Peer Review Justice - Tunisia 2011 - Europa EU

1 déc. 2011 - locales devrait comprendre un module statistique qui fiabiliserait celles-ci et permettrait aux chefs ..... La notion de l'indépendance.
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RAPPORT FINAL Mission UE de Diagnostic du système judiciaire et pénitentiaire (Peer Based Review) en

TUNISIE Par Jean-Marie Beney, Procureur Général (France) David Forest, avocat (France) Michael Groepper, juge (Allemagne) Christian Johnson, juge (Allemagne) James McManus, expert (Royaume Uni/Ecosse) Luca Perilli, juge (Italie) Marie-Françoise Verdun, juge (France) Pierre Weiss, professeur (France)

Commission Européenne Décembre 2011

Les vues exprimées n'engagent que leurs auteurs et ne peuvent en aucun cas être comprises comme une position officielle l'Union européenne.

Sommaire Introduction

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Résumé synthétique des recommandations

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Rapports individuels des experts : 1. Administration et organisation des tribunaux judicaires, administratif et du tribunal immobilier, par Michael GROEPPER

9

2. Administration de la justice et chaîne pénale par Jean-Marie BENEY

27

3. Indépendance de la justice, administration et organisation des tribunaux judicaires et du tribunal militaire par Marie-Françoise VERDUN

38

4. Indépendance, impartialité, professionalisme de la justice par Luca PERILLI

45

5. Coopération internationale en matière civile et pénale par Christian JOHNSON

74

6. Accès à la justice et au droit par Pierre WEISS

82

7. Auxiliaires de justice et accès à la justice par David FOREST

92

8. Organisation des services pénitentiaires et conditions de détention par James McMANUS

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Annexes:

115

I. II. III. IV.

Programme des visites 1 et 2 Commentaires du ministère de la Justice Commentaires de l'Ordre des Avocats Commentaires du Tribunal Militaire

Edition:

Marie-Hélène Enderlin, Chargée de programme appui institutionnel et justice ([email protected]) et Julia Ferro, stagiaire, Délégation de l'UE en Tunisie ([email protected])

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INTRODUCTION GENERALE DE L'UE: La révolution tunisienne de janvier 2011 constitue une opportunité pour l'instauration d'un état de droit respectueux des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. En réponse à cet élan démocratique, l’UE, en accord avec le gouvernement de transition, a immédiatement convenu d'avancer la mise en œuvre du futur programme Justice à 20121 dans le but de soutenir au mieux la Tunisie dans son processus de transition démocratique. Afin d'identifier les nouvelles priorités qui devraient être prise en compte dans ce programme et de répondre au mieux aux besoins des partenaires tunisiens, une mission de diagnostic2 du secteur judiciaire/pénitentiaire a été organisée par l'UE. Cette mission de diagnostic3 du secteur judiciaire/pénitentiaire a eu lieue entre le 6 juin et 2 juillet 2011 avec un double but : (1) fournir aux partenaires tunisiens des outils (diagnostic et recommandations) afin de démarrer un processus de modernisation de leur système judiciaire et pénitentiaire, (2) du coté de l’Union Européenne, disposer d'une base de réflexion pour la formulation future du programme d'appui à la justice en Tunisie. La mission a pris la forme d’une "Peer assessment mission", à savoir que le diagnostic et les recommandations ont été faits par 8 experts des Etats-membres4. Leurs rapports sont indépendants et ne reflètent pas nécessairement la position de l’UE. Tous les experts étaient accompagnés par des collègues de la Commission Européenne5 et chacun a pu constater la disponibilité des partenaires tunisiens. Chaque expert était en charge d'évaluer un domaine bien défini. Cependant, au fil des réunions et des conversations avec les interlocuteurs tunisiens, les experts ont pu élargir les champs de leur évaluation à des thématiques plus horizontales relatives à l'indépendance de la justice ou à son administration. Suite à cette mission de diagnostic, l'UE pourra commencer à formuler des projets, sur la base du travail réalisé par la Peer review. L'approche du futur programme européen sera globale, en ce sens qu'elle pourra inclure tous les acteurs de la justice : professions juridiques, acteurs de la société civile tout comme les tribunaux et les administrations. Si dans le moyen terme une stratégie nationale de réforme de la justice devrait être formulée, dans le très court terme il est urgent d'adopter des mesures pour crédibiliser le système judicaire actuel. Nous tenons à remercier tous nos interlocuteurs tunisiens pour leur disponibilité et leur flexibilité durant la mission. Les experts européens ont fait preuve d'un haut degré de professionnalisme. Nous les remercions pour leur grande capacité à enchaîner de multiples réunions, ne ménageant pas leur peine afin de formuler au mieux leurs recommandations. Nous avons fait un résumé synthétique des principales recommandations qui pourront être couvertes dans le cadre du programme d'appui à la justice tunisienne.

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Une enveloppe d'environ 20 Millions d'Euros, pour une mise en œuvre initialement prévue en 2013 Ces missions de diagnostic plus communément appelées "Peer experts reviews" ont été utilisées principalement dans les pays candidats à l'adhésion à l'UE afin d'évaluer l'harmonisation des législations et la capacité des administrations à mettre en œuvre l'acquis communautaire. 3 Ces missions de diagnostic plus communément appelées "Peer experts reviews" ont été utilisées principalement dans les pays candidats à l'adhésion à l'UE afin d'évaluer l'harmonisation des législations et la capacité des administrations à mettre en œuvre l'acquis communautaire. 4 5 magistrats, un avocat, un professeur d'université, un expert du Conseil de l'Europe dans les systèmes pénitentiaire venant de 4 Etats membres (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie). 2

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Helge Zeitler, Direction Générale Justice, Régis Méritan, Délégation de l’UE à Tunis Chef de Section, Marie-Hélène Enderlin, Chargée des programmes justice et Rajeh Khemiri, Délégation de l’UE à Tunis

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RESUME SYNTHETIQUE 1. Indépendance et impartialité de la justice : Des mesures immédiates doivent être prises pour restaurer la confiance des citoyens dans la justice. Pour atteindre ce but: -

Les principes d'indépendance et d'impartialité doivent être mentionnés dans la nouvelle constitution, à savoir l'inamovibilité des magistrats et les exceptions à ce principe, et la composition et les compétences du Conseil supérieur de la magistrature doivent être réformés (CSM).

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Chaque décision relative à la nomination/carrière des magistrats devrait être confiée au CSM (une fois réformé). Des règles transparentes pour la gestion de la carrière des magistrats doivent être adoptées. Le CSM devrait aussi être doté de personnel, locaux et budget adéquats.

-

L'indépendance des procureurs doit être assurée par une procédure de nomination répondant à des critères objectifs. Les instructions qui leurs sont transmises doivent être par écrit et l'attribution des affaires transparente. La dépendance hiérarchique des procureurs par rapport au ministère de la Justice (MJ) doit aussi être supprimée.

-

Le pouvoir d'intervention du ministre de la Justice dans la carrière des magistrats doit être supprimé. Le transfert des magistrats sans leur consentement doit aussi être supprimé.

-

Il faut procéder à l'élection par leurs pairs de tous les chefs de juridiction.

-

La liberté d'association des magistrats doit être respectée et encouragée. Les organisations professionnelles doivent être consultées dans le processus de réforme de la justice.

-

Le droit à la formation continue à travers l'ISM doit être garanti et son statut modifié afin de rendre l'ISM indépendant du MJ. La formation initiale et continue doit être revue afin d'inclure plus de sessions sur l'application de toutes les conventions internationales, notamment celles relatives aux droits de l'Homme. Dans le cadre de la répression de la fraude/corruption, des formations spécifiques sur les méthodes d'investigation des cas de corruption complexes devraient être mises en place à l'ISM.

- La justice administrative dépend du 1er ministre mais ses magistrats devraient eux-aussi voir leur statut modifié afin d'introduire des garanties d'indépendance.

2. Administration de la justice -

Le budget dévolu à la justice est insuffisant (1,4% du budget national) et doit être augmenté pour permettre la modernisation de l'infrastructure et la reconstruction des tribunaux (14) et prisons (17). Il faudrait aussi procéder à une étude économique de la justice tunisienne et prendre la mesure des besoins, et élaborer des indicateurs et ratios (coût de l'accès à la justice, niveau de couverture de l'aide juridictionnelle, etc)

-

L'administration de la justice est très centralisée et certaines opérations devraient être décentralisées au niveau des tribunaux et directions régionales du MJ.

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Une stratégie et un plan d'informatisation des tribunaux doivent être élaborés par le MJ. Un inventaire des équipements et infrastructures en place est un préalable nécessaire à tout investissement futur.

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L'informatisation des tribunaux, incluant les greffes, doit s'accélérer avec la mise en place d'un système de gestion des dossiers qui fournirait aussi des statistiques pour mesurer l'efficacité de la juridiction.

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Dans un premier temps, à défaut de système informatique national, le développement d'applications locales devrait comprendre un module statistique qui fiabiliserait celles-ci et permettrait aux chefs de juridiction et cours d'appel de disposer d'un instrument de pilotage.

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L’état déplorable des archives des tribunaux exige des mesures d’amélioration immédiates.

3. Organisation judicaire : -

Vu le très fort encombrement du système judicaire (un taux d'appel et de pourvoi de plus de 80%), il faut mettre en place un dispositif de filtrage afin de limiter les appels et pourvois en cassation abusifs. Il faut aussi décharger les tribunaux de la délivrance de certificats, d'attestations de la tenue d'archives notariales ou commerciales qui mobilisent le personnel des greffes.

-

La justice semble expéditive mais vu le nombre des appel/pourvois et des personnes en détention provisoire, sa qualité doit être améliorée.

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En ce qui concerne la justice des mineurs, il faut créer une fonction de juge pour enfants qui assurerait le suivi des mineurs auteurs ou victimes ou considérés comme en danger.

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La suppression de juridictions d'exception en matière pénale est à privilégier. Cependant, le tribunal militaire bénéficie de magistrats bien formés. Il reste urgent que le projet de décret-loi en préparation soit adopté afin de créer un double degré de juridiction, d'élargir les recours des décisions du juge d'instruction, d'appliquer les même délais de recours que ceux prévus par le CPP et aussi la possibilité de se constituer partie civile. L'application de la nouvelle loi devrait être immédiate, à savoir aux infractions commises pendant l'état d'urgence, couvertes par l'article 22 de la loi du 6 août 1982 sur le statut des forces de sécurité.

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La composition et les attributions du Conseil constitutionnel devraient être modifiées, afin d'assurer un réel contrôle de constitutionnalité des lois.

- Pour un meilleur accès à la justice administrative, une régionalisation du Tribunal administratif devrait être envisagée.

4. Accès à la justice et au droit : -

Les frais de justice sont peu élevés et encouragent l'appel (voir "organisation judiciaire").

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Les avocats sont les seuls à pouvoir fournir une aide judiciaire. Cependant le système de l'aide judiciaire est très complexe, si bien qu'elle est rarement sollicitée. Aussi les critères d'attribution de l'aide devraient être mieux définis et son champ d'application élargi, les élèves-avocats et les avocats inscrits tenus d’y apporter leur concours. Par ailleurs, des partenariats étroits devraient être noués entre administration de la justice et ONG qui pourraient être investies d’une mission de conseil juridique et d’orientation des demandes.

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Malgré le travail du CEJJ, la jurisprudence de l'ensemble des juridictions n'est pas suffisamment accessible. Un effort de numérisation des décisions de justice en vu de leur publication devrait être poursuivi.

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A part les ouvrages du CEJJ, il n'y a pas suffisamment de périodiques/publication en matière de doctrine/jurisprudence périodique.

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L'harmonisation de la nouvelle législation avec l'existante doit être assurée et le travail du CEJJ en matière de logistique devrait être soutenu.

5. Chaîne pénale -

A moyen terme une réforme globale du code pénal et du code de procédure pénale doit être entreprise afin d'harmoniser cette législation avec les standards internationaux.

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La désignation des magistrats instructeurs ne devrait plus relever du procureur de la République, et le processus d'attribution des procédures aux juges doit être clarifié.

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Les instructions individuelles du MJ aux procureurs généraux et celles des procureurs généraux aux procureurs de la République ne devraient pas pouvoir ordonner le classement des procédures. Ces instructions doivent être encadrées par la loi.

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La garde à vue devrait être limitée, contrôlée et soumise au contrôle effectif de l'autorité judicaire. Un avocat devrait aussi pouvoir assister son client pendant la garde à vue.

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Le casier judicaire devrait être placé sous la responsabilité du MJ et non pas du ministère de l'Intérieur.

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Il faut développer le contrôle judicaire et les mesures alternatives à la détention provisoire, en s'appuyant sur un réseau associatif à créer.

- La direction et le contrôle de la police judiciaire devait être sous la responsabilité du procureur. 6. Respect des droits de l'Homme -

Une stratégie nationale de respect des droits de l'Homme devrait être développée au niveau gouvernemental, notamment par le biais de l'Unité de coordination des droits de l'Homme au MJ.

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Une stratégie de promotion des droits de l'Homme devrait inclure une formation des magistrats et autres professions juridiques (tout comme les employés du système pénitentiaire) sur l'application des conventions ainsi que la jurisprudence des cours internationales.

- Suite à la ratification de plusieurs nouveaux instruments internationaux, les organisations de la société civile devraient être étroitement associées aux mécanismes de surveillance de la mise en œuvre des nouvelles conventions.

7. Auxiliaires de justice -

La profession d'avocats a été réformée par un décret-loi en juillet 2011 et certaines des nouvelles compétences attribuées aux avocats chevauchent celles des autres professions juridiques (notaires, experts comptables, etc). L'ISPA devrait avoir une indépendance pédagogique et se dégager de la tutelle du MJ tout en renforçant ses liens avec le Barreau. La formation initiale devrait aussi être réaménagée afin d'être axée sur la pratique de l'avocat et la mise en œuvre du droit dans une perspective concrète. Enfin la formation continue doit être mise en place par l'ISPA avec l'implication du Barreau.

- Les greffiers sont peu nombreux, exécutant des tâches non liées au traitement des dossiers. L'informatisation des greffes doit être généralisée. De plus, il est essentiel que les greffiers aient une formation initiale afin d'être immédiatement opérationnels.

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La profession des huissiers de justice doit continuer sa modernisation à travers le projet de loi adressé au MJ en mai 2011. Il serait aussi utile de réfléchir à la création d'un juge de l'exécution dans le cadre de la réforme de l'organisation judicaire.

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Les notaires ont vu leurs domaines de compétences réduit suite à l'adoption du décret-loi sur la profession d'avocats en juillet 2011. Il est important que le MJ créé une commission tripartite rassemblant notaires, avocats, magistrats pour discuter de la compétence de chacun. Une réflexion sur la mise en œuvre de l'acte authentique devrait être entreprise.

8. Organisation des services pénitentiaires -

Les détenus condamnés devaient être évalués individuellement et affectés à une prison fournissant le niveau de sécurité maximum pour faire face aux risques qu'ils posent.

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Un système de libération conditionnelle devrait être développé, après la mise en place d'un système d'évaluation des risques.

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Les prisonniers en détention préventive devraient être séparés des condamnés. La pratique d'isolement des homosexuels et des séropositifs doit prendre fin.

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Seul 10% des condamnés à de longues peines peuvent travailler. Il faut développer des activités constructives pour les détenus comme le travail, le sport, etc.

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Sur les 28 établissements pénitentiaires, 17 ont été endommagés pendant la révolution. Lors de la reconstruction, un système cellulaire devrait être privilégié par rapport aux grands dortoirs existants. Des espaces sociaux devraient être préservés.

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Suite à la ratification du Protocole optionnel à la Convention contre la torture et autres traitements cruels et inhumains, la Tunisie a l'obligation de mettre en place un mécanisme national de prévention afin de superviser les prisons et autres lieux de détention.

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Il faudrait associer les ONG au contrôle indépendant des prisons. Ces ONG devraient bénéficier d'un programme de formation et avoir accès aux prisons.

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Les centres de rééducation devraient individualiser des programmes d'éducation.

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L'école nationale des prisons et de la rééducation devrait bénéficier de plus de moyens pour la formation initiale et continue.

9. Coopération internationale en matière civile et pénale : -

La voie diplomatique pour la transmission des demandes étant longue, la Tunisie devrait améliorer la formulation de ses commissions rogatoires et envisager la conclusion d'un accord sur l'extradition et l'entraide judiciaire avec l'UE, dans le but d'établir un palier d’entente sur la coopération entre tous les États membres et la Tunisie, d'autant que certains traités ne sont pas récents.

-

Même s'il existe un moratoire sur la peine de mort depuis 1992, l'abolition de la peine de mort ainsi que l'amélioration des conditions de détention supprimeraient aussi des obstacles à l'extradition.

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Si la Tunisie a ratifié la Convention des Nations Unies contre la Corruption en 2008, il reste à adopter la législation nécessaire à sa mise en œuvre.

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En ce qui concerne l'exécution des peines, la Tunisie pourrait être encouragée à envisager l'adhésion à la Convention du Conseil de l'Europe sur le Transfèrement des personnes condamnées du 21 Mars 1983. L’adhésion à la Convention permettrait aux ressortissants étrangers condamnés en

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Tunisie de purger leur peine dans leur pays d’origine ; pareillement, les ressortissants tunisiens condamnés dans d'autres pays pourraient purger leur peine en Tunisie. -

La Tunisie devrait devenir membre de la Conférence de La Haye sur le droit international privé pour avoir accès à un forum couvrant toutes les affaires civiles. Une adhésion à deux autres conventions devrait être envisagée : la Convention des Nations Unies du 15 Novembre 1965 relative à la Signification à l'étranger d’actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, et la Convention des Nations Unies du 18 Mars 1970 sur l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile matière ou commerciale.

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Même si la Tunisie ne peut pas exécuter des condamnations pénales étrangères, elle pourrait envisager son adhésion à la Convention du Conseil de l'Europe sur le transfèrement des personnes condamnées du 21 mars 1983.

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RAPPORTS INDIVIDUELS DES EXPERTS

1. ADMINISTRATION ET ORGANISATION DE LA JUSTICE JUDICIAIRE ET ADMINISRATIVE Michael Groepper, juge Sommaire Eléments de synthèse 1. Remarques préliminaires 2. Les magistrats judiciaires 2.1. Le statut 2.2. La formation primaire 2.3. La formation continue 2.4. La sélection 2.5. L’avancement 2.6. La rémunération 2.7. La discipline 2.8. L’indépendance 2.9. Le Conseil Supérieur de la Magistrature 2.10. Remarques et conclusions 3. Les tribunaux et les cours judiciaires 3.1. L'organisation et la procédure de l'ordre judiciaire 3.2. Les conditions matérielles des tribunaux 3.3. Les conditions de travail des magistrats 3.4. L'exécution des jugements 4. La justice administrative 4.1. L'organisation 4.2. La compétence 4.3. Le statut des magistrats 4.4. La procédure 4.5. Compétence consultative 4.6. Conclusions 5. Autres institutions judiciaires 5.1. Le Centre d'Etudes Juridiques et Judiciaires (CEJJ) 5.2. Le tribunal immobilier 5.3. Le Centre de rééducation 6. Remarques et conclusions

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- Eléments de synthèse Les responsables de l’administration de la justice en Tunisie sont décidés à profiter de la révolution du 14 janvier 2011 pour améliorer le système juridique et judiciaire de leur pays. Ils sont ouverts aux expériences et aux conseils venant de la France – pays d'origine de leur système – et d’autres pays de l’Europe. Ils sont conscients du fait que le bon fonctionnement de la justice est une condition indispensable pour rendre le pays, dont l’économie repose largement sur le commerce et le tourisme, attirant pour les investisseurs étrangers. La Tunisie dispose d’un système de justice élaboré, comprenant des tribunaux judiciaires et administratifs. L’existence et le travail du tribunal immobilier promettent le développement d’un droit foncier moderne. Grâce à l’esprit ouvert des juristes en charge à tous les niveaux, toute amélioration nécessaire peut être effectuée sans changement radical du système tel qu’il est. Sur le plan matériel, l’équipement des institutions judiciaires demande un renforcement important. Les bâtiments sont trop petits, souvent trop vieux et trop peu nombreux et l’informatisation doit être mise au niveau de la technologie actuelle. La responsabilité de satisfaire les besoins matériels ordinaires et le recrutement de la main d’œuvre devrait être décentralisée en l’attribuant aux présidents de juridiction. La position des magistrats doit être renforcée. Leur indépendance doit être mieux protégée et respectée en diminuant le pouvoir de gérer leur carrière à discrétion. Leur inamovibilité doit être garantie. La formation des magistrats est sans reproche, mais les conditions actuelles de travail, marquées par une surcharge manifeste de dossiers, ne leur permettent pas de mettre l'ensemble de leurs compétences au service de la justice. Des changements de procédure ainsi qu’une augmentation de leurs nombres s’imposent. 1. Remarques préliminaires 1. Ce rapport reflète les expériences acquises pendant une semaine, au cours d’environ vingt rencontres soigneusement arrangées par la Délégation de l’Union Européenne avec les représentants du ministère de la Justice, du Parquet Général, des services judiciaires, de l’Institut Supérieur de la Magistrature, du Centre d’Etudes Juridiques et Judiciaires et avec les Présidents, magistrats et conseillers des tribunaux et cours judiciaires et administratives. 2. L’auteur, de provenance allemande et peu familier au système juridique tunisien (reprenant très fortement les bases du système français), s’est surtout penché sur les questions de l’indépendance des juges et leur position dans une société en pleine voie d’évolution et de réformes après la révolution du 14 janvier 2011. Ce rapport est donc moins focalisé sur les questions d’organisation du système juridique. Les remarques reflètent des questions qui se posent régulièrement dans le système allemand. 3. Il va de soi que les remarques et les conseils ici retenus ne reflètent que les propres idées de l’auteur et que des détails techniques ne sont pas à prendre à la lettre, puisque le danger de les avoir mal compris ne peut pas être exclu.

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4. L’auteur tient à souligner qu’il a rencontré, à toutes les occasions et dans toutes les réunions, des interlocuteurs avec un esprit ouvert et accueillant. Il a été marqué par l’impression que tous ses interlocuteurs étaient portés par la volonté d’agir au mieux dans l’intérêt de leur pays. 2. Les Magistrats judiciaires 2.1. Le statut Le corps des magistrats de l’ordre judiciaire est classé en trois degrés. Assemblés en chambres, ils travaillent à deux du même degré, avec un président de chambre d’un degré supérieur. La répartition des sexes est à peu près équilibrée; cependant il y a une tendance vers une « féminisation » de la profession. Ce phénomène est attribué à la fois à une certaine liberté de travail, laissant aux femmes la possibilité de mener parallèlement une vie de famille, et aux résultats des études et des concours souvent meilleurs des femmes. Il m’a été confirmé à plusieurs reprises qu’il n’est pas dû à un traitement financier trop peu attirant pour les hommes, comme cela est le cas dans nombre de pays. Le statut des magistrats est réglé par une loi datant de 1967. Cette loi porte sur l'organisation judiciaire, le Conseil Supérieur de la Magistrature et les fonctions exercées par les magistrats. Elle règle la formation, la sélection, l’avancement, la mutation, la rémunération, la durée de la vie professionnelle, la pension et la discipline des magistrats. Il va de soi que l’indépendance du juge est garantie par la loi. Mais savoir jusqu'à quel point cette indépendance est réelle est un sujet qui ne fait pas l'unanimité parmi les interlocuteurs rencontrés. Comme spécifié, il est utile de mentionner que les magistrats jouissent d’une immunité personnelle qui empêche qu’ils soient soumis à une procédure pénale. Il incombe au Conseil Supérieur de la Magistrature de lever cette immunité. En outre, tous les magistrats sont soumis à l’obligation de demander une permission auprès du ministère de la Justice pour quitter le territoire tunisien, même pour des raisons privées (vacances) et pour une courte durée. D’après les renseignements perçus par le ministère de la Justice, cette permission n’est jamais refusée, la restriction tendant plutôt à une protection des magistrats à l’étranger et à un appui offert par les représentants diplomatiques de la Tunisie qui sont informés automatiquement par le ministère de la Justice de la présence d’un magistrat tunisien. 2.2. La formation initiale La formation initiale suit étroitement le modèle français, avec des études de droit à l’université et une formation centralisée et standardisée à l’école de la magistrature (« Institut Supérieur de la Magistrature/ISM »). Contrairement au modèle allemand qui prévoit une formation unique (unitaire) pour toutes les professions juridiques (juges, procureurs, avocats, notaires, hauts fonctionnaires dans la fonction publique), cette formation est strictement réservée aux futurs juges et se distingue clairement des formations réservées aux autres professions juridiques. Le choix de la carrière de magistrat exclu donc le choix d’une autre profession juridique. Toutefois, il existe des possibilités, plutôt exceptionnelles, de changer de carrière, pourvu que certaines conditions, entre autres d’ancienneté, soient remplies. L’exemple personnel de l’auteur qui a débuté comme avocat, puis est passé comme fonctionnaire au service public, avant de commencer une carrière de juge, ne semble pas être répandu en Tunisie. Il s'en suit, pour les magistrats, un esprit de corps marqué et la nécessité

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de se distinguer par la performance, faute de possibilité réelle de « s’échapper » vers une carrière parallèle. La formation des auditeurs de justice au sein de l’ISM est une formation très théorique, passée en classe, mais avec des périodes de stages pratiques dans l’administration et dans les tribunaux. La durée de la formation est de deux ans, dont 1 an et 3 mois à l’Institut même, neuf mois en stages, soit: • Administration publique (2 mois) • Siège (3 mois) • Instruction (1 mois) • Tribunal immobilier (1 mois) • Juridiction pour enfants (1 mois) • Autres et services spécialisées (1mois). Le curricula ne semble pas contenir suffisamment de sessions intégrant la pratique du droit et aussi les jurisprudences des cours internationales ou nationales (relatives à l'application des conventions internationales). La formation est gratuite et les auditeurs touchent une indemnité. Les enseignants sont tous des magistrats, souvent en même temps professeur à l’université. Cependant, les critères de sélection des formateurs/enseignants ne sont pas transparents. Une bibliothèque munie de 15.000 volumes environs comprend la totalité du droit tunisien actuel (civil, pénal, public), la plupart en langue arabe, et un grand nombre des livres français. Le stock de livres d’autres langues (anglais, allemand) est minime. L’institut possède deux salles d’audiences pour des simulations d'audiences, équipées comme les salles normales des tribunaux. Un laboratoire de langue sert à l’enseignement de l’anglais (aussi en service pour la formation des interprètes assermentés dont la formation est également confiée à l’Institut)6. L’Institut est aussi chargé de la formation continue des magistrats ainsi que de celle des autres professions judiciaires (greffiers, huissiers, notaires, interprètes, experts). Pour la formation des agents du ministère de la Justice, il existe une formation à distance. Les participants sont instruits par écrit et convoqués pour l’examen final. 2.3. La formation continue La formation continue n’est pas une obligation stricte mais fait plutôt partie d’une déontologie des magistrats. Participer à une formation semble avoir un effet utile sur la carrière des magistrats, leur position professionnelle dépendant d’une évaluation. La formation doit être revue afin d'inclure plus de sessions sur l'application de toutes les conventions internationales, notamment celles relatives aux droits de l'homme. Dans le cadre de la répression de la fraude/corruption, des formations spécifiques sur les méthodes d'investigation des cas de corruption complexes devraient d'urgence être mises en place à l'ISM. 2.4. La promotion/carrière des magistrats La sélection des magistrats se fait d’après les résultats obtenus en formation.

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: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°8

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2.5. L’avancement En général, l’avancement est régi par le principe de l’ancienneté. Il y a un mouvement annuel de promotions et de mutations parmi les magistrats. Il y a donc un tableau de magistrats de même ancienneté, auquel il faut être inscrit pour avancer, et parmi eux le choix dépend (si je l’ai bien compris) du mérite personnel. Souvent les promotions sont liées à des mutations ; le refus d’une mutation – à condition qu’il soit accepté par le ministère de la Justice - peut donc retarder la promotion. Ce système tend à supprimer le népotisme mais ne favorise pas l'avancement selon le mérite. 2.6. La rémunération D’après les renseignements perçus, les salaires des magistrats ne sont pas très élevés. Un auditeur reçoit un traitement de 648 DT, un magistrat du 1er degré environ 1004 DT, un conseiller du deuxième degré en touche 1100, et celui du troisième environ 2000 DT (net) par mois. Une grande partie des magistrats, sinon la majorité, sont endettés. 2.7. La discipline Le pouvoir disciplinaire, auquel les magistrats sont soumis, est confié d’office au Conseil Supérieur de la Magistrature. Lorsqu’il s’agit d’un mauvais comportement de caractère criminel, c’est aussi à lui de lever l’immunité pénale du magistrat. Au cas où il refuse de le faire, la procédure disciplinaire ne peut être basée sur des faits établis par l’instruction d’un juge. Les mesures de discipline vont d’une réprimande jusqu’à la révocation. Elles sont maintenant susceptibles d’être attaquées devant un tribunal administratif, alors qu’autrefois la décision du Conseil Supérieur de la Magistrature ne pouvait que faire l'objet d’une demande en annulation devant le Conseil Supérieur de la Magistrature même. 2.8. L’indépendance L’indépendance des magistrats est, bien entendu, garantie par la loi et, semble-t-il, généralement respectée. Cependant, le pouvoir vaste et discrétionnaire dont jouit le Conseil Supérieur de la Magistrature est tel qu’il risque de porter atteinte à cette indépendance. La notion de l’indépendance ne comprend pas l’inamovibilité du juge. La mutation d’un magistrat malgré lui n’est donc pas considérée comme une atteinte à son indépendance, alors que les conséquences personnelles et familiales qui peuvent découler d’une telle mesure (qui peut être justifiée par l’invocation très vague de « l’intérêt public ») sont fortement capables d’avoir cet effet. Le pouvoir de lever l’immunité du magistrat ou de s’abstenir de cette mesure peut sans doute influencer la position de défense d’un magistrat face au reproche d’un comportement criminel. Finalement, la mesure la plus grave – la révocation ou le licenciement – ne semble pas être utilisée en cas de délit grossier commis par le magistrat et jugé dans une cour judiciaire.7 7

Par ex., en Allemagne, un juge nommé à vie ne peut être révoqué de sa position que par la décision d’un tribunal indépendant et à condition qu’il soit auparavant condamné par un tribunal pénal à une peine de prison d’au moins un an pour un crime de propos délibéré ou pour un crime de haute trahison.

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Plusieurs de mes interlocuteurs ont remarqué, à juste titre, que l’indépendance du juge est surtout liée à sa personnalité et dépend beaucoup de son attitude personnelle vis-à-vis de sa profession. Il s’agit donc, très largement, d’un élément qui doit être enraciné dans la culture générale et dans la mentalité du juge même. Cependant, ceci ne diminue pas la nécessité d’écarter au maximum toutes les conditions extérieures qui pourraient, théoriquement ou en pratique, porter atteinte à son indépendance. Cette tâche très importante incombe à ceux qui ont la responsabilité de créer le cadre législatif et administratif, à l’intérieur duquel la culture du droit et de la justice peut se développer. 2.9. Le Conseil Supérieur de la Magistrature Dans les paragraphes précédents, le rôle très important du Conseil Supérieur de la Magistrature a été noté. C’est à ce conseil que revient la tâche principale de diriger la formation, la sélection, l’avancement et l’emploi professionnel des magistrats ainsi que la tâche d’exercer la discipline à leur égard. A mon avis, il y a un risque que le CSM, par ses pouvoirs excessifs, porte atteinte à l’indépendance des magistrats. Considéré comme un organe situé entre le ministère de la Justice et les magistrats, le Conseil Supérieur de la Magistrature est en réalité le bras armé du ministère. Le ministre de la Justice est membre du conseil ainsi que le Président de la République, d’autres membres sont aussi désignés par le ministre. C’est au parquet général des services judiciaires – une partie du ministère de la Justice – qu’incombe de préparer les travaux du Conseil. Le service du Conseil relève de la direction générale des affaires judiciaires au sein du ministère de la Justice. 2.10.

Remarques et Conclusions

Les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature eux-mêmes, auxquels j’ai pu parler, considèrent la situation actuelle comme étant problématique. Bien que la personnalité des membres ait, dans le passé, garanti la bonne représentation des intérêts des magistrats, la critique continue. La probation des membres ne peut pas suffire pour garantir leur propre indépendance – condition minimale afin de leur faire respecter et protéger l’indépendance des magistrats. La plupart de mes interlocuteurs ne souhaitent pas l’abolition du Conseil Supérieur de la Magistrature, mais une nouvelle composition de ses membres, élus sans exception par les magistrats. On appelle à un conseil où la présidence reviendrait au Président de la cour de cassation. Partageant largement cette critique, je ne suis pas convaincu des idées avancées par beaucoup de mes interlocuteurs, de composer le Conseil Supérieur de la Magistrature uniquement de membres élus par les magistrats. J’envisage le danger que les magistrats finissent par former un corps isolé et élitiste, sans aucune légitimité fondée sur une base démocratique (danger de corporatisme). Je ne suis pas du tout opposé à l’idée que le recrutement et le suivi de la carrière judiciaire des magistrats soient confiés au ministre de la Justice, pourvu que lui même soit responsable devant un parlement véritablement démocratique, et à condition que les décisions du conseil soient basées sur des critères fixés d’avance, clairs, transparents, non discrétionnaires, respectueux de l’indépendance des magistrats et éventuellement soumis à un contrôle exercé par le juge administratif.

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3. Les tribunaux et les cours judiciaires 3.1. L’organisation et la procédure de l'ordre judiciaire L’organisation des tribunaux et des cours judiciaires reflète le modèle français8 et au modèle continental européen. Les tribunaux sont appelés à trancher les litiges civils et pénaux. La plupart des décisions de première instance peuvent être sujettes à un appel et à un pourvoi en cassation. La justice n’est pas gratuite, mais les frais sont si bas que personne ne s’abstient de parcourir les instances pour des raisons monétaires9. Il n’y a aucun filtre qui permet aux cours d’appel et de cassation de rejeter les dossiers. Comme la grande majorité des requérants se sert des voies de recours en appel ou en cassation, souvent pour ralentir la procédure, le nombre des cas ne diminue que très peu dans les instances supérieures. A part le contentieux, le tribunal est aussi compétent pour donner toute sorte de renseignement, de délivrer des documents et de recevoir des requêtes variées. Un grand nombre de greffiers est uniquement chargé de ces fonctions. Le tribunal de 1iere instance reçoit environ 150.000 cas pénaux et le même nombre de cas civils par an. 70.000 jugements par an sont rendus. Chaque chambre siège deux fois par semaine. Environs 15 cas sont écoutés par audience. Le jugement est prononcé après la séance. La longueur du jugement écrit varie selon la complexité du cas et est de 5 à 6 pages en moyenne. Le magistrat le rédige luimême, ensuite son esquisse passe au secrétariat qui produit la version finale. Dans tous les tribunaux et cours de la Tunisie, 3.350.000 affaires sont enregistrées en moyenne, dont 902.000 affaires de caractère correctionnel, 202.000 contraventions, 687.000 affaires pénales (dont 19.800 affaires criminelles). Le chiffre des affaires civiles est de 1.800.00010. Il y a 10 cours d’appel. Tous les cas, même ceux de la moindre importance, passent en audience. Au tribunal, il n’y a pas de procédure écrite. Par contre, la cour de cassation ne connaît que la procédure écrite. La mise en liberté sous caution est prévue par la loi, mais très peu – voir exceptionnellement pratiquée. On y voit un problème qui porte atteinte au principe de l’égalité, puisque la majorité ne dispose pas des moyens nécessaires pour jouir de ce privilège. Le code pénal connaît la possibilité d’un jugement in absentia11. Si le condamné se présente pour formuler une opposition, le jugement est considéré comme non prononcé. L’effet d’un jugement rendu in absentia est donc surtout de servir de base à une requête civile pour dédommagement. Les délais sont remarquablement courts, vu le nombre de cas à traiter, et ceci dans les trois instances. La durée moyenne des cas en matière pénale est de 8 mois, et de 12 mois en matière civile pour les trois instances. Il nous a été mentionné que cette célérité se fait au détriment de la qualité.

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: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°11 La perte d’un procès civil entraine des frais de 10 Dinars, d’un procès pénal de 30 Dinars. 10 : cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°9 9

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Pendant l’élaboration de ce rapport, la justice tunisienne en a donné un exemple remarquable en condamnant l’exPrésident Ben Ali – et sa femme – in absentia à une peine de 35 ans de prison.

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La garde à vue est possible pour une durée de trois jours avant de présenter le détenu à un juge. Ce délai peut être prolongé une seule fois pour la même durée sur décision motivée du parquet (loi n°2008-21 du 4/3/2008) Durant ce délai ni la famille, ni un avocat, ni le tribunal, ni le parquet sont informés12. La police judiciaire relève du ministère de l’Intérieur et n’est pas placée sous les ordres du procureur général. Le procureur général n’a pas d’autorité sur l’organisation du service de la police judiciaire. Il n’éprouve pourtant pas le besoin d’un rattachement organique de la police judiciaire au ministère de la Justice. 3.2. Les conditions matérielles des tribunaux Tous les tribunaux, cours et autres institutions judiciaires relevant du ministère de la Justice sont gérés par la Direction Générale des Services Communs, et au sein du ministère de la Justice, qui comprend 120 personnes. Elle est chargée de coordonner les services et de rationaliser la gestion des ressources humaines et des moyens matériels du système judiciaire (sans le Tribunal Administratif, qui relève du Premier Ministre). Elle est donc en charge des affaires administratives et financières de toutes les institutions judiciaires, du recrutement du personnel (greffiers, personnel ouvrier), du calcul et du paiement des salaires et des pensions. Il lui incombe la maintenance des bâtiments et l’équipement matériel des tribunaux. Le nombre de personnes qu'elle gère est de 10.500, y compris les magistrats. Tout recrutement du personnel (peu importe où la personne sera employée) se passe par voie de concours centralisé à Tunis. Le remplacement d’un matériel défectueux doit être organisé et approuvé par le service général. Pour l’entretien des bâtiments, la direction peut recourir à l’assistance par les 24 directions régionales du ministère de l’habitat. Les tribunaux régionaux ont une régie de 300 DT à leur disposition. La direction gère un budget de 270 MDT (en 2011, après 245 millions en 2010), dont 183 millions reviennent au personnel. Il en reste peu pour les investissements nécessaires. Une augmentation du budget de 50 % est considérée comme raisonnable. La centralisation très marquée du système vise à combattre le problème du favoritisme. 3.3. Les conditions de travail des magistrats 110 magistrats, divisés en 45 chambres, sont compétents pour deux millions de justiciables. La charge moyenne est de 3000 cas environs par an par magistrat. Les conditions matérielles du travail des magistrats que j’ai pu rencontrer sont marquées par cette surcharge grossière de cas et un manque considérable de secours matériel. En général, les bureaux des magistrats sont petits, muni d’un équipement très modeste. Il y en a qui n’ont pas de bureau. Les magistrats travaillent 2 à 3 fois plus que ce qui est considéré comme la norme dans l'UE. Malgré leur dévouement admirable, les parties sont mécontentes des résultats obtenus dans les tribunaux. Ceci explique en partie qu’il soit normal de traverser toutes les instances.

