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OBSERVATOIRE DE LA TURQUIE ET DE SON ENVIRONNEMENT GÉOPOLITIQUE

LA TURQUIE, L’OTAN ET L’UNION EUROPÉENNE LA DIFFICILE ARTICULATION DES POLITIQUES DE COOPÉRATION STRATÉGIQUE

PAR DIDIER BILLION

Directeur des publications de l’IRIS 10 novembre 2010

LA TURQUIE, L’OTAN ET L’UE. LA DIFFICILE ARTICULATION DES POLITIQUES DE COOPERATION STRATEGIQUE / D. BILLION – 10 NOV. 2010

LA TURQUIE, L’OTAN ET L’UNION EUROPEENNE LA DIFFICILE ARTICULATION DES POLITIQUES DE COOPERATION STRATEGIQUE Didier BILLION / Directeur des publications de l’IRIS

La place de la Turquie au sein de l’OTAN, alliance dont elle est membre depuis 1952, continue de s’affirmer, preuve de l’importance stratégique déterminante de ce pays. Plusieurs dossiers importants se conjuguent en effet ces derniers mois.

Le premier dossier a trait aux relations entre l’Union européenne (UE) et l’OTAN et se concentre sur le contentieux chypriote. Bien que ce dernier n’ait pas été réglé, suite au refus chypriote grec du Plan Annan de réunification de l’île1, Chypre est devenue membre de l’UE le 1er mai 2004, même si en réalité c’est la seule partie grecque de l’île qui en est politiquement membre. Or Chypre, pays neutre, ne fait pas partie de l’OTAN, contrairement à la Turquie qui a par ailleurs engagé des pourparlers d’adhésion à l’UE depuis le mois d’octobre 2005. Dans ce contexte, les réunions conjointes entre l’UE et l’OTAN sont devenues, depuis 2004, un des lieux de l’affrontement politique entre Chypre et la Turquie, les Turcs refusant en effet que les Chypriotes grecs prennent part aux réunions conjointes entre les deux organisations.

La raison officielle avancée par les autorités turques est la non-participation de Chypre au Partnership for Peace (PfP) de l’Alliance atlantique, instrument qui régit les relations entre l’Alliance atlantique et quelques Etats, non membres de l’OTAN mais géographiquement proches des frontières de l’Alliance, et qui englobe, de facto, les Etats neutres de l’UE. Juridiquement et politiquement, le veto turc est compréhensible, c’est d’ailleurs pourquoi un récent rapport du Parlement européen demande à Chypre d’adhérer au PfP pour lever cet obstacle. Parallèlement, la Turquie a, ces dernières années, largement usé de son statut d’Etat membre de l’OTAN pour tenter de convaincre les plus réticents des Etats européens du bien-fondé de son adhésion à l’UE et de

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Le referendum fut organisé le 24 avril 2004. Les Chypriotes grecs refusèrent le Plan Annan par près de 76 % des suffrages, tandis que les Chypriotes turcs l’approuvaient à 65 %

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l’importance de la question chypriote, n’hésitant pas pour cela à bloquer nombre de décisions visant à faire progresser la construction de la PeSDC.

A l’origine de la constitution de la Politique européenne et de sécurité commune (PESD) - devenue Politique européenne de sécurité et de défense commune (PeSDC) depuis l’approbation du Traité de Lisbonne - il n’était pas prévu de doter celle-ci d’une chaîne de commandement et d’une capacité de planification militaire, c’est pourquoi un accord bilatéral entre l’UE et l’OTAN, accord dit de Berlin plus régit l’accès des Européens aux moyens de commandement et de planification de l’OTAN. L’UE peut de ce fait utiliser des dispositifs otaniens pour mener ses opérations extérieures. Ceci implique que tous les Etats membres de l’OTAN disposent d’un droit de regard sur l’attribution des moyens de planification et de commandement de l’OTAN à l’UE. Cette procédure constitue un levier utilisé par les responsables turcs pour faire pression sur Chypre et sur les Etats européens. Chaque fois qu’une mission PeSDC met en jeu des moyens de renseignement et des ressources OTAN, la Turquie exige ainsi une non-participation de Chypre. L’autre difficulté est relative à la coopération entre des missions PeSDC et OTAN sur un même théâtre d’opérations. Dans les cas de l’Afghanistan et du Kosovo, où les deux organisations conduisent parallèlement des missions complémentaires, la logique voudrait que ces opérations puissent être coordonnées. Or, la Turquie s’y oppose.

C’est avec l’objectif de régler ces blocages récurrents que le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, s’est rendu à Ankara le 7 octobre dernier avec plusieurs propositions :

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inclusion de pays non membres de l’UE, comme la Turquie, dans les délibérations sur les opérations extérieures de celle-ci, en particulier en Bosnie où le contingent turc est le deuxième en importance numérique. La Turquie pourrait obtenir que les relations entre l’UE et l’OTAN en matière de défense soient améliorées et placées intégralement dans le cadre de l’accord Berlin plus. Si la cellule européenne de commandement et de planification des opérations venait à être créée, la Turquie serait alors confrontée à un choix simple : éventuellement participer aux missions PeSDC en fonction de ses propres intérêts nationaux, ou ne pas le faire, mais sans disposer alors d’aucun pouvoir de blocage ;

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attribution à la Turquie du même statut d’associé que la Norvège – autre Etat de l’OTAN non membre de l’UE – au sein de l’Agence européenne de Défense (AED). La Turquie, comme la Norvège, était membre du Groupe Armement de l’Europe Occidentale (GAEO), organisation chargée de la coopération en matière d’armement dans le cadre de 2

