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2011

Publiée par l’Association Internationale de Droit Économique (A.I.D.E.)

Les Dossiers de la RIDE

Association Internationale de Droit Économique L’A.I.D.E. a pour objet le développement de la recherche et de l’enseignement en droit économique. Elle regroupe des juristes, des gestionnaires, des économistes, théoriciens et praticiens, qui estiment indispensable de dépasser le cadre traditionnel de leur discipline et de s’engager dans une réflexion interdisciplinaire.

LES DOSSIERS DE LA RIDE Revue Internationale de Droit Économique

Les procédures négociées en droit de la concurrence

A.I.D.E.

A.I.D.E. : 2 bte 11, Place Montesquieu • 1348 Louvain-la-Neuve • Belgique [email protected]

Les Dossiers de la RIDE

En vue de favoriser les échanges et la collaboration entre chercheurs, enseignants et praticiens, l’A.I.D.E. organise des colloques et séminaires. Elle publie la Revue Internationale de Droit Économique ainsi que des Dossiers et une collection d’ouvrages « Droit / Économie / international ». Elle informe sur les activités de ses membres et sur les principales initiatives internationales prises dans le domaine du droit économique sur son site Internet : www.aide-ride.org.

PRONEG ISBN 978-2-8041-6555-0

35 €

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Sous la direction de Laurence Boy, Frédéric Marty et Patrice Reis

Dossier n° 4 Revue subventionnée par la Communauté française de Belgique, l’Institut universitaire européen de Florence et l’Université de Nice-Sophia Antipolis

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14/03/2011 11:34:51

PROCÉDURES NÉGOCIÉES ET STRATÉGIES DES ENTREPRISES Véronique SÉLINSKY1

Négociation Discussions, pourparlers entre des personnes, des partenaires (…) menés en vue d’aboutir à un accord sur les problèmes posés Dictionnaire Larousse « Le droit de la concurrence ne peut pas et surtout ne doit pas devenir un droit entièrement négocié ; cela ne serait du reste pas dans l’intérêt des entreprises elles-mêmes. C’est la dialectique de la contradiction qui fonde la richesse et la solidité de nos raisonnements et de nos analyses » Bruno Lasserre, La non-contestation des griefs en droit français de la concurrence, Concurrences, n° 2/2008

Résumé : Le point commun des procédures négociées (clémence, engagements, transaction) est de faciliter les relations des entreprises avec les autorités de concurrence afin d’accélérer le traitement des dossiers, l’aspect contentieux cédant la place à la négociation et à la discussion. Dans ces domaines, la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence ont des pratiques assez proches. Ces procédures se développent dans un environnement juridique caractérisé par la montée en puissance des sanctions, créant une insécurité juridique et requérant des mises au point ou des aménagements particuliers. En ce qui concerne les entreprises, l’apparition de ces nouvelles procédures s’est traduite par un élargissement et une diversification corrélatifs des stratégies de défense, voire même d’attaque. 1.

Avocat à la Cour. Les Dossiers de la RIDE – 2011 – pp. 59-81

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1 Introduction 2 Négociation ou coopération : quel périmètre pour les procédures « négociées » ? 2.1 Les qualifications possibles : contrat ou décision unilatérale ? 2.1.1 Sur la création d’obligations résultant d’une rencontre de volontés 2.1.2 Sur la réalité de la négociation entre l’autorité sanctionnatrice et les entreprises 2.2 Les conséquences de la qualification sur le rôle ultérieur du juge et sur les stratégies des entreprises 2.2.1 Les recours spécifiques du droit de la concurrence 2.2.1.1 Rôle du juge en matière de « clémence » 2.2.1.2 Rôle du juge en matière d’engagements 2.2.2 Une stratégie nouvelle : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) 3 Procédures alternatives ou complémentaires à la sanction (dites négociées) : comment les entreprises décident de coopérer 3.1 Les stratégies juridiques des entreprises en dehors de toute procédure déclenchée : demande d’immunité (clémence de premier rang) 3.1.1 Critères de choix de la clémence (1er rang) 3.1.2 Difficultés de mise en œuvre 3.1.2.1 Difficultés relatives à la cessation de la participation à l’entente présumée 3.1.2.2 Difficultés liées au maintien de la confidentialité de la démarche afin de préserver l’efficacité des mesures d’enquête 3.1.3 Difficultés relatives à la coopération véritable, totale, permanente et rapide tout au long de la procédure 3.2 Les stratégies juridiques des entreprises après la procédure de déclenchement d’une procédure 3.2.1 Stopper la procédure en proposant des engagements 3.2.1.1 Pourquoi proposer des engagements ? 3.2.1.2 Comment jouer le jeu des engagements ? 3.2.1.3 Quels engagements proposer ? 3.2.1.4 Le suivi des engagements 3.2.2 Obtenir une réduction d’amende (avec ou sans mesures correctives) : non-contestation des griefs et transaction versus clémence de second rang 3.2.2.1 Points communs et différences 3.2.2.2 Critères de choix 3.2.3 Une question française : la clémence de second rang conserve-t-elle un intérêt ? 4 Conclusion Summary

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1 INTRODUCTION Il existe trois grands types de procédure négociée en Europe et aux États-Unis : les procédures de clémence, d’engagements et de « transaction ». Dans le premier cas, une entreprise ayant participé à un cartel dénonce les autres participants en contrepartie d’une exonération d’amende, totale ou partielle selon les cas ; dans le second cas, une entreprise dont les comportements sont source de « préoccupations de concurrence » pour les autorités propose les solutions qui lui semblent les plus adaptées et adéquates pour y mettre fin, et ces propositions, une fois entérinées par l’autorité, deviennent obligatoires ; dans le dernier cas, la non-contestation par une entreprise des griefs qui lui ont été adressés par une autorité est récompensée par un abattement sur l’amende initialement encourue. Elles ont pour point commun de faciliter les relations des entreprises avec les autorités de concurrence afin d’accélérer le traitement des dossiers : l’aspect contentieux cède (plus ou moins) la place à la négociation et à la discussion. Dans ces domaines, la Commission européenne et l’autorité française de la concurrence ont des pratiques d’autant plus proches (sans être identiques) que les textes applicables sont eux-mêmes soit harmonisés (programme « modèle » de clémence), soit voisins, le droit français s’étant inspiré du droit de l’UE et réciproquement. Ces procédures se développent dans un environnement juridique caractérisé par la montée en puissance des sanctions, non seulement du point de vue des textes2 mais à travers la pratique décisionnelle des autorités ; si les amendes augmentent un peu partout, leur mode de fixation diverge, créant une insécurité juridique requérant des mises au point ou des aménagements particuliers. Du côté des entreprises concernées par le droit de la concurrence, l’apparition de ces nouvelles procédures s’est traduite par un élargissement et une diversification corrélatifs des stratégies de défense, voire même d’attaque. La question sous étude appelle cependant un éclaircissement : au regard des stratégies juridiques qu’une entreprise est prête à élaborer en droit de la concurrence, la négociation englobe-t-elle l’ensemble des procédures dites « négociées » aujourd’hui telles que nous venons de les énumérer ? Ou faut-il distinguer la négociation d’autres formes de coopération ? (2). Quelle que soit la réponse à cette première question, les stratégies des entreprises dépendent de nombreux critères de choix qu’il conviendra d’inventorier pour toutes les hypothèses (3).

2.

Cf. les modifications françaises depuis la loi NRE (Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, JO n° 113 du 16 mai 2001).

