REALISME

financières, matérielles et humaines de l'aide internationale devront être redistribuées sur un éventail ...... Union Internationale des Télécommunications.
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NUMÉRO 5 | DÉCEMBRE 2015

Des Objectifs du Millénaire pour le Développement aux Objectifs du Développement Durable, la place de la santé dans le nouvel agenda mondial pour le développement Christelle Cazabat

www.equitesante.org/chaire-realisme/cahiers RECHERCHES APPLIQUÉES CAHIERS INTERVENTIONNELLES

Numéro 5, Décembre 2015 | 2

Des Objectifs du Millénaire pour le Développement aux Objectifs du Développement Durable, la place de la santé dans le nouvel agenda mondial pour le développement Christelle Cazabat

Numéro 5, Décembre 2015 | 1

Auteure : •

Christelle Cazabat, PhD Correspondance: [email protected] Université Paris-Sorbonne, Ecole Doctorale IV - Civilisations, cultures, littératures et sociétés, Paris, France

Remerciements : L’auteure transmet ses remerciements à Valéry Ridde pour sa bienveillante relecture et ses précieuses recommandations pour l’amélioration de cet article.

Les auteurs sont entièrement responsables de la qualité scientifique de la recherche qui fait l’objet de la présente publication.

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Résumé La santé tenait une place prépondérante dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Sur 8 objectifs, 3 étaient directement consacrés à la santé et trois autres comprenaient une cible directement liée à la santé. Cette attention particulière portée aux objectifs sanitaires dans le cadre des OMD a mené à une augmentation des financements dans le domaine de la santé. Ces fonds supplémentaires ont notamment permis des progrès significatifs dans la lutte contre le paludisme ou le VIH/Sida, mais n’ont pas suffi à atteindre la plupart des cibles fixées en 2000. On compte au niveau mondial 2 cibles sanitaires atteintes contre 6 non atteintes et une dernière difficile à évaluer. D’importantes disparités sont apparues entre les pays mais également au sein des pays entre différentes régions ou différents groupes de population. Quinze ans après le lancement de cette initiative novatrice, l’heure est venue de faire le point sur les forces et les faiblesses des OMD, afin de mieux préparer le nouveau programme de développement pour 2030 : les Objectifs du Développement Durable (ODD). Issus d’un processus d’élaboration beaucoup plus inclusif que les OMD, les ODD comprennent 17 objectifs et 169 cibles contre 8 objectifs et 21 cibles pour leurs prédécesseurs. L’une des conséquences de cette extension est l’introduction de domaines auparavant exclus, comme l’accès à l’énergie ou à la justice. On note également davantage d’interaction entre les différents objectifs et leurs cibles, traduisant l’interconnexion entre les différents domaines du développement comme la santé, l’égalité des sexes ou l’environnement. Il semble tout d’abord que la santé ait considérablement perdu de l’envergure dans ce nouveau cadre, passant de 3 objectifs sur 8 à un seul sur 17. Mais comme pour les OMD, plusieurs ODD consacrés à d’autres domaines contiennent une cible liée à la santé. Il faut également s’attarder sur l’objectif 3 de « bonne santé et de bien être pour tous à tout âge » pour constater que le portefeuille de cibles sanitaires s’est en réalité élargi depuis les OMD. Il intègre désormais les maladies non transmissibles et la santé mentale, la lutte contre les stupéfiants ou encore l’assurance santé. Beaucoup jugent déjà que les ambitieux Objectifs du Développement Durable sont irréalisables, notamment en raison du coût qui se chiffrerait, selon la Banque Mondiale, en milliers de milliards de dollars, mais aussi en raison de difficultés organisationnelles ou techniques. L’année 2016 devra donc être celle des réformes et des innovations, tant pour la collecte des données que pour la mise en place de nouveaux partenariats et la mobilisation de financements supplémentaires. Si certains programmes ont déjà commencé à appliquer les recommandations des nouveaux ODD, la plupart nécessiteront un temps d’adaptation qui pourrait ralentir les taux de progression actuels. Il reste à espérer que l’efficacité accrue du nouveau cadre de développement permettra de rattraper ce retard au démarrage pour continuer à améliorer les conditions de vie des populations et la protection des ressources naturelles d’ici à 2030.

Mots-clés : Objectifs du Millénaire pour le Développement, Objectifs du Développement Durable, santé publique, Nations Unies, cadre mondial de développement