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: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°8

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Du point de vue moral et de celui de l’engagement professionnel des magistrats, la justice est très saine, comme l’a exprimé un haut conseiller. Les conditions sont honorables, mais pas brillantes. L’essentiel y est, mais on éprouve le besoin d’un affinement. 3.4. L’exécution des jugements Il y a des difficultés d’exécution des jugements qui sont dues à un grave manque d'huissiers. Quant à l’exécution des peines, il y a un problème de plus après la révolution du 14 janvier 2011, à la suite de laquelle il y a eu des dégâts majeurs dans les prisons et les tribunaux. 17 prisons sur 28 ont été endommagées, même incendiées. 13 tribunaux ont également souffert de graves dégâts ; quelques uns ont été complément mis à bas. En attendant, le MJ a loué des locaux ou transféré les cours à d’autres endroits. Mes interlocuteurs ont estimé la somme de 5,2 milliards de dinars nécessaire pour les réparations. Les conditions de détention dans les prisons sont actuellement intenables, ce qui a été reconnu par tous les interlocuteurs. Le problème de l’encombrement des prisons est aggravé par le fait que la plupart des accusés sont également placés en détention préventive avant d’être jugés par le tribunal. La peine de mort, toujours prévue pour certains crimes, est suspendue par voie de moratoire depuis 1991. Les condamnés à mort passent en détention perpétuelle. Avant la révolution, ils n’avaient pas le droit d’avoir des visites de leurs familles et de recevoir du secours matériel de l’extérieur. Ceci a changé depuis. La compétence d’accorder la libération conditionnelle relève uniquement du ministère de la Justice, sauf pour les peines en dessous de huit mois, où les requêtes sont traitées par les juges d'application des peines (article 342 du code de procédure pénal). 4. La justice administrative 4.1. L’organisation La justice en matière administrative est rendue par le Tribunal Administratif. Création plutôt récente (établie par une loi de 1972), le tribunal comprend trois instances, soit sept chambres de première instance, cinq chambres d’appel et trois chambres de cassation. Comme le chiffre total des affaires dont le tribunal était saisi ne dépassait pas au début le nombre de 600 par an, ceci ne posait pas d’inconvénient ; le petit nombre d’appels ne justifiait pas la création d’une deuxième instance. Actuellement, cependant, le chiffre des affaires traitées est monté à 5000 par an. Depuis, il y a un projet de créer une cour d’appel indépendante du Tribunal, et de créer des tribunaux de 1ère instance régionaux. 4.2. La compétence Contrairement à de nombreux pays où la compétence de la juridiction administrative est dressée sur un tableau énumératif, celle du Tribunal Administratif est décrite par une clause générale lui attribuant de statuer sur tous les litiges à caractère administratif à l’exception de ceux qui sont attribués à d’autres juridictions par une loi spéciale. Tous les cas relevant du droit administratif, notamment: liberté civile, organisations, passeports, travail dans le service public, urbanisme,

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environnement, formation dans les écoles et universités, police, responsabilité de l’état, concurrence, électoral, fiscal, ordre professionnel sont attribués au Tribunal Administratif. Aujourd’hui, mêmes les arrêtées du gouvernement sont attaquables devant le Tribunal Administratif. Cependant, contrairement au modèle suivi dans les pays de l’Europe de l’est (ex-soviétiques), et conformément au modèle allemand, les sanctions administratives ne peuvent pas être attaquées au Tribunal Administratif, mais relèvent du tribunal judiciaire. Le Tribunal Administratif est alors compétent pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation des actes pris en matière administrative, ainsi que des recours en responsabilité administrative; en appel et en cassation, sur les recours dirigés contre les décisions rendues par le Conseil de la Concurrence et le Comité Général des Assurances, et, en cassation, sur les litiges en matière fiscale, ceux afférents aux ordres professionnels ainsi que sur les recours intentés contre les décisions rendues par la Commission Bancaire. Récemment, on a ajouté la compétence pour le contentieux électoral, concernant l’élection des candidats, la campagne électorale et les résultats même des élections. Ainsi, le Tribunal Administratif (sans tenir compte de la répartition des compétences parmi les différentes chambres) est appelé à trancher tous les litiges pour excès de pouvoir, les litiges relatifs aux contrats administratifs; la responsabilité de l'administration soit à raison de son action administrative illégale ou des travaux qu'elle a ordonné, soit à raison des préjudices anormaux qu'elle a provoqué par une activité dangereuse, sur les appels dirigés contre les décisions du Tribunal Administratif rendues en premier ressort, les décisions du Conseil de la Concurrence, et, exceptionnellement, sur le recours pour excès de pouvoir concernant les décrets à caractère réglementaire. Finalement, le Tribunal Administratif statue par voie de cassation sur les pourvois formés contre les jugements rendus en dernier ressort par les chambres d'appel du Tribunal Administratif en matière de plein contentieux ainsi que sur les recours contre les jugements rendus en dernier ressort par les tribunaux judiciaires en matière fiscale et en matière d'inscription sur les listes électorales pour les élections présidentielles, législatives et municipales. Sur ce plan, le tribunal se prépare actuellement à affronter une large charge de travail en vue des élections d’une Assemblée Constituante prévue en octobre. En plus, le Tribunal Administratif est compétent pour statuer sur les recours contre les arrêts rendus par les cours d'appel de l'ordre judiciaire en matière de contentieux des différents ordres professionnels; et finalement sur les recours contre les décisions rendues par la Commission Bancaire. 4.3. Le statut des magistrats a) En 2010, le Tribunal Administratif a subi une reforme du statut des magistrats et de la procédure, qui n’est pas encore terminée (expression du 1er Président : "le chantier est ouvert"). Il y a le projet de créer des cours administratives d’appel dans les régions. J’ajoute qu’il devrait être accompagné d’une régionalisation de la justice administrative pour "rapprocher" le juge administratif du justiciable en créant des chambres et tribunaux régionaux. La justice administrative dépend du 1er Ministre mais ses magistrats devraient eux-aussi voir leur statut modifié afin d'introduire des garanties d'indépendance. b) Le Tribunal Administratif ne relève pas de ministère de la Justice mais du Premier Ministre. Il n’y a pas de tronc commun dans la formation, la sélection et la carrière des magistrats de l’ordre judiciaire et de ceux du Tribunal Administratif. Le Conseil Supérieur de la Magistrature n’est pas compétent pour les conseillers du Tribunal Administratif. Par contre, il y a le Conseil Supérieur du

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Tribunal Administratif qui exerce les fonctions équivalentes. c) Les magistrats commencent leur carrière au sein du Tribunal Administratif comme conseillers adjoints nommés par décret pris sur proposition du Premier Ministre et présentation du Premier Président. Cette position est accessible soit aux candidats ayant accompli avec succès le cycle supérieur de l'Ecole Nationale d'Administration et titulaires d'une maîtrise en droit ou d'un diplôme équivalent, soit aux sortants d’un concours comportant une étude du dossier, titres, travaux et diplômes des candidats, ainsi qu'une discussion avec les membres du jury. Les conseillers du Tribunal Administratif sont nommés sur proposition et présentation du Premier Président parmi les conseillers adjoints comptants en cette qualité plus de 6 ans de service et inscrits sur une liste d'aptitude arrêtée par le Conseil Supérieur du Tribunal Administratif. Ils sont également nommés par voie de concours ouvert aux fonctionnaires titulaires d'une maîtrise en droit ou d'un diplôme équivalent organisé sur la base des diplômes, travaux et dossiers des candidats et d'un entretien avec les membres du jury. A l'issue d'une période probatoire de deux ans, le Conseil Supérieur du Tribunal Administratif est consulté sur la confirmation de la nomination. En outre, des conseillers en service extraordinaire peuvent être désignés, pour une durée de deux ans renouvelable une fois, parmi les agents publics ayant une large expérience administrative. 4.4. La procédure a) Comme dans les instances judiciaires, beaucoup de décisions prises en première instance sont suivies d’un appel ou d'un pourvoi en cassation. Cependant, peu de ces pourvois se terminent par un succès du requérant. A ma question concernant l’existence d’un moyen de filtrage entre les instances, j’ai reçu en réponse par M. le Premier Président la remarque qu’un tel filtre n’existe pas et que l’on n’envisage pas, actuellement, d’en installer un, puisqu’il pourrait dissuader les citoyens de saisir la justice administrative. b) Le Tribunal Administratif a réussi une réduction des délais de 3,5 ans à 10 mois sans augmentation du personnel, et en allant le plus souvent au fond des dossiers. Aujourd’hui, 90 % des dossiers sont jugés sur le fond, contre 40 % autrefois. Le reste des cas est rejeté pour des raisons formelles. c) La procédure se poursuit largement à l’instar de la procédure judiciaire. Chaque juge appartient à deux chambres ; dans l’une, il agit comme juge d’instruction, dans l’autre il est juge de l’affaire. Comme juge d’instruction, il ne participe donc pas au processus de jugement de l’affaire, et comme juge qui tranche l'affaire il ne fait pas l’instruction. Quand il y a un manque d’instruction, le juge qui est saisit de la décision sur le fond peut alors renvoyer le dossier à l’instruction. d) Le juge rapporteur qui mène l’instruction dispose de vastes pouvoirs pour récupérer toutes informations qu’il juge nécessaires. Comme en Allemagne, il peut demander aux agences publiques la présentation intégrale de leurs dossiers; il peut se rendre sur place, convoquer des témoins, s’informer en demandant l’avis d’un expert. Au cas où l’agence publique retiendrait des informations pour des raisons de sureté nationale etc., le magistrat chargé de l’instruction a quand même le droit de voir les informations. Si l’agence refuse de les fournir, le juge peut en tirer des conclusions en faveur du requérant. Le juge rapporteur conclut son travail par un rapport avec une proposition de juger, que ne lie pas la chambre qui décide. Après que le rapporteur ait délivré son rapport, le président de chambre fixe la date de l’audience.

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Inspiré par la tradition allemande qui ne connaît pas cette séparation distincte des fonctions de l’instruction et du jugement sur le fond, je ne vois pas très bien l’avantage de ce système qui me semble plutôt susceptible de causer des retards que de faire avancer le traitement de l’affaire. Surtout, je ne vois pas l’avantage d’éliminer le juge rapporteur (qui est le mieux au courant des détails du cas concerné) de la formation de jugement. Pourtant, personne parmi mes interlocuteurs n’a mis en question ce système, bien enraciné dans la tradition tunisienne. Je me contente donc d’une remarque marginale à ce sujet, en mettant en garde le lecteur de ce rapport qu’une autre solution procédurale est quand même imaginable (sinon souhaitable). e) Le code de procédure prévoit des moyens susceptibles de donner une protection efficace aux droits des justiciables. La gamme comprend le sursis en exécution, des décisions en référé, des décisions conservatoires et provisoires13. f) Lorsque le magistrat chargé de trancher l’affaire sur le fond se voit poser la question de savoir si une règle légale applicable au cas est conforme à la constitution, il n’a ni la possibilité ni le droit de soulever cette question devant une cour constitutionnelle ou d’en saisir le Conseil constitutionnel. La question est considérée comme étant tranchée d’avance par l’avis préalable du Conseil constitutionnel. Actuellement, le conseil constitutionnel créé le 16 décembre 1987 a été dissous après la révolution du 14 janvier 2011 g) L’exécution des décisions du Tribunal Administratif rencontre trop souvent des difficultés. Les raisons sont parfois que le débiteur (par Exemple, une commune) ne se trouve pas en mesure financière d’accomplir ce que le jugement lui impose. C’est alors au président de la chambre compétente de diriger l’exécution et de trouver une solution pratique. En plus, les jugements du Tribunal Administratif de première instance n’ont pas de force exécutoire nonobstant l'appel ; ainsi tout appel ou pourvoi en cassation a un effet suspensif. 4.5. Compétence consultative Comme en France, le Tribunal Administratif a également des compétences sur le plan consultatif dont sont chargées les deux chambres. Comme leur activité ne se trouve pas dans le focus de la mission actuelle visant le judiciaire, je passe sur cette fonction. 4.6. Conclusions Mon impression générale est que le Tribunal Administratif est mieux équipé en ressources humaines et matérielles pour rendre la justice aux justiciables. Les conditions extérieures de travail me semblent bien meilleures que dans les tribunaux judiciaires. Je n’ai pas vu de requérants faisant la queue pour obtenir des papiers ou des renseignements. La charge de travail des magistrats, bien que lourde, leur permet quand même de consacrer le temps nécessaire au cas particulier pour trouver et rédiger un jugement digne de ce nom (à mon avis impossible dans les conditions dans lesquelles doivent accomplir leurs fonctions les magistrats de l’ordre judiciaire). Par conséquence, il n’y a aucun désir du coté des magistrats du Tribunal Administratif de couper les liens avec le Premier Ministère par lequel ils sont administrés, et de s’unir à leurs collègues de l’ordre judiciaire sous la tutelle du ministère de la Justice. Les magistrats que j’ai rencontrés se rendent parfaitement compte de l’importance (aussi par rapport aux investisseurs étrangers) d’un contrôle effectif de l’administration 13

Je me permets de noter que beaucoup de ces moyens ont été repris en France du modèle allemand.

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publique pour la sauvegarde des droits individuels et collectifs des membres d’une société régie par un état de droit. Pour un meilleur accès à la justice administrative, une régionalisation du tribunal administratif de 1ère instance devrait être envisagée comme suggéré lors du Jumelage avec le Conseil d'Etat français. Comme dans toutes les autres institutions visitées, il existe une grande demande pour une amélioration du matériel, notamment de l’informatique. 5. Autres institutions judiciaires 5.1. Le Centre d’Etudes Juridiques et Judiciaires Le Centre d’Etudes Juridiques et Judiciaires est une institution de caractère mixte (avec des traits de législation, d’administration et de jurisprudence) dont l’importance et l’influence me paraissent considérables. Il se définit lui-même comme un laboratoire de recherche (comparable aux « think tanks » américains) du ministère de la Justice et comme plaque tournante pour tous les autres ministères, qui poursuit le but d’améliorer la législation nationale. Ses collaborateurs travaillent en contact étroit avec le service et le bureau du Premier Ministre et le Conseiller du Gouvernement. Le Centre occupe une place prépondérante dans la législation. Placés sous les ordres d’un Directeur Général et assisté par un conseil, les membres du Centre sont divisés en cellules présidées par des chefs de cellule et sous-divisés en groupes de recherche composés de chercheurs. Ceux-ci sont recrutés parmi les magistrats de tous grades. Le Centre cherche à recruter en son sein les plus qualifiés, tout en évitant de pousser trop loin la spécialisation des membres chercheurs (le Directeur General s’est décrit lui-même comme « un vrai chasseur de têtes »). Un échange continuel entre le Centre, les tribunaux et les cours est souhaité. La liste des candidats est fixée une fois par an dans une réunion entre le directeur général et le ministre de la justice. D’après mon impression, la nomination au Centre est une possibilité de se distinguer par le mérite et de se libérer un peu des liens étroits du principe de l’ancienneté. Bien que la majorité des magistrats se concentrent sur la législation, beaucoup d'entre eux occupés aux Centre sont en même temps des universitaires qui apportent au travail leur approche scientifique. Toutefois, le directeur est à même de recourir, en cas de besoin, à des spécialistes sur une base contractuelle. La compétence du Centre porte sur l’ensemble du droit et tous les projets de loi (à l’exception de la constitution ; il n’est donc pas engagé dans les travaux préparatoires de l’Assemblée Constituante qui sera élue en octobre). Son but est aussi l’amélioration de la qualité de la règlementation et aussi son harmonisation avec la législation existante. Ce travail est essentiel vu que le Conseil constitutionnel ne semble pas faire de réel contrôle de constitutionnalité des lois (l'examen de la constitutionalité est fait à priori mais pas à posteriori sur des lois existantes qui bafouent la constitution). Le conseil du Centre se rassemble au moins deux fois par an (normalement plus) seulement pour réfléchir sur l’amélioration de la justice. Les services du Centre sont recherchés par tous les ministères du pays, mais aussi par des organisations administratives et parfois même par des organisations privées. Pratiquement toutes les lois passent par le Centre. Par contre, le parlement – suspendu actuellement – ne figure pas parmi les demandeurs réguliers de ses services. Exceptionnellement, le centre a organisé des séminaires pour les membres du parlement, dont le rôle est faible : il n’y a jamais eu un projet de loi initié par le parlement.

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Précédé par une phase de diagnostic dans laquelle sont souvent aussi engagés des gens hors des professions juridiques (par exemple des sociologues et des criminologues, lorsqu’il s’agit d’un projet portant sur les membres défavorisés de la société), les membres du Centre préparent un projet de loi, prenant en compte tous les aspects possibles et incluant autant que possible les résultats d’une recherche du droit comparé, y compris du droit étranger (français, arabe, anglo-saxon, allemand). Les comités de recherche (composées de trois à quatre collaborateurs) essayent également d’évaluer les coûts déclenchés par les mesures envisagées, d’apprécier les conséquences et de faire une analyse préalable coûts-avantages. Sur le plan du droit pénal, le Centre cherche aussi à trouver des moyens préventifs. Un groupe se penche actuellement sur le problème de trouver des solutions pour les entreprises en difficulté. Le centre s’occupe aussi, et ceci avec beaucoup d’engagement, de la légistique. 60 personnes environ, travaillant actuellement dans les ministères du pays, ont suivi des cours dans cette matière organisés par le Centre. Le Centre organise des stages sur trois mois. Il est à l’origine de la création d'un grade de master sur ce sujet. Le Centre organise également des séminaires, toujours en coopération avec d’autres organisations de la société tunisienne telles que le barreau et les universités. Pour la formation juridique, le Centre organise quatre séminaires par an, avec une participation nationale et internationale de juges, avocats, universitaires et associations. Les comptes-rendus des séminaires sont publiés par le Centre et largement diffusés par une revue, afin que beaucoup plus que les 300 participants puissent jouir de ses résultats. Par ailleurs, le Centre est le numéro 1 dans la publication juridique. Il est éditeur d’une revue qui paraît dix fois par an. Il publie également publie des éditions commentées trilingues (arabe, français, anglais) de nombre de codes et de lois. Le Centre produit des dépliants résumant les principales règles de certaines lois et en donnant des conseils d’interprétation. Ces dépliants sont largement utilisés dans la pratique, et même devant les tribunaux, ce qui démontre la crédibilité dont jouit le Centre dans le public. La fonction du Centre par rapport au Tribunal Administratif est considérée comme complémentaire. Tandis que le Conseil d’Etat n’est engagé dans le processus de la législation qu’à un moment bien défini pour donner son avis, le Centre est engagé dans ce processus du début jusqu’à la phase finale. Après la révolution, il y actuellement une remise en question des lois les plus essentielles (plan droits de l’Homme, économique, fiscal, social): "C'est un gros travail qui va se faire" déclare son directeur. 5.2. Le tribunal immobilier Cette institution, étrange à un Français, familière à un Allemand, est la plus ancienne des juridictions tunisiennes. Elle commença ses travaux lors de la mise en vigueur de la loi de 1885 sur la propriété foncière, sous le nom de Tribunal mixte, engageant dans son travail des juristes de langue française et de langue arabe. Son existence est due au régime juridique allemand en vigueur de 1871 à 1919 en Alsace-Lorraine, où le droit de l’immobilier introduit par les allemands fut retenu après le rattachement à la France. Dans le droit allemand, tout changement de propriété immobilière exige non seulement le consentement écrit des parties du contrat, mais aussi la notification dans les livres

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fonciers, tenus en Allemagne par les tribunaux de première instance (Amtsgericht). Les livres fonciers témoignent et font foi publique de la propriété d’un terrain immobilier et des droits et obligations adhérents. En Tunisie, l’enregistrement du propriétaire d’un bien immobilier est possible, mais facultatif (volontaire) et n’était pas une condition indispensable pour le transfert de la propriété. Ainsi, de nombreuses successions se sont faites sans que les actes fonciers – s’il y en a – en témoignent. Un grand nombre de terrains immobiliers se trouve actuellement en possession de personnes non immatriculés, et dont les actes fonciers font voir le nom d’un ancien possesseur qui ne l’est plus (« titres fonciers gelés »). Depuis 1964, la Tunisie a procédé à l’immatriculation obligatoire et progressive de tous les immeubles. Depuis, nul transfert de titre possessif n’est possible sans immatriculation. Il incombe au tribunal immobilier de réaliser cette disposition légale en procédant au recensement du cadastre de tous les immeubles non immatriculés sur toute l’étendue du territoire tunisien et au remplacement obligatoire de tous les titres traditionnels par des titres fonciers. En pratique, les magistrats du tribunal exercent leurs devoirs en se rendant sur place et en visitant, pièce par pièce et accompagné par un greffier et un technicien du cadastre, tout le territoire. Il s’agit alors d’un travail à ciel ouvert et non pas dans les bureaux du tribunal, qui dispose d’ailleurs de nombreuses dépendances dans tout le pays. Vu l’étendue du pays, le travail de base ne sera pas achevé avant un nombre considérable d’années. En plus, il appartient au tribunal de tenir à jour les actes fonciers. Alors que la tâche décrite est plutôt une activité administrative, le tribunal immobilier statue en qualité de tribunal sur les recours contre des décisions du conservateur de la propriété foncière et sur les recours en appel contre le jugement en matière de mise à jour des titres fonciers gelés. Lorsqu’il y a une objection d’un justiciable contre l’exactitude du livre foncier (tenu par le conservateur de la propriété foncière), il revient au tribunal immobilier de trancher l’affaire. Le fait que la fonction non contentieuse soit également attribuée au tribunal immobilier, reflète, à mon avis, la vieille tradition allemande de confier cette matière aux juges indépendants, d’autant plus que toutes les décisions prises par le tribunal sont de nature juridique. Pour exécuter ses fonctions, le tribunal immobilier dispose de 181 juges. Son siège principal est Tunis, 15 succursales sont distribuées sur le territoire. Le tribunal relève du ministère de la Justice. Ses décisions peuvent être attaquées devant la cour de cassation. Les recours contre les décisions rendues par le tribunal immobilier sont différenciés comme suit: • En matière de mise à jour des titres fonciers, les jugements sont susceptibles uniquement d'appel (les articles 28 et 32 nouveaux de la loi n° 2001-34 telle que modifiée et complétée par la loi n°2009-67 du 12/08/2009). En matière d'inscription suite à une décision d'immatriculation, les jugements sont rendus en dernier ressort et peuvent faire l'objet d'un recours en cassation (l'article 332 nouveau du code des droits réels tel que modifié par la loi n° 2008-67 du 03/11/2008). 5.3. Le Centre de Rééducation Le centre que j’ai visité, dirigé par des fonctionnaires de formation psychologique, reçoit les délinquants mineurs âgés entre 13 et 18 ans (les mineurs en dessous de 13 ans ne sont responsables) condamnés par un tribunal et les mineurs en détention provisoire (en prévention) avant leur jugement.

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Il y a six centres identiques dans toute la Tunisie, dont un est réservé aux filles. Dès son arrivée, le mineur est pris en charge par des psychologues qui lui expliquent dans une interview personnelle les raisons de sa présence et les relations avec le centre et la cour. La recherche préliminaire sur base orale porte aussi sur la famille du mineur, car sa réintégration au sein de sa famille est considérée comme importante et nécessaire. Le centre dispose de sociologues pour la recherche sur le champ sociologique du délinquant. On lui offre une protection sociale (pour éviter par exemple le danger d’une vengeance de la victime). Les mineurs sont sous le contrôle médical effectif d’un médecin qui est membre du personnel. Ils reçoivent aussi une formation de santé. La journée se passe selon un programme d’activités déterminées comprenant formation, éducation, sport, animation. La formation (maçonnerie, forgerie, menuiserie, électricité, cuisine) peut se terminer par un diplôme de l’éducation nationale ne montrant pas où il a été acquis. L’éducation en classe porte sur les mathématiques, la biologie, la physique, l'histoire et la géographie, le droit et la religion islamique. Les visites par les parents, frères et sœurs sont possibles tous les jours pour 2 heures. Le délinquant et sa famille peuvent même déjeuner ensemble. On ne cherche pas à rompre les liens de famille, mais au contraire, à les renforcer. Le nombre de mineurs accueillis varie entre 40-60, en moyenne 50. La grande majorité des détenus (90%) est en détention préventive. Des efforts ont été faits pour assurer l’intégration après qu’ils aient quitté le centre pour empêcher les récidives. Si la réintégration dans l’ancienne école n’est pas possible, ils sont accueillis dans une école gérée par l’Etat et au frais de l’Etat. A la base, il s’agit d'enfants ayant des problèmes matériels. L’aide peut prendre la forme d’un soutien matériel, même donné directement à la famille. Le quota des récidives est de 10%, voir moins (en 2010: 7%). Tous les six mois, il y a une décision du tribunal sur le raccourcissement de la peine. La détention peut durer d’un jour jusqu’à l’âge de 18. La peine peut également être raccourcie sur demande de la victime. Vu les conditions excellentes de logement, les classes, les installations sanitaires, les possibilités de sport et de loisir, le groupe de visiteurs dont j’ai fait partie avait l’impression que les conditions de vie des détenus étaient en générale meilleurs que celles qu’ils trouvaient chez eux. Ceci nous fut confirmé. 5.4. Recommandations Recommandation n°1: Toutes les personnes rencontrées sont imprégnées par un désir profond de profiter de la révolution récente pour apporter une amélioration importante au système juridique et judiciaire de leur pays. Il y a une volonté générale et une motivation étonnante à s’ouvrir à des idées modernes et à des conceptions du droit répandues en Europe. Le sentiment est omniprésent que l’Etat de droit doit être réalisé dans tout le domaine juridique et que le bon fonctionnement d’un système juridique est à la base de la prospérité économique du pays.

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Recommandation n°2: La formation solide des magistrats, liée à un dévouement professionnel digne d’une profonde admiration, peut servir de base à la réalisation des changements qui s’imposent. Recommandation n°3: Le système actuel fondé sur un réseau de tribunaux de l’ordre judiciaire, d’un tribunal administratif (TA) et un tribunal immobilier correspond aux besoins d’un pays moderne visant l’Etat de droit. Cependant une régionalisation du TA devrait être envisagée. Recommandation n°4: Basé sur le modèle français, il ne semble ni opportun ni nécessaire de proposer des changements fondamentaux. Il s’agit plutôt de rattraper l’écart dans le développement qui s’est creusé entre le système français et le système tunisien pendant les 40 dernières années. Recommandation n°5: Mon souci principal porte sur le manque d’indépendance des magistrats. Elle est à la base de toute justice digne de ce nom. Il faut non seulement éviter de lui porter atteinte (en atténuant le pouvoir du Conseil Supérieur de la Magistrature, en évitant d’influencer les magistrats par voie de circulaires), mais il faut trouver des moyens pour la renforcer (en retenant le principe de l’inamovibilité, en écartant tout élément arbitraire de la discipline, mais aussi sur le plan économique. En plus, un traitement correct des magistrats, des greffiers et des huissiers n’est pas une condition suffisante, mais indispensable pour limiter le danger de la corruption). Recommandation n°6: La charge de travail attribuée aux magistrats les empêchent, malgré leur bonne volonté, de rendre une justice équitable aux justiciables. Il faut trouver et adopter des moyens pour réduire cette charge. On peut à la fois envisager une augmentation considérable du nombre des magistrats en fonction. On peut également penser à simplifier certaines règles de procédure (par exemple celle qui exclue le juge rapporteur de la formation qui juge l’affaire; la participation obligatoire du procureur, surtout dans les cas civils). On pourrait ouvrir ou élargir la possibilité de rendre un jugement sans audience obligatoire. Recommandation n°7: La position du juge de première instance doit être renforcée. C'est à lui seul d’affronter la masse des requêtes. Que le jugement de la première instance soit le jugement final, devrait être la règle et non pas l’exception. Le magistrat agissant en première instance doit être placé dans des conditions de travail qui lui permettent de préparer ses jugements avec tous les soins nécessaires. Recommandation n°8: Pour réserver aux cours d’appel et à la cour de cassation l’espace nécessaire pour trancher les cas importants et pour créer une jurisprudence qui puisse servir de référentiel, il faut trouver des moyens pour tenir à l’écart de ces cours tous les cas qui ne méritent pas d’être traités une deuxième ou troisième fois. On peut penser à introduire des filtres entre les instances selon le modèle allemand, ou à écarter des cas dont l’intérêt ne dépasse pas une certaine somme, ou à déclarer irrecevables les pourvois en appel ou cassation pour certaines catégories de cas. On peut même penser à des obstacles de nature financière (l’accès à la justice doit être abordable à tout le monde, mais pas forcément gratuit). Dans la justice administrative, le gouvernement peut donner un ordre général qui empêche l’administration de formuler des pourvois en appel ou en cassation lorsqu’elle a perdu en première instance, sauf graves erreurs commis par le tribunal.

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Recommandation n°9: L’immunité des magistrats est un anachronisme. Le magistrat n’en a pas besoin pour son travail lorsqu’il a commis un délit hors du code de sa profession. Recommandation n°10: La police judiciaire devrait être placée sous la direction du parquet14. Recommandation n°11: Pour améliorer les conditions des détenus dans les prisons, on devrait s’interroger sur la nécessité de prononcer et d’exécuter des peines à court terme (par exemple de moins d’un an). En plus, on devrait généralement s’abstenir de détenir en prison les accusés avant le jugement du tribunal, sauf pour les criminels dangereux. Recommandation n°12: Les conditions matérielles dans lesquelles travaillent les magistrats et greffiers (bâtiments, bureaux, informatique et technologie moderne) doivent être améliorées. Il est important de mettre en place un système informatisé dans les juridictions ; Recommandation n°13: L’état des archives des tribunaux exige des mesures d’amélioration immédiates. Recommandation n°14: Le budget à la disposition du ministère de la Justice devrait être élevé à une proportion plus grande du budget général. Vu l’importance d’un système judiciaire en bon fonctionnement, une proportion de 2 à 4 % du budget national devrait être envisagée. Recommandation n°15: La gestion et la distribution des moyens, actuellement confiées au secrétariat général des services communs, devraient être décentralisées en renforçant la position des chefs des tribunaux locaux. Recommandation n°16: Toutes mesures de décentralisation devraient être accompagnées par des mesures de contrôle. Recommandation n°17: La participation de la société civile dans le renouvellement du système de justice par des associations librement organisées pourrait être une mesure utile pour mieux enraciner la confiance des justiciables dans le système judiciaire. Recommandation n°18: Malgré le travail du CEJJ, la jurisprudence de l'ensemble des juridictions n'est pas suffisamment accessible. A part les ouvrages du CEJJ, il n'y a pas suffisamment de périodiques/publication en matière de doctrine/jurisprudence périodique. Recommandation n°19: L'harmonisation de la nouvelle législation avec l'existante doit être assuré et le travail du CEJJ en matière de logistique devrait être soutenu. Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel devrait être réformé afin d'assurer un réel contrôle de constitutionnalité des lois15. 14

: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°12

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2. ADMINISTRATION DE LA JUSTICE ET CHAINE PENALE Par Jean-Marie Beney, Procureur Général Sommaire 1. Introduction. Résumé synthétique de la mission 2. Domaine 1 : administration de la justice 2.1. Les principes essentiels 2.2. La situation en Tunisie 2.2.1. Le statut des magistrats 2.2.2. Les moyens et l’organisation 2.2.3. Recommandations dans le domaine 3. Domaine 2 : chaîne pénale 3.1. Les principes essentiels 3.2. La situation en Tunisie 3.2.1. Des textes anciens 3.2.2. Des pratiques professionnelles inadaptées 3.2.3. Recommandations dans le domaine Introduction La présente mission d’une durée relativement brève intervient moins de cinq mois après les événements ayant conduit le président de la République tunisienne Zine El Abidine Ben Ali à quitter le pouvoir et le pays. Lesdits événements, que nombre de nos interlocuteurs nomment “la révolution du 14 janvier”, placent la Tunisie dans une période de profonde transition institutionnelle. La parole est libérée, les réflexions et suggestions émanent de multiples sources; la moindre des difficultés pour ceux qui en ont la charge n’est pas de les recueillir et de les mettre en forme. L’état d’esprit ouvert et constructif de chacun des interlocuteurs doit être souligné dans un contexte de grandes difficultés pour l’institution judiciaire. La situation immobilière - très difficile - du département de la justice s’est considérablement aggravée par suite des événements de janvier 2011 au cours desquels de nombreux établissements pénitentiaires (17) et plusieurs palais de justice (13) ont été partiellement ou totalement incendiés et/ou dégradés. Le montant des réparations serait évalué à plusieurs milliards de dinars tunisiens (pour mémoire - cf infra - le budget annuel du ministère de la Justice tunisien est d’environ 270 millions de dinars). Le 15

: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°6

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financement des opérations de réhabilitation constitue donc à l’évidence la priorité des responsables du MJ et impacte de manière forte les autres actions de modernisation. L’expert soussigné tient à remercier les personnalités rencontrées et les membres de la délégation de l’Union Européenne à Tunis sans lesquelles rien n’aurait été possible. 4. Domaine 1 : administration de la justice 2.1

Les principes essentiels

Les principes essentiels sont connus : il s’agit de permettre au “justiciable” de faire entendre sa cause dans un délai raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale. Cette exigence repose donc sur un double pilier : o un statut respectueux de la séparation des pouvoirs et garantissant aux juges leur indépendance juridictionnelle (les procureurs bénéficiant également d’un statut adapté), o une organisation et des moyens proportionnés et permettant le respect des principes essentiels. 2.2

La situation en Tunisie 2.2.1.

Le statut des magistrats

Le statut actuel ne garantit manifestement pas l’indépendance des juges (et réduit à peu de chose) les garanties offertes aux procureurs - par ailleurs très absents dans les sujets abordés au cours des échanges. Les débats en cours sur la nouvelle Constitution doivent retenir l’inscription nécessaire de l’indépendance du pouvoir (ou de l’autorité) judiciaire au titre des garanties fondamentales ; par ailleurs la loi organique du 14 juillet 1967 nécessite un profond remaniement afin de mettre le statut des magistrats en conformité avec les principes internationaux essentiels rappelés ci-dessus. Plusieurs pistes peuvent être suivies, sans pour autant céder à la tentation de certains souhaitant la création d’un organisme aussi indépendant qu’irresponsable, ne rendant compte qu’à lui-même et fonctionnant finalement sans légitimité démocratique16: o un nouveau Conseil Supérieur de la Magistrature dont les membres élus sont majoritaires ; les élections des membres sont libres et à bulletin secret. L’organe délibérerait hors la présence du Président de la République et du ministre de la Justice, o les magistrats, conformément aux principes internationaux, sont libres de former des syndicats ou des associations (sur ce point la pratique semble avoir précédé le droit puisqu’il existe une association professionnelle et un syndicat (SMT) nouvellement créé qui revendique plusieurs centaines d’adhérents), o une clarification des règles d’avancement et la création d’une commission élue chargée d’établir les tableaux d’avancement, o une revalorisation significative de la situation financière des magistrats (et plus généralement des personnels de justice) afin notamment de garantir l’attractivité des fonctions et la qualité 16

Certains membres de la haute instance de réalisation des objectifs de la révolution ont soutenu devant les experts l’idée d’un conseil supérieur de la justice, organe constitutionnel autonome et disposant de son propre budget.

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des recrutements, o la diversification (en les encadrant) des modalités de recrutement (concours, recrutement sur titres) avant de permettre au corps des magistrats de s’enrichir d’expériences professionnelles variées, o la garantie du droit à la formation (initiale et continue) aussi bien dans les domaines techniques que s’agissant des droits de l’Homme et des normes internationales. 2.2.2.

Les moyens et l’organisation

Le système judiciaire tunisien inspiré du modèle français a été institué en 1956 après l’indépendance. Il a connu peu de réorganisation de fond depuis 1959, date de la promulgation du code civil et du code de commerce. Il se caractérise par un très fort encombrement (A), des méthodes de travail anciennes (B), une absence d’instrument fiable de pilotage (C), et une extrême centralisation de l’administration des moyens de la justice (D). A - Un très fort encombrement Les quelques 1595 magistrats tunisiens auraient à connaître annuellement de 3.286.818 dossiers (dont 1.119.984 affaires pénales - 197.640 contraventions, 902.436 délits et 19.908 crimes – répartis comme suit: 1.853.393 au parquet, 20593 à l'instruction, 10347 à la chambre d'accusation)17. Malgré l’assistance d’un personnel de greffe en nombre manifestement insuffisant18 et ne bénéficiant d’aucune formation initiale, la tâche est donc particulièrement ardue, d’autant que les conditions matérielles et notamment immobilières sont sévèrement dégradées (locaux exigus, absence d’un nombre suffisant de bureaux, couloirs bruyants et encombrés, sécurité aléatoire). Si la situation des tribunaux de première instance est très mauvaise, notamment à Tunis (chaque juge est en charge de 3000 affaires par an)19, elle n’est guère meilleure pour les cours d’appel. Ces juridictions - notamment la cour d’appel de Tunis - connaissent les mêmes difficultés matérielles (à l’exception de l’encombrement des couloirs par le public) et traitent un nombre considérable de procédures20. Le nombre très élevé d’avocats (environ 8000) mais surtout un taux d’appel considérable d’environ 80 % expliquent pour une bonne partie cet encombrement des juridictions y compris du deuxième degré. L’absence de coût réel, de droit fixe et de filtre encouragent en outre les appels, malgré un taux de réformation qui se situerait à environ 25 %. La Cour de cassation connaît les mêmes problématiques d’encombrement en raison du taux de pourvoi d’environ 80 % sur les arrêts des cours d’appel, alors même que les pourvois ne sont en général pas suspensifs et sont rejetés à plus de 80 %. 17

: Chiffres fournis par l’inspection générale des services judiciaires - non vérifiables : Nombre de personnels de greffe inconnu 19 : cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°10 18

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: 1540 arrêts civils, 1700 arrêts correctionnels et 150 arrêts criminels rendus en avril 2011 par la cour d’appel de Tunis

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La procédure devant la Cour de cassation est écrite, chacune des 25 chambres siège une fois par semaine et chaque conseiller 21 rédige 15 décisions pénales ou 5 décisions civiles par semaine. Le parquet général22 conclut dans chaque dossier. Plus fortement encore que devant la cour d’appel, l’absence de système de filtre sur la recevabilité des pouvoirs constitue un manque juridique criant et encourage les pourvois, d’autant que l’amende civile en cas de rejet du pourvoi est très faible23 et que les avocats sont particulièrement nombreux sur la liste de la Cour de cassation, d’un accès aisé24. Un autre facteur - et non des moindres - de l’encombrement des juridictions est la délivrance par celles-ci, notamment par le tribunal de première instance d’une quantité innombrable d’attestations, documents et certificats ainsi que la tenue d’archives (notariales - commerciales). Ces activités mobilisent un nombre important de personnels de greffes et les détournent de leur mission juridictionnelle; d’autant que ces actes et leur délivrance sont encore parfois manuscrits. B - Des méthodes de travail anciennes Le point le plus remarquable est l’absence d’informatique judiciaire. Il n’existe aucun système intégré couvrant les activités juridictionnelles ou l’administration judiciaire et encore moins permettant de correspondre avec d’autres administrations du MJ (ex: la direction générale des prisons et de la rééducation) ou d’autres ministères (ex : le ministère de l’Intérieur). Il semble que quelques sites pilotes connaissent des expériences de travail intégré, notamment au niveau du parquet et de la chaîne pénale, mais il n’existe aucun plan de généralisation national. La Cour de cassation bénéficie d’une informatique locale depuis 1999 mais les cours d’appel et surtout les tribunaux de première instance sont radicalement sous-équipés. Une action d’urgence doit donc être envisagée dans ce domaine, en évitant le double écueil de mettre en place un “monstre” informatique intégré qui couvrirait tous les domaines et de vouloir à tout prix “supprimer” le papier en dématérialisant à outrance. Il apparaît préférable de définir des champs d’action plus restreints (chaîne pénale, chaîne civile, communication entre juridictions du 1er et du 2ème degré), de développer en s’appuyant sur les acteurs des juridictions, de recruter des équipes d’assistance et de maintenance de haut niveau capables également de former le personnel à ces nouvelles technologies. La gestion des archives qui constitue un modèle d’archaïsme se prête également à des actions de modernisation par l’informatisation.

21

: 1 premier président, 25 présidents de chambre, 55 conseillers : 1 procureur général, 20 avocats généraux 23 : 30 dinars en matière civile (_15 euros) ; 10 dinars en matière pénale (_5 euros) 24 : Un avocat qui a 10 ans d’ancienneté au barreau peut demander sans autre forme son inscription sur la liste de la Cour de Cassation 22

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L’utilisation de moyens modernes (scanner par exemple) permettront en outre de réaffecter des surfaces immobilières précieuses et de limiter les risques de pertes et d’incendies au demeurant considérables. La modernisation des méthodes de travail nécessite également le développement de la concertation au sein des juridictions d’une part, et du MJ avec les juridictions d’autre part. L’existence d’instances de concertation permanentes ou ad’hoc n’a pu être vérifiée mais l’absence de concertation est très fortement déplorée en interne et par la société civile. “Rien n’est sur place publique”25. La demande de concertation et d’échanges est très forte et doit être prise en considération comme conditionnant le succès des futures entreprises de modernisation du MJ. Une mission modernisation identifiée comme telle au sein du MJ permettrait certainement d’assurer les échanges avec la société civile, le pilotage de projets adaptés aux réalités du terrain - ce qui n’exclu en rien l’ambition - ainsi que la mise en place et le développement d’organes de concertation interne au ministère. Cette mission pourrait en outre être facilement identifiée comme une “locomotive” du changement au sein du MJ. C - L’absence d’instruments fiables de pilotage Les experts ont éprouvé des difficultés à obtenir des chiffres fiables et recoupés. Il existe dans l’organisation du MJ un bureau de l’organisation et de la programmation rattaché au cabinet qui est chargé de la collecte statistiques26, mais l’absence d’informatisation et le système de collecte mis en place semblent réduire la fiabilité de la statistique. Puisqu’il n’existe aucun système informatisé national, il n’existe aucun sous-produit statistique automatique et intégré. La collecte repose sur le rapport mensuel que les juridictions du premier degré font parvenir à la cour d’appel. La collecte est à la base physique et manuelle, les éléments sont récupérés au niveau de chaque cour d’appel pour être expédiés cette fois de manière automatisée à l’administration centrale. La seule description du processus permet de comprendre qu’il comporte en lui-même des incertitudes et des risques d’erreurs. A défaut d’un système informatique national, le développement d’applications locales devrait comprendre un module statistiques qui fiabiliserait celles-ci, allégerait les tâches de collectes et permettrait aux chefs de juridictions et de cours d’appel de disposer d’un instrument de pilotage à travers les chiffres collectés et les restitutions que ne manquerait pas de faire le MJ. Dans l’intervalle, le développement d’instruments de pilotage au bénéfice des chefs de cour d’appel pourrait être encouragé et soutenu; il constituerait un frein à l’extrême centralisation du MJ et un facteur de valorisation pour les chefs de cour d’appel. 25 26

: Rencontre avec le conseil national pour les libertés tunisien : Une rencontre avec ce bureau pourrait être utilement programmé aux fins de remise de documents

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D - Une extrême centralisation dans l’organisation du Ministère de la Justice Le ministère de la Justice est organisé par le décret n° 2010.3152 du 1er décembre 2010. Il semble toutefois que les prescriptions de ce décret ne soient pas toutes mises en œuvre et qu’il est susceptible dans un avenir assez proche de connaître des modifications. Le rôle de la direction générale des affaires pénales semble des plus réduit, sauf à servir de “relais” du MJ en direction des procureurs généraux et des procureurs. Les services sont, selon l’organisation mise en place, administrés par une direction des services communs, constituée d’environ 120 fonctionnaires, qui dispose de la haute main sur les ressources humaines et financières (à l’exclusion de la gestion de la carrière des magistrats et de l’informatique)27 mais y compris l’organisation des concours de recrutement. Cette direction générale des services communs dispose de 9 directions régionales dont le rôle principal est de traiter les demandes budgétaires des juridictions en vue de leur centralisation pour l’établissement du document budgétaire du ministère de la Justice. Le budget par objectifs n’existe pas encore au niveau du ministère de la Justice. La part de la Justice dans le budget national est particulièrement faible (inférieur à 1%); le budget d’un montant d’environ 270 millions de dinars est fortement grevé par une masse salariale d’environ 183 millions (67,77 %). Une fois retranchées les sommes nécessaires au fonctionnement courant, la part des investissements est donc quasi-nulle. Il y a donc urgence à accroître le budget du MJ afin de permettre la réalisation d’investissements, notamment immobiliers, indispensables à une Justice de qualité et d’éviter que les recrutements de personnel tout aussi indispensables n’accroissent encore la part occupée par la masse salariale. Une diversification des ressources avec notamment la création d’un fonds de concours alimenté par le produit (total ou partiel) du recouvrement des amendes pourrait être envisagée. Les juridictions qui n’ont aucune autonomie budgétaire doivent voir celle-ci renforcée. La limitation à 300 dinars de la somme qui peut être payée par la régie de la juridiction doit être fortement relevée. Les procédures de passation de marchés publics et de programmations immobilières qui semblent particulièrement complexes et centralisées pourraient, pour certaines d’entre elles, être confiées aux directions régionales en lien avec les cours d’appel - par ailleurs totalement absentes du champ de la gestion des ressources humaines et matérielles. Les besoins du terrain seraient ainsi mieux pris en compte, la concertation entre les services gestionnaires et les utilisateurs étant assurée au plus près.

