Notion de socle commun: historique et contexte ... - Education et Devenir

La notion ou l'expression de ''socle commun de connaissances et de .... Le savoir minimum - objectif politique - doit précéder la mise en œuvre technique,.
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SOCLE COMMUN ? - PEUT MIEUX FAIRE !

Conférence

Notion de socle commun: historique et contexte international

Claude Lelièvre historien

L

a notion ou l’expression de ‘’socle commun de connaissances et de compétences’’ est à l’évidence en tension voire en opposition avec d’autres expressions telles que ‘’culture commune ’’, voire ‘’minimum culturel commun’’ ou ‘’savoir commun minimum’’. En tout état de cause, on notera que l’adjectif qui se retrouve dans toutes ces expressions est l’adjectif ‘’ commun’’. Il s’agit donc avant tout de la question de la définition et de l’obtention d’un ‘’bien commun’’ partagé. Et non pas de l’opposition entre ce qui est appréhendé comme ‘’général’’ et ce qui est conçu comme ‘’spécialisé’’ (comme dans l’expression bien connue et traditionnelle de ‘’culture générale’’). Mais une série de questions se posent à l’évidence. ‘’Commun’’ à qui ? ‘’Commun’’ en quoi ? ‘’Commun’’ pour quoi ? Contrairement à ce que l’on croit souvent, la définition d’un « savoir commun minimal » ou d’ « un socle commun de connaissances et de compétences » n’est pas particulièrement focalisée sur les élèves en échec scolaire, mais a pris historiquement pour horizon par exemple – lors du conseil des ministres du 2 mars 1977 présidé par Valéry Giscard d’Estaing - « les caractéristiques des jeunes qui constituent la majorité statistique de nos collèges » ; ou bien encore - dans le rapport du Conseil national des programmes de décembre 1984 signé Luc Ferry " les élèves moyens faibles qui, sans être en situation d’échec scolaire, parviennent trop souvent en fin de collège munis d’un bagage dont c’est un euphémisme de dire qu’il est insuffisant ». Et le décret d’application de la loi d’orientation d’avril 2005 sur le « socle commun de connaissances et de compétences » l’énonce explicitement : « S’agissant d’une culture commune pour tous les élèves, le socle traduit tout autant une ambition pour les plus fragiles qu’une exigence pour tous les élèves ». Le problème – mais manqué et différé dès le départ – se pose de fait dès le début de la cinquième République. L’ordonnance du 6 janvier 1959 de Jean Berthoin, ministre d’un gouvernement dirigé par Charles de Gaulle, prolonge la scolarité obligatoire de deux ans et la porte à seize ans révolus pour les enfants qui auront six ans à partir du premier janvier 1959. La mesure ne sera donc effective qu’à partir seulement de 1967. Et c’est le début des complications et de la confusion car, entre le moment de la décision ( qui aurait dû être accompagnée d’une redéfinition de l’instruction obligatoire approfondie que l’on pouvait attendre de cet allongement ) et le moment où la prolongation de la scolarité obligatoire devient effective, la réforme Cappelle-Fouchet de 1963 institue un Collège d’enseignement secondaire ( le CES ) qui réunit « sous le même toit - comme le dit le ministre Fouchet - toutes les formes d’enseignement entre la fin des études élémentaires et la fin de la scolarité obligatoire ». Une logique de rassemblement des filières en un même établissement, qui a pour but essentiel de faciliter une bonne orientation de tous les bons élèves en vue d’un recrutement élargi des élites, s’est substituée à la priorité de définir pour tous la bonne fin de la scolarité obligatoire allongée, l’instruction renouvelée et approfondie nécessaire à tous. Le traité de Rome, signé en 1957, vient d’instituer l’Europe communautaire. La mise en orbite par l’Union soviétique, en 1957 également, du premier satellite terrestre – le ‘’spoutnick’’ – interpelle l’ensemble des pays de l’Ouest : qu’en est-il de la suprématie scientifico-technologique des uns et des autres, de la ‘’bataille des cerveaux’’ ? C’est dans ces circonstances que Charles de Gaulle, en bon nationaliste moderne, met en œuvre sa politique prioritaire en matière d’enseignement : le développement volontariste des enseignements supérieurs. De la fin des années 50 à la fin des années 60, le nombre d’étudiants est multiplié par 2,5. Le budget du supérieur, en francs constants, fait plus que suivre puisqu’il est multiplié par 4.