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2 NÉGOCIATION OU COOPÉRATION : QUEL PÉRIMÈTRE POUR LES PROCÉDURES « NÉGOCIÉES » ? Les termes de « procédure négociée » sont souvent utilisés pour désigner l’ensemble des procédures de coopération offertes aux entreprises par les droits européen et français. Ces procédures, récentes en France, ont inspiré à l’Autorité de la concurrence (dont le site Internet les englobe sous une même rubrique3) l’observation que l’avenir du droit de la concurrence passera par « un droit négocié entre les entreprises et l’autorité »4, et à la doctrine la conviction que l’entreprise change de position pour devenir « partenaire et partie au redressement de l’illicite »5. La question de leur nature juridique divise toutefois les auteurs. Or c’est un point important dans la mesure où leur composante plus ou moins « contractuelle » a des conséquences sur l’étendue du rôle du juge en cas de recours.

2.1 Les qualifications possibles : contrat ou décision unilatérale ? 2.1.1 Sur la création d’obligations résultant d’une rencontre de volontés Schématiquement, deux écoles s’opposent selon que l’on considère que le recours à ces procédures relève d’un accord, d’un échange (donnant/donnant : de l’information contre un abattement de sanctions6) ou d’une décision unilatérale, ce qui est supposé être davantage la conception de la Commission européenne7. Le caractère « contractuel », à le supposer établi, ne saurait caractériser un contrat ordinaire en raison du déséquilibre entre les parties et de leurs rapports qui « peuvent paraître éloignés de ceux qui unissent des contractants classiques »8. Le président de l’Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, pour sa part, a défendu 3. 4. 5. 6.

7.

8.

« Procédures négociées ». Rapport pour 2005, éditorial (à propos de la clémence), http://www.autoritedelaconcurrence.fr/ user/standard.php?id_rub=197. E. Claudel, « Non-respect de l’ordre concurrentiel : vers l’éviction de la sanction ? », Dalloz, 2007, n° 24, p. 1691. A. Perrot, « Le modèle du contrat dans les nouvelles conceptions économiques », in M.-A. FrisonRoche (dir.), Les engagements dans les systèmes de régulation, Paris, Presses Sciences Po/ Dalloz, 2006, p. 157. Cf. la rédaction du communiqué de clémence du 29 septembre 2006 « La Commission accordera l’immunité », http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub=260&id_ article=1296 ; S. Pietrini, « Le recours à la négociation en droit de la concurrence : l’exemple des programmes de clémence », RLC, 2009, n° 21, p. 153, et réf. citées. J.Ch. Roda, La clémence en droit de la concurrence. Étude comparative des droits américain et européens, PUAM, 2008.

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une conception du contrat, éloignée du contrat de gré à gré dans lequel la discussion entre les partenaires tente de trouver un point d’équilibre, au profit d’une conception plus procédurale du « contrat-incitation »9, dans lequel on peut également voir « une forme de contrat judiciaire »10. S’il est certain que les procédures nouvelles dites « négociées » supposent bien une rencontre de volontés, élément constitutif du contrat, on peut être plus hésitant en ce qui concerne la création d’obligations, au sens classique, c’est-à-dire d’un lien par lequel le débiteur est tenu d’exécuter une prestation et le créancier est en droit de l’exiger. La réponse est plus délicate, en effet, dans la mesure où ces procédures sont facultatives : le demandeur peut changer d’avis et ne pas donner suite à sa première intention. L’Autorité de la concurrence est-elle tenue, de son côté, d’une obligation au sens d’un engagement dont le créancier est susceptible d’obtenir l’exécution forcée (en nature ou par équivalent) ? Pour la clémence de premier rang, la réponse semble être affirmative tant en droit français qu’en droit communautaire : si les conditions requises du dénonciateur sont remplies, l’immunité est acquise. Pour la clémence de second rang, le cas français soulève un problème puisque le collège fixe une « fourchette », qu’il n’est d’ailleurs pas tenu de respecter11. Enfin, dans le cadre de la procédure française de non-contestation, comment voir une « obligation » de l’Autorité dans un système où le bénéfice attendu est totalement imprévisible puisque le taux de réfaction (qui peut évoluer) est appliqué à un montant de base inconnu ? 2.1.2 Sur la réalité de la négociation entre l’autorité sanctionnatrice et les entreprises En toute hypothèse, même en relevant que le recours à l’une de ces procédures suppose nécessairement un accord entre l’entreprise et l’Autorité (quelle qu’en soit la nature juridique), on soulignera que cet accord n’implique pas nécessairement une réelle négociation. À supposer que la nature « contractuelle » des procédures concernées soit indiscutable, on doit relever que la plupart des situations présentent le caractère d’un contrat d’adhésion intervenant entre des partenaires de force inégale, l’un détenant un pouvoir de sanction sur l’autre qui a seulement la faculté d’adhérer ou de refuser. Se rattachent incontestablement à cette catégorie : la clémence et la transaction, ainsi que la non-contestation pure et simple, sans engagements. 9.

B. Lasserre, « Le contrat entre la régulation sectorielle et le droit de la concurrence », in M.-A. Frison-Roche (dir.), op. cit., p. 246. 10. M.-A. Frison-Roche, Concurrence et contrat, Colloque Cour de cassation 2004, http://www. courdecassation.fr/colloques_activites_formation_4/2004_2034/acceder_texte_conference_8170. html?idprec=8169. 11. Déc. Aciers : note L. Boy, « Cartel de l’acier. Des sanctions surprenantes pour une méthodologie exemplaire », Revue Lamy Concurrence, mai/juin 2010, n° 23, p. 21.

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La négociation intervient seulement dans le cas où l’entreprise propose et accepte de prendre des engagements, qu’ils soient purs et simples ou rattachés à une procédure de non-contestation des griefs. Et encore s’agit-il d’une négociation engagée sous une forte contrainte puisque l’autre partie dispose d’un pouvoir de sanction particulièrement redouté… Dans l’arrêt Alrosa, le Tribunal avait d’ailleurs admis qu’une décision d’engagement au titre de l’article 9 « ne saurait être considérée comme étant une simple acceptation par la Commission d’une proposition librement formulée par un partenaire de négociations, mais constitue une mesure obligatoire mettant fin à une situation infractionnelle ou potentiellement infractionnelle, à l’occasion des prérogatives que lui confèrent les articles 81 CE et 82 CE »12. À la dénomination de procédures « négociées », on préférera donc celle de « procédures alternatives ou complémentaires aux sanctions » : refuse-t-on une procédure moins coûteuse, et souvent plus rapide, même si on la croit moins respectueuse des droits fondamentaux ?

2.2 Les conséquences de la qualification sur le rôle ultérieur du juge et sur les stratégies des entreprises S’interroger sur la nature juridique plus ou moins consensuelle des procédures alternatives ou complémentaires aux sanctions n’a pas qu’un intérêt théorique puisque le simple fait de s’engager dans cette voie entraînera inéluctablement une moindre fréquence, voire un moindre intérêt des recours. En effet, si, en droit américain, la voie négociée s’accompagne d’une renonciation des entreprises à contester les décisions prises, tel n’est pas le cas en France et en Europe. Dans ces conditions, il importe de mesurer les possibilités de contestation offertes à l’entreprise qui se serait « trompée » dans son appréciation des avantages espérés en contrepartie de sa coopération et, finalement, se verrait infliger une sanction qu’elle estime excessive, ou imposer des engagements jugés trop forts. 2.2.1 Les recours spécifiques du droit de la concurrence La base « volontaire » des procédures « négociées » a pour conséquence de réduire corrélativement le rôle du juge dans la vérification du respect des droits fondamentaux. L’article 6 CEDH est ainsi inapplicable à la clémence13 et aux engagements14. En définitive, le juge est soit « court-circuité », soit réduit à un examen sommaire 12. Alrosa, 11 juillet 2007, T-170/06, Rec., p. II-2601 ; TPICE, Sison c. Conseil, 11 juillet 2007, T-47/03 et TPICE, Stichting Al-Aqsa c. Conseil, 11 juillet 2007, T-327/03, point 87, http://curia.europa.eu/ jcms/upload/docs/application/pdf/2009-02/cp070047fr.pdf. 13. CA Paris, 1H, 24 avril 2007, JH Industrie et Malerba, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/ ca06d09_portes.pdf. 14. CA Paris, 1re ch. H, 6 novembre 2007, Canal 9/GIE Les Indépendants, Concurrences, 2008, n° 1.