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1. Introduction En septembre dernier, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté un nouveau programme mondial qui devra guider les efforts de l’ensemble des acteurs du développement jusqu’à 2030. Ces Objectifs du Développement Durable (ODD) prennent la suite des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) qui avaient été lancés en l’an 2000 et sont arrivés à échéance cette année. Alors que la santé tenait une place prépondérante dans les OMD, au détriment, selon certains d’autres objectifs de développement comme les infrastructures de base, les droits humains, la sécurité ou l’environnement1, 2, 3, les ODD ne comptent plus qu’un seul objectif consacré à la santé. Si l’on peut dire que les objectifs sanitaires ont été au cœur du programme mondial de développement de 2000 à 2015, les objectifs environnementaux semblent les avoir détrônés pour les quinze prochaines années. Les 17 Objectifs du Développement Durable et leurs 169 cibles couvrant des domaines aussi divers que la lutte contre la pauvreté, l’éducation, la sécurité routière, l’accès à l’énergie ou l’exploitation durable des océans démontrent une ambition sans précédent de la part de la communauté internationale. Les premières estimations de la Banque Mondiale4 chiffrent à plusieurs milliers de milliards de dollars les fonds nécessaires pour atteindre ces objectifs, alors que l’aide publique au développement se compte aujourd’hui en milliards de dollars. Si l’attention particulière portée aux objectifs sanitaires dans le cadre des OMD a mené à une augmentation des financements dans le domaine de la santé3, 5, ces fonds supplémentaires n’ont pas suffi à atteindre la plupart des cibles fixées. Dans le nouveau contexte où les ressources financières, matérielles et humaines de l’aide internationale devront être redistribuées sur un éventail d’objectifs beaucoup plus large, il est à craindre que les progrès réalisés en matière de santé connaissent un ralentissement, voire une régression. Cet article a pour but d’analyser la place réservée à la santé dans le nouveau programme mondial de développement en s’attardant notamment sur l’objectif trois de « bonne santé et de bien être pour tous à tout âge » ainsi que sur d’autres objectifs contenant une cible liée à la santé, pour montrer que le portefeuille de cibles sanitaires s’est en réalité élargi depuis les OMD. Il intègre désormais les maladies non transmissibles et la santé mentale, la lutte contre les stupéfiants ou encore l’assurance santé, qui étaient auparavant exclues. Cette analyse détaillée du cadre des ODD devra permettre aux acteurs du secteur de la santé de mieux connaitre le nouveau programme d’aide internationale afin d’en tirer un meilleur parti lors de leurs propositions de projets ou de leurs appels de fonds. Une réflexion sur les défis et les avancées attendues dans la mise en œuvre des ODD laissera entrevoir de nouvelles pistes pour l’élaboration de projets multi-sectoriels, multi-partenaires, plus durables et plus efficients.

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2. Bilan des OMD en matière de santé La santé tenait une place prépondérante dans les OMD. On peut bien entendu avancer que, dans les faits, tous les objectifs de développement influent sur la santé, et inversement6. L’Organisation Mondiale de la Santé a ainsi établi dès 2005 une commission des déterminants sociaux de la santé, dont le rapport final publié en 2008 recommande d’améliorer les conditions de vie quotidienne, de lutter contre les inégalités dans la répartition du pouvoir, de l’argent et des ressources pour améliorer la santé de chacun7. Les études ont montré que le niveau d’éducation des femmes a notamment un impact direct sur la santé maternelle et infantile. Parallèlement, des personnes en bonne santé sont plus à même de trouver un emploi ou de réussir leurs études6. Mais la santé tenait également une place centrale dans la structure même des OMD (voir encadré 1).

Encadré 1 : les Objectifs du Millénaire pour le Développement Objectif 1 : Réduction de l’extrême pauvreté et de la faim Objectif 2 : Assurer l’éducation primaire pour tous Objectif 3 : Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes Objectif 4 : Réduire la mortalité infantile et post-infantile Objectif 5 : Améliorer la santé maternelle Objectif 6 : Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies Objectif 7 : Préserver l’environnement Objectif 8 : Mettre en place un partenariat pour le développement Source : Nations Unies, 20018

Sur huit objectifs, trois étaient directement consacrés à la santé : l’OMD 4 visant à réduire la mortalité infantile, l’OMD 5 d’amélioration de la santé maternelle et l’OMD 6 visant à combattre le VIH/Sida, le paludisme et d’autres maladies. Trois autres comprenaient une cible liée à la santé : l’OMD 1 et sa cible d’élimination de la faim, la malnutrition étant liée à 45% des décès d’enfants de moins de cinq ans9, l’OMD 8 et sa cible consacrée à la disponibilité de médicaments essentiels dans les pays en développement, et enfin l’OMD 7 sur la préservation de l’environnement et sa cible d’accès à l’eau potable et à des services d’assainissement de base. L’insuffisance de ces infrastructures de base cause le décès de près de 1000 enfants de moins de cinq ans par jour et influe sur 16 des 17 maladies tropicales négligées qui touchent plus d’1,5 milliard de personnes en provoquant des handicaps ou des décès10. Cette attention particulière portée aux objectifs sanitaires dans le cadre des OMD a mené à une augmentation des financements dans le domaine de la santé. Le rapport mondial de suivi sur les OMD fait ainsi état d’un décuplement des financements internationaux consacrés au paludisme depuis 20005. Le Fonds Mondial, créé en 2002, a apporté plusieurs milliards de dollars chaque année à la lutte contre le VIH/Sida, le paludisme et la tuberculose3. Ces fonds supplémentaires

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ont permis des progrès significatifs dans la lutte contre le paludisme ou le VIH/Sida, mais n’ont pas suffi à atteindre la plupart des cibles fixées en 2000. La cible d’avoir enrayé la propagation du VIH/sida et fourni un traitement à tous ceux qui en ont besoin n’a pas été atteinte, mais les nouvelles infections ont diminué de 40% depuis 2000. Moins de 50% des personnes vivant avec le VIH reçoivent un traitement antirétroviral, mais leur nombre est en rapide augmentation11. La cible d’avoir maîtrisé le paludisme et commencé à inverser la tendance actuelle est considérée comme atteinte par les Nations Unies, avec une diminution de 58% du taux de mortalité paludéenne et de 37% du taux d’incidence. On dénombre cependant encore 1300 décès par jour liés au paludisme dans le monde11. On compte ainsi au niveau mondial deux cibles sanitaires atteintes (la lutte contre le paludisme et l’accès à l’eau potable) contre cinq non atteintes (la lutte contre la faim, la réduction de la mortalité infantile et maternelle, la lutte contre le VIH/Sida et l’accès à l’assainissement) et une dernière difficile à évaluer (l’accessibilité des médicaments dans les pays en développement). D’importantes disparités sont apparues entre les pays mais également au sein des pays, entre différentes régions ou différents groupes de population. Au Cameroun par exemple, les données de l’Institut National de la Statistique montrent que les populations Kako, Meka ou Pygmées ont une prévalence moyenne du VIH/Sida de 7,4%, contre une moyenne 1,6% pour les populations Biu-Mandera et de 3,1% pour les Arabes-Choa, les Peulhs, les Haoussa ou les Kanuri12. En Afrique centrale, la proportion des naissances assistées par un personnel soignant qualifié est 52 points de pourcentage moins élevée en zone rurale qu’en zone urbaine5. Cependant, le Secrétaire Général des Nations Unies Ban Ki Moon considère que « la mobilisation mondiale en faveur des objectifs du Millénaire pour le développement est le mouvement de lutte contre la pauvreté le plus réussi de l’histoire » 5. En effet, des progrès sans précédents ont été atteints à l’échelle mondiale sur l’ensemble des objectifs. Grâce à l’attention générée par l’initiative, l’aide publique au développement a augmenté de 66% en termes réels entre 2000 et 20145. Le poids de la dette des pays en développement a considérablement diminué, le rapport du service de la dette extérieure aux recettes d’exportation des pays en développement ayant chuté de 12 % en 2000 à 3 % en 20135. Les OMD ont fourni un cadre commun pour de nombreux pays qui les ont intégrés dans leurs stratégies de développement, et pour les donateurs qui y ont consacré la majeure partie de leurs fonds au cours des 15 dernières années. Ils ont également encouragé la production de données sur le développement plus nombreuses et de meilleure qualité, et facilité leur communication au grand public dans une plus grande transparence.