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Mais il faut alimenter ce recrutement élargi des élites, en mettant au point un dispositif d’orientation qui puisse capter tous les bons élèves : la déperdition d’élèves capables en fait de poursuivre des études longues en classe de fin d’études (dans les écoles communales) ou en cours complémentaires (dans les CEG, collèges d’enseignements généraux) doit cesser. Puisque chaque type d’établissement a tendance à garder ses bons élèves, on crée un seul type d’établissement (le CES) qui regroupe toutes les formes d’enseignement ( la voie I, la filière longue des lycées ; la voie II, la filière courte des CEG ; et la voie III, dite ‘’transition-pratique’’ ). Le collège à filières est né, qui est avant tout une gare de triage pour capter tous les bons élèves et les mener vers des études longues. Le collège va être dominé désormais par la question de l’orientation d’une part, et réglé ‘’idéalement’’ (et ‘’idéellement’’ !) par la culture requise pour l’élite d’autre part. On a beaucoup de mal à sortir de ces orientations, de cette problématique. Et cela d’autant plus que le recrutement élargi des élites (pour une politique nationale dans une concurrence internationale intensifiée) a pour effet secondaire une certaine ‘’démocratisation’’. On fait effectivement un bond vers ‘’l’élitisme républicain’’, ‘’le recrutement socialement élargi des élites’’ réclamé depuis l’entre-deux-guerres par la mouvance politique radical-socialiste qui cherchait à mettre en place une ‘’Ecole unique’’. Un problème, à l’évidence, n’avait pas été résolu : la redéfinition du sens de la scolarité obligatoire pour tous, de l’Ecole obligatoire. Changement de cap avec le « collège unique » institué en 1975. Il est manifestement à l’ordre du jour, dans les années 60 et 70, en Europe occidentale. Ce n’est pas le moindre des paradoxes du « libéralisme avancé » giscardien que d’offrir une version française de « l’école de base » suédoise ( social-démocrate), de la « comprehensive school » (travailliste), de la « Gesamtschule » ( social-démocrate allemande). A peine élu Président de la République en 1974, Valéry Giscard d’Estaing va être en effet le promoteur décidé du « collège unique » dans le cadre du « libéralisme avancé » (orthodoxe sur le plan socio-économique, mais « avancé » pour les femmes – loi sur l’IVG – et pour les jeunes – âge de la majorité abaissé à 18 ans). « La France doit devenir un immense chantier de réformes » annonce Valéry Giscard d’Estaing dès septembre 1974. Et le 20 mai 1975, il déclare à RTL : « La gauche, c’est un terme ambigu ; je veux dire qu’il y a dans la pensée de gauche des éléments positifs importants dont je compte bien m’inspirer ; ce qui fait que, dans l’action réformatrice libérale avancée, il y a beaucoup d’idées de gauche qui doivent être mises en œuvre ».

Dès le 25 juillet 1974, à sa première réunion de presse à l’Elysée, Valéry Giscard d’Estaing tient à montrer publiquement que le chef de l’Etat prend l’initiative et trace les perspectives essentielles : « La question de la réforme de l’éducation est, pour moi, fondamentale *…+. Le premier objectif, c’est l’élévation du niveau de connaissance et de culture des Français *…+. On peut se poser la question de savoir si, à côté de l’obligation de scolarité jusqu’à seize ans, il ne faudrait pas imaginer une autre obligation qui serait de donner à chaque Française et à chaque Français un savoir minimal ». A l’évidence donc, et dès le début, la question du collège unique est placée sous le signe du sens – culturel – que l’on doit donner à la scolarité obligatoire, à l’Ecole obligatoire. Dans son livre « Démocratie française » paru en octobre 1976, VGE précise : « La mise en place d’un système unique de collèges pour tous les jeunes Français constituera un moyen puissant d’égaliser leur acquis culturel. Elle devra s’accompagner sur le plan des programmes de la définition

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SOCLE COMMUN ? - PEUT MIEUX FAIRE ! d’un savoir commun, variable avec le temps et exprimant notre civilisation particulière ». On reviendra plus longuement sur le sens et l’importance de la fin de la dernière phrase, à savoir « exprimant notre civilisation particulière ». Mais les adversaires de la réforme de VGE (de ‘’gauche’’, de ‘’droite’’ ou du ‘’centre’’) retournent la signification de ‘’savoir minimal’’ dans le sens de ‘’minimiser les savoirs’’. Ce retournement a rendu très confus voire impossible le débat sur la « définition d’un savoir commun (minimal) exprimant notre civilisation particulière » qu’appelait de ses vœux VGE. Et pourtant Valéry Giscard d’Estaing a fait preuve, durant un certain temps, d’une forte détermination, comme en témoignent plusieurs comptes-rendus de conseils présidentiels ou de conseils des ministres que l’on peut consulter aux Archives nationales.