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: L’organisation des services commun et techniques est détaillée aux articles 36 et suivants du décret du 1er décembre 2010

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Cette déconcentration souhaitée par beaucoup implique naturellement la mise en place de procédures de suivi, de contrôle et d’évaluation ainsi que la mise sur pied d’un programme d’accompagnement des responsables régionaux qui doivent recevoir aide et formation. 2.3

Recommandations dans le domaine

Recommandation n° 1 : Suivre et accompagner la mise en place d’un statut rénové des magistrats et d’un nouveau Conseil Supérieur de la Magistrature28. Recommandation n°2 : Proposer et assurer des formations ou stages sur les normes internationales essentielles et les droits de l’Homme. Recommandation n°3 : Mettre en place un dispositif de filtrage afin de limiter les appels et les pourvois en cassation. Recommandation n°4 : Externaliser les archives et la délivrance des certificats. Recommandation n°5 : Informatiser progressivement et au plus près des besoins du terrain. Recommandation n°6 : Informatiser et dématérialiser les archives. Recommandation n°7 : Développer et soutenir les actions de concertation interne ainsi que les échanges avec la société civile. Recommandation n°8 : Créer une mission modernisation au sein du MJ. Recommandation n°9 : Développer des sous-produits statistiques intégrés aux applications informatiques locales ainsi que les instruments de pilotage locaux. Recommandation n°10 : Créer un fond de concours au bénéfice du MJ alimenté notamment par le produit du recouvrement des amendes. Recommandation n°11 : Déconcentrer la gestion au niveau régional. Recommandation n°12 : Mettre en place et soutenir un programme d’accompagnement à la déconcentration. 28

: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°3

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5. Domaine 2: chaîne pénale 5.1. Les principes essentiels Il s’agit des mêmes principes que le domaine précédent, notamment ceux figurant aux § 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme: contrôle de l’autorité judiciaire sur les privations de liberté, accès à une juridiction indépendante et impartiale, respect de la dignité humaine et des droits de la défense. Ces principes revêtent une acuité toute particulière dans le domaine pénal en raison des atteintes à la liberté que ledit domaine recouvre. 3.2.

La situation en Tunisie

Le domaine pénal apparaît particulièrement sinistré et doit connaître une évolution rapide pour se hisser au niveau minimum des standards internationaux. Les raisons de ces difficultés sont multiples et tiennent pour partie au manque de moyens et de structures évoquées supra. Elles tiennent aussi à la survivance de textes anciens (A) aggravée par des pratiques professionnelles inadaptées (B). A-

Des textes anciens

Le code pénal et le code de procédure pénale n’ont pas été retravaillés en profondeur depuis leur promulgation. Un certain nombre de textes de lois y ont été inclus (alternatives à l’incarcération, création du juge de l’application des peines) sans pour autant que l’économie générale des codes ne soit repensée. A moyen terme une réforme en profondeur devra être envisagée afin de dégager et d’affirmer les principes essentiels du droit pénal et de la procédure pénale applicables en Tunisie. A ce jour plusieurs dispositions interrogent sur la conformité de la législation tunisienne avec les principes internationaux essentiels. Ainsi en est-il de la persistance de juridictions d’exceptions telles le tribunal militaire dont la compétence est renforcée par la loi sur l’état d’urgence29. Il en est de même de la désignation du juge d’instruction par le procureur de la République. Un organe chargé de la poursuite ne peut à l’évidence choisir le juge qui va devoir statuer sur cette poursuite.

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: Juridiction d’exception en charge notamment des infractions commises sur la voie publique, le tribunal militaire est compétent pour des faits de violence commis au cours des événements de janvier 2011. Sa composition, l’absence de partie civile, la limitation des voies de recours interrogent et ne semblent pas conformes aux standards internationaux. L’expert n’a malheureusement pu à ce stade rencontrer les responsables du tribunal militaire.

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Le juge d’instruction - dont le statut gagnerait à être clarifié - ne peut-être désigné que par un autre juge, en l’espèce le président du tribunal auquel il appartient. Plus généralement, les processus de désignation des juges et d’attribution des dossiers devraient être mieux définis et encadrés30. Une autre disposition appelée à disparaître rapidement en raison de son absence de conformité avec les principes essentiels (notamment la séparation des pouvoirs) est la possibilité offerte au ministère de la Justice de donner des instructions de classement d’un dossier31. Si l’on peut reconnaître au ministère de la Justice en qualité de responsable d’une politique publique la possibilité de donner des instructions aux procureurs généraux, y compris le cas échéant des instructions individuelles, lesdites instructions ne peuvent être que positives. Elles doivent en outre, par respect du principe du contradictoire, être écrites, motivées, et versées au dossier de la procédure. La garde à vue d’une durée de trois jours, prolongeable d’une même durée de trois jours sur décision du procureur de la République n’est pas conforme aux exigences de la CEDH. Tout individu privé de liberté doit être présenté “promptement” à une autorité judiciaire habilité à statuer sur cette privation de liberté. Cette exigence de promptitude n’est pas remplie puisqu’aucune autorité judiciaire, au sens de la CEDH, n’intervient au cours du processus. Il semblerait qu’en pratique et depuis le début de l’année les gardes à vue excèdent rarement 24 heures, mais cette pratique n’est en rien consacrée par un texte. Une réduction de la durée de la garde à vue et l’exigence de l’intervention prompte (3 jours maximum selon la jurisprudence de la CEDH) d’une autorité judiciaire doivent être inscrites dans un texte législatif. Les garanties offertes au gardé à vue (notification des droits - avis immédiat au procureur - médecin avocat) doivent être clairement listées et figurer dans une disposition législative. Autre sujet d’étonnement, le casier judiciaire tenu par le ministère de... l’Intérieur. La situation est pour le moins surprenante puisque les extraits de condamnation sont envoyés par le procureur au ministère de l’Intérieur qui gère le casier. En retour, le procureur reçoit de ce même ministère de l’Intérieur les bulletins du casier qu’il a sollicité afin d’exercer l’action publique en connaissance de cause. Il convient de rappeler que le casier judiciaire est un instrument à la disposition des magistrats, lesquels doivent en avoir la responsabilité et le contrôle. Un retour urgent du casier judiciaire (et de son personnel) dans le giron du ministère de la Justice semble s’imposer afin de permettre aux magistrats d’exercer pleinement leurs prérogatives.

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: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°15

31

: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°13

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B-

Des pratiques professionnelles inadaptées

Il peut être constaté tout d’abord un très fort recours à la détention provisoire par des juges d’instruction qui disposent du pouvoir de placer en détention provisoire et contrôlent ensuite cette détention. Le taux très élevé de détentions provisoires dans la population pénale (70 % environ) résulte donc de pratiques qui ignorent les alternatives à la détention (ou ne disposent pas des moyens pour les mettre en œuvre). Si le placement sous bracelet électronique semble difficile à envisager à court terme, le développement du contrôle judiciaire - lié à une limitation des possibilités juridiques de placer en détention provisoire - doit être privilégié. Il s’agit pour l’institution judiciaire d’une occasion de rapprochement avec la société civile qui pourrait, par le biais d’associations subventionnées ou rémunérées à l’acte, se voir confier le suivi des contrôles judiciaires (vérification des garanties de représentation ; suivi des obligations de suivis ...) ou de certains d’entre eux. Le rôle, la place et les pratiques du juge de l’application des peines32 n’a pu être examiné au cours de la mission, il n’est toutefois pas certain que les prérogatives de ce magistrat soient très étendues. L’aménagement judiciaire des peines est un enjeu majeur notamment au regard de l’état du parc pénitentiaire et des conditions de détention dégradantes constatées33. Le parquet du procureur de la République semble très peu présent dans le processus d’aménagement des peines, comme il semble d’ailleurs peu présent dans la chaîne pénale en général, sauf pour y remplir son rôle traditionnel de requérir l’application de la loi. Au demeurant les effectifs des parquets sont extrêmement faibles, ce qui ne conduit pas ses magistrats à rechercher l’accomplissement de tâches nouvelles. Il demeure que dans une conception moderne du ministère public, celui-ci gagne grandement à se positionner en “clef d’entrée” de la société civile dans l’institution judiciaire. Les parquets tunisiens ne semblent pas entretenir de relation et encore moins de partenariat à l’extérieur de l’institution, ce qui est regrettable. Tout aussi dommage est également l’absence de contrôles de la police judiciaire et des actes de police judiciaire (notamment la garde à vue) par le parquet. La question du rattachement de la police judiciaire au ministère de la Justice a été évoquée par plusieurs magistrats. Sans attendre cet hypothétique rattachement, le parquet doit assumer son rôle de directeur des enquêtes de police judiciaire et de contrôleur des gardes à vue. Ces tâches sont consubstantielles à la qualité de magistrat des membres du ministère public et peuvent, en tant que de besoin, être reconnues par une modification législative rapide. Néanmoins, seuls la détermination et l’engagement quotidien permettront d’assurer ce rôle de direction et de contrôle. 32 33

: Ce point pourrait utilement examiné par la deuxième mission d’experts : Visite effectuée le 9 juin 2011 à la prison de MORNAG

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Parmi les évolutions rapides, la mise en place d’un système d’habilitation, de notation et de discipline des officiers de police judiciaire par le ministère public peut être envisagée. Cette évolution forte en images permettrait de marquer le contrôle par les magistrats des activités de police judiciaire. Le recours aux procédures simplifiées et aux procédures alternatives aux poursuites est semble-t-il peu usité et pourrait certainement être développé34. 3.3

Recommandations dans le domaine

Recommandations n°1 : Envisager à moyen terme (2 ans) une réforme globale du code pénal et du code de procédure pénale aux fins d’affirmation de principes directeurs en accord avec les standards internationaux. Recommandations n°2 : La réforme des codes doit entraîner la suppression des juridictions d’exception en matière pénale. Recommandations n°3 : A bref délai : la désignation des magistrats instructeurs ne peut relever du procureur de la République, les processus d’attribution des procédures aux juges doivent être clarifiés. Recommandations n°4 : Les instructions individuelles du ministère de la Justice aux procureurs généraux et les instructions des procureurs généraux aux procureurs de la République ne peuvent ordonner le classement des procédures. Ces instructions doivent être encadrées par la loi. Recommandations n°5 : La garde-à-vue doit être limitée, contrôlée et soumise au contrôle effectif de l’autorité judiciaire. Recommandations n°6 : Le casier judiciaire doit être placé sous la responsabilité du ministère de la Justice et des droits de l’Homme. Recommandations n°7 : Développer le contrôle judiciaire, alternatif à l’incarcération provisoire, en s’appuyant sur un réseau associatif à créer. Recommandations n°8 : Renforcer le contrôle des procédures sur la police judiciaire et les actes de police judiciaire par une série de textes réglementaires; inciter les procureurs à s’impliquer davantage dans ces tâches de direction et de contrôle.

34

: Ce point mérite des vérifications au cours de la deuxième mission d’expertise

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3.

INDEPENDANCE DE LA JUSTICE, ORGANISATION JUDICIAIRE

ADMINISTRATION

DE

LA

JUSTICE

ET

Par Marie-Françoise Verdun, juge Sommaire Eléments de synthèse 1. Remarques liminaires 2. Le traitement des infractions et les juridictions spécialisées 2.1. Rapports Police-Procureur 2.2. Les choix procéduraux du procureur 2.3. La justice des mineurs 2.4. Le tribunal militaire35 2.5. Le cas particulier de la Commission d’établissement des faits sur les affaires de corruption et de malversation 2.6. Le casier judiciaire 3. La gestion des cours et tribunaux 3.1. Le casier judiciaire 4. L’informatisation des juridictions 4.1. L’informatisation des juridictions 4.2. Les statistiques 4.3. Le budget 5. Les statistiques 6. Le budget

- Eléments de synthèse En matière de procédure pénale, une réforme du code sera nécessaire pour préciser les relations police/justice, créer une police judiciaire qui réfère des infractions au procureur de la République. Ce dernier aura la conduite de l’enquête préliminaire. Si le juge d’instruction devait être maintenu, il devrait être désigné par le président et non le procureur, selon un tableau de roulement. Il convient d’envisager la création d’une juridiction pour mineurs. Le tribunal militaire, aujourd’hui juridiction d’exception doit faire l’objet d’une profonde réforme. La Commission d’établissement des faits sur les affaires de corruption et de malversation ne doit pas être pérennisée. Le casier judiciaire doit passer sous la tutelle du MJ et être informatisé.

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: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°5

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La gestion des cours et tribunaux, actuellement hyper centralisée, doit se déconcentrer partiellement, particulièrement en matière budgétaire. L’informatisation des juridictions, après l’échec d’un premier projet, doit reprendre, par la mise au point d’un système d’information cohérent et des systèmes de référence complet. Cette condition est indispensable à la création d’un outil statistique fiable. 1. Remarques liminaires La présente mission a été le second volet de la mission de diagnostic du système judiciaire tunisien dont le premier a été réalisé du 6 au 11 juin 2011. Nous avons pu prendre connaissance des rapports des premiers experts. En complément de cette première mission, j’ai donc privilégié deux axes de réflexion : le traitement des infractions et la gestion des cours et tribunaux. Les conclusions de ce rapport ont été largement discutées avec Luca Perilli, expert en charge de la thématique « indépendance et professionnalisme de la justice ». Il nous a semblé en effet qu’aucune réforme significative et efficace de la justice ne pourrait advenir si des signes forts ne sont pas donnés aux magistrats en place, aux professionnels de la justice et aux citoyens, afin que les choses soient différentes après le 14 janvier. A cette fin, il apparait pertinent de mettre en place un nouveau Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) composé de membres exclusivement élus par leurs pairs. Ce CSM ainsi composé ne siégerait que pendant la période transitoire dans l’attente d’une nouvelle constitution, laquelle pourra définir une composition de membres à la fois élus et nommés. Par ailleurs il paraît difficile de laisser en place sans autre examen les magistrats chefs de juridiction et particulièrement ceux des tribunaux dits de privilège36. Il conviendrait donc d’inviter tous les chefs de juridiction à démissionner et d’ouvrir ces postes ainsi libérés à la libre candidature des magistrats (y compris de ceux qui les occupaient précédemment). Le CSM nouvellement composé proposerait les nominations après examen des candidatures. Ces mesures, pour radicales qu’elles puissent paraître, nous semblent de nature à rendre aux citoyens une certaine crédibilité dans leur système judiciaire. Sans elle, aucune réforme du système n’aboutira et les préconisations présentées ci-dessous ne sauraient être efficaces. Par ailleurs, dans ce moment de transition où la parole se libère et où les interlocuteurs se multiplient, j’inviterai l’Union Européenne à une grande prudence avant de lancer de très vastes projets. Il convient d’identifier les interlocuteurs pertinents et toute hâte intempestive dans le choix de ceux-ci risquerait de compromettre la crédibilité de l’institution par la suite. De nombreuses actions sont néanmoins possibles (tables rondes, particulièrement hors Tunis, ateliers de travail thématiques etc.), en réalité tout évènement qui favorise le dialogue et l’expression des idées. Mais contracter d’importants projets avec des représentants d’un Etat transitoire et non légitimé par les urnes doit être envisagé avec beaucoup de circonspection.

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Cette appellation, entendue chez différents interlocuteurs, désigne les tribunaux de Tunis ou du grand Tunis que l’on ne pouvait obtenir qu’avec l’appui du régime.

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2. Le traitement des infractions et les juridictions spécialisées 2.1 Rapports Police-Procureur Situation actuelle Les forces de police dépendent du ministère de l’Intérieur et les procureurs n’interviennent aucunement dans la carrière des policiers. Les mises en garde à vue sont déclarées aux procureurs non par téléphone mais par l’envoi d’une notification papier par porteur. Cette notification doit être faite « dès que possible » mais de l’aveu même des procureurs rencontrés, elle est tardive voire aléatoire. Elle ne devient indispensable que lors de la prolongation (renouvellement possible de trois jours après trois jours de garde à vue initiale) qui doit être accordée par le procureur. Recommandations Il convient de créer une véritable police judiciaire où les fonctionnaires seraient évalués par le procureur qui déterminerait ainsi leur avancement. Les enquêtes judiciaires doivent être menées sous l’égide du parquet. Il faut favoriser les systèmes de traitement en temps réel des infractions. 2.2 Les choix procéduraux du procureur Mesures alternatives aux poursuites Les procureurs interrogés sur les mesures alternatives aux poursuites ont confirmé leur existence, mais ont à chaque fois indiqué comme exemple les infractions telles que l’adultère et le contexte de médiation familiale. A un moment où l’on parle de la nécessité de créer de nouveaux centres de détention37, il apparaît indispensable de renforcer ce mode de traitement des infractions. Pour cela, il faudra créer des postes de délégué du procureur qui peuvent être des magistrats ou des juristes retraités, et utiliser les associations locales quand elles existent. L’ouverture d’information Le procureur, quand il décide de l’ouverture d’une information, désigne ou plus exactement choisit le juge d’instruction. Interrogés sur les critères de choix, les procureurs disent désigner les juges d’instruction en fonction de leur compétence ou de leur charge de travail. Si l’institution du juge d’instruction devait perdurer, il faudrait évidemment que les présidents de la juridiction désignent le juge d’instruction selon un tableau de permanence préétabli. 2.3 La justice des mineurs Le traitement des mineurs auteurs d’infraction est exercé par un juge pénal spécialisé dans les affaires de mineurs. Toutefois ce dernier n’est pas en charge des mineurs en danger. Ces derniers cas sont suivis par le pôle de la famille compétent en matière civile.

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Le directeur général des services communs, Cherif Mohamed, nous a indiqué qu’il demandait cette année une hausse de 300% du titre II du budget (investissement) pour la construction de « deux à trois » prisons. Les établissements actuels restent surpeuplés même après les nombreuses évasions survenues au cousr des évènements.

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Il est préconisé de créer une fonction de juge pour enfants38 qui assurerait le suivi des mineurs, qu’ils soient auteurs ou victimes d’infraction, ou qu’ils soient considérés comme en danger en raison de conditions dégradées de leur éducation. Les mineurs pourraient ainsi bénéficier d’un suivi plus exhaustif et d’une protection plus complète. 2.4 Le tribunal militaire Situation actuelle La justice militaire, composée de trois tribunaux militaires permanents (Tunis-Sfax-Le Kef) est compétente pour juger des infractions d’ordre militaire telles que prévues au titre II du Code de Justice Militaire, des infractions commises à l’intérieur des casernes, des infractions commises au préjudice de l’armée, de celles commises par les militaires ou contre eux pendant le service et de celles commises entre militaires en dehors du service. Toutefois, le plus problématique est l’article 5 du Code de Justice Militaire, qui dispose que les tribunaux militaires peuvent être amenés à connaître d’autres infractions en vertu des lois et règlements spéciaux. Et précisément l’article 22 de la loi n°82-70 du 6 août 1982 portant Statut général des forces de sécurité intérieure prévoit que « sont du ressort des tribunaux militaires compétents, les affaires dans lesquelles sont impliqués les agents des forces de sécurité intérieure pour des faits survenus dans ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions lorsque les faits incriminés ont trait à leur attributions dans les domaines de la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat ou au maintien de l’ordre sur la voie publique et dans les lieux publics et entreprises publiques ou privées, et ce au cours ou à la suite des réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements». En vertu de cette compétence, plus de 180 affaires d’abord ouvertes devant le juge judiciaire ont été déférées devant la justice militaire. Or, l’actuelle procédure en cours devant les tribunaux militaires font de ceux-ci une juridiction d’exception : jugement en premier et dernier ressort, pas de constitution de partie civile, possibilité de restreindre les copies des procédures données aux avocats. Même si, comme l’ont souligné nos interlocuteurs, la publicité des débats est de règle et le pourvoi en cassation est suspensif, les conditions d’un procès équitable ne sont pas réunies devant l’actuelle justice militaire. Récents développements (depuis la Mission): le décret-loi n°2011/69 consacrant le principe de double degré de juridiction en matière militaire a été promulgué le 29 juillet 2011, et est entré en vigueur le 16 septembre 2011. Voir Annexe IV: avancées dans la Justice militaire Recommandations La suppression de ce type de juridiction semble recommandable. Toutefois la situation pousse à davantage de circonspection. Les juges militaires bénéficient d’une formation particulièrement soignée39Ils bénéficient d'une bonne image auprès de la population qui leur fait confiance, largement autant, en tous cas, qu’à la justice judiciaire40. Les magistrats militaires sont eux-mêmes conscients que leur juridiction ne correspond pas aux standards internationaux concernant le procès équitable. Un projet de loi est en cours d’élaboration (qui ne nous a pas été communiqué) qui prévoit le double degré de juridiction, l’élargissement des 38

: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°4

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Maîtrise en droit, diplôme de fin d’étude de l’institut supérieur de la magistrature, stage de « judge advocate » aux Etats-Unis en plus d’une formation militaire de haut niveau. 40 Diverses conversations de l’expert avec des nationaux et en particulier avec Mokhtar Yahyaoui.

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possibilités de recours des décisions du juge d’instruction, l’application des mêmes délais de recours que ceux prévus par le Code de Procédure Pénale et enfin la possibilité de se constituer partie civile. Il faudra veiller à ce que ces dispositions soient d’application immédiate et que les affaires en cours bénéficient de cette nouvelle procédure. 3. Le cas particulier de la Commission d’établissement des faits sur les affaires de corruption et de malversation. Le cas de cette Commission est très particulier et n’aurait pas vocation à être traité dans le cours des affaires judicaires puisqu’il ne s’agit en rien d’une juridiction. Cependant il mérite d’être évoqué dans le cadre du traitement des infractions puisque cette Commission doit investiguer sur « toute corruption et malversation »41. Comme on le voit, le champ est large et assez mal défini. Cette Commission a été mise en place par décret-loi sans durée précise. Son président, personnalité reconnue, a été nommé par le gouvernement et a lui-même nommé les 29 membres qui la composent. Le président présente cette Commission comme une « instance politique, économique, morale, sécuritaire, nationale et indépendante ». Elle a en charge l’investigation de 8000 requêtes déposées par les citoyens, 300 venues de l’administration. Elle s’est autosaisie de 300 dossiers. C’est sous son égide qu’ont été menées les perquisitions du Palais de Carthage. La création de cette commission est perçue par beaucoup d’acteurs judiciaires42 comme une mesure de défiance du pouvoir exécutif envers le pouvoir judiciaire. De fait, ses modes d’action ne laissent pas de poser problème. Les documents saisis le sont sans fondement juridique et sans grande transparence43, et les mises sous scellés pratiquées hors du cadre procédural habituel sont largement contestables du point de vue juridique. Même si les dossiers ont vocation à être transmis au procureur, leur fragilité juridique empêche de préconiser la pérennité de cette commission, et ce contrairement aux souhaits de son président. 3.1 Le casier judiciaire Situation actuelle Le casier judiciaire dépend du ministère de l’intérieur. Il est de la responsabilité du greffier en chef de faire parvenir aux ministères des Finances et de l’Intérieur les décisions judiciaires pénales pour enregistrement. Les procureurs se sont plaints de ne recevoir aucun récépissé d’enregistrement. Les juges du siège déclarent que bien peu de dossiers contiennent le B1 à l’audience. Dans ce cas, ils considèrent que le casier est néant, ce qui empêche l’application des dispositions sur la récidive. Recommandations Le casier judiciaire doit à l’évidence dépendre du ministère de la justice et non de l’intérieur. Le fonctionnement actuel est très insatisfaisant. L’informatisation du casier judiciaire est indispensable et pourrait faire l’objet d’un projet à soi seul. 41

Propos de son président Abdelfattah Amor. Association des magistrats, syndicat des magistrats, magistrats rencontrés en juridiction. 43 Il avait été évoqué dans les medias le fait qu’une liste de noms de juges, classés selon leur degré de complaisance envers le régime, avait été saisie au Palais de Carthage. Interrogé sur ce point le Président Amor a déclaré qu’il avait été trouvé une liste d’avocats mais non de juges. 42

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4. La gestion des cours et tribunaux 4.1 L’informatisation des juridictions En lien avec les recommandations concernant le casier judiciaire, il convient d’aborder le problème de l’informatisation des cours et tribunaux. Situation actuelle Pour avoir un état objectif de la situation de l’informatisation dans les cours et juridictions tunisiennes, nous sommes partis du constat établi dans le rapport d’évaluation44 du projet européen. L’informatique a été introduite dès les années 80 au ministère de la Justice par la réalisation de petits projets expérimentaux. Cette informatisation a d’abord concerné certaines procédures au niveau du ministère, puis certaines juridictions du Grand Tunis avant d’être censée s’étendre au pays tout entier. Il existe des logiciels dans le domaine civil, pénal et immobilier mais de l’aveu même de la direction de l’informatique au ministère, ils sont obsolètes et peu utilisés. Nos visites dans les juridictions nous ont conforté dans cette conclusion. Hormis une application pénale d’enregistrement des affaires au tribunal de première instance de Tunis, nous n’avons pas vu d’autres logiciels fonctionner. Toutefois, le précédent projet n’a pas été qu’un échec en matière d’informatisation puisqu’il a permis : ƒ L’achèvement de la mise en réseau du ministère et de l’ensemble des juridictions de l’ordre judiciaire, incluant le câblage informatique des juridictions et l’acquisition des équipements informatiques nécessaires à la mise en réseau ; ƒ La dotation de plusieurs milliers d’ordinateurs de bureau et d’ordinateurs portables aux institutions judiciaires et à ses acteurs, en particulier les magistrats dont les 1845 membres du corps ont reçu un ordinateur portable à titre individuel ;45 ƒ La mise en place d’activité de formation à l’informatique à l’intention des acteurs de la Justice, y compris des formations de niveau élevé à l’intention du personnel de la direction informatique. Recommandations La pertinence du précédent projet qui consistait à mettre en place un Système d’Information (SI) judiciaire, en particulier de son principal élément, un système informatisé de gestion des dossiers, ne fait pas de doute. Il faut pour cela réunir les préalables qui ont manqué naguère. On ne pourra faire l’économie de la définition d’un Schéma Directeur informatique qui précisera la stratégie et les objectifs en termes d’architecture fonctionnelle et technique. C’est le rôle de la direction informatique du ministère de mener une telle démarche. Il conviendra de l’aider à la mise en place d’un tel outil par le renforcement des compétences. Enfin le préalable indispensable à cette démarche reste la création d’un système de références unique des procédures judiciaires. On nous a déclaré au ministère qu’il était déjà réalisé mais qu’il mériterait d’être « mis à jour ». Il conviendra de s’en assurer avant le lancement dans tout projet d’aide à l’informatisation des juridictions. 44

« Evaluation à mi-parcours du projet d’appui à la modernisation du système judiciaire (AMSJ) 4 avril 2010 »Weiss et Sauvage. Le projet a été signé le 23 décembre 2005 et suspendu en 2010 en raison de l’échec partiel de la mise en place du système d’information. 45 Ce qui assure déjà un excellent niveau informatique des acteurs. Ainsi avons-nous rencontré une juge cantonale qui avait elle-même crée les trames nécessaires à ses jugements qu’elle éditait sans l’aide du greffe.

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4.2 Les statistiques Situation actuelle Même si la collecte actuelle des statistiques nécessite un lourd travail de la part des agents, il est à craindre que le résultat soit tout sauf fiable. Tous les 20 de chaque mois, les juridictions transmettent sur support papier les statistiques collectées manuellement à l’inspection générale via le procureur général de chaque cour. Ce mode de collecte ne peut que conduire à des approximations voire d’importantes erreurs statistiques46. Recommandations Mettre en place l’informatisation des juridictions, c’est résoudre le problème des statistiques. Selon les moyens mis en place, on utilisera des modules statistiques, des logiciels métiers, ou l’on passera directement à des systèmes d’infocentre. 4.3 Le budget Situation actuelle La gestion budgétaire est totalement centralisée à la direction des services communs du ministère. Chaque juridiction dispose d’une régie de 300 dinars (150€), autant dire qu’elle ne jouit d’aucune autonomie de gestion. Cette absence d’autonomie est un grief relevé par tous les magistrats rencontrés. Le budget se prépare dès février en année n-1 et les besoins sont analysés et communiqués par les directions régionales (Sfax, Gadès, Le Kef), le grand Tunis étant géré par le ministère lui-même. Ce dernier envisage de créer cinq autres directions régionales (Sousse, Tunis, Monastir, Nabeul, Bizerte). On observera qu’on ne trouve aucun magistrat ni greffier dans les services de gestion de la justice. La masse salariale et les recrutements sont également gérés par la direction des services communs. Le budget se divise en deux titres, le titre I pour le budget de fonctionnement, le titre II pour l’investissement. En 2011, il se montait à 270 millions de dinars (soit 1% du budget général) dont 67,1% représente la seule masse salariale (titre I). Les marges de manœuvre sont donc très étroites. Le directeur des services communs nous a déclaré avoir demandé pour 2012, 21% d’augmentation du titre I et 300% pour le titre II en vue de reconstruire des prisons détruites pendant les évènements. Recommandations La décentralisation budgétaire et l’implication des acteurs judiciaires dans l’élaboration budgétaire sont indispensables à un fonctionnement d’une justice de qualité. Les chefs de cour doivent être consultés lors de dialogue de gestion pour rendre les juridictions à la fois plus responsables et plus performantes. La localisation des emplois doit tenir compte de l’avis des acteurs judiciaires dans les juridictions. Enfin, même si le 1% représenté par le budget de la Justice n’est pas dérisoire en comparaison d’autres pays47, il mériterait d’être augmenté, le temps de réaliser cette rénovation technologique indispensable au fonctionnement judiciaire d’un état démocratique.

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Outre que le système est ainsi faussé, il est aussi inutilement centralisé et intrusif. Ainsi est-ce le ministère qui assure le suivi nominatif de chaque détenu et enregistre une fiche sur chaque affaire de divorce ( nom, statut social, demande de l’époux ou de l’épouse, sort des enfants etc.). 47 Cf carte comparative des moyens alloués à la justice en Europe sur www.touteleurope.eu

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4. INDEPENDANCE, IMPARTIALITE, PROFESSIONNALISME DE LA JUSTICE Par Luca Perilli, Juge

Sommaire Eléments de synthèse Méthodologie 1. Le principe de l'indépendance de la magistrature 1.1. Le principe de l'indépendance. L'inamovibilité des juges et des procureurs. Le transfert obligatoire des juges et des procureurs. 1.2. Le principe de l'indépendance et le rôle du ministre de la justice en ce qui concerne la carrière des juges et des procureurs 2. L'indépendance interne des juges et des procureurs 2.1. L'indépendance interne des juges 2.2. L'indépendance interne des procureurs/autonomie 3. La carrière des magistrats et des procureurs : le rôle du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM)48 3.1. La composition et la procédure d'élection du CSM 3.2. Les compétences du CSM 3.3. La structure et la procédure du CSM 3.4. La possibilité de contester les décisions du CSM 3.5. La période de transition 3.6. La nomination des juges et des procureurs 3.7. La promotion des juges et des procureurs. La nomination aux postes de direction et à des postes supérieurs. 3.7.1. La période transitoire 3.8. Le transfert des juges et des procureurs 3.8.1. La période transitoire 3.9. La procédure disciplinaire devant le Conseil national des juges 4. Liberté d'association 5. L'institut Supérieur de la Magistrature 5.1. La formation sur les droits de l'Homme

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: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°3

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- Eléments de synthèse Ce rapport vise à évaluer la capacité de la justice tunisienne à respecter les normes internationales relatives à l'indépendance et à la responsabilité des juges et des procureurs. Les principales conclusions et recommandations contenues dans le rapport ont été discutées avec le juge MarieFrançoise Verdun, qui est impliquée dans la même mission d'examen par les pairs en tant qu’experte française dans le domaine de l'efficacité de la Justice. Après le soulèvement de décembre 2010 et janvier 2011, la République Tunisienne a repris le chemin vers la démocratie et la primauté du droit, après une longue et sombre période de dictature. La transition vers l'état de droit est parsemée d’obstacles et de difficultés, en partie en raison du fait que sous le régime précédent, les institutions démocratiques ont été affaiblies et leur crédibilité minée. En particulier, dans le domaine de la justice, le pouvoir politique a outrepassé ses prérogatives constitutionnelles et pénétré les institutions judiciaires, ce qui a eu une incidence sur les valeurs fondamentales de tout système juridique, à savoir l'indépendance, l'impartialité et l'inamovibilité des juges et des procureurs. Le gouvernement provisoire est engagé dans la première étape vers le remplacement de la Constitution actuelle par une constitution entièrement nouvelle, ce qui permettra de rééquilibrer des pouvoirs, notamment en ce qui concerne la position de la branche judiciaire. Toutefois, afin de rétablir les bases d'un système judiciaire indépendant et efficace, le nouveau cadre constitutionnel et juridique pour le système judiciaire doit s'accompagner d'un remplacement des personnes qui contrôlent l'organisation et le fonctionnement de la justice. La légitimité démocratique des membres actuels du Conseil Supérieur de la Magistrature et des présidents des tribunaux et des parquets, ainsi que leur approche globale du gouvernement démocratique, des droits fondamentaux et de la primauté du droit, sont donc largement considérées comme problématiques et désuètes. Dans la période transitoire, et jusqu'à ce que les institutions démocratiques soient stabilisées, les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature et les présidents des tribunaux et des parquets devraient démissionner pour être remplacés ou nommés de nouveau par un nouveau Conseil entièrement élu par les juges et les procureurs, suivant des modalités garantissant la plus large représentation de la magistrature. Dans la même période, une promotion automatique devrait être accordée à tous les juges et les procureurs. Les magistrats ayant subi des poursuites et des procédures disciplinaires injustes et inéquitables en raison de leur courage dans la défense de l'indépendance et de l'impartialité de la justice, devraient être réintégrés dans l'ancien poste qu’ils occupaient et leur carrière devrait leur être restituée. Dans la période transitoire, le ministre de la Justice devrait s'abstenir d'exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi quant à la carrière des juges et des procureurs et devrait s'abstenir d'influencer les activités d'instruction menées par les procureurs. En ce qui concerne la réforme du système judiciaire, les recommandations contenues dans le rapport peuvent être résumées comme suit :

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la future Constitution devra consacrer le principe de l'indépendance du juge et de la magistrature, et elle devra inclure à la fois le principe de l'inamovibilité des magistrats et les exceptions au principe de l'inamovibilité; la future Constitution devra consacrer les règles relatives à la composition et aux compétences du Conseil Supérieur de la Magistrature; les dispositions contenues dans la loi organique n° 67-29 donnant au ministre de la Justice le pouvoir de transférer les juges et les procureurs sans leur consentement devraient être immédiatement supprimées; les pouvoirs conférés par la loi au ministre de la Justice lui permettant d'intervenir dans la carrière des juges et des procureurs devraient être supprimés; la dépendance hiérarchique des procureurs du ministre de la Justice devrait être supprimée; chaque décision relative à la nomination et à la carrière des juges et des procureurs, y compris la nomination à des postes de direction, devrait être adoptée par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Elle devrait être fondée sur des critères objectifs et transparents, et effectuée suivant une procédure équitable et impartiale. le pouvoir exécutif et le ministre de la Justice devraient être entièrement exclus du processus de nomination des membres du Conseil Supérieur de la Magistrature ; les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature devraient être élus par leurs pairs, conformément aux règles électorales strictement réglementées par la loi ; le Conseil Supérieur de la Magistrature devrait être doté du personnel approprié, de locaux et d’un budget adéquats. le Conseil Supérieur de la Magistrature devrait établir des règles transparentes pour la gestion de la carrière des juges et des procureurs. les juges et les procureurs devraient avoir accès à une procédure satisfaisante de règlement des griefs devant le juge pour contester la décision du Conseil Supérieur de la Magistrature au sujet de leur carrière et de leurs droits civils ; le Conseil Supérieur de la Magistrature devrait établir des critères objectifs et des procédures claires pour la promotion et la nomination des juges à des postes de direction. le Conseil Supérieur de la Magistrature devrait mettre en place un système d'évaluation professionnelle des juges et des procureurs ; les violations disciplinaires devraient être définies à l'avance en termes précis ; le système de sanctions disciplinaires devrait être établi et appliqué conformément au principe de proportionnalité ; l'autorité qui effectue les enquêtes et les investigations dans le cadre de la procédure disciplinaire, et l'autorité qui décide en matière de discipline devraient être différentes. la liberté d'association des juges et des procureurs devrait être pleinement respectée et encouragée; les organisations professionnelles regroupant les magistrats sont incitées à élaborer un code de conduite professionnelle pour les magistrats. Celle-ci devrait être constamment consultée dans le processus de réforme de la Justice. le cadre juridique de l'Institut Supérieur de la Magistrature devrait être amélioré afin que cet Institut devienne une institution indépendante du ministère de la Justice.

Méthodologie L'expert a rédigé le présent rapport en s'appuyant sur des informations recueillies lors de la visite officielle en Tunisie de la mission de diagnostic, qui s'est déroulée du 27 juin au 1er juillet 2011, et sur les documents fournis par les autorités tunisiennes et la Délégation de la Commission européenne

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à Tunis avant et pendant la mission. La visite en Tunisie a consisté en des réunions qui se sont déroulées sur cinq journées pleines organisées par les autorités tunisiennes. La liste des personnes rencontrées par l'expert est annexée au rapport. L'expert a commencé son analyse du système judiciaire à partir des données figurant dans le rapport intitulé : " Tunisie : l'indépendance et l'impartialité du système judiciaire ", préparé par le réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme. Les principales sources du droit tunisien consultées par l'expert pour l'évaluation peuvent être énumérées comme suit : la Constitution de la République Tunisienne ; la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967 relative à l'Organisation judiciaire, au Conseil Supérieur de la Magistrature et au statut de la magistrature. Cette évaluation est guidée par la référence aux normes internationales sur l'indépendance de la magistrature provenant principalement des sources internationales suivantes : • le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé par la Tunisie le 30 avril 1968 et entré en vigueur en Tunisie le 18 mars 1969 ; • les Principes de base des Nations Unies relatifs à l'indépendance de la magistrature, approuvés par l'Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1985 ; • les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet, adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies sur la Prévention du crime et le traitement des délinquants à La Havane, Cuba, du 27 août au 7 septembre 1990 ; • la Déclaration universelle des droits de l'Homme, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; • la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ; • la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; • la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres sur l'Indépendance, l'efficacité et les responsabilités des juges, adoptée par le Comité des ministres le 17 novembre 2010 à la 1098e réunion des sous-ministres ; • la Recommandation (1994)12 adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 13 octobre 1994 et son rapport explicatif sur l'Indépendance, l'efficacité et le rôle des juges ; • l’Opinion n˚1 du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur les normes concernant l'Indépendance de la magistrature et l'inamovibilité des juges ; • l’Opinion n˚3 du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur les Principes et les règles régissant la conduite professionnelle des juges, en particulier les comportements incompatibles à la déontologie, et l'impartialité ; • l'Opinion n˚4 du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur La formation initiale et continue appropriée pour les juges, au niveau national et européen ; • l'Opinion n˚10 du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur le Conseil de la magistrature au service de la société ; • l’Opinion n˚11 (2008) du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur La qualité des décisions judiciaires ; l • a Charte européenne sur le statut des juges, adoptée par des participants de pays européens et par deux associations internationales de juges lors de leur réunion à Strasbourg du 8 au 10 juillet 1998 ;

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• • • •

le rapport sur les normes européennes concernant l'indépendance du système judiciaire (partie I - l'indépendance des juges), adopté par la Commission de Venise lors de sa 82e session plénière, à Venise les 12 et 13 mars 2010 ; la Recommandation Rec(2000)19 adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 6 octobre 2000 sur Le rôle du ministère public dans le système de justice pénale; les Principes directeurs de Budapest adoptés à Budapest le 31 mai 2005 par la Conférence des procureurs généraux d’Europe ; le rapport sur les normes européennes concernant l'indépendance du système judiciaire (partie II – Le Parquet), adopté par la Commission de Venise lors de sa 85e session plénière, à Venise, les 17 et 18 décembre 2010.

1. Le principe de l'indépendance de la magistrature Constat Dans son préambule, la Constitution de la République Tunisienne poursuit une démocratie fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs. Le système judiciaire est visé par le chapitre IV intitulé : "le pouvoir judiciaire ". Le principe de l'indépendance judiciaire est mentionné par l'article 65 qui ne fait pas référence à l'indépendance des juges ou des tribunaux, mais à l'indépendance de l'autorité judiciaire comme suit: "l'autorité judiciaire est indépendante : les magistrats ne sont soumis dans l'exercice de leurs fonctions qu'à l'autorité de la loi" (art.65). L'article 67 de la Constitution mentionne le Conseil Supérieur de la Magistrature, mais ne fait aucune référence à son indépendance du pouvoir exécutif et législatif, et ne décrit pas non plus sa composition et ses compétences, qui sont ainsi réglementées par le droit commun. Le texte de l'article 67 est le suivant : " le Conseil Supérieur de la Magistrature, dont la composition et les attributions sont fixées par la loi, veille au respect des garanties accordées aux magistrats en matière de nomination, d'avancement, de mutation et de discipline". La loi organique n° 67-29 adoptée le 14 juillet 1967 et modifiée à plusieurs reprises dans les années suivantes, jusqu'à la dernière modification par la loi organique 2005-81 du 4 août 2005, réglemente : o l'organisation judiciaire ; o le Conseil Supérieur de la Magistrature ; o le statut des magistrats (les termes magistrats et magistrature désignant, comme en France et en Italie, à la fois les juges et les procureurs, qui, comme en France et en Italie, appartiennent au même corps judiciaire et partagent la même carrière). Recommandations Au niveau international et européen, il existe un grand nombre de textes sur l'indépendance de la magistrature. L'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme prévoit que " toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera soit de ses droits et obligations, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ". Au niveau international, le droit à un tribunal indépendant et impartial est réaffirmé par l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, selon lequel les Hommes sont "tous (…) égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et Rapport de la mission UE de Diagnostic du système judiciaire et pénitentiaire en Tunisie - 2011

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impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Au niveau européen, le même principe est consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme.49 L'indépendance judiciaire est un pré-requis à la primauté du droit et la garantie fondamentale d'un procès équitable. Les juges sont "chargés de la décision ultime sur la vie, les libertés, les droits, les devoirs et les biens des citoyens »50. L'indépendance des juges n'est pas une prérogative ou un privilège pour servir leur propre intérêt mais celui de l'État de droit et de ceux qui recherchent et demandent justice51. L'indépendance des juges est l'un des piliers centraux de l'Etat de droit. La nécessité de promouvoir l'indépendance des juges n'est pas confinée aux seuls juges, mais peut avoir des conséquences pour le système judiciaire dans son ensemble. Pour remplir son rôle, le pouvoir judiciaire doit être indépendant du gouvernement et du pouvoir législatif, ce qui implique l’indépendance de toute relation inappropriée ou de toute forme d’influence pouvant être exercée par l’un ou l’autre de ces organismes. L’indépendance équivaut ainsi à la garantie d'impartialité. Ceci a nécessairement des implications pour presque tous les aspects relatifs à la carrière d'un juge : sa formation, sa nomination, sa promotion et sa discipline52. Étant donné l'importance du principe de l'indépendance judiciaire comme aspect fondamental de la primauté du droit, et vu que l'indépendance de chacun des juges est garantie par l'indépendance de la magistrature dans son ensemble, les sources internationales affirment que "l'indépendance à la fois du juge et de la magistrature devrait être inscrite dans la Constitution, avec des règles plus spécifiques prévues au niveau législatif"53. La Commission de Venise du Conseil de l'Europe réaffirme que les principes fondamentaux garantissant l'indépendance de la magistrature doivent être énoncés dans la Constitution.54 Recommandation n°1 : Inscrire l'indépendance du juge et du judiciaire dans la future Constitution de la République Tunisienne.

