Perdue

J'étais seule. Tout à coup, ce silence profond et cette obscurité froide me terrorisèrent. Je me mis à courir derrière le faisceau dansant de ma lampe. J'avais hâte ...
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Perdue ! Guilia et Arianna visitent une mine désaffectée avec les élèves de leur classe. Les deux amies s’éloignent du groupe pour sauver une petite chauve-souris tombée de son nid. Guilia décide d’aller rejoindre les autres et elle laisse Arianna derrière elle. J’étais seule. Tout à coup, ce silence profond et cette obscurité froide me terrorisèrent. Je me mis à courir derrière le faisceau dansant de ma lampe. J’avais hâte d’être à nouveau avec le reste de la classe. Et pourtant, plus je m’éloignais d’Arianna, plus mon malaise augmentait. Je l’avais laissée dans un endroit cauchemardesque. Et s’il lui arrivait quelque chose ? Je ralentis, puis m’arrêtai. La lampe pointée vers le sol, je respirai profondément pour me calmer.

faute si j’ai des épaules de nageuse et pas elle. Si elle est faite les classes où le manuel Expressions est utilisé.

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Arianna n’est pas comme moi, pensais-je. Ce n’est pas sa

d’air et de lumière et moi de muscles et de graisse. Elle a le cœur tendre, c’est comme ça, c’est de naissance. Moi, je suis cynique, je ne crois à rien ni personne. Je rebroussai chemin et me précipitai dans le tunnel que je venais de parcourir, en direction de l’antre des chauves-souris. Je commençai à entendre la stridulation forcenée avant même d’arriver. Je courus, courus, appelant Arianna à voix haute. Les

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parois déformaient les sons, donnant à ma voix un timbre métallique qui se confondait avec les cris des chauves-souris. Une fois arrivée dans l’ancien entrepôt, je fus une fois de plus accueillie par les gifles d’air glacé provoquées par le mouvement des ailes. « Arianna ? » criai-je, me protégeant la tête d’une main et battant l’air de l’autre, afin d’éloigner ces satanées bestioles. J’avais peur qu’elles ne s’accrochent à mes cheveux. « Arianna ? » appelai-je à nouveau, plus faiblement, en illuminant le centre de l’entrepôt. Mais Arianna n’était plus là où je l’avais laissée. Je balayai l’endroit avec le faisceau de ma lampe, éclairant aussi loin que possible. Où était le bébé chauve-souris ? Il y en avait tellement que je n’aurais jamais pu le reconnaître au milieu

je cherchais. « Arianna ! Arianna ! Arrête de plaisanter ! » Rien. Un arrière-goût acide me montait à la gorge. Comment avais-je pu ne pas la voir quand elle était revenue en arrière ? L’entrepôt n’avait pas d’autre sortie !

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de la multitude de membranes noires. Mais ce n’était pas lui que

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Je devais moi aussi revenir en arrière. Immédiatement. Peutêtre allais-je la croiser. Peut-être s’était-elle tapie dans un coin pour me faire une blague, et étais-je passée devant elle sans m’en rendre compte. J’étais environ à mi-chemin lorsque je remarquai un tunnel latéral. Comment avais-je fait pour ne pas le repérer avant ? Arianna l’avait probablement pris par erreur en cherchant à rejoindre le groupe. C’était la seule explication. J’empruntai alors cet autre tunnel, tout en continuant à appeler à voix haute. L’obscurité était oppressante. Le tunnel interminable. Je marchai plus vite, en appelant toujours. À part ma voix, le silence était absolu ; même les cris des chauves-souris ne m’atteignaient plus. En dirigeant par hasard la lampe vers le haut, je remarquai

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que le plafond du tunnel n’était plus soutenu par des poutres, comme dans le reste de la mine. Et si la voûte craquait soudainement et que des tonnes de terre m’enterrent vivante ? Bravo Giulia ! Évoque les catastrophes, et tu verras comme elles te tombent dessus. Elles n’attendent que ça. Ça aussi, c’est une loi de la nature. Je décidai de rebrousser chemin. Si ça se trouvait, Arianna avait déjà rejoint les autres, pendant que moi je m’évertuais à la chercher au péril de ma vie. Et si ce n’était pas le cas, je pourrais toujours dire à Massimo d’organiser une expédition de recherche. DOSSIER 6 — V a r i a t i o n s s u r l a p e u r

