion des affaires publiques, tout en refusant l’indépendance. Cette démarche, préconisée déjà par le gouverneur Soustelle, fut reprise par le général de Gaulle, à travers notamment son plan de Constantine. Elle ne se réalisa pas parce que le FLN avait réussi à réunir en son sein les représentants de toutes les couches de la population. Tous les gouvernements français (IVe et Ve républiques) préconisèrent des solutions qui accordaient un statut particulier à la minorité européenne : partitions avec la création de provinces françaises homogènes, Etat fédéral, indépendance dans le cadre de l’Union française, statut exceptionnel pour la minorité européenne. De Gaulle chercha toujours sa solution politique dans le dégagement d’une troisième force, une élite politique algérienne opposée au FLN et disposant d’une assise populaire. Il y crut jusqu’en décembre 1960. Ce qui ne l’empêcha pas de continuer ses manœuvres. La radica-

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lisation d’une partie de la hiérarchie militaire qui s’allia aux groupes extrémistes de la minorité européenne limita ses marges de manœuvre. 3. La question du Sahara fut très délicate : de Gaulle refusa d’inclure les territoires du Sud (départements des Oasis et de la Saoura) dans le champ de l’autodétermination. Patiemment, le GPRA attendit que le gouvernement français change de position. De Gaulle exprima ce changement lors de sa conférence de presse du 5 septembre 1961. Avec habileté et persévérance, le GPRA parvint à dissocier la question de la souveraineté de celle des autorisations de recherche et d’exploitation pétrolières qu’un Etat indépendant pourrait accorder. Il eut la même démarche pour refuser les enclaves territoriales (bases militaires et centres nucléaires). Au début, le gouvernement français exigea de faire de Mers el Kébir un territoire français, comme le furent par exemple Gibraltar, emprise britannique dans un territoire espagnol, ou les territoires espagnols de Ceuta et Melilla en terres marocaines. Le GPRA évita cette solution en proposant des concessions de longue durée. 4. La minorité européenne. Dans sa déclaration du 1er novembre 1954, le FLN offrait la nationalité algérienne aux résidants d’origine européenne avec égalité en droits et en devoirs avec leurs compatriotes musulmans. Les réformes suggérées dès 1955 prévoyaient un élargissement des droits des populations algériennes mais un statut exceptionnel pour la minorité européenne. Le gouvernement français exigeait lors de la première conférence d’Evian que les Européens d’Algérie seraient d’office Algériens tout en conservant leur nationalité d’origine, ce qui exigeait un statut organique spécial. Cela ne fut pas retenu par les accords qui apportèrent cependant des avancées en matière de participation à la vie politique associative et judiciaire, de respect des droits acquis, d’amnistie. Un texte de compromis est élaboré le 4 février 1962. Il sera définitivement mis au point le 19 février aux Rousses. La nationalité algérienne résultera d’une option individuelle.

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B.T

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Accords d’Evian Histoire Cessez-le-feu en Algérie

Le soutien de la communauté internationale au GPRA

Par Abderrachid Mefti LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Accords d’Evian Histoire Les Algériens exultent

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ar une lettre datée du 11 août 1961, trente et un pays afro-asiatiques demandent l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour de la XVIe Assemblée générale des Nations unies. Le mémoire explicatif joint à cette demande indique que les négociations entre le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et les représentants de la France, qui se sont tenues à Lugrin, ont été interrompues le 28 juillet 1961 à la demande de la délégation algérienne, le gouvernement français refusant de reconnaître les principes fondamentaux de l’intégrité territoriale de l’Algérie et de l’unité du peuple algérien ; il rappelle en conclusion que dans la résolution adoptée par la XVe session de l’Assemblée générale, l’ONU s’est reconnu la responsabilité de contribuer à ce que le droit de libre détermination soit mis en œuvre avec succès et avec justice sur la base de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Algérie. Cette session est placée sous le

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signe de la décolonisation. Se référant à la résolution 1514 du 14 décembre 1960 sur l’octroi de l’indépendance aux peuples coloniaux, l’Assemblée vote le 27 novembre 1961, par 97 voix pour et 4 abstentions, une nouvelle résolution destinée à accroître l’efficacité de la résolution 1514. A la fin de l’année 1961, 20 pays ont appuyé leur reconnaissance au GPRA, dont la Yougoslavie, l’URSS, le Maroc, la Tunisie, la Libye, la Jordanie, l’Arabie saoudite, l’Egypte, le Yémen, le Soudan, la Chine, la Corée du Nord, le Nord Vietnam, l’Indonésie, la Guinée, la Mongolie, le Liban, le Ghana et le Libéria. Au cours de l’année 1961, le GPRA bénéficie de la reconnaissance du Mali, du Congo, de Cuba, du Pakistan, de l’Afghanistan, du Cambodge et de Chypre, de la Tchécoslovaquie et de la Bulgarie. Lors de la conférence des Pays non alignés de Belgrade, le GPRA siège au milieu de vingttrois gouvernements de pays représentant un milliard d’habitants. Fort de ces succès, le GPRA marque de

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Accords d’Evian Histoire plus en plus de points positifs quant à l’accélération du processus de décolonisation. La France est condamnée sur le plan international par l’ONU qui reconnaît le droit d’autodétermination à l’Algérie. De plus, un mouvement de décolonisation qui militait à l’échelle mondiale a poussé la France à accepter cette option. Le 18 mars 1962, étaient signés les accords d’Evian entre les délégués des gouvernements français et ceux du GPRA. Ils mettaient fin à la guerre et acceptaient l’indépendance de l’Algérie. Les négociations, qui ont commencé dans le secret à Lucerne (Suisse) en mars 1961, puis à Neuchâtel, les Rousses, Lugrin et Bâle, seront officialisées, ce qui permet au FLN de multiplier les victoires en matière de soutien à sa cause au niveau international. C’est Évian-les-Bains, une ville thermale située entre la France et la Suisse, qui sera choisie pour abriter les ultimes pourparlers entre les représentants de la France et ceux du GPRA. Durant treize jours, les débats sont menés tambour battant. Le 18 mars, Krim Belkacem signe, au nom du GPRA, le document qui met fin à sept années et demie de guerre. Le 8 janvier 1961, les Français se prononcent par référendum à 75% pour le droit à l’autodétermination du peuple algérien. Les premiers entretiens algéro-français ont lieu du 20 mai au 13 juin 1961 à Evian. Le 18 février 1962, une autre série de pourparlers a lieu dans la station hivernale des Rousses (Jura, France). Enfin, c’est le 6 mars 1962 à Evian-les-Bains que débutent les négociations qui aboutiront le 18 mars à la signature des accords. Ils comprennent un pacte immédiat de cessez-le-feu, applicable dès le 19 mars à 12 heures et un article qui stipule l’organisation d’un référendum le 8 avril 1962 en France et le 1er juillet 1962 en Algérie. A la suite du référendum organisé en France, 90,7% des votants approuvent les accords d’Evian, alors que lors de celui organisé en Algérie, l’indépendance est approuvée par 99,72% des votants. Le 3 juillet, le général Charles de Gaulle reconnaît l’indépendance de l’Algérie, dont la proclamation officielle a lieu le 5 juillet. Spontanément après la signature du cessez-le-feu en Algérie, les réactions politiques à travers le monde n’ont pas tardé. Plusieurs pays ont applaudi cette victoire de l’Algérie, qui s’est libérée de 132 ans de colonialisme. A Washington (Etats-Unis), le Président John Fitzgerald Kennedy, celui-là même qui, en tant que sénateur, réclamait du haut de sa tribune du Sénat américain,

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

l’indépendance de l’Algérie, déclarait : «Les Etats-Unis soutiennent les efforts accomplis en vue de trouver une solution satisfaisante pour les deux parties et se félicitent de l’accord intervenu. Cet accord constitue une base solide pour l’établissement de relations amicales et fructueuses entre l’Algérie et la France et permet à tous les habitants de l’Algérie d’apporter leur contribution constructive à l’avenir du pays. La conclusion de l’accord de cessezle-feu entre les autorités françaises et les représentants du FLN est une décision historique qui a été rendue possible grâce à l’imagination et aux qualités d’hommes d’Etat et à la modération dont avaient fait preuve toutes les parties intéressées. Il faut espérer qu’on ne laissera pas l’occasion échapper et que la sagesse qui a permis de réaliser l’accord prévaudra dans l’exécution de ce dernier. Les Etats-Unis sont convaincus que c’est dans cette direction que se trouve le chemin d’un avenir fructueux.» A Moscou, capitale de l’ex-URSS, «(…) le Présidium du Soviet suprême reconnaît le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) comme gouvernement légal de l’Algérie jusqu’à ce que l’indépendance soit définitivement établie», déclare M. Khrouchtchev et le félicite «pour sa magnifique contribution à la cause commune de liquidation du colonialisme et à l’application de la décision de l’ONU accordant l’indépendance à tous les peuples coloniaux». Moscou a proposé d’établir des relations diplomatiques avec l’Algérie. A Rome (Italie), le secrétaire général du Parti communiste italien, Palmiro Togliatti, salue avec joie «la fin des hostilités». «Nous nous souviendrons avec vous de ceux qui sont tombés dans cette guerre et des innombrables victimes de la barbarie colonialiste et raciste... L’Algérie indépendante et souveraine aura toujours, dans le peuple italien, un ami sincère et un allié dans la lutte commune pour la liberté de tous les peuples et pour la paix.» A Belgrade (capitale de l’ex-Yougoslavie), dans les jours qui ont précédé la signature des accords d’Evian, le Président Tito déclare : «Les dirigeants yougoslaves appuient sans réserve la politique de négociations poursuivie par le GPRA. Ils considèrent que l’accord que le GPRA s’apprête à conclure avec le gouvernement français est un compromis révolutionnaire qui consacre la victoire des principes fondamentaux de la Révolution algérienne. Ils affirment que la Yougoslavie sera toujours prête à accorder dans tous les domaines une aide inconditionnelle au peuple algérien.»

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Accords d’Evian Histoire Le président Yougoslave Josip Broz Tito

Ferhat Abbas

La Yougoslavie du défunt Josip Broz Tito, le premier Etat européen à reconnaître le GPRA, a, dès le début du déclenchement de la révolution du 1er novembre 1954, assuré un soutien indéfectible sur le plan diplomatique au peuple algérien et fourni une aide matérielle, déclenchant l’ire de la France qui avait décidé de rompre immédiatement ses relations avec Belgrade. A Damas, le gouvernement syrien salue «cette grande victoire de la lutte du peuple arabe en Algérie, qui a donné les meilleurs de ses fils et le sang pur de ses martyrs durant 7 années de guerre, remplit le cœur de chaque Arabe. Grâce à votre effort laborieux et sincère, vous avez montré au monde entier votre foi et votre volonté inébranlable d’arracher votre droit à l’indépendance. La victoire que vous venez de remporter en ce jour glorieux est un triomphe pour toute la nation arabe, parce que vous avez écrit une page historique et éternelle», a déclaré le président de la République arabe de Syrie, Nazem Kudsi, dans un message envoyé au

président Benyoucef Benkhedda. Le président égyptien Gamal Abdenasser dira que cette décision, longtemps attendue, «ouvrait la voie à la possibilité d’un rapprochement entre la Révolution arabe et la France». Il convient également de noter le rôle politique et diplomatique joué par l’Egypte à travers l’appui à la participation de la délégation du FLN aux travaux du congrès des pays non alignés de Bandoeng (Indonésie) en 1955. La position égyptienne a, en effet, permis à la révolution algérienne de réaliser de nombreux acquis, parmi lesquels l’internationalisation de la question algérienne au sein des instances mondiales, l’engagement des pays participants à apporter leur aide matérielle à cette révolution et l’affirmation de la légalité et la justesse des revendications algériennes. A Ryad, le roi d’Arabie saoudite, Saoud ben Abdelaziz al-Saoud, dira qu’«en ce jour glorieux de l’histoire de la lutte de la vérité et de la liberté, j’ai la joie d’exprimer au peuple algérien libre et fier et à son gouvernement,

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en mon nom et au nom de mon gouvernement et de mon peuple, mes félicitations sincères pour la grande gloire dans la bataille, la libération nationale grâce à la lutte de ses fils vaillants et grâce à leurs sacrifices inestimables et nous demandons à Dieu que cette page soit le début d’une ère de force et de salut et de liberté pour le peuple algérien frère». Le Congo s’est exprimé par la voix de son Premier ministre, Cyrille Adoula : «Au moment où après plus de sept ans d’indicibles souffrances, le peuple algérien a inscrit en lettres de sang son droit à la dignité et à l’indépendance, le gouvernement et le peuple congolais vous expriment leur fierté de voir un peuple héroïque frère et une partie de l’Afrique ayant un rôle déterminant dans la construction d’une Afrique nouvelle œuvrant pour le bien-être de ses habitants et pour la paix dans le monde.» Lors de la visite de Ferhat Abbas, président du GPRA, à Budapest, un communiqué commun scelle la reconnaissance de facto par la Hongrie de l’indépendance de l’Algérie. Après la signature des accords d’Evian, les pays communistes d’Europe procèdent à la reconnaissance officielle de l’Algérie indépendante. Les Bulgares et les Chinois furent les premiers à envoyer un ambassadeur en Algérie. Le 8 octobre 1962, l’Algérie adhère officiellement à l’Organisation des Nations unies (ONU) et devient le 109e membre. Abderrachid Mefti

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Accords d’Evian Histoire

La presse internationale et le 19 mars 1962

Par Boualem Touarigt LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Accords d’Evian

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’annonce de la signature des accords a eu des échos multiples dans la presse internationale. Dans sa quasi exclusivité, celle-ci souligna l’importance de l’évènement. La presse française rapporta les positions des différents partis et personnalités politiques. On nota ceux qui s’en félicitèrent, et qui furent de loin les plus nombreux. Dans un grand éventail politique, on se félicita de l’évènement : le MRP, le Centre, la SFIO, le Parti Radical, l’UNR, l’UDT (gaullistes de gauche), les indépendants, les communistes, les mouvements d’extrême gauche, les syndicats. Certains mouvements associatifs montrent leur satisfaction. A la Sorbonne, les délégués étudiants brandissent des drapeaux français et algériens mêlés. On note les positions extrémistes des opposés à l’indépendance qui sont connus : Jacques Soustelle et Pascal Arrighi parlent de violation de la Constitution. André Morice leur emboîte le pas en utilisant de termes très violents. Les Etats-Unis expriment leur grande satisfaction considérant qu’il s’agit là d’u évènement historique. A Londres, le gouvernement britannique parle de grand soulagement. Il en est de même à Rome, Bonn, Madrid, Bruxelles. La presse belge parla même de grande victoire. La presse internationale répercuta les déclarations du président du GPRA Benkhedda qui dans un appel au peuple algérien annonce officiellement le cessez-le-feu, félicite les combattants et demande la vigilance pour le chemin difficile

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Histoire qui reste à accomplir. Il explique le contenu des accords et la portée des solutions trouvées. Il affirma : « La teneur de ces accords est conforme aux principes de la Révolution, maintes fois affirmés : 1- L’intégrité territoriale de l’Algérie dans ses limites actuelles 2- L’indépendance de l’Algérie 3- L’unité du peuple algérien 4- La reconnaissance du GPRA comme interlocuteur exclusif » Il reçoit les messages des gouvernements étrangers. L’URSS reconnaît le GPRA comme le gouvernement légal de l’Algérie. L’ambassadeur américain à Tunis transmet le message de félicitations du président Kennedy. A New York, le président de l’assemblée générale et le secrétaire général des Nations Unies expriment leur satisfaction devant cette grande victoire du peuple algérien. La presse française se fit l’écho des principales dispositions de l’accord, insistant sur les garanties offertes aux Européens d’Algérie. Deux journaux d’Alger paraissant le dimanche publient l’intégralité de la « déclaration des garanties » qui

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aborde les assurances accordées aux Algériens d’origine européenne. La presse saisit aussi l’occasion de faire quelques bilans de la guerre qui s’achève. D’après le quotidien français Le Monde, le bilan s’élèverait à près de 50 milliards de francs de 1956 à 1961. Il revient sur les mesures exceptionnelles prises par l’armée française pour trouver une victoire militaire, en rappelant le plan Challe qui coûta beaucoup à la France et qui eut des effets catastrophiques sur le plan moral et sur le plan politique. El Moudjahid, organe central du FLN publie à cette occasion un long bilan politique de la guerre d’indépendance, insistant sur la résistance des combattants de l’ALN et l’échec des manœuvres militaires de l’armée française, l’union des forces patriotiques au sein du FLN, les victoires politiques et diplomatiques qui ont rendu l’indépendance inéluctable. Il explique aussi les différentes étapes de la négociation qui a reçu à chaque fois le soutien de l’ensemble de la direction de la révolution. Boualem Touarigt

Supplément N° 11 - Mars 2013.

Par Adel Fathi

Guerre de libération

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lus de cinquante ans après les événements, l’histoire de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) demeure encore, pour l’historiographie officielle française, comme un tabou. Pourquoi ? Peutêtre parce que ces projections foncièrement criminelles trahissaient une volonté refoulée de cette armée française, soutenue par les colons et tous les adeptes de l’Algérie français, de refuser l’idée de quitter un jour l’Algérie. Même si les acteurs politiques de l’époque tentent toujours d’imputer cette action séditieuse à une « poignée d’ultras » qui, dans un moment de désespoir ou de folie, a choisi de verser dans le terrorisme le plus sanguinaire pour essayer, en vain, d’arrêter le cours de l’Histoire. La naissance de cette organisation est moins imputable à une évolution

Histoire objective d’un conflit opposant les combattants algériens à l’occupation, qu’à une réalité politique interne, induite par la politique d’autodétermination mise en place par le général de Gaulle à partir de la fin de l’année 1959, et qui ouvrait la voie aux négociations avec les représentant de la Révolution algérienne. Or, paradoxalement cette folie meurtrière de la partie française aura eu comme effet d’accélérer le processus d’autodétermination qui s’imposait et qui va aboutir à l’Indépendance de l’Algérie, en moins de deux ans. Elle achevait, en fait, de discréditer la politique d’occupation française, dans son acception globale. Les crimes de l’OAS viendront s’ajouter à l’entreprise de destruction entamée dès le début de l’occupation française. Car les attentats terroristes perpétrés par « les ultras

» de l’armée française contre les cibles algériennes ne peuvent, en aucun cas, être dissociés des massacres récurrents de la population par cette même armée qui, dans ses opérations de répression contre les différentes révoltes algérienne, avait eu recours aux méthodes les moins conventionnelles. Ils sont plus assimilables à des crimes de guerre qu’à des actions isolées, même si le pouvoir politique français a tôt fait d’en condamner et de poursuivre les auteurs. La logique de putsch étant au fondement même du pouvoir de de Gaule, lui-même arrivé au pouvoir en 1958 à la suite du coup d’Etat du 13 mai 1958. Son célèbre discours radiotélévisé du 16 septembre 1959 proposant l’autodétermination sur l’avenir de l’Algérie suscita la surprise dans tous les milieux et la « stupéfaction » chez la population européenne

Charles de Gaulle

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Guerre de libération Histoire Les généraux putschistes

d’Algérie. Ce discours préconisait trois voies : la francisation (un seul pays réunissant la France et l’Algérie et dont tous les citoyens ont les mêmes droits), l’autonomie (une fédération entre la France et l’Algérie), la sécession (conduisant à l’indépendance). Pour la première fois, il ouvre la possibilité de l’indépendance de l’Algérie. Le 15 octobre 1959, l’Assemblée nationale valide la politique d’autodétermination par 441 pour et 23 contre. Mais pour ceux qui refusent cette politique, regroupant certains membres de la classe politique (Jacques Soustelle, Georges Bidault), ainsi qu’une partie de l’armée et des Français d’Algérie, c’est une trahison. Le pouvoir laisse s’exprimer « la révolte » de la population française d’Algérie contre ce discours, à travers « la semaine des barricades » du 24 janvier au 1er février 1960, tout en évitant un basculement de l’armée du côté des insurgés. Après ce discours, les événements s’accélèrent à une vitesse foudroyante : en moins d’une année, un groupe de haut gradés récalcitrants, exilés en Espagne, se forme autour du général Salan, de Pierre Lagaillarde et de Jean-Jacques Susini et crée l’OAS. Le 22 avril 1961

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

L’un des attentats commis par la sinistre OAS

se déroule le putsch des généraux à Alger, suivi par environ deux cents officiers. Néanmoins, la plupart des officiers supérieurs adopte une attitude attentiste et la majorité de l’armée reste loyale au pouvoir métropolitain, entraînant l’échec du putsch en quelques jours. Un échec que les historiens ne s’expliquent pas, à ce jour, au vu du soutien multiple et massif dont avaient bénéficié

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Guerre de libération Histoire Un soldat français anti-OAS

Le même soldat assassiné quelques instants plus tard

les putschistes, en amont. A la suite de cet échec, une bonne partie des insurgés fait dissidence et rejoint la lutte clandestine dans les rangs de l’OAS, ainsi que de nombreux civils et notamment de colons. Créée pour faire capoter le projet de de Gaule, cette organisation n’en déversera pas moins sa haine envers la population algérienne, cible facile : à Bab El-Oued, lors du fameux siège de ce quartier, dans la fusillade meurtrière de la rue d’Isly, le maquis de l’Ouarsenis et l’assassinat de cadres administratifs et d’intellectuels reconnus, à l’image de l’écrivain Mouloud Feraoun, assassiné le 15 mars 1962.

Une vérité historique que d’aucuns tentent aujourd’hui de minimiser : l’OAS sera largement soutenue par la population française d’Algérie, dans ses actions nihilistes qui visent à instaurer un état de terreur permanent, et les autorités s’avéreront incapables d’assurer la protection des populations vivant en Algérie. D’où le recours aux vieilles méthodes machiavéliques de contre-terrorisme (le recrutement de barbouzes, le plasticage, les interrogatoires musclés…). Une guerre où les deux parties se neutralisaient mutuellement jusqu’après l’annonce du cessez-le-feu.