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de quelques aspects du système15, ce dont les entreprises doivent être conscientes pour déterminer leurs stratégies. 2.2.1.1 Rôle du juge en matière de « clémence » Le juge ne peut pas remettre en cause l’octroi de l’immunité. Si l’exemption d’amendes n’est pas totale et si des sanctions sont prononcées, le juge vérifie le respect des droits fondamentaux mais le caractère partiellement « contractuel » de la procédure conduit le juge à limiter son contrôle. À titre d’exemple, la Cour de Paris, dans l’arrêt rendu sur le cartel des aciers, après avoir constaté l’existence d’une procédure de clémence16, évoque « les prévisions contractuelles » entre, d’une part, le demandeur de clémence et, d’autre part, le collège de l’Autorité de la concurrence17. « L’utilisation de cet instrument, qui relève par sa nature et par son mécanisme de la politique de concurrence que le législateur a confié au Conseil puis à l’Autorité de la concurrence, repose pour l’essentiel sur une négociation et ne relève pas du contrôle de plein contentieux de la Cour d’appel de Paris. » Or, non seulement tout contrat ne suppose pas une négociation (supra), mais surtout, lorsqu’un avis de clémence fixe une fourchette de réduction, l’entreprise n’a pas son mot à dire. Elle devrait pouvoir être admise à démontrer que son apport – en termes de preuves et d’économies de coûts pour l’Autorité de la concurrence – n’a pas été correctement rétribué en raison d’un taux de réduction trop faible. La Cour de Paris n’a pas voulu entrer dans ce débat. Sa position reflète la volonté de limiter le contrôle juridictionnel à ce qui touche à la procédure proprement dite, particulièrement au respect des droits de la défense. Pour le reste, tout se joue devant l’Autorité de la concurrence. 2.2.1.2 Rôle du juge en matière d’engagements Le recours d’un plaignant justifiant d’un intérêt à agir à l’encontre d’une décision d’engagements qui ne le satisfait pas est recevable. Il est même possible pour un tiers impliqué d’obtenir l’annulation de la décision18. Mais comment contester un engagement que l’on a soi-même proposé ? Que peut-on espérer d’un recours ? En premier lieu, le choix de s’orienter vers la procédure d’engagements intervient sur « proposition » (France) ou « offre » (UE) des entreprises poursuivies. Ces dernières ont donc exprimé, spontanément ou (souvent) sur la suggestion des 15. D. Waelbroeck, Le développement en droit européen de la concurrence des solutions négociées (engagements, clémence, non-contestation des faits et transactions) : que va-t-il rester aux juges ?, www.coleurope.eu/content/gclc/documents/GCLC%20WP%2001-08.pdf. 16. En l’occurrence, une clémence « de 2nd rang ». 17. CA Paris, 19 janvier 2010, RG 2009/00334, p. 38 ; Revue Lamy Concurrence, mai/juin 2010, n° 23, p. 21. 18. TPICE, 11 juillet 2007, Alrosa c/ Commission, aff. T-170/06, précité ; CA Paris, 1re ch. H, 16 octobre 2007, Bijourama c/ Festina, Europe, décembre 2007, n° 349, obs. L.I., et CA Paris, Canal 9, précité.

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autorités, la volonté de s’orienter vers cette voie, et elles n’ont donc pas le moindre intérêt à contester. Une entreprise poursuivie qui ne souhaite pas donner suite à des engagements qu’on lui suggérerait de prendre peut refuser purement et simplement19 : mais alors la procédure contentieuse continue et elle s’expose, le cas échéant, à des sanctions. Quant au plaignant, il ne peut pas pour sa part s’opposer au choix de l’Autorité d’abandonner la procédure contentieuse au profit des engagements, alors même qu’il peut estimer qu’il y a eu une véritable infraction méritant sanction. En toutes hypothèses, le choix de l’Autorité de la concurrence de s’orienter vers des engagements n’est pas une « décision » discutable mais une sorte d’acte préparatoire à la décision approuvant et rendant obligatoires les engagements et qui, elle, pourra être frappée de recours. En second lieu, les « préoccupations de concurrence » exprimées par l’Autorité au cours de la procédure ne peuvent être assimilées à un acte d’accusation, dans la mesure où cette appréciation concurrentielle ne prélude pas à des sanctions mais permet justement de les éviter20. En conséquence, le juge du recours ne contrôle pas la part prise par l’Autorité dans les négociations qui se déroulent parfois « avec le pistolet sur la tempe »21. En troisième lieu, sur le fond, les engagements pris par l’entreprise doivent être proportionnés aux préoccupations de concurrence, c’est-à-dire propres à y « répondre d’une façon adéquate » et le rôle de l’Autorité (Commission européenne ou Autorité de la concurrence) « se limite » à vérifier que les mesures prises feront disparaître les « préoccupations » de concurrence en ménageant les intérêts des tiers. À cet examen réduit correspond un contrôle juridictionnel limité qui « porte uniquement sur le point de savoir si l’appréciation à laquelle s’est livrée la Commission est manifestement erronée », c’est-à-dire à vérifier que l’entreprise n’offrait pas des engagements moins contraignants pour le même résultat22. De la même façon, le juge estime que les engagements, parce qu’ils sont « négociés », sont d’une nature juridique différente des injonctions imposées. Aussi, son contrôle se borne à vérifier qu’ils sont crédibles, substantiels et vérifiables, et il ne lui appartient pas d’en substituer de nouveaux23.

19. CA Paris, 29 octobre 2009, Pierre Fabre, http://avocats.fr/space/veronique.selinsky/ content/_34ae6b63-e031-4def-84a7-63a3bfd2645d. 20. Cass. com., 4 novembre 2008, pourvoi n° 07-21.275, Arrêt n° 1213, GIE Les indépendants, http:// www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_commerciale_financiere_economique_574/ arret_no_11938.html. 21. D.Waelbroeck, op. cit. 22. CJUE (Grande Chambre), 29 juin 2010, Aff. C-441/07 P, Alrosa company Ltd c/ Commission européenne (11), pts 40 et s., Contrats Concurrence Consommation, 2010, n° 10, comm. 234, G. Decocq. 23. CA Paris, 23 février 2010, Expédia/SNCF, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/ca09d06_ fev2010.pdf.