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l’Union de l’Europe occidentale (UEO). Depuis l’absorption des fonctions du GAEO au sein de l’AED, la Norvège a pu conclure un arrangement administratif avec l’AED qui lui permet d’être associée à certaines activités de l’Agence. A contrario, la Turquie n’a pas pu obtenir un tel accord. Pourtant il n’y a aucune raison valable pour refuser de normaliser une relation de coopération entre la Turquie et l’AED. La Turquie participant aux missions PeSDC, il paraît légitime qu’elle veuille intégrer la réflexion capacitaire menée en amont au sein de l’AED ;

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proposition d’un « accord de sécurité » entre l’UE et la Turquie, dont les contours sont à ce jour mal définis.

Le second dossier concerne l’hypothétique système de défense antimissile que les pays de l’OTAN veulent mettre en place et les enjeux qu’il soulève. Il s’agirait de protéger les Etats membres de l’OTAN par un système d’interception qui les mettrait à l’abri de toute attaque extérieure. Cet objectif n’a en réalité rien de réellement nouveau et constitue plutôt le énième avatar de multiples projets dont le premier est né à l’instigation des Soviétiques dans les années soixante. Ce fut ensuite celui de Ronald Reagan en 1983, la fameuse « Stars War », puis le National Missile Defense à la fin des années 1990, puis celui de George W. Bush au début des années 2000 et enfin celui en débat actuellement. Outre qu’il soit extrêmement coûteux, on peut douter, d’un strict point de vue militaire, de l’efficacité du projet, mais il est devenu un des principaux points à l’ordre du jour du prochain sommet de l’OTAN de Lisbonne, les 19 et 20 novembre prochains.

Un des enjeux est de convaincre la Turquie du bien-fondé de l’objectif. Or, un des pays visé implicitement par ce système est l’Iran, soupçonné de fabriquer l’arme nucléaire. C’est pourquoi la Turquie est très hésitante, car elle voit dans la mise en œuvre d’un bouclier antimissile européen une contradiction majeure avec le redéploiement de sa politique extérieure basé sur le concept de « zéro problème avec ses voisins » - dont particulièrement l’Iran et la Russie -, élaboré par son ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu. Les responsables états-uniens ont multiplié les rencontres avec leurs homologues turcs pour traiter ce dossier tout en prenant soin de préciser qu’il ne s’agissait pas d’exercer la moindre pression sur eux… Robert Gates, le Secrétaire d’Etat à la Défense, précisa publiquement devant le American-Turkish Council à Washington qu’une discussion politique et militaire était engagée entre les deux pays pour examiner la participation technique et opérationnelle de la Turquie si le projet devait être adopté. Ankara semble chercher les moyens de minimiser l’impact de son accord potentiel, en particulier sur l’Iran, la Russie ne semblant pour sa part plus opposée au système et ayant même décidé de participer au sommet de l’OTAN. 3 IRIS - Observatoire de la Turquie et de son environnement géopolitique

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Une réponse négative de la Turquie conforterait en tout cas ceux qui prétendent qu’elle est en train de s’éloigner des puissances occidentales, ce dont le gouvernement turc se défend. C’est pour cela que le choix est difficile et qu’Ankara cherche à obtenir des garanties. Lors d’une réunion organisée, le 5 novembre dernier, à la présidence de la République turque en présence des ministres concernés et du chef de l’état-major, la perspective du déploiement du système antimissile sur le sol national a visiblement été actée sous réserve de certaines conditions : demande que le système antimissile soit clairement otanien et non spécifiquement états-unien ;demande que le système vise à assurer la sécurité de tous les pays membres de l’OTAN sans exception ; demande que le bouclier protège la totalité du territoire turc, et non pas seulement la partie la plus proche de l’Iran refusant par la même que la Turquie soit considéré comme un Etat frontalier comme à l’époque de la Guerre froide. Les Etats-Unis et le secrétaire général de l’OTAN pour leur part cherchent résolument un compromis, car ils savent qu’ils ont besoin de la Turquie sur plusieurs dossiers. Notamment en Afghanistan, pays au sein duquel, bien que ne participant pas aux opérations de combat, elle possède un rôle politique central au sein de l’International Security Assistance Force (ISAF), dont elle vient d’accepter de conserver la direction pour un an supplémentaire.

Ainsi les deux dossiers abordés, loin d’être exhaustifs, démontrent une fois de plus l’importance stratégique centrale acquise par la Turquie dans les projets de défense européens et otaniens. La récente nomination, au mois de juillet 2010, de l’ambassadeur Hüseyin Diriöz au poste de Secrétaire général adjoint de l’OTAN, chargé de la politique et de la planification de Défense, confirme la volonté turque d’assumer ses responsabilités et de renforcer ses positions au sein des institutions dont elle fait partie, et devrait rasséréner tous ceux qui fantasment sur la perte de la Turquie par les puissances occidentales.

Il serait utile que les dirigeants européens le comprennent. 

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LA TURQUIE, L’OTAN ET L’UNION EUROPEENNE LA DIFFICILE ARTICULATION DES POLITIQUES DE COOPERATION STRATEGIQUE Didier Billion, directeur des publications de l’IRIS courriel : [email protected] OBSERVATOIRE DE LA TURQUIE ET DE SON ENVIRONNEMENT GEOPOLITIQUE / 10 NOVEMBRE 2010

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