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Par exemple, lors du conseil restreint du 7 février 1975, le Président prend soin de revenir sur l’idée avancée en 1974 et il insiste à nouveau sur ce qu’il estime essentiel. La méthode d’élaboration des programmes qui suit le vote de la loi doit être inversée par rapport à la pratique habituelle : on ne part plus des disciplines seules. Désormais, « se trouve prise en compte l’aptitude de l’élève à atteindre un objectif à la définition duquel la discipline considérée apporte sa contribution en fonction d’une vision globale des fins de l’action éducative ». La fin de celle-ci est « de faire acquérir à l’élève non seulement certaines connaissances culturelles mais aussi des méthodes de pensée et d’action, des capacités et des comportement intellectuels, manuels, sociaux ». Le savoir minimum - objectif politique - doit précéder la mise en œuvre technique, à savoir les programmes. On aboutit ainsi à la publication d’une brochure, après sa présentation le 2 mars 1977 en conseil des ministres, intitulée « Savoir et savoirs-faire à l’issue de la scolarité obligatoire ». Le texte définit « un contenu commun appelé à être acquis, éventuellement au travers de pédagogies différenciées, par tous les jeunes ayant parcouru les cycles complets de la scolarité obligatoire. Il ne peut être question d’aligner cette formation de base sur les performances des élèves les plus médiocres ; encore ne faut-il pas se préoccuper seulement des meilleurs. Il est donc important de connaître avec objectivité les caractéristiques des jeunes qui constituent, toutes classes confondues, la majorité statistique de nos collèges ». Projet politique par excellence, la question du savoir minimum échoue en réalité dans sa mise en œuvre à partir du moment où les préoccupations dominantes vont changer : le nouveau ministre de l’Education, Christian Beullac, entré en fonction le 3 avril 1978, est chargé – devant l’opposition rencontrée – de ralentir la mise en œuvre de la loi du 11 juillet 1975. En 1980 les programmes disciplinaires sont bien réformés, mais le savoir minimum a sombré dans l’oubli. Et pourtant, Valéry Giscard d’Estaing avait placé le débat là où il devait se situer : à savoir non seulement sur le plan structurel (effacement des filières), mais aussi et surtout sur le plan culturel (quelle culture commune proposer ?). En effet, cela était tout à fait nécessaire à partir du moment où on ne distinguait plus d’office entre la culture d’«élite » secondaire propre à la « voie I » (la filière « longue » vers le lycée et l’université) et celles requises pour les « voies II ou III » (reprise du primaire supérieur ou « transition-pratique »). Le « retournement » de sens des propositions culturelles du Président de la République a rendu quasi impossible le débat sur la « définition d’un savoir commun (minimal) exprimant notre civilisation particulière » qu’appelait de ses vœux Valéry Giscard d’Estaing. Et le « collège unique » n’a pu être fondé à partir

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SOCLE COMMUN ? - PEUT MIEUX FAIRE ! de ce qui était son principe et son ambition ; d’où un dérèglement permanent puisque, au débat culturel avorté et à la définition d’une culture commune minimale, ont été substituées des mesures organisationnelles ou pédagogiques sans fondement ( culturel ) véritable. Et le « collège unique » - pour l’essentiel n’existe pas, ou pas encore.