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L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme (ci-après également appelé : CEDH) stipule que dans la détermination de ses droits et obligations civils ou de toute accusation en matière pénale dirigée contre lui, chacun a droit à un procès équitable et public dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi. La jurisprudence de la Cour de Strasbourg des droits de l'Homme (ci-après également appelée : ECHR) fait la lumière sur un certain nombre d'aspects importants de l'indépendance judiciaire, mais, vu sa nature même, n’aborde pas la question de façon systématique. 50 Les Principes de base des Nations Unies sur l'indépendance de la magistrature, approuvés par l'Assemblée générale des Nations Unies en Novembre 1985 (ci-après appelés Principes de base). 51 Opinion n˚ 1 du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur les normes concernant l'indépendance de la magistrature et l'inamovibilité des juges (ci-après appelée op. n˚ 1 du CCJE). 52 L'Opinion. n˚ 1 de l'indépendance judiciaire du CCJE suppose l’impartialité totale de la part des juges. Pour se prononcer, un juge doit être impartial, c'est-à-dire libre de toute connexion, inclinaison ou partialité, ce qui affecte - ou peut être vu comme affectant - sa capacité à statuer de façon indépendante. 53 Les principes 4 et 7 de la recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe aux États membres sur l'indépendance des juges, leur efficacité et leurs responsabilités, adoptée par le Comité des ministres le 17 novembre 2010 à la 1098e réunion des Délégués des ministres (ci-après appelée REC. (201)12). 54 Le paragraphe 22 du rapport sur les normes européennes concernant l'indépendance du système judiciaire : la partie I l’indépendance des juges - adoptée par la Commission de Venise lors de sa 82e session plénière, à Venise les 12-13 mars 2010; paragraphe 16 de l'Opinion n ° 1 du CCJE

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1.1. Le principe de l'indépendance. L'inamovibilité des juges et des procureurs. Le transfert obligatoire des juges et des procureurs. Constat La Constitution tunisienne ne prévoit pas le principe de l'inamovibilité des juges et des procureurs. Toutefois, le caractère permanent des fonctions judiciaires est implicite dans l'art. 44 de la loi n° 6729 du 14 juillet 1967, qui admet la résiliation des fonctions des magistrats seulement dans les circonstances suivantes : o la décision volontaire de démissionner ; o la retraite ; o le licenciement (la loi ne précise pas les raisons d’un tel licenciement); o la révocation. L'article 14 de la loi organique n° 67-29 du 14 juillet 1967 prévoit aussi le transfert des magistrats sans leur consentement, et établit que le ministre de la Justice peut en effet décider du transfert d'un magistrat (juge ou procureur) en fonction des besoins du service. Dans ce cas, il soumet la requête au Conseil Supérieur de la Magistrature à sa première session. Par "besoins du service", il est entendu la nécessité de pourvoir un poste vacant, de nommer le magistrat en question à de nouvelles fonctions judiciaires, de régler le problème que pose une augmentation substantielle du volume de travail, ou de nommer un magistrat à une nouvelle cour. L'association des magistrats tunisiens affirme que sous le régime passé, de nombreux juges et procureurs ont été transférés par le ministre de la Justice à des fins punitives ou d’intimidation. Recommandations L'inamovibilité est le revers de la médaille en ce qui concerne le principe de l'indépendance judiciaire. Le droit au maintien de l’occupation et l'inamovibilité sont des éléments clés de l'indépendance des juges. Selon les principes de base des Nations unies sur l'indépendance de la magistrature, les juges devraient avoir une affectation garantie, le cas échéant,55 jusqu'à l'âge de la retraite obligatoire: "l'inamovibilité des juges devrait être un élément explicite de l'indépendance inscrite au plus haut niveau interne".56 La Commission de Venise a toujours soutenu le principe de l'inamovibilité dans les constitutions.57 La Constitution tunisienne ne respecte pas le principe d'inamovibilité des juges et la loi organique n° 67-29 prévoit des raisons indéfinies pour la cessation des fonctions judiciaires, et donc dangereuses pour l'indépendance du pouvoir judiciaire. La Recommandation n° R(2010)12 du Conseil de l'Europe stipule au contraire que le mandat des juges devrait être établi par la loi et que la nomination définitive ne doit être résiliée qu’en cas de violations graves des dispositions disciplinaires ou pénales établies par la loi, ou lorsque le juge ne peut plus exercer ses fonctions judiciaires. La retraite anticipée devrait être possible seulement à 55

Les Principes de base des Nations Unies, paragraphe 12 ; Recommandation n° R(2010)12, principe 49 ; Recommandation n° R(94)12, Principe I (2) (a) (ii) et (3) et Principe VI (1) et (2). La Charte européenne affirme que ce principe s'applique à la nomination ou à l'affectation à un bureau ou à un emplacement différent sans consentement (autre que dans le cas de réorganisation judiciaire ou temporairement), mais aussi bien ce principe que la Recommandation n° R(94)12 prévoient que le transfert à d'autres fonctions peut être ordonné par voie de sanction disciplinaire. 56 OP n°1 du CCJE, paragraphe 60. 57 Le paragraphe 43 du rapport sur les normes européennes concernant l'indépendance du système judiciaire : la partie I l'indépendance des juges - adoptée par la Commission de Venise lors de sa 82e session plénière, à Venise les 12-13 mars 2010.

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la demande du juge concerné ou pour des raisons médicales.58Les exceptions au principe de l'inamovibilité devraient alors être prévues par la même Constitution et strictement réglementées par la loi. En ce qui concerne la relation entre le principe de l'inamovibilité et le transfert obligatoire des juges, elle est traitée par l'Opinion n° 1 du CCJE, selon laquelle "il serait utile d'élaborer des normes définissant non seulement la conduite qui peut mener à la destitution, mais aussi tous les comportements qui peuvent conduire à des mesures disciplinaires ou de changement de statut, y compris par exemple un passage à une autre cour ou à un domaine différent". La question des transferts est plus spécifiquement abordée dans la Charte européenne sur le statut des juges dans la section 3.4, selon laquelle "un juge en fonction dans un tribunal ne peut en principe être nommé à un autre bureau judiciaire ou affecté ailleurs, même par voie de promotion, sans y avoir librement consenti. Une exception à ce principe est autorisée uniquement dans le cas où le transfert est prévu et a été prononcé par le biais d'une sanction disciplinaire, dans le cas d'une modification légale du système judiciaire, et dans le cas d'une affectation temporaire visant à renforcer un tribunal voisin, la durée maximale d'une telle cession étant strictement limitée par la loi, sans préjudice à l'application des dispositions du paragraphe 1.4 ci-contre". La même approche est suivie par la Commission de Venise.59 Les dispositions contenues dans la loi organique n° 67-29 sur le transfert obligatoire des juges par le ministre de la Justice constituent une grave menace à l'indépendance des juges et des procureurs et devraient donc être supprimées. Recommandation n°1: Inscrire le principe de l'inamovibilité des magistrats aussi bien que les exceptions au principe de l'inamovibilité des magistrats dans la future Constitution de la République Tunisienne. Recommandation n°2: Prévoir les exceptions au principe de l'inamovibilité des magistrats seulement dans les cas de violations graves des dispositions disciplinaires ou pénales prévues par la loi, ou lorsque le juge ne peut plus exercer de fonctions judiciaires. Recommandation n°3: Supprimer les dispositions contenues dans la loi organique n° 67-29 donnant pouvoir au ministre de la Justice de transférer les juges et les procureurs sans leur consentement. Recommandation n°4: Autoriser les transferts obligatoires des juges et des procureurs uniquement dans des circonstances exceptionnelles strictement réglementées par la loi. Ce transfert devra être géré par le Conseil Supérieur de la Magistrature.

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La Recommandation n° R(2010)12, Principe 50. Le paragraphe 43 du Rapport sur les normes européennes concernant l'indépendance du système judiciaire : la partie I l'indépendance des juges - adopté par la Commission de Venise lors de sa 82e session plénière, à Venise, le 12 au 13 mars 2010

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1.2. Le principe de l'indépendance et le rôle du ministre de la justice en ce qui concerne la carrière des juges et des procureurs Constat Dans la plupart des systèmes judiciaires des pays européens, le ministère a légalement le droit de prendre soin de l'administration judiciaire, qui comprend toutes les tâches nécessaires à l'exercice des pouvoirs par les tribunaux et le parquet, mais s'abstient de tout acte ou toute décision pouvant nuire à l'indépendance des juges et des procureurs. Dans le cadre juridique actuel de la Tunisie, le gouvernement a le pouvoir de s’immiscer fortement dans la carrière des juges et des procureurs: o le ministre de la Justice joue un rôle important au début de la carrière des juges et des procureurs en réglementant par décret les modalités de l'examen d'entrée à l'Institut Supérieur de la Magistrature (ci-après également appelé : ISM), qui est le seul moyen d'accéder à la magistrature ; o le président de la République et le ministre de la Justice nomment la majorité des membres du Conseil Supérieur de la Magistrature (ci-après également appelé : CSM) et prennent part aux travaux du Conseil, en tant que membres permanents de celui-ci ; o le ministre de la Justice établit les modalités pour l'élection des membres électifs du CSM ; o le ministre de la Justice dirige et donne des instructions aux procureurs ; o le ministre de la Justice a un pouvoir de décision sur le transfert obligatoire des juges et des procureurs ; o le ministre de la Justice peut accorder des dérogations individuelles aux juges et aux procureurs pour exercer des fonctions publiques ou d'autres activités professionnelles. Recommandations Les dispositions ci-dessus concernant les pouvoirs du ministre de la Justice d'interférer dans la gestion de la carrière des magistrats contredit gravement le principe de l'indépendance des juges et des procureurs. Dans des pays comme l'Italie et la France, qui prévoient un cadre constitutionnel au pouvoir judiciaire semblable à celui de la Tunisie, la compétence ci-dessus mentionnée relève incontestablement des pouvoirs des Conseils Supérieurs de la Magistrature. Par ailleurs, selon le principe 36 de la Rec(2000)19, "si le droit national consacre l'indépendance du ministère public, les représentants du ministère public doivent être laissés libres d'organiser le service de ce ministère et de décider de l'affectation et de la gestion des cas, sans aucune ingérence du pouvoir exécutif". Le ministre de la Justice devrait alors s'abstenir d'exercer ses pouvoirs sur la carrière des juges et des procureurs, et devrait s'abstenir d'influencer les activités d'investigation des procureurs ; ses pouvoirs d’ingérence dans la carrière des juges et des procureurs devraient être supprimés, de même que la relation hiérarchique avec les procureurs. Recommandation n°1: Retirer au ministre de la Justice les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi quant à la carrière des juges et des procureurs, et l'empêcher d'influencer les activités d'investigation des procureurs ; Recommandation n°2: Supprimer le droit du ministre de la Justice d'intervenir dans la carrière des juges et des procureurs. Recommandation n°3: Supprimer la dépendance hiérarchique des procureurs du ministre de la Justice.

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2. L'indépendance interne des juges et des procureurs 2.1. L'indépendance interne des juges Constat L'article 67 de la Constitution de la République Tunisienne stipule que "le Conseil Supérieur de la Magistrature, dont la composition et les attributions sont fixées par la loi, veille au respect des garanties accordées aux magistrats en matière de nomination, d’avancement, de mutation et de discipline". Recommandations Un juge n’est l’employé de personne dans l'exécution de ses fonctions et devoirs ; il ou elle est titulaire d'une fonction étatique. Il ou elle est donc au service de la loi et est responsable seulement devant la loi. Le CCJE60 a fait remarquer la menace potentielle à l'indépendance judiciaire qui pourrait surgir d'une hiérarchie judiciaire interne. Il a reconnu que l'indépendance judiciaire repose non seulement sur le fait d'être libre de toute influence extérieure indue, mais aussi libre de toute influence indue qui pourrait, dans certaines situations, provenir de l'attitude des instances qui régissent la magistrature ou de la part d'autres juges: "les juges – ce qui signifie les juges pris individuellement – devraient être absolument libres de statuer dans les affaires de manière impartiale, selon leur conscience et leur interprétation des faits, et en application des règles en vigueur de la loi".61 La solution suivie par de nombreux pays européens (voir ci-dessous) en vue de préserver l'indépendance judiciaire réside dans le transfert de tous les pouvoirs nécessaires à un Conseil de la magistrature, qui se chargerait alors de protéger l'indépendance à l'intérieur et à l'extérieur de l'appareil judiciaire. Par ailleurs, pour garantir l'indépendance interne des juges et des procureurs, toutes les décisions concernant leur carrière devraient être fondées sur le principe du mérite, c'est-à-dire sur des critères objectifs et transparents. Il est généralement admis dans les pays démocratiques62 que les nominations ainsi que les décisions relatives à leur carrière, y compris la nomination à des postes de direction, doivent être faites " en fonction du mérite" et sur la base de "critères objectifs", et que les considérations politiques doivent être irrecevables. Le principe du mérite préserve à la fois l'indépendance et l'intérêt du public pour cette indépendance, pour la qualité du système judiciaire

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OP n°1 du CCJE. Recommandation n°1 R(94 12, Principe I (2)(d). 62 Les principes de base des Nations Unies indiquent (paragraphe 13) que "la promotion des juges, lorsqu'un tel système existe, doit être fondée sur des facteurs objectifs, en particulier sur leur compétence, leur intégrité et leur expérience". La recommandation n° R(94)12 est également sans équivoque : "toutes les décisions concernant la carrière professionnelle des juges devraient être fondées sur des critères objectifs, et la sélection des juges et leur carrière devraient être fondées sur leur mérite, eu égard à leurs qualifications, leur intégrité, leur capacité et leur efficacité ". La Recommandation n ° R (94) 12 indique clairement qu'elle est applicable à toutes les personnes exerçant des fonctions judiciaires, y compris celles qui traitent des affaires constitutionnelles, pénales, civiles, commerciales et administratives (et aussi dans la plupart des cas aux juges non professionnels et autres personnes exerçant des fonctions judiciaires). Dans son OP n° 1, le CCJE recommande que les autorités responsables dans les États membres des nominations et des promotions maintenant présentent, publient et donnent suite à des critères objectifs, dans le but de s'assurer que la sélection des juges et leur carrière soient "fondées sur le mérite, eu égard à leurs qualifications, leur intégrité, leur compétence et leur efficacité ". 61

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et, en particulier en période de changement, pour la qualité des dirigeants de son système judiciaire. Recommandation n°1: Chaque décision relative à la nomination et à la carrière des juges, y compris la nomination à des postes de direction, doit être adoptée par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Recommandation n°2: Chaque décision relative à la nomination et à la carrière des juges doit être fondée sur des critères objectifs et transparents, et exécutée suivant des procédures justes et impartiales.

2.2. L'indépendance interne des procureurs: l'autonomie Constat Le système de poursuite judiciaire en Tunisie est hiérarchique et pyramidal. Selon l'article 15 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967, telle que modifiée par la loi 2005-81 du 4 août 2005, les procureurs sont placés sous la direction et le contrôle hiérarchiques des chefs de leurs bureaux et sont sous l'autorité du ministère de la Justice. Sous le régime passé, ce système hiérarchique a permis au ministre de la Justice de garder le contrôle sur les enquêtes, de les diriger, et donc de garder le contrôle sur le fonctionnement de l'ensemble du système judiciaire. Recommandations Les procureurs dans les juridictions continentales appartiennent souvent à la branche judiciaire. Dans les systèmes de droit civil, il existe une longue tradition de procureurs endossant la responsabilité de poursuite judiciaire dans l'intérêt public. Ceci est conforme à la tradition inquisitoire où le procureur est considéré comme une partie neutre, impartiale et indépendante dans le processus décisionnel. Il est généralement admis dans les pays européens que le service des poursuites judiciaires doit être libre de toute influence politique. Néanmoins, une forme de responsabilité politique et de contrôle, au moins à un niveau général, est nécessaire. Selon les normes internationales, le procureur peut être considéré comme indépendant lorsqu'il est recruté, évalué et promu par le biais de procédures transparentes qui récompensent son professionnalisme et son mérite. La promotion des procureurs doit être fondée sur des facteurs objectifs, en particulier sur les qualifications professionnelles, la compétence, l'intégrité et l'expérience, et elle doit être décidée conformément à une procédure équitable et impartiale63. En même temps, un procureur indépendant est un procureur responsable qui répond de sa propre conduite, qui est professionnellement bien préparé et conscient de son rôle. En garantissant cette indépendance interne, le Conseil Supérieur de la Magistrature devrait jouer un rôle de premier plan pour protéger à la fois les droits des procureurs et ceux des citoyens. Selon la Recommandation Rec(2000)19, les méthodes hiérarchiques pour l’organisation (des parquets, qui peuvent être considérées dans une certaine mesure comme nécessaires), en vue de promouvoir l'activité juste, uniforme et efficace du Bureau du Procureur, doivent être contrebalancées par d'autres règles pour garantir l'indépendance des procureurs à l’échelle interne, telles que : 63

Les Directives sur le rôle des procureurs, adoptées par le Huitième Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, La Havane, Cuba du 27 août au 7 Septembre 1990, paragraphe 7.

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o le recrutement, la promotion et le transfert des procureurs sont effectués selon des procédures justes et impartiales ; o les carrières des procureurs, leurs promotions et leur mobilité sont régies par des critères connus et objectifs, tels que la compétence et l'expérience (principe 5b); o les procureurs publics ont accès à une procédure satisfaisante de règlement des griefs, y compris le cas échéant l’accès à un tribunal, si leur statut juridique est affecté (principe 5f); o tous les procureurs ont le droit de demander que les instructions qui leurs sont adressées soient formulées par écrit : quand il ou elle estime que l'instruction est soit illégale, soit contraire à sa conscience, une procédure interne adéquate devra être en place, ce qui peut entraîner son remplacement; o l'affectation et la réaffectation des affaires doit répondre aux exigences d'impartialité et d'indépendance et optimiser le bon fonctionnement du système de justice pénale, en particulier au niveau de la qualification juridique et de la spécialisation consacrée à chaque matière. Recommandation n°1: Toute décision relative à la nomination et à la carrière des procureurs, notamment leur nomination à des postes de direction, doit être adoptée par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Recommandation n°2: Toute décision relative à la nomination et à la carrière des procureurs, doit être fondée sur des critères objectifs et transparents, et exécutée suivant des procédures justes et impartiales. Recommandation n°3: Accorder aux procureurs le droit de demander que les instructions qui leurs sont adressées leurs soient remises par écrit et que, quand ils/elles estiment que l'instruction est soit illégale, soit contraire à leur conscience, une procédure interne adéquate soit disponible, ce qui peut conduire à son remplacement. Recommandation n°4: Répondre aux exigences d'impartialité et d'indépendance, et optimiser le bon fonctionnement du système de justice pénale (en particulier au niveau de la qualification juridique et de la spécialisation requise pour chaque matière), lors de l'attribution et la réattribution des affaires aux procureurs.

3. La carrière des magistrats et des procureurs: le rôle du Conseil Supérieur de la Magistrature 3.1. La composition et la procédure d'élection du Conseil Supérieur de la Magistrature Constat L'article 67 de la Constitution de la République Tunisienne établit que la composition et les compétences du Conseil Supérieur de la Magistrature sont fixées par la loi.64 Cependant, la loi organique n° 67-29 du 14 juillet 1967 ne réglemente pas les compétences mais seulement la composition et, en résumé, le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature. 64

Le Conseil supérieur de la magistrature, dont la composition et les attributions sont fixées par la loi (..)..

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Le CSM est composé de 19 membres, dont la majorité sont soit des membres du gouvernement (le président de la République et le ministre de la Justice), soit des magistrats nommés par le gouvernement. La minorité des membres sont des magistrats élus par leurs pairs. En application de l'article 6 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967, telle que modifiée en 2005, le CSM est présidé par le président de la République et composé de : o huit membres permanents: ƒ le ministre de la Justice, qui exerce les fonctions de vice-président ; ƒ le premier président de la Cour de Cassation ; ƒ le procureur général auprès de la Cour de Cassation ; ƒ le procureur général directeur des services judiciaires; ƒ l'inspecteur général en chef ; ƒ le président du tribunal immobilier ; ƒ le premier président de la Cour d'Appel de Tunis ; ƒ le procureur général auprès de la Cour d'Appel de Tunis. o deux femmes magistrats nommées par le ministre de la Justice pour trois ans; o les membres élus suivants : ƒ un premier président d'une cour d'appel différente de la Cour d'Appel de Tunis, élu pour un mandat de trois ans ; ƒ un procureur général auprès d’une cour d'appel différente de la Cour d'Appel de Tunis, élu pour un mandat de trois ans, nommé pour un mandat de trois ans ; ƒ deux magistrats de chaque niveau de juridiction, élus par leurs pairs pour une durée de trois ans. En application de l'article 6 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967, les modalités d'élection des membres qui représentent les magistrats sont fixées par un décret du ministre de la Justice. En 2005, l'association des magistrats tunisiens, alléguant le manque de transparence dans le processus électoral, a contesté les résultats des élections devant le Conseil Supérieur de la Magistrature. 3.2. Les compétences du Conseil Supérieur de la Magistrature Conformément à l'art. 67 de la Constitution,65 les compétences du Conseil supérieur de la magistrature comprennent : o la nomination ; o l'avancement de carrière ; o le transfert ; o la discipline des juges et des procureurs 3.3. La structure et la procédure du Conseil Supérieur de la Magistrature En application de l'article 6 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967, telle que modifiée en 2005, le procureur général, directeur des services judiciaires, est le membre rapporteur du Conseil. Il établit l'ordre du jour des travaux du Conseil et assure la tenue des archives. 65

Article 67 : Le Conseil supérieur de la magistrature, dont la composition et les attributions sont fixées par la loi, veille au respect des garanties accordées aux magistrats en matière de nomination, d’avancement, de mutation and de discipline.

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Selon la même disposition, le président du Conseil ou, sur son autorisation, le vice-président, convoque les sessions du Conseil Supérieur de la Magistrature. En application de l’article 8, les décisions du Conseil sont adoptées par la majorité de ses membres. En cas de parité, la voix du président ou du vice-président prévaut. Dans la pratique, le Conseil supérieur des juges et des procureurs n'a pas de structure ; il n’y a pas de locaux propres au Conseil ; les membres se réunissent dans les locaux du ministère de la Justice. Le Conseil n'a pas de personnel administratif et il n'a pas de budget propre. Son fonctionnement matériel est assuré par le ministère de la Justice. Les membres travaillent à plein temps dans leurs tribunaux et leurs parquets et ne se réunissent au sein du Conseil que deux fois par an. Toutes les décisions sont prises dans les sessions du Conseil lorsqu’il est convoqué par le président ou le vice-président. Il n'y a pas de procédures stipulant que les membres soient impliqués dans la préparation des dossiers relatifs aux compétences et aux décisions du Conseil. 3.4. La possibilité de contester les décisions prises par le Conseil Supérieur de la Magistrature Constat Ni la Constitution ni la loi ne prévoient un recours judiciaire contre la décision adoptée par le Conseil Supérieur de la Magistrature concernant la carrière des juges et des procureurs. Recommandations La Constitution de la République Tunisienne prévoit que les décisions les plus importantes concernant le statut et la carrière des juges soient adoptées par le Conseil Supérieur de la Magistrature. En raison de sa composition, dictée par le gouvernement pour la majorité de ses membres, et en raison de son mode de fonctionnement, entièrement dépendant de la structure, du personnel et du budget du ministère de la Justice, le Conseil Supérieur de la Magistrature en Tunisie semble être le longa manus du ministère de la Justice. Dans les pays européens, les Conseils de la magistrature66 jouent, en effet, un rôle essentiel dans la protection de l'indépendance judiciaire67 et dans la promotion de l'efficacité de la justice. Les sources internationales soulignent la nécessité que les Conseils de la magistrature fonctionnent indépendamment et en dehors de tout contrôle de l'exécutif et du législatif, et sans pression indue au sein du système judiciaire.

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On observe aujourd'hui une tendance dans les pays européens à créer un Conseil indépendant de la magistrature (parfois appelé Haut Conseil Judiciaire ou Conseil Supérieur de la Magistrature), dont la plupart sont des organismes indépendants de l'exécutif et du législatif, avec un rôle exclusif ou moins important en ce qui concerne les nominations et les promotions; les exemples sont l’Andorre, la Belgique, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la France, l’Islande, l’Irlande, l’Italie, la Lituanie, la Moldavie, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, la Roumanie, la Russie, la Slovaquie, la Slovénie, l’Espagne, l’ancienne République yougoslave de Macédoine et la Turquie. 67 La principale source internationale sur les Conseils de magistrature est l’opinion n˚10 du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur le Conseil de la magistrature au service de la société (ci-après appelée l'OP n° 10 du CCJE).

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Selon l’Opinion n°10 (2007) du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe et relative au Conseil de la magistrature au service de la société, les Conseils de la magistrature sont chargés de la protection de l'indépendance des juges, comme élément essentiel dans un état régi par la primauté du droit et qui respecte ainsi le principe de la séparation des pouvoirs. Le Conseil de la magistrature se doit de protéger l'indépendance à la fois de l'appareil judiciaire et celle des juges individuels, et de garantir en même temps l'efficacité et la qualité de la justice telle que définie à l'article 6 de la CEDH, afin de renforcer la confiance du public dans le système de justice. Au delà de son rôle de gestion et d'administration vis-à-vis de l’appareil judiciaire, le Conseil de la magistrature devrait également incarner le gouvernement autonome du pouvoir judiciaire, permettant à chacun des juges d'exercer ses fonctions en dehors de tout contrôle de l'exécutif et du législatif, et sans aucune pression indue au sein de la magistrature.68 Étant donné l'importance du rôle des Conseils de la magistrature, les normes internationales excluent toute ingérence du pouvoir politique dans le processus d'élection des membres des Conseils. La Recommandation n° R(94)12 maintient sa position dans ce domaine, en assumant tout d’abord l’existence d'un organisme indépendant chargé des nominations : "l'autorité chargée de prendre la décision relative à la sélection et à la carrière des juges devrait être indépendante du gouvernement et de l'administration. Afin de préserver son indépendance, des dispositions devraient garantir que, par exemple, ses membres sont choisis par le pouvoir judiciaire et que l'autorité décide elle-même de ses règles de procédure". La Charte européenne sur le statut des juges est déjà allée beaucoup plus loin que la Recommandation n° R(94)12, en stipulant ce qui suit : "en ce qui concerne toute décision affectant la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la carrière d'un juge ou la résiliation de son mandat, le statut prévoit l'intervention d'une autorité indépendante des pouvoirs exécutif et législatif dans laquelle au moins la moitié de ceux qui siègent sont des juges élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large de la magistrature". La composition et le mode de nomination des membres du Conseil tunisien placent cette institution très loin des standards internationaux et laissent la porte grande ouverte à une influence politique exercée par le pouvoir exécutif sur le gouvernement de la magistrature. Par ailleurs, le processus électoral pour la sélection des membres élus du Conseil suscite également de sérieuses préoccupations, car les conditions et les modalités de l'élection sont fixées par un décret du ministre de la Justice et non par la loi (cela peut-être un droit constitutionnel). Selon les normes internationales, afin de garantir l'indépendance de l'autorité responsable de la sélection et de la carrière des juges, il devrait y avoir des règles garantissant que les juges membres sont choisis par le pouvoir judiciaire à travers l’élection directe.69 Quant aux méthodes électorales, les sources internationales considèrent que les juges siégeant au Conseil de la magistrature devraient être élus par leurs pairs suivant des modalités garantissant la plus large représentation de la magistrature à tous les niveaux. En particulier, le CCJE ne préconise pas les systèmes qui impliquent les autorités politiques comme le Parlement ou 68

OP n°10 du CCJE, paragraphe 12. Néanmoins, le CCCJE admet que le choix peut être fait ou, pour un nombre limité de membres (tels que les présidents de la Cour Suprême ou des courts d'appel), ex officio.

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l'exécutif à quelque étape que ce soit du processus de sélection. Toute interférence des hiérarchies judiciaires dans le processus doit être évitée. Toutes les formes de nomination par les autorités internes ou externes à l'appareil judiciaire doivent être exclues.70 En ce qui concerne les compétences du Conseil Supérieur de la Magistrature, afin de préserver l'indépendance des juges et des procureurs et de se conformer aux normes internationales, elles devraient être entièrement établies par la Constitution et devraient inclure toutes les décisions concernant la carrière des juges et des procureurs : la sélection, la promotion, l'évaluation, la discipline, la formation, la protection de l'image des juges et des procureurs. Elles devraient en outre inclure une déclaration d'opinion aux autres pouvoirs de l'État ; et développer la coopération avec d'autres organismes compétents au niveau national, européen et international. Quant à la structure du Conseil, le CCJE indique que la participation à temps plein signifie un travail plus efficace et une meilleure protection de l'indépendance 71 Par ailleurs, afin de garantir l'exécution de son rôle, le Conseil Supérieur de la Magistrature doit être convenablement financé, disposer de moyens appropriés pour fonctionner de manière indépendante et autonome ainsi que d'une puissance et d’une capacité à négocier et à organiser son propre budget de manière efficace.72 Le Conseil de la magistrature doit avoir ses propres locaux, son secrétariat, ses services informatiques et la liberté de s'organiser, sans avoir à répondre de ses activités à quelque autorité que ce soit, politique ou autre. Le Conseil de la magistrature doit avoir son propre personnel selon ses besoins, et chacun des membres du personnel doit agir en conformité avec les tâches qui lui sont assignées.73 Quant aux procédures internes du Conseil, un juge indépendant et un procureur indépendant ont besoin d’un Conseil de la magistrature indépendant, qui établisse des règles transparentes pour la gestion de la carrière des juges et des procureurs, des règles claires et efficaces pour la gestion de ses compétences, et qui soit composé de membres responsables et soutenus par une structure administrative efficace et autonome. Enfin, selon les sources internationales, les décisions du Conseil de la magistrature concernant l’appareil judiciaire et la gestion et l'administration du système de justice, ainsi que les décisions relatives à la nomination, la mobilité, la promotion, la discipline et la révocation des juges, doivent contenir une explication de leurs motifs et avoir force obligatoire, sous réserve de la possibilité d'une révision judiciaire. En effet, l'indépendance du Conseil de la magistrature ne veut pas dire que ce Conseil est au-dessus de la loi et exempté de contrôle judiciaire.74 En référence à l'expérience italienne relative au Consiglio Superiore della Magistratura, il convient de signaler que le CSM italien est un organisme stable, regroupant une équipe de 243 employés administratifs, 19 magistrats de soutien et un budget de plus de 17 millions d'euro. Les membres du Conseil se consacrent à plein temps aux travaux du Conseil. Toutes les décisions du Conseil touchant aux droits et aux intérêts des juges et des procureurs sont motivées et peuvent être contestées devant le tribunal administratif. 70

OP n°10 du CCJE, paragraphe 31 Idem, paragraphe 34. 72 Ibidem, paragraphe 34. 73 Ibidem, paragraphe 38. 74 Ibidem, paragraphe 39. 71

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Recommandation n°175 : Inscrire la composition et les compétences du Conseil Supérieur de la Magistrature dans la future Constitution de la République Tunisienne. Recommandation n°2 : Exclure totalement du processus de nomination des membres du Conseil Supérieur de la Magistrature le pouvoir exécutif et le ministre de la Justice. Recommandation n°3 : Faire élire les membres du Conseil Supérieur de la Magistrature par leurs pairs, conformément à des règles électorales strictement réglementées par la loi. Recommandation n°4 : Doter le Conseil Supérieur de la Magistrature du personnel approprié, de locaux convenables et d’un budget suffisant. Recommandation n°5 : Etablir des règles transparentes pour le gouvernement de la carrière des juges et des procureurs, qui seront édictées par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Recommandation n°6 : Permettre aux juges et aux procureurs d'avoir accès à une procédure satisfaisante de règlement des griefs devant un juge indépendant pour contester les décisions du Conseil Supérieur de la Magistrature concernant leur carrière et leurs droits civils. 3.4.1. La période de transition La conception d'un nouveau Conseil Supérieur de la Magistrature et sa traduction dans la loi et la pratique prendront du temps, et requièrent de bonnes intentions de la part de la future assemblée parlementaire. Cela présuppose l'élection d'une assemblée constitutionnelle légitime, l’établissement d’un nouveau cadre constitutionnel pour le Conseil Supérieur de la Magistrature, l’adoption d'une nouvelle loi sur le Conseil Supérieur de la Magistrature, la mise en place d'une structure matérielle pour le Conseil ; et à l'avenir, l’établissement par le Conseil de ses propres règles et procédures pour ce qui est du gouvernement de la carrière des juges et des procureurs. Ce processus va probablement prendre beaucoup de temps. Dans la période de transition, étant donné que les membres permanents actuels du Conseil et les membres nommés par le ministre de la Justice qui ont été nommés durant l'ancien régime et par le pouvoir exécutif passé - n'ont pas la légitimité requise pour exécuter leurs fonctions, l'expert ne voit aucune alternative à leur démission ou licenciement. Un nouveau Conseil de transition devrait être mis en place, entièrement élu par les juges et les procureurs, suivant des méthodes garantissant la représentation la plus large du pouvoir judiciaire. Les membres nouvellement élus du Conseil devraient gérer la procédure de promotion, de nomination et de re-nomination des présidents des tribunaux et des parquets de la période transitoire (voir cidessous, chapitre 3.7).

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: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°3

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Recommandation n°1 – durant la période de transition : La démission ou le licenciement des membres actuels du Conseil Supérieur de la Magistrature et la mise en place d'un Conseil transitoire, entièrement élu par les juges et les procureurs, suivant des modalités garantissant la plus large représentation du pouvoir judiciaire. Ceux-ci auront pour tâche de gérer les procédures de promotion, de nomination et de re-nomination des présidents des tribunaux et des parquets. 3.5. La nomination des juges et des procureurs Constat L'article 66 de la Constitution stipule que les magistrats sont nommés par un décret du président de la République sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature. L'article 10 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967 réaffirme que les magistrats sont nommés par un décret du président de la République sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature. L'article 29 suivant de la loi n° 67-29 stipule que les magistrats sont recrutés après l'achèvement de la formation initiale à l'Institut Supérieur de la Magistrature (ISM). Conformément à la loi, le ministre de la Justice établit les conditions, les modalités et le programme du concours d’accès à la formation initiale dispensée à l’Institut Supérieur de la Magistrature.76 Les candidats qui réussissent au concours et sont admis à la formation initiale sont nommés auditeurs de justice. Conformément à l'article 32 de la loi, le ministre de la Justice établit par décret les conditions et les modes de nomination des professeurs d'université et des avocats pour les fonctions judiciaires. L'article 7 bis de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967, telle que modifiée par la loi n° 85-79 du 11 août 1985, stipule que le premier président de la Cour de Cassation, le procureur général auprès de la Cour de Cassation, le procureur général directeur des services judiciaires, l'inspecteur général, le président du tribunal de l'immobilier, le premier président de la Cour d'Appel de Tunis et le procureur général auprès de la Cour d'Appel de Tunis sont nommés par un décret du président de la République parmi les magistrats promus au troisième grade de leur carrière.77 Recommandations Le ministre tunisien de la Justice joue un rôle important dans l'établissement de la règle d’accession à la magistrature. Le pouvoir exécutif nomme directement les magistrats aux postes les plus importants de la hiérarchie judiciaire. Les magistrats nommés par le pouvoir exécutif sont, dans le même temps, les membres permanents du CSM. Cette situation est nettement en conflit avec les normes internationales. Comme largement souligné ci-dessus (paragraphes 3.1 - 3.4), selon les normes européennes, le rôle des Conseils de la magistrature en ce qui concerne la gestion de la carrière des juges et des procureurs vise à protéger leur indépendance du gouvernement et de la législature. Selon l'Opinion n° 10 du CCJE, dans le processus de nomination des juges par les Conseils de la 76

Arrêté du 5 novembre 1998 sur les conditions pour accéder au concours d'entrée de l'ISM ; arrêté du 17 janvier 1989 sur les programmes d'études et les stages pratiques à l'ISM ; arrêté du 27 mars 1001 sur le programme et les conditions d'accès au concours d'entrée de l'ISM. 77 En ce qui concerne la carrière, CF le chapitre suivant.

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magistrature, il doit y avoir une transparence totale dans les conditions de sélection des candidats, afin que les juges et la société elle-même soient en mesure de confirmer que la nomination est faite exclusivement sur la base du mérite du candidat et de ses qualifications, ses capacités, son intégrité, son sens de l'indépendance, son impartialité et son efficacité. Le Conseil de la magistrature veillera également, dans l'accomplissement de son rôle, à ce que les procédures de nomination et de promotion judiciaires soient fondées sur le mérite et ouvertes à un ensemble de candidats aussi divers que possible, et représentatif de la société dans son ensemble.78 En outre, en ce qui concerne les postes supérieurs, en particulier ceux attachés aux rubriques de compétence, les profils généraux contenant les spécificités des postes concernés et les qualités requises chez les candidats devraient être officiellement diffusés par le Conseil de la magistrature en vue d'assurer la transparence et la responsabilité du choix fait par l'autorité de nomination. Ce choix devrait être fondé exclusivement sur les mérites du candidat plutôt que sur des raisons subjectives, telles que les intérêts personnels, politiques ou associatifs/syndicaux.79 Il est alors fortement recommandé d'écarter toute influence politique possible sur le processus de nomination des juges et des procureurs. L'accès à la magistrature doit être totalement ouvert à des candidats aussi divers et représentatifs de la société dans son ensemble que possible, et doit passer par des procédures de sélection transparentes et objectives. Les procédures concurrentielles pour accéder à la magistrature devraient donc être entièrement définies par la loi et devraient être gérées par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Recommandation n°1 : Mettre en œuvre des procédures transparentes et objectives, entièrement régies par la loi, pour accéder à l'appareil judiciaire. Recommandation n°2: Déléguer entièrement la procédure de nomination des juges et des procureurs au Conseil Supérieur de la Magistrature, de manière à éviter toute ingérence politique dans le processus de sélection.

3.6. La promotion des juges et des procureurs. La nomination aux postes de direction et à des postes supérieurs. Constat Le chapitre 5 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967 réglemente la carrière des magistrats. Les magistrats et les procureurs tunisiens sont répartis, en ce qui concerne leur carrière, en trois grades différents. Le premier grade est le plus bas et le troisième est le plus élevé. Chaque grade correspond à un salaire différent. La promotion au deuxième grade permet aux juges et aux procureurs d'être nommés en tant que juges de la Cour d'Appel et vice-procureurs généraux auprès de la Cour d'Appel. La promotion au troisième grade permet aux juges et aux procureurs d'être nommés en tant que conseillers de la Cour de Cassation et avocats généraux auprès de la Cour de Cassation et d'être cooptés par le pouvoir exécutif à la position la plus importante de la hiérarchie judiciaire. Le passage d'un grade au grade supérieur n'est pas automatique. Les juges et les procureurs sont 78 79

OP. n°10 du CCJE paragraphe 50. Idem, paragraphe 51.

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promus à partir d'un grade à un autre grade supérieur par le Conseil Supérieur de la Magistrature selon une liste d'aptitudes compilée en tenant compte de l’ancienneté et des postes vacants à pourvoir (dans des postes plus élevés). Les juges sont promus à la Cour d'Appel sur avis du procureur général, en application de l'évaluation effectuée par le président de la Cour et de l'avis du Premier Procureur.80 Les procureurs sont nommés au bureau du procureur général auprès de la Cour d'Appel sur avis du président de la Cour d'Appel, et en application de l'évaluation effectuée par le Premier Procureur et de l'avis du président de la Cour81. L'établissement de critères objectifs dans les décisions du passage d'un grade à un autre grade supérieur est une revendication de longue date par l'association des magistrats tunisiens. Recommandations La nomination des juges tunisiens et des procureurs à des postes de direction ou à des postes plus élevés est décidée, si ce n’est par le pouvoir exécutif (voir chapitre 3.5), par le Conseil Supérieur de la Magistrature. La promotion est liée à la progression des salaires. Les critères de promotion ne sont définis ni par la loi ni par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Les décisions du Conseil ne sont pas motivées. La nomination des magistrats aux postes les plus importants de la hiérarchie judiciaire dépend d'une décision politique. Selon les normes internationales, la promotion des juges doit être fondée sur des facteurs objectifs, notamment sur la compétence, l’intégrité et l’expérience. La Rec(2010)12 du Conseil de l'Europe suggère que les décisions concernant la sélection des juges et leurs carrières devraient être fondées sur des critères objectifs préétablis par la loi ou par les autorités compétentes. Ces décisions devraient être fondées sur le mérite, notamment les qualifications, les compétences et les capacités nécessaires pour statuer sur les affaires en appliquant la loi, tout en respectant la dignité humaine.82 Les principes de base des Nations unies sur l'indépendance de la magistrature indiquent que la promotion des juges doit être fondée sur des facteurs objectifs, en particulier sur la compétence, l’intégrité et l’expérience83. De même, conformément aux principes directeurs de l'ONU sur le rôle des procureurs, la promotion des procureurs doit être fondée sur des facteurs objectifs, en particulier sur les qualifications professionnelles, la compétence, l'intégrité et l'expérience de ces procureurs, et décidée conformément à une procédure équitable et impartiale.84 Selon l'Opinion n°10 du CCJE, en ce qui concerne les postes supérieurs, en particulier ceux associés aux rubriques de compétence, les profils généraux contenant les spécificités des postes concernés et les qualités requises des candidats devraient être officiellement publiées par le Conseil de la magistrature en vue d'assurer la transparence et la responsabilité par rapport au choix fait par l'autorité de nomination. Ce choix doit être fondé exclusivement sur les mérites d'un candidat plutôt que sur des raisons subjectives, telles que les intérêts personnels, politiques ou d’ordre associatif/syndical85. 80

Art. 34 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967. Art. 35 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967. 82 Les Directives sur le rôle des procureurs, adoptées par le Huitième Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, La Havane, Cuba, du 27 août au 7 Septembre 1990, paragraphe 7. 83 OP. n°10 du CCJE, paragraphe 51 84 Les Directives sur le rôle des procureurs, adoptées par le Huitième Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, La Havane, Cuba, du 27 août au 7 septembre 1990, paragraphe 7. 85 OP. n°10 du CCJE paragraphe 51 81

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Dans de nombreux pays européens, et notamment en Italie, la promotion des juges et des procureurs est fondée sur les résultats du système d'évaluation professionnelle. L'adoption de systèmes d'évaluation professionnelle est une étape importante vers l'établissement de critères uniformes, objectifs et transparents pour la gestion de la carrière des juges et des procureurs en Tunisie. L'évaluation professionnelle doit servir à satisfaire un ensemble de besoins fonctionnels : o vérifier que les jeunes juges et procureurs ont acquis les compétences professionnelles nécessaires ; o s'assurer que les juges et les procureurs maintiennent leurs qualifications professionnelles tout au long de leur service jusqu'à la retraite ; o choisir parmi les juges et les procureurs ceux qui sont les plus qualifiés pour pourvoir les postes vacants à un niveau égal ou supérieur de compétence ; o choisir parmi les juges et les procureurs ceux qui ont les capacités d'être nommés aux fonctions de gestion des tribunaux ; o fournir des informations utiles à la décision d'affecter des juges ou des procureurs à des fonctions spécifiques à l'intérieur des tribunaux, afin qu'ils occupent celles correspondant le mieux à leur formation. Toutefois, selon l'expérience des pays européens, la fiabilité d'un système d'évaluation professionnelle dépend de nombreux facteurs. Tout d'abord, il est important que les sources d'évaluation soient objectives. Deuxièmement, les normes, qu’il s’agisse de critères-cadre ou d'indicateurs, doivent être clairement identifiées. Enfin, afin d'éviter les jugements subjectifs, il est important que plusieurs experts participent au processus d'évaluation.