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En d’autres termes, l’Autorité dispose en ce qui concerne les engagements d’une plus grande liberté que dans le cadre d’une procédure contentieuse, ce qui limite d’autant plus le rôle ultérieur du juge. C’est pourquoi la CJUE a posé en principe dans l’affaire Alrosa précitée que les entreprises « acceptent sciemment que leurs concessions puissent aller au-delà de ce que la Commission elle-même pourrait leur imposer dans une décision qu’elle adopterait conformément à l’article 7 de ce règlement après un examen approfondi ». C’est en quelque sorte la rançon d’une procédure qui évite à la fois la qualification d’infraction et l’infliction d’une amende. Particulièrement favorable aux entreprises qui prennent des engagements, cette voie ne ménage peut-être pas suffisamment les intérêts des tiers car, si les problèmes sont évités pour l’avenir, les distorsions éventuelles de concurrence passées restent impunies. 2.2.2 Une stratégie nouvelle : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) La loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution permet de contester la constitutionnalité d’une loi24. Ces nouvelles dispositions pourraient autoriser une nouvelle stratégie juridique pour les entreprises dans le cadre des procédures « négociées », tendant à établir que l’organisation de celles-ci porte atteinte à un droit constitutionnellement protégé. Elles pourraient ainsi être tentées de soutenir – dans le cadre d’un litige en cours – que les limites apportées aux possibilités de recours des tiers ne respectent pas suffisamment le « droit au juge ». Ce droit résulte de la combinaison entre l’article 66 de la Constitution qui érige l’autorité judiciaire en « gardienne de la liberté individuelle » et l’article 16 de la Déclaration de 1789 qui garantit l’existence d’un « procès équitable ». À la supposer avérée, une telle atteinte conduirait à l’abrogation des dispositions contestées. La question prioritaire de constitutionnalité, pour l’instant une voie nouvelle semée d’embûches25, pourrait ainsi représenter une nouvelle piste à l’avenir.

24. Tout justiciable peut, depuis le 1er mars 2010, soutenir, à l’occasion d’une instance devant une juridiction administrative comme judiciaire, « qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit », en application de l’article 61-1 de la Constitution. 25. Il faut, en effet, que la Cour de cassation juge la question suffisamment nouvelle ou sérieuse pour la transmettre au Conseil constitutionnel, ce qui ne va pas de soi. De telles questions ont déjà été soulevées en droit de la concurrence, cf. Ord. 30 juil. 2010 CA Paris (non publié) transmettant à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l’AFNOR relativement à l’article L 450-4 du Code de commerce relatif aux enquêtes de concurrence.

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3 PROCÉDURES ALTERNATIVES OU COMPLÉMENTAIRES À LA SANCTION (DITES NÉGOCIÉES) : COMMENT LES ENTREPRISES DÉCIDENT DE COOPÉRER Pour une entreprise ayant clairement enfreint le droit de la concurrence, et pour une entreprise souhaitant mettre en œuvre une stratégie insolite, originale ou border line, les nouvelles procédures ont introduit la problématique du choix. Le facteur commun, du point de vue de l’entreprise, est la crainte d’être sanctionnée financièrement, soit immédiatement par l’Autorité, soit ultérieurement dans le cadre d’une action indemnitaire. La question essentielle, déterminante du choix, est celle de la prévisibilité quant au risque encouru (sans ou avec mise en œuvre des règles spécifiques), aux avantages pouvant en être attendus, à l’éventualité d’une remise en cause. Bien répondre à ces questions est un préalable absolu. Les stratégies possibles dépendent à la fois de la nature des infractions auxquelles l’entreprise a participé et du moment où se pose la question de la coopération avec l’autorité de concurrence. En dehors de toute procédure déclenchée, l’intérêt d’une entreprise ayant participé à un cartel peut être de dénoncer les autres membres : la procédure de clémence pour le premier demandeur répond à cette préoccupation (3.1). Une fois qu’une procédure est déclenchée, le choix se réduit et dépend des circonstances : les engagements ne sont pas toujours possibles, contrairement à la non-contestation des griefs ou à la transaction (3.2).

3.1 Les stratégies juridiques des entreprises en dehors de toute procédure déclenchée : demande d’immunité (clémence de premier rang) La procédure de clémence est régie, en France, par le point IV de l’article L. 464-2 du Code de commerce, qui en fixe le principe et les grandes lignes ; l’Autorité de la concurrence a précisé le dispositif dans un communiqué de procédure (CP) en date du 2 mars 200926, inspiré du programme modèle de la Commission européenne du 29 septembre 200627. Être le premier à dénoncer un cartel secret est la situation idéale décrite par les autorités de concurrence : en prenant l’initiative de dénoncer un cartel, l’entreprise qui en a fait partie permet le dépistage et la déstabilisation de celui-ci. C’est pourquoi sa récompense est forte : c’est l’immunité totale. Mais on ne se décide pas facilement à jouer le jeu de la clémence.

26. http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/cpro_autorite_2mars2009_clemence.pdf. 27. Précité.

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3.1.1 Critères de choix de la clémence (1er rang) Plusieurs raisons peuvent conduire l’entreprise à dénoncer des pratiques auxquelles elle a participé. On peut signaler, tout d’abord, le cas « vertueux » d’une société prenant le contrôle d’une autre dont elle découvre qu’elle a participé à un cartel : la dénoncer n’emporte, en principe, que des bénéfices au stade de la procédure devant l’autorité de concurrence : arrêt des comportements déviants et immunité d’amende. En revanche, elle n’interdit pas les actions indemnitaires possibles, ce qui soulève évidemment le problème de la production des documents probatoires en l’absence d’une véritable procédure de discovery organisée par les droits européen et français. La décision peut être prise, ensuite, dans le cas où le cartel n’apparaît plus comme profitable : l’entreprise dénonciatrice estime qu’elle a davantage intérêt à briser la concertation qu’à y rester. De ce point de vue, les entreprises américaines, rompues à l’utilisation stratégique des procédures de concurrence, font preuve d’une capacité remarquable à utiliser cet instrument à leur meilleur profit28. Enfin, des circonstances extérieures peuvent faire craindre que le cartel soit découvert à relativement court terme (un salarié licencié profère des menaces, certaines enquêtes dans des domaines différents pourraient résulter du droit de l’antitrust : par exemple une enquête en matière de pratiques restrictives pourrait faire « remonter » à des pratiques anticoncurrentielles, etc.). La décision ne sera prise que s’il existe un risque réel de se voir impliquée dans une procédure qui déboucherait immanquablement sur des amendes fortes. Cela conduit l’entreprise à comparer les divers types de risques à l’avantage que représente l’immunité totale. Ces risques tiennent à la probabilité plus ou moins grande de la découverte des pratiques, à la majoration d’amende encourue le cas échéant pour réitération, enfin aux représailles des autres membres du cartel, qui constituent un vrai risque dans l’hypothèse où le cartel englobe des acteurs du marché situés à des stades différents du processus économique (par exemple des distributeurs, dont l’un est en même temps producteur). 3.1.2 Difficultés de mise en œuvre Avant de prendre sa décision, l’entreprise contacte généralement l’Autorité de la concurrence par des contacts informels, souvent pris via un avocat qui ne dévoile pas le nom de son client. Le rang peut poser problème si plusieurs membres du cartel ont pris la même décision : des « marqueurs » permettent d’établir l’ordre dans lequel les dénonciateurs se sont présentés. Outre ce problème d’ordre d’arrivée, les conditions de coopération avec l’Autorité de la concurrence peuvent aussi soulever des difficultés essentiellement sur deux points.

28. Commission européenne, Communiqué de presse IP/10/776 du 22 juin 2010, « Antitrust : Commission Sends Statement of Objections to Suspected Participants in Window Mounting Cartels ».