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C’est le petit ruisseau sombre qui courait sur le côté du tunnel qui me fit comprendre que quelque chose clochait. D’où est-ce qu’il venait, celui-là ? Il n’était pas là, tout à l’heure. Conclusion : je n’étais jamais passée par là. De nouveau, un arrière-goût acide dans la bouche. Je fis demi-tour, mais à présent je ne reconnaissais plus rien. Je m’arrêtai. J’étais au bord de la crise de nerfs. Hic ! Hic ! Hic ! Et voilà. Des sanglots secs, qui me transformaient en marionnette mécanique. J’essayai de me calmer. Je fis des efforts surhumains. Ça suffit, Giulia ! Ne te laisse pas prendre par la panique. Compte jusqu’à cent. Non, à quoi ça sert, de compter ? C’est pour s’endormir, ça. Respire profondément. Ou retiens ta respiration.

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Entre deux sanglots, je jetai un coup d’œil à ma montre. Nous avions commencé la visite à onze heures du matin, et il était à présent onze heures quarante. Allez, Giulia, fais marcher ton cerveau. Combien de temps est passé ? Quarante minutes. Voilà tout ! Pendant un quart d’heure, tu as suivi Massimo, puis tu es partie avec Arianna et sa chauvesouris pendant cinq minutes. Ensuite tu as passé encore cinq minutes debout avec elle dans l’entrepôt. Total : vingt-cinq minutes. Allez, courage, tu ne t’es pas perdue depuis longtemps.

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Enfin, fais quelque chose, quoi !

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Un quart d’heure, maximum. Ce n’est rien ! L’important, c’est de ne pas perdre son sang-froid. C’est juste à ce moment-là que la lumière de ma lampe se mit à vaciller, puis à faiblir. Je la secouai frénétiquement, mais elle s’éteignit. J’essayai de l’éteindre et de la rallumer, très vite. Rien. Je la gardais serrée dans mes mains : si elle était tombée, je l’aurais perdue pour toujours. Je ne voulais surtout pas que ça arrive : même avec ses piles usées, elle me donnait un tout petit sentiment de sécurité. Et dieu sait que j’avais besoin de sécurité, à ce moment-là. Cette fois, l’obscurité était compacte : elle me pressait de tous les côtés, comme pour s’infiltrer sous ma peau et atteindre mon cœur. Je me laissai glisser par terre et me retrouvai assise dans la

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boue, le dos appuyé contre la paroi rocheuse. « Je suis perdue ! » gémis-je dans le noir. L’écho de ma voix se propagea dans les tunnels, se transformant en un ricanement moqueur. J’arrêtai de crier, m’autorisant seulement de tout petits hic ! hic ! J’avais la tête qui tournait. Ce tournis me faisait me sentir légère, comme si mon corps perdait peu à peu son poids. Je cessai presque de sangloter pour m’étudier. J’examine toujours avec attention les manifestations de mon corps. Quand je pleure, je m’interroge : D’où viennent les larmes ? Comment cette eau DOSSIER 6 — V a r i a t i o n s s u r l a p e u r

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salée se forme-t-elle dans le corps ? La chair de poule, les gargouillements d’estomac, les ongles qui poussent, le mystère de l’écorchure du genou qui se transforme en croûte pendant que, dessous, la peau renaît sans qu’on ait besoin de faire quoi que ce soit… tout cela m’a toujours fascinée. Allons bon, je suis sur le point de m’évanouir, pensai-je. Hic. Le premier évanouissement de ma vie. Exceptionnel ! Je me sens complètement molle. Hic. C’est comme si dans mon sang, il y avait des espèces de petites bulles qui m’aspirent… hic… vers le haut. C’est presque agréable. En effet, tout mon corps avait arrêté de trembler, réchauffé et remué par une force inconnue et puissante qui semblait vouloir le détacher du sol. C’était curieux : on aurait dit une sensation familière, comme si je n’avais jamais rien fait d’autre dans la vie que léviter comme un fakir indien. Être projetée vers le haut, se

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dimension… Pendant que la pression sous moi augmentait de seconde en seconde, je pensais : La peur, à un moment donné, fait perdre la tête. Quelle chance ! Je fermai les yeux et me laissai aller.

Silvana GANFOLFI, L’île du temps perdu, Paris, Seuil Jeunesse, 2004, p. 25-30.

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détacher de ses racines pour être propulsée dans une nouvelle