3.6.1. La période transitoire La mise en place d'un système adéquat d'évaluation professionnelle requiert du temps et des efforts communs de la part du Parlement et du Conseil Supérieur de la Magistrature. En Tunisie, ceci présuppose l'élection d'une assemblée parlementaire légitime, un nouveau cadre constitutionnel pour le Conseil Supérieur de la Magistrature, l’adoption d'une nouvelle loi sur le Conseil Supérieur de la Magistrature, et l’adoption de nouvelles réglementations sur l'évaluation professionnelle par le futur Conseil Supérieur de la Magistrature. Ce processus va probablement prendre un certain temps. Dans la période transitoire, étant donné que les présidents actuels des juridictions/parquets - qui ont été nommés et promus sous le régime passé et par le pouvoir exécutif précédent - ne possède pas la légitimité nécessaire pour exécuter leurs fonctions, l'expert ne voit pas d'alternative à leur démission ou à leur licenciement, ainsi qu'à la nomination de nouveaux chefs de bureaux ou encore la renomination des chefs actuels de bureaux par un Conseil transitoire de magistrature, entièrement élu par les juges et les procureurs. En ce qui concerne la carrière, étant donné que durant le régime passé la promotion des magistrats à des grades supérieurs n'était pas fondée sur des critères objectifs, et que des inégalités et des injustices ont été créées entre les juges et les procureurs, l'expert ne voit pas d'autre alternative, pour la période de transition, que la promotion automatique de tous les juges et les procureurs en fonction de leur ancienneté, jusqu'à ce qu'un meilleur système d'évaluation professionnelle soit mis en place.

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Recommandation n°1 : Etablir des critères objectifs et des procédures claires pour la promotion et la nomination des juges à des postes de direction, édictées par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Recommandation n°2 : Permettre au Conseil Supérieur de la Magistrature de mettre en place un système d'évaluation professionnelle des juges et des procureurs. Recommandation n°3 : Dans la période transitoire, acter la démission ou le licenciement des présidents actuels des tribunaux et des parquets, et faire nommer ou renommer les présidents des tribunaux et des parquets par un Conseil transitoire Supérieur de la Magistrature, entièrement élu par les juges et les procureurs. Recommandation n°4 : Dans la période transitoire, accorder une promotion automatique à tous les juges et les procureurs. 3.7. Le transfert des juges et des procureurs Constat Le transfert avec le consentement du magistrat est régi par l'article 20, paragraphe 1 bis de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967. En application de l'article 10 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967, le Conseil Supérieur de la Magistrature examine chaque année le transfert des magistrats en fonction des vacances judiciaires. Cependant, comme souligné plus haut (paragraphe 1.1.) la loi prévoit également le transfert des magistrats sans leur consentement par le ministre de la Justice. Recommandations Le pouvoir du ministre de la Justice de décider du transfert des juges sans leur consentement peut affecter l'indépendance judiciaire et le principe de l'inamovibilité des juges et devrait être immédiatement supprimé. Recommandation n°1: Supprimer le pouvoir du ministre de la Justice de décider du transfert des juges sans leur consentement.

3.8. Les violations disciplinaires, les sanctions disciplinaires et le code de déontologie Constat Le chapitre 7 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967 réglemente la discipline des juges et des procureurs. Selon l'article 50 de la loi, la violation des devoirs liés au statut, à l'honneur ou à la dignité d'un juge ou d’un procureur constitue une violation disciplinaire. L'article 52 de la loi énumère les sanctions disciplinaires suivantes: 1. le blâme, devant être signalé dans le dossier personnel du juge ou du procureur ; 2. le transfert obligatoire ;

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3. 4. 5. 6.

l'exclusion de la liste d'aptitude ou de la liste de progression de carrière ; la dégradation ; la suspension pour une période de temps n'excédant pas neuf mois ; la révocation

Recommandations L'autre aspect de la responsabilité du procureur est la discipline. La recommandation n°R(94)12 affirme le principe de la légalité en déclarant que les motifs précis pour une procédure disciplinaire doivent toujours "être définis" en avance "en termes précis par la loi". La Charte européenne sur le statut des juges stipule que le manquement par un juge de l'un des devoirs expressément définis par la loi donne nécessairement lieu à une sanction en application de la décision. Conformément à l’Opinion n° 3 du CCJE 86(le principe 77), dans chaque pays le statut ou la charte fondamentale applicable aux juges devrait définir, en termes précis autant que possible, les manquements qui peuvent donner lieu à des sanctions disciplinaires. La Rec(2000)19, Principe VI.2 stipule que les procédures disciplinaires à l’encontre des procureurs sont régies par la loi et doivent garantir une évaluation juste et objective. Le principe de légalité est étroitement lié à la protection de l'indépendance des juges et des procureurs et implique donc que les infractions disciplinaires soient définies par la loi en des termes précis, dans la mesure du possible. Le même niveau de spécificité employé pour les dispositions pénales devrait être adopté. Par contre, la loi n°67-29 prévoit un concept très large et vague d'infractions disciplinaires qui laisse place à d'éventuels abus dans la procédure disciplinaire, sous l'influence de l'autorité politique, et les exemples illustrant les abus du pouvoir disciplinaire sous l'ancien régime ne manquent pas. Par ailleurs, la loi prévoit plusieurs sanctions en cas de violation disciplinaire. Cependant, le plein respect du principe de légalité et de proportionnalité 87 suggère que des sanctions spécifiques soient associées à des violations spécifiques selon leur gravité, comme c’est le cas par exemple dans le système espagnol. Quant au Code de déontologie, selon le Principe 49 de l'Opinion n˚ 3 du CCJE, les juges devraient être guidés dans leurs activités par des principes de conduite professionnelle. Ces principes devraient fournir des directives aux juges sur la façon de procéder, leur permettant ainsi de surmonter les difficultés auxquelles ils sont confrontés en ce qui concerne leur indépendance et leur impartialité ; lesdits principes doivent être élaborés par les juges eux-mêmes et totalement distincts du système disciplinaire des juges. La tradition judiciaire continentale appuie fortement l'idée de la codification des règles éthiques. Le code d'éthique le plus ancien est le "code d’éthique" italien, adopté le 7 mai 1994 par l'association des juges italiens, une organisation professionnelle de la magistrature.

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OP n°3 du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur les principes et les règles régissant la conduite professionnelle des juges, en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité. 87 La Charte européenne sur le statut des juges indique que l'échelle des sanctions qui peuvent être infligées est précisée dans la loi, et son application est soumise au principe de proportionnalité. Selon l’Opinion n˚3 (2002) du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur les principes et les règles régissant la conduite professionnelle des juges, en particulier la déontologie, les comportements incompatibles et l'impartialité (ci-après appelée Opinion n°3 du CCJE), les sanctions disponibles pour une telle autorité dans un cas de faute avérée doivent être définies, autant que possible en termes précis, par la loi ou la charte fondamentale des juges, et devraient être appliquées de manière proportionnée.

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Dans la tradition des pays du continent européen, le principe de conduite judiciaire doit alors être mis en place par les juges eux-mêmes et par leurs associations libres88. Les codes de conduite ont, en effet, certains avantages importants : premièrement, ils aident les juges à résoudre les questions d'éthique professionnelle, leur donnant une autonomie dans leur prise de décision et garantissant leur indépendance vis-à-vis des autres autorités. Deuxièmement, ils informent le public sur les normes de conduite qu'il est en droit d'attendre de la part des juges. Troisièmement, ils contribuent à donner au public l'assurance que la justice est administrée de façon indépendante et impartiale89. En conclusion, l'expert encourage l'association des juges à mettre en place son propre code d'éthique. 3.8.1. La période transitoire En période de transition, et jusqu'à ce qu'un nouveau système approprié de discipline soit mis en place, les magistrats ayant subi une procédure disciplinaire injuste et poursuivis pour leur courage dans la défense de l'indépendance de la magistrature, devraient être réintégrés dans leur ancien poste et leur carrière leur devrait être restituée. Recommandation n°1: Définir à l'avance et en des termes précis les violations disciplinaires. Recommandation n°2: Distinguer les règles disciplinaires des principes de conduite professionnelle. Recommandation n°3: Etablir le système de sanctions disciplinaires et le mettre en œuvre conformément au principe de proportionnalité. Recommandation n°4: Dans la période transitoire, réintégrer les magistrats ayant subi une procédure disciplinaire injuste, dans leur ancien poste et leur restituer leur carrière. Recommandation n°5: Inciter les organisation professionnelles représentatives des magistrats à élaborer un code de conduite professionnelle des magistrats.

88

Il convient de rappeler le principe figurant dans le Principe IV de REC(12)90, selon lequel les juges doivent être libres de former des associations qui, seules ou avec d’autres organismes, ont la tâche de sauvegarder leur indépendance et protéger leurs intérêts. 89 Quant à la relation entre l'éthique et les règles disciplinaires, l’Opinion n˚3 du CCJE précise que : i) les principes énoncés devraient servir d'instruments d'autoréglementation pour les juges, c'est-à-dire de règles générales qui guident leurs activités. En outre, bien qu'il y ait à la fois un chevauchement et une interaction, les principes de conduite doivent rester indépendants des règles disciplinaires applicables aux magistrats dans le sens que l'inobservation de l'un des principes ne doit pas constituer en soi une infraction disciplinaire ou une infraction civile ou pénale ; 2) les principes de conduite professionnelle doivent être établis par les juges eux-mêmes. Ils devraient être des instruments d'autoréglementation générés par le système judiciaire lui-même, permettant à l'autorité judiciaire d'acquérir une légitimité en opérant dans le cadre de normes éthiques généralement acceptées.

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3.9. La procédure disciplinaire devant le Conseil national des juges Constat L'initiative d’entamer des procédures disciplinaires à l’encontre des juges est attribuée au ministre de la Justice (art. 56 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967). L’art. 44 de la loi donne au ministre de la Justice, en cas d'urgence, le pouvoir d’interdire temporairement à un magistrat le droit d’exercer ses fonctions. Le pouvoir de traiter la procédure disciplinaire est conféré au Conseil Supérieur de la Magistrature. En 2005, la loi a été modifiée afin de supprimer la possibilité pour le magistrat sanctionné par le Conseil, de contester la décision disciplinaire devant un juge administratif. Deux modes de recours internes ont été créés, de la première et la dernière instance, devant le même Conseil Supérieur de la Magistrature. Les procédures disciplinaires sont tranchées par le Conseil de discipline, dont la composition est la suivante: le premier président de la Cour d'Appel de Tunis, en tant que président ; le procureur général auprès de la Cour d'Appel de Tunis ; le premier président et le procureur général de cours d'appels différentes de la Cour d'Appel de Tunis ; le magistrat le plus jeune et le substitut au magistrat le plus jeune, parmi les membres élus, appartenant au même grade que le magistrat traduit devant le conseil de discipline. Le président du conseil de discipline désigne un rapporteur parmi les membres du Conseil. Le rapporteur procède à une enquête, si nécessaire, et informe le magistrat accusé de l’infraction disciplinaire retenue contre lui et de tous les documents pertinents. L'audience devant le Conseil de discipline est orale. Le magistrat accusé a le droit de consulter les documents de la procédure et d'être assisté par un avocat. La décision du conseil de discipline est adoptée par une majorité de voix. La décision disciplinaire peut être portée en appel devant la Commission de recours du Conseil Supérieur de la Magistrature, qui est composée en majorité des membres du Conseil nommés par le pouvoir exécutif90. La décision rendue par la Commission de recours est définitive et ne peut être interjetée en appel. Recommandations Le système disciplinaire actuel en Tunisie suscite de graves préoccupations à la fois pour l'indépendance de l’autorité statuant sur les infractions disciplinaires et pour l'équité de la procédure, car la même autorité - le Conseil Supérieur de la Magistrature - effectue les enquêtes et décide de l'affaire. La majorité des membres de la commission de recours, qui prend la décision finale, est nommée par le pouvoir exécutif. Ceci ouvre la voie à une influence politique sur les décisions disciplinaires. Selon les normes internationales, les décisions dans les procédures disciplinaires concernant les juges doivent plutôt faire l'objet d'un examen indépendant91. De même, les décisions disciplinaires contre le procureur doivent être soumises à un examen indépendant92. 90

La commission est composée du premier président de la Cour de Cassation, du procureur général auprès de la Cour de Cassation, du procureur général directeur des services judiciaires, du président du tribunal immobilier, du magistrat le plus ancien et du substitut au magistrat le plus ancien, parmi les membres élus, et appartenant à même grade que le magistrat accusé. 91 Les Principes de base des Nations Unies sur l'indépendance de la magistrature, paragraphe 20. 92 Les Directives sur le rôle des procureurs, adoptées par le Huitième Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, La Havane, Cuba du 27 août au 7 septembre 1990, paragraphe 21.

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La Commission de Venise du Conseil de l'Europe a toujours soutenu qu'il devrait y avoir la possibilité d'un recours devant un tribunal contre les décisions des instances disciplinaires93. Par conséquent, contre la décision du Conseil Supérieur de la Magistrature, agissant comme autorité disciplinaire, il doit exister un moyen de recours devant un juge indépendant, peut être le juge administratif. En ce qui concerne l'équité de la procédure, la recommandation n° R(94)12, Principe VI (2) et (3), souligne que les procédures disciplinaires doivent être conformes aux exigences du processus de la Convention sur les droits de l'Homme. En application du principe de procès équitable, l'autorité qui effectue les enquêtes et les investigations, et l'autorité qui décide de l'affaire, doivent être différentes. Recommandation n°1 : Introduire un moyen de recours devant un juge indépendant, peut-être le juge administratif, contre la décision du Conseil Supérieur de la Magistrature agissant comme autorité disciplinaire. Recommandation n°2: Distinguer l'autorité chargée d'effectuer les enquêtes et les investigations dans le cadre de la procédure disciplinaire de l'autorité qui décide de l'affaire disciplinaire.

4. Liberté d'association Constat L'article 18 de la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967, telle que modifiée par la loi 85-79 du 11 août 1985, établit qu’il est formellement interdit aux membres de la magistrature de faire grève ou d’engager toute action concertée visant à perturber, entraver ou arrêter le fonctionnement de la juridiction. Recommandations La référence faite par la loi aux actions concertées favorise de fausses interprétations et des abus. Cela a été utilisé dans le passé pour limiter les droits des juges et des procureurs à mettre en place une association ou un syndicat. L'association des magistrats tunisiens a subi les conséquences de cette disposition ambiguë, celle-ci ayant par le passé fait preuve de résistance courageuse face aux persécutions de l'ancien régime. Les normes internationales clament haut et fort la liberté d'association des juges et des procureurs. Les principes de base des Nations Unies sur l'indépendance de la magistrature indiquent que les juges doivent être libres de constituer des associations de juges ou d'autres organisations pour représenter leurs intérêts, promouvoir leur formation professionnelle et protéger leur indépendance judiciaire94. Plus précisément, les principes directeurs de l'ONU sur le rôle des procureurs soulignent que les procureurs comme les autres citoyens ont droit à la liberté d'expression, de croyance, d'association et de réunion. En particulier, ils ont le droit de prendre part à la discussion publique des questions relatives à la loi, l'administration de la justice ainsi que la promotion et la protection des droits de l’homme, d'adhérer à des organisations locales, nationales ou internationales et de participer à leurs réunions sans subir des désavantages professionnels en raison de leurs actes légitimes ou de leur 93

Le paragraphe 43 du rapport sur les normes européennes concernant l'indépendance du système judiciaire : la partie I l'indépendance des juges - adoptée par la Commission de Venise lors de sa 82e session plénière, à Venise, le 12 au 13 mars. 94 Les Principes de base des Nations Unies sur l'indépendance de la magistrature, paragraphe 9.

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appartenance à une organisation légitime.95 Par ailleurs, selon les mêmes principes de l'ONU sur le rôle des procureurs, les procureurs doivent être libres de constituer ou de devenir membres d’associations professionnelles ou d'autres organisations afin de représenter leurs intérêts, promouvoir leur formation professionnelle et protéger leur statut96. L'histoire européenne97 montre que les associations de magistrats sont un aspect fondamental du processus d'établissement et de maintien d'un système judiciaire indépendant et impartial. Compte tenu de son histoire de souffrance et de courage, l'association des magistrats tunisiens devrait être considérée comme l'un des principaux interlocuteurs dans le processus de réforme de la justice tunisienne. Recommandation n°1: Garantir et encourager la liberté d'association des juges et des procureurs. Recommandation n°2: Consulter systématiquement les organisations professionnelles représentatives des magistrats dans le processus de réforme de la justice.

5. L'institut Supérieur de la Magistrature Constat L'Institut Supérieur de la Magistrature a été créé par la loi n° 80-85 du 11 août 1985. C’est un établissement public, sous la tutelle du ministère de la Justice. Il dispose d’un budget autonome. Il est dirigé par un directeur nommé par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Le directeur est secondé par un directeur adjoint et un comité scientifique nommé par lui/elle. Les fonctions de l'Institut Supérieur de la Magistrature sont les suivantes : o effectuer la formation initiale des auditeurs de justice ; o assurer la formation continue des juges et des procureurs ; o assurer la formation des auxiliaires de justice, tels que les notaires, les huissiers, les experts judiciaires et les interprètes ; o assurer la formation des greffiers et du personnel administratif des tribunaux et des parquets ; o fournir une formation aux membres de la magistrature des pays amis dans le cadre de la coopération internationale. La formation initiale des auditeurs de justice dure deux ans : la première année est consacrée à la formation théorique et la seconde à la pratique. Depuis sa création, l'Institut Supérieur de la Magistrature a formé 1337 magistrats appartenant à la juridiction ordinaire ; 14 magistrats appartenant à la juridiction militaire ; 109 juges administratifs, 599 huissiers, 640 notaires. La formation continue est obligatoire pour les jeunes magistrats au cours des six premières années de leur carrière judiciaire ; cette formation est accordée sur demande pour les autres magistrats. L'Institut 95

Les Directives sur le rôle des procureurs, adoptées par le Huitième Congrès des Nations Unies sur la prévention du crime et le traitement des délinquants, La Havane, Cuba du 27 août au 7 septembre 1990, paragraphe 8. 96 idem, paragraphe9. 97 L’Associazione Nazionale dei Magistrati italienne,fondée en 1909, a été dissoute par le gouvernement en 1925, en raison de son opposition au ton autoritaire du parti fasciste.

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Supérieur de la Magistrature effectue une formation continue spécialisée au profit des juges et des procureurs spécialisés. Il assure la formation de plus de 800 magistrats chaque année, et possède une bibliothèque très riche composée de plus de 15.000 titres juridiques, équipée d'outils technologiques modernes. Recommandations L'Institut Supérieur de la Magistrature est une école de magistrature bien établie, conformément au modèle français de l'ENM (École nationale de la magistrature). L’Institut assure régulièrement une formation initiale et continue pour les magistrats, les auxiliaires de justice et le personnel administratif. Il dispose de bons locaux, de salles de classe et de salles pour les simulations de procès, d’une bibliothèque, et d'équipements de haute-technologie. Il procède chaque année à la collecte des besoins en formation de la part des juges et des procureurs et publie un riche programme de formation professionnelle. La seule préoccupation est liée à la tutelle du ministère de la Justice. A cet égard, il convient de souligner que, selon les normes internationales en la matière, la responsabilité d'organiser et de superviser la formation judiciaire dans chaque pays devrait être confiée non pas au ministère de la Justice ou toute autre autorité responsable devant le pouvoir législatif ou exécutif, mais au pouvoir judiciaire lui-même, ou de préférence au Conseil de la magistrature98. La Charte européenne sur le statut des juges (paragraphe 2.3) stipule que toute autorité chargée de superviser la qualité du programme de formation doit être indépendante de l'exécutif et du législatif, et que la moitié au moins de ses membres doivent être des juges. L'ENM française, par exemple, est une institution indépendante du ministère de la Justice. Il est donc souhaitable et salutaire que l'Institut Supérieur de la Magistrature devienne une institution indépendante, supervisée - au moins pour ce qui concerne l’examen d'entrée, l'examen final et la planification des programmes de formation - par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Il est également recommandé qu'un conseil de gestion soit créé qui englobe des représentants de toutes les catégories d’apprenants (magistrats, huissiers, notaires, greffiers). Recommandation n°1 : Améliorer le cadre juridique de l'Institut Supérieur de la Magistrature afin d’en faire une institution indépendante du ministère de la Justice.

5.1. La formation sur les droits de l'Homme Constat L'article 32 de la Constitution de la République Tunisienne prévoit que les traités internationaux, ratifiés par le président de la République et approuvés par la Chambre des Députés soit prioritaires sur les dispositions juridiques nationales. Recommandations La formation sur les droits de l'Homme est un aspect fondamental de la formation initiale et continue des juges et des procureurs européens. La Tunisie adhère au Pacte international relatif aux droits 98

OP n°10 du CCJE, paragraphe 67.

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civils et politiques. Plusieurs dispositions du Pacte reproduisent les règles de la Convention européenne de protection des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après : HCDH)99. A titre d'exemple, les articles 9 et 14 du Pacte ont un contenu quasi-identique à l'article 5 et 6 du HCDH, ce dernier faisant référence au principe de procès équitable. La CEDH est constamment interprétée et appliquée à des cas concrets par la Cour européenne des droits de l'Homme. La jurisprudence de la Cour est facilement disponible en langue française dans la base de données de la Cour sur Internet (http://www.echr.coe.int/ECHR/EN/hudoc). Il est alors recommandé que l'Institut Supérieur de la Magistrature organise la formation initiale et continue sur certaines jurisprudences de la CEDH, éventuellement en coopération avec les académies judiciaires des pays européens. Recommandation n°1 : Charger l'Institut Supérieur de la Magistrature d'organiser une formation initiale et continue sur certaines jurisprudences de la Cour européenne des Droits de l'Homme, éventuellement en coopération avec les académies judiciaires des pays européens.

99

La convention peut être téléchargée sur internet : http://conventions.coe.int/treaty/en/Treaties/Word/005.doc.

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5. COOPERATION INTERNATIONALE EN MATIERE CIVILE ET PENALE Par Christian Johnson, juge Sommaire Eléments de synthèse 1. La coopération internationale : aperçu général 2. La coopération internationale en matière pénale 2.1. Les conventions et les traités 2.2. L'extradition vers et en provenance de la Tunisie 2.3. L’entraide judiciaire 2.4. L’exécution des peines

3. La coopération internationale en matière civile 3.1. Les conventions et les traités 3.2. Les expériences pratiques 4. Les systèmes judiciaire et pénitentiaire 4.1. Le système judiciaire 4.2. Le système pénitentiaire Eléments de synthèse La coopération internationale tant en matière civile que pénale ne peut fonctionner efficacement que sur la base d'un système judiciaire régi par la souveraineté de la loi et où les juges jouissent de l'indépendance judiciaire. Toute réforme introduite dans ces aspects clés du secteur de la justice aura automatiquement un impact positif sur toute forme de coopération internationale. L'extradition, par exemple, n'est possible que vers un État où un procès équitable est garanti et où les conditions carcérales sont conformes aux normes internationales. La Tunisie adhère à plusieurs instruments internationaux, régionaux ou bilatéraux de la coopération internationale. À moyen terme, l'adhésion à certains instruments clés devrait être néanmoins envisagée par le gouvernement tunisien. En ce qui concerne la coopération internationale en matière pénale, le problème ne réside pas dans le fondement juridique, mais dans le nombre très limité d’affaires en jurisprudence et, par conséquent, dans le manque d'expérience pratique. Le même principe s'applique mutatis mutandis à la coopération internationale en matière civile ; davantage d’affaires en jurisprudence, en effet, pourraient garantir une certaine expérience pratique. Le système judiciaire a besoin de réformes immédiates. Un filtre doit être introduit par la loi entre les différentes juridictions. La surcharge de travail au niveau de toutes les instances est considérable et ne permet pas aux juges de travailler comme ils le devraient. De meilleures conditions matérielles sont requises, notamment en ce qui concerne l’équipement informatique. Les conditions de détention sont loin de répondre aux normes internationales. En particulier, le

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problème du surpeuplement a besoin d'être abordé immédiatement et toutes les possibilités doivent être étudiées, y compris la réduction du nombre de prisonniers en détention préventive. 1. La coopération internationale : aperçu général La Tunisie est membre de plusieurs traités bilatéraux et autres conventions multilatérales, aussi bien en droit pénal que civil, y compris les (et faisant droit aux) différentes formes habituelles de coopération. Le système de conclusion des traités ou d'adhésion aux conventions fonctionne suivant le schéma habituel : un projet est négocié au niveau opérationnel, le texte définitif est signé au nom de la Tunisie par le ministre de la Justice ou tout autre ministre concerné. Le gouvernement soumet ensuite le texte au Parlement pour approbation. Le Traité ou la Convention peuvent alors être ratifiés par la Tunisie. Le fondement juridique est l'art. 32 de la Constitution tunisienne (actuellement suspendue). En dehors du domaine plutôt spécifique de la coopération internationale et du fondement juridique y afférant demeure donc la question relative au Parlement, et dans quelle mesure il a (ou avait) un véritable pouvoir politique à cet égard. Du côté tunisien, l'initiative pour la négociation d'un tel traité ou d’une telle convention peut être prise soit par la Direction de la Coopération Internationale ou par les directions générales des affaires pénales et civiles. Ce sont les unités chargées d’une telle action au sein du ministère de la Justice. L'organisation interne est régie par le décret n° 2010-3152 du 1 décembre 2010, portant organisation du ministère de la Justice et des droits de l`Homme. Ce décret remplace le décret n° 92-1330 du 20 juillet 1992, portant organisation du ministère de la Justice. Toutefois, ce nouveau décret n’a pas encore été pleinement mis en application. En Tunisie, il y a actuellement à peu près 15 traités ou conventions en cours de négociation, par exemple avec l'Ukraine sur l'extradition et l'entraide judiciaire en matière pénale. Les problèmes d’ordre pratique mentionnés par les homologues tunisiens comprennent entre autres les frais de déplacement pour les négociations à l'étranger et en particulier les coûts de traduction lorsque les conventions ou les traités doivent être traduits en arabe. Un intérêt particulier a été exprimé en ce qui concerne la participation à des séminaires ou des ateliers sur la coopération internationale. 2. La coopération internationale en matière pénale 2.1. Le fondement juridique (conventions, traités, législation nationale) La Tunisie adhère à plusieurs conventions multilatérales et à des traités bilatéraux qui prévoient les différentes formes de coopération en matière pénale. En ce qui concerne les conventions, la Tunisie a ratifié la Convention des Nations Unies du 20 Décembre 1988 contre le Trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, la Convention des Nations Unies du 15 Novembre 2000 contre la Criminalité transnationale organisée ainsi que les protocoles additionnels connexes et la Convention des Nations Unies du 31 Octobre 2003 contre la Corruption. Des conventions régionales multilatérales et plusieurs traités bilatéraux contribuent à dresser une base très complète pour la coopération internationale en matière pénale. Des traités bilatéraux sont établis avec de nombreux Etats arabes, européens et autres. La Tunisie a, par exemple, conclu des traités d'extradition et d'entraide judiciaire avec la France, la Belgique, le Portugal et l'Allemagne. A moyen terme et sur la base de réformes globales dans le secteur de la justice tunisienne, l'UE et la Tunisie pourraient envisager la conclusion d'un accord sur l'extradition et l'entraide judiciaire dans le

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but d'établir un terrain favorable à la coopération entre tous les États membres et la Tunisie, d'autant que certains traités ne sont pas tout récents. Les homologues tunisiens ont affirmé que la voie diplomatique pour la transmission des demandes était très longue. L’importance de ce problème ne doit pas être surestimée, mais peut-être que les ministères de la Justice pourraient être désignés comme le canal de communication recevable pour de tels accords. Les dispositions nationales sur la coopération internationale font partie du Code de Procédure Pénale (art. 308 ff sur l'extradition, art. 331 ff sur l'entraide judiciaire). Après le 14 Janvier 2011, le gouvernement tunisien a décidé d'adhérer au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI). Néanmoins, l'opinion publique en Tunisie semble plutôt critique d'une telle démarche. Aucune expérience pratique n’a été signalée en matière de coopération avec le TPIY ou le TPIR. Dans l'ensemble, la coopération internationale en matière pénale avec la Tunisie souffre d'un manque d’affaires en jurisprudence et donc d’un manque d'expérience, plutôt que d'un manque d'instruments nécessaires. 2.2. L'extradition L'extradition de la Tunisie à un autre Etat est régie par les articles 305 à 330 du Code Tunisien de Procédure Pénale. A l’instar de nombreux autres Etats, la Tunisie n'extrade pas ses propres citoyens, mais les poursuit pour des infractions commises à l'étranger ("aut dare aut judicare"). Le système d'extradition tel que prévu dans la loi suit fondamentalement le système continental européen. Les dispositions des conventions ou traités l’emportent sur les dispositions nationales. La condition impérative majeure est la double incrimination ; la demande d'extradition doit être envoyée par la voie diplomatique ; le procureur général est chargé de l'affaire ; le procureur de la République peut quant à lui procéder à l'arrestation provisoire de la personne recherchée ; la décision de la recevabilité de l'extradition sera prise uniquement par la Cour d’Appel de Tunis ; la personne recherchée peut se prévaloir d'un avocat de la défense. Si la chambre d'accusation prend une décision défavorable à l'extradition, celle-ci ne peut être accordée. Si la chambre d'accusation prend une décision en faveur de l'extradition, la personne recherchée peut être extradée. L'ordre d'accorder l'extradition est prise par le gouvernement tunisien, qui (en plus de toute obligation internationale applicable) jouit d'une discrétion totale. La personne extradée par la Tunisie bénéficiera d'une protection en vertu du principe de spécialité. Il n'existe aucune disposition particulière sur les demandes d'extradition présentées par la Tunisie à d'autres pays. Ceci est en accord avec la situation juridique dans de nombreux autres Etats. S'il lui en est fait la demande, la Tunisie peut réagir aux notices rouges d'Interpol en les enregistrant dans le système d'information de la police nationale. L'arrestation provisoire dans de tels cas est possible. Le directeur de la Direction générale des affaires pénales a signalé que par le passé, plusieurs demandes tunisiennes d'extradition avait été rejetées par d’autres États pour des raisons diverses : a) la personne recherchée a obtenu l'asile politique dans l'Etat d'accueil et b) l'absence de la double incrimination, qui prime par-dessus tout. La peine de mort représente un problème particulièrement important. Dans ces cas-là, le gouvernement tunisien peut seulement fournir l'assurance que la peine de mort ne sera pas exécutée.

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Le gouvernement ne peut fournir l'assurance que la peine de mort ne sera pas imposée étant donné que cela est déterminé uniquement par la loi et la décision du tribunal. Il est difficile de savoir si des demandes tunisiennes avaient été rejetées sur la base de conditions carcérales non conformes aux normes internationales. Les officiels ont insisté pour que le gouvernement tunisien soit en mesure de fournir des assurances dans de tels cas. Le système carcéral, cependant, ne prévoit pas de traitement spécial pour les extradés. L'abolition de la peine de mort (voir 4.1) ainsi que l'amélioration des conditions de détention supprimeraient ces obstacles à l'extradition (ceci souligne l’impact positif que les réformes dans les secteurs clés auront sur la coopération internationale et sur la volonté d'autres États de coopérer avec la Tunisie). Aucune statistique sur le nombre de cas de demandes d'extradition vers et en provenance de la Tunisie n’a été fournie. La France, l’Italie et l'ex-Yougoslavie ont été mentionnées comme des exemples pratiques de pays qui ont envoyé des demandes d'extradition. Le nombre de cas semble être très limité. Les juges interrogés à la Cour d’Appel de Tunis (qui est la seule cour compétente en matière d'extradition en Tunisie, voir 2.2) ont indiqué qu'ils ne se souvenaient que de 1 ou 2 cas dans les dernières années. Le directeur de la Direction générale des affaires pénales a déclaré que probablement, le manque d'expérience dans ce domaine explique le manque de recours à la coopération internationale de la part des praticiens. Des séminaires dans ce domaine sont vivement souhaités. Un séminaire pour les magistrats tunisiens en France et un séminaire organisé par Eurojust à La Haye ont déjà prouvé leur grande utilité. 2.3. L’entraide judiciaire Outre les conventions ou traités applicables, la législation nationale prévoit les principales formes d'entraide judiciaire. En général, l’article 331 du Code de Procédure Pénale permet l'exécution des commissions rogatoires émanant d'autres Etats. Toute exécution est effectuée conformément à la loi tunisienne (ce qui est, en principe, la règle appliquée dans le monde entier). Les articles 332 à 335 prévoient les principaux types de demandes : la signification de documents, la transmission de preuves et la convocation de témoins. L’approbation du ministre est requise pour la présence de responsables étrangers lors de la collecte des preuves. La signification des documents est exécutée par la police. La vidéoconférence n’est légalement (et techniquement) pas possible/admissible. Outre la lenteur extrême des procédures, aucune difficulté particulière n'a été signalée par le Ministère de la Justice dans le domaine d’entraide judiciaire. Cependant aucune statistiques sur le nombre des demandes étrangères/commissions rogatoires internationales (exécutées ou rejetées) ou des demandes formulées par les autorités tunisiennes à d'autres États n'ont été fournies. Dans l'ensemble, toutes les statistiques possibles semblent être plutôt faibles. Il a été mentionné que, par conséquent, les juges n’étaient pas en mesure de développer une expertise dans ce domaine. Le chef du Service d’entraide judiciaire a signalé les efforts consentis par les autorités tunisiennes pour retrouver et rapatrier les actifs de la famille Ben Ali dans le monde entier. Un comité interministériel (le Comité pour le recouvrement des avoirs mal-acquis à l’étranger) a été créé par les autorités tunisiennes pour appuyer à l’étranger l’action en justice visant la récupération des ces avoirs. Le comité est présidé par le Gouverneur de la Banque Centrale. Un magistrat de liaison a été nommé au MJ afin de suivre les activités de ce Comité. La Banque mondiale, la facilité africaine d'entraide juridique (ALSF) ainsi que les Etats-Unis, le Canada et la Suisse ont envoyé des experts en Tunisie

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pour aider le pays en ce qui concerne les demandes. En effet la qualité des Commission rogatoires internationales semble trop faible pour pouvoir être exécutées à l'étranger. Les actifs ont été gelés, mais pas encore rapatriés. La Convention de l'ONU du 31 Octobre 2003 contre la Corruption (voir 2.1), ratifiée par la Tunisie en 2008, permet le rapatriement des avoirs en vertu de son art. 51, et la Tunisie a désigné le ministère de la Justice comme autorité centrale compétente en vertu de son art. 46 (seulement) en mai 2011. Cependant la législation pour la mise en œuvre de la Convention n'a pas encore été adoptée. 2.4. L’exécution des peines En vertu de son droit national, la Tunisie ne peut pas exécuter des condamnations pénales étrangères. La Tunisie pourrait être encouragée à envisager l'adhésion à la Convention du Conseil de l'Europe sur le transfèrement des personnes condamnées du 21 Mars 1983. En vertu de l'article 19 de cette Convention, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, après consultation des Etats contractants, peut inviter un Etat non membre du Conseil à adhérer à cette convention. Des pays comme le Canada, les États-Unis, le Japon et le Venezuela ont suivi cette voie. L’adhésion à la Convention permettrait aux ressortissants étrangers condamnés en Tunisie de purger leur peine dans leur pays d’origine ; les ressortissants tunisiens condamnés dans d'autres pays pourraient également purger leur peine en Tunisie. 3. La coopération internationale en matière civile 3.1. Les conventions et les traités La Tunisie adhère à un nombre limité de conventions multilatérales telles que la Convention des Nations Unies du 20 Juin 1956 sur le recouvrement à l’étranger des pensions. La Tunisie a mis en place plusieurs traités sur la coopération internationale en matière civile avec 15 pays de l'UE, comme, par exemple, la France, la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne et l’Autriche. Elle devrait envisager de devenir un membre de la Conférence de La Haye sur le droit international privé étant donné que c’est le forum le plus important de coopération mondiale dans toutes les affaires civiles. Sur cette base, le pays pourrait envisager d'adhérer à deux conventions clés dans ce domaine: la Convention des Nations Unies du 15 Novembre 1965 relative à la signification à l'étranger d’actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, et la Convention des Nations Unies du 18 Mars 1970 sur l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile ou commerciale. 3.2. Les expériences pratiques La pratique en matière de coopération internationale en affaires civiles - qui en général ne sont pas aussi politiquement chargées que les affaires criminelles - semble assez bien fonctionner. Un problème explicitement mentionné concerne la signification des documents lorsque l'adresse indiquée dans la demande n'est pas correcte. Le problème relatif à ce type de demande est un problème mondial. Le directeur de la Direction générale des affaires civiles a décrit les efforts considérables qu’elle déploie en coopération avec la police afin de repérer la personne concernée par le document devant être signifié.

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Sur la base de traités bilatéraux, des commissions connues sous le nom de "Commissions mixtes" ont été établies avec des pays comme la France et la Belgique, notamment pour discuter et résoudre les cas d'enlèvement d'enfants. En vertu de la loi tunisienne, le bien-être et l'intérêt de l'enfant sont les principes fondamentaux qui régissent ces conflits et qui en assurent une évaluation objective. Il a été expressément mentionné que dans ces cas, les considérations religieuses n’ont aucun rôle à jouer. 4. Les systèmes judiciaire et pénitentiaire 4.1. Le système judiciaire Le système judiciaire tunisien en matière civile et pénale se compose des justices cantonales, des tribunaux de première instance, de la Cour d’Appel et de la Cour de Cassation. La mission a visité le Tribunal de première instance de Tunis et la Cour d’Appel de Tunis. Elle a eu l'occasion de parler à un certain nombre de juges et aussi au personnel judiciaire. Tous les homologues ont été très ouverts et ont décrit librement leur travail et leurs conditions de travail. Beaucoup se sont plaints des mauvaises conditions matérielles, en particulier du manque d'équipements informatiques modernes ; le besoin d’un système électronique pour la gestion des fichiers a été exprimé (comme ailleurs dans le cadre de la mission). La plupart des bureaux étaient surpeuplés. Le président du tribunal de première instance de Tunis a expliqué que celui-ci compte 146 juges siégeant dans 45 chambres et que le tribunal a besoin de davantage de juges. En ce qui concerne le parquet, il y a 20 procureurs pour tout Tunis, une capitale dont la population est estimée à 3 millions. Un juge ordinaire est appelé à statuer dans 3000 affaires civiles par an. La mission a assisté à un certain nombre d'audiences et a eu l'impression générale que les décisions étaient prononcées très rapidement, à seulement quelques minutes les unes des autres, et qu’elles étaient plus ou moins traitées de la même manière. Il est clair qu'une telle charge de travail ne permet en aucun cas d’instruire correctement les actions au civil et de statuer en prenant en considération tous les aspects et le bien-fondé d’une affaire, conformément aux normes européennes (par comparaison, le nombre équivalent d’affaires civiles par juge et par an en Allemagne dans des circonstances normales varie entre 500 et 800). Par ailleurs, le président du tribunal de première instance de Tunis a déclaré que dans les affaires civiles, 90% des décisions prises au niveau de la première instance sont portées devant la Cour d’Appel. Un nombre identique est enregistré entre la Cour d’Appel et la Cour de Cassation. Il n’y a pas de frais particuliers engagés par les parties quand elles ont recours à ces trois instances. En d'autres termes : presque toutes les affaires sont portées devant les trois instances et exigent le même type de personnel et d'équipement au niveau des trois instances. En vertu de la loi tunisienne, il n'existe aucun filtre entre ces trois juridictions sur la base de la nature des procès, par exemple sur la valeur du litige. Les collègues tunisiens ont expliqué que l'accès aux trois instances est considéré comme un "droit du peuple". Cependant, étant donné l’absence de toute disposition constitutionnelle sur cette question, le législateur devrait dès que possible introduire un système de filtrage. Cela permettrait d'atténuer la charge énorme de travail, au moins au niveau supérieur, et permettrait en même temps, en particulier à la Cour de Cassation, de se concentrer sur un nombre limité d’affaires, notamment sur les questions juridiques difficiles qui nécessitent une décision en faveur d'une application uniforme de la loi à l'échelle de tout le pays. Les affaires mineures devraient éventuellement être traitées seulement au niveau de la première instance.