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3. Une nécessaire reformulation des objectifs mondiaux de développement Malgré ces résultats impressionnants, d’importantes critiques ont été émises à l’encontre des OMD. Tout d’abord, la concentration quasi exclusive de la communauté internationale sur un nombre limité d’objectifs principalement sanitaires. D’autres problèmes importants ont été relégués au second plan pendant les 15 dernières années, tels que la sécurité, le respect des droits humains ou l’accès à l’électricité et au transport, qui pouvaient être prioritaires pour certains pays, ou le sont devenus depuis1, 2, 3. Cette quasi-exclusivité de l’aide internationale sur les objectifs retenus implique un certain consensus de l’ensemble des acteurs du développement, dont les OMD n’ont pas fait l’objet. Le processus de sélection des objectifs par les Nations Unies a été critiqué pour l’absence de consultation des autres partenaires, notamment les organisations de la société civile et les populations bénéficiaires1, 13. Une autre critique communément émise est le fait que les OMD concernent davantage les pays à faibles revenus que les pays à revenus élevés14. Si les objectifs de plein-emploi, de lutte contre le VIH/Sida et de protection de l’environnement sont pertinents pour tous les pays, les autres OMD étaient déjà pratiquement atteints par l’ensemble des pays à revenu élevé en 2000. L’égalité des sexes constitue également une priorité dans tous les pays mais la cible retenue pour l’OMD 3, la parité dans l’enseignement, était déjà atteinte dans les pays à revenus élevés en 2000. Les pays à faibles revenus présentent les besoins les plus criants en matière de développement mais les priorités des autres groupes de pays doivent également être intégrées afin d’assurer leur participation active, notamment financière. Les problématiques mondiales comme la gestion des ressources naturelles et la lutte contre le changement climatique nécessitent la contribution de tous les pays. De plus, le profil de la pauvreté a évolué depuis le début du 21ème siècle. Alors qu’en 1990, 93% des pauvres vivaient dans des pays à faibles revenus, près de 75% d’entre eux vivraient désormais dans des pays à revenus intermédiaires15. Dans le domaine de la santé, l’essor des maladies non transmissibles dans les pays à revenus élevés ou intermédiaires a également changé la donne16. Les OMD ont mis en relief d’autres disparités au sein même des pays. Le choix d’indicateurs simples, concrets et aisément mesurables a facilité leur intégration dans les politiques de développement au niveau local, national et international, ainsi que leur suivi par les populations. Cependant, l’utilisation de moyennes nationales a occulté l’existence d’inégalités croissantes au sein des pays, notamment entre les milieux urbains et ruraux, entre les régions ou entre certains groupes de populations1, 2. Un pays peut ainsi présenter des progrès importants à l’échelle nationale mais connaître des dégradations localisées. La fragmentation des OMD est également au cœur des débats. Dans le domaine de la santé, la présence de trois objectifs distincts a été critiquée pour avoir divisé les acteurs et les financements en créant une concurrence entre les programmes de lutte contre la mortalité infantile, la mortalité maternelle, le VIH/Sida, le paludisme et les autres maladies transmissibles

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plutôt que d’encourager leur collaboration3. La prévalence du VIH/Sida et du paludisme a une influence capitale sur le taux de mortalité infantile, qui est aussi directement affecté par le taux de mortalité maternelle. De plus, les OMD ont omis des points essentiels tels que l’accès universel à un système de santé de qualité et les maladies non-transmissibles. En 2010, elles ont causé deux décès sur trois à travers le monde et seront la première cause de décès en Afrique d’ici 203016. Elles menacent autant les pays à faibles revenus que ceux à revenus intermédiaires ou élevés. En 2010, lors du Sommet sur les OMD, le Secrétaire Général des Nations Unies a donc été invité par les États Membres à lancer les premières réflexions sur un nouvel agenda du développement pour l’après-201517. Mais l’étape généralement considérée comme fondamentale dans l’élaboration des Objectifs du Développement Durable est la conférence Rio + 20 en 2012, dont le document final intitulé L’avenir que nous voulons18 pose les bases du nouveau cadre qui doit couvrir les trois dimensions du développement durable (sociale, économique et environnementale), poursuivre les efforts commencés avec les OMD et impliquer tous les acteurs du développement. Le document pose également la création d’un Groupe de Travail Ouvert chargé de la rédaction des ODD. Parallèlement, le Groupe de haut niveau de personnalités éminentes, l’Équipe spéciale du système des Nations Unies, le Réseau des solutions pour le développement durable, le Pacte mondial des Nations Unies et plusieurs dizaines de consultations nationales, régionales, mondiales et thématiques ont réuni des partenaires multinationaux, gouvernementaux, nongouvernementaux et académiques afin de rédiger des propositions pour les nouveaux ODD19. Les populations, organisations de la société civile et entreprises du secteur privé du monde entier ont pu voter pour les domaines qu’elles jugeaient prioritaires, par le biais du site Internet My World ou à travers des questionnaires papier distribués par des volontaires des Nations Unies. Près de 8,5 millions de votes ont été enregistrés à ce jour. Suite à ces différentes propositions, des négociations intergouvernementales entre les membres des Nations Unies ont eu lieu dans la première moitié de l’année 2015 et ont abouti à un document final présenté le 2 août et adopté le 25 septembre. Il est intitulé Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 203020.