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On se souvient que VGE voulait que la mise en place du collège unique s’accompagne de la définition d’un savoir commun, variable avec le temps et exprimant notre civilisation particulière. Le 3 avril 1981, à Paris, lors de sa deuxième campagne présidentielle (et devant les animateurs de ses comités de soutien), VGE n’hésite pas à affirmer qu’il a voulu le collège unique dans un but d’unité nationale : « Il manque aujourd’hui une culture commune aux Français. Il faut reconstruire l’unité culturelle de la France : faire un grand effort d’éducation et un grand effort de culture. C’est le système éducatif du siècle dernier qui avait assuré l’unité culturelle de la France. Mais aujourd’hui la France a cessé d’avoir une culture commune, et l’une des grandes tâches à venir sera que le système éducatif rende aux Français leur unité culturelle ». On le voit, la question de la culture commune est explicitement pensée par VGE dans la tradition française de l’Etat-Nation. Sommairement, la notion d’Etat-Nation exprime le fait que, à un moment donné, sur un territoire donné, l’identité politique (l’Etat) et l’identité culturelle (la Nation) sont confondues. Le recouvrement de ces deux identités sur un même territoire n’a rien, bien sûr, de naturel (même si nous avons tendance à penser cela en France, compte tenu de notre histoire). Il existe et il a existé de nombreuses nations non représentées par un seul et même Etat, et de nombreux Etats ne représentant pas une même nation. On voit donc le paradoxe de la position giscardienne. Mais on doit mieux percevoir encore une question, de plus en plus à l’ordre du jour. A l’origine, on le sait, la Communauté européenne n’a eu aucune compétence en matière scolaire. Cependant, à la suite du traité de Maastricht, l’objectif n’est plus seulement d’œuvrer en commun en matière économique mais aussi de réaliser progressivement une véritable union politique. Le traité de Maastricht comporte deux articles qui précisent que non seulement la formation professionnelle mais aussi désormais la formation générale peuvent donner lieu à une véritable politique de l’Union européenne ( sans toutefois, est-il dit, que cette politique conduise à déposséder les Etats de leurs compétences propres en la matière. Et il est également recommandé par la Commission que l’on développe « un sentiment d’appartenance» à la Communauté européenne. Est-on alors sur le chemin d’un véritable Etat-Nation européen ? Jusqu’où peut-on entendre culturellement (notamment en histoire, géographie, littérature, arts…) la construction d’un sentiment d’appartenance ? En définitive, dans la mesure où la ‘’culture commune’’ a indéniablement une dimension que l’on appellera (pour faire vite) ‘’patrimoniale’’, cette ‘’culture commune’’ doit-elle être finalement commune à qui ? Aux Français ? Aux Européens ? Aux régionaux de l’étape ? Peut-on faire l’économie d’une réflexion et de décisions là-dessus ? Et comment ? C’est à l’évidence un problème redoutable et, à mon sens, incontournable (même si l’on peut avoir la tentation de se réfugier prudemment vers des ‘’universaux instrumentaux’’). En décembre 1983, le président de la République François Mitterrand confie au Collège de France la mission de faire un rapport sur les enseignements primaires et secondaires. La demande de François Mitterrand n’impliquait nullement que la

