Serge Moati : "La haine antisémite, je l'ai rencontrée, je la ... - Nouvelobs

7 oct. 1991 - Sont-ils assez « actuels » ceux-là? Ou devOns-nous attendre on ne sait quelle escalade de la haine pour constater accablés que, oui, « la bête ...
175KB taille 88 téléchargements 88 vues
Serge Moati : "La haine antisémite, je l'ai rencontrée, je la décris !" Le Nouvel Observateur. — Consacrer deux émissions de télévision à la haine antisémite alors que l'actualité ne l'impose pas, n'est-ce pas valoriser, et d'une certaine façon « fabriquer » ce que vous prétendez décrire et dénoncer? Serge Moati. — La haine antisémite (comme souvent les grands et graves problèmes de société) est un sujet évidemment intemporel. Et donc, hélas ! toujours d'actualité. Le propos du film est justement de dire que cette haine Singulière semble immémoriale et universelle. Elle est une haine archaïque et actuelle... Mais admettons qu'il faille absolument se soumettre aux lois de r« actualité ». Auj'ourd'hui, 7 octobre 1991, deux cents ans après que la citoyenneté fût accordée aux juifs en France, je lis dans les journaux que des néo-nazis feint parler d'eux en Allemagne. Et avec quelle Violence ! Sont-ils assez « actuels » ceux-là? Ou devOns-nous attendre on ne sait quelle escalade de la haine pour constater accablés que, oui, « la bête immonde » est toujours bien vivante ? Sur le fond : ainsi donc, « montrer » serait « valoriser »... e Montrer » serait « fabriquer » ? Quelle blague ! Je ne crée pas la haine en la montrant, pas plus que je ne la fais exiSter en la révélant. Ce n'est pas sérieux ! Mon voeu le plus cher est que personne, après ce film, et après le livre que j'ai écrit avec Jean-Claude Raspiengeas (1), ne puisse plus jamais dire : « Je ne savais pas I » Est-ce utopique ou naïf de ma part ? N.0.— Pour démasquer les antisémites, Vous leur donnez une tribune inespérée I Faut-il, pour combattre l'antisémitisme, diffuser les délires de Pamiat, de Farakhan ou de tel révisionniste histérique qui ne représente que lui-même ? N'y-a-t-il pas là quelque chose de très pervers ? S. Moati. —Rassurez-vous sur ma perversité. Des dizaines et des dizaines de spectateurs et de lecteurs m'écrivent. Ils veulent passer les cassettes du film dans les lycées. Ils veulent organiser des débats. Ils me remercient d'avoir soulevé le couvercle de la marmite et d'avoir tordu le cou à la langue de bois. Ils parlent de « civisme » et de e nécessité ». Leur avis m'importe, leur émotion me touche. Il semble que j'aie été entendu et ;

compris. Oui, il faut donner à voir et à entendre les délires de haine des antisémites. Il n'existe pas d'antisémitisme e relatif », de haine convenable, acceptable. L'expression antisémite est inflammable. N.0.— justement, vous ne craignez pas de l'enflammer? S. Moati. — Mais ils ne m'ont pas attendu ! L'« Internationale révisionniste » existe, elle est structurée. Elle a des moyens ! Elle publie des revues rassemble des congrès, de par le monde. Unité de ton et de commandement, peut-être. Arguments à l'identique d'est en ouest en passant par certains pays arabes. Cette « Internationale » mise sur le fait qu'un jour les derniers témoins du génocide disparaîtront et que la mémoire s'estompera. Il faut prendre ce danger très au sérieux. Je pense, comme me l'a dit Alain Finkielkraut, que le négationnisme est «la seule forme moderne de l'antisémitisme»: on ne dit plus « mort aux juifs ! », mais «les juifs ne sont pas morts». Le tout au nom de la liberté de pensée et de discussion. Avec un côté thésard et scientifique... Vous me dites : e Bah, cesont des fous I » Eh bien, même si ce sont des fous, ce sont des fous dangereux. A entendre et à combattre. Avant qu'ils ne soit trop tard. Et trop nombreux. Et que leur folie ne régente l'époque. On a vu ce qui s'est passé lorsque des bouffons meurtriers, des e fous » ont eu le pouvoir en Allemagne nazie ! N.O. — Certains, comme Rony Brauman ici même, vous reprochent une vision exagérément identitaire du judaïsme. Il y aurait les juifs d'un côté, tous les non-juifs de l'autre. N'est-ce pas une machine à fabriquer l'exclusion et l'intolérance? S. Moati. — Je ne comprends pas ce reproche. Je ne suis ni un philosophe ni un historien, ni un un théologien. J'ai fait un fdrn et un livre sur la «haine antisémite » et non sur la « tolérance » ni sur l'« identité » juive. Pour un antisémite, il y a bien « les juifs d'un côté et les non-juifs de l'autre. » Je n'y peux rien, moi, s'ils voient des juifs partout et divisent le monde entre juifs et non-juifs. Pour ma part, je ne vois pas des antisémites partout, Dieu merci ! Ni manichéen, ni parano ! J'ai voulu montrer ce qu'est l'extrême « haine antisémite »: '

je l'ai rencontrée, je la décris, un point c'est tout ! Je ne veux que provoquer une crise de conscience. Vraie, vive et actuelle. Je me défie des grandes déclarations humanistes et d'un certain anti-racisme gentillet et solennel qui n'a, hélas, jamais servi à rien. Puisque le visage d'un enfant supplicié à Auschwitz ou Treblinka n'a pas eu la vertu civilisatrice qu'on pouvait en attendre (je n'ose pas écrire « en espérer »), j'ai voulu revenir aux questions premières et aux sombres commencements: « Qu'est-ce que c'est que cette haine ?». J'ai voulu l'entendre s'exprimer. Pour comprendre, si c'est possible. Et pour la combattre, bien sûr. Oui, hélas, au terme de ce voyage au pays de la « haine antisémite», je suis pessimiste. Mon film et le livre en témoignent. N.0.— Le livre, lui, échappe aux critiques. Il n'a pas la force brute, incontrôlable, de l'image. On peut se demander si la télévision est un outil bien adapté pour aborder un tel sujet... S. Moati. — Merci pour votre bienveillance concernant le livre. Avec Jean-Claude Raspiengeas, nous avons voulu approfondir le travail télévisuel. Livre et film sont complémentaires. Comme le seront les cassettes vidéo qui sortiront bientôt. Je crois que la télévision peut être un formidable outil de connaissance. Elle sait unir émotions et notions. Et si je connais ses limites, je suis toujours émerveillé par sa capacité à toucher au plus profond un public là où il est, un public qui, par ailleurs, sort peu lit peu. Vive la télé ireux de toutes mes donc ! Vivant en 1991 et dés forces de traiter ce sujet, m'auriez-vous conseillé le papyrus enfoui à trois pieds sous terre ? Propos recueilis par CLAUDE VŒILL (1) « La Haine antisémite», Flammarion.

BADOIT présente

l'Art au Menu Menu du restaurant "L'Auberge de l'Eridan" par Michel Potage

1046 OCTOBRE 1991/117