Pas de malaise sur le ring

faire mordre le tatami aux clichés les plus tenaces. Le poing levé dévoilant ses ongles vernis, le drapeau malaisien sur les épaules, Ann Osman célébrait le 31 ... peut-être pas la parfaite musulmane mais je travaille dur pour ma passion, c'est ce que m'a appris ma religion », assène la croyante à ses détrac- teurs, tout en ...
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— le monde est à eux

Illustration par Alexandre Korobov

violente où l’on se roule par terre à l’intérieur d’une cage grillagée, mais aussi un sport tactique mobilisant différentes techniques de combat. « Ce match signifie encore beaucoup pour moi, je l’ai emporté face à une ancienne championne de boxe  », sourit aujourd’hui Ann Osman, avant d’ajouter, fière du symbole : « C’était aussi le jour de la fête de l’indépendance malaisienne. » Dans son pays, cette petite brune de 28 ans fait figure de pionnière. Avant elle, aucune Malaisienne n’avait jamais combattu sur le circuit professionnel du MMA.

Pas de malaise sur le ring par Grégoire Belhoste

Première Malaisienne combattante professionnelle de MMA, Ann Osman incarne aujourd’hui un modèle pour de nombreuses femmes de son pays. De quoi faire mordre le tatami aux clichés les plus tenaces. Le poing levé dévoilant ses ongles vernis, le drapeau malaisien sur les épaules, Ann Osman célébrait le 31 août dernier sa première victoire en MMA au terme de trois rounds intenses contre l’Américaine Ana Julaton. Soumission, clés de bras et crochets à tout-va, cette joute venait d’offrir aux 5 000 spectateurs réunis au World Trade Centre de Dubaï un bel aperçu de ce que peuvent être les Arts Martiaux Mixtes, une discipline 16

Contre les kilos et les clichés Tout a commencé à cause de quelques kilos en trop. La vingtaine passée, Osman décide un jour de s’inscrire à un cours de fitness pour retrouver la ligne. Ancien rugbyman de l’équipe nationale, son coach enseigne également la boxe thaïlandaise et le MMA. « Je n’avais jamais fait de karaté, je n’avais jamais pratiqué aucun sport de combat… Mais je me suis dit :  “Pourquoi ne pas essayer ?” , se souvient aujourd’hui la jeune femme. J’aimais l’idée d’apprendre à me défendre tout en faisant du sport. » À peine deux mois après son initiation au MMA, elle pénètre dans la cage pour son premier combat amateur et prend une raclée. « Ce jour-là, mon entraîneur a découvert malgré tout que j’avais un vrai fighting spirit, je ne lâchais rien. Il m’a baptisée Athena », raconte-elle. Ainsi, en 2013, c’est sous le haut patronage de la déesse grecque de la guerre que la jeune femme finit par intégrer le One FC, la principale fédération asiatique de MMA. Aujourd’hui, elle comptabilise trois combats professionnels, dont deux victoires. Avec le temps, les accrochages d’Athena revêtent parfois de nouvelles formes. Quand elle n’est pas sur le tatami, la combattante de confession musulmane esquive d’autres coups, moins réglementaires. « J’entends des commentaires négatifs disant que les femmes ne sont pas censées combattre, en particulier les musulmanes, qui devraient rester voilées… Je réponds : “Pourquoi voulez-vous arrêter quelqu’un qui fait ce qu’il aime ?” Je ne suis peut-être pas la parfaite musulmane

mais je travaille dur pour ma passion, c’est ce que m’a appris ma religion », assène la croyante à ses détracteurs, tout en assurant recevoir le soutien de ses proches. En Malaisie, un pays de 28 millions d’âmes en majorité musulmanes, les femmes sont rarement épargnées lorsque les intégristes se raidissent. Le pays n’est certes pas l’Arabie Saoudite ou l’Iran, mais le conservatisme religieux local a parfois des poussées de fièvre. Entre autres dérives, une poignée de fondamentalistes locaux décidaient en 2011 de lancer un club des « femmes obéissantes » prônant servilité et soumission comme ultime rempart au divorce. À la mode De son côté, le poids mouche de 1,60 mètre au visage d’ange ne se laisse dicter sa conduite par personne. Mieux, Ann Osman s’est peu à peu muée en starlette. Régulièrement, la demoiselle apparaît sur le papier glacé des magazines de mode malaisiens où elle confesse notamment être fan de Gina Carano, une combattante de MMA texane devenue actrice et mannequin. Après un an et demi au plus haut niveau, la bagarreuse arbore toujours un grand sourire qu’elle ne quitte qu’au moment de fouler le tatami. Surprise par tant de médiatisation, elle entend avant tout inspirer ses compatriotes. « Pour que d’autres prennent la suite », dit-elle un brin candide. Désignée cet automne comme l’une des « leaders de la nouvelle génération » par le magazine américain Time, Osman voit affluer les jeunes pousses lors des entraînements de son équipe, le Borneo Tribal Squad. Devenue également coach, elle se félicite de faire des émules et de pouvoir former elle-même ces demoiselles désireuses d’en découdre dans la cage de fer. Signe des temps, une autre Malaisienne a fait ses débuts au sein du ONE FC en juin 2014. Une nouvelle qui ravit Ann Osman, mais pourrait bien aboutir à un cas de conscience inédit : « J’espère ne jamais devoir la combattre, ça me ferait bizarre d’affronter une autre Malaisienne », confesse-t-elle avec le sourire.

Fév. 2015 — n ° 30