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réflexion s’oriente vers la « définition d’un minimum culturel commun ». Or c’est précisément ce que le rapport du Collège de France rédigé par Pierre Bourdieu met en avant : « Des programmes nationaux devraient définir le minimum culturel commun, c’est à dire le noyau de savoirs et de savoir-faire fondamentaux et obligatoires que tous les citoyens devraient posséder. Cette formation élémentaire ne devrait pas être conçue comme une sorte de formation achevée et terminale, mais comme le point de départ d’une formation permanente. Elle devrait donc mettre l’accent sur les savoirs fondamentaux qui sont la condition de l’acquisition de tous les autres savoirs. Elle devrait mettre aussi l’accent sur les formes de pensée et les méthodes les plus générales et les plus transposables ». A-t-on vraiment là les principes de résolution de tous les problèmes ? On peut en douter. Mais on a là, au moins partiellement, des orientations qu’il convient sans aucun doute d’explorer au mieux. On peut faire une dernière remarque sur ce rapport du Collège de France rédigé par Bourdieu. Pierre Bourdieu, on le sait, avait mis en évidence dans l’un de ses ouvrages célèbres (« La Reproduction »), le caractère ‘’arbitraire’’ de chaque culture scolaire. On ne devrait donc pas être étonné que figure dans ce rapport du Collège de France une considération importante sur ce qui pourrait être de l’ordre de l’ ‘’universel’’ : « Le seul fondement universel que l’on puisse donner à une culture réside dans la reconnaissance de la part d’arbitraire qu’elle doit à son historicité ; il s’agirait donc de mettre en évidence cet arbitraire pour comprendre et accepter d’autres formes de culture ». Ce rapport n’aura finalement aucun effet direct sur le fonctionnement du système éducatif français. En septembre 1994, le ministre de l’Education nationale François Bayrou indique que les programmes des collèges devraient être « recentrés sur l’essentiel », « allégés », et qu’il convient de rechercher « les meilleures cohérences possibles entre les disciplines ». Le Conseil national des programmes travaille selon ces orientations ; et, chemin faisant, il comprend la demande ministérielle comme pouvant aller dans le sens de « la construction d’une culture commune », d’ « un socle commun de connaissances et de compétences », deux formules - semble-t-il - équivalentes pour lui. Le rapport du Conseil national des programmes rédigé par son président, Luc Ferry, situe explicitement son ambition à un niveau élevé : « C’est dans l’optique d’une démocratisation réussie de notre système d’enseignement qu’il convient, face à l’hétérogénéité des élèves, sinon des classes, de réaffirmer la volonté de transmettre à tous une culture commune, un socle de compétences théoriques, réflexives et pratiques fondamentales. Après le temps de l’élitisme, après celui de la massification, voici venu celui d’une démocratisation qui doit allier la qualité à la quantité. Sans pénaliser en rien les meilleurs élèves, pour lesquels sont prévus des possibilités d’approfondissement, il s’agirait de relever le défi posé par ces élèves ‘’moyens-faibles’’ qui, sans être en situation d’échec scolaire, parviennent trop souvent en fin de collège munis d’un bagage dont c’est un euphémisme de dire qu’il est insuffisant ». Luc Ferry, après avoir été ministre de l’Education nationale puis remplacé par Fillon, a commenté dans « La Jaune et la Rouge » (la revue des anciens élèves de polytechnique), en mars 2006, les deux acceptions retenues de ‘’socle commun’’ et de ‘’culture commune’’. « A l’époque le SNES parlait de ‘’culture commune’’. J’ai choisi l’expression ‘’socle commun’’ dans la mesure où le terme de ‘’culture’’ ne me paraissait pas très adapté – la culture, c’est plutôt ce qui reste après l’école. Le rapport de la Commission Fauroux a par la suite donné à la notion de socle commun le sens de SMIC culturel, ce qui ne correspondait pas à notre conception initiale *…+. Nous avons réfléchi à la manière dont il fallait entendre cette notion. Il y a en effet deux conceptions possibles du socle commun. La première, la plus naïve, correspond à