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4. Principales différences entre les OMD et les ODD Au-delà du processus d’élaboration beaucoup plus inclusif que pour les OMD, la première différence entre l’ancien et le nouvel agenda du développement est le nombre d’objectifs et de cibles sélectionnés. Les OMD comprenaient huit objectifs et 21 cibles, mesurés par 60 indicateurs. Les ODD comprennent 17 objectifs et 169 cibles, et les négociations sont en cours pour proposer plus de 200 indicateurs afin de mesurer les progrès dans ces différents domaines (voir encadré 2). La concentration des efforts du développement sur une sélection réduite de domaines prioritaires, qui avait fait la force des OMD mais aussi suscité de nombreuses critiques, n’est donc plus d’actualité. Encadré 2 : les Objectifs de développement durable Objectif 1. Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde Objectif 2. Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable Objectif 3. Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge Objectif 4. Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie Objectif 5. Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles Objectif 6. Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau Objectif 7. Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable Objectif 8. Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous Objectif 9. Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation Objectif 10. Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre Objectif 11. Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables Objectif 12. Établir des modes de consommation et de production durables Objectif 13. Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions* Objectif 14. Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable Objectif 15. Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des terres et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité Objectif 16. Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous Objectif 17. Renforcer les moyens de mettre en œuvre le Partenariat mondial pour le développement durable et le revitaliser * Étant entendu que la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques est la principale structure intergouvernementale et internationale de négociation de l’action à mener à l’échelle mondiale face aux changements climatiques.

Source : Nations Unies, 201520

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L’une des conséquences de cette extension est l’introduction de domaines auparavant exclus, comme l’accès à l’énergie, la construction d’infrastructures résilientes, la promotion de l’industrialisation et de l’innovation, la réduction des inégalités, la promotion de sociétés pacifiques ou l’accès à la justice. L’ensemble des OMD a été retranscrit dans le nouveau cadre, parfois restructurés. Ainsi l’OMD 7 de protection de l’environnement a été redistribué en quatre objectifs distincts tandis que les OMD sanitaires 4, 5 et 6 sont désormais regroupés sous forme de cibles sous un seul objectif consacré à la santé. Une autre différence majeure entre les OMD et les ODD est l’apparition de nombreuses cibles absolues comme « éliminer complètement l’extrême pauvreté dans le monde entier » (ODD 1) ou « éliminer la faim » (ODD 2). Ces cibles, ainsi que l’ampleur du nouveau cadre, traduisent l’ambition de ses corédacteurs d’aller plus loin dans le développement. Cependant, de nombreuses autres cibles ne présentent aucun objectif chiffré, comme « augmenter considérablement le nombre de jeunes et d’adultes disposant des compétences nécessaires à l’emploi » (ODD 4) ou « faire une place aux soins et travaux domestiques non rémunérés et les valoriser » (ODD 5). On peut y voir une volonté de laisser le soin à chaque pays d’établir ses propres cibles, notamment face à la difficulté de proposer des cibles valables à la fois pour les pays à faibles revenus et les pays à revenus élevés, compte tenu de leurs écarts de départ. De manière plus critique, on pourrait également y voir l’aveu de la difficulté attendue dans la réalisation de ces cibles nombreuses et ambitieuses : alors que la plupart des cibles des OMD n’ont pas été atteintes en 2015, éviter les objectifs chiffrés permettra également d’éviter un bilan aussi tranché en 2030. Les ODD introduisent également une nouvelle forme de cibles : les cibles de mise en œuvre, qui viennent compléter les cibles traditionnelles d’impact sur les populations. Les cibles d’impact sur les populations, similaires à celles des OMD, visent à atteindre un objectif ressenti par les bénéficiaires (comme un accès à une eau de meilleure qualité). Elles sont distinguées par des chiffres (1.2, 3.5, 5.6…) dans le document-cadre20. Les cibles de mise en œuvre visent à adopter une méthode particulière devant faire progresser l’objectif concerné, comme entreprendre des réformes visant à donner aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes, ou élaborer une stratégie mondiale en faveur de l’emploi des jeunes. Elles sont distinguées par des lettres (1.a, 5.b, 10.c…). Ce nouveau type de cibles représente 62 cibles sur 169, soit 37% des cibles du nouveau cadre mondial de développement. Chaque objectif contient entre deux et quatre cibles de mise en œuvre et l’objectif 17 est entièrement consacré aux moyens de mise en œuvre. L’objectif trois consacré à la santé est, hormis l’objectif 17, celui qui comprend le plus de cibles de ce type, puisqu’il en compte quatre (voir encadré 3). Le document-cadre des Nations Unies précise que « Les cibles relatives aux moyens de mise en œuvre (…) sont déterminantes pour la réalisation du Programme et ont la même importance que les autres cibles et objectifs »20. La plupart de ces cibles rappellent la nécessité d’appliquer les conventions internationales déjà adoptées, comme la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la Santé pour la lutte antitabac (cible 3.a) ou le Pacte mondial pour l’emploi de l’Organisation internationale du Travail (cible 8.b). D’autres encouragent la mobilisation de ressources financières pour atteindre les différents objectifs, comme l’augmentation des bourses d’études offertes aux pays en développement (cible 4.b) ou la stimulation de l’aide publique au développement et des investissements étrangers directs (cible 10.b). Certaines insistent sur le transfert de technologies par le biais d’un mécanisme mondial de facilitation des technologies (cible 17.6), le transfert de techniques marines (cible 14.a) ou encore le renforcement des capacités des pays en développement en matière d’eau

