RAPPORT SYNTHÈSE Forum Plan Nord 2 et 3 mai 2012

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RAPPORT SYNTHÈSE Forum Plan Nord 2 et 3 mai 2012, Québec

Thibault Martin, Ph.D et Julien Marcadet Mars 2013

©2007 Pierre Bouchard Indico

© Valérie Courtois

Remerciements Les organisateurs du Forum Plan Nord souhaitent remercier toutes les personnes qui ont participé au Forum et à son organisation ainsi que les organismes suivants pour leur soutien financier : Platine Caisse d’économie solidaire Desjardins (CESD) Or Fédération des coopératives du Nouveau-Québec (FCNQ) Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones (Réseau DIALOG) Argent Syndicat des métallos de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ-Métallo) Fondaction Bronze Centre de recherche sur la gouvernance des ressources naturelles et du territoire (CRGRNT) Université du Québec en Outaouais Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT) Mine alerte Canada Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) Bâtirente

@ CHAIRE DE RECHERCHE DU CANADA SUR LA GOUVERNANCE AUTOCHTONE DU TERRITOIRE, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC EN OUTAOUAIS. ISBN : 978-2-924289-05-1

INTRODUCTION Ce rapport synthèse du « Forum Plan Nord : Ne perdons pas le Nord » qui s’est tenu à Québec en mai 2012 est publié alors que le nouveau gouvernement du Québec a annoncé, dès son accession au pouvoir, son intention de revoir en profondeur le Plan Nord. Le gouvernement ayant néanmoins déclaré ne pas vouloir renoncer au développement du Nord, il nous a semblé pertinent de publier ce rapport qui dresse, à partir des présentations faites lors du Forum Plan Nord, un nombre important de constats sur les risques potentiels du Plan Nord tel qu’imaginé et mis en œuvre par l’ancien gouvernement libéral. Ce rapport synthèse propose aussi plusieurs pistes de solutions, qui mériteraient d’être prises en considération par le gouvernement lorsqu’il redéfinira les priorités du développement du Nord, un « Nord pour tous », selon la formule employée par la première ministre du Québec, Pauline Marois. Lancé le 9 mai 2011 par le premier ministre du Québec, Jean Charest, le Plan Nord a été présenté comme « le chantier d’une génération », que l’on compare à la Manic ou à la Baie-James, ou encore comme « le plus important projet de développement durable de l’avenir du Québec ». Selon le gouvernement du Québec, il serait le fruit « d’un travail de concertation sans précédent », il se veut « exemplaire » et profitable pour l’ensemble des Québécois. Cependant, malgré ces effets d’annonce-choc agrémentés de chiffres, le projet est loin d’avoir engendré une adhésion unanime; trop d’interrogations et d’inquiétudes sur sa mise en œuvre restant en suspens. C’est avec l’idée de répondre aux grandes questions entourant le Plan Nord qu’a été organisé le Forum Plan Nord qui s’est tenu à Québec les 2 et 3 mai 2012. Il était basé sur des valeurs incluant la démocratie, le respect des droits des Autochtones, la transparence, l’équité des genres et inter et intra-générationnelle, la conservation et l’utilisation durable des ressources et du territoire, l’inclusion sociale, le dialogue interculturel, l’économie solidaire ainsi que le développement viable et structurant des collectivités. Le Forum a été initié par Nature Québec et l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador (IDDPNQL) et il a été organisé conjointement avec la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Femmes autochtones du Québec (FAQ) et la Chaire de recherche du Canada sur la gouvernance autochtone du territoire (CRCGAT).

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INTRODUCTION

Deux objectifs étaient poursuivis par le comité organisateur : - donner la parole au plus grand nombre : société civile, organismes autochtones, groupes de femmes, associations communautaires, syndicats, représentants des milieux municipaux, économiques, universitaires, de la santé, de l’éducation, de l’environnement et du développement territorial, etc.; - débattre des enjeux socioéconomiques et politiques associés au Plan Nord, notamment la reconnaissance des droits et des intérêts des nations autochtones, la protection de l’environnement, la valorisation du territoire et des ressources qui s’y trouvent (mines, énergie, forêts, faune, etc.) ainsi que les impacts potentiels à court et à long terme pour les collectivités directement touchées tout en repositionnant le Plan Nord dans le contexte des grands débats sociaux, environnementaux et économiques qui caractérisent le Québec d’aujourd’hui. La première journée du Forum fut consacrée à faire l’état des lieux du projet en tant que tel. Des experts du monde universitaire, de la société civile et des témoins directs ont présenté les caractéristiques du Plan Nord. Ils ont revisité les données du gouvernement concernant les retombées économiques; ils ont en mis en évidence ses impacts négatifs, tout en soulignant ses apports potentiels. Ils ont aussi présenté la question des droits des Autochtones, des impacts environ­nementaux et sociaux déjà observés ou anticipés. La seconde journée avait pour objectif d’organiser une réflexion sur un développement du Nord plus inclusif, un « Plan Nord » qui tiendrait compte des désirs et des réalités des populations, notamment de celles directement concernées. Trois ateliers furent menés. Le premier portait sur les enjeux de la gouvernance pour le Nord, le second sur le développement viable des collectivités nordiques et le troisième était consacré à la conservation et l’exploitation des ressources naturelles. Ces ateliers ont permis aux 300 participants de développer une réflexion collective. Afin de faciliter cette réflexion, chaque séance de travail débutait par une présentation des enjeux principaux par des experts. Ensuite, les participants étaient divisés en groupes de travail, chacun devant soumettre à la fin de la journée le rapport des consensus dégagés. Ces rapports ont ensuite été synthétisés et présentés au cours de la plénière, qui a clôturé le Forum. Il est à noter que dans un souci de rejoindre le plus grand nombre possible de citoyens, la première journée du Forum a été suivie d’une soirée publique et gratuite. Environ 300 personnes y ont participé. Au cours de cette soirée plusieurs personnalités du monde politique et artistique ont présenté leur opinion concernant le Plan Nord puis ont échangé avec le public.

