PRIX JAN MICHALSKI DE LITTERATURE Mahmoud Dowlatabadi

poussé à la folie, un troisième a fait partie des martyrs de la guerre contre l'Irak. Une seule de ses filles a survécu, mais par une cruelle ironie du sort, elle a ...
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PRIX JAN MICHALSKI DE LITTERATURE Edition 2013

Mahmoud Dowlatabadi Le Colonel Mahmoud Dowlatabadi est sans doute le plus grand auteur de prose iranien d’aujourd’hui. Depuis plusieurs années, un certain nombre de ses romans ont été traduits en allemand et ses récits épiques, l’ampleur de ses thèmes et la profondeur de sa pensée m’ont littéralement hypnotisé. Après avoir été arrêté en 1974 par la Savak, la police secrète du shah, il a demandé à ceux qui l’interrogeaient quel crime il avait commis. « Aucun », lui ont-ils répondu, « mais tous ceux que nous arrêtons possèdent des exemplaires de vos romans… » Le Colonel se situe dans les années 1980. Bien que le roman ne couvre qu’une journée, l’agitation politique récente de l’Iran résonne à chacune de ses pages. Le début est sinistre : on frappe à la porte du colonel au plus profond de la nuit, et deux hommes l’emmènent. Il doit récupérer le corps de sa fille, une adolescente qui a disparu deux mois plus tôt et a été assassinée par les autorités. Ses efforts pour faire la toilette mortuaire de la jeune fille et l’enterrer le jour même conformément aux rites islamiques sont à l’origine de plusieurs rencontres et réveillent de nombreux souvenirs. Le colonel est tourmenté par sa conscience : il se reproche de n’avoir pas su protéger sa famille. Ses cinq enfants ont en effet connu un destin funeste : un de ses fils a été tué pendant la révolution de 1979, un autre poussé à la folie, un troisième a fait partie des martyrs de la guerre contre l’Irak. Une seule de ses filles a survécu, mais par une cruelle ironie du sort, elle a épousé un opportuniste brutal et est malheureuse en ménage. Le colonel doit affronter ses propres démons, car il a lui-même tué sa femme parce qu’elle lui était infidèle. La mort plane sur cette famille et le seul voyage que le colonel puisse entreprendre le conduit dans une brume de cauchemars, ce qui rend la lecture de ce roman parfois éprouvante, mais toujours d’une terrifiante intensité. Dowlatabadi transmet avec force le désespoir du colonel et l’atmosphère sombre et désolée de la vie que mènent beaucoup d’Iraniens. On a rarement décrit la violence et le pouvoir avec une véhémence aussi implacable. Comme l’a écrit Angela Schader dans la Neue Zürcher Zeitung : « En dernière analyse, ce roman n’est pas une leçon d’histoire ; Le Colonel trace au contraire une image captivante du supplice mental iranien, produisant des visions et des cauchemars qui sont comme de sombres fleurs exotiques. »

Ilija Trojanow Membre du jury

Mahmoud Dowlatabadi Le Colonel Buchet-Chastel 2012