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et d’assainissement (cible 6.a). D’autres enfin recommandent des approches de suivi, de bonne gouvernance, de participation citoyenne ou de réforme législative ou politique. Le Réseau européen du développement durable note que les cibles de mise en œuvre sont plus « larges et sujettes à interprétation » que les cibles d’impact, « plus spécifiques, précises et avec des délais de réalisation clairs »19. Aucune cible de mise en œuvre ne contient en effet d’objectif chiffré. Leur but semble plutôt être de proposer des lignes directrices pour faciliter la réalisation des objectifs du développement durable tout en laissant la possibilité de les adapter aux contextes nationaux. Alors que les OMD s’adressaient en premier lieu au grand public avec un nombre restreint d’objectifs, des formules simples et des cibles chiffrées facilitant le suivi des résultats, les ODD prennent davantage la forme d’un guide à l’intention des acteurs du développement, plus complet et plus complexe, avec des conseils de mise en œuvre et des cibles ajustables. Enfin, on note davantage d’interaction entre les différents objectifs et leurs cibles, traduisant l’interconnexion entre les différents domaines du développement comme la santé, l’égalité des sexes ou l’environnement. Ainsi, dans l’ODD 5 d’égalité des sexes, on retrouve une cible consacrée à l’accès aux soins de santé sexuelle et procréative. La réduction des inégalités dispose d’un objectif à part, l’ODD 10, mais est également intégrée à tous les autres objectifs, par le biais des mentions « équitable », « ouvert à tous » ou « partagée ». Plus particulièrement, la dimension environnementale du développement durable est intégrée à tous les autres objectifs et amplifiée avec, outre la traduction de l’OMD 7 en quatre objectifs distincts, l’introduction de nouveaux objectifs consacrés à l’énergie durable, aux modes de consommation et de production durables et à la lutte contre les changements climatiques.

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Encadré 3 : Objectif de développement durable 3 « Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge » 3.1 D’ici à 2030, faire passer le taux mondial de mortalité maternelle au-dessous de 70 pour 100 000 naissances vivantes 3.2 D’ici à 2030, éliminer les décès évitables de nouveau-nés et d’enfants de moins de 5 ans, tous les pays devant chercher à ramener la mortalité néonatale à 12 pour 1 000 naissances vivantes au plus et la mortalité des enfants de moins de 5 ans à 25 pour 1 000 naissances vivantes au plus 3.3 D’ici à 2030, mettre fin à l’épidémie de sida, à la tuberculose, au paludisme et aux maladies tropicales négligées et combattre l’hépatite, les maladies transmises par l’eau et autres maladies transmissibles 3.4 D’ici à 2030, réduire d’un tiers, par la prévention et le traitement, le taux de mortalité prématurée due à des maladies non transmissibles et promouvoir la santé mentale et le bien-être 3.5 Renforcer la prévention et le traitement de l’abus de substances psychoactives, notamment de stupéfiants et d’alcool 3.6 D’ici à 2020, diminuer de moitié à l’échelle mondiale le nombre de décès et de blessures dus à des accidents de la route 3.7 D’ici à 2030, assurer l’accès de tous à des services de soins de santé sexuelle et procréative, y compris à des fins de planification familiale, d’information et d’éducation, et la prise en compte de la santé procréative dans les stratégies et programmes nationaux 3.8 Faire en sorte que chacun bénéficie d’une assurance-santé, comprenant une protection contre les risques financiers et donnant accès à des services de santé essentiels de qualité et à des médicaments et vaccins essentiels sûrs, efficaces, de qualité et d’un coût abordable 3.9 D’ici à 2030, réduire nettement le nombre de décès et de maladies dus à des substances chimiques dangereuses et à la pollution et à la contamination de l’air, de l’eau et du sol 3.a Renforcer dans tous les pays, selon qu’il convient, l’application de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la Santé pour la lutte antitabac 3.b Appuyer la recherche et la mise au point de vaccins et de médicaments contre les maladies, transmissibles ou non, qui touchent principalement les habitants des pays en développement, donner accès, à un coût abordable, à des médicaments et vaccins essentiels, conformément à la Déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique, qui réaffirme le droit qu’ont les pays en développement, pour protéger la santé publique et, en particulier, assurer l’accès universel aux médicaments, de recourir pleinement aux dispositions de l’Accord sur les ADPIC qui ménagent une flexibilité à cet effet 3.c Accroître considérablement le budget de la santé et le recrutement, le perfectionnement, la formation et le maintien en poste du personnel de santé dans les pays en développement, notamment dans les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement 3.d Renforcer les moyens dont disposent tous les pays, en particulier les pays en développement, en matière d’alerte rapide, de réduction des risques et de gestion des risques sanitaires nationaux et mondiaux