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PRINCIPAUX CONSTATS Il ressort des communications1 que le Plan Nord apparaît en rupture avec le modèle québécois de développement régional qui s’était développé depuis la Révolution tranquille. Ce modèle privilégiait la concertation et la participation de la société civile. Les projets de développement des ressources naturelles (forêts, mines, hydroélectricité), bien que l’on puisse leur adresser de nombreux reproches – notamment parce qu’ils ont contri­ bué à la dépossession des peuples autochtones –, avaient néanmoins pour objectif de structurer le développement de la société québécoise. La création de ce « modèle » québécois de dévelop­ pement régional, entamée à partir de la fin des années 1970, qui mettait à l’ordre du jour la consultation et le partenariat, avait mis un terme au modèle libéral d’exploitation des ressources naturelles qui prévalait jusqu’alors. Conçu en fonction des demandes du marché global, le Plan Nord qui a pour objectif principal d’attirer les capitaux étrangers, plonge le Québec dans le néo-libéralisme. En somme, ce n’est qu’un simple plan d’exploitation des ressources naturelles, sans véritable projet politique. Il ressemble en cela, selon Serge Bouchard aux « Plans Nord », des deux derniers siècles qui arrachaient du sol les ressources naturelles pour le seul bénéfice des grandes compagnies, sans que cela ne profite à la population québécoise et sans que l’on ne se préoccupe des externalités négatives que devaient assumer les communautés locales. La question de la non-reconnaissance des droits des Autochtones a été au cœur de tous les débats. Il a tout d’abord été déploré que le gouvernement entame le Plan Nord sans considération pour les nations autochtones (Innus, Atikamekw et Anishinabeg2) qui réclament, depuis des décennies, la reconnaissance de leurs droits ancestraux sur le territoire d’application du Plan Nord. Il a aussi été déploré que le Plan Nord ait été défini sans tenir compte de la réalité socioéconomique, des besoins et des aspirations des nations autochtones. De plus, les impacts négatifs sur les communautés autochtones n’ont pas été évalués, seules les « retombées » économiques potentielles, notamment en termes d’emploi, ont été comptabilisées par le gouvernement.

Cette synthèse est effectuée en empruntant ou en s’appuyant sur les propos des intervenants. Il est possible d’accéder aux enregistrements des communications sur le site Web du Forum Plan Nord, www.forumplannord.com/, celles-ci ont été résumées dans autre document intitulé : « Synthèse des ateliers et résumés des communications » aussi accessible sur le site Web du Forum. Un autre document, intitulé « Rapport Forum Plan Nord » réunit sous un autre format ces deux documents, il est accessible sur le site Web de la Chaire de recherche du Canada sur la gouvernance autochtone du territoire, http://crcgat.hypotheses.org/.

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Nous utilisons ici l’autodénomination et la graphie autochtone des noms de peuples et nous appliquons aussi les règles d’accords utilisés dans ces langues.

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PRINCIPAUX CONSTATS

Les communications ont aussi fait ressortir le déficit démocratique et le manque de transparence qui caractérisent le Plan Nord. Lancé à la hâte pour des besoins électoralistes, le Plan Nord n’a pas été guidé par une volonté de consulter et d’obtenir l’adhésion libre et informée de toutes les communautés nordiques, notamment autochtones. Il n’a pas non plus été défini en concertation avec ces communautés pour répondre aux problèmes cruciaux auxquels elles sont confrontées, pas plus que le gouvernement du Québec n’a pris en compte les aspirations de l’ensemble des Québécois. Enfin, il est apparu que de nombreux organismes voudraient s’impliquer dans la planification ou la gouvernance du Plan Nord, mais qu’ils n’y ont pas encore été invités. Pourtant, ceux-ci auraient de nombreuses solutions à proposer. De nombreuses questions ont été soulevées en ce qui concerne les retombées économiques réelles, tant sur le plan du retour sur investissement que du réalisme des estimations. Différentes erreurs ou omissions ont été identifiées par les experts qui ont participé au Forum. Un consensus s’est aussi dégagé en ce qui à trait aux redevances que tout le monde souhaite voir majorées et établies à partir de la production brute et non pas en fonction des bénéfices des entreprises. La précipitation avec laquelle le Plan Nord a été mis en œuvre inquiète aussi beaucoup. De nombreuses inquiétudes ont aussi été exprimées par les intervenants en ce qui a trait à la protection de l’environnement. Les craintes portaient sur les impacts des activités minières, tant à l’étape de la prospection qu’à celles de l’exploitation et de la restauration. Les présentations ont aussi mis en évidence que les activités minières avaient non seulement des impacts sur l’environnement, mais aussi des répercussions sur la santé des personnes. L’absence d’un plan d’aménagement intégré du territoire qui permettrait de combiner conservation et exploitation des ressources a été déplorée. La nécessité d’établir des normes en termes de protec­tion de l’environnement et de les faire respecter par l’industrie a été soulignée à de multiples reprises. Il a aussi été recommandé d’effectuer une réflexion afin de définir les ressources qui pouvaient être exploitées et celles qui devaient être protégées pour les générations à venir. Les participants ont aussi exprimé des doutes quant à l’efficacité réelle de la promesse de protéger 50 % du territoire nordique. Ils ont aussi critiqué l’approche du gouvernement qui consiste à mettre la priorité sur le développement plutôt que sur la protection.

