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Selon une nouvelle étude, 53 % des proches d'un patient dans un état critique ont un pronostic différent de celui du médecin. ... les études, le désir des grands malades d'avoir recours de manière prolongée au maintien des .... Par ailleurs, la communication avec les familles est souvent, de nos jours, une affaire d'équipe.
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PATIENTS DANS UN ÉTAT CRITIQUE QUAND LE PRONOSTIC DES MÉDECINS ET DES PROCHES DIVERGE Selon une nouvelle étude, 53 % des proches d’un patient dans un état critique ont un pronostic différent de celui du médecin. Beaucoup, cependant, se trompent sur l’évaluation que fait le clinicien des chances de survie du malade.

Emmanuèle Garnier

Photo : Mathieu Turcotte/CIUSSS de l’Estrie – CHUS

dance entre le pronostic des médecins et celui des familles et comprendre les facteurs en jeu. Les résultats, publiés dans le Journal of the American Med­ i­cal Association (JAMA), révèlent que 53 % des proches avaient un pronostic différent de celui du médecin (tableau)1 c’est-à-dire qu’il y avait un écart d’au moins 20 % entre leur évaluation et celle du clinicien concernant le risque de décès du patient. Ce seuil de 20 % n’est pas aléatoire. En effet, selon les études, le désir des grands malades d’avoir recours de manière prolongée au maintien des fonctions vitales chute substantiellement quand le pronostic se détériore de 20 %.

Dr Yannick Poulin

Dans une unité de soins intensifs de San Francisco, un pa­ tient est sous respirateur artificiel depuis cinq jours. Son risque de mourir est d’approximativement 40 % selon le score APACHE II (Acute Physiology and Chronic Health Evaluation). Il n’est pas en état de prendre de décision.

Les données révèlent par ailleurs de graves malentendus en ce qui concerne le pronostic que les familles attribuaient au médecin. Ainsi, parmi les proches dont l’évaluation des chances de survie du malade était différente de celle du clinicien, 84 % se trompaient sur le pronostic de celui-ci.

L’OPTIMISME DES PROCHES Les chercheurs, en plus de poser des questions aux proches sur les pronostics, ont fait des entrevues semi-structurées avec certains pour approfondir leurs réponses.

Des chercheurs demandent au médecin traitant quelles sont Parmi les 156 proches interrogés, 71 avaient un pronostic plus les probabilités que ce patient survive sur une échelle de 0 % optimiste que celui qu’ils attribuaient au médecin. Presque la à 100 %. Immédiatement après, ils posent la même question moitié pensait que le fait d’être optimiste était bénéfique pour le patient ou leur permettrait de se proaux membres de la famille chargés de décider pour le malade. Les chercheurs téger de la détresse psychologique. « Je demandent également à ces derniers crois vraiment dans les bonnes vibraParmi les proches dont quelle est, d’après eux, l’évaluation du tions », a affirmé l’un des interviewés. l’évaluation des chances médecin concernant les chances de Un autre expliquait : « On m’a dit de toude survie du malade était survie du patient. jours penser de manière positive. Donc, différente du médecin, j’essaie un peu de me sentir mieux. » 84 % se trompaient Cet exercice a été fait pour 174 patients Plusieurs croyaient que le patient avait sur le pronostic du clinicien. dans un état critique hospitalisés des forces uniques qu’ignorait le clini­ dans quatre unités de soins intensifs cien : « Je sais que mon frère est combatif de l’Université de Californie entre 2005 et 2009. En tout, et je le connais mieux que le médecin ». L’optimisme de cer99 médecins et 229 proches ont été interrogés. Les cher- tains était fondé sur la religion : « Je crois vraiment que le fait cheurs, le Dr Douglas White, de l’Université de Pittsburgh, et que quelqu’un vive ou non dépend de Dieu. » son équipe désiraient déterminer la fréquence de la discor-

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Le Médecin du Québec, volume 51, numéro 10, octobre 2016