Un autre crime odieux de l’OAS

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Un corps sans vie d’une victime de la sinistre organisation

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Guerre de libération Histoire La tuerie de la rue d’Isly

L’armée française et l’OAS dos à dos

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Guerre de libération

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Histoire

epuis l’entrée en vigueur du cessezle-feu, le 19 mars 1962, les extrémistes français, regroupés autour de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), étaient devenus furieux et n’hésitaient pas à tout détruire, à tout brûler pour faire capoter le projet d’indépendance qui s’annonçait imminent. Après l’échec de la série d’attentats terroristes ciblés et de « la semaine des barricades », à travers laquelle les ultras tentèrent d’impliquer la population européenne, en voulant créer une situation de désobéissance civile, les commandos de l’organisation passèrent à la stratégie du pire : le massacre. C’est à partir de Bab-el-Oued, leur bastion, qu’ils décidèrent de jouer leur dernière carte. Une semaine, après le cessez-le-feu, le 26 mars 1962, à l’appel de l’OAS, une foule dense composée essentiellement de pieds-noirs chauffés à blanc se dirige vers le « monument aux morts. » Stoppée un moment par un barrage à l’entrée de la rue d’Isly, la foule se déchaîne et des coups de feu sont tirés, d’on ne sait où. Les soldats répliquent. Bilan : 80 morts, et des centaines de blessés. Une rafale de pistolet mitrailleur est tirée par un tirailleur situé près du bar du Derby. Cela déclenche une fu-

sillade qui durera plusieurs minutes. C’est la confusion et la panique générale. Les manifestants courent dans tous les sens. Les tirailleurs, pris de panique, vident leurs chargeurs, utilisant même des balles explosives, d’après des témoignages. La rue ne sera bientôt qu’un amas de corps sanglants. Des témoins racontent qu’au milieu des cris et des supplications, « les assassins achevaient les blessés ». La scène du carnage est atroce, insoutenable. Des corps d’hommes, de femmes, d’enfants jonchent les rues et les trottoirs, le sol est parsemé de souliers, de vêtements, de douilles. Un documentaire de 52 minutes, réalisé en 2008 par la télévision française (France 3), consacre une émission à cet événement méconnu, Le massacre de la rue d’Isly, qui se vend aujourd’hui sur CD en Algérie même. Retraçant cette journée folle, avec des images poignantes inédites, il montre l’ampleur du drame, mais laisse des zones d’ombre. C’est là que les pieds-noirs (Européens, juifs), qui jusqu’à alors soutenaient aveuglément l’OAS réalisaient le machiavélisme criminel d’une caste d’ultras, qui se croyait assez forts pour pouvoir s’emparer du pouvoir, mais dont l’unique stratégie de prise de pouvoir consistait à semer le chaos en Algérie.

L’horrible tuerie de la rue d’Isly (Larbi Ben M’hidi)

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Guerre de libération Histoire Comment s’est déroulé ce glissement dangereux ? Comment les forces de sécurités françaises se seraient laissé aller à une répression aussi brutale ? Dans un témoignage récent, un ancien officier de l’armée coloniale révèle que des coups de feu ont été tirés par des fenêtres de la rue d’Isly, dans le dos des soldats. Loin de signifier par-là que des snippers enrôlés par l’OAS s’étaient embusqués pour semer la zizanie ce jour-là, ils cherchaient surtout à dédouaner les troupes en poste de leur responsabilité. C’était la version donnée par tous les officiels de l’époque, à commencer par le préfet de police d’Alger, qui tenta aussi de minimiser le nombre de victimes, en parlant de 46 mort et de 200 blessés. Aucune liste définitive des victimes n’a jamais été établie... Toutes les victimes seraient des civils, européens, quelques juifs séfarades. Toutefois en 2003, dans sa contre-enquêteBastien-Thiry : Jusqu’au bout de l’Algérie française, le grand re-

porter Jean-Pax Méfret avance le nombre de 80 morts et 200 blessés au cours de ce qu’il nomme « le massacre du 26 mars » (Jean-Pax Méfret, Bastien-Thiry : Jusqu’au bout de l’Algérie française, Pygmalion, 2003). L’association des victimes du 26 mars publie une liste de 62 morts, tous des civils ; 7 militaires (dont 2 gendarmes) sont tués. L’historien Benjamin Stora constate que le silence fait sur ce massacre « est un des exemples les plus marquants de la censure pratiquée pendant la guerre d’Algérie : comme pour beaucoup d’événements, le gouvernement français n’a jamais reconnu sa responsabilité ». Dans cette affaire, le gouvernement français n’était pas, à vrai dire, moins machiavélique que l’OAS, puisque les autorités militaires ont mobilisé, pour la circonstance, un bataillon de tirailleurs musulmans, pour mener, en partie, cette sale besogne. Et il se trouve aujourd’hui ceux qui veulent imputer les crimes atroces commis sur

Des cadavres de victimes de la folie meurtrière de l’OAS

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Guerre de libération Histoire Une autre scène montrant les atrocités de cette organisation

les manifestants à « la maladresse » de ces soldats algériens, qui, « épuisés et nerveux, et ne sachant pas à quel drapeau obéir », seraient prêts à en découdre. Comme s’il était plus facile d’en remettre une couche sur les Algériens, avec tous les stéréotypes déjà usités, que de chercher des coupables dans les rangs de l’armée française, qui a enfanté tous ces zélateurs de l’OAS et autres. Ceux-là étaient soumis à un chantage odieux qui ne

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leur laissait plus aucun choix : donner des gages d’allégeance ou s’exposer à la mort. Or, ils savaient bien que l’Algérie était à quelques semaines de son indépendance. C’est dire que les deux camps qui s’entredéchiraient pour le pouvoir, sur le dos d’un peuple qu’ils voulaient toujours dominer, étaient mus par les mêmes pulsions nihilistes.

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Guerre de libération Histoire L’OAS

bilans controversés

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Guerre de libération Histoire Attentat oeuvre de l’OAS en plein coeur d’Alger

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Un commando OAS en action

es historiens n’ont jamais eu de chiffres exacts et incontestables sur le bilan macabre de cette organisation terroriste. Car, en s’en référant aux seuls comptesrendus de la presse française de l’époque ou à des rapports militaires, qui faisant parfois table rase sur les victimes algériennes, tant d’auteurs se seraient fourvoyés en donnant une lecture, que l’on peut qualifier de tronquée, de la réalité des événements. A cela s’ajouterait la confusion créée par l’implication du « contre-terrorisme » des barbouzes du général de Gaulle, qui, en voulant combattre le terrorisme des insurgés français, en faisaient eux-mêmes. Officiellement, donc, les actions attribuées à l’OAS ont fait 71 morts et 394 blessés pour la branche métropolitaine, et est directement responsable de plus de 2200 morts, de 12900 plasticages, de 2546 attentats individuels et de 510 attentats collectifs. L’historien français Rémi Kauffer estime que l’OAS a assassiné entre 1 700 et 2 000 personnes. Le journaliste américain Paul Hénissart cite, lui, une source officieuse selon laquelle le nombre de victimes assassinées en Algérie s’élève à 2 200. L’historien français Guy Pervillé, s’appuyant sur deux rapports des forces de l’ordre (l’un de la Sûreté nationale, l’autre du général Fourquet, commandant

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supérieur des troupes françaises), estime que ce chiffre est peut-être inférieur à la réalité. Son collègue américain Rudolph J. Rummel considère lui que le nombre de victimes s’élève à au moins 12 500 (12 000 civils et 500 membres des forces de l’ordre), estimation comparable à celle de Charles de Gaulle dans ses Mémoires d’espoir. D’autres historiens, comme Olivier Dard, estime ces bilans sont très exagérés. De par son caractère nihiliste et aveugle, l’organisation s’est attachée à semer la terreur par tous les moyens possibles et à s’attaquer systématiquement à tout ce qui était encore susceptible d’encourager un processus de décolonisation, que ce soit au sein de l’administration et de l’armée française, ou au sein de la société algérienne. Sa première victime fut le commissaire central d’Alger le 31 mai 1961. Un symbole fort par lequel elle se montrait décidée à déclarer la guerre à tout l’Etat français. Pour preuve, elle fomentera plusieurs attaques contre le général, jusqu’après le 5 juillet 1962. Ses autres cibles françaises : les « porteurs de valises », les anticolonialistes, les communistes et les gaullistes. L’OAS est surtout connue pour avoir été l’une des premières organisations terroristes à avoir organisé des attentats à la voiture piégée : 25 morts à Oran le 22 février et 62 morts à Alger le 2 mai 1962. Ce que le

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Guerre de libération Histoire FLN/ALN, désigné par les autorités coloniales comme une organisation, n’aurait jamais osé perpétrer, pour contrebalancer le système de terreur qui s’écharnait sur la Révolution. Sa politique dite de la terre brûlée l’amena aussi à des opérations de plasticage ciblant les équipements collectifs, les écoles ou les bibliothèques, dont celle de l’université d’Alger incendiée le 7 juin 1962. Bénéficiant d’un soutien massif des pieds-noirs en Algérie, l’OAS réussit plusieurs fois à mobiliser ses sympathisants dans des manifestations de rue, pour protester contre les négociations de paix, et à provoquer des émeutes meurtrières, comme celle de la rue d’Isly, le 26 mars 1962 qui fit 54 morts chez les pieds-noirs pris sous le feu des forces françaises. Même en France, la répression policière contre une manifestation organisée le 8 février 1962 à Paris, par deux partis de gauches, le PCF, le PSU et six syndicats, pour protester contre l’OAS, a provoqué un carnage : 8 personnes furent écrasées contre les grilles d’une station de métro. Comme quoi, sa seule présence symbolique attirait la mort. Cela dit, l’OAS a elle aussi subi des pertes et officiellement 119 membres ont été tués. En 1962, 635 membres de l’OAS sont arrêtés. 224 sont ensuite jugés, dont

Un membre de l’OAS l’arme en joue

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Le visage ensanglanté d’une victime des attentats de l’OAS

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Guerre de libération Histoire Des impacts de balles sur la DS de Charles de Gaulle miraculeusement sorti indemne

au Portugal et en Amérique du Sud. Plusieurs sont condamnés à mort par contumace (les généraux Raoul Salan et Edmond Jouhaud, Joseph Ortiz, le colonel Chateau-Jobert, André Rossfelder, le colonel Arnaud de Seze, le colonel Yves Godard, les capitaines Pierre Sergent et Jean Biraud). La peine de mort pour motif politique, abolie depuis 1848, ayant été rétablie par ordonnance du 4 juin 1960. Arrivant à bout de ses ressources, l’OAS termine « en apothéose », par un dernier attentat à Oran qui mit le feu à dix millions de tonnes de carburant le 25 juin 1962, avant la série d’attentats contre le général de Gaulle qui en réchappa. Après la « guerre d’Algérie », l’organisation terroriste française va tenter de s’internationaliser, en formant, entre autres, les services chargés de l’opération Condor dans le cône sud de l’Amérique latine, des escadrons de la mort qui avaient comme mission de briser les mouvements révolutionnaires de gauche en lutte contre les dictatures militaires dans cette partie du monde. Les rancœurs nourries et véhiculées par cette organisation criminelle ne se sont pas estompées et continuent à faire des ravages trente ans après la fin de la guerre de libération. En mars 1993, une bande d’anciens de l’OAS assassine Jacques Roseau, lui-même ancien membre de l’OAS et président de l’association de 117 acquittés, 38 à une peine de prison ferme, 3 sont rapatriés « Recours », faisant de lui la dernière victime condamnés à mort et fusillés. Jusqu’en 1965, les arres- de l’organisation. tations s’élèveront à dix mille personnes et le nombre de condamnés à 3 680. Plusieurs membres de l’OAS Adel Fathi se sont réfugiés à l’étranger, notamment en Espagne,

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Guerre de libération Histoire

Héritiers de l’OAS

Ennemis de la repentance

P

ourquoi le débat en France sur l’héritage de l’Histoire et ce qui est appelé pompeusement le « devoir de mémoire » semble toujours dominé par les plus rigides, à gauche comme à droite, et les plus réfractaires à la repentance exigée par les victimes, pour tous les crimes commis par l’armée française pendant la période coloniale en Algérie ? N’y aurait-il pas une sorte de partage de rôles, dans le système politique français, dans le seul dessein de bloquer

toute normalisation des relations historiques avec une ancienne colonie ? A voir le nombre de mesures populistes prises ces dernières temps en faveur des partisans de l’Algérie française notamment, on est bien en droit de se poser cette question. On a vu comment les nostalgique de l’Algérie française, amis et héritiers de l’OAS, se sont engouffrés dans la brèche, pour montrer toujours plus d’aversion et toujours plus de déni à l’encontre de l’Algérie indépendante.

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Guerre de libération Histoire La loi scélérate dite du « 23 février 2005 », glorifiant « les aspects positifs de la colonisation », a été la première grande concession, si l’on est, faite à ces milieux hostiles à l’indépendance de l’Algérie et à toute idée de réconciliation, encore moins de repentance. Des personnalités se revendiquant, aujourd’hui, d’une droite en mal de « gaullisme », comme ce sénateur et ancien ministre de la Défense, aujourd’hui sénateur, Gerard Longuet, n’hésitent pas à afficher publiquement et bassement leur haine contre l’Algérie, sans que cela soulève la moindre réaction de l’establishment français, qui préparait, pourtant, une visite d’Etat importante du président français en Algérie, annoncée comme le prélude à une « normalisation » des relations entre les deux pays. Le triste sieur fera des émules, puisqu’un autre élu, un député FN, lui emboitera le pas pour esquisser le même geste obscène devant les caméras de la télévision. Pareilles attitudes ne peuvent que stimuler les différentes actions menées ces dernières années par les nostalgiques de l’Algérie française, en tête desquels on trouve toujours les anciens membres et sympathisants de l’OAS et les associations de harkis, et contribuer par-là même à pervertir le débat sur les questions d’histoire. Ces milieux, se sentant ainsi réhabilités, redoublent de férocité et se mobilisent à chaque occasion, pour appeler à reconnaître les exactions et crimes de l’OAS, comme légitimes, voire comme des « actes de bravoure » qui auraient pu sauver l’Algérie française ! Le 8 mars 2012, ils ont appelé à manifester contre la commémoration du 19 mars, date du cessez-lefeu, arguant que cette date était pour eux le début de la guerre contre l’armée française régulière qui consentait ainsi, d’après leur littérature, à « l’abandon de l’Algérie française ». C’est dire que les héritiers de l’OAS n’admettent même pas la version française officielle des événements, quand bien même celle-ci continuerait à faire la part belle aux thuriféraires du colonialisme et de ses « aspectes positifs ». Aujourd’hui, il existe plusieurs organisations se revendiquant de cet « héritage » sinistre : 47 associations dites « Vérité et justice pour les Français rapatriés », qui manifestent à chaque occasion historique devant les institutions officielles à Paris et dans maintes villes française, pour exiger la reconnaissance des « crimes commis contre les pieds-noirs

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», à la fin de la guerre ou pour dénoncer « l’abandon des harkis par l’Etat français »… Les défilés organisés sous la férule du « Comité de la Flamme », qui regroupe des associations des « anciens rapatriés » de la France, véritable repaire des ultras et partisans de l’OAS, les 5 juillet de chaque année, pour commémorer ce qu’ils décrivent comme « le massacre des pieds-noirs et de harkis », le 5 juillet 1962 dans la ville d’Oran, sont l’exemple de ce pervertissement de l’Histoire, estiment des historiens français. Ces derniers rappellent à ces ultras les 1100 victimes algériennes de cette organisation terroriste à Oran, et les victimes militaires françaises, parmi lesquelles des dizaines d’officiers, en plus d’une cinquantaine de civils, tués par l’OAS entre mars et juillet 1962. C’est l’analyse qu’en donne l’historien algérien Fouad Soufi, qui écrit: « Le 5 juillet 1962, alors que partout la population algérienne célèbre la fête de l’indépendance, dans le centre de la ville d’Oran, des hommes, des femmes et des enfants algériens et européens trouvent la mort dans des conditions atroces, non encore élucidées, tandis que dans un quartier périphérique des Européens sont sauvagement assassinés. » Un autre historien algérien, Saddek Benkada, a dénombré 859 victimes civiles algériennes, entre le 1er janvier et le 30 juin 1962. « Un événement particulièrement traumatisant fut l’explosion simultanée de deux voitures piégées, le 28 février 1962, un soir de ramadan, au cœur du quartier algérien de Medina J’dida – c’était le premier attentat de ce type dans l’histoire de l’Algérie. Il y eut ce jour-là 78 morts, sans compter les corps non identifiables... » Autant de témoignages démontant la mystification nourrie par les héritiers de l’OAS sur cet épisode tumultueux de l’Histoire, mais qui est, malheureusement, toujours relayée et amplifiée, dans l’Hexagone, par des médias et des politiques populistes qui en font un slogan de campagne pour finir par alimenter la xénophobie et les idées néo-fascistes de l’extrême droite. Chose qui, outre-mer, n’aidera pas assurément à s’ouvrir sur l’Algérie et à « assumer » ce lourd héritage commun.

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Guerre de libération Histoire Ali Hammoutène

un intellectuel, victime de l’OAS

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Guerre de libération

L

Histoire

e 15 mars 1962, à moins de quatre jours de l’annonce du cessez-le-feu qui devait mettre fin à une guerre atroce qui dura sept ans et demi, un attentat terroriste signé par un commando Delta de l’OAS (Organisation de l’armée secrète), décidée à torpiller le projet d’indépendance de l’Algérie, visait un groupe de cadres des Centres sociaux éducatifs d’Algérie, à Alger, tuant six d’entre eux : trois Français et trois Algériens. Il s’agit de Marcel Basset, directeur du Centre de formation de l’Éducation de Base à Tixeraine (CSE d’Algérie), Robert Eymard, ancien instituteur et chef du bureau d’études pédagogiques aux CSE, Max Marchand (1911-1962), inspecteur d’académie, chef de service aux CSE et ancien instituteur, le célèbre écrivain Mouloud Feraoun, qui occupait le poste de directeur adjoint au chef de service des CSE, ancien instituteur, Salah Ould Aoudia, ancien instituteur et inspecteur des centres de la région Alger Est, et enfin Ali Hammoutène, inspecteur de l’Education nationale, directeur adjoint aux CSE et ancien instituteur. Né en 1917 à Tizi Ouzou, en Kabylie, Ali Hammoutène était reconnu pour ses qualités de pédagogique et de dirigeant, qualités qui le prédestinaient à former des éducateurs dans une Algérie une fois indépendante, mais la main lâche des criminels de l’OAS en a voulu autrement. A travers ce sextuple assassinat qui visait des Européens et des Algériens, les partisans de la politique de la « terre brûlée » voulaient aussi tuer l’avenir. Parallèlement à son engagement éducatif et culturel, aux côtés notamment de l’immense Moulouds Feraoun, son compagnon de destin, Ali Hammoutène était aussi connu pour son activisme politique au sein du mouvement national, et ce dès 1939, alors qu’il était instituteur dans sa région natale, près de Tizi-Ouzou. Il adhéra d’abord au PPA, puis, à sa création en 1954, au Front de libération nationale. Interpellé à plusieurs reprises par les autorités militaires françaises, il en sortait avec des mesures d’interdiction prise contre lui pour atteinte à la sûreté de l’Etat français. N’en pouvant plus, il quitta TiziOuzou, pour s’installer avec sa famille à Alger, où il croyait pouvoir échapper aux harcèlements des autorités coloniales.

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Cet engagement et ce sentiment de révulsion grandissant envers l’occupation ne l’empêchèrent guère de croire à la fraternité entre communautés humaines, aux dialogues des cultures. Ce qui lui vaudra d’ailleurs, à lui et à Mouloud Feraoun notamment, d’être taxés par certains esprits étriqués d’«assimilationnistes », au motif qu’ils s’abreuvaient de la philosophie et de la littérature françaises ou de s’être liés d’amitiés avec des écrivains comme Albert Camus. En été 1956, c’est-à-dire en pleine guerre de Libération, il écrivit : « Sur cette terre algérienne où se dresse toujours sanglante l’ombre hideuse du colonialisme, reverrons-nous un jour la paix et la fraternité ? » Les horizons étaient encore obscurs ; et bientôt Alger, ville jusque-là épargnée, plongera dans cette atmosphère lugubre de la guerre. Son assassin (le lieutenant Roger Degueldre pour qui une stèle commémorative a été inauguré par les « Amis de l’OAS », en 2010) ne lui a pas permis d’entrevoir le nouveau destin qui se dessinait. Alliant pensée politique, pédagogie et militantisme, Ali Hammoutène fait certainement partie de cette race d’hommes qui auraient pu changer le parcours de l’école algérienne, qu’il décrivait déjà comme étant d’émancipation, de progrès et de développement. Il a laissé ses réflexions, réunies dans un livre posthume intitulé : Réflexions sur la guerre d’Algérie paru en 1983 chez Publisud (France), réédité par la SNED (Algérie), dans lequel l’auteur consigne son témoignage précieux et lucide sur les événements qui ont émaillé la guerre de Libération et donne son appréciation critique en tant qu’homme de culture et d’action sur les différentes projections politiques émanant des dirigeants de la Révolution. Ce livre mérite d’être encore réédité pour être porté à la connaissance des générations actuelles qui ignorent, pour la plupart, cet inestimable legs intellectuel.