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4.2. Le système pénitentiaire Dans le cadre de la mission, les experts ont eu l'occasion de visiter la Direction générale des prisons et de la rééducation de Tunis, qui est l'autorité centrale du système pénitentiaire dans le pays. Celle-ci est responsable de l'administration des 28 prisons du pays. Elle comprend un effectif de 5.400 personnes, dont 4.000 en uniforme. Aucune équipe d'intervention spéciale n’est prévue pour faire face aux situations critiques - un domaine où l'expertise et la formation sont particulièrement nécessaires. En général, le directeur qui est en poste depuis un an et demi décrit les infrastructures comme étant "très modestes". Historiquement, de nombreuses prisons dans le pays sont d'anciennes casernes ou des fermes agricoles reconverties, moyennant quelques transformations. La Tunisie comptait 31.000 prisonniers avant la révolution. Aux alentours du 14 janvier 2011, environ 10.000 prisonniers ont réussi à s'échapper, mais environ 7.300 d’entre eux ont plus tard réintégré les prisons volontairement. Ces évasions et ces mutineries ont causé des destructions et des dommages matériels considérables à une grande majorité des 28 bâtiments. Un certain nombre de personnes ont été tuées ou brûlées. En outre, les émeutes ont provoqué une peur considérable au niveau du personnel pénitentiaire. Les ressources pour les travaux de réparation sont très limitées. Le directeur a admis que le problème primordial dans les prisons tunisiennes est celui du surpeuplement. Seulement 10% (environ) des détenus ont la possibilité de travailler en prison. Le traitement médical est dispensé par un médecin au moins, habituellement un médecin généraliste, dans chaque prison. Les cas graves sont transportés aux hôpitaux publics pour traitement. Les agents diplomatiques ou consulaires ont accès à "leurs" prisonniers. Les détenus homosexuels sont gardés en tant que groupe. Le directeur a signalé que dans le passé, il y a eu un nombre limité de procès contre le personnel pénitentiaire pour mauvais traitements. Il n'y a pas de système général de classification des détenus condamnés selon la durée de leur peine ou le risque qu'ils peuvent présenter. Environ 50% des détenus sont en détention préventive. En général, le directeur a fait remarquer que, depuis la révolution, la transparence est devenue le principe fondamental à l'égard du système carcéral ("on ne cache plus rien") – ce que l’on peut confirmer : nous avons obtenu des réponses à toutes les questions que nous avons posées. Les visites les plus récentes aux prisons ont confirmé cette nouvelle approche. Cette situation est généralement conforme aux conclusions générales du Comité International de la Croix Rouge. Entre janvier et avril, ses experts ont, sur la base d'un protocole d'accord avec le gouvernement, visité les 28 prisons de la Tunisie et ont été en mesure de fournir des équipements médicaux à 5 d'entre elles. Ils ont rapporté que sous le régime de Ben Ali, les détenus n’avaient strictement aucun droit et qu'il s'agissait d'un système de domination et de sujétion. Par conséquent, la relation entre les gardiens et les détenus a besoin aujourd’hui d’être substantiellement améliorée. Il y a un moratoire en ce qui concerne la peine de mort ; aucune exécution n’a été signalée depuis 1992. Les prisonniers condamnés à mort sont en fait des prisonniers qui purgent une peine à perpétuité. Dans les prisons, ils sont gardés en tant que groupe complètement isolé et séparé des autres détenus. Un projet est en cours visant à les intégrer pleinement dans la communauté carcérale. Dans le cadre de la réforme constitutionnelle en cours, l'abolition définitive de la peine de mort est en cours de discussion. La Tunisie devrait être fortement encouragée à aller dans cette direction. L'Ecole nationale des prisons et de la rééducation est responsable de la formation de tout le personnel pénitentiaire dans le pays. La présentation faite à la mission a couvert tous les aspects du recrutement et de la formation. Les droits de l’Homme semblent être une partie intégrante de la formation. Le

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personnel a exprimé un vif intérêt pour un échange avec des centres de formation comparables en Europe. Étant donné que l’Ecole nationale des prisons et de la rééducation recrute et forme l'ensemble du personnel pénitentiaire pour toute la Tunisie, celle-ci serait le point focal idéal pour un tel échange. Par ailleurs, le personnel s'est plaint du manque d'équipement. Dans le cadre de son "expérience sur le terrain", la mission a visité une prison pour hommes (Mornag) et un Centre de rééducation pour les mineurs âgés de 13 à 18 ans, les deux étant à l'extérieur de Tunis. Les conditions dans ces deux endroits étaient très différentes : la prison de Mornag est une ancienne ferme convertie en prison, et elle a subi des dégâts considérables lors des perturbations qui ont eu lieu après le 14 janvier. Les cellules étaient considérablement surpeuplées, quelque soit les normes appliquées dans cette évaluation. Seuls 163 prisonniers étaient en train de purger des peines de durée moyenne (4 - 7 ans, sans aucune possibilité de travailler), alors que les 728 autres étaient en détention préventive. Les visites des parents proches été permises, et les soins médicaux de base leur étaient également fournis. Les relations entre les détenus et le personnel pénitentiaire semblent avoir déjà progressé depuis la révolution. Le surpeuplement des prisons - reconnu par tous les responsables tunisiens - nécessite une action immédiate. Les établissements pénitentiaires doivent être considérablement améliorés, et en même temps, tous les moyens possibles doivent être envisagés dans le but de réduire largement le nombre de personnes en détention préventive. Recommendations : 1. La voie diplomatique pour la transmission des demandes étant longue, la Tunisie devrait améliorer la formulation de ses commissions rogatoires et envisager la conclusion d'un accord sur l'extradition et l'entraide judiciaire avec l'UE, dans le but d'établir un palier d’entente sur la coopération entre tous les États membres et la Tunisie, d'autant que certains traités ne sont pas récents. 2. Même s'il existe un moratoire sur la peine de mort depuis 1992, l'abolition de la peine de mort ainsi que l'amélioration des conditions de détention supprimeraient aussi des obstacles à l'extradition. 3. Si la Tunisie a ratifié la Convention des Nations Unies contre la Corruption en 2008, il reste à adopter la législation nécessaire à sa mise en œuvre. 4. En ce qui concerne l'exécution des peines, la Tunisie pourrait envisager son adhésion à la Convention du Conseil de l'Europe sur le transfèrement des personnes condamnées du 21 mars 1983. L’adhésion à la Convention permettrait aux ressortissants étrangers condamnés en Tunisie de purger leur peine dans leur pays d’origine ; pareillement, les ressortissants tunisiens condamnés dans d'autres pays pourraient purger leur peine en Tunisie. 5. La Tunisie devrait devenir membre de la Conférence de La Haye sur le droit international privé pour avoir accès à un forum couvrant toutes les affaires civiles. Une adhésion à deux autres conventions devrait être envisagée : la Convention des Nations Unies du 15 Novembre 1965 relative à la Signification à l'étranger d’actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale, et la Convention des Nations Unies du 18 Mars 1970 sur l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile matière ou commerciale.

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6. ACCES A LA JUSTICE ET AU DROIT – PARTICIPATION DE LA SOCIETE CIVILE Par Pierre Weiss, Professeur Sommaire A. Un bilan de la coopération entre la Tunisie et l’Union Européenne en matière de promotion de l’accès à la justice/accès au droit B. De nouvelles perspectives de coopération dans le domaine de l’assistance juridique et judiciaire impliquant les auxiliaires de la justice et les ANE C. Recommandations à court terme relatives à la promotion par l’UE de l’accès au droit et à la justice en Tunisie 1-La Révolution tunisienne de 2011 constitue une opportunité de renouer le lien, brisé durant le régime de Ben Ali, avec la promotion des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qui avaient marqué les premières années de la Tunisie indépendante. De cette période, l’illustration la plus frappante a été l’adoption en 1956, au lendemain de l’Indépendance, d’un Code du statut personnel révisé par la suite à diverses reprises (il a été ainsi amendé en mai 2007 pour fixer l’âge minimum du mariage à 18 ans). Ce texte , fondé sur l’affirmation de la dignité de la femme et de son égalité de droits avec l’homme, a interdit la répudiation et la polygamie tout en légalisant , entre autres dispositions, le divorce par consentement mutuel. Bien qu’au regard du droit successoral, cette loi ait maintenu une inégalité de traitement vis-à-vis de la femme, le Code du statut personnel était et demeure un texte juridique exceptionnel et jamais égalé dans sa portée au sein du monde arabomusulman. L’auteur du présent rapport, au sein de l’équipe d’experts de la mission d’évaluation/diagnostic dans le domaine de la justice en Tunisie (2ème phase) avait pour tâche de traiter le thème de l’accès à la justice. Au cours de la mission, plusieurs rencontres organisées par la DUE concernaient les auxiliaires de justice (sous-direction des auxiliaires de justice au ministère de la Justice, Institut Supérieur de la Profession d’Avocat (ISPA), Ordre National des Huissiers, Ordre des Avocats) ou des instances compétentes en matière de droits de l’Homme (Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales) et ont été effectuées avec Me David FOREST, qui traitera des auxiliaires de justice (en se concentrant sur les avocats). Les autres rencontres (hauts fonctionnaires du ministère de la Justice, Coordinateur des droits de l’Homme au sein du ministère de la Justice, Commission d’établissement des faits sur les affaires de corruption et de malversations, visite de juridictions dans le ressort de Grombalia –Nabeul ainsi que du Tribunal Militaire et d’un poste de police à Tunis, rencontres avec quelques représentants d’organisations de la Société Civile (OSC) 100ont été effectuées avec l’ensemble des experts européens. 2- L’accès à la justice constitue un point d’entrée tout à fait adéquat pour le renforcement des droits de la personne humaine dans la Tunisie nouvelle, à condition que les activités entreprises s’inscrivent dans le cadre de la problématique contemporaine de l’accès au droit, qu’a très bien décrite Yvon 100

Cette réunion tenue le 30 juin, a permis de rencontrer des responsables du Réseau National Anti-Corruption (NAC), de la Fondation Hanns Seidel-Tunisie ainsi que du Conseil National des Libertés (CNL).

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DESDEVISES : « La possibilité pour chacun de faire reconnaître et respecter ses droits, au besoin en saisissant les juridictions appropriées, apparaît aujourd’hui comme une composante essentielle de tout Etat de droit. Les notions d’accès au droit et d’accès à la justice expriment désormais le plus souvent un tel impératif…Pendant longtemps, les dispositifs adoptés pour assurer aux citoyens un égal accès à la protection du droit ont consisté à organiser l’assistance qu’une société civilisée doit aux plus démunis d’entre eux lorsqu’ils doivent entreprendre ou faire face à un procès. L’octroi de « secours » nécessaires aux plaideurs nécessiteux n’est plus de nos jours ce qui guide « le droit au droit » ni même « le droit au juge ».L’un comme l’autre sont davantage fondés, d’une part, sur une amélioration de la compréhension par les sujets de droit (s) des mécanismes juridiques et judiciaires les concernant et d’autre part, sur le souci d’assurer au moyen de mesures concrètes et réellement mises en œuvre l’effectivité des garanties apportées par les processus et les procédures du droit »101(souligné par nous). Au-delà donc de la traditionnelle « assistance juridictionnelle » (dénommée en Tunisie « aide judiciaire ») l’accès au droit et/ou à la justice recouvre des activités de sensibilisation ou d’assistance juridique de la population, en particulier de certaines catégories d’entre elles (groupes vulnérables, détenus, etc..) ainsi qu’un renforcement des capacités des acteurs de la justice, et plus particulièrement des magistrats, greffiers, avocats et huissiers. 3- Dans le cadre du présent rapport, on replacera la promotion de l’accès à la justice en Tunisie par l’Union Européenne dans une perspective historique, en montrant que la coopération en la matière, relativement limitée dans un passé récent, comme le montre un rapide rappel du contexte dans lequel a été formulé et mis en œuvre au milieu des années 2000 le projet « Appui à la modernisation de la justice en Tunisie » (A) devrait trouver, avec le soutien de l’UE, un nouvel élan à la faveur du processus de démocratisation actuel, lequel a enfin permis de faire émerger de véritables organisations de la société civile (OSC), qui auront un rôle fondamental à jouer pour conférer un caractère pratique et opérationnel à la notion d’accès à la justice. Au cours des dernières décennies, le pouvoir a systématiquement contrecarré la consolidation de la société civile en Tunisie, en suscitant le cas échéant des ONG factices, qu’il contrôlait en sous-main. De fait la société civile, dans toutes ses composantes (OSC, associations professionnelles, syndicats, etc..) a été la grande absente de la mise en œuvre du projet « Appui à la modernisation de la justice ». Le présent rapport, de façon modeste et préliminaire, suggère quelques pistes et formule des recommandations (C) en vue de pleinement impliquer les acteurs non étatiques (ANE) dans l’indispensable réforme de la justice. 1. Un bilan de la coopération entre la Tunisie et l’Union Européenne en matière de promotion de l’accès à la justice/accès au droit 4-La question de l’accès à la justice était déjà très présente en mars 2004 dans les constats et propositions formulées par la mission d’experts de l’Union Européenne en vue de la préparation du projet « Appui à la modernisation de la justice en Tunisie »102. La mission d’experts avait mis l’accent sur trois points : la mise en place d’un système d‘information juridique et judiciaire ; la rénovation de l’aide judiciaire et enfin « la transparence et perception du système judiciaire ». La consolidation d’un système d’information juridique et judiciaire devait bénéficier tant aux 101

Notice « Accès au droit/Accès à la justice » dans le « Dictionnaire de la Justice » (sous la direction de Loïc CADIET), Paris, PUF, 2004, p.1-2. 102 La mission exploratoire d’experts des Etats membres en Tunisie était composée de la manière suivante : Mme Kora Kristin Dammann (Allemagne, Ministère de la Justice) ; Jean-Marie Piret (Belgique, Service Public Fédéral de la Justice) ; Angel-José Llorente Fernandez de la Reguera (Espagne, Conseil General du Pouvoir Judiciaire) ; Mme Maud Vignau (France, Ministère de la Justice) ; Mme Chrystel Deray (France, Barreau de Paris) ; Panagiotis Giannakopoulos (Grèce, Ministère de la Justice) ; Henk Drewes (Pays Bas , Ministère des Affaires étrangères).Elle s’était rendue en Tunisie du 22 au 31 mars.

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professionnels de la justice (notamment les magistrats et les avocats) qu’aux justiciables. Si la mission d’experts de l’UE a reconnu le rôle important joué par le Centre d’Etudes juridiques et judiciaires (CEJJ) dans l’utilisation des nouvelles technologies pour la diffusion des textes législatifs et réglementaires ainsi que de la jurisprudence du droit positif tunisien , elle avait également mis l’accent sur la nécessité de « l’utilisation des moyens internet permettant notamment l’accès aux jurisprudences européennes et internationales », un accès considéré comme « essentiel dans la mesure où la Tunisie a ratifié la plupart des grandes conventions internationales et qu’elle est amenée à développer une zone de libre échange avec l’UE d’ici quelques années »103 Les mêmes experts avaient pointé les lacunes de l’aide judiciaire telle qu’organisée par la loi n.2002-52 du 3 juin 2002 en soulignant que l’exclusion en matière pénale du bénéfice de l’aide judiciaire des récidivistes et des prévenus punissables de moins de trois ans d’emprisonnement (art. 1 de la loi) constituait « une exception manifestement incompatible avec les conventions internationales garantissant à tout accusé ou prévenu le droit d’être assisté par un avocat, même s’il n’en a pas les moyens »104 (Rapport, p.10). Les experts mettaient également en cause la faiblesse de la rémunération des avocats désignés au titre de l’aide judiciaire ainsi que « la subjectivité des critères actuellement en cours » pour bénéficier de l’aide judiciaire. Enfin, la mission d’experts européens avait suggéré une plus grande « transparence » du fonctionnement du système judiciaire, en vue notamment d’améliorer « la diffusion très restreinte des décisions de justice »105, un facteur qui effectivement a contribué à renforcer la perception populaire du caractère ésotérique de la justice. Différentes recommandations avaient été faites sur la base de ces constats, qui, à sept ans de distance, sont toujours actuels, qu’il s’agisse de l’aide judiciaire ou de mettre l’informatisation « au service du justiciable » et des acteurs de la justice. 5- En fait la conception de l’accès à la justice préconisée par les experts européens en 2004 était de tirer le meilleur parti du processus de modernisation technologique de la justice souhaité par le partenaire tunisien pour multiplier les échanges de connaissances et d’expériences ainsi que les instances de dialogue entre les professionnels de la justice de la Tunisie et leurs homologues des pays de l’Union Européenne. Du côté des autorités tunisiennes, en revanche, la modernisation de la justice était peu ou prou analysée comme un transfert technologique en vue de doter la Tunisie d’un système d’information(SI) juridique et judiciaire performant, l’objectif premier étant d’accélérer le traitement du contentieux par les juridictions. 6-Le rappel des propositions d’activités formulées en 2004 par la mission d’experts européens confirme cette différence d’approche avec les autorités tunisiennes de l’époque. La mission avait ainsi suggéré la création d’une base de données et de documentation à la Cour de Cassation dont elle décrivait la conception de la manière suivante : « Cette base devra contenir la jurisprudence nationale et internationale, à savoir la jurisprudence tunisienne et des tribunaux internationaux à compter de l’année 2000 ; l’insertion des revues nationales et internationales à partir de l’an 2000. ». Le rapport de la mission précisait que « l’accès à cette base de données devra être ouvert à tout le monde : avocats, magistrats, notaires, huissiers, professeurs, étudiants »106. D’autres propositions visant à « acclimater » les professionnels de la justice tunisiens à la culture juridique et judiciaire de leurs homologues des Etats de l’UE, dans la perspective d’une « appropriation » de ses principes fondamentaux avaient été faites par les experts européens en 2004, notamment dans le domaine de la formation : signature de conventions de jumelage ou de partenariat de l’Institut Supérieur de la Magistrature (ISM) avec des institutions européennes similaires ; jumelage du Barreau de Tunisie avec des barreaux de l’UE ; mise en place de partenariats similaires avec les autres professions 103

: Rapport sur le projet « Appui à la modernisation de la Justice en Tunisie » p.9 : idem, p.10 105 : ibidem, p.10 106 : ibidem, p.11 104

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judiciaires, en particulier les greffiers et les huissiers de justice, etc.. Par ailleurs avait été recommandé le renforcement des échanges d’expérience entre acteurs de la justice via des rencontres, des missions d’étude ou des stages dans les tribunaux européens. De manière encore plus significative les experts européens avaient suggéré de nouer de véritables partenariats entre les associations représentatives des professions judiciaires, en particulier calles des magistrats et des avocats. Des jumelages bilatéraux avec des associations de procureurs et de juges des pays européens avaient ainsi été suggérés, de telles « mises en réseaux » des professionnels de la justice constituant des cadres propices à l’appropriation du fonctionnement de la justice dans un Etat de droit.. 7- Outre les thèmes de la formation des magistrats et des avocats, de l’accès à la justice et au droit ainsi que de l’administration de la justice, les experts européens avaient pour tâche de faire des recommandations dans un dernier domaine, celui de l’administration pénitentiaire. Toutefois les autorités tunisiennes ayant refusé à la mission l’accès aux prisons107, celle-ci s’en était tenue à des considérations assez générales en constatant qu’il était difficile de proposer des aides concrètes en raison « du manque d’intérêt apparent de la partie tunisienne », de « l’occultation de l’information » et « de l’impossibilité de connaître sur le terrain la réalité de l’administration pénitentiaire pour pouvoir définir et identifier les domaines d’action »108. Les experts européens avaient néanmoins suggéré un appui au ministère de la Justice en vue d’élaborer un texte sur l’administration pénitentiaire générale destiné à clarifier le statut des détenus, en vue d’améliorer « la situation actuelle apparemment empreinte d’une certaine insécurité juridique »109. De fait, les dispositions de la loi n.2008-58 du 4 août 2008 portant modification de la loi n.2001-52 du 14 mai 2001 relative à l’organisation des prisons ont répondu à certaines des préoccupations des experts européens, sauf notamment en matière de réinsertion sociale des détenus. Une seconde proposition concernait l’organisation d’un séminaire entre experts européens et tunisiens sur le traitement des mineurs en conflit avec la loi. Ce séminaire aurait exploré de « nouveaux systèmes de prise en charge des mineurs délinquants tendant à favoriser leur rééducation, voire leur réinsertion, et à réfléchir à des méthodes alternatives ». 8- Le 23 décembre 2005 fut signée la Convention de financement du Programme d’appui à la Modernisation du système judiciaire (PAMSJ) en Tunisie, doté d’un budget de 22 millions d’euros. Les orientations proposées par les experts européens en mars 2004 figuraient dans les DTA de la Convention, à l’exception de la thématique de l’administration pénitentiaire, dont la partie tunisienne n’avait pas voulue. Le PAMSJ était donc structurée autour des trois composantes : formation des magistrats, avocats et auxiliaires de justice ; accès à la justice et au droit ; administration de la justice. A l’issue de la période d’exécution du PAMSJ (mi-2010) l’évaluation du projet, que l’auteur du présent rapport a réalisée en collaboration avec Patrick SAUVAGE, constatait que les activités d’informatisation du système judiciaire, qui concernaient les trois composantes du programme avaient mobilisé environ 70% du budget effectif du PAMSJ (hors frais de fonctionnement de l’Unité de Gestion du Programme). En revanche les activités de formation des professionnels de la justice n’avaient mobilisé qu’entre 25 à 30% des crédits du programme. Les évaluateurs en avaient tiré la conclusion que « les activités d’informatisation de la justice ont littéralement « phagocyté » les crédits prévus à d’autres fins par la Convention de Financement en vue notamment de financer les échanges d’expériences entre professionnels de la justice européens et tunisiens »110 , un investissement démesuré au regard de l’échec de la mise en place du système d’information (SI)

107

: ibidem, p.14 : ibidem, p.15-16 109 Ibidem, p.14 110 Evaluation à mi-parcours du projet d’appui à la modernisation du système judiciaire, avril 2010, p.5 108

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judiciaire qui devait constituer aux yeux de la partie tunisienne la « pierre angulaire » du PAMSJ 111. Par ailleurs, les autorités tunisiennes parvinrent à « esquiver » la mise en œuvre des activités les plus pertinentes proposées par les experts européens en mars 2004 et intégrées à la Convention de Financement, en particulier les partenariats entre l’ISM et l’ISPA (chargé de la formation des avocats) et des institutions homologues de pays européens, l’organisation de séminaires en Tunisie et/ou en Europe avec des professionnels européens sur « les problématiques de l’amélioration de l’accès à la justice et au droit ». D’autres activités de la composante « Accès à la justice et au droit » ne furent jamais mises en œuvre, en particulier les abonnements à des sites juridiques européens dédiés à la jurisprudence internationale ainsi que les colloques entre responsables d’associations professionnelles tunisienne et européennes. On notera que les experts européens avaient proposé l’organisation de deux conférences entre juges et procureurs sur deux thèmes : « La coopération internationale des associations de magistrats » et « le rôle des associations professionnelles dans le fonctionnement du système judiciaire », des sujets encore plus d’actualité en 2011 au regard des divisions syndicales que connaissent les magistrats tunisiens et les conflits qui opposent les organes représentatifs des différentes professions judiciaire. 9-En définitive, la composante « accès à la justice et au droit » du PAMSJ s’est limité au renforcement des moyens des principales institutions judiciaires : mise en place ou modernisation de sites Web, modernisation, grâce à l’apport des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) ; modernisation de la gestion des bibliothèques juridiques de la Tunisie (au sein du ministère de la Justice et dans les juridictions les plus élevées) et mise en réseau de celles-ci ; dotation de plusieurs milliers d’ouvrages juridiques en langue arabe et française, au bénéfice des bibliothèques et centre de documentation juridiques (Ministère et juridictions), des instituts de formation (ISM, ISPA) et de recherche (Centre d’études juridiques et judiciaires, CEJJ) ainsi que des associations professionnelles ; séminaires de formation à l’intention des professionnels du secteur sur l’utilisation des outils informatiques . Une seule activité, non prévue initialement par la Convention de Financement, concernait directement les justiciables en s’inscrivant dans le cadre du service public de la justice. Il s’agit des « guichets d’information et d’orientation » destinés à accueillir les justiciables (ainsi que leurs conseils) et à les renseigner sur l’évolution des procédures les concernant. Toutefois, il semble que cette dernière expérience ne soit pas vraiment concluante du point de vue technique 10- Destiné à traduire dans le secteur de la justice les orientations de l’Accord d’association et du Plan d’action Tunisie-UE, le PAMSJ n’a pas atteint véritablement les objectifs qui lui avaient été assignés par l’Union Européenne et (en principe) par la Tunisie, en particulier ceux de « poursuivre et soutenir la réforme du système judiciaire, notamment en matière d’accès à la justice et au droit… ». Le grand absent (ou plutôt exclu) du PAMSJ a été la société civile, à l’exception du Barreau mais la question de l’implication de celui-ci dans la gestion et le fonctionnement de l’ISPA a provoqué une crise entre l’UE et les autorités tunisiennes, qui n’ont toujours accepté que des organisations de la société civile « formatées » et instrumentalisées par le pouvoir. Dans le rapport national présenté en juin 2007 par la Tunisie dans le cadre de la procédure de l’Examen Périodique Universel (EPU) du Conseil des Droits de l’Homme, il était ainsi prétendu que « le gouvernement a apporté son appui à l’action des organisations et associations en matière d’études, de cycles de formation, de séminaires et autres manifestations visant à faire mieux connaître les valeurs et les règles afférentes aux droits de l’Homme, à les enseigner et à les diffuser sur une vaste échelle »112. C’est sans doute pour manifester cet attachement aux droits de la personne humaine qu’avait été institué en janvier 1991 auprès du Président de la République le Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés 111

La mise en place du SI judiciaire a mobilisé un quart du budget effectif du projet et s’est soldée par un échec en raison de la défaillance de la société grecque ED, prestataire technique. 112 Rapport National de la Tunisie (réf. A/HRC/WG.6/TUN/1 du 11 mars 2008), para 48.

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Fondamentales qui, dix sept ans plus tard (loi n.2002-37 du 16 juin 2008) a accédé au statut « d’institution nationale de promotion des droits de l’Homme »…. 11- Le bilan contrasté du PAMSJ, dont les autorités tunisiennes se sont attachées à circonscrire les activités à des aspects purement techniques ou pratiques (par ex. livraison de matériel informatique ou formations aux TIC et à des disciplines juridiques liées au droit des affaires, apprentissage des langues…), à l’exclusion de toute réflexion ou de tout dialogue entre juristes tunisiens et européens sur les principes fondateurs (notamment l’indépendance de la magistrature ou l’inamovibilité des juges) et le rôle de la justice dans un Etat de droit, a fait l’objet de critiques de la part des OSC nationales et étrangères113. Toutefois, les acquis du PAMSJ ainsi que les liens que sa mise en œuvre a permis d’établir avec l’ensemble des professions juridiques et judiciaires (notamment le Barreau dont les intérêts ont été pris en considération à l’occasion de la gestion du dossier de l’ISPA) ont préparé le terrain à une nouvelle approche de la coopération entre l’UE et la Tunisie dans le domaine de la justice et plus particulièrement dans celui de l’accès au droit. 2. De nouvelles perspectives de coopération dans le domaine de l’assistance juridique et judiciaire impliquant les auxiliaires de la justice et les Acteurs non étatiques (ANE) 12- La Révolution tunisienne constitue une nouvelle opportunité pour l’Union Européenne d’ancrer le futur projet d’appui à la justice (dont les délais de lancement ont été réduits) tunisienne sur les terrains de la promotion des droits de la personne humaine et de l’Etat de droit. A ce stade, il apparaît que trois orientations devraient guider l’élaboration de ce nouveau projet : 13-Le projet justice devrait se concentrer sur la mise à la disposition des acteurs de la justice tunisienne d’un réservoir d’expertise des pays européens dans les différents domaines où le partenaire tunisien pourrait être demandeur : statut de la magistrature et des différentes professions judiciaires et juridiques en particulier avocats, greffiers, huissiers, notaires etc…L’expertise européenne devrait également être utilisée pour appuyer la réflexion du partenaire tunisien sur la création de nouvelles professions (par ex. les commissaires priseurs dont les attributions pourraient ne plus être dévolues aux huissiers comme c’est aujourd’hui le cas) ou sur l’évolution du statut de certaines professions (par ex. réflexion sur l’exercice libéral des professions de notaire ou d’huissiers). Le domaine de la formation initiale et continue est également un secteur pour lequel l’expertise européenne pourrait être sollicitée : convient-il de conserver les structures de formation initiale actuelles qui ne concernent véritablement que les magistrats (ISM) et les avocats (ISPA, dont le statut devrait être revu pour en assurer l’autonomie vis-à-vis de l’autorité politique) alors que d’autres professions (huissiers de justice, greffiers, notaires) estiment être les « laissés pour compte » de l’actuelle situation (en particulier les huissiers de justice qui ne se satisfont pas de la formation accélérée qui leur est donnée à l’ISM)114 ou faut-il au contraire « mutualiser » les moyens en transformant l’actuelle ISM qui dispose d’espace et de ressources matérielles (qui ont été renforcées par le PAMSJ) en un Institut de formation des professions juridiques et judiciaires, étant entendu que chaque filière professionnelle conserverait son autonomie (via le Ministère de la Justice pour les magistrats et les greffiers et les organes représentatifs des avocats, huissiers de justice, notaires, etc..) dans la définition des cursus, le choix des enseignants et les modalités d’accès à la profession. Un appui en expertise pourrait également s’avérer utile afin de mieux définir le « périmètre » de certaines 113

Cf. par ex. Bureau du Haut Commissariat aux droits de l’Homme (OHCHR) en Tunisie : « Concept paper toward a Needs Assessment for Judges within Universal Human Rights Norms and Basic Principles of Independence of the Judiciary” (20011), p. 3. 114 Entretien du rapporteur et de David FOREST avec une dizaine de membres du Conseil National des Huissiers (28 juin 2011).

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professions, l’actualité reflétant par exemple les tensions entre avocats et notaires ; il serait sans doute également opportun de s’interroger sur le cumul des professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur. De manière encore plus significative, l’expertise européenne pourrait être sollicitée pour le partenaire tunisien lorsque celui-ci s’attaquera au cœur de la réforme de la justice en recherchant les moyens de garantir effectivement le principe d’indépendance de la magistrature : sur l’un des aspects de cette question, la mise en place d’un Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) rénové, l’Union Européenne (et le Conseil de l’Europe) disposent d’expériences diverses et avérées pouvant inspirer le Constituant et le Législateur tunisiens. Au-delà de l’indépendance de la magistrature, le régime Ben Ali a légué un système judiciaire ayant fait de la productivité son principe moteur (l’informatisation du système judiciaire constituait un moyen d’améliorer cette productivité), une démarche qui, sur le plan pénal, a abouti à un système répressif délivrant à la chaîne les peines les plus sévères prévues par le Code pénal. De même la politique pénitentiaire, audelà des textes qui l’organise, ne recherche pas véritablement la réinsertion sociale des détenus. La chute de la dictature a donc ouvert un chantier immense, celui de la refondation du système judiciaire et plus particulièrement de son volet pénal (refonte des Codes pénal et de procédure pénale en priorité) thème qui soulève de multiples questions (notamment les relations entre le Parquet et les magistrats du siège, la refonte de la politique pénitentiaire ou les peines alternatives à la détention) sur lesquelles l’expertise européenne peut apporter des éclairages diversifiées (en raison de la coexistence au sein de l’UE des traditions du droit romano germanique et de la common law) et probants. Autant dire que le nouveau projet justice de l’UE devrait s’inscrire en rupture avec le PAMSJ en mettant l’accent essentiellement sur des activités de dialogue, d’échanges d’expériences, de missions d’études ou de stages professionnels impliquant les institutions et les professions juridiques et judiciaires européennes et tunisiennes. Au regard des priorités actuelles, la finalisation de la mise en place d’un SI judiciaire (différée à la suite de l’échec enregistré dans le cadre du PAMSJ) est devenue marginale. L’informatisation ne devrait concerner que des activités ayant une incidence sur le renforcement de la protection des droits de la personne humaine. Ce serait par exemple le cas pour l’informatisation des établissements pénitentiaires de la Tunisie (cf. ci-après et recommandations) 14- Dans le contexte politique tunisien actuel, marqué par de nombreuses incertitudes, le souci d’indépendance vis-à-vis de l’étranger, voire le nationalisme affiché par les acteurs du processus devraient conduire l’Union Européenne à concevoir son rôle comme celui d’un facilitateur, d’un accompagnateur de l’indispensable processus de réforme de la justice. Outre l’expertise, le futur projet justice devrait ainsi offrir au partenaire tunisien un cadre neutre et des outils permettant de consolider le processus de réforme. A titre d’exemple, l’UE pourrait apporter son appui à l’organisation d’un Forum National sur la Justice qui permettrait à la fois de libérer la parole des différents acteurs de la justice (y compris des OSC impliqués dans le secteur et qui devraient être conviées à ce Forum) et de constituer un instrument participatif et d’appropriation d’un débat qui pour l’heure est purement institutionnel et ne « mobilise » que les cadres supérieurs du ministère de la Justice et les représentants des associations professionnelles. Comme l’a souligné le « concept paper » du Bureau du HCDH en Tunisie, la réforme de la justice doit demeurer « a nationally led exercise » et « that indispensible and cathartic process would enable the determination of priorities, encourage the constructive steps to be taken progressively and ensure the legitimacy of the process under unprecedented public scrutiny »115 15- Il conviendrait enfin d’impliquer pleinement la société civile et les ANE qui en sont les représentants dans la mise en œuvre du nouveau projet sur la justice. Ecartées délibérément de ce 115

OHCHR/Tunisia, “Concept ¨Paper toward a Need Assessment for Judges within Universal Human Rights Norms and Basic Principles of Independence of the Judiciary”, p.4

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secteur par le régime Ben Ali qui avait suscité la création d’organisations « non gouvernementales » factices, les OSC nationale sont en voie de consolidation accélérée en Tunisie depuis la Révolution. Les mesures rapidement prises par le Gouvernement de Transition pour renforcer les engagements internationaux de la Tunisie dans le domaine des droits de l’Homme et des libertés fondamentales rendent d’ailleurs impérative un appui à l’implication des OSC dans plusieurs volets du futur projet justice. En février 2011, parallèlement à l’invitation faite au Haut Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU d’ouvrir un Bureau permanent en Tunisie, les nouvelles autorités ont annoncé l’intention de la Tunisie de ratifier dans les meilleurs délais cinq instruments internationaux : le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants ; les premier et deuxième116 Protocoles facultatifs se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Statut de Rome de la Cour Pénale internationale, des engagements qui étaient tous devenus effectifs fin juin 2011. Les OSC spécialisées dans la protection des droits de la personne humaine devraient être étroitement associées aux mécanismes de surveillance du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture (qui prévoit des visites par des experts indépendants des lieux de privation de liberté) ainsi que par le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte international sur les droits civils et politiques qui reconnaît la compétence du Comité des droits de l’Homme à recevoir des plaintes de particuliers. Le Gouvernement de Transition a manifesté clairement son souci de rompre avec l’opacité passée en permettant à diverses missions d’experts étrangers d’accéder aux lieux de détention. La communauté internationale devrait saisir cette opportunité pour apporter un appui aux OSC désirant renforcer leur présence dans les lieux de détention afin de mieux faire connaître aux détenus leurs droits (assistance juridique) et dans le cas de détenus relevant de groupes vulnérables (indigents, femmes, handicapés, mineurs et jeunes adultes) éventuellement prendre en charge financièrement la gestion de leur assistance juridictionnelle (confiée à un avocat). De manière plus générale, les OSC comme les avocats devraient être encouragés à faciliter l’accès au droit aux catégories les plus vulnérables de la population. Une stratégie nationale de respect des droits de l'Homme devrait être développée au niveau gouvernemental, notamment par le biais de l'Unité de coordination des droits de l'Homme au MJ. 16-La structure du futur projet d’appui à la justice pourrait être organisée autour de quatre composantes : Recommandation n°1: Actualisation du droit positif, incluant la mise en conformité du droit positif avec les engagements internationaux de l’Etat tunisien, ce qui suppose la refonte totale entre autres du Code Procédure Pénale et du Code Pénal 117; Une stratégie nationale de respect des droits de l'Homme devrait être développée au niveau gouvernemental avec la coopération de la société civile. Recommandation n°2: Renforcement des professions judiciaires et juridiques, composante dans le cadre de laquelle pourraient être soutenues d’une part une révision et une harmonisation des textes réglementant les professions gravitant autour du monde judiciaire et d’autre part, l’actualisation des filières de formation initiale et continue des métiers de la justice ;

116

Ce protocole facultatif est relatif à l’abolition de la peine de mort. Cf. sur ce point la contribution de Jean-Marie BENEY sur la chaîne pénale à l’issue de la première phase (8-11 juin 2011) de la mission de diagnostic du système judiciaire et pénitentiaire.

117

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Recommandation n°3: Accès au droit et à la justice, composante qui pourrait intégrer certaines activités du PAMSJ qui n’avaient pas été mises en œuvre (par ex. l’abonnement d’institutions tunisiennes à des bases de données juridiques et judiciaires) tout en étant centré sur des programmes d’assistance juridique et juridictionnelle à l’intention des groupes cibles déjà évoqués ci-dessus. Le volet « aide juridique »118 couvrirait à la fois l’aide juridictionnelle (prise en charge en partie ou totalement des frais de procès) et l’aide à l’accès au droit, qui recouvre des consultations permettant aux bénéficiaires de recevoir une information sur la connaissance de leurs droits et une assistance sur les voies et moyens de les faire respecter. Parallèlement devrait être soutenue l’indispensable réforme de l’aide judiciaire : la loi du 3 juin 2002 devrait être révisée afin de préciser les conditions d’obtention de l’assistance juridictionnelle, de supprimer les exceptions mentionnées dans l’art.1 et de garantir une rémunération effective et décente des avocats désignés. La mise en œuvre du volet « aide juridique » qui serait confiée à des OSC et au Barreau, entre autres résultats attendus, contribuera sans doute à réduire le nombre des prévenus (entre 50 et 70% des effectifs) dans les établissements pénitentiaires tunisiens119; Recommandation n°4: Appui à une nouvelle politique pénitentiaire orientée vers l’individualisation du traitement pénitentiaire, la refonte du régime de la libération conditionnelle ainsi que la définition d’une véritable politique de réinsertion sociale des condamnés. Cette composante intégrerait un volet relatif à la prise en charge des mineurs en conflit avec la loi. Elle engloberait également des activités de formation du personnel pénitentiaire, relatives par ex. aux normes standard de détention élaborées dans le cadre des Nations Unies et du Conseil de l’Europe120. Les orientations proposées ci-dessus sont conformes aux actions figurant dans le projet de Plan d’Action 2011-2016 devant régir le partenariat UE-Tunisie. Les modalités de mise en œuvre des activités des composantes du projet devraient privilégier le dialogue (réunions, séminaires, etc..) et les échanges d’expérience entre acteurs de la justice européens et tunisiens. Recommandation n°5: Appui au renforcement des capacités des acteurs de la justice, qu’il s’agisse de formation initiale et continue ou de la consolidation des ressources documentaires dans le domaine de la justice en y intégrant des textes de référence ou la jurisprudence des pays et organisation européens (en mettant l’accent sur l’action multiforme du Conseil de l’Europe en la matière).Il conviendrait ainsi de relancer les propositions faites en 2004 par la mission d’experts européens, dont certaines figuraient dans le projet Appui à la modernisation du système judiciaire (AMSJ) sans pouvoir cependant être mises en œuvre en raison du blocage de la partie tunisienne. L’UE pourrait notamment apporter son concours au développement déjà évoqué (cf. supra, para.6) de partenariats entre des instituts de formation et des associations professionnelles des acteurs de la justice européens et tunisiens.

118

En France l’aide juridique a été introduite par la loi du 10 juillet 1991. Dans son rapport sur le système pénitentiaire tunisien (juin 2011), JJ Mc MANUS indique que sur les 31,000 détenus la moitié était des prévenus, un pourcentage deux fois plus important que la moyenne des pays de l’UE (p.2). Le rapport de la Mission d’évaluation du Haut Commissariat des NU aux droits de l’homme (HCDH) en Tunisie (26 janvier-2 février 2011), le surpeuplement des prisons est imputé à « un système de justice pénale dur et politisé », (para. 37). 120 Cf. également sur ce point les recommandations formulées au point 10 du rapport (juin 2011) de l’expert JJ Mc MANUS 119

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Recommandation n°6: Etablissement d’une base de données carcérales regroupant l’ensemble des détenus de Tunisie et incluant des éléments biométriques (photo, empreintes digitales). Une telle base de données serait utile à la fois aux services de PJ, aux magistrats et aux responsables de l’Administration Pénitentiaire. Elle constituerait à la fois un moyen de lutte contre la récidive, un outil de contrôle des détentions abusives ainsi qu’un instrument d’orientation et d’adaptation individuelle de la sanction pénale. Son apport serait important pour le développement d’une politique de réinsertion sociale en permettant de sélectionner les détenus les plus à même de bénéficier d’aménagements de leur peine (libération conditionnelle par ex.) ou d’être orientés vers des établissements pénitentiaires ayant développé des activités productives (fermes pénitentiaires ou ateliers). Des logiciels permettant d’établir de telles bases de données carcérales existent déjà en nombre et ont été développés avec le concours d’OSC internationales comme Prisonniers Sans Frontières (PRSF).

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7. ACCES A LA JUSTICE ET AUXILIAIRES DE JUSTICE Par David Forest, avocat Sommaire Propos liminaires Eléments de synthèse 1.

La question préalable de l’évaluation budgétaire

2.

Situation et perspectives des huissiers de justice 2.1 Organisation et éléments statistiques 2.2 Accès à la profession 2.3 L’exécution des décisions de justice 2.4 Un projet de réforme en suspend

3. Situation et perspectives des notaires 3.1 Organisation et éléments statistiques 3.2 Accès à la profession 4. Situation et perspectives des avocats 4.1 Organisation et éléments statistiques 4.2 Accès à la profession 4.3 L’aide juridictionnelle 4.4 Absence de l’avocat et manquements aux droits de la défense 4.5 Points clefs de la réforme de la profession d’avocat 4.6 La défiance avocats/institutions Voir l'Annexe III: Commentaires de l'Ordres des Avocats qui fournissent des informations plus récentes (décembre 2011) sur la situation décrite par l'expert en juillet 2011. ∴ Propos liminaires Transition politique, « justice transitionnelle » et aspirations des auxiliaires de justice La mission s’est déroulée dans un contexte de transition politique où le gouvernement intérimaire concentre l’essentiel des pouvoirs (en vertu du décret-loi n°2011-14 du 23 mars 2011 portant sur l'organisation provisoire des autorités publiques) vers un « État de droit » calqué peu ou prou sur le modèle continental. La Constitution a été suspendue en attendant l’élection d’une assemblée constituante et l’état d’urgence est toujours en vigueur. Les textes à caractère législatif sont promulgués sous forme de décrets-lois signés par le Président par intérim après délibération du conseil des ministres (art. 4 du décret-loi du 23 mars 2011).