D O S S I E R

TABLEAU

S P É C I A L

//

PRINCIPALES DONNÉES DE L’ÉTUDE

Participants de l’étude

Nombre

Patients

174

Proches

229

Médecins

99

Proportion

Résultats Discordance du pronostic du médecin et du proche

122/229

53 %

Proche plus optimiste que le médecin

98/229

43 %

Proche plus pessimiste que le médecin

24/229

10 %

Mauvaise compréhension (non exclusivement)

103/122

84 %

Différence de vision (non exclusivement)

72/122

59 %

Mauvaise compréhension + différence de vision

65/229

28 %

Mauvaise compréhension (exclusivement)

38/229

17 %

h

Différence de vision (exclusivement)

7/229

3 %

Cas où les données étaient manquantes

12

h

h

Raisons de la discordance Données des 122 proches ayant une discordance h

h

Données de l’ensemble des proches h

h

Dix pour cent des proches avaient, au contraire, un regard sur la situation plus sombre que celui qu’ils prêtaient au médecin. La plupart estimaient que le clinicien était intrinsèquement optimiste. Certains pensaient qu’il ignorait certaines caractéristiques du patient comme la perte de sa volonté de vivre ou son mauvais état physique initial. D’autres, encore, croyaient que l’investissement émotif du médecin auprès du patient obscurcissait son jugement ; ils devaient donc être pessimistes pour se préparer à la mort possible du malade. À la fin de l’étude, 75 des 174 patients étaient décédés, soit 43 %. Qui des médecins ou des familles avaient eu les meilleurs pronostics ? L’évaluation des proches était plus exacte

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que s’ils avaient fait un choix au hasard, mais l’estimation du praticien était significativement meilleure que la leur (83 % contre 74 %).

DIALOGUER AVEC LES FAMILLES La différence de pronostic entre médecin et famille est fré­quente, estime le Dr Yannick Poulin, pneumologue et in­tensiviste au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie-Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. « Notre travail est de le voir. Cela se fait en s’asseyant avec les familles, en discutant fréquemment avec elles, en étant très présent et en leur donnant souvent des nouvelles. »

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À l’Hôpital Saint-Louis, à Paris, le Dr Élie Azoulay, qui signe avec deux collègues l’éditorial du JAMA2, propose de commencer la discussion avec la famille par des questions telles que : « Que comprenez-vous des résultats attendus par l’équipe soignante ? » ou « Que vous a dit l’équipe soignante sur ses attentes ? »

est beaucoup plus grave que ce qu’on pensait au départ. Je trouve néanmoins très important de ne pas arriver dès le début comme un bulldozer et de ne pas assommer les pro­ ches avec une mauvaise nouvelle. » Par ailleurs, la communication avec les familles est souvent, de nos jours, une affaire d’équipe. Selon le Dr Azoulay et ses collaborateurs, pour une communication optimale, tous les cliniciens et autres professionnels de la santé qui s’occupent du patient doivent s’entendre pour transmettre un message unique et cohérent aux proches.