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Oudaï Zoulikha Yamina, née Echaïb

Une moudjahida au tempérament de feu

Détermination et colère sont décelables dans ce regard de femme, au tempérament de feu, que le destin a propulsée un jour sur les devants de la scène et dont la trajectoire mérite d’être connue. Par Leila Boukli

Femmes au maquis Portrait

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on histoire a inspiré Assia Djebar qui en a fait un livre La femme sans sépulture où elle mêle fiction et réalité. Des universitaires notamment aux USA ont fait le déplacement jusqu’à Cherchell pour faire de ce symbole du refus du mépris de l’homme, de son exploitation, de son avilissement, un objet d’étude. Cette femme a été très tôt marquée par le mode de vie des familles indigènes, sans ressources, sans maris parce qu’enrôlées de force par l’armée coloniale pour défendre un pays qui n’était pas le leur. Les femmes n’avaient pas d’autre alternative qu’être la « Fatma » au service de colons usurpateurs de terres, injustes et cruels, pour la plupart, pour nourrir leurs familles. Ce ne sera pas le cas de La Zoulikha qui devient, fait unique dans l’ALN, responsable politico-militaire de la ville de Cherchell. Elle succède au chahid Belkacem Alioui, ex-président de l’équipe de football du Mouloudia de Cherchell. Fonction qu’elle assumera avec bravoure, comme en témoigne, ému aux larmes, son responsable Ahmed Ghebalou, médersien, responsable politique de la région de Cherchell, fortement marqué par les capacités d’endurance, d’organisation et de commandement de cette femme. Jusqu’au jour fatal où elle rejoint son époux, Si Larbi, et son fils Habib, fidaï dans la région de Blida, tous deux exécutés par l’armée française sans jugement. Martyrs du devoir, 17 proches de cette famille se sont sacrifiés pour que vive l’Algérie libre et indépendante, libérée d’une tutelle imposée par les armes, s le sang et les larmes.

Qui est Zoulikha Yamina, née Echaïb ?

Elle est née un 7 mai 1911 à Hadjout d’une famille aisée, père gros propriétaire terrien, conseiller municipal, président du comité de patronage d’Ecoles d’indigènes. Il encourageait les Algériens à s’instruire. Elle grandit dans la ville de Cherchell, épouse à 16 ans, Larbi Oudaï, maquignon de son état avec qui elle fonde une famille. Elle a cinq enfants qu’elle impliquera plus tard dans la Révolution, mais n’aura pas la chance de les voir grandir. Ce sera sa fille aînée qui fera en son absence office de maman. Parlant un français châtié, cette femme impressionne par sa détermination à défendre ses convictions. En 1954, lors du tremblement de terre d’El Asnam, où elle rendra visite à sa fille, elle prend violemment a parti les autorités qu’elle estime trop lentes à porter secours aux victimes algériennes, tout comme elle n’hésite pas, en 1957, après l’exécution de son époux, intendant au sein de l’ALN, capturé avec sur lui la somme de 300.000 francs, à faire, accompagné d’un avocat, irruption au commissariat jusqu’au bureau du tristement célèbre commissaire Coste,

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Son père Eschaïb Brahim

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Femmes au maquis Portrait sous le commandement du non moins célèbre lieutenant-colonel Gérard Le Cointe, mort récemment en tant que général, dans la gloire en France, la conscience tranquille. Elle y lance des mots qui auraient pu lui coûter la vie : « Non contents d’avoir tué de sangfroid mon époux, vous lui avez aussi volé l’argent de ses enfants. » Curieusement, elle obtient gain de cause et récupère la somme et ses objets personnels. Cet argent, fruit des cotisations, sera remis à l’organisation sous la barbe de ce commissaire, qui ne se remettra jamais d’avoir été bernée par une « Fatma ». Elle a alors 46 ans, un âge où les mères de famille de l’époque s’occupent de leur foyer. Mais La Zoulikha la révoltée est une femme obstinée, ayant de l’expérience et du caractère et vouant une passion effrénée à son peuple. Elle engage la lutte et la poursuit inlassablement dans les maquis de Haïzer et dans Cherchell enclavée dans ses murailles, gardée par une armée en alerte. Elle sillonne les pistes pour faire le relais avec l’Organisation installée dans des caches ou dans des petites maisons en ville. Dans le combat urbain, elle organise le réseau de femmes et d’hommes, mettant en place les moyens pour faire acheminer la logistique aux maquis. Les contacts se font par des jeunes adolescentes de 12 à 14 ans, dont sa fille, encore en vie. Les jeunes filles insoupçonnables vont de cache en cache, avec des ânes et des poteries dans lesquelles sont cachés nourriture, habillement et armes. Elle est félicitée par Abane

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Son fils Lahbib

Ramdane en personne, notamment pour l’infirmerie montée par ses réseaux, qu’il considère mieux équipée que celle de Tlemcen, référence à l’époque, et par Boualem Benhamouda, ex-ministre et alors commissaire politique du secteur.

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Début 1957, le réseau FLN de Cherchell est découvert et les membres arrêtés. La Zoulikha s’enfuit et rejoint le maquis où elle est volontaire pour activer dans le secteur des Oudayne. Elle mobilise la population et organise les relais pour les com-

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Femmes au maquis Portrait Larbi Oudaï époux de Zoulikha dit Si Ahmed

battants en transmettant les orientations et informations dans Cherchell malgré le danger. On rapporte qu’elle garda jusqu’à sa mort un mouchoir trempé par elle du sang encore chaud de deux moudjahidine, Abdelrrahmane Youcef Khodja et Ali Alliche, âgés de 26 ans, alors qu’ils passaient par un poste relais et auxquels elle avait servi le café deux minutes avant. Elle fuit et verra ses enfants pour la derrière fois. Elle dira à son fils Habib, porté disparu et revenu blessé d’Indochine en 1955, qui, devant se marier avec sa cousine, avait acheté pour l’occasion une chambre à coucher : « Monte au maquis, tu te marieras à l’indépendance. » Comme ci celle-ci était pour le lendemain. Le sort veut qu’elle soit prise lors d’un ratissage sans précédent, un 15 octobre 1957. Allioui est tué sur-le-coup, Brahim Oudaï, un parent, s’enfuit blessé, il sera égorgé plus tard par les militaires ; La Zoulikha est faite prisonnière. Les Français jubilent, montent une véritable mise en scène, ramènent de force les populations des alentours afin qu’ils voient leur héroïne, attachée à un blindé, humiliée. Il n’en est rien. La Zoulikha la tête haute, harangue, d’une voix ferme, la foule : « Mes frères, soyez témoins de la faiblesse de l’armée coloniale qui lance ses soldats armés jusqu’aux dents contre une femme. Ne vous rendez pas. Continuez votre combat jusqu’au jour où flottera notre drapeau national, sur tous les frontons de nos villes et villages. Montez au maquis ! Libérez le pays ! » Le capitaine tente de la faire taire. Méprisante, elle crache au visage de ses tortionnaires. Elle sera torturée 10 jours durant, sans jamais donner un nom et exécutée le 25 octobre 1957. Son corps sera retrouvé en 1984 après le témoignage d’un paysan qui dit avoir trouvé le corps d’une femme sur une route et l’avoir enterré à Marceau. Il les guide jusqu’à une tombe. Elle avait toujours ses menottes aux mains. Elle est enterrée aujourd’hui au cimetière des chouhada de Menaceur. Si les parents Oudaï et leur aîné furent un exemple d’engagement patriotique, leur petit dernier est un exemple de loyauté envers l’Etat algérien indépendant, libre et souverain. Général à la retraite, cadet sorti de l’école de Koléa, puis de l’école d’officiers de Saint-Cyr Coëtqui-

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dan, il se consacrera corps et âme, au péril de sa vie, à la lutte contre un autre danger qui menaçait l’Algérie, les hordes terroristes. Legs probable de cette mère à son fils, souvenir du mouchoir imbibé du sang encore chaud des chouhada gardé jalousement par cette héroïne que fut La Zoulikha, afin que nul n’oublie les sacrifices consentis pour que vive l’Algérie souveraine et libre.

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Leila Boukli

Supplément N° 11 - Mars 2013.

Femmes au maquis Portrait Fatma et Messaouda Bedj

Hommage aux sœurs martyres

Elles ont offert leur vie en sacrifice pour que vive l’Algérie libre et indépendante. Pourtant à Chlef, leur ville natale, elles semblent presque méconnues. En cette veille du 8 mars, hommage aux sœurs Bedj. Par Hassina Amrouni LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Femmes au maquis Portrait Messaouda Bedj

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Fatma Bedj

’une s’appelait Messaouda et l’autre Fatma. Originaires de Laghouat, elles ont néanmoins vécu à Chlef. L’aînée, Messaouda, dite Meriem y a vu le jour le 7 mai 1933. Grande de taille, forte de caractère, Messaouda a, entre autres, étudié au Collège de jeunes filles de Blida puis à Verdun (actuelle clinique Aïssat-Idir). A la même époque, c’està-dire en 1954, elle rejoint le mouvement des Scouts musulmans algériens (SMA), dirigés par M. Tedjini et présidés par M. Lachraf. Un jour, elle reçoit un blâme et manque d’être renvoyée de la Clinique Verdun pour s’être présentée en cours en tenue de scout. C’est sans doute pour cela que tous ses camarades l’appelaient el lobba (la lionne) sans doute à cause de son caractère autoritaire et bien trempé. En 1956, alors qu’elle est étudiante à la faculté d’Alger, Messaouda ainsi que ses camarades répondent favorablement à l’appel lancé par le FLN, lors de la grève des étudiants. La jeune fille, qui n’a que 23 ans, n’hésite pas abandonner ses études l’année où elle devait recevoir

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son diplôme de sage-femme et à quitter le confort familial pour rejoindre le maquis pour prendre part à la révolution. Ralliant les rangs de l’Armée de libération nationale, Messaouda ainsi que d’autres étudiants traversent les Monts du Blida et le Zaccar pour se fixer dans le « Dahra », dans le djebel Bissa à l’automne 1956. Messaouda trouve très vite sa place au sein du service de santé organisé dans la région par le Dr Harmouche dit Si Saïd, aidé par le jeune Si Hassan qui deviendra colonel de l’ALN. Messaouda, principale animatrice de ce service, s’acquitte de sa tâche avec beaucoup d’abnégation et de courage. Toutefois, pour des raisons de sécurité, elle quittera son poste pour rejoindre les monts de l’Ouarsenis, traversant ainsi toute la Vallée du Chélif. C’est là qu’elle tombe en martyre en 1958, devenant ainsi la première femme de la région à tomber au champ d’honneur. Messaouda avait été activement recherchée à la suite d’une condamnation à mort émise par le tribunal colonial et sa photo avait même été publiée dans un journal français.

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Femmes au maquis Portrait Les sœurs Bedj au maquis

Fatima, dite Lalia, sa cadette de deux ans, est née le 6 octobre 1935. Elle est tout le contraire de sa sœur, petite, menue, elle est douce, sensible mais tout comme sa sœur, elle est très cultivée. Fatima a une forte personnalité et une volonté à toute épreuve. Militante dès son jeune âge, elle décide de rejoindre les rangs de l’ALN le 8 mai 1957, à l’âge de 22 ans. Ses parents, tout aussi acquis à la cause révolutionnaire, n’hésitent pas à donner leur bénédiction à leur fille, tout en sachant ce que cela impliquait comme risques et sacrifices mais l’appel de l’Algérie était plus fort et plus important. La jeune fille est très estimée par les djounoud qu’elle assiste au quotidien. Par ailleurs, son diplôme de secouriste lui sera d’une grande utilité puisqu’elle soignera les blessés au front ainsi que les populations des douars dont elle sera partie intégrante. En 1958, alors que sa sœur aînée venait de mourir en martyre, elle n’en saura rien. Du moins pas au moment des faits, elle apprendra la nouvelle plus tard et aura cette réponse courageuse : « C’est le chemin que nous avons choisi. » Fatima passera trois années au maquis, elle tombera au champ d’honneur en 1960. Messaouda Bedj et Youcef Khatib, futur colonel de la wilaya IV

LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Femmes au maquis Portrait Exhumation du corps de Fatma qui gisait dans la même tombe que la sœur Malki Naciba dite «Chafika »

Au lendemain de l’indépendance, les dépouilles des deux sœurs Bedj seront ramenées du djebel et enterrées au cimetière des chouhada de Chlef. Combattantes courageuses, martyres de la première heure, les deux sœurs Bedj ont malheureusement été oubliées dans leur ville natale. En effet, l’unique structure – une école primaire – baptisée à leur nom à Chlef a été détruite lors du séisme de 1980. Depuis plus rien.

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Il revient, aujourd’hui, aux autorités locales de faire connaître le combat de ces deux sœurs, mortes pour la patrie et, pourquoi pas, donner leur nom à une structure locale pour que tous les Chélifiens se souviennent que l’indépendance de l’Algérie a été arrachée grâce au sacrifice consenti par plus d’un million de martyrs, parmi lesquels les deux sœurs Bedj.

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Hassina Amrouni

Supplément N° 11 - Mars 2013.

Femmes au maquis Portrait Meriem et Fadéla Saâdane

Mortes sur l’autel de la liberté

Le courage et l’abnégation dont a fait preuve la femme algérienne durant la guerre de libération nationale et son engagement au combat en première ligne ont fait d’elle un exemple qui honore toutes les femmes algériennes, notamment celles de la génération post- indépendance, qui voient là, la référence à suivre. Par Hassina Amrouni LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Femmes au maquis Portrait

L

a mémoire de toutes les femmes qui ont donné leur vie pour l’idéal patriotique est célébrée à chaque occasion, mais certaines martyres restent moins connues, à l’image de Fadila et Meriem Saâdane, deux sœurs mortes sur l’autel de la liberté. Petite halte commémorative sur le destin hors du commun de deux jeunes Algériennes au parcours emblématique et au courage hors du commun.

Fadila, symbole de courage

Fadila Saâdane a vu le jour le 10 avril 1938 à Ksar El Boukhari dans la wilaya de Médéa, d’un père instituteur. A la mort de ce dernier à Saint-Arnaud (aujourd’hui El Eulma), la famille retourne vivre provisoirement à El Harrouch, avant de s’établir définitivement à Constantine où elle vit dans le quartier arabe, à la rue Abdallah Bey. C’est au sein de son entourage familial que Fadila est initiée au militantisme, notamment favorisé par son lien avec son oncle, le docteur Saâdane, leader du mouvement national. Brillante élève, elle intègre le Collège de jeunes filles de la ville où elle assoit ses connaissances mais aussi ses idées partisanes au contact d’autres lycéennes, ce qui la conduit à rejoindre, dès l’âge de 16 ans, l’Association de la Jeunesse estudiantine musulmane de Constantine, branche du Parti du peuple algérien (PPA). Brillante et courageuse, Fadila finit par être

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désignée membre du bureau de cette association qui comptait plus de 230 adhérents parmi lesquels Halima Maïza et Belaïd Abdesselam. Cette association qui avait pour objectif de maintenir un fil conducteur entre les étudiants musulmans de la ville de Constantine et de prolonger l’œuvre scolaire par l’organisation de loisirs culturels (création d’un journal estudiantin, une bibliothèque, organiser des cours…) a été invitée par l’association artistique El Mezhar El Qssentini, dirigée par l’homme de lettres et membre de l’association des Oulémas, Ahmed-Réda Houhou à travailler de concert pour un but commun : celui de défendre la personnalité algérienne opprimée et d’œuvrer à une prise de conscience effective. Fadila Saâdane sera, dès lors, sur tous les fronts, consciente de l’importance du rôle qu’elle est en train de jouer pour se libérer des chaînes de l’oppression. Son engagement sans faille pour la justice et le droit de ses concitoyens l’amène, notamment, à lancer plusieurs mouvements de grève pour obliger les autorités coloniales à plus de respect de la confession musulmane surtout en ce qui concerne la nourriture. En effet, le personnel français de son collège servait volontairement de la viande de porc aux élèves musulmanes, ce qui pousse Fadila et ses amies à se révolter pour exiger plus de respect. Et lorsque l’UGEMA lance son appel à la grève illimitée le 19 mai 1956, suivie par l’association des lycéens, l’AJEMA, Fadila Saâdane n’hésite pas à abandonner ses études, ratant la deuxième partie de son

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Supplément N° 11 - Mars 2013.

Femmes au maquis Portrait Des moudjahidate maniant des armes

examen du baccalauréat pour rejoindre le mouvement de contestation, en réponse à l’appel lancé aux étudiants pour rallier les rangs du FLN et de l’ALN. Fadila Saâdane ainsi que Anissa Ghamri, enseignante et Zohra Gherib, lycéenne seront les premières à rallier une cellule du Front de libération nationale. Elles avaient pour mission de soutenir les actions entreprises par les fidayïnes, d’acheminer le ravitaillement, les médicaments

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et autres produits nécessaires aux moudjahidine dans les maquis du djebel Ouahch. Elles avaient aussi pour tâche de rédiger les rapports, tracts et autres. Très active, Fadila finit par attirer l’attention sur elle. Repérée, elle est arrêtée en compagnie du docteur Amor Bendali. Elle est incarcérée à la prison du Coudiat vers la fin novembre 1956. Une année durant, la jeune femme subit, du fond de sa cellule, les pires humi-

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liations et assiste à tous les sévices infligés à d’autres prisonnières. A sa libération, vers la fin de l’année 1957, elle reprend ses études et, dès l’obtention de la deuxième partie de son baccalauréat, part en 1958 à Clermont-Ferrand en France. Alors qu’elle poursuit ses études en France, sa jeune sœur Meriem rejoint, elle aussi, les rangs du FLN. Arrêtée et torturée à mort, son corps mutilé sera jeté le 22 juin 1958, avec ceux de 52 autres militants constantinois dont Tewfik Khaznadar dans une grotte de Djebel Boughareb. Très éprouvée par la perte de sa jeune sœur, Fadila décide, dès son retour en Algérie, de rejoindre un commando de fédayïne, puis finira par être désignée membre de la logistique de l’OPA, en compagnie de Malika Bencheikh El Hocine, une autre fidaïa. Avec cette dernière, elle est affectée à la nahia 2, dirigée par Saïd Rouag dit Si Amar. Les deux jeunes femmes, qui sont des agents de liaisons très actives, sont chargées de constituer les cellules féminines, selon les directives du colonel Salah Boubnider et de Messaoud Boudjeriou. Et du fait de son niveau universitaire, Fadila sera l’une des rares femmes à prendre part aux réunions des chefs de zone de la Wilaya II, dirigées provisoirement par Salah Boubnider dit « Sawt El Arab ». Sur le chemin de ces réunions, il lui arrivait de livrer bataille lors d’accrochages avec l’armée française, aux côtés de ses frères moudjahidine. Dans la nuit du 26 au 27 avril 1960 (le 17 août selon, d’autres sources), alors qu’elle se trouvait dans une

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Femmes au maquis Portrait Femmes moudjahidate

maison sise rue Vieux, Fadila et ses trois compagnons Amar Rouag, Amar Kikaya et Malika Bencheikh-ElHocine seront repérés par l’armée coloniale. Encerclés, ils se livrent à des échange de tirs. Ne voulant pas être prise vivante, Fadila monte la première sur le toit, continuant à affronter les soldats français. C’est là qu’elle tombera sous leurs balles assassines. Elle avait 22 ans. Malika sera la seule rescapée du groupe. Au lendemain de l’indépendance, le nom de cette vaillante martyre a été donné à plusieurs établissements scolaires et cités notamment à Constantine, par ailleurs, un ouvrage, paru en 1976 et intitulé Souvenirs de Fadila Saâdane lui a été consacré par Anissa Zemmouchi.

sœur Fadila, elle est initiée au militantisme au sein de son entourage familial. Devenue infirmière en 1951, elle rejoint, dès le déclenchement de la guerre de libération, les cellules secrètes de la ville de Constantine. Soignant les moudjahidine blessés et se chargeant de leur approvisionnement, elle est arrêtée en janvier 1958. Relâchée, elle est à nouveau arrêtée en mai 1958 et conduite au Centre de renseignement et d’action de la cité Ameziane. Là-bas, elle subit les pires sévices et est torturée jusqu’à la mort. Le 22 juin 1958, les soldats français se débarrassent de son corps atrocement mutilé et de ceux de 52 autres militants constantinois parmi lesquels Tewfik Khaznadar qu’ils jettent dans la grotte de Djebel Boughareb. Mériem avait tout juste 26 ans. L’Algérie indépendante honorera sa mémoire à travers la sortie d’une promotion de femmes Mériem Saâdane, le même idéal que policières baptisées Mériem Saâdane de l’Ecole de Fadila police de Aïn Bénian ou encore en donnant son nom Née à Mérouana (Batna) en juillet 1932, Mériem ob- à des édifices constantinois. Hassina Amrouni tient le brevet d’enseignement moyen. Tout comme sa

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Supplément N° 11 - Mars 2013.

Femmes au maquis Portrait Elle était infirmière au sein du célèbre commando Ali Khodja

« Baya El Kahla », l’ange blanc au treillis

« Baya El Kahla », de son vrai nom Toumya Laribi, est le symbole vivant de l’abnégation et du sacrifice pour l’émancipation du pays. Cette patriote est née à Alger en 1936, dans une famille aisée, si on la compare à celle de la majorité des Algériens des années 1930 et 1940 : son père travaillait au GG, elle a été à l’école et habitait dans une petite villa. Mais elle a abandonné le confort matériel pour se mettre au service de la révolution. Infirmière de son état, elle a sillonné les maquis qu’elle a rejoints à la fleur de l’âge et contribué à la libération de son pays, en prodiguant les soins aux moudjahidine du célèbre commando Ali Khodja dont elle a fait partie, et aux populations civiles, lesquelles étaient privées de tout. Arrêtée avec un groupe d’infirmières alors qu’elle était en route pour la frontière tunisienne, « Baya El Kahla » a subi les pires humiliations physiques et morales, dans les locaux de la DST qui tentait de la retourner, en vain.