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La convergence réglementaire qui se présente comme un horizon d’attente implique une évaluation des écarts entre la législation tunisienne et l’acquis communautaire. Si des réserves sur plusieurs conventions internationales ont été levées ou sont en voie de l’être (ex : Protocole optionnel à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant), des progrès importants restent à accomplir qui impliquent d’entreprendre des réformes de fond d’une part, et de surmonter le poids des habitudes, d’autre part. Ceci est particulièrement vérifié s’agissant de l’indépendance de la magistrature mais concerne également l’organisation et le fonctionnement des auxiliaires de justice i.e. professionnels du droit qui ne sont pas magistrats mais participent toutefois directement ou indirectement à la mission de service public de la Justice. Les entretiens réalisés permettent de dresser le constat paradoxal d’une possibilité théorique de redessiner en profondeur l’organisation judiciaire du pays et dans le même temps de prendre la mesure de forces d’inertie considérables. C’est ainsi que M. le chef du cabinet du MJ a fait du « retour à la normal » une priorité et exprimé la crainte d’une « révolution contre la justice » alors que, selon un représentant de l’ONG « Réseau national anti-corruption », « aujourd’hui aucun chantier n’apparaît comme prioritaire ». Tel est le cadre complexe et ambivalent dans lequel s’inscrit la « justice transitionnelle », entre legs du passé et aspiration au changement. Si les perspectives ouvertes par la révolution s’accompagnent d’une volonté de réforme, il est illusoire de prétendre les amorcer avant la détermination voire la stabilisation d’un nouveau régime bénéficiant de la concorde nationale. Toute réforme d’ampleur adoptée par le gouvernement intérimaire est vouée à faire l’objet d’une contestation et à devenir caduc à la faveur de la mise en place d’un nouveau Parlement. Celle de la profession d’avocat en fournit un exemple typique. Il paraît plus prudent à ce stade d’esquisser les rapports de force et les aspirations des auxiliaires de justice plutôt que de redessiner en plan une organisation de la justice dont la légitimité sera liée à l’équilibre des forces issu des prochaines élections. Le rôle majeur des avocats dans la révolution du 14 janvier 2011 et leur présence importante dans le « gouvernement des avocats » concentrent sur eux l’attention et les critiques des autres acteurs du droit. Cette défiance stigmatise des lignes de fracture plus anciennes et persistantes autant qu’elle cristallise des rapports de force au sein du monde judiciaire dont le changement de régime apparaît comme le révélateur. De manière générale, les relations entre auxiliaires apparaissent comme particulièrement dégradées. De vives tensions interprofessionnelles et des protestations trouvent à s’exprimer notamment au moyen de la grève contre la réforme de la profession d’avocat. Les propos qui suivent se concentrent plus particulièrement sur le rôle des auxiliaires de justice dans le fonctionnement de la justice tunisienne. Notre attention s’est portée sur l’expression des demandes et besoins aux fins de suggérer des instruments de mise en œuvre ou des perspectives de réforme.

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Éléments de synthèse La mission permet de se convaincre de la profonde imbrication des considérations juridiques et politiques. Elle rend particulièrement délicate toute proposition d’aménagement ou de réforme qu’il est par ailleurs vain de prétendre concrétiser avant la stabilisation du régime. En résumé, les revendications des auxiliaires reposent sur un double mouvement : d’une part, le souhait de ne relever que de leur ordre en matière décisionnelle et de maintenir une distance avec le MJ, d’autre part, l’appel à un effort en termes de financement public. Les volontés respectives de se voir doter d’un institut de formation spécifique distinct de l’ISM témoignent d’un besoin de légitimité qui pour l’heure ne rencontre pas d’écho. Un effort doit être accompli dans cette direction afin de contrer un sentiment de dilution. Chaque profession apparaît comme un isolat au détriment du dialogue et de la concertation. Ce constat se réfléchit également à l’intérieur de chaque profession où l’on constate, par exemple, la faiblesse des liens entre l’Ordre des avocats et l’ISPA. Les rapports entre auxiliaires semblent obéir à une logique de « lutte des places » dans le contexte d’un droit en suspend, la « pomme de discorde » du projet de décret-loi sur la profession d’avocat agissant comme un catalyseur des mécontentements. Mais ce front commun peine à dissimuler concurrence et rivalités aux dépens de la construction d’un édifice commun. Les auxiliaires manifestent la crainte de part et d’autre d’une paupérisation. Les intérêts catégoriels, s’ils doivent être entendus du MJ, doivent tout autant s’inscrire dans le projet plus large d’une vaste réforme de l’organisation judiciaire et des professionnels du droit. Celle-ci dessinerait clairement les attributions de chacun en tenant compte de facteurs économiques et politiques qui restent à évaluer avec précision. Des plates-formes de concertation doivent être aménagées et les doléances exprimées faire l’objet de débats publics afin de favoriser une transparence et réinscrire la question de la justice dans un espace démocratique. 1. La question préalable de l’évaluation budgétaire L’attribution et l’affectation de fonds en faveur du développement de la justice et de ses acteurs requièrent au préalable une connaissance des agrégats et des budgets de fonctionnements par grands postes des diverses composantes du système judiciaire. C’est notamment le cas du budget affecté à l’aide juridictionnelle. Or, aucun de nos interlocuteurs n’a été en mesure de donner un montant indicatif des fonds qui lui sont consacrés, ni même un ordre de grandeur, ce qui par conséquent ne permet pas d’apprécier l’importance qui lui est accordée ni les moyens financiers à mettre en œuvre. Plus généralement, l’ensemble des acteurs de la justice peinent à avancer des montants chiffrés tels que budgets de fonctionnement des ordres, financement de la formation, revenu moyen de chaque profession… Dans ces conditions, il est périlleux autant qu’incertain de mesurer les grands équilibres financiers à l’œuvre et plus encore d’apprécier la pertinence des revendications exprimées.

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Recommandation n°1 : Préalablement à toute proposition de réforme, procéder à une étude économique approfondie afin d’évaluer les agrégats financiers de la justice tunisienne et prendre la mesure des besoins et/ou des équilibres à instaurer/restaurer. Recommandation n°2 : Élaborer des indicateurs et ratio ( ex : revenu médian/profession, coût de l’accès à la justice, niveau de couverture de l’aide juridictionnelle …).

2. Situation et perspectives des huissiers de justice 2.1 Organisation et éléments statistiques Les huissiers qui n’ont pas de règlement intérieur sont représentés par l'ordre national des huissiers de justice. Le MJ dénombre 923 huissiers (dont 79.5% d’hommes), 854 selon la chambre nationale des huissiers. Les représentants de la profession signalent que cet effectif est en augmentation relativement soutenue. 68% d'entre eux sont des maitrisards. Les huissiers sont répartis en 10 chambres, 296 d’entre eux exercent au grand-Tunis dans les quatre gouvernorats. Une « surpopulation » est déplorée qui aboutirait à une paupérisation rampante. Les honoraires obéissent à un barème déterminé par un arrêté du 7 octobre 2010, qui s’échelonne de 12 à 18 dinars selon le degré de juridiction. Celui-ci, relativement faible, a été abaissé à la faveur de la dernière réforme121. Selon la chambre nationale des huissiers, le montant des charges - trop élevé selon elle - s’élève à la moitié des honoraires perçus. 2.2 Accès à la profession L’obtention de la maîtrise en droit a été rendue obligatoire par la réforme de 1995. Environ 65% des huissiers en sont titulaires. L’accès à la profession se fait par concours suivi d’une période de formation à l’Institut supérieur de la magistrature (ISM) de 6 mois qui alterne théorie et pratique. Elle comprend un stage et un rapport de fin d’études. L’âge limite d’accès a été fixé à 50 ans. Seuls 15% des huissiers ont entre 55 et 70 ans. La loi permet aux fonctionnaires et aux magistrats de devenir huissiers. Ces derniers réclament la suppression de ces passerelles bien que celles-ci ne semblent pas être particulièrement empruntées. Les huissiers ont par le passé soutenu le projet d’une École nationale de la procédure dont le ministre avait finalement considéré qu’elle relevait de ses attributions. Cette attitude explique en partie la revendication d’indépendance à l’égard du MJ.

121

: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°16

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2.3 L’exécution des décisions de justice L’exécution des jugements soulève de grandes difficultés concrètes auxquelles les huissiers sont confrontés en première ligne en l’absence de juge de l’exécution pour régler des litiges s'élevant lors de l’exécution forcée d'une décision judiciaire. Une pratique est apparue hors de tout fondement légal qui consiste, dans environ 10% des cas, à solliciter du Procureur l’assistance des services de police. Si ce recours ne repose sur aucune prévision législative, c’est l’article 9-94 du Code de procédure pénale qui est invoqué au soutien d’une telle demande. Art. 9-94, Code de procédure pénal : « Les perquisitions domiciliaires sont de la compétence exclusive du juge d'instruction. Peuvent néanmoins opérer des perquisitions domiciliaires : 1. les officiers de police judiciaire en cas de crime ou délit flagrant, dans les conditions fixées par le présent Code 2. les officiers de police judiciaire visés aux alinéas n° 2 à 4 de l’article 10 délégués par le juge d'instruction 3. les fonctionnaires et agents de l'Administration autorisés par un texte spécial. » Il a été indiqué que le Procureur y donnait la plupart du temps une suite favorable. Pour autant, dans 10% des cas, les jugements ne sont pas exécutés. Cet état de fait qui revient en définitive à déléguer à la police l’exécution des jugements réalise en conséquence un empiètement sur le judiciaire. Selon le Président de la Cour d’appel de Nabeul, si aucun texte ne prévoit l’intervention du Procureur, elle permettrait toutefois de pallier d’éventuelles erreurs d’interprétation, celui-ci n’ayant par ailleurs aucun pouvoir d’appréciation. En tout état de cause, cette anomalie qui remet directement en cause le droit à la justice appelle, selon la plupart des acteurs, une réforme de fond qui apparaît comme prioritaire. 2.4 Un projet de réforme en suspend Un projet de réforme de la profession d’huissiers du 12 mai 2011 contenant un règlement intérieur a été adressé au ministère de la Justice qui, à ce jour, n’y a pas donné suite. De manière générale, la profession affiche une réelle volonté d’indépendance à l’égard de l’exécutif et exprime la volonté de préserver son caractère libéral tout en favorisant son exercice collectif notamment par le développement de sociétés civiles régies par le droit commun – au nombre de deux à ce jour. Recommandation n°1 : Encourager l’adoption d’un code de déontologie contenant droits et devoirs. Recommandation n°2 : Engager une réflexion sur la création d’un institut de formation spécifique.

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Recommandation n°3 : Engager une réflexion sur la création d’un juge de l’exécution en concertation avec la magistrature et le MJ qui pourrait s’insérer dans le cadre d’une future réforme de l’organisation judiciaire.

3. Situation et perspectives des notaires 3.1 Organisation et éléments statistiques Le MJ dénombre 951 notaires (dont 64% d’hommes) parmi lesquels 155 ont plus de 70 ans. Ils étaient 3000 en 1957. Ils sont représentés par une association nationale des chambres des notaires. Selon le Président de la Chambre des notaires, ayant fait le choix du clan Ben Youssef contre celui de Bourguiba avant l’indépendance, la profession aurait été l’objet de représailles dont le projet de décret-loi sur la profession d’avocat constitue le point d’orgue. La profession est répartie en 10 chambres et s’est dotée d’un règlement intérieur en 2009. En matière disciplinaire, compétence est attribuée à la Cour d’appel. Il existe deux échelles de sanctions. Au premier degré, la sanction est prononcée par le Président de la Cour d’appel; au second, elle est proposée par le Président de la Cour au Ministre (révocation ou suspension d’exercice pour 6 mois). Il en résulte, en définitive, que le pouvoir exécutif décide de la sanction. Les notaires sont rédacteurs d’actes : contrats de mariage (également de la compétence de l’officier d’état civil) et en matière immobilière où ils rencontrent la concurrence des avocats. Les transactions immobilières conclues par acte d’avocat sous seing privé, et par ailleurs non soumises à une obligation d’enregistrement, favoriseraient l’insécurité juridique et le blanchiment d’argent du fait de l’ignorance de l’identité des véritables propriétaires. Un remède consiste, selon le Président de la Chambre des notaires, dans l’adoption de l’acte authentique revendiqué par les notaires. 3.2 Accès à la profession La loi de 1994 exige la maîtrise en droit et prévoit une formation théorique et pratique à l’ISM. À l’instar des huissiers, les notaires ont exprimé la volonté de moderniser la loi et proposé au Ministre un projet de réforme. Celui-ci envisageait la création d’une école du notariat distincte de l’ISM. Selon le Président de la Chambre des notaires, cette prétention aurait été interprétée comme une « atteinte à la souveraineté de l’État ». Les notaires sont nommés par arrêté du Ministre de la justice. Ceux-ci émettent le souhait de l’être par le Président. Recommandation n°1 : Créer une commission permanente tripartite sous l’égide du MJ composée de représentants des notaires, magistrats et avocats dans la perspective d’entamer une réflexion sur les domaines où avocats et notaires entrent en concurrence. Recommandation n°2 : Créer une commission permanente quadripartite sous l’égide du MJ composée de représentants des notaires, huissiers, magistrats et avocats dans la perspective d’entamer une réflexion sur la mise en œuvre de l’acte authentique.

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Recommandation n°3 : Engager une réflexion sur la création d’un institut de formation spécifique. 4. Situation et perspectives des avocats 4.1 Organisation et éléments statistiques L'Ordre des avocats recense 7944 avocats. Parmi eux, on compte: ƒ 3130 avocats stagiaires (3éme section de la 1ère partie du tableau); ƒ 3035 avocats à la Cour d’appel (2éme section de la 1ère partie du tableau); ƒ 1779 avocats à la Cour de Cassation ( 1ère section de la 1ère partie du tableau); ƒ 1043 avocats en situation de non-exercice (2ème partie du tableau) ; ƒ 143 avocats à la retraite et avocats honoraires (3ème partie du tableau). Leur statut est régi par le décret-loi n°2011-79 du 20 août 2011. Il existe un seul barreau en Tunisie, dénommé "Ordre National des Avocats de Tunisie", dans lequel sont inscrits tous les avocats en exercice, en omission ou à la retraite. Le Conseil de l'Ordre en est l'organe délibératif, et il est présidé par un bâtonnier élu à la majorité absolue par l'ensemble de ses pairs en exercice. Il comprend les présidents des sections régionales (au nombre de 21) et 14 membres élus à la majorité simple. Le Bâtonnier du précédent mandat est membre de droit au Conseil de l'ordre pour la durée du nouveau mandat122. Les finances de l’Ordre sont alimentées par une cotisation annuelle des avocats en exercice. La cotisation des avocats stagiaires est de 80 dinars; celle des avocats inscrits auprès de la Cour d'appel est de 200 dinars; celle des avocats à la Cour de Cassation est de 300 dinars. Selon le bâtonnier, l’arriéré de cotisations ordinales avoisinerait les 3 milliards de dinars, montant qui semble démesuré. Les timbres, obligatoirement apposés sur les actes de procédure et les contrats rédigés par les avocats, alimentent la CARPA (Caisse de retraite et de prévoyance des avocats). Le montant moyen de l’honoraire se situe dans une fourchette de 200/400 dinars, et de 500/1000 dinars en Cassation . Selon le bâtonnier, la profession dont l’effectif a crû considérablement en l’espace de quelques années, est en sureffectif. 4.2 Accès à la profession L’ISPA a été créé par la loi n°2006-30 du 15 mai 2006 qui modifie et complète la loi n°89-87 du 7 septembre 1989 portant organisation de la profession d’Avocat. Il a ouvert ses portes le 4 décembre 2008 et a diplômé sa première promotion en 2010. L’institut a été placé sous la double tutelle du ministère de la Justice et de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Il est dirigé par un directeur, un secrétaire général et un directeur des études. Son Conseil scientifique comprend 12 membres dont deux représentants de l'Ordre national des avocats, deux représentants du ministère de la Justice et deux représentants du ministère de l'enseignement supérieur. Les 6 autres membres sont élus parmi les enseignants par leurs pairs. Deux d'entre eux représentent les enseignants ayant la 122

: Cf annexe 3 – note n°2

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qualité de magistrats de 3ème grade élus par leurs pairs justifiant de la même qualité. Deux membres représentent les enseignants universitaires élus par leurs pairs à l'Institut. Deux avocats de la Cour de Cassation sont élus par leurs pairs parmi les enseignants de l'Institut jouissant de la même qualité123. À noter, en sens contraire, que les instances de l’ISM n’intègrent aucun représentant du Barreau. Le recrutement s’opère par voie de concours organisé chaque année. Le 3e cycle en droit donnait un accès direct à la profession avant la création de l’Institut Supérieur de la Profession d’Avocat (ISPA) et l’instauration d’un examen d’entrée au niveau de la maîtrise. La seule dispense bénéficie aux professeurs en droit et aux maîtres de conférences âgés de moins de quarante ans (à la date de la demande d'inscription sur le tableau) et aux anciens magistrats ayant exercé leur profession pendant une période d'au moins 10 ans et non révoqués pour des motifs touchant à la probité et à l'honneur. Environ 3000 candidats s’y sont présentés pour 200 places à pourvoir, ce qui manifeste la volonté de l’Ordre d’instaurer un numerus clausus afin de juguler le nombre d’avocats. Les admis reçoivent une formation théorique et pratique. L’application du « processus de Bologne » conduit l’école à délivrer un diplôme de niveau master (bac+5). La mission de l’institut comporte un double volet de formation : d’une part celle des futurs avocats, de l’autre la formation continue des avocats inscrits qui est encore en devenir. Le chapitre de la formation continue est également revendiqué par l’Ordre des avocats qui envisage la création d’une « Maison de l’avocat » dotée d’un auditorium. Il ne semble pas qu’une concertation entre l’Ordre et l’ISPA ait été engagée sur ce point124. Les enseignants sont issus de l’université, du barreau et de la magistrature et leur recrutement repose largement sur le critère de « loyauté » envers le régime. La forte présence de « politiques » conduit à des compétences pédagogiques et qualifications professionnelles incertaines qui ne sont pas ou peu contrôlées125. Au terme de la scolarité, 10 élèves ont été ajournés. Les « notes de discipline » permettent de sanctionner sinon empêcher l’obtention du diplôme par des étudiants pour lesquels le ministère détient un « dossier sécuritaire ». Loin de toute sérénité, la crainte partagée par les étudiants se manifeste à la faveur des questionnaires d’évaluation qui leur ont été adressés. Le directeur de l’ISPA relève plusieurs griefs : ƒ La faiblesse du niveau académique des élèves avocats et les difficultés corrélatives à assumer pleinement la fonction d’école d’application; ƒ La part théorique des enseignements estimée à 80%. Elle se manifeste à titre exemplaire par l’absence de travaux pratiques en droit du travail alors que la demande est forte en ce domaine. Un hiatus existe entre certains enseignements et leur application concrète. Dans le même temps, il exprime le souhait d’un département consacré à la recherche ainsi que d’un cours de « philosophie du droit », ce qui témoigne d’un mimétisme universitaire et de l’aspiration à une légitimité académique ; ƒ La formation des formateurs largement défaillante et l’insuffisance criante d’études de cas ; ƒ La production de supports pédagogique (ex : polycopiés) et mises en situation (ex : simulations d’audiences) quasi-inexistante ; ƒ L’incompétence du personnel administratif issu d’une pratique de « placement » ; ƒ L’insuffisance du travail en équipe. 123

: Cf annexe 3 – note n°3

124

: Cf annexe 3 – note n°4

125

: Cf annexe 3 – note n°5

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Pour l’heure, la « volonté politique » est de séparer l’ISPA du ministère de la Justice. La profession entend renforcer le rôle du Barreau dans la gestion et l’organisation de l’Institut sans toutefois le placer sous la seule tutelle ordinale. Le souhait d’une tutelle collective doit être concilié avec l’aspiration à une autonomie décisionnelle. Pour autant, le directeur fait le constat de l’absence d’immixtion du ministre de la Justice récemment nommé dans la gestion de l’ISPA. L’Ordre semble peu impliqué dans la gestion de l’institut, ce dont témoigne le caractère récent de la visite du bâtonnier. Si le conseil de l’Ordre a évalué l’ISPA en novembre 2010, ses conclusions n’ont pas été portées à notre connaissance. Recommandation n°1 : Rendre l’ISPA indépendant du MJ Recommandation n°2 : Réaménager la formation initiale en construisant une maquette pédagogique équilibrée qui conforte la vocation d’école d’application de l’ISPA. Solliciter les écoles de formation à la profession d’avocat étrangères afin de bénéficier d’un transfert d’expérience et de compétences. Recommandation n°3 : Clairement définir et répartir les attributions de l’Ordre et celles de l’ISPA en matière de formation afin d’éviter tout chevauchement et rivalités. 4.3 L’aide juridictionnelle L’aide juridictionnelle présente deux versants : le conseil juridique d’une part, l’assistance judiciaire, d’autre part. L’aide juridictionnelle relève de la compétence exclusive des avocats, la plupart du temps stagiaires, par ailleurs découragés d’en obtenir le paiement compte tenu de la lourdeur des procédures administratives et du caractère aléatoire des versements126. Il en résulte, selon le bâtonnier, que les activités exercées à ce titre relèvent dans les faits du pro bono. Il semble que l’indemnité de stage mensuelle de 120 dinars127 qui serait versée tous les trimestres aux élèves avocats, selon le directeur des services civils du MJ, correspond en réalité au montant de l’indemnité versée pour chaque dossier traité au titre des commissions d’offices128. Si la revalorisation du montant de l’indemnité est une voie à privilégier, d’autres perspectives peuvent être envisagées parmi lesquelles la prise en compte du statut personnel (mineur, handicapé mental …) pour ouvrir le bénéfice de l’aide, et non seulement la preuve d’une situation d’indigence.

126

: Cf annexe 3 – note n°6

127

: Cf annexe 3 – note n°14

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Cf annexe 3 – note n°13

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Au-delà, diverses réformes à destination des avocats seraient en mesure de renforcer l’efficacité des dispositifs notamment sur le versant juridique de l’aide. En premier lieu, les élèves-avocats avant même leur prestation de serment pourraient devoir accomplir un « service obligatoire » dans le cadre de leur scolarité à l’ISPA en assurant des permanences dont l’objet serait de renseigner et d’orienter toute demande d’aide. En second lieu, tout avocat pourrait être astreint à traiter un certain volume d’affaires relevant de l’aide juridictionnelle, tout manquement étant passible de sanction disciplinaire et/ou financière. Enfin, il paraît nécessaire d’associer étroitement les ONG tunisiennes au processus judiciaire en leur reconnaissant non seulement un rôle de conseil juridique strictement encadré et exclusif de toute rédaction d’acte, mais également une fonction d’aiguillage judiciaire. Une grille d’interprétation des cas qui leur seraient présentés, élaborée de concert avec le MJ, permettrait d’assurer dans une certaine mesure une fonction d’information mais également de filtrage informel. Dans cette perspective, un programme de formation de juristes dédiés à cette fonction gagnerait à bénéficier du concours de l’ISPA. 4.4 Absence de l’avocat et manquements aux droits de la défense Au cours de nos échanges, il est apparu que l’assistance ou la présence d’un avocat faisait défaut au mépris des droits de la défense. Cela a pu être observé notamment dans les cas suivants : (i)

La Commission d’établissement des faits sur les affaires de corruption et de malversation (CICM) est investie d’un pouvoir de perquisition sans intervention du juge judiciaire et, plus largement, de tout pouvoir d’investigation en matière « de corruption », domaine de compétence le plus large ne répondant à aucune définition précise. La Commission s’autosaisit ou, le cas échéant, est alertée par une dénonciation (« requêtes des citoyens »). L’avocat n’intervient qu’une fois le Parquet saisi par la Commission dans le cadre d’une instruction129 ;

(ii)

La justice militaire en Tunisie ne constitue pas un ordre juridictionnel parallèle aux juridictions de droit commun, elle fait partie intégrante du système judiciaire. Les règles de procédure de droit commun s’appliquent aux tribunaux militaires (institués par la loi n°82-70 du 6 août 1982 portant statut général des forces de sécurité intérieure du 6 août 1982). Ainsi, les avocats peuvent accéder librement aux tribunaux militaires et défendre les intérêts de leurs clients. Pour autant, leur assistance est facultative en matière correctionnelle devant le tribunal militaire (elle est par contre obligatoire en matière criminelle)130. Nous en avons été témoin pour une affaire concernant un délit routier. Cette situation est aggravée par l’absence de double degré de juridiction et un taux de pourvoi devant la Cour de cassation infime (1,96%). Un projet de décret-loi adressé au Premier ministre prévoit la création d’un double degré de juridiction ; La compétence du tribunal militaire est excessivement large : • infractions d’ordre militaire prévues au titre II du Code de justice militaire ;

129

: Cf annexe 3 – note n°7

130

: Cf annexe 3 – note n°8

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• infractions commises à l’intérieur des casernes, des camps, des établissements et des lieux occupés par les militaires pour les besoins de l’armée ou de la force armée ; • infractions commises directement au préjudice de l’armée ; • de droit commun commises par des militaires ou contre eux y compris en dehors du service si les deux parties sont militaires. L’article 22 de la loi du 6 août 1982 dispose : « sont du ressort des tribunaux militaires compétents, les affaires dans lesquelles sont impliqués les agents de forces de sécurité intérieure pour des faits survenus dans ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions lorsque les faits incriminés ont trait à leurs attributions dans les domaines de la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat ou au maintien de l’ordre sur la voie publique et dans les lieux publics et entreprises publiques ou privées, et ce au cours ou à la suite des réunions publiques, cortèges, défilés , défilés, manifestations et attroupements ». (iii) L’avocat ne peut assister son client durant la garde-à-vue d’une durée de 3 jours renouvelable une fois celui-ci prévenu par le Procureur. Plus généralement, les conditions d’exercice paraissent difficiles et peu de moyens sont affectés à cette fin au sein même des cours et tribunaux. Nous avons ainsi pu constater au tribunal de première instance de Grombalia que les avocats disposaient d’un espace propre se réduisant en tout et pour tout à une modeste pièce. Recommandation n°1 : Établir un relevé exhaustif des situations dans lesquelles l’absence de l’avocat aux côtés de la personne mise en cause ou du prévenu constitue une atteinte aux droits de la défense. Recommandation n°2 : Rendre impérative la présence de l’avocat dans les situations évoquées précédemment. 4.5 Points clefs de la réforme de la profession d’avocat Le décret-loi sur la profession d’avocat initié en juin 2010 et finalisé en décembre 2010, a été approuvé en Conseil des ministres le 24 juin 2011131 et demeure en attente de promulgation. Dans un contexte marqué par l’attentisme, cette réforme a provoqué une crise de l’institution judiciaire et une levée de boucliers des autres auxiliaires de justice ainsi que des professions du chiffre et instances patronales. C’est ainsi que le syndicat des magistrats et la chambre nationale des conseillers fiscaux ont décrété une grève de 3 jours entamée le 28 juin 2011. Récents développement (depuis la Mission): Le décret loi du 20 août 2011 portant sur la profession d'avocats modifie l'accès à la profession d'avocat. Selon le nouvel article 3, les candidats peuvent intégrer l'ISPA à travers 2 concours (pour la 1ère année aux titulaires d'une

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: Cf annexe 3 – note n°9

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ancienne maîtrise ou licence, pour la 2ème année aux titulaires d'un Master). Selon l'article 4, la limite d'âge pour devenir avocat est de 40 ans (précédemment elle était de 50 ans)132. Les représentants du syndicat de la magistrature ont déploré la méthode et le calendrier ayant présidé à l’adoption du texte ainsi que l’absence de vision d’ensemble du système judiciaire. Magistrats et notaires se disent « lésés ». La centrale patronale UTICA (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat) a appelé le gouvernement à ne pas entériner le décret-loi, et réclamé le report de la promulgation du texte après les élections. Un reproche fréquemment avancé réside dans l’absence de concertation avec les autres auxiliaires de justice et, au-delà, avec les acteurs du droit comme les conseillers fiscaux. Nous n’avons pu obtenir de traduction en langue française du projet, laquelle n’existerait pas. Seuls certains articles clefs nous ont été traduits. Quelques dispositions cristallisent l’essentiel du mécontentement : • « L’immunité » de l’avocat. L’article 315 du Code pénal dispose : « Sont punis de quinze jours d’emprisonnement et de quatre dinars huit cent millimes d’amende : […] 3°- ceux qui, sans commettre l'infraction prévue à l’article 126 du présent code auront troublé l'exercice de la justice à l'audience ou ailleurs ». L’art. 126 du Code pénal puni d’une peine de 2 ans d’emprisonnement l’outrage à l’audience envers un fonctionnaire de l’ordre judiciaire et de la peine capitale l’usage ou la menace d’usage d'armes commises à l’audience à l'encontre d'un magistrat. Le cas récent d’un avocat arrêté en pleine audience et jugé séance tenante par la chambre, en application de l’article 315 du Code pénal, nous a été rapporté. Pour pallier cette situation, garantir la liberté d’expression de l’avocat et, en conséquence, le plein exercice des droits de la défense, l’article 47 du décret-loi dispose : « les actes, plaidoiries et rapports établis par l’avocat au cours de l’exercice de sa fonction n’ouvrent droit à aucune action en justice intentée à son encontre et que l’avocat n’est responsable, qu’à titre disciplinaire, devant les instances, autorités et établissements dans lesquelles il exerce ». Selon le bâtonnier, c’est au conseil de l’Ordre qu’il appartient, le cas échéant, de sanctionner l’avocat. Pour les représentants du syndicat de la magistrature, l’article 47 ne prévoit pas une « immunité » mais l’impossibilité de poursuivre au civil et au pénal l’avocat, y compris pour le justiciable.

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: Cf annexe 3 – note n°10

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• Extension du champ de compétence et mise en concurrence Il prévoit également un élargissement des compétences de l’avocat qui suscite de fortes tensions avec les conseillers fiscaux, notaires, experts-comptables dans un contexte de concurrence exacerbée. Ainsi, l’article 2 du projet de décret-loi (chapitre 1 : « De la profession d’avocat et de ses buts ») dispose : « [l’avocat] est spécialisé dans la rédaction des actes constitutifs des sociétés, et ceux ayant trait aux augmentations et réduction de capital, à chaque fois que l’apport en nature est un fonds de commerce. L’avocat rédige tous les actes de mutation de propriété foncière, et d’apport en nature au capital social des sociétés sans que cela porte préjudice aux prérogatives prévues par la loi pour les notaires ou aux rédacteurs de la Conservation Foncière » La précision de cette disposition peut surprendre s’agissant d’un chapitre dont la portée se veut très générale. Elle pose le principe d’une compétence partagée et, par conséquent, d’une mise en concurrence. L’avant-dernier alinéa de l’article 2 prévoit encore : « L’avocat peut accomplir la mission d'agent sportif ou être mandataire de l’Institut de la Propriété intellectuelle ou industrielle». • Réforme de la passerelle magistrats/avocats Le nombre de magistrats ayant intégré la profession d’avocats, parfois forcés et contraints, est estimé à une centaine, soit 10% du corps des magistrats. La réforme en attente de promulgation supprime la possibilité pour les magistrats d’accéder à la profession d’avocat durant les 10 années précédant leur départ en retraite dès lors qu’elle prévoit l’âge limite de 40 ans pour accéder à la profession (art. 3, chapitre 2 : « Des conditions d’accès à la profession »), ce qui provoque un vif mécontentement de leur part. Ceux-ci peuvent, par ailleurs, devenir notaires ou huissiers, choix que peu d’entre eux exercent133. Par ailleurs, le projet maintient les conditions de résidence et l’exigence de la nationalité tunisienne pour pouvoir exercer. • Légalisation de l’honoraire de résultat L’introduction de l’honoraire de résultat à hauteur de 20% de la condamnation se heurte au refus de l’UTICA134.

133

Cependant dans la version finale du Décret loi, suite à la grève des magistrats, cette restriction de l'accès à la profession d'avocat a été enlevée.

134

: Cf annexe 3 – note n°11

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4.6 La défiance avocats/institutions Les avocats, pour figurer en nombre au sein du gouvernement et paraître favorisés à la faveur du décret-loi réformant leur profession, sont également nombreux et actifs au sein de la société civile. Ainsi, selon le bâtonnier, beaucoup d’entre eux sont membres d’ONG. Il est donc aussi trompeur que réducteur de ranger la profession du côté du pouvoir. Nos interlocuteurs, au contraire, ont confirmé son rôle de contre-pouvoir et l’existence d’une certaine défiance à l’égard des institutions dans l’orbite gouvernementale. C’est ainsi que le Comité supérieur des droits de l’Homme, comité consultatif institué auprès du Président de la République par le décret du 7 janvier 1991, relève une absence de coopération avec les avocats qui demeurent étrangers à son action. Même le coordinateur général des droits de l’homme fait part de « difficultés » à travailler avec l’Ordre des avocats. De fait, les efforts entrepris afin de former et sensibiliser les auxiliaires de justice aux droits de l’Homme concernent pour l’essentiel les magistrats. Par ailleurs, un groupe d’avocats a intenté un recours devant le tribunal administratif rejeté le 15 juin 2011 contre la nomination du Président de la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation135.

135

: Cf. annexe 3 – note n°12

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8.

ORGANISATION DETENTION

DES

SERVICES

PENITENTIAIRES

ET

CONDITIONS

DE

Par James McManus, expert

Sommaire Eléments de synthèse 1. Introduction et aperçu historique 2. Le nombre de prisons 3. Les conditions matérielles dans les prisons 4. Le système de classification des prisonniers 5. Les activités 6. La surveillance indépendante des prisons 7. Les centres de rééducation 8. Le Centre de formation du personnel

Eléments de synthèse Même avant les événements du 14 janvier 2011, les prisons tunisiennes étaient loin de répondre aux normes internationales contemporaines concernant l'espace par prisonnier, les activités programmées, la classification des détenus, l'implication des ONGs et l'inspection indépendante des prisons. Le 14 janvier ont eu lieu les premières grandes émeutes jamais vécues dans les prisons qui ont réduit la capacité d'hébergement des détenus déjà limitée. Mais ces émeutes témoignent surtout d'un développement important : d’un système caractérisé par une population carcérale soumise et sous contrôle, nous sommes passés à un système où cette population a des attentes différentes. Elle manifeste pour la première fois son rejet des conditions de détention inhumaines, et de l'abus de la détention provisoire et de la faible utilisation des remises de peines/liberté conditionnelle qui se traduit par un nombre massif de personnes envoyées en prison. Par ailleurs, le personnel a également surestimé sa capacité à contrôler les effectifs élevés de prisonniers, et ils admettent la faible efficacité d'un recours systématique à la force physique. La simple reconstruction des anciennes prisons n'est pas une option et la construction de prisons modernes en nombre suffisant pour héberger des niveaux de population historiques serait très coûteuse et, franchement, inutile. La solution alternative serait de promouvoir des mesures non

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privatives de liberté pour traiter les détenus majoritairement placés en détention préventive ou pour des séjours de courte durée, classer les prisons restantes par catégories et s'assurer que des installations dotées d’équipements appropriés de sécurité et de contrôle seront mises à disposition. Afin de garantir la bonne marche des prisons, la sécurisation des conditions de détention et pour maximiser toute possibilité de réadaptation, il faut permettre aux prisonniers de profiter d’un régime d'activités constructives, dont quelques-unes existent actuellement. La formation du personnel, déjà bien développée, nécessiterait quelques modifications afin de refléter la nouvelle approche de catégorisation des prisons. Un effort doit être également consenti pour promouvoir la responsabilisation et la transparence du système pénitentiaire à travers le développement d’ONGs averties ayant un rôle à jouer dans l'inspection et dans l'aide apportée aux prisons, afin qu'elles remplissent leur rôle pour la communauté toute entière. Les hauts fonctionnaires et les praticiens que nous avons rencontrés admettent pleinement la nécessité de développer une vision différente afin de mieux traduire les récents développements. Ils sont ouverts à la coopération avec une aide extérieure, quelle soit professionnelle ou financière, pour le développement d'un système pénitentiaire approprié aux besoins de la Tunisie dans les années à venir.

1. Introduction et aperçu historique Les événements politiques du 14 janvier 2011 n'ont pas épargné le système carcéral en Tunisie. Concernant les détenus placés en préventive et pour une courte durée, presque toutes les prisons se sont rebellées contre le système et ont détruit leurs unités pénitentiaires, en mettant le feu à plusieurs d’entre elles et en brisant tous les meubles et accessoires. De nombreux prisonniers se sont évadés; des membres du personnel ont été agressés et des prisonniers ont été blessés. Ce fut le premier soulèvement important en milieu carcéral dans l'histoire tunisienne moderne et personne n'y était préparé. Encore aujourd'hui, quelques cinq mois plus tard, il est clair que le personnel aussi bien que les prisonniers ont souffert de traumatismes considérables. La situation carcérale avant le 14 janvier n'était pas bonne. Il y avait 31 000 prisonniers dans le pays, soit un taux d'emprisonnement de 230 pour 100.000. Parmi eux, quelques 50% étaient des prisonniers en détention préventive, soit environ le double du pourcentage moyen de la population européenne. Les prisonniers en détention préventive sont habituellement les plus difficiles à contrôler et à occuper. La capacité d’accueil des prisons était de 24 000 (tous les chiffres sont approximatifs, puisque c'est tout ce qui a pu être fourni. De même, les chiffres relatifs aux capacités d’accueil sont basés sur le nombre de lits plutôt que sur une quelconque notion de nombre minimum de mètres carrés par détenu). La grande majorité des prisonniers était désœuvrée, avec du travail pour moins de 10% d'entre eux, et aucune autre activité constructive organisée. Ceux initialement condamnés à mort n’avaient aucune activité spécifique, et même les visites leurs étaient interdites. D'autres pouvaient passer jusqu'à deux heures par jour à faire des exercices en plein air et recevaient de fréquentes visites de leurs familles, qui étaient également autorisées à leur apporter des colis de vivres. Ceci a peut-être contribué au développement d’un contrôle de très haut niveau à l’intérieur des prisons. Malgré l’étroitesse des unités pénitentiaires, la quasi-absence d'activités constructives, les faibles niveaux de sécurité périmétrique et la disproportion du ratio personnel/ prisonniers, les perturbations étaient remarquablement peu fréquentes dans les prisons. Il y avait trois évasions en moyenne par an; la violence exercée par les prisonniers contre leurs pairs ne représentait pas un gros souci et la violence des prisonniers contre le personnel, ou du personnel contre les prisonniers, était rare. Les

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prisons étaient très bien, probablement trop bien, contrôlées. Le personnel était formé suivant un modèle militaire, les prisonniers obéissaient. Tout cela a changé depuis le 14 janvier. Il n'est pas possible de revenir à l'ancien modèle, mais personne ne semble connaître le chemin à suivre. Cela représente une situation dangereuse pour le système pénitentiaire. Le personnel ainsi que les détenus ont besoin de connaître les paramètres dans lesquels ils vivent et travaillent, et ceux-ci doivent être rétablis aussi rapidement que possible. Ceci ne sera entièrement réalisable qu'après les élections d'octobre 2011, mais certaines garanties pourraient être données dès à présent pour rappeler que l'aide requise sera disponible une fois que le nouvel ordre politique sera mis en place. Pour qu'elle soit efficace, cette aide doit être subordonnée à des changements fondamentaux dans l'approche adoptée par les autorités tunisiennes, en particulier par rapport à la population carcérale. 2. Les statistiques relatives au milieu carcéral Le taux d'emprisonnement en Tunisie avant le 14 janvier représentait environ le double du taux moyen dans les pays européens. Environ 50% des détenus étaient en attente de jugement ou de sentence. Une proportion importante purgeait des peines très courtes, et un pourcentage également important des prisonniers étaient condamnés à des peines très longues. La peine de mort existe encore dans ce pays, mais personne n'a été exécuté depuis de nombreuses années. Un certain contrôle sur le développement de la population carcérale était exercé au moyen d'amnisties et de grâces régulières, mais le nombre de prisonniers a toujours dépassé la capacité officielle (théorique) des prisons. Depuis le 14 janvier, le recours au mécanisme de la libération conditionnelle à également permis de libérer environs 4000 détenus. Dans la plupart des pays, la capacité est calculée en référence à un certain nombre de mètres carrés par personne, généralement au nombre de trois ou, tel que recommandé dans la norme établie par le Conseil de l'Europe, au nombre de quatre mètres carrés. Pour entamer le processus de changement de l'environnement carcéral, il est recommandé que les autorités soient encouragées à accepter un chiffre minimum de 4 mètres carrés par prisonnier comme base de calcul de la capacité carcérale. Plusieurs milliers de prisonniers se sont échappés pendant les émeutes. Les autorités leurs ont donné jusqu'au 26 Mars pour se remettre à la police et la plupart, semble-t-il, l'ont fait, ce qui représente une autre indication de la nature conformiste des prisonniers. Depuis lors, une série d'amnisties et de grâces ont eu lieu. Ainsi, la population carcérale au moment de notre visite était de 21 000, soit une baisse d'environ 10.000 du nombre de prisonniers par rapport aux chiffres d'avant la révolution. Toutefois, étant donné que la plupart des établissements pénitentiaires ont été détruits ou rendus inutilisables, le surpeuplement est toujours la norme dans le pays. L'hébergement se fait principalement dans les dortoirs et les prisonniers dorment dans des lits superposés (quand ceux-ci n’ont pas été détruits). L’espace par détenu dans les dortoirs visités par la délégation dépassait rarement les deux mètres carrés. La situation est aggravée par le fait que les détenus passent 22 heures par jour dans les dortoirs. Les conditions carcérales sont ainsi bien en deçà des normes internationales. Il y a deux facteurs principaux qui ont contribué au surpeuplement des prisons : le grand nombre de prisonniers en détention provisoire et la pratique en matière de détermination des peines prononcées à l’encontre des personnes condamnées. En ce qui concerne le premier point, la loi prévoit un système de libération sous caution, mais nous avons appris que celle-ci était rarement accordée. Lors de notre réunion avec des représentants de la Cour de Cassation, les juges ont confirmés cette information. En effet, l'un d'entre eux nous a expliqué que "la libération sous caution est appliquée seulement dans des cas exceptionnels". Ceci, bien sûr, est exactement le contraire de ce qui devrait se passer, la

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détention provisoire devant être l'exception dans un pays qui adhère totalement à la présomption d'innocence. En outre, le système de caution est un système basé sur l’argent: l'accusé, ou quelqu'un qui agit au nom de l'accusé, est obligé de déposer une somme d'argent comme garantie pour comparaître au procès. Plusieurs pays ont aboli cette exigence dans la majorité des cas, la plupart des accusés ne disposant pas d'un capital suffisant pour couvrir le montant exigé. L’accent est plutôt mis sur les conditions d’octroi de la caution qui exigent, par exemple, de se présenter régulièrement à la police locale ou l’assignation à résidence dans un lieu particulier. Il y a un problème similaire par rapport à la pratique de détermination des peines. La loi prévoit des décisions sans placement sous garde, comme la probation, le service communautaire et l’assignation à la résidence surveillée sous contrôle d’un bracelet électronique136. Cependant, nous avons à nouveau été informés que ces dispositions sont rarement utilisées et qu'il y a peu d'infrastructures pour permettre leur application. Ces dispositions pourraient être appropriées pour un grand nombre de ceux qui sont actuellement condamnés à des périodes de détention de moins d’un an – et qui constituent une part considérable de la population carcérale. Les amnisties et les grâces sont des moyens efficaces pour réduire le nombre de prisonniers pendant une courte période, mais la manière anarchique qui caractérise habituellement leur application ne contribue pas à la promotion de la confiance, de l'ordre et de la coopération au sein des prisons. Dans nos discussions avec les détenus de longue durée, nous avons remarqué que plusieurs d'entre eux vivaient dans l'espoir d'être amnistiés dans les prochains mois. Si ces espoirs ne sont pas réalisés, ces prisonniers pourraient bien devenir mécontents et plus difficiles à contrôler. Bien qu’il soit peut-être nécessaire que de telles pratiques continuent dans le court terme pour faire face aux difficultés persistantes, je recommande que les autorités développent un système de libération conditionnelle après une évaluation de la capacité à gérer les risques posés par la libération de détenus. Cela nécessiterait un système de classification des prisonniers adéquat (voir ci-dessous) et servirait également à promouvoir la coopération avec les régimes tels qu'ils sont développés. Recommandation n°1: Pour entamer le processus de changement de l'environnement carcéral, il est recommandé que les autorités soient encouragées à accepter un chiffre minimum de 4 mètres carrés par prisonnier comme base de calcul de la capacité carcérale. Recommandation n°2: Engager une révision de la législation en vigueur relative au cautionnement et surtout, un changement dans la pratique d'octroi de liberté sous caution afin de s'assurer que la présomption d'innocence est réellement appliquée. Recommandation n°3: Consacrer des ressources suffisantes pour que les décisions alternatives à la détention puissent être utilisées par le pouvoir judiciaire et soient crédibles vis-à-vis du public comme des alternatives efficaces à la détention, et qu’elles soient systématiquement utilisées à la place des courtes peines privatives de liberté.