Source : Nations Unies, 201520

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En matière de santé, la première réflexion qui vient à l’esprit en considérant le nouveau cadre de développement est qu’elle a considérablement perdu de l’envergure au profit de l’environnement. La santé passe en effet de 3 objectifs sur 8 à un seul sur 17, tandis que les questions environnementales passent de 1 objectif sur 8 à 7 sur 17. Le discours officiel est cependant d’insister sur le fait que la santé est aussi bien une condition préalable au développement durable qu’une de ses conséquences, et un moyen de mesurer les progrès accomplis6. Cela rejoint les efforts de l’Organisation Mondiale de la Santé en faveur d’une reconnaissance de l’importance des déterminants sociaux de la santé7, et l’on peut voir dans ce nouveau cadre de développement plus intégré le résultat des travaux en ce sens. En effet, les personnes malades sont moins capables de travailler ou de suivre un enseignement et donc d’atteindre un meilleur niveau de développement. Sans développement durable, sans eau potable ou sans nourriture suffisante et nutritive dans le cas d’une grave sècheresse par exemple, la santé est nécessairement affectée. Enfin, si tous les objectifs du développement sont atteints, que les individus bénéficient d’un emploi décent, ne souffrent ni de la violence ni de la malnutrition, ils seront en meilleure santé. La santé est donc une condition, une conséquence et un indicateur de développement. Comme pour les OMD, plusieurs ODD consacrés à d’autres domaines contiennent une cible liée à la santé. C’est le cas de l’objectif d’alimentation saine, nutritive et suffisante (ODD 2), de l’objectif d’égalité des sexes (ODD 5) qui couvre notamment l’accès à la santé sexuelle et procréative, de l’objectif d’accès à l’eau potable et aux services d’assainissement (ODD 6) et de l’objectif de consommation et de production durable (ODD 12) qui couvre les effets négatifs des produits chimiques et des déchets sur la santé. Il faut également s’attarder sur l’objectif 3 de « bonne santé et de bien être pour tous à tout âge » pour constater que le portefeuille de cibles sanitaires s’est en réalité élargi depuis les OMD (voir encadré 3). L’ODD 3 contient en effet 13 cibles, contre neuf au total pour l’ensemble des OMD. Outre les cibles déjà comprises dans les OMD, le nouvel objectif comprend des cibles consacrées aux maladies non transmissibles et à la santé mentale, à la lutte contre les stupéfiants et l’alcool, aux accidents de la route, à l’assurance santé, aux substances chimiques dangereuses et à la pollution. Il étend la cible de lutte contre le sida et le paludisme à la tuberculose, aux maladies tropicales négligées, à l’hépatite, aux maladies transmises par l’eau et aux autres maladies transmissibles. Les quatre cibles de mise en œuvre visent quant à elles à appliquer la convention de l’OMS contre le tabac, à appuyer la recherche de vaccins et de médicaments, à accroitre le budget et la formation du personnel de santé et à renforcer la gestion de risques sanitaires nationaux et mondiaux. On peut ici faire le lien avec l’épidémie d’Ebola en pleine négociation des ODD, qui a remis au premier plan la question des risques sanitaires mondiaux.

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5. Principales améliorations et difficultés attendues dans le cadre du nouvel agenda L’un des premiers changements positifs par rapport aux OMD a été la volonté d’intégrer l’ensemble des acteurs et des bénéficiaires au processus d’élaboration du nouvel agenda. L’idée de poursuivre ce partenariat dans la mise en oeuvre des ODD peut également être salué. En effet, il n’est plus aujourd’hui d’actualité, comme ça l’était à la fin du 20ème siècle, de laisser aux seuls États donateurs la responsabilité du développement. Le début du 21ème siècle a vu l’essor de nouveaux acteurs avec lesquels il faut aujourd’hui compter, comme les pays à revenus intermédiaires, les ONG internationales et les fondations privées. Dans le secteur de la santé, en 2008, la Fondation Bill et Melinda Gates représentait le 2ème donateur au niveau mondial après les États-Unis d’Amérique, devant le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne21. Les programmes élaborés et mis en œuvre depuis l’étranger sans consultation ni implication des bénéficiaires ne sont souvent ni les plus efficaces, ni les plus adaptés, et encore moins les plus légitimes. La participation active des gouvernements bénéficiaires et des populations, par le biais d’organisations de la société civile, est plus que jamais nécessaire à une utilisation optimale des ressources du développement. Mais cette même volonté d’intégrer l’ensemble des partenaires et de leurs priorités a mené à une expansion impressionnante de la liste d’objectifs et de cibles à atteindre pour 2030. Beaucoup jugent que cette liste est irréalisable22, et qu’elle risque de mener à une dilution des efforts et des financements qui, au final, ne permettra d’atteindre aucun objectif. Rappelons que la plupart des 21 cibles des OMD n’ont pas été atteintes malgré la concentration des financements en leur faveur. La Banque Mondiale, les banques régionales de développement et le Fonds Monétaire International estiment que le coût de la réalisation des futurs ODD se chiffrera en milliers de milliards de dollars, alors que l’aide publique au développement se compte aujourd’hui en milliards de dollars4. Les principaux états donateurs versent en moyenne 0,3% de leur revenu national brut au titre de l’aide publique au développement, alors qu’ils se sont engagés à en verser 0,7%5. La question se pose de savoir s’ils investiront davantage dans la coopération internationale maintenant que les nouveaux ODD leur imposent des objectifs à réaliser sur leurs propres territoires. Quand bien même ils honoreraient leurs engagements, les fonds ne seraient pas suffisants. La proposition d’ODD mise sur une participation accrue du secteur privé, par le biais de taxes, de fondations ou de donations, ainsi que sur une meilleure utilisation des ressources nationales, à travers une augmentation des impôts et une gestion plus efficace des fonds4. Des mécanismes de financement innovants, comme la taxe carbone22 ou des taxes sur les aliments riches en graisse23, sont également avancés. Mais le financement n’est pas la seule difficulté annoncée pour la réalisation des ODD. Une autre de leurs avancées significatives est l’interconnexion entre les différents objectifs, qui faisait défaut aux OMD. De l’avis général, une prise en charge globale des problématiques de développement est la manière la plus efficace d’obtenir des résultats durables19, 23. Le développement économique au détriment des ressources naturelles ne pourra mener qu’à de futures pénuries et donc à de futures crises. Cette compréhension globale des enjeux présents et futurs dans les ODD est saluée par l’ensemble des acteurs. La mise en oeuvre de ces théories va cependant nécessiter d’importantes réformes. De nouveaux partenariats vont devoir être créés entre des institutions