Par Djamel Belbey LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Femmes au maquis Portrait Des membres du commando Ali Khodja

Le sentiment de révolte

aux musulmans. Ce ressentiment à l’égard de l’autoSon père, M. Laribi, originaire de Biskra, est plan- rité lui a souvent valu de mauvais résultats scolaires. ton au Gouvernement général (GG). Venu à Alger à Et c’est grâce à une institutrice, une progressiste qui l’âge de 14 ans, il se marie à Alger avec une Boumé- venait de France qu’elle obtient de bons résultats. zrag. Le couple engendre 9 enfants, dont Toumya qui est née à la rue de la Marine et a grandi à Fontaine Le départ au maquis Fraîche (Fort l’Empereur) où elle habite dans une peEn 1955, c’est à l’école d’infirmières qu’elle est aptite villa. Après la troisième et le niveau du brevet, et prochée par les « frères » du réseau d’Alger. Elle comavec une dérogation en raison de son jeune âge, elle mence par subtiliser des médicaments, puis passe à la présente le concours d’accès à l’école d’infirmières de distribution des tracts et enfin au transport d’armes et la Croix-Rouge au début des années 1950. Un beau de munitions. Il lui reste peu de souvenirs des responmétier qu’elle a voulu exercer depuis son enfance, et sables de l’organisation, hormis le jeune Dziri, un nequ’elle aime toujours. A 16 ans, Toumya est de plus veu de Ali Khodja, son voisin – puisqu’il était de Ben en plus révulsée du comportement raciste de certaines Aknoun et elle de Fontaine Fraîche – et des réunions enseignantes à l’égard des élèves « indigènes ». Des- qui avaient lieu du côté de Djamaâ Ketchaoua dans la cendante de personnalités historiques, notamment à Basse Casbah. Quelques mois après l’arrestation d’un Boumezrag par sa mère, son grand-père paternel est patriote de sa cellule, Toumya reçoit l’ordre de partir mort en déportation au bagne en Guyane, et son oncle et de rejoindre le maquis et elle est acheminée vers le Mohamed Khider, militant nationaliste de la première djebel, jusqu’à Tamerkenit, dans la région de Palestro heure, a fait naître chez elle, un profond sentiment de (Lakhdaria). Depuis, elle est recherchée. Contactée par la sœur d’Ali Khodja et son neveu, fierté, doublé d’une aversion à l’ordre qui était imposé

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Supplément N° 11 - Mars 2013.

Femmes au maquis Portrait Une infirmière au maquis soignant les djounoud

au fait que je sois une femme. Je garde du maquis un impérissable souvenir empreint de camaraderie, d’amitié, de fraternité et de patriotisme », a-t-elle témoigné.

Arrestation et tortures

son acheminement vers le djebel se fait dans un véhicule bâché, au milieu de cageots d’oignons, de pommes de terre et de légumes divers. Au fond, il y a des armes et des munitions. L’épouse de Dziri et elle-même sont assises sur un arsenal et ce jusqu’à Tamerkenit, dans la région de Palestro (Lakhdaria). Arrivée au maquis, elle reçoit son nom de guerre : Baya El Kahla. À moins de 20 ans, elle est affectée au célèbre commando Ali Khodja, en zone 1, région 1, secteur 1, de la Wilaya IV. Baya est impressionnée par ces combattants en battle-dress impeccables, et bien armés. Ils sont une soixantaine environ. Après les formalités d’usage, elle se voit remettre un treillis neuf, un chapeau de brousse et une arme. Avec son

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groupe, elle s’occupe aussi des populations civiles, tout spécialement de la vaccination des enfants et des villageois, qui n’ont jamais vu un médecin. Toujours avec ses sœurs et ses frères de combat, elle se déplace avec les unités combattantes pour porter une assistance immédiate et rapide. L’intégration est facile, totale. « Mes compagnons ont eu un comportement exemplaire envers moi et envers toutes celles qui nous ont rejoints après. Je parle de la wilaya où j’étais et de la zone 1, où j’avais été affectée. Les relations avec nos frères de combat étaient pures. Nous étions respectées, protégées. Je n’ai jamais relevé un abus quelconque d’autorité. Aussi loin que je puisse me rappeler, je n’ai jamais eu le moindre conflit lié

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Cependant, avec le plan Challe et les opérations de grande envergure, déclenchées après l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, le maquis se durcit considérablement. La région est sans cesse harcelée par l’artillerie et bombardée par l’aviation française. C’est ainsi que Baya El Kahla et les infirmières au nombre de deux, sur décision du commandement de l’ALN, notamment du colonel Si M’Hamed Bouguerra, sont envoyées vers la frontière tunisienne avec des blessés et sans armes. Il faut dire qu’ils avaient très peu de chance d’y parvenir. Devant franchir un barrage électrifié, Baya est capturé avec tout le groupe d’infirmières et de blessés au lieu dit Meskiana. Vers 16 heures, l’alerte est donnée. Toute résistance est impossible et d’ailleurs avec quoi résister, ils n’avaient pas d’armes. L’armée a commis un massacre sur 13 moudjahidine qui se sont rendus. Alignés face contre terre, les militaires français ont passé le half-track sur leur corps... Ecrasés vivants sous les yeux des survivants... Puis ils se sont occupés des femmes, à coups de poing, de pied, de crosse. « Où sont les infirmières, elles sont sept ! Où sontelles passées ? », vocifèrent-ils. Ils avaient trouvé un ordre de mission qui faisait état de sept infirmières accompagnatrices de blessés. Heureusement, elles n’étaient que trois. Depuis Meskiana, Baya tran-

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Femmes au maquis Portrait L’épouse du Général Jacques Massu

site par toutes les prisons de l’Est, et dans chacune d’elles, elle subit les mêmes interrogatoires avec les mêmes méthodes. A Annaba, un jour, les militaires lui donnent du linge propre et la conduisent dans une belle villa. Dans un salon luxueux, Mmes Massu et Bigeard l’attendent. Un magnétophone à bandes était discrètement dissimulé sous la table, elle l’avait aperçu (les « frères » lui avaient déjà dit de se méfier des déclarations enregistrées qui pouvaient se retourner contre la cause). C’est Mme Massu qui parle la première. – Pourquoi êtes-vous montée au maquis ? Vous ne manquiez de rien. Votre père travaillait au GG. Vous avez été à l’école. Qu’est-ce que vous vouliez de plus ? – Avez-vous accepté les Allemands ? Je cherche mon identité. On me l’a enlevée. Je n’en ai plus, répond Baya. – Pourquoi ne prenez-vous pas exemple sur Mlle Sid Kara ?

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– Mlle Sid Kara a choisi son camp et moi le mien, réplique Baya. – Peut-être avez-vous été embobinée ? – Pas du tout, je suis convaincue de l’indépendance de l’Algérie. Et s’il ne reste qu’un seul Algérien sur cette terre, il viendra le jour où il sera indépendant, continue Baya. Voyant que le retournement de Baya est impossible, le reste de l’entrevue devient banal. En 1958, elle est transférée sur Alger et remise au capitaine Sirvan de la Défense et sécurité du territoire (DST). Ils voulaient avoir des renseignements militaires sur les endroits où se trouvaient les casemates, les types d’armement, les quantités d’armes et de munitions, la logistique, la nourriture, l’origine des approvisionnements, les points d’eau, les régions des bases de repli etc. Avec flegme, Baya leur parle des vaccinations, de sa mission d’infirmière, tout en leur déclarant qu’elle n’a pas, en sa qualité d’infirmière, accès aux informations militaires. Ce qui est vrai. Jour et nuit, elle est torturée cruellement, les insultes et obscénités telles que « «Sale arabe, sale négresse», n’en finissaient pas. Après avoir subi dans les locaux de la DST les pires humiliations physiques et morales que puisse connaître un être humain, Baya est emmenée chez elle et assignée à résidence. Tous les jours, elle devait passer à la gendarmerie pour signer. Durant son assignation à résidence, elle se remet au scoutisme qu’elle pratiquait avant la guerre. Un jour se présente l’occasion d’un départ vers la France. Son grand frère l’a inscrite et c’est comme ça qu’elle se retrouve du côté de Toulouse. Elle informe Hamida, sa cheftaine du groupe, de son intention de leur fausser compagnie. Elle se rend chez les bonnes sœurs à Gay-Lussac à Paris. Certaines d’entre elles étaient ses anciennes profs à l’école de la Croix-Rouge d’Alger. Elle informe la mère supérieure de ses activités et qu’elle est recherchée. Elles l’aident à décrocher un emploi et la Fédération de France du FLN, dont son frère lui avait donné les contacts, lui fournit de faux papiers. Elle est ainsi passée en Allemagne sous l’identité d’une Martiniquaise, puis à Tunis où l’Organisation l’accueille de nouveau... Quelque temps après l’indépendance, Toumya s’installe comme sage-femme à Boufarik où, pratiquant les accouchements, elle met au monde beaucoup d’êtres.

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Djamel Belbey

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Femmes au maquis Portrait

Ces moudjahidate d’Alger

Par Boualem Touarigt LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Femmes au maquis

L

Portrait

es femmes algériennes ont joué un rôle important dans la lutte pour l’indépendance nationale. Elles ont pris toute leur place dans la Révolution. On peut même dire que celle-ci a été très souvent un formidable accélérateur de la transformation sociale et culturelle. La femme algérienne, dans bien des cas a fait un grand bond occupant une place nouvelle dans la société. La guerre de libération a bousculé dans bien des cas la place traditionnelle jusque-là occupée par la femme algérienne. C’est par la Révolution, dans ses aspects aussi bien militaires que politiques que la femme algérienne a fait irruption dans la sphère publique, dans le monde politique. En s’engageant dans la lutte pour la libération de leur pays, les femmes algériennes ont grandement contribué à se libérer elles-mêmes des pesanteurs millénaires de la société et de ses archaïsmes. Elles ont ainsi contribué à faire de grands pas, d’une manière inégale selon les lieux et les circonstances à la société algérienne. Jusqu’alors confinées dans la vie familiale et exclues de la vie publique, les femmes algériennes sont très vite intervenues dans les espaces alors disponibles pour elles. Dans leur grande majorité, elles ont été moussebilate, s’occupant à la place des hommes de tâches dont elles surent s’acquitter : héberger, cacher, soigner, nourrir, renseigner et aussi assurer les liaisons et transporter armes et médicaments. Rares ont été celles qui ont combattu les armes à la main. Celles qui furent combattantes à Alger ont marqué leur combat. D’abord beaucoup d’entre elles, instruites, issues de familles aisées et de l’élite culturelle et sociale ont bousculé les clivages qui marquaient la société : elles sont allées vers leurs compatriotes des campagnes où elles n’ont pas été toujours facilement comprises et acceptées au début. Celles qui ont rejoint les réseaux urbains du FLN ont créé un brassage exceptionnel entre jeunes filles d’origine sociale différentes. Certaines ont été comprises, grâce à beaucoup d’efforts, par les familles et qui ont soutenu leurs filles. Beaucoup de militantes ont vécu dans des milieux d’hommes où elles ont été consultées et associées à la décision. Leur présence fut très vite acceptée par tous et même banalisée. Tout ne fut pas toujours très facile. Bien des combattants courageux, mis devant des situations nouvelles, réagirent différemment

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marqués par les pesanteurs de leurs milieux. Certains par contre purent se départir de leurs ressentiments et accepter l’égalité entre des personnes de sexe différent, comme étant ordinaire. Le commandement des réseaux urbains nous montre que des combattantes participèrent pleinement, d’une manière tout à fait ordinaire et acceptée par tous, à la direction effective de la lutte. Le mouvement national a très tôt pensé à organiser la participation des femmes à la lutte, mais celleci fut extrêmement réduite. Avant la Révolution, leur participation fut extrêmement limitée. C’est la guerre de libération nationale qui allait créer des situations nouvelles.

Fatima Zekkal Benosmane

Elle fut la première dans bien des domaines. Elle a été à la création de l’Association des femmes musulmanes algériennes (AFMA) organisation féminine du PPA avec Mamia Chentouf et Néfissa Hamoud. Elle était issue d’une famille modeste d’un quartier populaire d’Alger qui compta plusieurs militants du mouvement national. Très jeune, elle eut une activité

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Femmes au maquis Portrait débordante dans le mouvement associatif féminin, organisant des manifestations culturelles, des concerts, des représentations théâtrales et des réunions nationalistes. En 1948, elle se marie avec un militant du PPA et s’installe à Tlemcen. Elle y anime une cellule féminine de l’AFMA. Elle rencontre des jeunes filles instruites qui se donnent à fond dans des activités culturelles qui attirent beaucoup de jeunes filles. En 1954, elle est engagée à Alger comme speakerine à la radio télévision. Elle fut une pionnière. Après le déclenchement de la Révolution, elle est en contact avec Abane Ramdane et les autres membres du CCE. Elle s’occupe des hébergements, des contacts. Elle est arrêtée après la grève des huit jours. Elle connaît la torture à la villa Sésini. Avant d’être présentée au parquet, elle passe par la villa Mireille qui sert à rendre les prisonnières un peu plus présentables, puis au camp de Béni Messous. Elle est libérée après trois années. Elle reprend aussitôt ses activités. Fatima Zekkal Benosmane est décédée en 1990.

Messous puis celui de Tefeschoun où elle reste jusqu’en mai 1960, au milieu de 200 moudjahidate emprisonnées. Elle y croise notamment Néfissa Hamoud. Elle y connaît une expérience particulière de solidarité et d’entraide. Les plus instruites donnent des cours de français et d’arabe, d’autres y apprennent à coudre et à tricoter. Après sa libération, Fatma Baichi cesse toute activité politique. Elle se marie en 1961 et vit depuis retirée.

Goucem Madani

elle cache des armes et héberge des combattants en fuite. Dénoncée, elle est arrêtée en septembre 1957. Elle est affreusement torturée, d’abord dans une villa à Saint Raphaël à El Biar, à l’école Sarrouy et au camp de Ben Aknoun. Elle est emprisonnée à Barberousse puis à El Harrach. A son procès, en l’absence de preuves, elle écope de cinq ans avec sursis. Elle connaît tout de même les camps de Béni

Née en 1918, Goucem Madani est une musicienne d’Alger. Elle est la sœur de la grande chanteuse Fadhila Dziria. Elle était alors relativement âgée par rapport aux autres moudjahidate. Elle s’engagea dans la lutte en transportant des armes en compagnie de Fatma Zohra Achour (surnommée Aouïcha) et qui faisait aussi partie de l’orchestre féminin de Fadhila Dziria. Fadhila Dziria est debout à droite. Goucem Madani est assise à gauche, tenant le tambourin

Fatma Baïchi D’origine modeste, elle est née à la Casbah en 1931. Orpheline de père, elle fait des travaux de couture à la maison pour aider sa famille. Enfant, elle a baigné dans l’atmosphère nationaliste de la Casbah. Au déclenchement de la Révolution, elle s’occupe de contacts, de distribution de tracts et de ramassage des cotisations. Dans leur petite pièce de Saint-Eugène qu’elle partage avec sa mère et ses trois frères,

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Femmes au maquis Portrait Fatma Zohra Achour, dite Aouïcha

Goucem Madani est arrêtée le 11 août 1957. Torturée, elle n’avoue rien. Elle joue parfaitement son rôle et on dit d’elle le jour du procès : « C’est un personne âgée et trop bête. » Elle s’en tire avec deux années qu’elle passe à Serkadji puis à El Harrach. Après avoir purgé sa peine, elle est jetée dans un camp.

Nassima Hablal

Elle est l’une des premières militantes du mouvement national. Elle était déjà dans les premières cellules de l’AFMA (organisation féminine du PPA) avec Mamia Chentouf, Sidi Moussa et Fatima Zekkal. Elles ramassaient des cotisations auprès des familles aisées, distribuaient la presse du PPA et organisaient des activités culturelles patriotiques. Au tout début de la Révolution, elle était en contact avec des Algériens d’origine européenne dont des chrétiens de

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gauche avec lesquels elle fait un grand travail social en direction des populations algériennes des quartiers défavorisés. Elle est en contact avec Abane Ramdane quand celui-ci arrive à Alger et s’installe à proximité du Jardin d’essai. Elle s’occupe au début de travaux de propagande. Elle saisit les tracts qu’elle tapait au début chez elle et qu’elle tire chez les Européens qui soutiennent le FLN, notamment dans des locaux du presbytère et chez les pères blancs à côté de Sidi Abderrahmane. Elle assure le secrétariat du CCE après le congrès de la Soummam. Elle est arrêtée une première fois en avril 1955 sans que l’on trouve des éléments à charge, en raison de son adresse qui a été retrouvée sur Amara Rachid lors de son arrestation. Libérée, elle est permanente à l’UGTA où elle assure la frappe du journal El Moudjahid qui était volumineux ainsi que celle de l’organe syndical, L’ouvrier algérien. Elle est arrêtée le 21 février 1957. Elle fait alors la tournée des centres de tortures : la caserne d’Hussein Dey, El Biar, villa Sésini, Serkadji, El Harrach. A son procès, elle est condamnée à cinq ans. Après El Harrach, elle est transférée en France où elle fait la Roquette, puis les prisons de Rennes et de Pau. Dans ce dernier établissement, elle bénéficie avec Nelly Forget de quelques mesures d’assouplissement après interventions de Germaine Tillion. Elle obtient l’autorisaation de se rendre à Paris où elle arrive à contacter Abderrahmane Farès qui l’aide à se rendre en Tunisie en l’accompagnant luimême dans sa voiture jusqu’en Suisse. A Tunis, elle insiste auprès de M’hamed Yazid pour être envoyée à Rocher Noir (Boumerdès) où l’exécutif provisoire venait de s’installer. Boualem Touarigt

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Manifestations du 27 février 1962 à Ouargla

Un désaveu à la politique colonialiste de séparation de l’Algérie du Sahara Par Djamel Belbey

Guerre de libération Histoire La manifestation de Ouargla

D

e grandioses manifestations populaires ont été organisées à l’appel du FLN, à travers les oasis de Ouargla, le 27 février 1962, pour exprimer le refus catégorique des habitants du Sahara de tous les desseins du colonisateur français visant la séparation du Sahara du territoire national, afin d’accaparer les richesses énergétiques et les ressources fossiles du pays, et dans le même temps l’attachement à leur unité autour de la direction du FLN et de l’Armée de libération. Ces manifestations resteront une page glorieuse dans l’histoire du peuple algérien et de sa lutte pour l’indépendance, l’unité nationale et l’intégrité de son territoire Le choix synchronisé de la programmation de ces manifestations, le 27 février 1962 à Ouargla, à la veille de la dernière étape des négociations des accords d’Evian, reflète la clair-

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voyance politique des responsables de l’armée de libération nationale (ALN) et leur capacité dans la mise en place d’une stratégie intelligente de mobilisation de l’opinion nationale et internationale, pour déjouer les subterfuges du colonisateur visant à dissocier le Sahara algérien de l’ensemble du territoire national, ont témoigné des citoyens et moudjahidine.

Des manifestations minutieusement planifiées

Selon certains témoignages, le choix de la date de ces grandes manifestations a été minutieusement planifié et programmé par les responsables de l’ALN qui ont transmis le 26 février 1962 des instructions strictes verbales et écrites portant la signature du lieutenant Mohamed Chenoufi aux notables, aux chouyoukh et aux quatorze responsables de l’organisation de la

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Guerre de libération Histoire révolution dans la région. Ces instructions appelaient la population à sortir le lendemain 27 février 1962, journée qui coïncidait avec la visite d’une délégation du gouvernement français conduite par Max Lejeune, ministre du Sahara, accompagnée de représentants onusiens, en vue de promouvoir la politique séparatiste du Sahara algérien du territoire national et de leurrer l’opinion publique internationale. Ayant eu vent de cela et afin de marquer son opposition, le Front de libération nationale donna l’ordre aux habitants des Oasis d’organiser des manifestations et d’exprimer l’attachement des populations locales à l’unité et à l’intégrité territoriale de toute l’Algérie, le refus de toute compromission et la mise en échec des visées de l’autorité coloniale axées sur la séparation du Sahara algérien du reste du territoire. La population de la région a répondu courageusement à l’appel des organisateurs, en se regroupant dans la matinée au lieu dit souk El-Had, au centre-ville de Ouargla, pour une marche sur la préfecture des Oasis, première destination de la délégation gouvernementale française et des membres onusiens, afin de faire entendre son refus de rester sous le joug colonial français et de la stratégie de séparation du Sahara algérien du territoire national.

Avant l’heure fixée pour le départ des manifestations, une information circula selon laquelle l’arrivée du responsable français et la délégation qui l’accompagnait était reportée à 13 heures le même jour. Immédiatement, des ordres furent donnés aux militants d’en informer les citoyens, de leur demander

de garder leur calme et d’exécuter les orientations et ordres qui leur seront donnés par les militants organisateurs. Les commerçants reçurent l’ordre d’ouvrir les magasins et cafés, de reprendre provisoirement l’activité au marché afin que le colonialisme et ses séides ne s’aperçoivent pas de l’existence de

Manifestants désarmés contre forces coloniales

Il fut décidé que les manifestants partiraient des villages à six heures du matin dans le calme absolu pour se retrouver à Souk El Had, au centre de Ouargla.