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la manière dont on a interprété la loi Fillon. Définir le socle commun consisterait à se mettre d’accord sur un petit nombre d’éléments de connaissance à maîtriser : les vingt dates historiques, les quinze personnages clefs, les trois livres qu’il faut avoir lu, etc. Mais un tel projet est absurde - continue Luc Ferry -, et ce pour deux raisons : d’une part, il est utopique d’imaginer que l’on puisse mettre d’accord une communauté de professeurs sur un ensemble de connaissances élémentaires ainsi comprises ; d’autre part, en admettant qu’une commission parvienne à un tel accord, il faut se représenter que cela aurait nécessairement pour conséquence d’invalider le reste du programme. Si l’on estime que dans les programmes il y a l’essentiel et l’accessoire, autant supprimer ce qui n’apparaît pas fondamental. C’est cette première conception qui est la plus répandue ; celle, notamment, qu’ont reprise les parlementaires qui ont dernièrement voulu réfléchir au socle commun. La seconde conception du socle commun consiste à chercher à définir l’essentiel des programmes en un autre sens. Prenons une métaphore : vous avez lu un grand livre – L’Education sentimentale, Le Rouge et le Noir – et vous souhaitez, après l’avoir refermé, le raconter à quelqu’un : il vous faut nécessairement aller à l’essentiel ; vous n’allez pas réciter chaque phrase du livre ; vous évoquerez l’apport historique, la grande expérience humaine ( l’ascension sociale, par exemple, pour Le Rouge et le Noir ) sur lesquels le livre donne à penser. C’est ainsi qu’il faut comprendre le socle commun : il s’agit, dans les programmes, de souligner ce qu’il faut avoir acquis. Cela ne signifie pas que le reste est accessoire ; le roman ne constitue pas ‘’l’accessoire’’ *…+. D’une certaine façon, on peut considérer que définir le socle commun revient à transformer le savoir en culture – ce qu’il reste quand on a tout oublié. Voyez cependant que ce qu’on a oublié ne constitue pas l’accessoire : s’il n’y avait pas toutes les phrases écrites par Stendhal, on ne lirait pas Le Rouge et le Noir. Le socle commun, c’est donc ce qui constitue l’essentiel des programmes en ce sens bien précis : il s’agit de définir ce vers quoi tendent les moments qui peuvent paraître secondaires dans les programmes (‘’secondaires’’ ne signifiant pas ‘’inutiles’’). Le socle commun ne peut donc pas se réduire à l’idée d’outils fondamentaux – ‘’lire, écrire, compter’’ par exemple. Et cela, parce qu’il n’y a pas que des outils et des compétences dans les programmes ; il y a aussi des moments de culture, des expériences humaines fondamentales. On ne peut donc avoir une conception uniquement instrumentale du socle commun ». Finalement, où en est-on ? Après quelques péripéties non sans significations au moment de la discussion de la loi d’orientation de 2005 au Parlement ( en particulier la disparition momentanée, dans le projet de loi, de l’adjectif « commun » pourtant central dans les expressions bien connues de « socle commun de connaissances et de compétences » ou de « culture commune »), l’article 9 de « la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école » du 23 avril 2005 dispose que « La scolarité obligatoire doit au moins garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun constitué d’un ensemble de connaissances et de compétences qu’il est indispensable de maîtriser pour accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel et réussir sa vie en société *…+.Ces connaissances et compétences doivent être précisées par décrets après avis du Haut-Conseil de l’éducation. L’acquisition du socle commun fait l’objet d’une évaluation, qui est prise en compte dans la poursuite de la scolarité. Le Gouvernement présente tous les trois ans au Parlement un rapport sur la manière dont les programmes prennent en compte le socle commun et sur la maîtrise de celui-ci par les élèves au cours de leur scolarité obligatoire. Parallèlement à

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SOCLE COMMUN ? - PEUT MIEUX FAIRE ! l’acquisition du socle commun, d’autres enseignements sont dispensés au cours de la scolarité obligatoire ».

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Un projet de décret d’application est élaboré par le ministère de l’Éducation nationale et transmis « pour avis » au Haut Conseil de l’éducation nouvellement créé. Cette nouvelle institution n’a qu’un rôle consultatif pour le ministère. Mais le premier « avis » donné est « entendu » par le ministère, qui ajoute sur sa demande deux ‘’compétences’’ aux cinq autres déjà prévues. Comme le précise le décret, les cinq premières faisaient déjà l’objet (dans une certaine mesure) des programmes en cours : la maîtrise de la langue française, la pratique d’une langue vivante étrangère, les compétences de base en mathématiques et la culture scientifique et technologique, la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication, ainsi que la culture humaniste. Sur proposition du Haut Conseil de l’éducation, figurent en outre dans le décret d’application deux autres ensembles de compétences. « Les compétences sociales et civiques » : « il s’agit de mettre en place un véritable parcours civique de l’élève, constitué de valeurs, de savoirs, de pratiques et de comportements dont le but est de favoriser une participation efficace et constructive à la vie sociale et professionnelle et d’exercer sa liberté en pleine conscience des droits d’autrui ; il s’agit aussi de développer le sentiment d’appartenance à son pays, à l’Union européenne ».