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qui travaillaient auparavant séparément, comme l’Organisation Mondiale de la Santé et les Ministères de l’environnement, les entreprises privées ou les organisations communautaires24. Leurs modes de fonctionnement, leurs procédures administratives et comptables, leurs cycles budgétaires vont devoir être adaptés pour davantage de compatibilité, ce qui va nécessiter du temps, de l’argent et sans doute de nouvelles compétences19. Une autre critique émise à l’encontre des ODD est l’imposition de cibles trop nombreuses et trop élevées pour les pays en développement. La cible 3.1 « Faire passer le taux mondial de mortalité maternelle au-dessous de 70 pour 100 000 naissances vivantes » ne pourra être atteinte que par six pays sub-Sahariens sur 43 s’ils progressent au rythme des pays de la région ayant fait le plus de progrès au cours des 15 dernières années25. Même si chaque pays devra, comme pour les OMD, définir ses propres objectifs, les cibles mondiales seront prises en exemple et risquent de générer des frustrations de la part des gouvernements et des populations concernées26. Le dernier obstacle à la réalisation des ODD est l’obtention de données suffisantes pour assurer un suivi efficace des progrès et un ajustement continu des initiatives en fonction des besoins et des résultats. La question des indicateurs est en effet particulièrement délicate et toujours en discussion27. Alors que le projet actuel prévoit plus de 200 indicateurs, les statisticiens estiment qu’il ne sera pas possible pour les pays de gérer plus de 100 indicateurs28. On estime à près d’un milliard de dollars par an le coût nécessaire à l’échelle mondiale pour la mise à jour des systèmes statistiques et à la récolte des données pour suivre les ODD dans les pays en développement4. La division statistique des Nations Unies reconnait que les capacités techniques et financières requises n’existent pas dans la plupart des pays. De nouveaux indicateurs vont devoir être élaborés, et les données devront être récoltées plus souvent, tous les ans ou tous les deux ans, pour assurer un suivi efficace des progrès réalisés. L’expérience des OMD, qui a mis en exergue les inégalités au sein même des pays et l’inadéquation des seules moyennes nationales pour évaluer la situation, appelle une collecte de données désagrégées par sexe, âge, région et zone rurale ou urbaine beaucoup plus complexe que les collectes précédentes. L’une des solutions proposées est le recours aux données informatiques et aux nouveaux modes de collecte d’informations par téléphone, Internet ou SMS, rendue possible par la couverture quasi universelle du téléphone et l’augmentation exponentielle de l’accès à Internet jusque dans les pays en développement. En effet, selon les dernières estimations de l’Union Internationale des Télécommunications, 91,6% des habitants des pays en développement ont aujourd’hui un téléphone mobile, tandis que la proportion d’individus utilisant Internet dans les pays en développement est passé de 7,8% en 2000 à 35,3% en 2015, soit une augmentation de plus de 350%29. En Mars 2016, les Nations Unis mettront la dernière touche aux ODD avec une proposition finale d’indicateurs de suivi.

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6. Conclusion Novateurs et ambitieux, les Objectifs du Développement Durable ont fait l’objet de nombreuses critiques avant même leur adoption officielle par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Ils vont cependant servir de cadre aux efforts de développement nationaux et internationaux dans pratiquement tous les domaines pour les 15 prochaines années. Il est donc indispensable, pour qui veut travailler dans le développement, de bien maitriser leur fonctionnement et d’avoir conscience de leurs atouts comme de leurs faiblesses. Les spécialistes du secteur de la santé doivent apporter une attention toute particulière à ce nouveau programme afin de faciliter leur transition vers un marché de l’aide internationale plus concurrentiel et plus complexe que celui des OMD. L’année 2016 devra donc être celle des réformes et des innovations, tant pour la collecte des données que pour la mise en place de nouveaux partenariats et la mobilisation de financements supplémentaires. Si certains programmes ont déjà commencé à appliquer ces recommandations23, la plupart nécessiteront un temps d’adaptation qui pourrait ralentir les taux de progression actuels. Mais en saisissant les nouvelles opportunités que sont les collaborations avec la société civile, le secteur privé, les fondations et les instituts de recherche, en mettant en commun ressources et objectifs avec des programmes dans d’autres secteurs comme l’éducation, la protection de l’environnement ou l’emploi, l’efficacité accrue du nouveau cadre de développement devrait permettre de rattraper ce retard au démarrage pour améliorer encore davantage les conditions de vie des populations.