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Guerre de libération Histoire mouvements populaires qui lui sont opposés ainsi qu’à la mission de la délégation française officielle. En effet, l’activité reprit instantanément de façon normale au marché et dans l’ensemble de la ville pour s’arrêter définitivement à 13 heures pour les manifestations populaires. Ces manifestations n’ont débuté que dans la soirée à la suite du retard enregistré par l’arrivée de la délégation du gouvernement français accompagnée des représentants onusiens et de nombreux journalistes. Selon les témoignages des personnes ayant vécu cet événement historique, les manifestants entamèrent leur marche de protestation et de refus de la politique coloniale par des stridents youyous lancés par les nombreuses manifestantes, suivis de slogans hostiles à la colonisation et des cris à la gloire de «Vive l’unité nationale», «Oui à l’unité nationale», «Le Sahara est algérien» et «Non à la séparation du Sahara du territoire algérien». Les manifestants entonnèrent également des chants patriotiques et brandirent des slogans tels que «Chaabou al Djazairi musulman» (le peuple algérien est musulman) ou bien «Kassaman» (hymne national algérien). Ils bravèrent, pacifiquement, l’autorité coloniale qui n’avait pas hésité à utiliser la force militaire appuyée par des blindés et des armes lourdes pour tenter de briser la détermination des citoyens à désapprouver et à rejeter la politique de séparation préconisée par la France pour s’approprier les richesses du Sahara, et d’éviter que les manifestants arrivent à la préfecture des Oasis, lieu de résidence de la délégation. Quelques instants plus tard, une force imposante d’unités de l’armée française, renforcée par des chars, des blindés, des fantassins de la légion étrangère et des gendarmes, intervient avec une extrême violence, tentant de stopper les manifestants qui se dirigeaient vers le siège de la préfecture. Lorsque les gendarmes réalisèrent la détermination des manifestants sur lesquels furent lancées des grenades lacrymogènes dont ils ne firent pas cas, vint le tour des mercenaires et des gendarmes ensemble qui se regroupèrent derrière les remparts des jardins donnant sur le marché, entourant le vieux palais puis ils se mirent à tirer à coups de mitraillettes sur la foule et à la pourchasser à travers les rues et les places publiques. Cet usage de la force militaire contre des civils algériens désarmés se solda par la mort de cinq personnes, dont Chetti Louekal, et 25 blessés, à la

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suite des tirs nourris des soldats français sur les manifestants durant cette protestation qui dura jusqu’au petit matin du 28 février 1962, se souviennent des témoins encore vivants de ces événements.

L’effet de surprise, secret de réussite des manifestations

Le succès de ces manifestations est le fruit d’une organisation minutieuse et de la confidentialité qui les a entourées. Le moudjahid Seid Rouhou Mabrouk, qui a pris part à cette manifestation, soutient que « le succès de cette manifestation est le résultat d’un travail ordonné et d’une organisation appliquée, basée sur le secret et la confidentialité ». Ce qui a créé, a-t-il dit, l’effet de surprise pour les autorités coloniales qui voulaient expliquer et montrer aux représentants onusiens et aux média l’«attachement des populations du Sahara à la France ». De son côté, le moudjahid Moulay Mohamed Ben Kouider, autre acteur de ces événements, estime que cette manifestation a permis de mettre à nu la propagande mensongère de l’autorité coloniale qui insistait sur l’attachement de la population du sud algérien à la France. C’est pour la première fois que l’emblème national fut porté par les manifestants qui bravaient les forces militaires coloniales dans la région, a-t-il fait savoir. Un soutien aux négociateurs des accords d’Evian Ces manifestations du 27 février 1962 sont considérées comme l’expression claire et une étape déterminante pour la libération du pays du joug colonial. Elles ont aussi donné des arguments forts aux négociateurs algériens lors des accords d’Evian, qui ont abouti à la fin du colonialisme en Algérie, affirment des moudjahidine de la région qui ont vécu l’événement. Le moudjahid Brahim Boukhetta, actuel président de l’association du 27-Février, estime que « cette manifestation populaire, marquée par la participation massive des différentes catégories sociales de la région, a détruit la dernière carte détenue par le colonisateur durant les accords avec le FLN pour se maintenir en Algérie en tentant de séparer le Sahara du territoire national ».

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Djamel Belbey

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Brahim Benbrahim dit Layachi Ben Ahmed

LE PASSEUR D’ARMES A LA BARAKA INOUIE Par Leila Boukli

Guerre de libération

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rahim Benbrahim est issu d’une famille de patriotes, militants du Parti du peuple algérien et de l’OS. Originaire de la coquette ville de Dellys, la famille Benbrahim compte une fratrie de douze frères et sœurs. Trois d’entre eux s’engagent très tôt dans la lutte armée contre le colonialisme français. En 1945, Brahim est arrêté à Alger puis emmené d’abord au central où il est enfermé dans une cellule souterraine puis à la villa des oiseaux, sise au boulevard Mohammed V et de là, à la prison de Maison-Carrée. «Nous étions, raconte-t-il, pas moins de 400 personnes, provenant des quatre coins d’Algérie à nous partager la salle IV. Il y avait entre autres Larbi Tebessi, un grand nombre de oulemas, parmi eux les chouyoukh, Kheir Eddine, Salih, Salhi … Nous étions du PPA et eux, amis du Manifeste. Nous divergions donc sur la manière de mener la lutte. Nous étions pour une action immédiate, eux souhaitaient se donner du temps. Notre responsable qui était à l’époque le Dr Francis, tentait de tempérer nos discussions enflammées.» Visiblement ému par l’évocation de ce souvenir, Brahim, qui comme tous les Algériens de sa génération, vouent un culte aux parents, poursuit : «Un jour, six personnes âgées sont introduites sans ménagement dans notre cellule. Elles étaient noires de suie, on les avait maintenues enfermées dans la cave à charbon de la préfecture. Je reconnus parmi elles, mon père. Il me cherchait. Dr Francis me cacha, le temps de les laver, de les nourrir et surtout de préparer mon père à rencontrer, vivant, son fils, lui qui

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Portrait 1- Brahim Benbrahim, 2- Amar Ouamrane, 3- Mohamed Boudaoud

Ses aînés ,Nacira et Abderrazak

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Larbi Benbrahim au milieu de la photo, 1956

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Guerre de libération Portrait pensait que j’étais mort.» La rencontre fut bouleversante. Les six seront envoyés à la prison Bossuet, du côté de Mécheria. Brahim, retient que 7 à 8 tortionnaires se relayaient pour les passer à tabac, tous nus comme des vers, pour mieux les humilier. Ils seront libérés par vague mais cet internement consolidera l’amitié des détenus qui avaient une cause commune, l’indépendance de la Nation. Son aîné Allal, également membre du Parti du peuple algérien (PPA) puis membre de l’organisation politique FLN, était responsable de la région de Dellys et de Sidi Daoud, il avait pour adjoints, nous dit Brahim, Mohamed Zérouali, Abdelkader Hasbalaoui, Ahmed Tadjer et Boualem Saada.

Après le soulèvement de la ville de Dellys, le groupe meneur, dont Allal qui travaillait beaucoup avec Benaï dit Sid Ouali, est découvert par l’armée française ; pour ne pas être arrêté, ils décident ses compagnons et lui de se procurer des fusils et rejoignent les montagnes environnantes. Trois mois après ce soulèvement, Allal, affaibli par une typhoïde contracté au maquis, tombera au champ d’honneur. Nous sommes en 1947, l’OS est créée. Brahim remplace son frère et prend sous sa coupe la région de Sidi Daoud, Touarghat prendra l’Est jusqu’en Kabylie et Belounis se chargera de l’Ouest. « Les réunions se faisaient dans les cimetières ou il y avait un marabout. On y trouvait

toujours des bougies pour nous éclairer et de l’argent, apporté en offrande pour le saint homme, deniers que l’on prenait pour servir la cause.» En 1955, un indicateur, voulant se racheter, informe l’un de ses frères que les Français prévoyaient de venir au plus tard dans les trois jours les arrêter. «Je contacte aussitôt, nous dit Benbrahim, Ouamrane et Abane . « Que fait-on ? La prison ou le maquis ?» «Ni l’un ni l’autre, nous répondentils. Débrouillez-vous pour nous ramener des armes de Tunisie ou du Maroc.»» C’est alors que, muni d’un laissez-passer militaire français – officiellement ils devaient se rendre à Tlemcen – gagnent le Maroc. « Nous traversons, en voiture, mon

Passeport de Layachi

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Guerre de libération Portrait frère Larbi et moi, la frontière marocaine, juste à temps. Les autorités coloniales étaient venues la veille nous arrêter. A Casablanca, nous contactons les responsables du FLN entre autres Taalbi Tayeb dit Si Allal. Accompagné de cheikh KhairEddine, nous rencontrons le roi Mohammed V et Dlimi, à l’époque lieutenant. Le Maroc, nouvellement indépendant, avait des armes, nous devions en négocier un maximum pour équiper les maquisards de l’intérieur. Dlimi m’a accompagné partout, jusqu’à Goulimine à 500 km d’Agadir. Nous sommes ensuite passés en Espagne. Je fus chargé de différentes missions par Abdelhafid Boussouf. Prendre en charge des journalistes et speakers de La Voix de l’Algérie libr entre autres Améziane, Messaoudi, Cheikh Mimoune… Ils vivaient pratiquement dans la clandestinité. Je leur faisais prendre un bol d’air tous les trois mois, les ramenais de Tétouan à Nador, les promenais à Tanger, leur achetais des vêtements de rechange, je les accompagnais au bain maure, au restaurant… Certains d’entre eux sont devenus ministre, cadre et autres et aujourd’hui, sourit Brahim, ils nous prennent de haut. J’avais pour mission aussi de m’occuper des légionnaires déserteurs espagnol, que nous remettions aux autorités espagnoles à la condition qu’aucune sanction ne soit prise à leur encontre et même de leur trouver du travail, une fois revenus chez eux. Et c’est ainsi qu’on gagnait leur sympathie. L’Espagne nous donnait des visas de six mois, voire plus, gratuitement en compensation de la remise des légionnaires. Je m’occupais également des enlèvements d’Algériens installés au Maroc qui refusaient de participer et nous ten-

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Yousfi Mohamed, responsable de la logistique en Espagne

Boukadoum, responsable du FLN à Madrid

Angel et Brahim à Rabat en 1957

Entre Brahim (1er à gauche) et Bensaïd (1er à droite) des déserteurs. La photo a été prise à Tanger.

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Guerre de libération Portrait Brahim Benbrahim, debout 1er à partir de la droite accoudé à la Jeep

tions, toujours avec succès, de convaincre de l’issue heureuse de notre combat. Certains, sceptiques, nous disaient : « Avec quoi, comptez-vous combattre la France, vous n’avez même pas d’armes ! » Lors de la grève de 1956, j’avais été aussi chargé de m’occuper des étudiants grévistes de France. Après nous être procuré les photos, je fabriquais des passeports marocains, leur trouvaient des noms d’emprunts et j’allais les récupérer à la frontière franco-espagnole pas loin de Pamplona. Les autorités marocaines apposaient sur nos passeports des tampons violets, alors que les vrais ont un tampon rouge. Personnellement, je pus

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bénéficier de l’officiel sous le nom d’emprunt de Layachi Ben Ahmed. Je passai sans problème la frontière marocaine, relate Brahim, mais la partie n’était pas encore gagnée, il me fallait encore berner la police espagnole. J’avais les passeports à faire tamponner, mais sans les titulaires, encore en France. Je me présentai avec aplomb au guichet et pestai devant le policier contre ces jeunes fêtards qui n’arrivaient plus à tenir debout et qui dormaient encore. J’offris au fur et à mesure de mon discours, des cigarettes Marlboro et miracle, le policier souriant apposa automatiquement les tampons sur les passeports. Mon culot

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m’étonna moi-même mais nous étions en règle. Je vais récupérer, la nuit les jeunes grévistes que nous ramènent à la frontière des sympathisants français de la cause. Je leur remets les passeports, leur demande de mémoriser leurs nouveaux noms. Après cela, Yousfi M’hamed dit Angel, responsable à l’époque de la logistique en Espagne, me confie la délicate et dangereuse mission de faire les premiers essais pour le passage dans ma voiture des armes collectées, un voyage puis deux, puis trois … J’avais remarqué que les douaniers espagnols contrôlaient beaucoup plus les entrées que les sorties de leur territoire. Larbi Men-

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Guerre de libération Portrait gouchi et Abbès Chawki viendront par la suite se joindre à moi. Nous sommes ainsi trois voitures à tenter l’aventure. Les armes étaient dans un premier temps emmenées à Nador en camion depuis Tétouan, j’avais obligation d’être du convoi. Et, un jour de l’an 1957, nos contacts marocains nous informent que la police espagnole a des soupçons. Larbi est arrêté, j’ai plus de chance. Je consigne ma voiture et son précieux contenu dans un box que je loue et prends le bateau, raconte au policier que j’ai raté celui de Tanger que je devais prendre. Il inscrit au stylo Ceuta sur mon passeport, ce qui me sauve. A mon arrivée, je prends un taxi pour Tétouan et j’avise immédiatement Yousfi à Madrid et Boukadoum, responsable du bureau FLN. Tous deux rejoignent illico le Caire. Boussouf me charge alors de la logistique et des réseaux de renseignement jusqu’à l’indépendance. Yousfi, qui sera directeur de la sûreté nationale, me propose de continuer à travailler en équipe comme auparavant avec lui. Déçu par la tournure qu’ont pris les évènements, je refuse et me retire dans le civil. Il est vrai que la mort de Si Zoubir et d’Abane Ramdane me choque terriblement.» « En 1957, dans un café de Tétouan, nous avions discuté Abane et moi, jusqu’à une heure du matin, du triste sort des 45 étudiants grévistes qui venaient à Oujda pour faire passer des armes en Algérie. Sur les 45, seuls 11, déplorait-il, ont échappé à la ligne Morice. Et vous, s’enquit-il ? « C’est dur, surtout avec Franco, mais ne sommes nous pas des «mousablines» des volontaires qui risquons quotidiennement nos vies pour que vive un jour l’Algérie souveraine ! Je fus l’un des derniers à le voir encore vivant. J’en garde le souvenir d’un patriote de génie, pourvoyeur d’idées, d’initiatives, de volonté et de passion ! Mais je me Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .

console aujourd’hui en me disant que le défi majeur de novembre 1954, qui avait la forte conviction, portée par la population, de mobiliser, de programmer le déclenchement du combat avec des moyens de fortune, pour aboutir après plus de sept années de guerre et

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d’énormes sacrifice à l’indépendance de l’Algérie, aura été une formidable épopée, je suis fier d’y avoir participé et si c’était à refaire, nul doute que je le referais.» Leila Boukli Supplément N° 11 - Mars 2013.

Guerre de libération Histoire

Mars le mois des martyrs

Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Guerre de libération

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Histoire

n ne sait pas qui a fait le premier ce fabuleux constat. Mais l’historiographie algérienne a tôt fait de mettre en exergue tous les valeureux moudjahidine, si nombreux, tombés au champ d’honneur, en ce mois « sacré », propice à l’éclosion des fleurs et au bourgeonnement de la nature, où fécondation rime aussi avec sanctification. Hasard du calendrier, sans doute – mais pas de l’Histoire –, le mois de mars a vu le sacrifice d’une pléiade de dirigeants politiques ou militaires parmi les plus illustres de la Révolution algérienne, de 1954 à 1962. L’Histoire retiendra, pêle-mêle, les noms des martyrs Larbi Ben M’hidi, mort dans la nuit du 3 au 4 mars 1957 dans sa prison, à Alger, tué par le général tortionnaire Paul Aussaresses comme il l’a avoué lui-même dans ses mémoires parues avant sa mort. La disparition de Ben M’hidi, l’un des architectes de la Révolution et animateur principal du Congrès de la Soummam, à cette date, eut de fâcheuses incidences sur le moral des combattants et des cadres dirigeants et mit fin à la bataille d’Alger dont il était l’instigateur et le planificateur. Mustapha Benboulaid, autre artisan de la Révolution, fondateur du CRUA et chef historique des maquis auréssiens, a trouvé la mort, lui, dans la nuit du 22 au 23 mars 1956, dans sa région des Aurès, tué dans un mystérieux attentat, par l’explosion de son poste radio qu’il tenait à la main. Sa disparition plongera toute la région dans une longue et dangereuse guerre fratricide et empêcha la région des Aurès, bastion de la Révolution, de prendre part au Congrès de la Soummam, qui sera organisé cinq mois plus tard. Ce qui va encore entraver les laborieux efforts pour aboutir à une unité d’action. Beaucoup d’historiens se sont penchés sur ce cas, pour essayer de comprendre l’évolution de la lutte armée. Cela dit, l’événement le plus populaire, non pas, faut-il souligner, parce qu’il est le plus médiatisé, restera sans doute la mort héroïque des colonels Si Haoues et Amirouche, tués lors de la célèbre bataille de Djebel Thameur le 29 mars 1959, à la suite d’une embuscade meurtrière qui leur fut tendue par l’ennemi qui mobilisa ce jour-là une armada de soldats, et qui coûta également la vie à quelque 70 hommes qui accompagnaient les deux dirigeants en partance

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pour la Tunisie. Cet anniversaire est commémoré presque chaque année, où des témoignages sur le parcours et les hauts faits d’arme des deux prestigieux colonels de l’ALN viennent enrichir cette ambitieuse entreprise d’écriture de l’Histoire. Aussi, la mort de Si Houès et Amirouche a-t-elle donné lieu à des débats parfois pernicieux sur les circonstances de leur mort et de leur enterrement et à tant de biographies et d’ouvrages consacrés à cet épisode charnière de la lutte armée. Un autre colonel non moins prestigieux, mais beaucoup moins médiatisé, le colonel Lotfi, est tombé, lui, au champ d’honneur le 27 mars 1960 à Djebel Béchar, lors d’une bataille rangée avec l’ennemi qui mobilisa ce jour-là son aviation et une lourde artillerie. Il venait de rentrer du congrès de CNRA à Tripoli où étaient tracés les fondements politicoidéologiques du futur Etat algérien qui suscitèrent des débats houleux. Originaire de Tlemcen, le colonel Lotfi, de son vrai nom Benali Boudghène, était le plus jeune colonel de l’ALN. Cultivé et visionnaire, il était aussi connu pour ses qualités d’organisateur et de stratège. Il était mort à l’âge de 26 ans. On citera aussi le cas plus dramatique d’Ali Boumendjel, l’un des membres les plus actifs et les plus éminents du collectif d’avocats du FLN, qui a été arrêté puis assassiné le 23 mars 1957. Il mourut sous la torture avant d’être jeté du 6e étage d’un immeuble à Alger-Centre, sur ordre du même bourreau général Aussaresses, pour faire croire à un suicide, comme cela a été essayé avec Larbi Ben M’hidi, vingt jours plus tôt. L’exécution de cet ancien militant de l’UDMA de Ferhat Abbas, pourtant pacifiste, apportera la preuve que le colonialisme s’attaquait à toutes les énergies vivantes et intelligentes de la nation algérienne, abstraction faite de leur affiliation politique ou idéologique. La liste des glorieux martyrs morts en ce mois de mars ne s’arrête pas là. Il ne s’agit là que de la liste restreinte des plus connus et des plus illustres. On peut bien remarquer que certains d’entre eux sont morts, si ce n’est pas le même jour, la même année. Ne fallait-il pas décréter « une journée des martyrs » un jour de ce mois de mars, plutôt que d’opter pour la journée du 18 février, qui, elle, ne renvoie pas à un imaginaire aussi riche et aussi glorieux ?

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Adel Fathi

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Guerre de libération Histoire

Le colonel Lotfi, un colonel « pas comme les autres »

Par Adel Fathi LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Guerre de libération

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ort à l’âge de 26 ans, ce plus jeune colonel de la révolution algérienne, aurait joué un rôle de premier rang dans l’Algérie indépendante, estiment aujourd’hui nombre d’acteurs historiques qui l’ont connu, et aurait probablement marqué de son empreinte les premiers jalons de l’édification du futur Etat algérien, qui s’étaient discutés au congrès de Tripoli, qu’il venait juste de quitter avant de tomber héroïquement au champ d’honneur dans une bataille à Djebel Béchar, le 27 mars 1961, pour rejoindre en fait la longue caravane des martyrs de l’Algérie. De son vrai nom Benali Boudghène, le colonel Lotfi est né le 5 mai 1934 à Tlemcen. Il effectue ses études primaires dans sa ville natale et obtient le certificat d’études primaires en 1948. Parti au Maroc pour poursuivre ses études secondaires, il revient au bout d’une année à Tlemcen pour rejoindre l’école franco-musulmane, où commence à se forger son esprit révolutionnaire, à travers ses lectures mais aussi ses discussions politiques avec son entourage. Rapidement, il cherche à établir des contacts avec les militants du mouvement national, pour mieux s’imprégner des idées et des projections nationalistes. Tout pour lui a été d’une très grande rapidité, qui dénotait une maturité précoce et une volonté d’engagement à tout crin chez ce jeune militant. En octobre 1955, alors qu’il n’a que 21 ans, il s’engage dans les rangs de l’ALN dans la Zone V (future Wilaya V, d’après le découpage du congrès de la Soummam), alors représenté par Larbi Ben M’hidi, et occupe le poste de secrétaire particulier de Si Djaber. Il sera ensuite amené à s’occuper de la section de Tlemcen et Sebdou et à installer les cellules clandestines du FLN naissant. Repéré pour son intelligence et son sens d’organisation, il est désigné dès 1956 pour un travail de structuration des réseaux de fidayine dans l’Oranais, dans une conjoncture marquée par l’intensification de la lutte armée, décidé par le commandement de la Révolution. Dès la fin des travaux du congrès de la Soummam du 20 août 1956, auxquels les représentants de l’Oranais ont eu une part active, grâce à la présence de Larbi Ben M’hidi qui en était l’un des principaux animateurs, Si Brahim – c’était son premier nom de guerre – se porte volontaire pour diriger les opérations militaires dans le Sud et mène plusieurs batailles décisives qui se solderont par de lourdes pertes dans les rangs de l’ennemi. Il ne sera, toutefois, promu au grade de capitaine et chef de zone qu’en janvier 1957. Son ascension se fera de plus en

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plus rapide, en devenant commandant de la zone d’Aflou sous le nom de Lotfi, et membre du Conseil de direction de la Wilaya V. En mai 1958, Lotfi est promu au grade de colonel et est désigné à la tête de la Wilaya V. Cette période est marquée par l’intensification des opérations française contre les maquis, et surtout par la construction des lignes Challe et Morice aux frontières est et ouest, visant essentiellement à empêcher l’acheminement des armes pour les maquis à travers les frontières tunisiennes et marocaines. Ce qui devait alourdir la responsabilité du colonel Lotfi, et l’obliger à redoubler d’effort pour contrer ce blocus infernal, tout en veillant à la poursuite du combat. Au début de 1960, il assiste aux travaux du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) tenus à Tripoli. A son retour dans sa wilaya, il est pris dans un traquenard, où l’ennemi déploie une armada pour encercler toute la Wilaya V, et est tué sur le coup. C’était le 27 juin 1960 à Djebel Béchar. Il n’a pas eu la chance d’assister à l’indépendance de son pays. Il ne restait pourtant plus que deux ans pour la signature des accords du cessez-le-feu. Au plan politique, le colonel Lotfi est surtout connu pour sa loyauté exemplaire, son intégrité et sa perspicacité. Il s’est très vite démarqué des querelles de chapelles et autres « intrigues politiciennes » qui émaillaient les conclaves auxquels il avait eu l’occasion d’assister, à Tunis, au Caire et enfin à Tripoli. Il est même allé jusqu’à dénoncer, auprès de Ferhat Abbas, alors président du GRPA, ce qu’il qualifiait de « tendance fascistes » chez certains chefs militaires sans les désigner, qui, selon ses termes, «rêvent d’être des sultans au pouvoir absolu. » Plus incisif encore, il ajoutait : «Derrière leurs querelles, j’aperçois un grave danger pour l’Algérie indépendante. (…) Ils conservent du commandement qu’ils exercent le goût du pouvoir et de l’autoritarisme. » Il prévoyait en fait la guerre fratricide entre le GPRA et les wilayas qui lui étaient loyales, d’un côté, et l’Etat-major de l’armée, de l’autre, qui va éclater à l’annonce de l’Indépendance, et prédisait dans le même temps le désarroi du peuple qui accédait enfin à la paix. C’est Ferhat Abbas qui a noté toutes les impressions du jeune colonel, dépité par la tournure prise par les événements : « L’atmosphère au sein de la Délégation extérieure, écritil, lui faisait peur. Les luttes sourdes des colonels ne lui avaient pas échappé. Il en était épouvanté : j’aime mieux mourir dans le maquis que de vivre avec ces loups. » Cette attitude chevaleresque d’un homme dévoué pour sa cause, celle de sa patrie, fera de lui un symbole du martyre.