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PRINCIPAUX CONSTATS

Les impacts sociaux envisagés et déjà observés ont aussi retenu l’attention des participants. Les impacts négatifs du Fly in Fly out, pratiqué par plusieurs compagnies minières, ont été soulignés. La question de l’embauche de main-d’œuvre étrangère (soustraite aux normes canadiennes du travail) a aussi été soulevée. Les répercussions sur les infrastructures de santé, de services sociaux, d’éducation, et sur le logement d’une population en augmentation à la suite du boom économique ont été discutées. Il a aussi été mis en évidence que les premiers à être pénalisés dans ce domaine étaient les femmes et les Autochtones. L’augmentation de la violence contre les femmes et du racisme envers les Autochtones a aussi été mise en avant. Il a aussi été constaté que le Plan Nord ne comportait pas de dispositions spécifiques afin que les jeunes puissent bénéficier des activités économiques qu’il devrait générer (par exemple plan de formation). Cela est à regretter, car les jeunes représentent un pourcentage plus élevé de la population que dans le reste du Québec (dans certaines communautés autochtones, près de la moitié de la population est âgée de moins de 25 ans). Cela dit, plusieurs participants ont souligné que s’il était redéfini avec les membres de la société civile et des communautés nordiques, le Plan Nord pourrait contribuer à améliorer le sort de ces communautés, dont plusieurs font face à des problèmes socioéconomiques chroniques. Mais pour cela, encore faudrait-il les inclure dans la gouvernance du Nord, ont souligné plusieurs inter­ venants. Ce manque d’écoute des besoins de ceux qui vivent sur le territoire d’application du Plan Nord est illustré cruellement par l’absence des femmes et des jeunes dans le processus d’élaboration du plan. En somme, comme le suggérait Serge Bouchard lors de la conférence inaugurale : « Oui, il faut créer de la richesse, mais pas à n’importe quel prix. […] Est-on obligé de rater notre coup encore une fois, comme on l’a fait au cours de l’histoire du Québec ? […] Seulement pour faire du Plan Nord un projet équitable, il faut aimer, respecter le Nord. L’aimer pour ce qu’il est et non pas pour le profit qu’il représente. »

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DES ESTIMATIONS ET DES PROMESSES ÉCONOMIQUES CONTESTABLES Le Plan Nord soulève de nombreuses questions auxquelles le gouvernement ne peut ou ne veut répondre. Tout d’abord, sur le plan des retombées économiques, le gouvernement estime à 14 milliards de dollars sur 25 ans (soit 350 millions par an) les revenus qu’il obtiendra du Plan Nord. Il table aussi sur des retombées économiques de 148 milliards de dollars sur 25 ans (soit 3,5 milliards annuels). Cela dit, ces estimations du gouvernement n’incluent pas les crédits d’impôt remboursables qui seront accordés aux minières et qui devraient donc être déduits des revenus. En outre, il ne prend pas en compte les possibles fluctuations des coûts en matière d’infrastructures publiques de même que celle des cours du minerai. De plus, le calcul des redevances que les minières devront payer est basé sur les profits anticipés des compagnies, profits qu’elles calculeront ellesmêmes selon des procédés que le gouvernement ne semble pas prêt à contrôler. Ils pourraient donc être moins élevés que ce qui est prévu dans les estimations. Par ailleurs, aucune prise en compte n’est faite des compensations qui seront accordées à la fois par les compagnies et le gouvernement aux communautés, notamment autochtones; compensations qui seront négociées au cas par cas et dont les résultats sont peu prévisibles. Tout cela aboutit à un résultat global fort contestable. Il est aussi peu probable que l’ensemble des parties prenantes puisse bénéficier des retombées. Il est même possible que certaines parties, notamment les minières, engrangent des profits substantiels pendant que d’autres y perdent. Il a aussi été annoncé que le Plan Nord permettrait d’augmenter la production d’électricité québécoise de 3 500 mégawatts répartis entre l’hydroélectricité (3000 MW), l’éolien (300 MW) et d’autres sources d’énergie renouvelable non spécifiées dans la documentation disponible (200 MW). Si ces objectifs quanti­ tatifs sont clairs, le périmètre financier et l’encadrement opérationnel de leur mise en œuvre demeurent flous. De même, en ce qui concerne les bénéfices qu’Hydro-Québec doit dégager grâce au Plan Nord, il n’est pas dit si les retombées incluent les bénéfices qu’Hydro-Québec a déjà anticipés grâce aux projets actuellement en cours ou ceux spécifiquement reliés aux projets développés dans le cadre du Plan Nord. De plus, les chiffres ne tiennent pas compte de l’incertitude planant autour des coûts du développement hydroélectrique et de ses débouchés futurs alors qu’il est déjà admis par les experts que le projet de la Romaine ne rapportera pas ce qu’il a coûté. En fait, il est probable qu’Hydro-Québec ne fasse pas les bénéfices escomptés, pire encore, la société d’État pourrait même perdre de l’argent à cause du Plan Nord. Finalement, bien que les retombées cumulées estimées, si tant est qu’elles s’avèrent aussi élevées que prévu, semblent appréciables, elles ne représentent toutefois que 1 % du PIB du Québec. Si jamais ces estimations s’avéraient surévaluées, les investissements de 45 milliards de dollars que va consentir l’État québécois s’avéreraient encore moins rentables. En termes d’emplois,