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3.1.2.1 Difficultés relatives à la cessation de la participation à l’entente présumée L’entreprise dénonciatrice doit arrêter la participation aux pratiques anticoncurrentielles sans délai et au plus tard à compter de la notification de l’avis de clémence, sauf report particulier par l’Autorité. Sur ce point, le président du tribunal de commerce de Nanterre, J.B. Drummen29, fait état d’une difficulté qui a dû être tranchée par le tribunal. En effet, la cessation des pratiques impliquait la dénonciation d’un contrat en dehors des cas prévus par celui-ci. Le co-contractant invoquait la responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies, fondée sur l’article L 4426-5°), et demandait au juge des référés la continuation pour éviter un dommage imminent. À la suite d’audiences tenues en présence du rapporteur général, le juge a ordonné une négociation afin d’organiser la rupture dans des conditions préservant les intérêts de chaque co-contractant. Les négociations ont duré deux mois, et finalement abouti à une solution conciliant les exigences de la clémence et du droit des contrats30. L’entreprise qui demande (ou qui subit) la clémence peut donc, jusqu’à un certain point, aménager la situation par des mesures appropriées. 3.1.2.2 Difficultés liées au maintien de la confidentialité de la démarche afin de préserver l’efficacité des mesures d’enquête La dénonciation déclenche souvent des perquisitions : les visites domiciliaires ne sont pas utiles dans les locaux de l’entreprise dénonciatrice puisqu’elle apporte des éléments spontanément, ce qui risque de la désigner aux autres participants si les protagonistes du cartel ne sont pas nombreux. Il peut donc arriver qu’elle demande la réalisation de telles mesures afin de ne pas être dépistée trop tôt, ce qui risquerait d’entraîner soit la disparition des preuves, soit des représailles. Ce dernier risque n’est pas illusoire et doit être pris en considération. 3.1.3 Difficultés relatives à la coopération véritable, totale, permanente et rapide tout au long de la procédure Bénéficier de l’immunité due à la clémence suppose de fournir aux autorités toutes les informations et tous les éléments de preuves indispensables, et suppose généralement l’audition de ses représentants légaux et ses salariés actuels, ou anciens. Or la décision de jouer le jeu de la dénonciation est une stratégie de dirigeant, avec laquelle le personnel de l’entreprise n’est pas forcément d’accord, d’autant que cette nouvelle attitude est – par hypothèse – diamétralement opposée à la stratégie précédente. Retrouver les éléments de preuve qui ont été systématiquement détruits n’est pas simple. Il est alors indispensable de mettre en place les moyens adéquats. Au 29. Également membre du collège de l’Autorité de la concurrence. 30. J.B. Drummen, « Les modes alternatifs de règlement des conflits en droit de la concurrence », JCP (E), 2009, n° 18/19, p. 27.

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sein de l’entreprise, une coopération étroite doit être assurée entre les différentes personnes concernées, et l’avocat a un rôle essentiel à jouer afin que la procédure connaisse un plein succès. Cette implication ne peut se cantonner à la procédure de clémence proprement dite car il faut éviter de recommencer à l’avenir les errements du passé. Dès lors, il sera nécessaire de mettre en place un programme de « compliance »31. Les salariés qui, hier, participaient aux « tables » deviennent conscients que chaque participant est un dénonciateur potentiel. Leur engagement personnel est généralement requis et formalisé dans un document indiquant que tout manquement délibéré aux règles de la concurrence peut être vu comme une faute lourde. La procédure de clémence est donc, pour l’entreprise, porteuse d’un immense avantage en offrant une immunité mais à court terme elle demande beaucoup de temps et d’énergie, et une ferme intention de mettre fin aux errements anticoncurrentiels. Pour les salariés, c’est l’occasion de révisions de comportements et une source importante de difficultés : en effet, dans les secteurs où les habitudes de concertation sont anciennes et généralisées, et où les clients s’obtiennent par répartition et non par les mérites, les professionnels ne savent plus élaborer les offres et conquérir la clientèle. Renoncer aux ententes suppose une réadaptation totale aux mécanismes du marché qui n’est pas toujours aisée. Pourtant, une coopération pleine et entière de tous est la condition sine qua non de la clémence.

3.2 Les stratégies juridiques des entreprises après la procédure de déclenchement d’une procédure Une fois la procédure déclenchée, la meilleure manière d’éviter une amende consiste à arrêter les poursuites en proposant des engagements. S’agissant des engagements pouvant être proposés dans le cadre de l’antitrust, les entreprises n’ont la possibilité d’y recourir que dans certains cas en France : pratiques verticales ou unilatérales de comportements d’entreprises dominantes, à condition toutefois qu’il ne s’agisse pas de comportements ayant déjà donné lieu à de fermes interdictions en raison de leur nocivité. C’est un bon moyen de « stopper » une procédure contentieuse en la transmutant en un arrangement validé par l’autorité de contrôle. Inutile d’y songer en cas de participation à un cartel ou dans un cas d’abus de position dominante ayant d’ores et déjà causé un dommage important à l’économie : en pareil cas, la sanction sera alors la seule issue possible. Mais l’entreprise peut

31. Les programmes de « compliance « sont également mis en place par les entreprises qui ne sont pas les premières à jouer le jeu de la clémence, ex. en France : Décision n° 08-D-32 du 16 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du négoce des produits sidérurgiques, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/08d32.pdf.

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encore avoir une possibilité de diminuer l’amende, soit dans le cadre d’une clémence de « second rang », soit par la non-contestation ou la transaction. 3.2.1 Stopper la procédure en proposant des engagements « Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès », selon un adage ancien et bien connu qui connaît un regain d’actualité en droit de la concurrence. La procédure d’engagements existe en Europe depuis longtemps, la Commission européenne en justifiant la pratique par une interprétation extensive du règlement 17/1962 d’application des articles 85 et 86 du traité32. Cette jurisprudence prétorienne était génératrice, à l’époque, d’une forte insécurité juridique33. Le règlement 1/200334 a posé un cadre juridique (art.9) qui a inspiré le législateur français à travers les articles L. 464-2 et à l’article R. 464-2 du Code de commerce. Au sein de l’Europe, la France est présentée comme « le bon élève » en la matière35. 3.2.1.1 Pourquoi proposer des engagements ? En matière d’antitrust, les engagements sont vus comme une démarche « volontaire », non imposée par l’Autorité ce qui, on l’a vu, réduit l’intervention ultérieure du juge. Il est fréquent de souligner l’intérêt lié à la rapidité de la procédure « amiable » qui évite un procès long et coûteux. Or, en matière d’antitrust, c’est l’Autorité de la concurrence qui souhaite accélérer la procédure et rétablir le plus rapidement possible les conditions de la concurrence (CP 2 mars 2009, pt 5). Mais les entreprises poursuivies n’ont pas forcément le même intérêt. En effet, tant que les choses ne sont pas figées, elles peuvent continuer à observer les mêmes comportements. De plus, il n’est pas forcément facile de modifier rapidement une stratégie commerciale. Le besoin de rapidité est également celui du plaignant qui souffre de la situation qu’il dénonce. L’objectif du plaignant – tant que les relations avec l’entreprise poursuivie ne sont pas rompues36 – est d’inciter son adversaire à s’asseoir à la table des négo-

32. Conseil CEE, règlement n° 17 : premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO n° 13 du 21 février 1962, p. 204). 33. La plupart des cas étaient réglés de façon informelle, une décision formelle n’intervenant que dans un cas sur trente selon la Commission, JOCE 1983, C 118/23, in D. Waelbroeck, « Le développement en droit européen de la concurrence des solutions négociées (engagements, clémence, non-contestation des faits et transactions) : que va-t-il rester aux juges ? », The Global Competition Law Centre Working Papers Series, GCLC Working Paper 01/08, http://www.coleurope.eu/content/ gclc/documents/GCLC%20WP%2001-08.pdf. 34. Règlement CE 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, http://eurlex.europa.eu/smartapi/cgi/sga_doc? smartapi!celexplus!prod!DocNumber&lg=fr&type_doc=Regulation&an_doc=2003&nu_doc=1. 35. P. Kipiani, « Procédure d’engagements en matière de pratiques anticoncurrentielles : état des lieux », RLC, 2008, p. 327. 36. Si les relations sont rompues, le plaignant est animé d’un esprit vindicatif, il veut à la fois la punition de l’adversaire et la réparation de son préjudice.

