Politique-fiction Quel avenir pour la Françafrique ?

devant les galons d'un officier français. * Personnage fictif ... les autres et la politique économique de Marine Le Pen, leader d'extrême droite élue à la tête du ...
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TENDANCES

Politique-fiction Quel avenir pour la Françafrique ? Les relations entre l’Hexagone et le continent ont toujours été déséquilibrées, au profit du premier. L’avenir confirmera-t-il ou inversera-t-il ce rapport de forces ? Tentative de réponse en trois hypothèses… plus ou moins farfelues. Fabien Mollon

C

ommerce de l’ivoire, traite négrière, cultures de rente, travaux forcés, extraction minière, tirailleurs sénégalais, essais nucléaires, main-d’œuvre maghrébine, ajustements structurels, délocalisations, achats de terres… Cette litanie montre à quel point, depuis les premiers contacts entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne,

au XVe siècle, le continent a toujours représenté pour la France un réservoir de ressources, aussi bien naturelles qu’humaines. Et demain ? Sous l’influence de forces diverses déjà à l’œuvre aujourd’hui et sans rapport les unes avec les autres – la montée du terrorisme, la chute des cours du pétrole ou la dégradation de l’environnement –, la donne pourrait

Scénario sécuritaire

N’Djamena, le 19 décembre 2020. Le général de division François-Xavier d’Alric* reçoit les chefs d’État de la bande sahélo-saharienne dans son QG de l’opération Barkhane, la force de lutte contre le terrorisme mise en place en 2014. Très vite, le ton monte. Et, dans ce huis clos sans caméra ni micro, c’est bien le militaire qui élève la voix. Les présidents se font sermonner, l’un pour sa récente dénonciation de viols prétendument commis par des soldats français, un autre pour son peu d’empressement à signer l’accord prévoyant l’agrandissement d’une base de l’armée, un troisième pour son incapacité à mater les grévistes du secteur minier dans son pays… Officiellement, la France n’est pourtant qu’une invitée en Afrique. C’est du moins ainsi que sa présence est justifiée dans les médias au fil des nombreuses visites diplomatiques et des incessantes signatures de conventions sécuritaires. Mais cette réunion de N’Djamena est sans équivoque : en coulisses, c’est bien Paris qui commande et qui impose ses conditions. Comment expliquer cette mainmise de l’Hexagone sur la région ? Tout s’est joué en une décennie à peine. Au cours des années 2010, alors que la menace islamo-terroriste ne cessait de gagner du terrain (Aqmi, Boko Haram, Shebab…), les interventions militaires françaises se sont multipliées dans ses anciennes colonies, mais pas seulement : Mali en 2013 (opération Serval), Centrafrique en 2014 (opération Sangaris),

bien, à plus ou moins long terme, changer… ou pas. En nous appuyant sur des tendances actuelles mais aussi sur des précédents historiques tout en nous affranchissant de toute exigence de réalisme, nous avons tenté d’imaginer trois scénarios, plus ou moins crédibles ou fantaisistes, sur l’avenir de la Françafrique aux horizons 2020, 2030 et 2050.

Cameroun en 2017, Soudan du Sud en 2018, Somalie et Djibouti en 2019… À chaque fois, il s’agissait officiellement de défendre les États africains contre une menace de partition territoriale, de chaos terroriste ou de guerre civile meurtrière, et ce de façon temporaire. Mais, les conflits s’enlisant, l’armée française a progressivement implanté, un peu partout, des bases permanentes. Et les militaires ont bientôt été rejoints par des bataillons d’administrateurs venus pallier la carence de pouvoirs locaux incapables de faire respecter l’ordre à l’échelle de leur pays et d’assurer la sécurité de sites stratégiques comme les mines d’uranium nigériennes ou les gisements de diamants centrafricains. Si bien qu’en cette année 2020, soixante ans après la décolonisation, c’est la France qui, de nouveau, régente une grande partie de l’Afrique s’étendant sur plus de 5 000 km d’est en ouest. Et le cœur du pouvoir ne bat pas dans les capitales fantoches de pays sous tutelle, mais ici, à N’Djamena, dans ce salon où des présidents d’apparat baissent les yeux devant les galons d’un officier français.

Dans ce huis clos sans caméra ni micro, un officier français sermonne des chefs d’État.

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* Personnage fictif

Précédent historique : Lors de la « ruée vers l’Afrique », au XIXe siècle, la France voulait conquérir une zone continue de Dakar à Djibouti. Ambition contrariée par les Britanniques, qui comptaient quant à eux relier Le Caire au Cap et obtinrent une victoire diplomatique en 1898 lors de la crise de Fachoda, du nom d’un poste militaire situé dans l’actuel Soudan du Sud, au croisement des deux empires.

jeune afrique • hors-série N o 42 l’afrique en 2016

tendances Politique-fiction

Scénario économique

Scénario démographique

Alger, le 31 mars 2030.

Dakar, le 21 septembre 2050.