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Mostefa Benboulaïd Le lion des Aurès Dans la nuit du 23 mars 1956 mourut un homme. Au même instant naquit une grande histoire. Digne d’une épopée, la légende des Aurés commença à s’émouvoir dans le sort héroïque d’un pays.

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rononcer le nom de Mustapha Benboulaïd, s’avère apparemment chose aisée. Tant que les encyclopédies universelles demeurent incomplètes ou inachevées pour donner une sémantique à ce nom-mythe, essayer de comprendre sa signification serait une tâche fort ardue. L’Algérie reste le seul logiciel qui ouvre dans tous les sens les propriétés de type, de taille et de contenu de ce nomprogramme. Même le savoir architectonique et l’humour scientifique de son fils Khaled, n’arrivent pas à déboucler les grilles et défaire les masques qui entourent le fichier Benboulaid point doc. Il aurait été prédestiné depuis le 05 février 1917, à s’intégrer comme un « compagnon d’office » en vue de mener, gérer et sauvegarder la mémoire du logiciel national qui venait à peine d’être installé, après la multitude d’échecs de connexion au réseau des indépendances qu’entreprirent les différents programmes stéréotypiques. C’est en 1937 et

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Guerre de libération Histoire à Metz que s’est forgée la véritable vision de l’autre monde, tout à fait contraire à celle de Arris. Il y connut entre autre le haut sens de la dignité et de l’honneur, pour avoir été un syndicaliste avéré. Il fut aux bords de ses vingt années, fort beau et affable et n’avait pas encore goûté aux délices du sentiment que provoque la paternité. Il convolera en justes noces en 1942, et aura comme épouse, une fille toute aussi belle et affable. De cette union naquirent six fils et une fille. En fait, il sera quelques temps après, le père de tout un peuple. Ses fils et sa fille se confondront dans la multitude nationale. Quelle fut cette motivation qui l’emmena à laisser une jeune famille, une prospérité commerciale et une insouciance patrimoniale, pour initier et prendre les devants du combat qui ne sera que rédempteur et libérateur ? Quelle furent les limites qu’il pensait faire entre l’attachement naturel à sa micro-famille et l’exaltation irrésistible qui le prit à mettre en danger sa vie et le bonheur matériel en qui il ne voyait qu’un décor superficiel en face de l’emprisonnement qui étouffait son pays, éclipsait ses us et coutumes ? Cette culture de liberté aurait fait son chemin dans les arcanes fortifiés du jeune Mostefa, déjà en 1944 où il excellait à jouxter entre le savoir et les affaires. Au brillant négociateur, élu de la corporation des commerçants dans sa localité, se joignait l’érudit, l’intellectuel président de l’association locale de « djamiat el oulama el mouslimin » Mostefa, l’homme commença à être un capital de science, de lutte et de résistance. L’initiative était en lui, intrinsèque et spontanée, comme l’idée lumineuse est au génie, aussi banale mais originale. Perspicace et tranchant, pragmatique et mystique il réussit à faire des Aurès un laboratoire pour l’expérience de braver les risques, de galvaniser les coeurs et de se libérer des leurres. Il touchait de près la réalité de son époque et caricaturait les épopées des francs et des gaulois. Il ne voyait l’histoire que dans l’islamité, l’arabité et la berbérité de l’algérien. Le tout dans un prisme unique, homogène et indivisible. « L’Organisation secrète », fut démantelée à partir de 1950 à travers tout le pays. Néanmoins grâce à la clairvoyance de l’homme dans le choix des hommes, le bastion des Aurès ne fut jamais découvert et demeura dans un secret éternel. Le futur héros ne rechignait pas devant les besognes d’envergure révolutionnaire, et organisa un front pour la défense des libertés, auquel se joignent toutes les formations politiques en vue de rendre publiques les atrocités criminelles françaises. Il aurait définit la Révolution tel un amour pour les autres, le sacrifice tel un don. L’ingéniosité militaire ne pouvait s’extraire de cet homme, dont le séjour vers la fin de l’année 1938 à Sétif, dans une « obligation militaire »

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ne faisait que confirmer son aptitude à la réception des sciences de la guerre. A Sétif il s’est désaltéré plusieurs fois à Aïn Fouara. Les massacres du 08 mai 1945 sont perçus à cette époque comme un précurseur final de la libération nationale. Le jeune Mostefa, en guise de souvenance à ces glorieux évènements et à la mémoire des gens tombés au champ d’honneur, décida d’observer, chaque année et aux mêmes moments, un jeûne rituel plein de symboles et de méditations. S’il fut le façonnier de la liberté et de l’indépendance, il était aussi l’artisan de bombes, l’amoureux de l’explosif. La déflagration, la sienne, conduisait dès 1953 vers l’insurrection armée. Le pays entier y fut entraîné. Il imaginait, je l’imagine, la guerre comme un langage affectueux pour la paix, le fusil comme une rose pour la gloire des libertés. 38 ans est un âge pour les héros. A cet âge, il prend le rôle de catalyseur de toutes les opérations militaires. De cénacle en cénacle, il défait les soucis logistiques, pourvoit au poste de commandement et organise l’exploration transfrontalière. Ce qui lui valut une reconnaissance posthume des grands symboles de la lutte internationale des peuples. Che Guevara se prosterna, en 1963, devant « la tombe du maître » à Nara, sur les flancs du « mont bleu », Djebel Lazrag, près de Batna. Les chemins de Nara étant impraticables, le « pélerinage du Che » se fit par hélicoptère. La France ne pouvait exercer un pardon à l’égard de celui qui fut le destructeur du mythe de son invincibilité. L’homme qui, au nom d’un peuple, avec cran et bravoure commença à abîmer les parois de la république française et par qui la chute arriva. Le 11 février 1955, arrêté, battu et torturé, il ne cessera point de sourire à l’avenir et de percevoir le clair qui, au loin s’annonce, sur une Algérie radieuse et étincelante. Ses geôliers lui vouèrent, sous ses chaînes, l’honneur du chef intrépide, les signes de la vaillance téméraire. Une photo le montre, prisonnier plus heureux que ne le sont, inquiets, ses séquestres. L’air qu’il y affiche, traduit intensément le grand projet que son esprit vivace et son cran tenace, entretiennent et soutiennent par le bruit du silence. Comment ne pas s’interloquer, en termes de management révolutionnaire, sur l’aptitude mobilisatrice (pouvoir réunir plus de 350 militants la veille du 1er novembre), la capacité énergique et tactique (l’évasion fabuleuse de la prison) d’un esprit sain et saint que contenait un corps aussi sain et saint ?. L’on ne défraye les chroniques, l’on ne brise les siècles que par la légende, la fable et l’histoire. « …il était une fois un homme qui dans le froid de la montagne… » …Ainsi devait commencer l’histoire d’un lion...

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Guerre de libération Histoire Amirouche et Si El-Houès

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le destin commun de deux héros

i l’héroïsme des deux prestigieux colonels de l’ALN, Amirouche et Si El-Houès, tombés au combat le même jour dans la célèbre bataille de Djebel Thameur, près de Bou Saâda, le 29 mars 1959, est largement connu et commenté, grâce notamment aux nombreux témoignages et autres ouvrages et biographies qui leur sont dédiés (pour le cas d’Amirouche particulièrement), il reste que certains aspects du parcours commun de ce « duo de choc » demeurent inconnus du grand public. A commencer par leurs premières rencontres en Kabylie, depuis 1956, où Si El-Houès, alias Ahmed Ben Abderrezak, se rendait souvent avec ses hommes, en parcourant une si longue distance, pour échanger avec ses frères de la Wilaya III les points de vue et discuter des perspectives de la lutte armée. Des historiens et de nombreux acteurs de la guerre de Libération rapportent qu’une certaine « complicité » est vite née entre les deux hommes, qui seront liés par le destin, jusqu’à la fin de leurs jours.

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Guerre de libération Histoire On évoque aussi une grande convergence entre les deux dirigeants sur le principe de primauté de l’intérieur sur l’extérieur, fraîchement approuvé par le Congrès de la Soummam, mais sans cultiver de réelles animosités envers qui que ce soit. Bien au contraire, le souci majeur des deux hommes était l’unification des rangs et l’intensification de la lutte armée, d’après tous ceux qui ont abordé cette question (lire à ce sujet Amirouche entre légende et histoire, de Djoudi Attoumi, officier de l’ALN dans la Wilaya III). Au début du mois de novembre 1958, Amirouche et Si El Haouès assistèrent à la réunion historique connue sous le nom de réunion des colonels, tenue sur le territoire de la Wilaya II, et après examen de la situation générale de la Révolution, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, les deux furent chargés de prendre contact avec la direction de la Révolution à l’extérieur, pour poser tous les problèmes qui ont été soulevés par les chefs de maquis, notamment celui relatif à l’acheminement des armes et des munitions, qui manquaient cruellement à cette période marquée par les grandes offensives de l’armée française. Les chefs de maquis ne s’expliquaient pas, en fait, « le laxisme » des dirigeants de l’extérieur sur ce point-là. Même s’ils savaient toutes les difficultés « objectives » pour traverser les lignes électrifiées de Challe et Morice. En exécution de cette mission, le colonel Amirouche partit de la Wilaya III au mois de mars 1959 pour rencontrer son camarade Si El Haouès aux environs de Bou Sâada. Si El-Haouès et Amirouche allaient effectuer pour la troisième fois le voyage en Tunisie. Le trajet initial était prévu par les monts du Ziban en zone IV, mais une information parvenue de Menaâ, au cœur des Aurès, faisait état d’une concentration de forces coloniales le long de la frontière planifiée pour intercepter les émissaires. A l’effet de déjouer le piège tendu, les deux colonels ont opté pour la zone III, pour prendre la route du sud par El-Oued, et c’est pour cette raison que le trajet en trois étapes n’a été fait qu’en une seule, à marche forcée. Mais peine perdue, puisqu’une armada des forces ennemies les attendait dans une embuscade qui leur sera fatale. La rencontre des escortes des deux colonels avec les forces coloniales était-elle fortuite, comme le soutiennent nombre d’auteurs ? Y aurait-il eu des félons qui auraient « vendu la mèche », comme n’hésitent pas à le clamer aujourd’hui des voix

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plutôt polémistes qui ne se gênent pas à montrer du doigt certains dirigeants de la Révolution installés à Tunis ? Ce qui est sûr, c’est que la quarantaine de combattants de l’ALN, dirigés par l’adjoint de Si El-Houès, le vaillant commandant Amor Driss, n’aurait pas résisté plus longtemps à un déploiement aussi massif de l’armée française qui avait lancé son aviation et autres forces combinées blindées et infanterie, composées de quelque 2500 hommes, sans compter les renforts qui arrivaient de toutes parts. Cette inégalité des forces n’a pas empêché les hommes de Si Houès et d’Amirouche de se battre jusqu’au dernier souffle, ni de penser à aucun moment à se rendre. Les deux colonels ont eux-mêmes usé de leur arme de poing. Ils ont tous consenti au martyre. A Alger, le général Challe lui-même annonce la nouvelle. C’est la ruée des personnalités et des journalistes qui sont embarqués à bord d’avions spéciaux. Datée du 30 mars 1959, les dépêches d’agence racontent la fin du « redoutable Amirouche », du « grand chef rebelle », et les plus zélés s’enthousiasmaient déjà à prédire « une fin proche de la rébellion ». On fait venir des notables de Kabylie pour reconnaître le cadavre. L’un d’entre eux, dont l’histoire n’a pas retenu le nom, déclare peu après : « Amirouche est mort. C’était un chef. Mais il n’était pas la rébellion. La rébellion continue ! » Seuls deux hommes, le commandant Driss et le secrétaire d’Amirouche, Mohand-Said Aissani, ont survécu à la bataille. Mais les deux ont été achevés par l’ennemi. Le commandant Amor Driss, capturé blessé, a été scandaleusement assassiné quelque temps plus tard, après avoir été interrogé par les officiers des renseignements français, et dont une célèbre photographie immortalise l’instant. L’autre survivant, Aïssani, jeune lettré originaire de SidiAïch, lui aussi capturé blessé, sera, lui, transféré vers un hôpital à Alger ; mais un ancien collègue de faculté à lui, partisan des ultras de l’Algérie française, s’est introduit jusque dans son lit d’hôpital pour l’achever. Seule l’imposante personnalité des deux illustres colonels aurait fait de l’ombre à ces deux histoires dignes de véritables épopées.

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FONDATION EMIR ABDELKADER « Redonner enfin à l’Emir sa place dans l’histoire de l’Algérie, mais surtout dans la mémoire des Algériens. Redonner à l’œuvre plurielle de l’Emir ses dimensions humaines et universelles » Par Leila Boukli

Inauguration de la plaque commémorative de l’Emir à Paris, située entre la mosquée de Paris et l’Institut du monde arabe

Emir Abdelkader Histoire Cet arbre à plus de deux siècles, situé dans la plaine de Ghriss, là où l’Emir Abdelkader a été désigné pour mener le combat contre l’occupation étrangère

L

a Fondation Emir Abdelkader a été créée, en 1991, par un groupe d’universitaires et de figures emblématiques de l’Algérie indépendante ; descendants, ministres, ambassadeurs, écrivains, cadres … Ils lui ont assigné comme mission essentielle la réhabilitation de l’histoire. Des conférences en ce sens ont été faites par des spécialistes de l’Emir, tant nationaux qu’étrangers, mettant en exergue sa personnalité, son action, sa pensée, son rayonnement… Des expositions de livres, organisation de colloques, inauguration de stèles, de places, de rues, à l’étranger – dernière en date celle de Caracas au Venezuela –, restauration de sites historiques ayant trait à l’Emir… La Fondation a eu trois présidents à ce jour : le premier, M’Hamed Ferhat, qui est aussi descendant de Sidi Laaradj, ami de Si Mohieddine, père de l’Emir, faisait à son époque parti du Majliss choura. Driss Djazaïri, héritier de cette lignée prophétique (chérifa), en sera le second, de 1995 à 1999, date de son départ pour Washington en tant qu’ambassadeur d’Algérie. Mohamed-Lamine Boutaleb, originaire de la tribu des Hichem, apparenté à l’Emir, est le troisième, de 1999, à ce jour. Chaque année, des évènements importants sont célébrés par la Fondation : l’investiture de l’Emir le 27

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novembre, telle ou telle bataille, tel ou tel traité, l’anniversaire de sa mort le 26 mai… Peu à peu, des thèmes précis ont été choisis : biographie de l’Emir, des écrits, l’Etat moderne qu’il a formé, sa diplomatie… La Fondation à pour projets aussi de publier ses œuvres complètes, d’ouvrir si possible une maison d’édition, un musée national, un centre de recherches, d’acquérir sa demeure à Damas… En un mot d’étendre ses activités en faisant appel aux amis de l’Emir, aux organismes culturels, à ses sections. Il est vrai que depuis quelques années, la Fondation Emir Abdelkader a grandi, elle a constitué plusieurs sections dans les grandes villes et organisé des colloques nationaux ou régionaux à Oran, Sidi Bel Abbès, Tlemcen, Tiaret, Mascara, Alger, Constantine. Avec l’encouragement du bureau national d’Alger et de son actuel président, chacune active à sa manière autour de chacune des parties de la vie de ce grand homme, tellement pleine qu’elle contente ceux qui veulent mettre en valeur un seul des aspects du saint, du savant, du poète, de l’humaniste, de ses qualités de stratège militaire ou encore de l’homme d’Etat. Par exemple, les nationalistes algériens se satisferont de son action politique tandis que les mystiques ou les musulmans pieux mettront en valeur son ésotérisme et son comportement à la fois de croyant et d’Emir…

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Emir Abdelkader Histoire Il est à déplorer que la revue semestrielle, intitulée Itinéraires lancée en 1997, ne soit plus éditée faute de fonds. Malgré le soutien du Président Abdelaziz Bouteflika, qui a présidé pour la première fois, dans l’Algérie indépendante, en tant que chef d’Etat, la célébration de la Moubâyaa ou serment d’allégeance à l’Emir Abdelkader, en souvenir d’un 22 novembre 1832 dans la plaine de « Ghriss », sous l’arbre appelé « dardara » (frêne) ; tout comme, il avait présidé en tant que ministre des Affaires étrangères , les cérémonies du retour dans sa patrie, des cendres de l’Emir en 1966. Elle se proposait, selon le responsable de la publication Dr. Chikh Bouamrane, de donner une image exacte de l’Emir, débarrassée des légendes et des malentendus que des gens mal informés répandent parfois. La fondation a pour siège Dar El Sadaka à la Casbah, un lieu non approprié pour une fondation de cette envergure. Actuellement, les membres de la fondation, sans subvention, squattent les bureaux que l’actuel président Mohamed-Lamine Boutaleb a mis au service de la Fondation. Pour les nombreux bénévoles qui y travaillent, il est impératif d’avoir pour cette fondation un siège à l’image des objectifs qu’elle défend qui ferait par la même, office de centre de recherches. Un ouvrage sur l’Emir destiné au corps enseignant a été réalisé par la fondation. A noter que cette dernière parraine actuellement, à l’initiative de Zhor Boutaleb, fille de Mohamed-Lamine, une série de conférences sur l’œuvre et la pensée de l’Emir. Sachez enfin que le conseil scientifique fait appel à toutes les compétences désireuses de poursuivre l’œuvre émirienne. On peut dire en conclusion que l’Emir Abdelkader est assez bien connu comme résistant et comme homme d’Etat. Depuis plus d’un siècle, ses différents biographes ont décrit largement sa vie et son action. On peut citer notamment A.Bellemare (Paris, 1855), Ch.-H. Churchill (Londres, 1867), l’Emir Muhammad (Alexandrie, 1903), P.Azan (Paris, 1925) et M.-Ch.Sahli (Alger, 1946). Par contre, il est beaucoup moins connu comme écrivain et comme penseur. Ses écrits restent dispersés ou inaccessibles. Quelques-uns ont été traduits en tout ou en partie : la Lettre aux Français (dhikrâ al âqil) par G. Dugat, consul français à Damas (Paris, 1858) sous un autre titre, et par R. Khawam (Paris, 1977) sous son titre actuel ; M. Chodkievics a donné des extraits des mawâqif (Paris, 1982) avec une remarquable introduction.