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les prévisions gouvernementales avancent un total de 20 000 à 30 000 emplois/ annuels maintenus ou additionnels sur 25 ans, ce qui, là encore, est très modeste en comparaison des 4,2 millions d’emplois occupés actuellement au Québec. De plus, cette prévision est simpliste, car elle table sur une adéquation parfaite entre les besoins des entreprises et la disponibilité de la main-d’œuvre, ce qui est loin d’être le cas. Mais surtout, aucune étude scientifique n’a été faite sur le nombre réel d’emplois créés ou maintenus grâce au Plan Nord. Le gouvernement concède même qu’il n’a pas complété ses propres recherches sur le sujet. Cela dit, il est certain que le Plan Nord créera quand même un nombre non négli­geable d’emplois, mais des questions demeurent. À qui seront-ils destinés ? Aux populations des régions nordiques ? À l’ensemble du Québec ? Aura-t-on recours à l’immigration temporaire ? Quelle place sera réservée aux Autochtones ? Quelle répartition des emplois en termes d’âge et de genre fera-t-on ? Selon le professeur en sciences comptables Jacques Fortin qui a participé au Forum, plus on ponctionne une ressource naturelle rapidement, plus on concentre la richesse obtenue entre les mains de peu d’individus et moins les retombées de l’exploitation de cette ressource profitent à la région d’où elle est extraite. Une fois cette ponction effectuée, il est impossible de retourner en arrière, si bien que l’État a perdu irrémédiablement l’opportunité d’effectuer une redistribution des ressources collectives. Il est prévu que le Plan Nord s’étale sur une génération, ce qui est très rapide compte tenu de l’ampleur des ressources qui seraient extraites. Le Plan Nord s’inscrit en somme dans le type de projets de développement parmi les moins équitables. De plus, cette ponction devant être effectuée en grande partie grâce à des investissements étrangers, le « petit nombre de mains » qui va en bénéficier ne sera pas, dans la majorité des cas, québécois. Ces investisseurs étrangers pourront d’autant plus facilement capturer les profits que peu est fait pour s’assurer qu’ils paieront des taxes et des redevances proportionnelles à la valeur de la richesse extraite et aux véritables profits qu’ils feront. Une autre lacune importante du Plan Nord est l’absence de disposition contrai­ gnante pour obliger les industries extractives à transformer la ressource sur place. Actuellement, le seul mécanisme d’encouragement à la transformation se présente sous forme d’incitatifs fiscaux en aval de l’attribution du tonnage aux compagnies minières, ce qui a pour effet de réduire leur portée. À cause de cela, le Plan Nord, qui va ponctionner une grande partie des ressources minières, fores­tières et hydroélectriques du Nord de la province, risque de n’avoir que peu d’effets structurants.

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UNE RÉFLEXION INADÉQUATE SUR LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX ET SUR LES BESOINS EN TERMES DE PROTECTION Du point de vue environnemental, le Plan Nord, même s’il se présente comme un projet de développement durable exemplaire, a de nombreuses lacunes. Tout d’abord, il ne propose pas de véritable stratégie de développement intégré du Nord ni même de restauration des sites miniers, notamment des sites d’exploration. Il est important de noter que les travaux d’exploration qui peuvent avoir d’importantes répercussions sur l’environnement sont effectués par des compagnies qui, pour beaucoup, n’existent que le temps de prospecter quelques claims et qui disparaissent ensuite sans pouvoir être contraintes de réparer les dommages. Par ailleurs, dans le cadre du Plan Nord, le gouvernement ne prévoit de protéger que 12 % de la forêt boréale continue, aucun objectif de protection de la forêt boréale commerciale n’a été fixé, le gouvernement envisage même la possibilité de permettre l’exploitation de la forêt boréale nordique qui est particulièrement fragile. Il n’est pas non plus question de protéger la population de caribous forestiers. Le Plan Nord prévoit de mettre en place des mesures de protection de l’environnement, de maintien de la biodiversité, de mise en valeur du patrimoine naturel et d’utilisation durable des ressources sur 50 % du territoire du Plan Nord. Il s’agit là d’un engagement qui, a priori, semble important, mais qui en fait risque de n’avoir aucun impact. En effet, l’opérationnalisation de ce projet de protection laisse de nombreux observateurs perplexes, puisque le gouvernement se réserve la possibilité de soustraire une zone de la portion de territoire protégé afin d’y permettre des activités minières; en contrepartie une autre portion du territoire nordique, jusqu’alors non protégée le deviendrait. Il reste aussi à savoir si les zones protégées seront choisies en fonction de leur nonpotentiel minier ou en raison de leur valeur écologique. Autrement dit, comme plusieurs le dénoncent, il s’agit d’une approche incohérente du type « développons d’abord et protégeons ce qui reste… ». De plus, beaucoup se demandent comment seront désignées les zones à protéger et quelles mesures de protection seront mises en œuvre. Par ailleurs, le Plan Nord ne tient pas compte de la fonte du pergélisol qui est susceptible de fragiliser les infrastructures minières, immobilières et de transport, ce qui risque d’avoir des conséquences néfastes sur les plans économique et environnemental. À cela, il faut ajouter le fait que gouvernement ne tient pas compte de la contribution du Plan Nord aux émissions de gaz à effet de serre. Ce qui risque d’empêcher Québec d’atteindre son objectif de réduction de 20 % des gaz à effet de serre d’ici 2020.