Dans son bureau du palais d’El-Mouradia, sur les hauteurs de la capitale, le président algérien savoure un thé à la menthe – et sa victoire. Ses conseillers viennent de lui communiquer les résultats du référendum d’initiative populaire organisé dans la région française du Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Question posée : « Souhaitez-vous que la région soit placée sous tutelle algérienne ? » Le oui l’a emporté massivement et, soixante-dix ans après la guerre d’Algérie, le pays s’invite chez l’ancien colon. Comment en est-on arrivé là ? C’est le fruit de différentes dynamiques, de part et d’autre de la Méditerranée. Côté algérien, l’État a entrepris, quinze ans plus tôt, de revoir son économie de fond en comble. En 2014, le pays était accro aux hydrocarbures : ceux-ci représentaient 98 % des exportations de l’Algérie, 70 % de ses recettes fiscales et 40 % de son PIB. Mais en 2015, patatras ! Sous le coup notamment du ralentissement de l’économie chinoise, les cours du pétrole chutent durablement autour de 50 dollars. Un véritable manque à gagner pour l’État, qui avait longtemps misé sur un baril deux fois plus cher pour assurer la stabilité du pays via la redistribution de la rente pétrolière. Les autorités prennent alors une décision historique : abandonner le toutpétrole et transformer la compagnie publique Sonatrach, qui gérait cette manne, en un holding d’investissement spécialisé notamment dans les énergies renouvelables. D’immenses complexes photovoltaïques sont installés dans le Sahara. Côté français, l’économie ne se porte pas bien non plus. Notamment dans le nord du pays, où l’État, criblé de dettes, peine à redresser l’appareil productif. Les usines ferment les unes après les autres et la politique économique de Marine Le Pen, leader d’extrême droite élue à la tête du Nord-Pas-de-Calais-Picardie à la fin des années 2010, se révèle catastrophique – ses successeurs ne feront pas mieux. Si bien que lorsque l’Algérie, désireuse de diversifier encore davantage ses ressources, commence à racheter des industries françaises en déclin et injecte l’argent nécessaire à leur remise à niveau voire à leur reconversion dans des secteurs d’activité dynamiques, elle est accueillie comme le messie. En ce mois de mars 2030, la Sonatrach nouvelle génération possède ainsi des participations dans le capital de la moitié des entreprises du Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Les employés de ces sociétés sont les mieux payés de la région. Dans ce contexte, on comprend mieux la volonté de la population de passer sous administration algérienne.

Dans sa piaule du quartier de la Medina, Abdou attend, l’estomac noué, que les agents des services d’émigration viennent le chercher. Une semaine plus tôt, il a reçu sur son smartphone une convocation de leur part, qu’il a préféré ignorer. Mais maintenant, il le sait, ils ne tarderont plus à venir frapper à sa porte pour l’emmener dans un centre de transit, avant d’être embarqué de force dans un avion. Destination finale : la France. En vertu des accords passés entre le Sénégal et l’ancienne puissance coloniale, il n’a pas le droit de se soustraire à ce « transfèrement démographique ». Pour comprendre, il faut remonter aux années 2000, lorsque, pour la première fois, des scientifiques ont tiré la sonnette d’alarme : selon eux, l’abus de pesticides dans l’agriculture européenne – et notamment hexagonale – menaçait la fertilité des habitants. Las, les impératifs de productivité prenant le pas sur les problématiques de santé, rien n’a été fait pour réduire la présence de perturbateurs endocriniens dans l’environnement et, inexorablement, la qualité du sperme des Français a décliné, menaçant le renouvellement des générations. Population vieillissante, manque de main-d’œuvre… En quête de reproducteurs et de travailleurs, Paris s’est tourné vers l’Afrique pour compenser son solde démographique négatif. En partenariat avec plusieurs pays francophones, les autorités ont mis en place des programmes d’immigration, changeant radicalement de politique après des années passées à tenter de juguler les flux humains en provenance du continent – à l’époque, les grands-parents d’Abdou avaient eux-mêmes été refoulés. Mais entre-temps, le contexte a bien changé. Affectée par ce déclin démographique, l’économie française est devenue moribonde, tandis que les pays africains continuaient d’afficher une croissance insolente. Résultat : pour de nombreux jeunes comme Abdou, l’émigration ne fait plus rêver depuis longtemps – il vaut mieux vivre au pays –, si bien que les départs volontaires se tarissent. Impensable pour la France qui, petit à petit, a commencé à corrompre les pouvoirs africains afin d’instaurer avec eux des accords secrets de déportation de populations auxquels les armées locales, sous-traitantes zélées de la sale besogne, participent activement. Conséquences : l’Afrique voit le retour des dictatures encouragées par (et inféodées à) la France, tandis que le continent est une nouvelle fois, deux cents ans après la fin de la traite négrière, vidé de ses forces vives.

Précédent historique : Au début des années 2010, c’est entre l’Angola et le Portugal que les rôles se sont ainsi inversés. Médias, banques, télécoms, énergie… Isabel dos Santos, femme la plus riche d’Afrique et fille du président angolais José Eduardo dos Santos, a acquis de nombreuses participations dans des sociétés portugaises parfois au bord de la faillite.

Précédent historique : De 1963 à 1981, 1 600 Réunionnais âgés de 6 mois à 20 ans furent exilés en métropole afin de repeupler des départements ruraux. Une opération orchestrée par Michel Debré, ancien Premier ministre de Charles de Gaulle et alors député de la Réunion. Plus de 72 000 adultes furent également expédiés en France pour y travailler. n

« Souhaitezvous que le nord de la France soit placé sous tutelle algérienne ? »

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