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L’Emir partage le point de vue des grands savants musulmans sur la supériorité de « l’esprit ». S’il ne cite pas ses sources, il indique parfois les penseurs auxquels il se réfère : les philosophes grecs (Socrate, Platon, Aristote) familiers de la culture arabe et les auteurs musulmans célèbres (Al-Râzi, Ibn Sînâ,Al-Ghâzâli, Ibn Rochd, Ibn Khaldûn…). Il part évidemment des textes fondateurs, Coran et hadiths, et y ajoute ses réflexions personnelles et ses propres opinions qui frappent par la pertinence et l’ouverture. « La science, dit-il, vient de l’esprit comme le fruit vient de l’arbre » L’esprit apparait d’abord chez l’enfant puis mûrit chez l’adulte ; il distingue l’homme de la bête et lui confère la dignité morale par la maîtrise du désir. Le savant surpasse l’ignorant par l’expérience, la réflexion et les connaissances acquises. L’ignorant, par contre, ne réfléchit guère ; il se laisse guider par l’habitude et suit les ancêtres ou l’entourage, sans pouvoir mesurer le dommage causé par le désir. C’est ce qui explique l’inégalité parmi les hommes, selon la force ou la faiblesse de leur esprit. Les connaissances acquises comportent des degrés : le premier c’est la connaissance par les sens, le second la connaissance par l’intelligence. La connaissance sensible est stérile et conduit souvent à l’erreur, tandis que la connaissance intellectuelle est féconde et englobe tout le savoir. » L’Emir est frappé par le matérialisme du XIXe siècle, marqué par le positivisme et le scientisme, qu’il ne peut partager. La science, pour lui, est inséparable de la foi. Il désapprouve toutefois les conservateurs qui donnent la préférence au patrimoine aux dépens de la culture moderne. Ils ont tort ceux qui dénient toute valeur aux livres… aux études scientifiques… Il leur rappelle un vers célèbre : « Cet ancien a été moderne en son temps et ce moderne deviendra un jour ancien. » Ou cet autre vers, soustrait d’un poème intitulé « Mon épouse s’inquiète » « Demande donc à la nuit, elle te dira comme j’ai pourfendu sa peau noire en chevauchées nocturnes » Passages tirés du n° 1 de la revue semestrielle Itinéraires éditée par la Fondation Emir Abdelkader. Pour en savoir plus : Fondation Emir Abdelkader Siège social : 6, rue Yahia Belhayet-Hydra –Alger Tel/Fax : 021 69 49 06 Mail : [email protected]

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Leila Boukli

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Emir Abdelkader Histoire Bio express 1807 : naissance de l’Emir 1822 : Séjour à Oran 1832-1847 : résistance d’Abdelkader * 22 février 1834 : traité Desmichels * 30 mai 1837 : traité de la Tafna * 13 mai 1843 : prise de la Smala * 14 août 1844 : bataille d’Isly 1848 : internement jusqu’en octobre 1852, en France : Toulon, Pau puis Amboise 1853 : séjour à Brousse, en Turquie 1855 : installation à Damas 1860 : il protège les chrétiens lors des émeutes de Damas 1863-1864 : Deuxième pèlerinage à la Mecque. Il demeure un an au Hedjaz 1865 : voyage en France 1867 : voyage en France et en Angleterre 1869 : il assiste à l’inauguration du canal de Suez 1883 : le 23 mai, il meurt à Damas 1966 : le 5 juillet, transfert des cendres et inhumation au cimetière d’El Alia

Membres Fondateurs Belkhodja Amar, Benkada Sadek, Benkhedda Youcef, Boualga Abdelkader, Boudaa Baghdad, Boumediene Abelhamid, Bounini Youcef, Boutaleb Abdelkader, Chenini Habib, Djazairy Idriss, Ferhat M’hamed, Kandil Senoussi, Malki Nourredine, Rahal Redouane, Safir Abdelkader, Sadek Habib, Sam Menouar, Si Youcef Mahmoud, Soufi Fouad, Bahloul Mohamed, Bouamrane Chikh, Belhamissi Moulay.

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Emir Abdelkader Histoire

Le pays de l’Emir

Par Leila Boukli LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE

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Emir Abdelkader

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ascara a le privilège de rentrer dans l’histoire comme étant « le pays de l’Emir », une filiation dont elle n’a jamais cessé de tirer une fierté - au demeurant légitime. Abdelkader, fils de Mahieddine, fils de Mustapha, est né à la Guetna de l’oued El-Hammam, près de Mascara en 1807. Il y reçut son éducation religieuse et littéraire, avant d’être élu, le 27 novembre 1832, à l’âge de 24 ans, pour diriger la résistance à l’occupation étrangère. La cérémonie se passe sous l’arbre de la Dardara, dans la plaine de Ghriss, en présence des cheikhs des tribus et sazvanats de l’Oranie. Il y proclame et installe l’Etat algérien, en en faisant sa capitale jusqu’en 1841. Il y organisa alors son administration et son armée, reçoit les consuls étrangers et procède à des aménagements urbains. Après sa reddition, le 23 décembre 1847, l’Emir restera en captivité jusqu’au 16 septembre 1852. Il quittera la France peu de temps après à destination de la Turquie (où il effectue un court séjour de trois ans à Burça – Brousse), avant de rejoindre la Syrie en 1855. Il n’est pas le premier à y poser pied puisqu’il y trouve une forte communauté constituée de nombreux intellectuels, des fonctionnaires, des religieux, des anciens soldats, des agriculteurs, des artisans. Ils ont construit une grande mosquée à Bab es- Souiqa, mais point de qobba (comme ceux de NouvelleCalédonie) et leur imam n’est autre que l’émir Abdelkader. Ce dernier se fera rappeler à la mémoire des chrétiens du monde dominant en portant secours à leurs coreligionnaires

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Histoire de Damas menacés de massacres à partir du 9 juillet 1860. Des milliers de chrétiens (12 à 15 000) avaient trouvé refuge et hospitalité dans ses demeures, protégés par les soldats de l’Emir, une escorte armée d’un millier parmi les plus valides des jeunes Algériens. On retrouvera également les Algériens du Shâm, étroitement impliqués dans les luttes de libération des peuples du Maghreb, de Syrie et de Palestine notamment. Dans ce dernier pays, les émigrés algériens de 1947 ont opté, sous la direction de Ahmed Bensalem, pour la région de Galilée en Palestine dont Akka, Saint-Jean d’Acre. Du temps du protectorat anglais, les combattants d’Azzedine El Qessem comptent de nombreux Algériens qui exécutaient par pendaison pratiquement tous ceux qui vendaient leurs terres aux colonies juives. Les Algériens au Shâm sont une communauté structurée, porteuse de valeurs, attachée à ses racines. Dans son pays natal, la légende de l’Emir reste inaltérable. Les batailles qu’il y a menées couvent une braise qui ne s’éteindra jamais, entretenue par des générations indomptables de résistants. Leurs descendants feront preuve d’autant de bravoure et de sacrifice tout récemment, pendant la révolution, ainsi que l’atteste le souvenir impérissable des grandes batailles d’El Manouer, El Kef Lassfar, Stamboul ou Boutrouss. « Soyez patients dans l’adversité, c’est elle qui fait connaître les hommes forts », disait l’Emir. Cette patience ne tarda pas à produire ses effets. La bataille de Stamboul date de la première semaine de février 1958. Elle a pour héros les moudjahidines de la katiba de 115 hommes, habituellement installée dans l’Ouarsenis et

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Saliha Ould Kablia

dirigée par Abdelkader Zelafti. Ahmed Zabana est dans l’action la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954 ; il est le premier militant de la cause nationale guillotiné à la prison de Barberousse d’Alger le 19 juin 1956. Toute aussi héroïque la chahida Ould Kablia Zoubida, dite Saliha, étudiante en chirurgie dentaire à l’université d’Alger et militante de l’UGEMA, tombera au champ d’honneur les armes à la main. Son frère, le chahid Ould Kablia Noureddine, suivit ses traces. Comme une prémonition, la chahida Saliha, aura par son sacrifice donné corps à une autre prédiction de l’Emir : « Le kalam (la plume) depuis qu’il a été taillé a pour esclave le sabre depuis qu’il a été effilé. » Une formule qu’on retrouvera avec bonheur inscrite dans la plate-forme de la Soummam en termes de « primauté du politique sur le militaire ». Ainsi se trouvent inscrits dans le marbre les fondements pérennes de l’Etat de droit et de justice sociale pour lequel tant de sacrifices auront été consentis. Leila Boukli

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« Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme ; interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez ce qu’il est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure. » Emir Abdelkader

Mohamed-Lamine Boutaleb

chercheur en histoire et en sociologie

Hadj Mohamed-Lamine Boutaleb est le descendant par la cinquième génération de Sidi Ali Boutaleb, oncle et beau-père de l’Emir, son arrière-grandmère qui est née au château d’Amboise durant la captivité de l’Emir, est de plus la nièce de son épouse Lalla Kheïra . Par Leila Boukli

Emir Abdelkader

C

Portrait e sera le troisième et l’actuel président de la Fondation Emir Abdelkader, qu’il crée avec un groupe d’ami(e)s en 1991. Hadj MohamedLamine Boutaleb est né le 16 juillet 1933 à Oued Chorfa, dans la wilaya

de Aïn Defla. Après des études primaires et secondaires suivies au lycée Bugeaud d’Alger, Emir-Abdelkader aujourd’hui, il est recruté en 1952 dans l’armée française puis admis à l’Ecole des officiers de « Saint Maixent » d’où il sort avec le grade de sous-lieutenant. Il démissionnera en 1956, à la suite de l’arrestation de son père, le bachagha Abdelkader, personnalité musulmane bien connue. Lors de la bataille d’Alger, après avoir déclaré à Lacoste que « la seule solution au problème algérien résidait dans la négociation », il offre ses bons offices et tente d’arranger une série de contacts entre d’importantes personnalités du Gouvernement général tant à Alger qu’à Paris, et des interlocuteurs algériens entre autres Abane Ramdane

Le Bachagha, Abdelkader Boutaleb, père de Mohamed Boutaleb

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et Ben M’hidi. Ces contacts auraient pu se poursuivre, mais Ben M’hidi est arrêté et assassiné par les hommes de Massu. Son frère rejoint le maquis et tombe au champ d’honneur. Hadj Mohamed-Lamine Boutaleb s’inscrit à l’Institut des études politiques de Grenoble où il obtient une licence en sciences économiques. Il sera arrêté à son tour par la police coloniale, pour sa participation à la Fédération du Front de libération nationale (FLN). On le retrouve à l’indépendance, en tant que chef de l’Etat-major de la Force locale algérienne puis une année après, il est nommé directeur des relations extérieures à la SN Repal. A la nationalisation des hydrocarbures, il rejoint la Sonatrach en qualité de directeur des moyens généraux, qu’il quittera en 1971 pour se consacrer à l’exploitation des terres familiales à Mascara. Hadj Mohamed-Lamine Boutaleb, trésorier général et vice-président de la Fondation, dans un premier temps, est, depuis 1999, à ce jour, son président. Il travaille sans relâche à réhabiliter l’histoire

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Emir Abdelkader Portrait Mohamed Lamine Boutaleb à Caracas

Mohamed Lamine Boutaleb

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de l’Algérie. On lui doit plusieurs conférences et communications, tant localement qu’à l’étranger, de même que de nombreux comités nationaux pour des conférences d’intérêt stratégique. Et bien que le nom de l’Emir, fondateur de l’Etat moderne algérien, à la fois homme politique, chef militaire, poète, écrivain et grand penseur soufi, soit déjà présent dans plusieurs lieux de la planète, les membres de sa fondation œuvrent sans relâche, munis de leur volonté seule, à faire partager des valeurs essentielles qui rapprochent les peuples du monde malgré les distances géographiques. Après, la Syrie, les Etats Unis où au nord-est de l’Etat de Iowa, une ville porte son nom, et ce depuis 1846, la France, Cuba, le Mexique, la manifestation la plus récente est celle de Caracas, capitale du Venezuela qui compte désormais une place qui porte le nom de l’Emir Abdelkader. Acte éminemment positif d’échange culturel et d’amitié entre les peuples, fondé sur la profondeur de l’histoire et la nécessité de la préserver et de l’honorer pour éclairer les chemins du devenir. Au-delà de la dimension nationale de l’Emir – dimension fondamentale qui a enfanté la lignée des leaders de la Révolution algérienne et sa modernité pour les peuples du Sud –, il reste l’une des plus hautes figures de l’humanité.

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Emir Abdelkader Portrait Le Président Abdelaziz Bouteflika et le président de la fondation Emir Abdelkader, Mohamed-Lamine Boutaleb à Mascara

Et c’est aux nombreuses relectures sur la vie, actes, œuvre, de cette figure exemplaire, de combat et de résistance, être archétypal de réconciliation entre les peuples, figure ni mythique ni mystique, qui a assisté à la montée de la civilisation de la machine, du nombre et du quantum, que Hadj Mohamed-Lamine Boutaleb tente, somme toute, de rapprocher de nous, non pas par nationalisme ou panarabisme, nous dira-t-il, mais par l’universalisme de cette figure exceptionnelle, héritier spirituel d’Ibn ‘Arabi, cet Andalou dit le cheikh El Akbar (le plus grand des cheikhs) qui l’avait tant inspiré. Leila Boukli A Tlemcen avec le cheikh Belkaid de la tarika El Habria remettant à Mr Boutaleb une plaque de reconnaissance et d’honneur

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Tizi Ouzou la capitale des genêts

Par Hassina Amrouni

Tizi Ouzou

Histoire d'une ville

Ruines romaines de Tigzirt

Tizi-Ouzou signifie en kabyle « le col des genêts ». Uzzu ou azezu est, en effet, le genêt épineux, jadis très abondant dans la région, mais qui a fini par se réduire au fil du temps au point de disparaître. La première partie du nom, Tizi, « le col », provient de l’existence d’un passage de près de 3 km de large par lequel on peut contourner les gorges du Sébaou.

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ontrairement à d’autres villes d’Algérie qui ont vu défiler des occupants depuis l’ère préhistorique ou, tout le moins, antique, Tizi-Ouzou, elle, est de fondation plutôt récente. L’existence de la capitale de la Kabylie ne remonte, en effet, qu’à trois siècles environ car il n’y a aucune trace d’établissement antique ni même médiéval sur le site ! Toutefois, certaines régions alentour ont, elles, connu une occupation plus lointaine. Cela est d’ailleurs attesté, dès le début du XIXe siècle par certains auteurs français, tels que Carette qui, dans son livre Etudes sur la Kabylie proprement dite signale des traces de voie romaine au lieudit Ihensnaouan (Hasnaoua), à Tighecht, lieu dit Tamda et à Ain Meziab, près de Mekla. Des traces, aujourd’hui, disparues. De son côté, l’historien J. Mesnage soutient qu’il existait au nord du Sébaou quatre cités romaines, en l’occurrence Taouarga, Tikobaïne, Agouni Tamdint et Agouni Thabet, qui se trouve au nord de la localité de Fréha. Là encore,

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il n’existe pas d’autres informations sur ces dites cités, ni même sur leurs appellations romaines, à l’exception de Bida Municipum (Djamaa Saharidj), citée par des auteurs anciens.

Arrivée des Turcs à Tizi-Ouzou

Cherchant toujours à soumettre les populations autochtones à l’impôt, les Turcs –dans leur progression en Kabylie – accèdent à la vallée du Sébaou au début du XVIIIe siècle. Vers 1715, ils construisent, en effet, sur la rive droite du fleuve, au lieu dit Tazaghart, un bordj ou fort, afin d’y abriter leurs troupes. Toutefois, ils se rendent très vite compte que ce lieu était inapproprié car situé au pied de la montagneet non en hauteur, il était donc exposé aux attaques des Kabyles déjà très hostiles à la présence turque dans la région. C’est ce qu’ils feront d’ailleurs, détruisant l’édifice et chassant ces conquérants aussi vite qu’ils sont arrivés. Loin d’être découragés par ce revers et ne renonçant guère à leurs desseins, les Turcs décident de bâtir une place forte, sur l’emplacement de l’actuelle ville de Tizi-Ouzou. Le bordj de

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Histoire d'une ville

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Ces pièces avaient été amenées de Dellys sur des traîneaux à roulettes. Le bordj, qui était solidement construit, refermait un four, un puits et un moulin. Il y avait, près de la porte, une source ombragée de trois trembles. » C’est ainsi qu’à mesure que le fort grandissait, une sorte d’agglomération civile se créait autour avec l’installation de familles turques, mais aussi autochtones (des Kabyles, descendus des montagnes ainsi que des Algériens venus de Dellys, des Issers) ou encore des Koulouglis (métis de femmes algériennes et de soldats turcs) dont les descendants habitent toujours à Tizi-Ouzou.

Tizi Ouzou

Tizi-Ouzou ne devait pas être imposant, il devait juste servir de poste d’observation pour surveiller les mouvements des habitants, abriter les soldats et leurs montures et, bien évidemment, les collecteurs d’impôts. A son arrivée, Ali Khodja décide de le renforcer, créant aussi deux autres bordjs, l’un à Boghni et l’autre à Tadmaït. Ce dernier sera d’ailleurs, le plus grand de toute la Kabylie. Le bey Mohammed Ben Ali, dit Al Debbah (l’égorgeur) entreprend, pour sa part, d’agrandir le fort de Tizi-Ouzou, renforçant par là même le nombre de soldats ainsi que la présence turque dans la ville. Les habitants de la région tentent à maintes reprises de prendre possession du fort, multipliant les attaques mais ils n’y parviennent pas. Il faut dire que ces sites défensifs n’étaient pas conçus de telle sorte à être vulnérables, au contraire, c’étaient de véritables petites forteresses, si l’on se réfère à la description de E. Carette en 1840 qui écrit : « Les Turcs avaient construit, jadis, à Tizi-Ouzou, une forteresse entourée de murs de cinq à six mètres d’élévation, dans laquelle ils entretenaient cinquante hommes ; elle était, en outre, munie de plusieurs bouches à feu, pourvue d’embrasures aux angles et sur les faces. Elle pouvait contenir seize pièces, mais n’en conserve que dix.

Arrivée des Français 14 ans après la prise d’Alger

Les Turcs tout comme les Français essayent d’investir le massif kabyle mais ils rencontrent une farouche résistance, ils n’y parviennent qu’au terme de plusieurs tentatives. En 1844, soit 14 années après la prise d’Alger, le Français Bugeaud conquièrt Bordj Menaïel, ensuite Dellys, Baghlia et enfin Tadmaït. Quant au bordj de Tizi-Ouzou, lui aussi convoité depuis des années, il ne sera pris qu’en 1851, au cours de l’expédition sanglante du général Cuny qui a causé la mort de centaines de personnes.

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Tizi Ouzou

Histoire d'une ville

Lala Fadhma N’Soumeur

Tizi-Ouzou durant l’époque coloniale

C’est à partir de ce bordj que les Français tentent d’investir le Djurdjura. Entre 1852 et 1853, le maréchal Randon tente de prendre le bloc montagneux mais il trouve en face de lui une Fadhma N’Soumeur résolue à se battre jusqu’à son dernier souffle pour préserver la liberté de ses terres ancestrales. Etonné par le courage et la bravoure de cette jeune femme dont il ignore le nom, il la surnomme la « Jeanne d’Arc du Djurdjura ». Le 24 mai 1857, l’armée coloniale française donne l’assaut final sur le village d’Ath Irathen (Fort national), la forteresse finira par être prise le 10 juillet 1857, après des semaines d’opposition acharnée de la part de la population. Le lendemain, Lalla Fadhma N’Soumeur est capturée mais ce ne sera guère la fin des insurrections qui se poursuivront çà et là jusqu’au 1er novembre 1954, date d’entrée de tout le peuple algérien en guerre pour le recouvrement de son indépendance.

l’administration coloniale décide de l’installation de colons dans la région. Les autochtones sont chassés de leurs terres. La ville de Tizi-Ouzou naît officiellement le 27 octobre 1858 par décret impérial. A l’origine, cette ville était distinguée du village «musulman» ou « village indigène ». Cependant, les deux villages finissent par se fondre en un seul. Le petit hameau devient un village puis une ville coloniale, surtout après l’installation de plusieurs services publics tels que la juridiction, les lieux de culte (église Saint-Eustache, mitoyenne de deux mosquées traditionnelles : Lalla D’Mamiya et Lalla Saida), deux écoles, l’une pour filles et l’autre pour garçons, un hôtel, un bureau de poste et même une voie de chemin de fer qui, en 1888, relie Tizi-Ouzou à Alger, précipitant ainsi le développement de la ville. Cependant, les insurrections, les exactions, la répression, la politique de la terre brûlée appliquées par les troupes françaises à l’encontre de la population indigène vont finir par pousser cette dernière à déserter les villages pour venir s’installer à Tizi-Ouzou. Cette poussée démographique ira d’ailleurs en évoluant puisque de 15000 habitants en 1962, la population de Tizi-Ouzou passera à 100 000 en 1998. Aujourd’hui, Tizi-Ouzou est l’une des villes les plus importantes d’Algérie.