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La perspective d’harnacher des rivières encore intactes dans le seul but de répondre à la demande immédiate de l’industrie sans évaluer les besoins à long terme a été critiquée. Il a aussi été proposé de faire des choix stratégiques pour déterminer les ressources à développer et celles à conserver. Par exemple, il serait important de s’assurer de la nécessité de certains développements énergétiques avant de les mettre en place tels que, par exemple, le harnachement des nouvelles rivières ou encore l’exploitation des mines d’uranium. Les participants ont aussi souligné qu’en plus des impacts sur l’environnement, les activités minières affectaient la santé des résidents du Nord. En effet, plusieurs mines sont opérées à proximité immédiate des villes, ce qui entraîne de la pollution et des nuisances.

© Valérie Courtois

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DES IMPACTS SOCIAUX SOUS-ESTIMÉS ET DES MESURES DE MITIGATION INSUFFISANTES Sur le plan social, on sait que l’augmentation du nombre de travailleurs qui se déplaceront vers le Nord va accroître la pression sur les services publics, déjà débordés par la croissance importante de la population des communautés du Nord. Comment le gouvernement prévoit-il gérer l’augmentation de cette demande ? L’ensemble des services publics sera touché, mais ce sont les domaines de la santé (notamment à cause des accidents de travail), des services sociaux, de l’éducation, du logement et des services à la petite enfance qui feront face aux plus fortes pressions. Il est déjà très difficile pour les gestionnaires de ces secteurs de répondre aux besoins de la population en raison d’une pénurie de main-d’œuvre qui est le résultat de plusieurs facteurs : un recrutement et une rétention des professionnels difficiles en raison du manque de logement et des conditions de travail exigeantes, un contexte de compression budgétaire et l’absence de plan stratégique en matière de santé ainsi que dans les domaines des services sociaux et de l’éducation. Comment le gouvernement compte-t-il financer l’augmentation des besoins, et comment compte-t-il faire pour résoudre le problème de manque de main-d’œuvre qualifiée qui règne dans le Nord ? A-t-il tenu compte, dans ses projections financières, des investissements que cela va nécessiter ? Par ailleurs, le Plan Nord ne tient pas compte de la situation sociale par­ ticulière des communautés nordiques, notamment autochtones. Une partie des problèmes auxquels elles font face sont pourtant déjà reliés au fait que l’économie du Nord est dépendante des industries extractives et de l’effet de boom and bust qui caractérise ce type d’économie. Il est clair que le Plan Nord va accentuer les problèmes liés à cette économie. La masculinisation de la main-d’œuvre et la pratique du fly-in, fly-out qui va accompagner le Plan Nord, contribuera à faire augmenter la criminalité, la violence, la consommation de drogue ou les addictions au jeu. La pénurie de logements déjà cruelle va empirer, occasionnant une hausse des prix des loyers et une surpopulation dans les logements. Ces craintes sont d’autant plus légitimes qu’une étude de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) portant sur la situation prévalant à Fort Mc Murray en Alberta, qui connaît depuis plusieurs années un boom économique relié aux ressources naturelles, établit le lien entre ce type d’économie et les importants problèmes sociaux qui frappent la population de cette ville.

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En ce qui concerne les jeunes des communautés nordiques, l’offre d’emploi importante qui va accompagner le Plan Nord risque de faire augmenter le taux de décrochage scolaire qui est y déjà plus important que dans le reste du Québec. L’activité minière étant cyclique, les jeunes, qui aujourd’hui font le choix de rejoindre le marché du travail pour tirer profit du boom minier, risquent très fort de se retrouver sans emploi et sans qualification lorsque le boom prendra fin. Cela contribuera à leur appauvrissement et à leur déqualification sociale brutale, ce qui entraînera, comme plusieurs l’ont constaté, des problèmes secondaires tels que l’alcoolisme, l’abus de drogue, la violence contre soi-même et les autres, notamment la violence conjugale. La condition des femmes est aussi un sujet de préoccupation majeure en raison des dynamiques de la main-d’œuvre du secteur minier qui exposent celles-ci, davantage que les hommes, à la violence. On craint aussi leur paupérisation du fait qu’elles occupent en général les emplois les moins bien rémunérés. Leurs faibles revenus ne leur permettront pas de faire face à l’augmentation drastique du coût de la vie qui accompagne toujours les booms miniers. Cet appauvris­ sement frappera surtout les familles monoparentales qui risquent, notamment d’avoir beaucoup de difficultés à accéder au logement. On anticipe aussi une augmentation de la prostitution. La situation des femmes autochtones est quant à elle particulièrement inquiétante non seulement parce qu’elles feront face aux mêmes problèmes que les femmes non-autochtones. Mais aussi parce que ces problèmes risquent d’être amplifiés par le racisme et la discrimination. Qui plus est, le boom minier risque aussi de changer les rapports sociaux intergenres. En effet, les femmes autochtones occupent aujourd’hui de plus en plus souvent des postes à responsabilité, notamment dans le domaine des services (éducation, santé, services sociaux). Elles sont aussi engagées en politique. Par exemple, les femmes inuites comptent pour 45 % des conseillers municipaux du Nunavik, ce qui est beaucoup plus élevé que dans le reste du Québec. Les femmes inuites, tout comme celles de plusieurs Premières Nations ont ainsi acquis la capacité d’influencer les prises de décisions, notamment dans les domaines socio-éducatifs, particulièrement importants pour orienter l’avenir. Par contre, comme les femmes occupent moins de postes de dirigeants politiques (maires, négociateurs, grands chefs) que les hommes, elles risquent de ne pas pouvoir participer aux prises de décisions concernant le Plan Nord bien que ce soient elles qui devront gérer les problèmes sociaux qu’il entraînera. De plus, les emplois très bien rémunérés que le Plan Nord va générer fera subir une perte de prestige relative aux emplois occupés par les femmes, de même les revenus financiers importants que certains hommes vont obtenir grâce à ces emplois pourraient modifier les rapports au sein des couples et des communautés.