Le Dr Poulin, qui pratique à l’Hôpital Fleurimont et à l’HôtelDieu de Sherbrooke, est d’accord avec les éditorialistes. « C’est toujours bon également de commencer une conversation avec les familles en cherchant à savoir où elles en sont dans leur cheminement. Il faut aussi terminer la conversation en demandant : “Qu’est-ce que vous avez compris de tout cela ?” « Je serais curieux de refaire l’étude avec l’approche multiIl faut poser la question pour être certain que les pro­ches disciplinaire que l’on a maintenant, mentionne pour sa part le Dr Poulin, également professeur adjoint ont bien saisi et n’ont pas arrêté d’écouà l’Université de Sherbrooke. Au cours ter ou de comprendre après une phrase des cinq à dix dernières années, beauque l’on a dite. » Parce que des éléments « C’est toujours bon de émotifs peuvent créer une interférence. coup de changements ont été apportés commencer une conversation « Quand on apprend une mauvaise dans les différentes unités de soins avec les familles en cherchant nouvelle aux proches, ils ont ten­dance in­ten­sifs concernant la communication à savoir où elles en sont dans – comme nous tous – à moins écouavec les familles. Je crois que le contact leur cheminement. » avec l’équipe multidisciplinaire plutôt ter et à moins bien comprendre. De – Dr Yannick Poulin qu’uniquement avec l’intensiviste qui, ma­nière générale, quand vous donnez auparavant, rencontrait seul les familles plu­sieurs informations, les personnes changerait beaucoup les résultats. Avec ne retiennent souvent que le début. Il faut donc revenir, rediscuter et voir où les familles en sont. l’approche multidisciplinaire, on dit tous la même chose au Quand on se rend compte qu’elles n’ont pas tout compris de patient. C’est la particularité d’une équipe. Tout le monde a l’état du patient, on doit répéter, revoir la situation avec elles. » des idées différentes, mais le message final est commun. » Parfois, cependant, la divergence de pronostic tient non pas à une mauvaise compréhension de l’évaluation du médecin, mais à la manière différente de voir des proches. Dans l’étude, presque 60 % des cas de désaccord entre le pronostic du proche et celui du médecin s’expliquaient au moins partiellement ainsi. « Nos données semblent indiquer qu’il est nécessaire non seulement d’intervenir pour rendre les informations sur le pronostic plus compréhensibles, mais aussi de s’occuper des facteurs émotifs et psychologiques qui influencent les attentes des proches concernant le pronostic », indiquent les chercheurs.

UN MESSAGE D’ÉQUIPE Le Dr White et ses collaborateurs estiment que les cliniciens devraient de manière automatique vérifier auprès des proches leur perception du pronostic avant de discuter du but des soins. Un optimisme démesuré chez les familles, indiquent-ils, comporte un risque : la surutilisation de traitements effractifs chez des patients mourants et la sous-utilisation des soins palliatifs.

FAIRE CHEMINER LES FAMILLES Le rôle du médecin n’est ainsi pas uniquement de relayer l’information. Il doit « optimiser la capacité des proches qui prendront les décisions pour le patient d’écouter, d’absorber, d’intégrer et d’utiliser les informations, dont celles concernant le pronostic des cliniciens », soulignent le Dr Azoulay et ses collègues. Il faut prendre le temps d’accompagner les familles, estime pour sa part le Dr Poulin. « Quand j’ai commencé à pratiquer, ma mère m’a dit : “Il faut toujours garder à l’esprit que le médecin ne se souviendra pas de façon très précise de toutes les familles ni de tous les patients qu’il a perdu dans sa carrière. Mais les familles, elles, vont toujours se souvenir de lui. Elles n’oublient jamais le médecin qui leur a annoncé qu’il n’y avait plus rien à faire”. Garder cela en tête nous ramène au fait que même quand on est pressé, même quand on est fatigué, il faut toujours prendre le temps d’aider les familles à cheminer. » //

BIBLIOGRAPHIE Le Dr Poulin contourne cette difficulté par le dialogue. « On peut facilement percevoir si les proches sont prêts à recevoir une mauvaise nouvelle. Lorsqu’ils ne le sont pas encore, il faut les faire cheminer. C’est souvent le travail que l’on a à faire : leur montrer que finalement le problème de santé du patient

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Le Médecin du Québec, volume 51, numéro 10, octobre 2016

1. White DB, Ernecoff N, Buddadhumaruk P et coll. Prevalence of and factors related to discordance about prognosis between physicians and surrogate decision makers of critically ill patients. JAMA 2016 ; 315 (19) : 2086-94. 2. Azoulay E, Kentish-Barnes N, Nelson JE. Communication with family caregivers in the intensive care unit: answers and questions. JAMA 2016 ; 315 (19) : 2075-7.