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ciations. La saisine de l’Autorité, ou la communication médiatique sur une saisine envisagée, constitue un moyen de pression. Si le plaignant ne peut pas demander à une entreprise qu’il dénonce de prendre des engagements, il peut suggérer que ce serait une voie possible, par exemple en assortissant sa saisine au fond d’une demande de mesures conservatoires. Cette stratégie n’est pas toujours couronnée de succès en face d’une entreprise puissante et récalcitrante, et cela d’autant moins que l’Autorité de la concurrence n’a pas en vue les intérêts du plaignant : « rendue par une autorité de concurrence qui remplit une mission ayant pour finalité la défense de l’ordre public économique, la décision d’accepter des engagements n’intervient pas pour satisfaire la demande d’une partie mais pour mettre fin à une situation objectivement préjudiciable à la concurrence »37. La procédure d’engagements suppose le soupçon – et non la preuve – d’une atteinte – légère – à la concurrence38. Elle est exclue a priori pour les cartels (CP 2 mars 2009, point 11), ce qui n’a nullement empêché les banques françaises poursuivies et déjà condamnées, récemment, par la décision n° 10-D-28 du 20 septembre 2010, d’en réclamer le bénéfice39. En principe, pourtant, ne peuvent en profiter que les entreprises dont les stratégies ne génèrent que de simples « préoccupations » de concurrence, selon les droits CE et français, qui doivent être peu graves, clairement identifiables, actuelles, et auxquelles il doit être possible de remédier à court terme. L’intérêt d’éviter une qualification de pratique anticoncurrentielle est donc très fort, notamment dans l’hypothèse d’une réitération qui constitue une circonstance aggravante de nature à augmenter sensiblement le montant de l’amende. Une entreprise envisagera la prise d’engagements s’il existe un risque réel (en laissant la procédure contentieuse aller jusqu’à son terme) de voir son comportement condamné. Pour l’Autorité de la concurrence, il s’agit « d’obtenir que l’entreprise cesse ou modifie de son plein gré » (CP 2 mars 2009, point 5)40. Mais pour l’entreprise poursuivie, il s’agit d’arrêter la procédure, tout en restant au plus près de ses intentions premières, c’est-à-dire de ne modifier son comportement que dans la stricte mesure où il n’est pas possible de faire autrement.

37. Décision n° 06-D-24 du 24 juillet 2006 relative à la distribution des montres commercialisées par Festina France, pt 100, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/06d24.pdf, recours rejeté par CA Paris, 16 octobre 2007, précité. 38. CA Paris, 6 novembre 2007, précité ; cassation partielle par Cass.com., 4 novembre 2008, précité. 39. Le Figaro du 21 octobre 2010 ; Les Échos, 18 octobre 2010, « Cartes bancaires : les banques prêtes à revoir le niveau des commissions pour clore la plainte des distributeurs ». 40. Pour l’Autorité de la concurrence, l’entreprise est censée poursuivre les buts suivants : – bénéficier d’une accélération de la procédure de contribuer volontairement à la recherche des solutions appropriées aux préoccupations de concurrence identifiées, et – obtenir la clôture de l’affaire avant toute appréciation et toute qualification définitives des faits.

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Tout est affaire d’appréciation. Même convaincue que son comportement est licite41, s’il s’agit d’une question nouvelle, n’ayant pas encore donné lieu à des prises de position claires, si elle estime son système inoffensif42, ou encore, si elle considère ne plus être en position dominante et devoir bénéficier d’une plus large marge de manœuvre43, une entreprise peut être conduite à accepter de prendre des engagements pour desserrer l’étau autour d’elle, car en toute hypothèse il existe bien un présupposé négatif sur les stratégies mises en œuvre. Quoiqu’elle réfute le bien-fondé des « préoccupations de concurrence », elle se laissera donc imposer sinon le contenu des engagements du moins la démarche. De ce point de vue, on notera la différence existant entre le droit européen et le droit français puisque dans le premier cas seulement, la décision peut être prise après une notification de griefs, qui éclaire davantage l’entreprise sur ce qu’on pourrait lui imputer comme faute anticoncurrentielle. Pour l’entreprise poursuivie, les avantages espérés sont les suivants : –

éviter la médiatisation du dossier et une qualification de pratique illicite, afin de ne pas être exposée au risque de réitération en cas de poursuites ultérieures ;



diminuer (sinon éviter) le risque d’être condamnée à des dommages-intérêts dans d’éventuelles actions indemnitaires futures (c’est la raison pour laquelle les engagements doivent intervenir assez en amont, avant la notification de griefs en France, avant une décision définitive qualificative en Europe) ;



ajuster son comportement selon ses propres appréciations : elle dispose de l’initiative de ses propositions « de son plein gré » ;



construire l’engagement en fonction de son propre intérêt, et le cas échéant en minimisant son implication dans la mesure corrective proposée. Elle devra ici choisir entre engagements comportementaux (fréquemment préférés dans le cas où les préoccupations de concurrence sont elles-mêmes relatives à des

41. Exemple de la société Pierre Fabre qui continue de considérer, contre vents et marées, que l’interdiction des pure players est cohérente avec les exigences de son contrat de distribution sélective dans le secteur de la dermo-pharmacie (CA Paris, 27 janvier 2010, renvoi préjudiciel à la CJCE). 42. Décision n° 09-D-01 du 12 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par le CESAM dans le secteur de l’expertise des bateaux de plaisance, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/ avis/09d01.pdf. 43. Décision n° 09-D-12 du 18 mars 2009, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Vulco développement et le groupement d’intérêt économique Pneuman à l’égard de pratiques des sociétés Manufacture française des pneumatiques Michelin et Pneumatiques Kléber, § 54 et 55, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/09d12.pdf.

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comportements déviants44) ou des engagements structurels (possibles également, mais plus rares45) ; –

se concentrer sur le futur plutôt que sur le passé ;



mettre fin au contentieux dans des conditions les plus satisfaisantes, et peut-être – dans le courant de la procédure – trouver un arrangement avec le plaignant.

Les éléments négatifs ne sont toutefois pas à sous-estimer : –

d’abord, il faut bien reconnaître que la négociation se déroule sous la contrainte puisqu’elle est suggérée, souvent, par une autorité disposant d’un pouvoir de sanction : c’est pourquoi on a pu affirmer qu’elle devrait être exclue dans tous les cas où les pratiques examinées sont susceptibles d’être sanctionnées46 ;



une certaine publicité est assurée en France par un « test de marché » supposant la mise en ligne des propositions : les stratégies commerciales sont ainsi dévoilées et peuvent susciter des réactions de la part d’entreprises qui ne sont pas parties à la procédure ;



les engagements impliquent un changement dans la stratégie de l’entreprise alors qu’elle est persuadée de ne pas être en infraction ;



plus la taille de l’entreprise est importante, plus il est difficile d’obtenir l’adhésion de l’ensemble des services opérationnels ;



les engagements pris en France peuvent remettre en question une stratégie d’envergure européenne, alors que la situation n’est potentiellement anticoncurrentielle que dans un seul État membre ;



enfin, en France, ils ne sont pas possibles dans certaines affaires d’ententes horizontales, alors qu’il serait possible de trouver les remèdes adaptés47.