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DES IMPACTS SOCIAUX SOUS-ESTIMÉS ET DES MESURES DE MITIGATION INSUFFISANTES

En ce qui concerne les Autochtones en général – hommes et femmes confondus –, le boom de l’activité minière va, et est déjà en train, d’augmenter les problèmes auxquels ils font déjà face dans leurs communautés ou dans les villes proches des mines. D’une part, le fait que plusieurs d’entre eux obtiennent des emplois bien rémunérés augmente la circulation d’argent dans les communautés ce qui s’accompagne d’une augmentation des problèmes d’alcoolisme et de drogue. Cela augmente aussi les inégalités entre et au sein des familles. Plusieurs jeunes choisissent parfois d’aller « dépenser leur argent » en ville, ce qui contribue à déstruc­turer les rapports sociaux au sein des communautés. De plus, les Autochtones font trop souvent face, dans le secteur minier, à de la discrimination. Par ailleurs, on s’inquiète des répercussions des activités minières sur les pratiques traditionnelles de chasse, de pêche et de cueillette de rassemblements sur les territoires familiaux ainsi que sur les activités de partage et de guérison. Enfin, les déplacements occasionnés par les embauches sur les chantiers et les longs séjours loin de la communauté d’appartenance risquent de nuire à l’ancrage communautaire et territorial des Autochtones, notamment des jeunes. De même, on s’inquiète des répercussions sur les rapports entre Autochtones et Allochtones au sein des villes nordiques que le mouvement de migration vers les centres urbains risque d’entraîner.

© Valérie Courtois

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PISTES DE SOLUTION Tout d’abord, il existe des moyens légis­latifs pour améliorer les retombées du Plan Nord et pour en mini­mi­ ser les impacts négatifs. Un premier consensus s’est dégagé du Forum : le gouvernement doit adopter une nouvelle Loi sur les mines et inclure les Autochtones dans les consul­ tations qui mèneront à sa définition. Il faudrait aussi renforcer la réglementation en matière de protection environnementale. L’État québécois devrait participer au capital des entre­ prises qui exploitent les ressources du territoire du Plan Nord, tout en envisageant la possibilité d’une nationalisation partielle ou complète de certains projets stratégiques et structurants pour l’économie du Québec et de ses régions. De même, alors que pour l’instant le gouvernement se contente d’encourager les industries à signer avec les communautés autochtones des « Ententes sur les répercussions et les avantages » (ERA), il devrait légiférer pour imposer la signature systématique de ces ententes. Cela serait d’autant plus légitime et facile à faire accepter que, suite à une décision de la Cour suprême du Canada de 2004 qui a statué sur l’obligation de consulter et d’accommoder, plusieurs compagnies minières et forestières se sont engagées d’elles-mêmes dans la voie de la négociation avec les communautés touchées par leurs projets de développement. Sur le plan politique Québec doit abandonner son attitude de mépris face aux revendications autochtones. Le gouvernement devrait, au contraire, saisir l’opportunité qu’offre le Plan Nord pour s’asseoir avec les Premières Nations, notamment avec celles qui n’ont pas signé d’entente, pour négocier un nouveau contrat social. La reconnaissance des droits autochtones doit être la priorité du gouvernement. Pour l’instant, le gouvernement de Jean Charest collabore avec les nations crie, inuite et naskapie, mais c’est parce qu’il y est contraint par les ententes signées par les gouvernements précédents. En ce qui concerne les autres nations, il les « invite » à monter dans le train du développement, mais à condition que cela ne l’engage pas à entamer des négociations sur les droits territoriaux. Le discours du premier ministre est simple : les Premières Nations qui accepteront d’entrer en affaires avec l’État et l’industrie profiteront des retombées du Plan Nord. Celles qui refuseront laisseront passer le train de la prospérité. Pourtant, le Plan Nord ne devrait pas être un simple projet économique, mais devrait être mis au service de la définition d’un projet de société, tel que les participants l’ont exprimé à différentes occasions.