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: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°17

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Recommandation n°4: Développer un système de libération conditionnelle pour accorder la libération anticipée sous contrôle, après une évaluation de la capacité à gérer les risques posés par la libération de détenus. Cela va de pair avec un système de classification des prisonniers adéquat (voir ci-dessous). Recommandation n°5: Chacune de ces recommandations requiert un effort considérable en matière de formation judiciaire, la création et la formation des professionnels du milieu carcérale, en stimulant la création d’un réseau de d'organisation de la société civile pour l'inspection des prisons, spécialisées aussi dans le soutien des détenus ainsi que de leur intégration. Recommandation n°6: La question des statistiques pénitentiaires doit être absolument améliorée, sous peine de rendre toute tentative visant à améliorer la situation dans les prisons soit futile, soit si coûteuse qu’elle devient impossible à réaliser. Recommandation n°7: L'école nationale des prisons et de la rééducation devrait bénéficier de plus de moyens pour la formation initiale et continue.

3. Les conditions physiques dans les prisons Les émeutes de janvier ont abouti à la destruction d'une grande partie du parc pénitentiaire et de l'équipement (comme les lits et la literie). Il en a résulté des prisonniers entassés dans les dortoirs, et beaucoup d’entre eux n’ont que des matelas à même le sol pour dormir. Cependant, bien que tout cela ait aggravé la situation dans de nombreuses prisons, il est clair que la situation avant le 14 janvier était tout aussi inacceptable. Il y avait en général un surpeuplement dans les dortoirs, un manque d'espace pour les activités sportives (à l'exception des cours d'exercices physiques) et pratiquement pas d'installations pour travailler. Il nous a été rapporté qu’à l’exception de deux prisons137, toutes les autres n'ont pas été initialement conçues pour être des établissements pénitentiaires, mais ont été adaptées à cet usage. Nous avons pu vérifier cette information en observant l’architecture de certaines des prisons visitées ainsi que leurs murs d'enceinte qui fournissaient une protection très limitée contre les évasions. Néanmoins, plusieurs de ces prisons disposent de terrains vagues dont aucun ne semble être mis à profit de manière constructive. Malgré les logements très étroits, les espaces de vie communes sont très bien entretenus et les prisonniers semblent accepter de passer le plus clair de leur temps à dormir dans leurs lits et à spéculer sur la possibilité d’une libération anticipée. Le problème pourrait se poser lorsque la spéculation prendra fin! En tout cas, le mode d’hébergement existant pourrait être qualifié d'inhumain et de dégradant selon les critères européens contemporains. Le personnel insistait sur le fait que les prisonniers préféraient les dortoirs collectifs aux petites cellules et qu’ils considéraient la cellule individuelle comme une mesure punitive. J'ai un problème avec les très grands dortoirs (c'est-à-dire ceux qui hébergent plus de huit prisonniers): cela conduit inévitablement à l'établissement d'une hiérarchie où les plus forts exploitent les plus faibles. Il est 137

: cf. annexe 2 – commentaires du MJ, point n°18

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également impossible pour le personnel de surveiller correctement ce qui se passe jour et nuit dans les dortoirs. D'autres pays sont passés par le processus, souvent difficile, d'élimination des grands dortoirs et de leur remplacement par le mode d’hébergement cellulaire. Cela leur a permis d’exercer un bien meilleur contrôle sur les prisons et les détenus individuels. Recommandation n°1: Considérer très sérieusement l’option d’un changement en faveur d’un système cellulaire lors de la reconstruction du parc pénitentiaire, avec des cellules n'hébergeant pas plus de huit personnes, des espaces sociaux permettant aux grands groupes de prisonniers de s’associer à des fins de loisirs, de travail, de sport et d'éducation. Recommandation n°2: Garantir un minimum de quatre mètres carrés par détenu. Cette recommandation est fondée sur l'hypothèse d'une baisse importante du nombre de détenus, ce qui ne rendra pas nécessaire la restauration de tous les bâtiments qui existaient avant le 14 janvier. De même, avec un système de classification approprié (voir ci-dessous), le besoin d’avoir des bâtiments de haute sécurité devrait diminuer et des options moins coûteuses pourraient être envisagées pour la majorité des détenus à dangerosité moyenne / basse. 4. Le système de classification des prisonniers Au moment de notre visite, même le système de classification très rudimentaire qui avait été développé ne pouvait plus être appliqué, étant donné qu’une très grande partie du parc pénitentiaire a été détruite. Le système qui existait auparavant était basé sur le statut juridique du détenu (principalement: détention préventive ou condamnation), la durée de la peine et si la personne était un délinquant primaire ou récidiviste. Les homosexuels et les personnes séropositives étaient séparés des autres. Des tentatives louables étaient faites pour placer les détenus dans des prisons appropriées ou proches de leur domicile. Au vu des observations et des informations fournies, il est assez clair qu'il y a eu peu de problèmes dans les prisons tunisiennes, que ce soit en matière de sécurité ou de contrôle. Cette situation stable ne pourra que difficilement se maintenir. Elle indique également que l'accent a peut-être été trop souvent mis sur le contrôle, au détriment de la répartition des détenus selon le niveau de sécurité requis pour faire face au risque qu'ils représentent. En d'autres termes, il semble probable que de nombreux prisonniers auraient pu être logés dans des prisons ouvertes, où il est souvent plus facile de fournir du travail, des activités positives et de favoriser le contact avec les familles et le monde extérieur. Nous pouvons espérer qu'une politique plus rigoureuse de détermination des peines et un système effectif de libération conditionnelle éloignera beaucoup de ces prisonniers peu dangereux des prisons. Néanmoins, les prisons ouvertes conservent une utilité certaine, car elles facilitent la réintégration des détenus purgeant de longues peines mais présentant un faible danger pour la société. . En faisant une évaluation adéquate des prisonniers, il est possible de réduire au minimum le besoin de construire des prisons dotées de grands systèmes de sécurité, qui sont plus coûteuses et difficiles à gérer. Plusieurs des établissements actuels pourraient être restaurés afin d’héberger des prisonniers de risque faible à moyen en matière de sécurité et de contrôle. Recommandation n°1: Instaurer un système de classification des détenus beaucoup plus sophistiqué que ce qui a existé jusqu'ici. Le statut juridique doit être clairement réexaminé et tous les efforts doivent être consentis

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pour séparer les prisonniers en détention préventive des condamnés. Tous les détenus condamnés devraient être évalués individuellement suivant des critères de sécurité, de contrôle et d'évaluations du caractère criminogène. Ils seront ensuite affectés à une prison ou à un secteur de prison qui fournit le niveau minimum de sécurité et de contrôle requis pour faire face aux risques qu'ils posent, et des mesures devront être prises pour les motiver à prendre part aux actions visant à analyser leurs risques et leurs besoins. Recommandation n°2: Mettre un terme à la pratique d’isolement des homosexuels et des prisonniers séropositifs. 5. Les activités La norme du Conseil de l'Europe recommande que les prisonniers de toutes catégories aient quotidiennement un minimum de huit heures d'activités constructives en dehors de leurs cellules. La situation actuelle en Tunisie est bien en deçà de ce minimum. Au mieux, chaque détenu est quotidiennement autorisé à pratiquer jusqu'à deux heures d'exercice en dehors de sa cellule, mais seulement un petit pourcentage (estimé par le personnel pénitentiaire à 10% au maximum) a accès aux travaux de quelque nature qu'ils soient ou aux programmes d'éducation. La plupart de ces travaux sont en fait des activités domestiques nécessaires pour répondre aux besoins de l'établissement. Le personnel pénitentiaire aspire à la création d'ateliers de production, à dispenser une formation commerciale pour les prisonniers, et souhaiterait avoir davantage de programmes d'éducation. La réalité dans la plupart des pays est que la création d’ateliers dans les prisons coûte cher et que ces ateliers couvrent rarement leurs coûts de production. Les prisonniers ont souvent peu d'expérience de travail régulier en dehors de la prison et peu de compétences spécifiques nécessaires à la production. En conséquence, il convient de faire preuve d'imagination dans la conception d’activités constructives, afin qu'elles puissent assurer la pleine participation des détenus à un coût raisonnable. Comme déjà noté, la plupart des prisons disposent de vastes terrains qui pourraient être utilisés à des fins agricoles ou horticoles. Il existe aussi des débouchés immédiats représentant un volume considérable de travail ordinaire dans le cadre du nettoyage du désordre créé par les émeutes. L’organisation d’activités sportives, ludiques et culturelles peut également compléter les activités éducatives à tous les niveaux. Le personnel est à juste titre fier des quelques prisonniers candidats au baccalauréat, mais le nombre de ceux capables d’accéder à ce niveau est susceptible de rester limité. L’initiation à la lecture et au calcul de base sont des priorités dans de nombreux pays, mais les cours en informatique et l’apprentissage des langues sont également très demandés parmi les prisonniers. Il est possible de s’appuyer sur l'expérience des Centres de Rééducation pour jeunes délinquants en Tunisie pour fournir des informations sur ce qui serait convenable au niveau local. Enfin, il faut également penser à introduire des programmes destinés à aider les personnes incarcérées à aborder les problèmes qui les ont initialement conduits à commettre leurs délits. Le but principal des activités constructives est d’occuper les détenus et d’améliorer le système de contrôle; si cela permet également de réduire le risque de récidive, ce serait un bonus. Recommandation n°1: Développer des programmes d’activités constructives pour les prisonniers, y compris le travail, l’éducation, les sports, les activités culturelles et les programmes de lutte contre le comportement délictueux, en vue d'offrir un minimum de huit heures d'activités structurées par jour pour chaque prisonnier.

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6. Le contrôle indépendant des prisons Nous avons été informés que la Tunisie a ratifié l'OPCAT. Il faudra pour cela que les autorités mettent en place un Mécanisme national de prévention afin de superviser les prisons et autres lieux de détention en 12 mois. Il n'existe aucune tradition d’accès des ONG ou de leur implication dans les prisons en Tunisie, le CICR étant le seul organe ayant régulièrement eu accès aux prisons avant le 14 janvier. Outre l'obligation de l’OPCAT, il y a beaucoup de bonnes raisons pour associer la société civile à la surveillance des prisons. Les prisons sont gérées au nom de la société, ce sont des lieux par essence fermés qui peuvent contrôler tous les aspects de la vie des prisonniers; les abus s'y développent facilement sans jamais être divulgués, et des modèles de société "alternatifs" peuvent émerger, ce qui rend à terme les prisonniers inadaptés et incapables de reprendre leur rôle en tant que membres productifs de la société une fois libérés. Tout ce qui peut être fait pour "normaliser" les conditions de vie en milieu carcéral devrait être encouragé. Impliquer le monde extérieur est un instrument essentiel à la réalisation de cet objectif. Il a été porté à notre connaissance une augmentation de l'activité des ONG dans le pays depuis le 14 janvier. Celles qui se proposent de travailler en milieu carcéral ont besoin de formation pour garantir une bonne compréhension des spécificités de cet environnement, et pour qu’elles fassent des recommandations pertinentes et raisonnables dans le cadre de leur travail. Recommandation n°1: Mettre en œuvre un programme de formation pour les ONG travaillant dans les prisons, et faciliter leur accès au lieu de détention. 7. Les centres de rééducation Nous avons eu l'occasion de visiter un centre de rééducation pour des détenus placés en détention préventive, ou condamnés et âgés de 13 à 18 ans. Le centre a une capacité d'hébergement de 150 personnes et une population réelle de 50 au moment de notre visite. Ainsi, la situation est nettement différente de celle des prisons. Il est cependant important de mentionner que, même si le centre n'a jamais dépassé le nombre de 60 prisonniers durant la période récente, les deux dortoirs disposent malgré tout de 150 lits. Ils sont par conséquent surpeuplés, il y manque un lieu sûr pour ranger les objets personnels et toute autre forme d'espace individuel. La suppression des lits supplémentaires permettrait de créer un environnement nettement plus agréable. L'élément le plus important de cette visite reste néanmoins le caractère conscient des autorités de la nécessité de produire des programmes d'activités complets pour les jeunes détenus, ce qu'elles étaient en mesure de faire. Recommandation n°1: Développer au sein des prisons pour adultes une prise de conscience de l'importance des programmes d'activités, similaire à ce qui a été constaté dans le centre de rééducation.

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8. L'Ecole Nationale des Prisons et de la Rééducation Par ailleurs, il est clair que les autorités reconnaissent la nécessité d'une bonne formation initiale et continue du personnel travaillant en milieu carcéral. Lors de notre visite de l'école, il nous a été donné à voir un centre bien équipé et géré avec enthousiasme, ainsi qu'un exposé exhaustif sur la formation offerte au personnel. Celle-ci comprend des modules sur les droits de l’Homme et les compétences interpersonnelles, mais la formation initiale reste inévitablement dominée par l'entraînement physique et les compétences en matière d'armes à feu. L'atmosphère était plutôt militariste, même si le système carcéral dépend depuis un certain temps du Ministère de la Justice. Les officiers supérieurs font une partie de leur formation à l'académie militaire, et une partie des ressources de l'école sont partagées avec la police. Recommandation n°1: Distinguer le personnel pénitentiaire de l'armée, ce qui pourrait se traduire par des formations séparées et, éventuellement, par un nouvel uniforme qui serait clairement civil. Ceci est un objectif à plus long terme.

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ANNEXE I: Programme des visites pendant la Mission 1 et 2 UNION EUROPEENNE DELEGATION EN TUNISIE Programme de Mission D'évaluation/Diagnostic dans le Domaine de la Justice en Tunisie Du 6 au 11 juin 2011

Lundi 6 juin 2011 09.00-10.00:

Réunion à la Délégation de l'UE (Mr. Groepper, Mr. Johnson, Régis Méritan, Rajeh Khemiri, Mari-Hélène Enderlin)

10.15:

Départ de la DUE

11.00 - 13.00: Réunion au Siège du Ministère de la Justice, Direction Générale des Affaires Pénales ( Mr. Johnson, + interprètes) 11.00 - 15.30:

Tribunal Administratif ( Mr. Groepper, MH Enderlin)

14.00 – 15.30: Réunion au siège du Ministère de la Justice, Direction des Affaires Civiles/Commissions mixtes, (Mr. Johnson + interprète) 16.00 - 17.30: Réunion au Centre d'Etudes Juridiques et Judiciaires (Mr. Groepper et Mr. Johnson, MH Enderlin +interprète

Mardi 7 juin 2011 09.00:

Départ de l'Hôtel

09.30 – 12. 30: Réunion à l'Institut Supérieur de la Magistrature (Mr. Groepper, MH Enderlin) 9.30 - 12.30:

Réunion au siège du Ministère de la Justice, Direction de la Coopération, Internationale, Direction des affaires Judiciaires (Mr. Johnson, interprète)

14.00 – 16.30: Service d'entraide judiciaire, Mr. Askri, chargé de mission au Cabinet du Ministre (Mr. Johnson, Mr. Groepper, MH Enderlin + interprète)

Mercredi 8 juin 2011 08.30:

Départ de l'Hôtel

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9.00-10.00:

Réunion générale au siège du Ministère de la Justice, Cabinet du Ministre (Ministre ou Secrétaire d'Etat/Procureur Général) et le chef de Cabinet, (Mr. Johnson, Mr. Groepper, Mr. MacManus, Mr. Beney, Régis Méritan, MH Enderlin + interprètes)

10.00 - 11.30: Réunion à la Mr. Le Procureur Général, Directeur des services judiciaires et ses collaborateurs (affaires pénales, civiles, judiciaires) (Mr. Beney + Mr. Groepper, MH Enderlin) 10.30 - 12.30: Ecole Nationale des Prisons et de la Rééducation (Mr. McManus, Mr. Johnson, + interprètes) 11.45- 13.00: Réunion avec l'Inspecteur Général (magistrat) et ses collègues (Mr. Beney, Mr. Groepper, MH Enderlin ) 14.15 - 16.30: Réunion à la Direction Générale des Services Communs, gestion des ressources humaines (Mr. Beney, Mr. Groepper, MH Enderlin ) 14.00 - 16.30 Réunion à la Direction Générale des Prisons et de la Rééducation (Mr. McManus, Mr. Johnson, + interprète) 17.00 - 18.00: Réunion à la Délégation de l'UE avec la mission PNUD (A. Cappellani, R. Meritan, F. Millecam, M. Mouchiroud, JA Villa, D. Buda) et Mr. McManus, Mr. Johnson, Mr. Groepper, MH Enderlin + interprètes)

Jeudi 9 juin 2011 09.00:

Départ de l'Hôtel

9.30 – 13.00: Visite au Tribunal de Première Instance de Tunis et la Cour d'Appel (division des groupes Coopération judicaire et réunion Procureur/discussion police judicaire), Mr. Groepper, Mr. Johnson, Mr. Beney, MH Enderlin) 9.30 - 13.00: Visite des Prisons à Bizerte (Mr. McManus, R. Khemiri + interprètes) 14.00 - 16.30: Visite à la Prison de Mornag (Mr. McManus, Mr. Johnson, Mr. Beney, MH Enderlin + interprètes) 15.00 – 17.30: Tribunal Immobilier, (Mr. Groepper) 17.00 - 18.00: Débriefing de la mission avec S.E.M. Koetsenruijter, R. Meritan, F. Millecam, M. Mouchiroud, JA Villa, D. Buda, Mr. McManus, Mr. Johnson, Mr. Groepper, MH Enderlin)

Vendredi 10 juin

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08.30:

Départ de l'Hôtel

9.00 – 10.00: Visite de la Cour de Cassation: (Mr. Johnson, Mr. Groepper, Mr. MacManus, Mr. Beney, MH Enderlin + interprètes) 10.30 - 13.00: Visite d'un Centre de Rééducation (Gammarth) (Mr. Johnson, Mr. Groepper, Mr. MacManus, Mr. Beney, MH Enderlin + interprètes) 14.00-15.00: Réunion avec le CICR 15.30 – 17.00: Réunion avec la Sous-commission Justice (voiture DUE) Samedi 11 juin 2011 08.30:

Départ de l'Hôtel

9.00-10.00:

Réunion Débriefing au Siège du Ministère de la Justice avec le Procureur Général, chef des services judiciaires et les autres personnes rencontrées, (Mr. Groepper, Mr. Beney, Mr. McManus, Johnson, MH Enderlin + interprètes)

10.30 – 12.30: Réunion à la DUE: Société civile, LTDH, CNLT, AISPP. (Mr. Groepper, Mr. Beney, Mr. McManus, Johnson, MH Enderlin + interprètes) Fin de la mission

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UNION EUROPEENNE DELEGATION EN TUNISIE Programme de Mission d'évaluation/diagnostic dans le Domaine de la Justice en Tunisie Du 27 Juin au 1er Juillet 2011

Lundi 27 juin 2011 Départ de l'hôtel à 8.45h (à pied vers la DUE) 09.00-10.45:

Réunion à la Délégation de l'UE-Briefing (tous les experts+ DEU, D. Buda, R. Méritan, Marie-Hélène Enderlin, D. Sikorska)

11.00:

Départ de la DUE

11.30 - 12.45: Réunion de briefing avec le Chef de cabinet du Ministre de la Justice et les Directeurs généraux (tous les experts + DUE + interprète) Pause déjeuner 14:00 - 16.00: Réunion au Ministère de la Justice, Sous Direction des affaires judiciaires incluant le Conseil supérieur de la magistrature (Mme Verdun, Mr Perilli + interprète) 14:00 - 16.00: Réunion au Ministère de la Justice, Sous Direction des auxiliaires de justice (Mr. Weiss, Mr. Forest) 16.15 – 17.45: Réunion au Ministère de la Justice, Coordinateur des droits de l’homme, (tous les experts + DUE + interprète)

Mardi 28 juin 2011 08.30:

Départ de l'hôtel

09.00 – 10.30: Réunion à l'Institut Supérieur de la Magistrature (ISM) (Mme Zeitler , Mr. Perilli + interprète) 09.00 – 10.30: Réunion à l'Institut Supérieur de la profession d’avocat (ISPA) (MH Enderlin, Mr. Weiss, Mr. Forest) 09.00 – 10.30: Réunion au Ministère de la Justice, (Direction des services communs, Inspecteur général, Directeur informatique (Mme Verdun)

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11.00 - 12.30: TPI – Tunis (greffier en chef) (Mme Verdun et Mr. Perilli+interprète) Pause déjeuner 14.00-15.30:

Réunion avec la Conseil National des Huissiers (Mr. Weiss, Mr. Forest)

14.00-15.30:

Visite de l’Association des magistrats Tunisiens (AMT) (Mme Verdun et Mr. Perilli, MH Enderlin, Mme Zeitler)

15.00-16.30:

Visite de l’Ordre des avocats au Palais de Justice. (MH Enderlin, Mme Zeitler, Mr. Weiss, Mr. Forest)

17.00-18.30:

Commission d'établissement des faits sur les affaires de corruption et de malversations (tous les experts + DUE+ interprète)

Mercredi 29 juin 2011 08.30:

Départ de l'hôtel (tous les experts + DUE =+ interprète) Visite de tribunaux (Grombalia-Nabeul) : -Tribunaux cantonaux, -Tribunal de 1ère instance, -Cour d’appel Visite d’un poste de police (police judiciaire, protection des mineurs, garde à vue) (RDV par le MPCI)

18.30:

Retour à l’hôtel

Jeudi 30 juin 2011 08.30:

Départ de l'hôtel

9.00-11.00:

Visite du Tribunal Militaire (tous les experts + DUE + interprète)

11.30-12.45:

Syndicat de la magistrature, à la DUE (Mme Zeitler , Mme Verdun, Mr. Perilli +interprète)

13.00-14.30:

Déjeuner avec M. Yahyaoui, H. Kedadi (tbc) (tous les experts + interprète)

14.30-15.45 : Réunion avec la Chambre des Notaires à la DUE

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(MH Enderlin, Mme Verdun, Mr. Weiss, Mr. Forest) 16.00-18.00 : Société civile: CNL, Fondation Seidel, IDLO, Ass. Réseau Anti-Corruption, Transparency First, etc. (à la DUE), (tous les experts + DUE + interprète)

Vendredi 1er Juillet 08.30:

Départ de l'hôtel

9.00 11.00:

Réunion Débriefing au Siège du Ministère de la Justice, (tous les experts + DUE + interprète)

11.30-13.00: Débriefing à la DUE (tous les experts + DUE)

Fin de la mission

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ANNEXE 2: Commentaires du Ministère de la Justice Observations du ministère de la justice à propos du Projet de Rapport Mission UE de diagnostic du système judiciaire et pénitentiaire 04/11/2011 Nous tenons à remercier les membres de la commission européenne pour leur coopération remarquable et pour ce projet de rapport " Mission UE de diagnostic du système judiciaire et pénitentiaire". Un rapport riche, intéressant et constructif. Nous tenons à remercier aussi les experts européens pour leur professionnalisme. Néanmoins, le ministère de la justice avance quelques observations: 1. Dans l’introduction générale de l’UE, il est mentionné ce qui suit :" il est urgent d’adopter des mesures pour crédibiliser le système judiciaire actuel". Nous suggérons l’utilisation du verbe "développer" au lieu du verbe "crédibiliser". 2. La justice administrative ne relève pas de la compétence du ministère de la justice. Car en droit tunisien, il ya deux ordres de juridictions : l’ordre judiciaire (justice civile et justice pénale) et l’ordre administratif. Le tribunal administratif relève de la tutelle du premier ministère. 3. La mise en place d’un statut rénové des magistrats et de leur conseil supérieur a été réalisée après la révolution du 14 janvier 2011. Ce nouveau statut répond aux normes et exigences existantes en la matière où l’élection est érigée en principe dans tout ce qui est accès en tant que membre au conseil supérieur de la magistrature ce qui permet de confier la gestion de la carrière des juges dans ces différentes phases et évolution à leurs pairs. L’attachement du pouvoir judicaire à l’exécutif est de la sorte rompu. Le nouveau projet de statut consacre aussi le principe de l’inamovibilité du juge avec certains aménagements à même d’assurer le bon fonctionnement du service judiciaire. 4. La fonction de juge pour enfant est consacrée dans notre système, principalement dans le code tunisien de la protection de l’enfant (articles 73-75-79-81-82-83…). Bien plus, l’article 81 de ce code proclame que :" Les magistrats composant les juridictions pour enfants, qu’ils soient magistrats du parquet ou juges d’instruction ou de siège, doivent être spécialisés dans le domaine de l’enfance". 5. Le décret-loi consacrant le principe de double degré de juridiction en matière militaire a été promulgué le 29 juillet 2011.

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6. La question du contrôle de la constitutionnalité des lois a été réservée à la nouvelle constitution. Et les avis sont partagés: ou bien on va opter pour le contrôle préventif (conseil constitutionnel) ou bien on va choisir le contrôle a postériori (cour constitutionnelle). 7. En droit tunisien, l’avocat peut assister son client pendant la garde à vue. En effet, le prévenu doit être informé qu’il est de son droit de se faire assister par l’avocat de son choix dans les locaux de la police pendant la commission rogatoire ; mention en est faite au procès- verbal. L’avocat est habilité à prendre connaissance au préalable des actes de la procédure (loi n °2007-17 du 22 mars 2007). 8. Contrairement à ce qui a été mentionné concernant la garde à vue, le délai est de 3 jours et peut être prolongé une seule fois pour la même période sur décision motivée du parquet (loi n 2008-21 du 4/3/2008). Conformément à l'article 13 bis du code de procédure pénale, il est obligatoire d'informer le procureur de la république et la famille. La personne gardée à vue peut demander d'être soumise à un examen médical. Un registre spécial côté et signé par le procureur est tenu par les postes où s'opère la garde à vue. 9. Le chiffre des affaires civiles est de 346286 affaires et non 1.800.000. Aussi, le chiffre 687.000 affaires pénales mentionné dans le rapport est inexistant. 10. Chaque juge est en charge de 1701 affaires par an pour le tribunal de première instance de Tunis. 11. La participation du ministère public n'est pas toujours obligatoire en matière civile sauf devant la cour de cassation (article 251 du code de procédure civile et commerciale) 12. La police judiciaire devrait être placée sous la direction du parquet. Une étude sur la question est en cours. 13. Le projet de rapport cite la possibilité donnée au ministère de la justice de donner des instructions de classement d’un dossier. Cette possibilité n’existe pas dans les textes. 14. La formation des magistrats en Tunisie est à la fois théorique et pratique. Les auditeurs de justice reçoivent un enseignement théorique spécial et des travaux pratiques au sein de l’institut supérieur de la magistrature. Mieux encore, la deuxième phase de formation est consacrée à la formation pratique par le moyen de stages à l’intérieur des tribunaux. Ainsi, le côté pratique de l’enseignement du futur magistrat se traduit par des simulations. Aussi, les auditeurs s’entrainent à interroger et requérir : ils passent de service en service, siégeront aux audiences, occuperont le siège du ministère public, instruiront dans les cabinets d’instruction et rédigeront des jugements. Cette deuxième phase de formation est suivie d’un stage dit "extérieur ": banques, entreprises.. 15. Il a été recommandé dans le projet de rapport que la désignation des magistrats instructeurs ne peut relever du procureur de la République, et que le juge d’instruction ne peut être désigné que par un autre juge, en l’espèce le président du tribunal auquel il appartient. Ce qui est logique et

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équitable. Ainsi, puisqu’il s’agit d’une recommandation pertinente les textes législatifs vont être modifiés dans ce sens. 16. Contrairement à ce qui a été mentionné dans le rapport, les honoraires des huissiers ne s’échelonnent pas entre 12 et 18 dinars, mais il ya un tarif bien déterminé pour chaque opération. 17. Le projet de rapport a cité le mécanisme du bracelet électronique comme mesure ou peine substitutive à la prison alors que le droit positif ne connaît pas encore ce mécanisme et ne le réglemente pas. 18. Le nombre des prisons initialement conçues pour être des établissements pénitentiaires est de 8 au moins et non de deux.

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ANNEXE 3: Commentaires de l'Ordre des avocats Observations de l'ordre des avocats à propos du Projet de Rapport Mission UE de diagnostic du système judiciaire et pénitentiaire 01/12/2011 Le projet de rapport relatif au diagnostic du système judicaire et pénitentiaire rédigé par la Mission de l’Union Européenne en date du 20 septembre 2011 avait pour ambition de dresser un état des lieux du système judicaire en Tunisie, de procéder à son analyse objective en vue d’identifier les dysfonctionnements et leurs sources et enfin de proposer des solutions de nature à les corriger. Bien entendu toute analyse ne peut être pertinente et toute proposition de solution ne peut être efficiente que si le relevé de l’état des lieux est objectif. Or le rapport rédigé par la Commission comporte nombre d’inexactitudes matérielles vérifiables, de nature à affecter le travail d’analyse et à altérer les solutions proposées pour corriger le système. Les inexactitudes les plus flagrantes sont répertoriées ci-dessous : 1. Le nombre d’avocats est de 7944 , répartis entre : ƒ 3130 avocats stagiaires (3éme section de la 1ère partie du tableau); ƒ 3035 avocats à la Cour d’appel (2éme section de la 1ère partie du tableau); ƒ 1779 avocats à la Cour de Cassation ( 1ère section de la 1ère partie du tableau); ƒ 1043 avocats en situation de non-exercice (2éme partie du tableau) ; ƒ 143 avocats à la retraite et avocats honoraires (3éme partie du tableau). 2. Les particularités de ce système permettent d’assurer l’unité de statut entre l’ensemble des avocats tunisiens et donnent au Conseil de l’Ordre et à son bâtonnier, seuls interlocuteurs des autorités publiques au niveau national, une autorité morale particulière. 3. Ces élections sont assurées dans des conditions de transparence : aucune loyauté vis-à-vis d’une autorité quelconque n’est exigée, de fait ou de droit. Ce conseil est, en outre présidé par le directeur de l’Institut, nommé par décret. 4. Concernant le chapitre de la formation continue, le Conseil de l’Ordre organise les conférences de stage et, en outre, des sessions de formation et de recyclage professionnels. L’ISPA est également appelé à organiser des sessions de formation continue et de recyclage. 5. Le contenu des deuxième et troisième paragraphe de la page 101 n’est pas conforme aux faits. Il n’existe aucun amalgame entre l’ISM et l’ISPA. Quant au Conseil de l’Ordre, nous rappelons qu’il a été à l’origine de la création de l’IPSA, qui correspond à un vœu formulé depuis de nombreuses années, mais qui n’a vu le jour que par la loi du 15 mai 2006. Le Conseil de l’Ordre n’a pas hésité à s’opposer fermement aux autorités de l’ancien régime sur la gestion de l’IPSA, affirmant à de nombreuses reprises sa primauté sur la gestion de l’Institut. La nouvelle loi du 20 août 2011 sur l’organisation de la profession d’avocat consacre cette primauté dans son article 4, tout en veillant à assurer un certain équilibre et à associer à sa gestion les diverses parties prenantes entre avocats, enseignants universitaires et magistrats, représentant autant de

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sensibilités et contribuant par la même à l’enrichissement des perspectives; les ministères de la Justice et de l’Enseignement supérieur sont également associés à cette gestion, et ont dans le Conseil scientifique quatre représentants sur un total de treize. 6. Il existe effectivement des difficultés pour les stagiaires à accéder à leurs émoluments lors des désignations en matière d’aide judiciaire. Néanmoins, les versements finissent toujours par être réalisés, même de façon aléatoire comme cela a été signalé. 7. La commission n’a pas un caractère juridictionnel et par conséquent, la constitution d’avocat devant cette commission n’aurait pas de sens. Les poursuites sont faites uniquement sur instruction du procureur de la république. L’avocat peut cependant intervenir auprès de la commission pour dénoncer des faits qui relèvent de la corruption ou de la malversation, à la requête de son client. Il intervient ensuite, conformément à la loi, dans toute procédure judiciaire en cours. 8. L'Ordre des avocats considère que la généralisation du ministère d’avocat devant toutes les juridictions et en toute matière constituerait un progrès et renforcerait sans nul doute le droit des accusés et des justiciables à se défendre. 9. Le décret-loi sur la profession d’avocat a été promulgué par la loi du 20 août 2011. Cette promulgation n’a été faite que lorsque le texte a été expurgé de tout ce qui pouvait gêner les autres professionnels de la justice ; notamment, les magistrats âgés à la retraite peuvent accéder à la profession d’avocat nonobstant toute considération d’âge. Les notaires inquiets par la contresignature de l’avocat sur l’acte qu’il rédige, prévue à l’origine par le projet de décret à l’instar de ce que prévoit la législation en France, ont également obtenu satisfaction puisque cette contresignature a été supprimée du décret. Les conseillers fiscaux ont également obtenu gain de cause car ils restent aptes à plaider les dossiers fiscaux de leur client dans les conditions déterminées par les lois antérieures au projet de décret. 10. Selon le décret-loi sur la profession d’avocat, ce dernier bénéficie de l’immunité pénale uniquement pour le contenu de ses conclusions et pour ses plaidoiries et ce en vertu de l’article 47 du décret. Contrairement aux craintes de l’UTICA, l’avocat n’est pas protégé en dehors de ces deux hypothèses; ainsi, en cas d’indélicatesse envers son client, il peut être poursuivi tant sur le plan pénal, pour abus de confiance, que sur le plan disciplinaire. Par ailleurs tout manquement de l’avocat à sa déontologie, même en cours de plaidoirie, peut l’exposer à des sanctions disciplinaires; ces sanctions peuvent être extrêmement lourdes car elles vont du simple avertissement à la radiation définitive, pour les faits les plus graves. Est-il besoin de rappeler que l’avocat reste soumis à des principes de déontologie très stricts. Quant à la popularité du décretloi parmi les avocats, rappelons que 3180 avocats ont participé au vote d’approbation du projet du Conseil de l’ordre ; ce projet avait recueilli l’assentiment de 2201 avocats, soit plus de 69 % des votants. Ces chiffres se passent de tout commentaire. 11. Si le décret-loi a prévu que des honoraires de résultat peuvent être convenus entre l’avocat et son client, il a fixé la limite supérieure de ces honoraires à 20 %, en cas de recouvrement principalement. Il ne s’agit donc pas d’une obligation car : ƒ ces honoraires peuvent consister en une somme convenue par les parties en dehors de toute considération de résultat; ƒ les honoraires de résultat et leur pourcentage sont nécessairement l’objet d’un accord entre l’avocat et son client : ils peuvent varier de 1 à 20% mais en aucun cas ils ne peuvent

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dépasser 20 %, même si les parties sont d’accord sur ce dépassement qui serait alors inopérant. 12. La question du coordinateur général des droits de l’homme n’est plus d’actualité. En outre, les rédacteurs du projet sont dans l’erreur quand ils écrivent « les efforts entrepris afin de former et sensibiliser les auxiliaires de justice aux droits de l’homme concernent pour l’essentiel des magistrats ». Cette fleur à l’adresse de l’ancien régime fait partie des erreurs d’appréciation très graves portées sur le système « BEN ALI » par les instances extérieures : aucun effort n’a jamais été réellement fait par le pouvoir et l’administration de BEN ALI pour la formation des auxiliaires de justice aux droits de l’homme. Les magistrats eux-mêmes n’ont jamais été sensibilisés aux droits de l’homme, si ce n’était pour être appelés à les combattre. 13. Ici, il convient de distinguer entre l’indemnité de stage et l’indemnité due au titre des commissions d’office. La première n’a pas un caractère obligatoire. Quant à l’indemnité pour commission d’office, elle est due non pas à titre mensuel mais pour chaque dossier et son montant est multiplié par le nombre de dossiers traités par l’avocat. C’est pour cela que, malgré sa relative modicité, il existe une certaine concurrence entre avocats stagiaires pour être commis d’office. Le Conseil de l’ordre appelle à la revalorisation de cette indemnité et appelle les conseils régionaux d’avocats à assurer une plus grande justice dans la désignation des avocats commis d’office, car cette désignation relève de leur compétence, et y ont droit tous les stagiaires, pour des raisons de formation certes, mais aussi pour des raisons financières car souvent ils sont matériellement démunis. L’aide juridictionnelle doit également être distinguée des commissions d’office. Les commissions d’office sont obligatoires en matière criminelle uniquement. L’aide juridictionnelle, en faveur des justiciables démunis, suppose de la part de ces derniers qu’ils la sollicitent. Elle intervient surtout en matière civile, où les avocats stagiaires, n’ont pas le droit de se constituer, sauf si l’affaire relève du tribunal cantonal. 14. Les avocats stagiaires ne reçoivent pas une indemnité mensuelle de 120,000 DTU /mois au titre des commissions d’office en raison de l’aide judiciaire.

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ANNEXE IV: Commentaires du Tribunal Militaire Le Decret-loi n° 69 et n°70 du 29 Juillet 2011, le premier portant réforme du Code de Justice Militaire, le second règlementant l'administration de la justice militaire et portant Statut Particulier des Magistrats Militaires sont entrés en vigueur le 16 septembre 2011. PREMIER AXE: Nouvelles garanties 1 - L'instauration pour la première fois en Tunisie, d'après l'indépendance, du double degré de juridiction dans le système pénal militaire. Tous les jugements rendus par les tribunaux militaires et les juges uniques, sont désormais susceptibles d'appel devant la Cour d'Appel militaire, et ce, aussi bien en matière correctionnelle que criminelle. 2 - La possibilité pour la victime de se constituer partie civile est, désormais, permise devant la justice militaire conformément aux règles et procédures prévues par le Code de Procédure Pénale. 3 - l’élargissement des possibilités de recours contre les arrêts du Juge d’Instruction militaire. En effet, tous les arrêts du Juge d’Instruction Militaire sont susceptibles d’appel par l’inculpé, la victime ou le parquet militaire dans les mêmes délais et procédures que pour le Juge d’instruction judicaire. 4 - l’adoption des mêmes délais de recours appliqués devant les tribunaux de l’ordre judicaire. 5 - la limitation de la compétence de la justice militaire envers les civils et l’adoption d’une compétence exclusive pour les militaires. 6 - Le classement de l’affaire par le Procureur de la République près le tribunal militaire permanent de première instance ne fait pas obstacle au droit qu’a la partie lésée de mettre en mouvement l’action publique sous sa propre responsabilité.

DEUXIEMME AXE: La consécration de l'indépendance de la justice militaire: 1 - l’établissement de l’indépendance de la justice militaire vis-à-vis du Ministre de la Défense Nationale et des autorités militaires, en éliminant l'exigence de l'ordre d'informer avant d'entamer les poursuites pénales. 2 - Les magistrats militaires sont indépendants des chefs militaires dans l’exercice de leurs fonctions et ne sont soumis qu’à la suprématie de la loi. 3 - Les magistrats militaires sont protégés contre les menaces et les attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent faire l’objet dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions. L’Etat répare tout préjudice direct qui en résulte dans tous les cas non prévus par la législation des pensions.

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4 - l’instauration pour la première fois dans l’histoire de la justice militaire Tunisienne d’un Conseil de Magistrature Militaire, qui doit veiller à la sauvegarde de l’indépendance de la justice militaire, en ce sens que: * Aucun magistrat ne peut être, sans l’autorisation préalable du Conseil, poursuivi ou gardé à vue pour crime ou délit. Toutefois, s’il y a flagrant délit, il peut être procédé à son arrestation. Dans ce cas, le conseil de la magistrature militaire en est informé sans délai. * Le Conseil de la Magistrature Militaire nomme également les auditeurs militaires de justice dans leur poste de travail. Il décide de l’avancement, des mutations et des sanctions disciplinaires des magistrats militaires. De plus, il examine les demandes de démission et de levée de l’immunité et se charge de tout ce qui est en rapport avec les fonctions des magistrats militaires d’une façon générale. * Le Conseil peut être consulté sur les questions touchant le fonctionnement des organes judiciaires militaires et les moyens de leur mise à niveau. * La promotion des magistrats militaires aux différents grades est faite par le Conseil de la Magistrature militaire conformément aux conditions fixées au Statut Particulier des Militaires. * Le Conseil de la Magistrature militaire dresse annuellement un tableau d’avancement des magistrats militaires. 5 - A l’audience ainsi qu’aux cérémonies officielles, les magistrats militaires portent une tenue spéciale. Il s’agit d’une toge similaire à celle portée par les magistrats de l’ordre judiciaire, mais présentant quelques spécificités. 6 - Les tribunaux militaires ne comportent plus dans leur composition des officiers appartenant aux unités et services militaires. Ils sont composés uniquement de magistrats militaires quelque soit le grade du prévenu. 7 - L’abolition de la possibilité pour l’autorité militaire de recourir à la suspension de l’exécution de la peine. Certes, cette réforme va changer notablement la justice militaire d’un appareil judicaire souvent critiqué pour ses règles exorbitantes et dérogatoires au droit commun et qualifiées pour cette raison de justice d'exception, à une justice spécialisée dans le domaine militaire, faisant partie du système pénal national, en consacrant toutes les garanties du procès équitable appliquées par les juridictions de droit commun, bien que organiquement il relève du Ministère de la Défense Nationale, vue la spécificité de la vie militaire, la spécialisation et la formation militaire des ses Juges en plus bien sûr de leurs formation juridique. L’Indépendance des magistrats militaires est désormais garantie par la loi et protégée par l’instauration d’un conseil de la magistrature militaire composé essentiellement de magistrats militaires et de magistrats de l’ordre judicaire détachés auprès des tribunaux militaires. L’application de cette nouvelle réforme apportera certainement la preuve que la légitimité de l’existence de la justice militaire dans le système judiciaire pénal national n’est plus mise en cause tant que les règles de droit qui la régissent sont conformes aux standards internationaux du procès équitable et respectent les droits de l’homme.

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