La dernière (et seconde) ‘’compétence’’ ajoutée, est intitulée « Autonomie et initiative ». « L’autonomie : il est essentiel que l’Ecole développe la capacité des élèves à apprendre tout au long de la vie. L’autonomie est une condition de la réussite scolaire et d’une bonne orientation, avant de donner à chacun les moyens de mener à leur terme ses activités et projets à tous âges et de s’adapter aux évolutions de sa vie professionnelle ». « Esprit d’initiative : il faut que l’élève se montre capable de concevoir, de mettre en œuvre et de réaliser des projets individuels ou collectifs dans les domaines artistiques, sportifs, patrimoniaux ou socio-économiques; il s’agit d’apprendre à passer des idées aux actes ». In fine, je ne saurais trop insister sur le fait que la fin du texte du décret du 11 juillet 2006 relatif au socle commun de connaissances et de compétences insiste à juste titre sur le fait que la logique même du socle (conçu comme ce qu’il est indispensable de maîtriser) implique que les grandes « compétences » ne sont pas compensables : le socle est fait aussi bien pour les élèves faibles que pour les élèves moyens ou bons (qui peuvent avoir des « lacunes » importantes dans telle ou telle compétence, mais qui, dans ce cadre, ne peuvent pas - et ne doivent pas être compensées par des « excellences » dans telle ou telle autre, puisque toutes les grandes « compétences » sont conçues comme indispensables). Il y va d’une culture de base équilibrée à maîtriser par tous et par chacun. Et c’est bien en cela que l’adjectif « commun » est capital. « S’agissant d’une culture commune pour tous les élèves, le socle traduit tout autant une ambition pour les plus fragiles qu’une exigence pour tous les élèves. Les graves manques pour les uns et les lacunes pour les autres à la sortie de l’école obligatoire constituent des freins à une pleine réussite et à l’exercice d’une citoyenneté libre et responsable *…+. Chacun des domaines constitutifs du socle commun contribue à l’insertion professionnelle, sociale et civique des élèves ; il ne peut donc y avoir de compensation entre les compétences requises ». Si l’on prend tout cela vraiment au sérieux, il apparaît à l’évidence que cela implique des changements considérables (pour tous) dans l’organisation même des établissements et des classes (quid, par exemple, des classes simultanées’’, qui plus est à échéance annuelle ?) ? Quid des changements importants

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SOCLE COMMUN ? - PEUT MIEUX FAIRE ! nécessaires alors dans l’organisation des curricula, dans les évaluations, dans la formation professionnelle des enseignants ? Mais je n’insiste pas, puisque ce sont précisément les questions qui vous vous apprêtez à poser tout au long de votre congrès. Cela va être long, complexe, difficile et même incertain. On pourrait penser que l’on peut faire l’économie de ces efforts, en un certain sens quelque peu douteux. Mais on aurait pourtant sûrement tort, si l’on en juge par ce qui se passe ailleurs, dans d’autres pays, et en particulier en Europe. Selon David Coyne, le commissaire européen à l’éducation et à la culture que j’ai entendu lorsque je faisais partie de la Commission Thélot, huit domaines de compétences-clés (à maintenir en activité tout au long de la vie) ont été recommandées par la Commission. Il s’agit d'un ensemble de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes, à maîtriser avant la fin de la scolarité obligatoire. Quelles sont ces 8 compétences–clés telles qu’elles ont été énoncées ? 1) connaissance de la langue maternelle ; 2 ) connaissance d’une langue étrangère ; 3) socle d’aptitudes en informatique ; 4) mathématiques et connaissances de base en sciences et technologie ;5 ) aptitude à apprendre à apprendre ;6) compétences interpersonnelles et civiques ( relations avec l’Autre et avec la société ) ; 7) sensibilité et ouverture culturelle ; 8) esprit d’entreprise au sens large ( cf table –ronde de grands industriels européens : « cet esprit d’entreprise se définit comme le développement d’une capacité de création, d’innovation, de flexibilité, de travail en équipe et de curiosité intellectuelle ). Il y a eu aussi, on le sait, des tentatives de mises en place voisines (mais aussi différentes) de ce qui est envisagé en France dans quelques autres pays européens.

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Récemment, différents pays comme l’Allemagne ou la Bulgarie se sont dotés de dispositifs qui s’apparentent au socle commun ; et il est remarquable que ce sont les résultats obtenus aux évaluations internationales (notamment à PISA) qui ont pesé lourd en l’occurrence. Par ailleurs, le Danemark a emprunté une voie originale. Les exigences de fin de la scolarité obligatoire sont rédigées sous la forme de compétences et font l’objet d’un consensus très large au sein de la société, après avoir été longtemps discutées dans le principe et dans le contenu. Il s’agit ici d’un texte essentiellement à visée pédagogique puisque le redoublement n’existe pas, que c’est globalement la même équipe pédagogique qui suit chaque élève tout au long de la scolarité obligatoire et enfin parce que les évaluations sont utilisées comme base de dialogue avec les parents. On peut aussi citer- sinon l’exemple - mais du moins le cas de l’Angleterre qui, à la fin des années 80, a été la première à concrétiser l’idée d'exigences communes à la fin de la scolarité obligatoire. C’est Margaret Thatcher qui a promulgué le Core Curriculum. Son idée était simple. Pour connaître l’efficacité des établissements, il suffit de leur fixer à tous les mêmes objectifs le plus précisément possible et de mesurer le nombre des élèves qui les atteignent. En comparant les résultats entre établissements, on devrait parvenir (c’est du moins l’idée des promoteurs de la méthode) à mettre ceux-ci en concurrence, une concurrence considérée a priori comme source de progrès. Le Core curriculum est avant tout un outil de pilotage fait pour les décideurs et bien sûr les financeurs. Cette méthode permet d’évaluer la performance des établissements eu regard d’exigences certes scolaires ; mais elle ne traite pas la question de la pertinence des choix scolaires à moyen terme : telle école réussit bien, mais pour autant ses élèves sont-ils bien formés aux enjeux du futur ?