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PISTES DE SOLUTION

Sur le plan économique Les impacts négatifs du Plan Nord pourraient être minimisés si l’on adoptait certaines approches qui ont fait leurs preuves ailleurs. Il faudrait tout d’abord élaborer en concertation avec toutes les parties nordiques, et elles le demandent depuis longtemps, un schéma d’aménagement du Nord dans lequel le Plan Nord jouerait un rôle, mais ne serait pas un acteur omnipotent et libre de toute obligation. Ce schéma devrait inclure le renforcement des pôles de services (Chibougamau, Sept-Îles, Schefferville, etc.), afin qu’ils puissent gérer l’accueil des travailleurs migrants, devenir des centres de formation de la main-d’œuvre à court et à long terme et offrir les services de santé et sociaux nécessaires. Pour cela, il faudrait prévoir des budgets supplémentaires pour le développement des services publics et pour augmenter l’offre de logements abordables et de qualité. Une concertation au sein des communautés afin de connaître ces besoins immédiats et à long terme devrait être effectuée avant d’aller plus loin dans le développement du Plan Nord. Pour maximiser les retombées économiques du Plan Nord, il faudrait créer un Fonds souverain, afin de ne pas dilapider en une seule génération les revenus de l’exploitation des ressources collectives du Québec. Il faudrait aussi fractionner les contrats de construction afin que les entreprises locales puissent y avoir accès, sinon ce seront les compagnies extérieures à la région qui obtiendront la grande majorité des contrats. Il faudrait aussi favoriser la mise en place de partenariats entre les grandes entreprises et les entreprises locales, notamment autochtones, à la fois pour créer des emplois dans les communautés nordiques, mais aussi pour permettre à ces entreprises d’acquérir une plus grande expertise dans le domaine minier. En ce qui concerne la valorisation des ressources, il faudrait imposer aux compagnies d’effectuer en partie la transformation du minerai à proximité des zones d’extraction et non pas près des grands marchés (Detroit, Seattle, etc.), comme elles le font à l’heure actuelle. Le gouvernement du Québec connaît cette situation, mais ne cherche pas à l’inverser. Au contraire, la construction d’un lien ferroviaire entre la baie d’Ungava et Schefferville facilitera l’exportation du minerai; alors qu’il faudrait plutôt étendre le réseau ferroviaire existant vers les centres régio­ naux afin de faciliter la transformation dans le Nord. Il faudrait encourager l’implantation d’industries de transformation qui produirait des matériaux nécessaires dans le développement d’un tissu industriel nordique. On pourrait, par exemple, envi­sager la production de poutrelles d’acier ou de rails pour permettre justement l’extension du réseau ferroviaire. Il serait, par exemple, judicieux d’utiliser cet acier pour produire des éoliennes qui pourraient être implantées dans toutes les communautés nordiques dont plusieurs ne sont pas reliées au réseau d’Hydro-Québec.

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PISTES DE SOLUTION

La diversification économique a également un rôle à jouer afin de pérenniser les emplois, en plus de permettre aux différentes régions de se prémunir contre la composante cyclique du secteur minier et de contrer les effets néfastes du système fly-in, fly-out opéré par plusieurs compagnies. Le développement de la deuxième et troisième transformation des ressources et celui d’autres secteurs tels que l’écotourisme ou l’agroalimentaire sont aussi des avenues à explorer dans le cadre du Plan Nord. Sur le plan environnemental Il est impératif de se donner plus de temps pour effectuer des études stratégiques et d’impacts, notamment en intégrant les savoirs autochtones dans toutes les recherches. Il faudrait aussi identifier les répercussions directes et indirectes sur l’environnement de chaque activité industrielle avant de les accepter. Une évalua­ tion des impacts globaux du Plan Nord sur le changement climatique devrait aussi être réalisée. Il faudrait aussi penser à la protection du territoire dans une perspective continentale et non pas simplement en fonction d’impératifs provinciaux. Il faudrait aussi faire assumer le passif environnemental aux promoteurs industriels et s’assurer que le free mining soit banni. Il serait aussi important d’arrimer le développement du Nord à une stratégie énergétique cohérente, où la recherche de l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables joueraient un rôle de premier plan. Il faudrait également songer à laisser des portions du territoire intactes sur lesquelles on n’exploiterait pas les ressources naturelles. C’est-à-dire qu’au-delà des aires protégées, créées pour des raisons de conservation écologique, il serait nécessaire de créer aussi des aires où les ressources naturelles seraient réservées pour l’usage des générations futures. Il faudrait aussi s’inspirer de ce qui a été fait ailleurs, par exemple, dans le cas de la protection de la forêt, les initiatives de planification territoriale développées dans les communautés autochtones de Poplar River (Manitoba), de Dehcho (Territoires du Nord-Ouest), d’Atlin Taku (Colombie-Britannique) et de Haida Gwaii (Colombie-Britannique) constituent toutes des exemples de réussite bien qu’elles aient été menées dans des contextes différents en termes de gouvernance, de reconnaissance des droits, de revendications territoriales et de politiques. Ces succès ont été rendus possibles par l’inscription de la démarche dans un processus législatif ou de négociation et par la prise en compte des processus écologiques et des besoins économiques des communautés locales.