44. Comm. CE, décision du 16 décembre 2009 relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE, aff. COMP/C.3/39.530, Microsoft (vente liée), http:// eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2009:242:FULL:FR:PDF. 45. Comm. CE, décision 10/29 du 4 février 2010 relative à une procédure d’application de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 54 de l’accord EEE (http:// ec.europa.eu/competition/antitrust/cases/dec_docs/39315/39315_3020_9.pdf) : soupçonnée fortement d’abus de position dominante, ENI a proposé de vendre les parts qu’elle détient dans les gazoducs. Il s’agit donc d’une mesure corrective de nature structurelle, approuvée par la Commission qui a détecté des « problèmes graves » sur les marchés de l’énergie. 46. D. Waelbroeck, op. cit. 47. La décision n° 09-D-01 du 12 janvier 2009, précitée, relative à des pratiques mises en œuvre par le CESAM dans le secteur de l’expertise des bateaux de plaisance constitue toutefois un premier exemple, peut-être suivi par celui des banques.

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3.2.1.2 Comment jouer le jeu des engagements ? Pour l’entreprise, il importe que les engagements restent proportionnés aux déviations (mineures par hypothèse) anticoncurrentielles. Cette solution a été consacrée dans la décision Alrosa48 sans être totalement claire, et la proportionnalité reste difficile à mesurer, d’autant que de nombreuses incertitudes demeurent lors de la négociation avec l’Autorité. À moins que la procédure ait commencé par une demande de mesures conservatoires, l’entreprise qui s’engage ne dispose pas de tous les éléments, au moins jusqu’à l’évaluation préliminaire, ce qui signifie qu’elle a déjà presque dû donner son accord (en aveugle) sur cette orientation. Par la suite, toutes les parties ont accès à l’intégralité des documents sur lesquels s’est fondé le rapporteur pour effectuer l’évaluation préliminaire ainsi que ceux soumis à l’Autorité pour statuer. Les secrets d’affaires sont préservés comme dans les autres situations. Pour se lancer dans cette voie, l’entreprise doit avoir la conviction que ses propositions vont être acceptées par le collège au moins comme base de discussion. Une véritable négociation s’instaure, mais elle se fait en deux temps : la première discussion autour de la possibilité d’engagements commence avec le rapporteur qui se met en rapport avec le collège (le caractère non répressif de cette procédure n’impose pas de séparation entre les services d’instruction et le collège49). Dès lors, l’entreprise peut craindre, à juste titre, de devoir recommencer avec le collège la négociation commencée avec les rapporteurs. Elle aura donc tendance à « en garder un peu ». Il s’agit d’un jeu délicat dans la mesure où l’Autorité de la concurrence, sans rendre obligatoires tous les engagements, peut « donner acte » de propositions complémentaires. Cette éventualité exerce une forte pression, de même que le risque de voir la procédure normale reprendre son cours si la négociation échoue50. 3.2.1.3 Quels engagements proposer ? Il appartient à l’entreprise poursuivie de construire et d’imaginer les mesures correctives à proposer. Les tentations de biaiser sont fortes, tout comme pour les engagements souscrits dans le cadre d’une procédure de contrôle des concentrations. L’autorité de concurrence souffre d’une forte asymétrie d’informations dans les deux cas, même si c’est moins sensible dans l’hypothèse où sont soupçonnées des pratiques anticoncurrentielles. De ce point de vue, le test de marché est utile, sans pourtant présenter les garanties suffisantes que les engagements « testés » constitueront de véritables remèdes efficaces. C’est surtout vrai lorsque les concurrents ou 48. Alrosa, 11 juillet 2007, T-170/06, précitée. 49. CA Paris, 1er juin 2010, Canal 9, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/ca3_gie_independants_juin10.pdf ; il s’agit d’une procédure négociée, on ne peut donc pas parler d’immixtion du collège dans l’instruction. 50. Communiqué de procédure du 2 mars 2009, précité, point 40.

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clients de l’entreprise « testée » sont des PME qui n’ont pas réellement conscience des enjeux. 3.2.1.4 Le suivi des engagements Du point de vue du maintien de la concurrence, le suivi des engagements est la période de tous les dangers. Ce point (de même que les questions de la durée et de l’exécution) a fait l’objet d’une importante réflexion au regard, notamment, de l’article 9 du règlement n° 1/2003, et de la dernière partie du communiqué de procédure français. Le non-respect des engagements expose à des sanctions pécuniaires élevées. Mais encore faut-il que le périmètre des engagements soit précis : toute ambiguïté de rédaction rend d’autant plus difficile d’en exiger le respect. Il est bien évident que l’entreprise a pu construire les engagements dans le but de berner l’Autorité de la concurrence, et même si tel n’est pas le cas, elle profitera de toute imprécision de nature à minimiser son implication. Le plaignant, et les autres entreprises du marché, auront alors intérêt à rester en contact étroit avec l’Autorité pour l’éclairer et lui permettre d’apprécier complètement la situation. 3.2.2 Obtenir une réduction d’amende (avec ou sans mesures correctives) : non-contestation des griefs et transaction versus clémence de second rang Lorsqu’il est certain que les entreprises ont enfreint le droit de la concurrence, on peut les inciter à coopérer par la perspective d’un allègement de l’amende. Des règles adaptées sont censées permettre aux autorités de concurrence d’atteindre un double objectif : raccourcir les procédures, alors même que l’on s’oriente vers une sanction pécuniaire (non-contestation, transaction), ou récompenser l’apport d’informations et la facilitation de la preuve (clémence 2nd rang). « La non-contestation de griefs constitue une révolution en ce sens qu’elle fait intervenir une logique de négociation dans un droit jusqu’alors prescriptif et unilatéral », selon le président B. Lasserre51 qui évoque une « dose de négociation ». Régie par le point III de l’article L. 464-2 du Code de commerce, elle est librement inspirée du plea agreement américain dont elle s’éloigne cependant dans la mesure où, aux États-Unis, le prévenu renonce au procès, ce qui n’est pas le cas ici. Son succès a entraîné la création de la « transaction » du droit communautaire, beaucoup plus complexe à mettre en œuvre52. La clémence de second rang (art. L. 464-2 et R. 464-5 C. com.) constitue pour sa part une dénonciation de cartel un peu tardive, puisque l’Autorité dispose déjà des éléments apportés par le premier demandeur ou 51. B. Lasserre, « La non-contestation des griefs en droit français : bilan et perspectives d’un outil pionnier », op. cit., p. 94. 52. Règlement (CE) n° 622/2008 modifiant le règlement (CE) n° 773/2004 en ce qui concerne les procédures de transaction engagées dans les affaires d’entente, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/ LexUriServ.do?uri=OJ:L:2008:171:0003:0005:FR:PDF.

