Santo Antonio Lisbonne, juin 2015 Saint Antoine peut

familles, des chiens et des chats du quartier, et même un perroquet en cage. Tous y étaient ! J'ai traversé mon appartement et me suis rendue dans ma chambre ...
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Santo Antonio

Lisbonne, juin 2015



Saint Antoine peut reposer en paix. Il est l’un des Saints les mieux célébrés au monde. Il est le Saint Patron de la ville de Lisbonne, et le mois de juin est dédié à lui rendre hommage en mangeant, buvant, chantant et dansant le plus possible, dans toutes les rues, ​m​ iradouros, impasses, parcs et escaliers de la ville. Lorsque je suis arrivée à Lisbonne au printemps, déjà les gens me disaient : « tu verras, le mois de juin va être incroyable à Lisbonne, c’est le meilleur moment de l’année. C’est le mois de Santo Antonio ». Au Portugal, chaque ville possède un Saint Patron différent, célébré par ses habitants par un jour férié spécifique. Lisbonne célèbre Saint Antoine, qui peut s'enorgueillir de posséder la festa la plus importante du pays, tandis que, par exemple, Porto fête Santo Joao, connu pour déchaîner les foules qui se tapent dessus à coup de marteaux en plastique pendant des jours (une tradition païenne introduite au début du 20ème siècle et qui a connu un franc succès depuis). On m’avait expliqué toutes ces subtilités, et on m’avait dit de me préparer. « Ca fait 4 ans que je vis à Lisbonne et je n’ai jamais vu les portugais aussi heureux et excités de ma vie que chaque année au moment de Santo Antonio », m’a dit une collègue brésilienne avant le début des hostilités. Les Portugais ont la réputation d’être plutôt râleurs par rapport à leurs cousins d’Amérique latine, qui se régalent de les voir s’abandonner à la fête chaque mois de juin. On m’avait donc prévenue, mais rien ne m’avait vraiment préparée à vivre Santo Antonio, ni le mois de juin à Lisbonne. Pendant​ les ​Festas de Lisboa, j’ai senti la sardine grillée sur moi et dans la rue, tous les jours, pendant un mois. J’ai entendu 53 fois la chanson ​Uma Casa Portuguesa d’Amalia Rodrigues, bu 16 capirinhas, dansé dans une quinzaine de rues et squares différents de la ville, suivi 3 parades de percussions. J’ai aussi mangé 5 petits gâteaux en forme de Saint Antoine, 6 chourros, et passé une nuit blanche involontaire à cause d’un concert sous ma fenêtre qui a fini à 6 heures du matin. J’ai regardé deux couchés de soleil depuis des ​miradouros en mangeant des sardines et admiré une pleine lune au dessus du Tage à 3 heures du matin. Les fêtes de Santo Antonio embrasent tous les quartiers de la ville. Chaque rue, à l’initiative de ses habitants, installe dehors tables et barbecues, et les riverains comme les passants sont invités à passer la soirée dehors ​ à manger des ​sardinhas, et à écouter du Fado que l’on entend généralement s’échapper des enceintes de l’un des appartements du rez-de-chaussez. Les restaurants installent également des tables devant leurs portes, parfois jusque sur la route, et des concerts programmés ou spontanés ont lieu un peu partout. Certaines rues et quartiers de Lisbonne sont plus réputés que d’autres pour fêter Santo Antonio. Le quartier traditionnel et tortueux de l’Alfama a la réputation d’être le plus fou, et en effet ses ruelles sinueuses sont envahies d’une foule si dense que l’on en perd le réseau sur son portable et qu’il est impossible de traverser certaines rues. Le plus sage est encore de se laisser porter par la foule, et de garder son calme, puisqu’on ne peut de toute façon pas choisir son itinéraire dans cette nuée humaine si dense. Inutile de donner rendez-vous à quelqu’un à un endroit précis dans l’Alfama à cette période de l’année, vous ne vous retrouverez pas ! La rue Villa Berta, située dans le quartier de Graça au pied du château, a quant à elle plus un air de fête de quartier, mais devient de plus en plus bondée au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans le mois de juin. On s’y assoit le long de grandes planches en bois posées sur des tréteaux, à côté d’inconnus, et on y partage ​ avec eux quelques ​Super Bock. On fait la queue aux stands de nourritures parsemé tout le long de la rue, et qui proposent les incontournables sardines, mais

aussi de nombreuses viandes grillées, du fromage et le fameux petit gâteau à l’effigie de Saint Antoine. Dans le centre-ville, les quartiers de Bica et la Praça Camoes sont aussi bondées, et on y suit des groupes de percussionnistes qui bloquent les rues tant la foule se presse pour se joindre au cortège et remonter la rue en dansant. L’atmosphère y est si folle qu’on se croirait en plein milieu d’une victoire de coupe du monde. En bonne lisboète d’adoption, j’ai pris part à autant de fêtes que possible, parfois jusqu’aux aurores. En rentrant chez moi à 5 heures du matin, lors de la dernière et plus importante célébration de Santo Antonio, à la mi-juin, j’ai ouvert la fenêtre de mon salon côté cours et vu dans la rue étroite qui mène à mon immeuble une file de tables où mes voisins étaient toujours installés, à manger et à boire. Des vieux, des jeunes, des enfants, des couples, des adolescents, des familles, des chiens et des chats du quartier, et même un perroquet en cage. Tous y étaient ! J’ai traversé mon appartement et me suis rendue dans ma chambre, et côté rue avait lieu un concert gigantesque, juste sous ma fenêtre. Mes carreaux en tremblaient, et je pouvais sentir les pulsations résonner dans mes tympans, sous ma peau. Des centaines de personnes dansaient et chantaient. J’ai du mal à imaginer qu’en France ou en Angleterre, les mairies autoriseraient de telles célébrations aussi tardives (ou matinales, question de point de vue) pour cause de tapage nocturne et de groupes de covoisinage en colère. Mais au Portugal, ces choses-là n’ont pas d’importance. Célébrer Santo Antonio n’est pas un choix, c’est un nécessité. La fête s’est terminée à 6h du matin avec une valse de Strauss, sous les huées des noctiliens qui ont compris qu’il s’agissait de la fin de la fête. Le lendemain, une pluie diluvienne s’est abattue sur une Lisbonne engourdie. Les averses lourdes et épaisses, si rares durant l’été portugais, ressemblaient aux larmes de Saint Antoine, si triste que les habitants ne le célébreront pas à nouveau avant une année entière. Ses larmes ont nettoyé la ville, les trottoirs, les rues, comme si Lisbonne disait au revoir à son Saint Patron et demandait une trêve bien méritée après les folies du mois écoulé. J’ai ouvert en grand la fenêtre de mon appartement en accueillant avec plaisir ma première pluie lisboète estivale. J’ai admiré l’odeur et les couleurs de cette Lisbonne pluvieuse, que j’ai trouvé encore plus belle que sous le soleil. Et tandis que j’admirais le voile d’eau grise qui courait le long de la ville, je pouvais encore entendre les chansons d’Amalia Rodrigues jouer dans ma rue. Saint Antoine, si tu m’entends : je serais là pour te fêter l’année prochaine, et cette fois-ci je serais préparée !

-Texte par Gabrielle Narcy. ©Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.