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Sur le plan social Le gouvernement doit avant tout prendre en compte les besoins actuels des commu­nautés nordiques, notamment des communautés autochtones avant de mettre en œuvre le Plan Nord qui risque d’empirer les problèmes déjà existants. Il doit prendre des mesures pour éviter que l’afflux de travailleurs ne vienne accroître la pression sur les services publics déjà saturés. Pour cela, le gouvernement doit investir dans les services de santé en accordant le financement nécessaire aux institutions locales, il doit aussi favoriser l’installation de professionnels de la santé dans le territoire du Plan Nord. Il faut aussi investir dans l’éducation et la formation des populations nordiques. Cela dit, il ne faut pas se contenter d’offrir de la formation pour répondre aux besoins immédiats de l’industrie minière, mais plutôt viser la formation d’une relève dans tous les secteurs de l’économie. Le gouvernement devrait accorder un financement ciblé aux CEGEP et aux universités nordiques (UQAT, UQAC) afin qu’ils puissent offrir des formations qui permettraient de diversifier l’économie du Nord. Des actions devraient aussi être prises pour sensibiliser les jeunes aux impacts du décrochage scolaire résultant de l’attrait qu’exercent sur eux les emplois bien rémunérés offerts par l’industrie minière. Il est aussi impératif de régler la pénurie de logements qui existe actuellement dans les villes minières et surtout dans les communautés autochtones. Les répercussions de la masculinisation du travail sur les femmes, que va entraîner le Plan Nord doivent être anticipées afin d’être minimisées. Pour cela, le gouvernement devrait consulter les associations de femmes et mettre en place un plan d’action dans ce domaine. En ce qui concerne plus particulièrement les Autochtones, une place centrale doit leur être accordée dans tous les programmes généralistes, mais il faut aussi adapter certains programmes pour répondre à leurs besoins spécifiques. Notamment en ce qui a trait aux services sociaux et aux services de santé qui sont déjà mal adaptés à leur réalité et qui leur sont peu accessibles. En termes de logement, il faut non seulement construire de nouvelles unités d’habi­ tation dans les communautés, mais il faut aussi tenir compte du fait que les Autochtones sont les premières victimes, notamment à cause de la discrimination

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à laquelle ils font face, de la crise du logement en milieu urbain. Il serait souhaitable de mettre en place un programme spécialement destiné à favoriser l’accès des Autochtones aux logements à loyer modique. Par ailleurs, il faudrait sensibiliser les populations et les élus non-Autochtones aux réalités des Autochtones afin de faire diminuer la discrimination, à la fois en milieu urbain et sur les chantiers. Le gouvernement du Québec devrait aussi s’engager à collaborer davantage et à soutenir − à la hauteur de leurs besoins – les centres d’amitiés autochtones qui constituent des acteurs cruciaux dans la lutte contre la discrimination et pour l’intégration des Autochtones en milieu urbain. Ceux-ci offrent une multitude de services qui vont de l’hébergement, à l’offre de soins de santé adaptés, en passant par les services éducatifs (centres de la petite enfance, accompagnement scolaire, counseling) que les institutions conventionnelles n’arrivent pas à leur offrir. Les centres d’amitiés ont de nombreux projets qui pourraient tous contri­ buer à minimiser les impacts du Plan Nord sur les Autochtones, voire à leur permettre d’en tirer profit. Soutenir les projets des centres d’amitiés permettrait au gouvernement de maximiser ses investissements dans le domaine social, car ils seraient gérés par des organismes directement en contact et au fait des besoins particuliers de cette population.

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CONCLUSION : LE GOUVERNEMENT DOIT SE METTRE À L’ÉCOUTE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ET DES AUTOCHTONES D’une manière générale, les participants au Forum Plan Nord ont recommandé que le gouvernement se mette à l’écoute des citoyens et qu’il inclut dans la gouvernance les résidents du Nord, notamment les Autochtones, les jeunes, les femmes et tous ceux qui veulent contribuer à définir un plan pour le Nord durable et équitable. Il faut aussi tenir compte des « Plans Nord » élaborés par les Innus et les Inuits. Il faut aussi s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Le Québec n’est pas le seul pays à avoir un vaste territoire au peuplement inégal. La Suède, qui a beaucoup de points en commun avec lui, a renoncé à faire reposer le développement de ses communautés nordiques sur l’exploitation des ressources naturelles. Elle a plutôt opté pour l’économie du savoir, de la culture et des services. Des initiatives dans lesquelles la population autochtone samie est incluse sur un pied d’égalité. On peut même s’inspirer de ce qui a été fait au Québec, par exemple, l’entente sur la gouvernance du territoire Eeyou Istchee signée entre les Cris et les municipalités de la Baie-James. Cette entente propose une forme de gouvernance qui pourrait servir de modèle pour définir la gouvernance du Plan Nord, car, en fait, le problème le plus crucial du Plan Nord est l’absence d’une structure de gouvernance qui inclurait les citoyens, les Autochtones et la société civile. Pour l’instant, l’État partage la prise de décision principalement avec l’industrie et accessoi­ rement avec des élus quand ils acceptent sa vision du développement. Les experts et les membres de la société civile ont de nombreuses pistes de solution à proposer, celles-ci ne sont malheureusement pas encore parvenues à trouver un écho dans le Plan Nord. L’effort ne doit pas pour autant être relâché. Le Plan Nord constitue une opportunité pour stimuler un réveil démocratique et un dialogue inclusif. D’ailleurs, les Autochtones qui se sont exprimés ont pour beaucoup manifesté leur souhait d’être inclus dans le processus. Plusieurs institutions autochtones, tels les Centres d’amitié autochtones, la Fédération des femmes autochtones du Québec et la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec qui œuvrent dans certains cas depuis près de cinquante ans au développement social et économique des communautés autochtones ont une expertise considérable qu’ils souhaitent mettre au service de la collectivité. Mais encore faudrait-il qu’on fasse appel à eux.

© Valérie Courtois

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