Naissance de Tizi-Ouzou

A la conquête du bordj de Tizi-Ouzou, les Français le réaménagent. Ils l’agrandissent, construisent des casernes et des entrepôts pour loger les soldats. Des baraques sont bâties par des civils européens et des commerçants travaillant avec l’armée, c’est ce qui constituera le point de départ de la ville qui ne cessera de s’agrandir pour donner l’actuelle Tizi-Ouzou. Dès lors,

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Hassina Amrouni

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Tizi-Ouzou et son patrimoine

Tizi Ouzou

Le riche héritage du passé

Histoire d'une ville

A l’instar d’autres régions du pays, la partie occidentale de la Kabylie a vu se succéder plusieurs civilisations : phénicienne, grecque, romaine, vandale, byzantine, arabe, espagnole, turque et enfin française, cela, contrairement à la partie orientale, demeurée moins accessible aux assauts conquérants. Par Hassina Amrouni

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Tizi Ouzou

Histoire d'une ville

Ruines romaines dans la région de Tizi-Ouzou

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es envahisseurs ont laissé, pour la plupart, des traces de leur passage, ce qui constitue un héritage historique à préserver de l’érosion du temps. La wilaya de Tizi-Ouzou abrite 202 sites culturels disséminés à travers 21 daïras. On y a découvert des traces de fermes, d’huileries, de vestiges de pressoirs et pierres de taille de l’industrie lithique, de pressoirs creusés dans le roc, de peintures rupestres et d’inscriptions libyques, de nécropoles, de villages traditionnels et de traces de ports antiques. Ces vestiges qui remontent à différentes époques, allant de la préhistoire jusqu’à l’époque de la colonisation française, sont pour beaucoup d’entre eux à l’abandon d’où l’urgence d’un classement. Fort heureusement, certains sont protégés et bénéficient d’un programme de préservation, tels les ruines romaines dites Habs El Ksour, situées à Azeffoun, le mausolée de Taksebt à Iflissen, les ruines romaines de Tigzirt (temple de la basilique), le bordj turc de Tizi-Ouzou et celui de Boghni, la maison de Abane Ramdane à Azouza (Larbaâ Nath Irathen) sur laquelle ont été engagés des travaux de réhabilitation, la zaouïa de Sidi

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Ali Moussa à Souk El Tenine qui connaît des travaux d’urgence ainsi que la maison des Ath Kaci qui devrait être transformée en musée et celle de Fadhma N’Soumeur. Située au village Soumeur, dans la commune d’Iferhounene, thakhalwith (repaire) de cette héroïne de la résistance algérienne contre l’occupant français date du début du XIXe siècle. La maison est composée de deux espaces : tazeqqa et taâricht, les murs sont en pierre schisteuse liées avec du mortier d’argile. La toiture est faite en tuiles creuses reposant sur un plancher en bois. Proposée au classement par la direction de la culture de Tizi-Ouzou, la maison de Fadhma n’Soumeur est classée patrimoine à préserver. D’autres lieux historiques tels que les maisons de Cheikh El Hasnaoui, Mohamed Iguerbouchen, Krim Belkacem, Mohand Oulhadj ou encore les allées couvertes d’Aït Rhouna sont également proposés au classement. Cela permettra de dégager des budgets pour leurs restauration et préservation. Concernant les allées d’Ath Rhouna, dans la commune d’Azeffoun, il faut savoir qu’elles seraient vieilles de 5000 ans. Selon G. Camps, chercheur au CNRS et spécialiste de la civilisa-

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Des vestiges de l’époque romaine

Tigzirt l’antique Iomnium

On ne peut évoquer le patrimoine culturel de Tizi-Ouzou, sans parler de Tigzirt, l’antique Iomnium, une daïra qui jouit d’un ancrage historique lointain. Les vestiges de son passé millénaire sont largement visibles et témoignent d’une existence humaine remontant à des milliers d’années, mais rendent compte aussi du passage

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Tizi Ouzou

tion berbère, il n’y aurait que 14 allées couvertes dans toute l’Afrique du Nord : 8 d’entres elles se trouvent à Aït Rehouna et 6 à Ibarissen, à l’ouest de Toudja dans la wilaya de Béjaïa. Ces monuments mégalithiques présenteraient, toujours selon le même chercheur, des similitudes avec certains autres sites se trouvant en Sardaigne, en Italie et dans les îles Baléares. Ce seraient des nécropoles ou monuments funéraires. Autre site remarquable dans la wilaya, l’abri sous roche d’Ifigha, dans la daïra d’Azazga. Appelé par la population locale « Ifri N’Dellal », cet abri a été découvert par Si Amar Saïd Boulifa en 1909. Situé à mi-pente entre les villages d’Aourir et d’Ifigha, cet abri comprend près de 550 signes disposés en lignes verticales, étalé sur 9 mètres de large et 4 mètres de hauteur. Il est protégé par un surplomb de rocher de 2,50 mètres. Les parois sont ornées de peintures, à l’exception de la partie exposée au soleil qui, elle, est moins conservée.

de plusieurs civilisations : phénicienne, byzantine, vandale, romaine et française. La ville romaine a été érigée entre 145-47 avant J.-C. Elle était, au départ, constituée d’un casernement ceint d’une muraille défensive, mais le site connaîtra une extension, à partir du IIIe siècle, devenant ainsi une ville civile. On y construit alors un temple, attribué à un certain Julius Felix, ce temple dédié au dieu protecteur de la ville se trouve du côté est, à proximité du Cardo, route dallée. Le site est également composé d’une basilique datant de l’époque byzantine (VIe après J.-C.). Il faut savoir que ce site qui s’étendait à l’époque romaine sur une superficie de 10 ha est réduit aujourd’hui, à 2,6 ha à cause de l’édification dès 1888 de la ville coloniale par les Français sur le site lui-même. Parmi les autres richesses de cette daïra figure le rocher de Tala Bouzrou, un rocher de forme étrange baptisé Azrou Imedyazen ou rocher des sages. Témoignant d’une civilisation préhistorique remontant à plus de 5000 ans, ce rocher comporte plusieurs inscriptions libyques et des dessins rupestres représentant des scènes de chasse et des animaux. A Taksebt (antique Rusupisir), village dans la localité de Tigzirt, d’autres sites éveillent les curiosités, car remontant aux environs du IIe siècle avant J.-C. Le mausolée de Taksebt se trouvant sur le sommet du cap Tadlès a été découvert aux alentours de 1848-1850. Datant du IIe siècle avant J.-C., ce mausolée a malheureusement beaucoup été endommagé à la suite du tremblement de terre de 2003. Tizi-Ouzou, c’est 3568 km2, 21 daïras et 202 sites culturels, archéologiques et historiques. Il est donc peu évident de pouvoir tous les évoquer dans un article.

Histoire d'une ville

Hassina Amrouni

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Tizi Ouzou

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Tizi-Ouzou, vivier de prodiges

Abane Ramdane

Krim Belkacem Matoub Lounes

Mouloud Feraoun

Par Hassina Amrouni

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Mohamed Issiakhem

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gement sur leur abnégation, leur bravoure et leur nationaliste. Amar U Saïd Boulifa, Mouloud Mammeri, Mohamed Ben Hanafi et d’autres encore se sont, pour leur part, consacrés à la culture berbère et à son expression académique, tandis que des artistes à l’image d’Idir, Aït Menguellet, Matoub Lounès, Brahim Izri, Taleb Rabah, Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui ou Cherif Kheddam se sont attelés à faire sortir la chanson et le texte poétique amazighs des monts du Djurdjura pour le faire voyager à travers le monde. Eux aussi natifs ou originaires de Tizi-Ouzou, M’Hamed Issiakhem, Mohamed Fellag, El Hadj M’Hamed El Anka, Youcef Boukella, Mustapha Ayad, Kamel Messaoudi et on en oublie encore, ont, à travers des expressions artistiques différentes, contribué à l’apogée de leur terre natale, la faisant connaître aux quatre coins du monde et ils ne sont, sans doute, pas les seuls car demeurent encore de nombreux autres enfants prodiges que nous n’avons pas pu évoquer dans cet article Hassina Amrouni

Tizi Ouzou

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a Kabylie a, depuis l’aube des temps, été un véritable vivier de personnalités. Résistants, hommes politiques, penseurs, hommes de culture, écrivains, artistes ou sportifs, ils ont, chacun dans son domaine, contribué à l’essor de cette région. Terre des Amazighs – hommes libres –, la Kabylie a donné à l’Algérie des femmes et des hommes valeureux. Ils sont nombreux ceux qui, comme Abane Ramdane, Krim Belkacem, colonel Amirouche, Ali Zammoum, Hocine Aït Ahmed, Ali Laïmèche ou Fadhma N’Soumer, pour ne citer que ces quelques noms, ont combattu pour une Algérie libre et indépendante. A leurs côtés, d’autres ont combattu par leurs idées et leurs écrits. Mouloud Feraoun, Mohamed Arab Bessaoud, Jean El Mouhouv Amrouche, Ali Hammoutène se sont, pour certains d’entre eux, sacrifiés pour leurs idéaux de liberté, léguant à la postérité une œuvre courageuse et engagée qui renseigne lar-

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Kamel Messaoudi

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Tizi Ouzou

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Cheikh Si Mohand u M’Hand Le poète errant Poète et philosophe appartenant à la confédération tribale des Aït-Irathen, Si Mohand u M’hand a vu le jour en 1845 à Icheraïouen, l’un des villages de la commune de Tizi Rached, dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Si Mohand u M’hand a connu l’exil dès son jeune âge. En effet, après la pacification de la Kabylie en 1857, le général Randon fait exproprier les habitants de leurs demeures et de leurs terres, fait raser le village d’Icheraïouen et fait bâtir à la place Fort-Napoléon qui deviendra Fort-National (Aïn El Hammam). A la suite de ce malheureux événement, les parents du jeune Mohand partent s’installer à Sidi Khelifa, petit hameau près d’Akbou. Le jeune homme se destine à des études de droit mais l’insurrection kabyle de 1871 met fin à ses projets. Son père est tué, son oncle déporté en Nouvelle-Calédonie et son autre oncle s’enfuit en Tunisie. Sa mère retourne au village natal, accompagnée du plus jeune de ses fils, quant à Akli l’aîné, il prend ce qui reste de la fortune paternelle et s’en va vivre d’un commerce en Tunisie. Mohand qui ne reçoit que des miettes dilapide très vite son héritage. Mouloud Mammeri écrira à ce sujet : « Ainsi libéré de tout et de tous, sauf de lui-même, il va désormais poursuivre une vie errante, que vont se disputer toutes les misères et tous les vices, aussi quelques rares joies vite closes. » Si Mohand u M’hand erre alors de ville en ville, au gré de ses humeurs, toujours guidé par la voie du verbe et du vers. Vivant dans le désarroi et le dénuement et témoin d’une société qui vit des affres terribles, il déclame des isefra, face à un auditoire qui se reconnaît dans chacune des situations et chacun des thèmes abordés par le poète. Et même s’il ne répète jamais ses poèmes, la mémoire populaire s’est chargée de les conserver, voire de les préserver. Alors qu’il trouve la mort à Michelet le 28 décembre 1905, ses poèmes sont publiés sous forme de recueil en 1904 par Amar Boulifa, en 1960 par Mouloud Feraoun, en 1969 par Mouloud Mammeri et en 1997 par Larab Mohand Ouramdane, d’autres poèmes seront réunis par Younes Adli qui les publie en 2000. Mohand u M’hand repose à Asqif N Tmana dans la daïra de Aïn El Hammam. Hassina Amrouni

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Lalla Fadhma N’Soumer

La vaillante résistante du Djurdjura

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Tizi Ouzou Figure de proue de la résistance kabyle contre l’occupant français, Fadhma Nath Si Hmed, plus connue sous le nom de Fadhma N’Soumer, fut une jeune femme au destin hors du commun. Par Hassina Amrouni

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Tizi Ouzou

Lala Fadhma N’Soumeur

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ative du village Werja, proche d’Asqif N Tmana, dans la daïra de Aïn El Hammam, Fadhma y a vu le jour en 1830. Son père, cheikh Ali Ben Aissi, est le chef d’une école coranique, liée à la zaouïa Rahmania de Sidi Mohamed Ibn Abderrahmane Abu Qabrein. Très jeune, elle apprend le Coran, en entendant son père psalmodier les versets. A l’adolescence, on raconte que Fadhma devient une belle jeune fille, aussi, on décide de la marier. Les prétendants se succèdent, mais elle n’en accepte aucun, aussi, décide-t-on de l’enfermer dans un réduit car déclarée possédée. Lorsqu’on l’en ressort, elle est comme transformée : Dieu lui a révélé sa foi. Ses parents la marient de force à son cou-

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sin. Une fois chez son époux, elle décide de ne pas consommer le mariage. Au bout d’un mois, elle est renvoyée chez ses parents. Fadhma est une nouvelle fois mise en quarantaine. On assiste alors à une seconde métamorphose de la jeune femme. Tout le monde la prend pour une folle, on la laisse alors tranquille. Ses journées se passent dehors, elle vagabonde du lever jusqu’au coucher du soleil dans les montagnes de son village. C’est d’ailleurs, lors de l’une de ses virées qu’elle découvre la « Grotte du macchabée ». Un jour, elle émet le souhait de partir rejoindre son frère, cheikh au village de Soumer. Ainsi, placée sous son aile, elle se met à apprendre le Coran et, au lendemain de la mort de son père, elle dirige avec son frère son école coranique. Elle se dévoue un temps aux enfants et aux pauvres. Les villageois se font peu à peu à ses excen-

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Portrait de Fadhma N’Soumeur

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tricités et finissent par l’accepter. Mieux, ils en arrivent à lui vouer du respect et la font intervenir dans le règlement des conflits. Elle fait même des prédictions qui laissent perplexes tant elles s’avèrent fondées. La nuit, Fadhma rêve, hallucine, le jour, elle raconte ses cauchemars à son frère. Un jour, elle réunit les villageois sur l’agora et leur annonce : «Chaque nuit, je vois des hordes farouches qui viennent nous exterminer et nous asservir. Nous devons nous préparer à la guerre !» Les paroles de la jeune femme sont prises au sérieux, aussi, des émissaires s’en vont parcourir la Kabylie afin de mobiliser les hommes contre cet envahisseur qui s’annonce. En 1847, le maréchal Randon décide d’envahir la Kabylie. La population résiste. Fadhma

N’Soumer prend les armes. Elle lutte avec force contre l’armée coloniale et les batailles qu’elle engage sont sanglantes. Les Français la surnomment « la Jeanne d’Arc du Djurdjura ». Elle forme une armée forte et disciplinée qui ne recule devant rien. En 1854, elle met en échec une armée dirigée par deux généraux : Mac Mahon et Maissiat. Randon tente alors de trouver des appuis en Kabylie afin qu’on lui indique où trouver Fadhma. Les Français se retrouvent dans l’obligation de se replier car ils font face à une armée kabyle qui les tient en échec. Ce repli dure trois ans et Fadhma en profite pour renforcer ses rangs armés. Lorsqu’ils reviennent sur la scène du combat, les Français sont plus forts. Après avoir trouvé refuge dans la zaouïa de Sidi Ali Boumaâli, à Tourtatine, près de Tablat, Fadhma retourne en Kabylie. Elle finit par être arrêtée le 27 juillet 1857dans le village de Takhlijt Ath Atsou, près de Tirourda. Sa bibliothèque richement garnie de livres religieux et scientifiques est détruite par l’armée française. Son frère meurt en 1861. Très affectée par le décès de son aîné, elle meurt, elle aussi, en 1963 à Béni Slimane, à l’âge de 33 ans, en raison de ses dures conditions d’incarcération. Enterrée au cimetière de Sidi Abdallah, à une centaine de mètres de la zaouïa Boumaâli à Tourtatine, ses ossements sont transférés vers le Carré des martyrs au cimetière d’El Alia en 1994.

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Hassina Amrouni

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Richesses naturelles de Tizi-Ouzou

Terre de découvertes et de dépaysements

Tizi-Ouzou est considérée comme un véritable pôle touristique. Outre son riche héritage patrimonial, la région renferme quelquesuns des sites naturels les plus beaux et les plus visités d’Algérie. Par Hassina Amrouni

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Le genêt symbole de la région de Tizi-Ouzou

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Magreb) devient la grotte du macchabée, avec l’arrivée des Français. A noter que le macchabée y repose toujours. Culminant à une altitude de 1850 mètres, Azrou N’Thour domine la région d’Iferhounène. Lieu de villégiature, connu de toute la Kabylie et même au-delà, ce site offre une vue panoramique sur Azazga au nord, Larbâa Nath Irathen au sud-ouest, Akbou à l’est, jusqu’aux environs de Bouira au sud-est. Azrou N’Thour est, aussi, un lieu de pèlerinage annuel pour des centaines de natifs de la région. Chaque été, au mois d’août, ils s’y retrouvent à l’occasion d’une fête traditionnelle désignée sous le nom d’assensi (le cortège). Tirant ses origines d’une époque très lointaine, cette fête a su résister au temps. On raconte qu’il y a plusieurs siècles, un saint vivait vraisemblablement en ermitage sur les lieux où dans les parages. Il serait décédé en tombant du haut de ce lieu après avoir accompli sa prière du « dohr ». « Il était un saint bienfaiteur », dit-on encore de lui de nos jours, et les habitants de la région l’ont honoré en bâtissant un mausolée (lemqam en kabyle) également appelé el djama’ oufella sur le lieu

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Le massif du Djurdjura est, à lui seul, un immense réservoir touristique. Composé de deux chaînes montagneuses, le Djurdjura culmine avec son mont Lalla Kedidja à 2308 mètres. Les hydrologues qualifient le Djurdjura de « château d’eau percé », en raison des différentes sources d’eau potable qui la parsèment. Anou n’Ifflis qui figure parmi les premiers gouffres à avoir été exploré dans le monde, est également considéré comme le plus profond de toute l’Afrique (1170m). Bien connu des spéléologues algériens, français, espagnols et belges, qui y ont effectué plusieurs expéditions à partir de 1980, il est également appelé « le gouffre du léopard ». Située près de Aïn El Hammam, à Azru n Tijjr, la grotte du macchabée, est une autre destination du Djurdjura qui attire de très nombreux visiteurs. Elle tire son nom d’un macchabée découvert par des spéléologues lors de sa première exploration à la fin du XIXe siècle. Mais certains racontent que c’est Lalla Fadhma N’Soumer qui, lors de l’une de ses pérégrinations, découvre cette grotte en premier. « El Ghar ntemdhint » (Grotte de la ville) ou encore « Ifri Maareb » (Grotte du

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même où il a perdu la vie. Depuis, les villages Zoubga, Aït Adella et Aït Atsou se réunissent pour les préparatifs de cette fête locale et des visiteurs viennent d’un peu partout pour une offrande (waâda). Cette procession d’hommes, de femmes et d’enfants monte jusqu’au pic, dans une ambiance joyeuse, puis, aux alentours de midi, des plats de couscous, richement accompagnés de viande sont servis aux visiteurs, moment de communion et de baraka. Vers 13h (à l’heure du dohr, T’hor, en kabyle, d’où le nom du rocher), agraw (l’assemblée) s’installe sous les arbres pour recevoir l’offrande, prêcher la bonne parole. Outre le côté mystique qui peut entourer cet événement, les visiteurs y trouvent là l’occasion de grandes retrouvailles entre familles, voisins et amis. Tala Guilef, Lalla-Khedidja, le lac Agoulmine, le gouffre de Boussouil (1259 m), les cols de Tirourda (1700 m) et Tizi-N’kouilal (1600 m) figurent parmi les autres sites les plus connus du Parc national du Djurdjura. Si toutes ces destinations sont favorables pour les sports d’hiver, randonnées pédestres, l’alpinisme ou encore la spéléologie, en revanche, d’autres destinations comme les forêts de Yakouren et de Mizrana s’avèrent tout indiquées pour les randonnées sportives, les séjours écologiques et culturels. Outre ce patrimoine, la wilaya de Tizi-Ouzou est aussi connue pour la diversité et la richesse de son artisanat, notamment à travers la bijouterie d’Ath Yenni, la poterie de Maâtkas, Bounouh, les Ouadhias et Ath Kheir, le tapis d’Ath Hichem

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Une femma kabyle

L’artisanat traditionnelle kabyle

dans la région de Aïn El Hammam, l’ébénisterie, le tissage, la vannerie ou encore la broderie qui font la réputations de plusieurs autres localités de cette wilaya. Tous ces métiers traditionnels sont valorisés à l’occasion de fêtes annuelles qui leur sont consacrées (poterie en juin, bijoux en juillet, tapis en août…), une manière de les sortir du confinement en les faisant connaître à un plus large public. Hassina Amrouni

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Tarihant

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plus vieux village de Kabylie

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La wilaya de Tizi-Ouzou compte quelque 500 villages, disséminés à travers 67 communes. L’un de ces villages, Tarihant, en l’occurrence, est considéré comme le plus vieux de toute la Kabylie. Par Hassina Amrouni

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Paysage de Tarihant

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itué dans la zone du versant sud de la région côtière et au nord du Sébaou, Tarihant est l’un des plus grands villages de la commune de Boudjima et compte parmi les villages les plus anciennement habités de la Kabylie. L’homme s’y est, en effet, installé depuis la préhistoire. Sur place, de nombreux vestiges témoignent de cette très lointaine occupation humaine qui, selon les spécialistes, remonterait jusqu’à la préhistoire. En effet, la découverte d’industries lithiques mais aussi de divers outils en quartzite tels que des grattoirs et des lames marquent la période du Levalloisien ou Paléolithique moyen. Le Moustérien datant du Paléolithique moyen (40.000 à 25.000 ans av. J.C.), est également dominant. D’autre part, l’homme protohistorique s’est aussi établi dans cette région de Tarihant, preuves en sont ces inscriptions libyques retrouvées sur les parois des cinq abris se trouvant sur ce site, à savoir Azru T’zizwa, au nord, Azru Allal, Tamda u Qelwac, Azru Uzaghar et le plus important, voire le plus riche Azru Imeyazen au sud. A la fin de l’ère protohistorique, l’homme a déserté ces grottes pour construire des demeures plus confortables puis des villages avec plus de commodités pour répondre à ses besoins. Dans la région, les témoins de cette transition sont légion, comme le village antique ainsi que

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deux moulins à huile creusés dans le rocher et datant de l’antiquité qui font penser qu’il existait à l’époque une riche industrie de l’huile d’olive, malheureusement, aujourd’hui, disparue. Hormis les sites préhistoriques, au nord du village, se trouvent des vestiges remontant à la période romaine d’un village nommé Takvilt (ancien nom de Tarihant).Takvilt possède une kelaâ (forteresse) et lafayer (sentinelle) comme l’affirme un vers ancien : « Celui qui veut habiter un palais, la forteresse est à Garura » (un lieu de Takvilt). On raconte qu’après de multiples invasions des Iflissen (Phéniciens) et un glissement de terrain, les habitants de Takvilt auraient déménagé pour s’établir à Aït Aissa Mimoun ainsi qu’à Blida. Takvilt s’est vidée de sa population, puis arrivent trois frères: Moussa Ouali, Kaci Ouali et Yahia Ouali. D’après les dires, ils ont tué un sultan et pris la fuite pour se réfugier à Tarihant. Ces trois frères s’installent à côté d’un arbrisseau, appelé la myrte ou Tarihant en kabyle et construisent leur maison. Puis arrive Meziane N’Ait Meziane pour renforcer les Oualis. Aujourd’hui, Moussa Ouali, Kaci Ouali et Meziane N’Ait Meziane ont fondé le peuple du village Tarihant. Yahia Ouali a fondé les deux villages voisins de Takhamt Neldjir et Tissegouine. Hassina Amrouni

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Abdelaziz Bouteflika, l’homme qui a donné à la diplomatie algérienne ses lettres de noblesse