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14. ONU Sida, UNICEF, UNFPA, Organisation Mondiale de la Santé. Health in the post-2015 UN development agenda - Thematic Think Piece. 2012. http://www.un.org/millenniumgoals/ pdf/Think%20Pieces/8_health.pdf 15. Sumner A. Global Poverty and the New Bottom Billion: What if Three-Quarters of the World’s Poor Live in Middle-Income Countries? Working paper. Brighton, UK : Institute of Development Studies ; 2010. http://www.ids.ac.uk/files/dmfile/GlobalPovertyDataPaper1. pdf 16. Organisation Mondiale de la Santé. Global status report on noncommunicable diseases, 2010. Genève ; 2011. http://www.who.int/nmh/publications/ncd_report2010/en/ 17. Nations Unies. Tenir les promesses : unis pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. New York ; 2010. http://www.un.org/fr/documents/view_doc. asp?symbol=A/RES/65/1 18. Nations Unies. L’avenir que nous voulons. Rio de Janeiro, Brésil ; 2012. http://www.un.org/ fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/66/288 19. Pisano U, Lange L, Berger G, Hametner M. The Sustainable Development Goals (SDGs) and their impact on the European SD governance framework - Preparing for the post-2015 agenda. European Sustainable Development Network Quarterly Report N°35. Vienne, Autriche : European Sustainable Development Network ; 2015. http://www.sd-network.eu/ quarterly%20reports/report%20files/pdf/2015-January-The_Sustainable_Development_ Goals_(SDGs)_and_their_impact_on_the_European_SD_governance_framework.pdf 20. Nations Unies. Projet de document final du Sommet des Nations Unies consacré à l’adoption du programme de développement pour l’après-2015. New York ; 2015. http:// www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/69/315 21. Institute for Health Metrics and Evaluation. Financing Global Health 2010: Development Assistance and Country Spending in Economic Uncertainty. Seattle ; 2010. 22. Beaglehole, Robert. Sustainable human development—but how? The Lancet. Juillet 2015. http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(15)61215-6/fulltext 23. Clark, Helen. Governance for planetary health and sustainable development. The Lancet. Juillet 2015. http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(15)61205-3/ fulltext 24. Becerra-Posada, Francisco. Health in all policies: a strategy to support the Sustainable Development Goals. The Lancet Global Health, Volume 3, Issue 7, e360. Juillet 2015. http:// www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(15)00040-6/fulltext 25. Verguet, Stéphane et al. Annual rates of decline in child, maternal, HIV, and tuberculosis mortality across 109 countries of low and middle income from 1990 to 2013: an assessment of the feasibility of post-2015 goals. The Lancet Global Health, Volume 2 , Issue 12 , e698 - e709. Décembre 2014 http://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214109X(14)70316-X/abstract

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26. Mullan, Zoë. A local lens on a planetary issue. The Lancet Global Health, Volume 3, Issue 10, e576. Octobre 2015. http://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214109X(15)00194-1/abstract 27. UNSTATS (Division Statistique des Nations Unies). List of indicator proposals. 11 août 2015. http://unstats.un.org/sdgs/files/List%20of%20Indicator%20Proposals%2011-8-2015.pdf 28. Réseau des Solutions pour le Développement Durable. Indicators and a Monitoring Framework for the Sustainable Development Goals – Launching a Data Revolution. A report to the Secretary-General of the United Nations by the Leadership Council of the Sustainable Development Solutions Network. 2015. http://unsdsn.org/wp-content/ uploads/2015/05/150612-FINAL-SDSN-Indicator-Report1.pdf 29. Union Internationale des Télécommunications. ICT Facts and Figures – The world in 2015. Genève ; 2015. http://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Documents/statistics/2015/ITU_ Key_2005-2015_ICT_data.xls

Cahiers REALISME Numéro 5, Décembre 2015 Comité éditorial: Maria José Arauz Galarza Marie Munoz Bertrand Valéry Ridde Emilie Robert Emmanuel Sambieni Sylvie Zongo Coordinatrice de la collection: Emilie Robert ISBN: 2369-6648 Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal (IRSPUM) 7101 avenue du Parc, bureau 3187-03 Montréal, Québec, Canada H3N 1X9 www.equitesante.org/chaire-realisme/cahiers/

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La Chaire REALISME Lancée en 2014, la Chaire de recherche REALISME vise à développer le champ en émergence de la science de l’implantation en santé mondiale. Plus spécifiquement, son objectif est d’améliorer la mise en œuvre des interventions communautaires afin de les rendre plus efficaces dans une perspective d’équité en santé. Dans ce cadre, la Chaire lance une nouvelle collection de documents de recherche portant sur les interventions communautaires de santé dans les pays à faible revenu, et/ ou les problématiques touchant les populations les plus vulnérables dans ces pays et au Canada.

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Les Cahiers REALISME La création de ces Cahiers vise à prendre en compte un certain nombre de problèmes : • • • •

Diffusion limitée des recherches en français et en espagnol sur le thème de la santé publique appliquée à la santé mondiale, du fait de l’anglais comme langue de diffusion principale Accès restreint pour les chercheurs de certains pays et la plupart des intervenants aux recherches publiées dans les revues scientifiques payantes Publications en accès libres payantes dans les revues scientifiques limitant la capacité des étudiants et jeunes chercheurs à partager leurs connaissances dans ces revues Processus de publication dans les revues scientifiques longs et exigeants

Compte tenu de ces problèmes, de nombreuses recherches ne sont pas publiées du fait de la longueur des procédures, des contraintes de langue, des exigences élevées de qualité scientifique. L’objectif des Cahiers REALISME est d’assurer la diffusion rapide de recherches de qualité sur les thèmes de la Chaire en accès libre, sans frais, en français, anglais et espagnol. Les contributions sont ouvertes aux étudiants aux cycles supérieurs (maîtrise, doctorat) et stagiaires postdoctoraux et aux chercheurs francophones, anglophones et hispanophones. Les Cahiers s’adressent à tous les étudiants, chercheurs et professionnels s’intéressant à la santé publique appliquée à la santé mondiale.

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