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par d’autres voies, mais elle est cependant jugée digne d’être récompensée par un allègement d’amende. 3.2.2.1 Points communs et différences Les situations dans lesquelles ces procédures peuvent jouer un rôle sont assez voisines : dans les deux cas, le choix de l’entreprise s’opère tardivement, après une notification de griefs permettant d’évaluer assez précisément la situation et les risques encourus. Il n’existe donc pas de doute sur la qualification des faits : la culpabilité de l’entreprise est établie sans contestation possible même si, en France, la noncontestation est censée ne pas valoir « aveu » ou reconnaissance de culpabilité, ce qui présente une importance pour une éventuelle action indemnitaire subséquente. Les pratiques sont graves, par définition, et censées entraîner un dommage à l’économie important : l’amende est donc certaine. Seul son montant est en question. Certaines différences doivent cependant être relevées. Quant au domaine, tout d’abord, puisque la clémence n’intéresse que les cartels alors que la non-contestation des griefs ou la transaction peuvent s’appliquer à toutes les infractions. Les réductions d’amendes sont également différentes : la réduction espérée par le demandeur de clémence de second rang ne peut excéder 50 % de l’amende qui, à défaut, lui aurait été infligée (Programme modèle UE, pt 11 et CP français, pt 20) : le calcul s’effectue sur le montant de base. Dans le cas de la non-contestation des griefs, l’intérêt est plus fort dans la mesure où le plafond légal est lui-même réduit de moitié (le plafond passe de 10 à 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise contrevenante). La transaction du droit communautaire donne droit à une réduction d’amende de 10 % qui peut se combiner avec les réductions pour clémence53. Enfin, la non-contestation du droit français peut s’accompagner d’engagements, mais ils ne sont pas testés, ce qui les rend beaucoup moins efficaces pour les « victimes ». Dernière différence à noter : la pratique décisionnelle de la Commission européenne est plus lisible en matière de clémence que celle de l’autorité française. 3.2.2.2 Critères de choix Nous nous bornerons ci-après à évaluer les avantages et inconvénients respectifs des deux procédures françaises de non-contestation des griefs ou clémence de second rang car c’est là que se concentrent les difficultés. Le mécanisme de calcul est complexe pour l’entreprise qui choisit de ne pas contester les griefs : la seule certitude est que le plafond légal « tombe » à 5 % du chiffre d’affaires. Pour le reste, une série d’augmentations (pour réitération par exemple) ou de réductions (pour engagements) s’imputent sur un montant de base 53. Commission européenne, 19 mai 2010, Communiqué de presse IP/10/586, « Ententes : la Commission inflige des amendes d’un montant de 331 millions d’euros aux producteurs de DRAM et conclut sa première transaction dans une affaire d’entente ».

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à la fois inconnu et imprévisible54. Pour l’Autorité, l’avantage espéré en termes d’accélération des procédures est ruiné par la possibilité qu’ont les différentes parties de mettre en œuvre des stratégies différentes : ainsi certains peuvent décider de ne pas contester les griefs (accréditant l’analyse du rapporteur sur l’existence de l’entente) tandis que les autres peuvent tenter de se défendre même si leurs arguments deviennent quasiment d’autant moins crédibles qu’ils seront analysés à travers le filtre de la non-contestation par une partie55. La réduction d’amende peut être « boostée » par des engagements. Elle est de 10 % pour une non-contestation « pure » : en effet, « la simple renonciation à contester les griefs, qui a principalement pour effet d’alléger et d’accélérer le travail de l’instruction en dispensant de la rédaction du rapport, notamment lorsqu’elle est choisie par l’ensemble des mis en cause, ne peut conduire à accorder aux entreprises en cause qu’une réduction forfaitaire et relativement limitée de la sanction encourue. C’est la qualité des engagements qui peut permettre d’accorder des contreparties plus substantielles »56. Elle peut donc atteindre de 25 à 30 % pour des engagements plus consistants, sans pouvoir dépasser 50 % en raison du souci de ne pas vampiriser la procédure de clémence. La seule vraie marge de négociation va donc concerner les engagements susceptibles d’être pris en complément, qui feront augmenter le taux de réfaction. Mais ces engagements n’étant pas « testés », l’Autorité de la concurrence peut être bernée. En d’autres termes, cette procédure se révèle très intéressante pour les entreprises contrevenantes par son fort taux de prévisibilité comparé aux autres hypothèses où une sanction est encourue. 3.2.3 Une question française : la clémence de second rang conserve-t-elle un intérêt ? La clémence de second rang peut se combiner avec la non-contestation des griefs57, contrairement à ce que l’Autorité française avait annoncé dans son rapport pour 2005. La première décision de transaction de la Commission européenne qui vient 54. Rapport Folz-Raysseguier-Schaub sur « L’appréciation de la sanction en matière de pratiques anticoncurrentielles », 20 septembre 2010, http://www.lesechos.fr/medias/2010/0920//020801853770_ print.pdf ; Décision n° 09-D-24 du 28 juillet 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques fixes dans les DOM, http://www.arcep. fr/fileadmin/reprise/textes/juris/2009/09-d-24.pdf. 55. Décision n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales ; recours rejeté par CA Paris, 5 janvier 2010, http://www.economie.gouv.fr/directions_services/dgccrf/boccrf/2010/10_02/arretca_transport.pdf. 56. Décision n° 08-D-29 du 3 décembre 2008 relative à des pratiques relevées dans le secteur des marchés publics d’entretien de menuiserie métallerie serrurerie, http://www.cnrs.fr/aquitaine-limousin/ IMG/pdf/CC08d29.pdf. 57. Décision n° 07-D-48 du 18 décembre 2007, aff. des déménageurs, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/07d48.pdf ; décision n° 08 D 32 du 16 décembre 2008, aff. du cartel des aciers, précitée ; CA Paris, 19 janvier 2010, précité.

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d’être rendue combine transaction et clémence de second rang. Cette combinaison constitue-t-elle un multiplicateur des deux possibilités de réduction, ou au contraire l’une des procédures parasite-t-elle l’autre ?58 La non-contestation des griefs « sécurise » le dossier pour les protagonistes et limite les risques actuels et ultérieurs en cas d’action indemnitaire, puisqu’elle ne constitue « ni un aveu ni une reconnaissance de responsabilité »59. Purement passive, si l’entreprise ne prend pas d’engagements, elle fait chuter le plafond légal de l’amende de moitié. Au contraire, la clémence de 2nd rang demande une plus grande implication (démonstration que les éléments de preuve apportés présentent une « valeur ajoutée significative »), une reconnaissance de culpabilité, une coopération permanente tout au long de la procédure et n’est pas très bien rémunérée par comparaison. Le résultat peut être décevant (cf. aff. des aciers précitée). En l’état actuel du droit, aucun intérêt évident n’accompagne cette démarche.

4 CONCLUSION Au terme de cette étude, il est manifeste que les nouveaux instruments du droit de la concurrence ont conquis droit de cité et sont pris en considération par les entreprises, tant contrevenants que « victimes » de pratiques anticoncurrentielles. Conçus pour améliorer l’efficacité des autorités de concurrence à moindre coût, ils sont d’autant plus attractifs qu’ils se révèlent lisibles et suffisamment prévisibles dans leur mise en œuvre. À la fois moyens de défense ou armes d’attaque, ils reposent dans des proportions variables sur la négociation avec les autorités. Le revers de la médaille réside dans la limitation du rôle du juge, les difficultés pour l’autorité d’apprécier la valeur réelle des engagements (même « testés ») et l’insuffisance du suivi de leur exécution. Mais le succès est au rendez-vous et les prochaines années permettront les mises au point qui s’imposent.

58. J. Philippe (dir.), chronique de jurisprudence, Gaz. Pal., 5 juin 2010, n° 156, p. 14. 59. CA Paris, 29 janvier 2008, aff. des chauffagistes, recours contre la décision n° 06-D-03 bis rendue le 9 mars 2006, http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/ca06d03_chauffagistes.pdf. On joue sur les mots, car une victime souhaitant engager une action indemnitaire se prévaudra de la décision qui qualifie bel et bien une pratique anticoncurrentielle.

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SUMMARY : NEGOTIATED PROCEDURES AND FIRMS STRATEGIES Leniency programs, settlements and other forms of transaction have the same purpose. It is to facilitate relations between competition authorities and firms in order to speed up case handling and to ensure a more efficient enforcement of competition law. The French Competition Authority and the EU Commission have developed similar practices. With fines increasing, firms are worried about legal uncertainty. As a result firms are developing new strategies, both defensive and aggressive ones. In this new situation, the viable solution for a firm is a strategy that addresses both concerns at the same time : reduce the sanctions and comply with reasonable requirements of competition law. Mots clés : transaction, clémence, entente, engagements, sanction, procédure négociée, sécurité juridique, concurrence raisonnable Keywords : transaction, settlement, cartel, leniency, incentives, sanctions, bargaining, legal uncertainty, reasonable competition