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A propos d’avenir, encore faudrait-il ne pas être tenté par le passéisme. Et on ne peut éviter ici de s’interroger sur l’opportunité et le sens des projets de nouveaux programmes du primaire, même s’ils ne font pas partie directement de votre champ d’activités. Certes, lorsqu’il s’agit de déterminer quels peuvent être les fondamentaux, on a immédiatement à l’esprit la trilogie du « lire, écrire, compter ». Mais encore convient-il d’apprécier aussi immédiatement qu’il ne saurait être question de s’y limiter de quelque façon que ce soit sans engager un retour en arrière qui dépasse ce que l’on pense communément. Comme je l’ai rappelé récemment sur le blog que j’ai dans le journal internet « Mediapart », il est clair en effet que, pour Jules Ferry lui-même, l’Ecole obligatoire républicaine ne peut pas en rester aux « rudiments ». Ce n’est pas le moindre des paradoxes que cette légende qui attribue à Jules Ferry une fixation sur le « lire-écrire-compter » ( et plus généralement une focalisation sur les « rudiments », sur un « primaire rudimentaire » ), alors qu’il n’a cessé de lutter en sens contraire. En réalité, Jules Ferry tente d’inverser la hiérarchie entre les enseignements dits fondamentaux (et traditionnels) et les enseignements dits « seconds », « accessoires ». C’est précisément dans ces enseignements dits « accessoires » que réside pour Ferry la rupture entre « l’ancien régime » et le « nouveau », une véritable révolution. « C’est autour du problème de la constitution d’un enseignement vraiment éducateur que tous les efforts du ministère de l’Instruction publique se sont portés […]. C’est cette préoccupation dominante qui explique, rallie, harmonise un très grand nombre de mesures qui […] lorsqu’on n’en a pas la clef pourraient donner prétexte à des reproches d’excès dans les nouveaux programmes, d’accessoires exagérés, d’études très variées et qui ne paraissent pas, au premier abord, suffisamment convergentes : tous ces accessoires auxquels nous attachons tant de prix, que nous groupons autour de l’enseignement fondamental et traditionnel du ‘’lire, écrire, compter’’ : les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel de l’atelier placé à côté de l’école, le chant, la musique chorale. Pourquoi tous ces accessoires ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce que ces accessoires feront de l’école primaire une école d’éducation libérale. Telle est la grande distinction, la grande ligne de séparation entre l’ancien régime, le régime traditionnel, et le nouveau » ( Discours de Jules Ferry au congrès pédagogique des instituteurs de France du 19 avril 1881 ). Il s’agit d’ailleurs moins d’inverser l’ordre de préséance des matières enseignées ( les hiérarchies horaires des différents enseignements ne sont pas bouleversées dans les programmes définis par l’arrêté du 27 juillet 1882 ) que de favoriser l’introduction de « nouvelles méthodes ». Jules Ferry souligne lui-même qu’il s’agit d’abord de changer l’esprit de l’enseignement « contre la discipline mécanique de l’esprit ». Et il prend pour exemple l’enseignement ‘’basique’’ par excellence, l’apprentissage de la lecture – ce qui en surprendra plus d’un. « Les hommes d’ancien régime dans l’enseignement primaire sont un peu surpris de ce que nous entreprenons ; ils sont même un peu choqués ! Mais, disent-ils, est-ce que, autrefois, avec les anciennes méthodes, avec le programme restreint à lire, à écrire et à compter, on ne faisait pas des élèves sachant bien lire, écrivant correctement, comptant à merveille, comptant et écrivant peut-être mieux que ceux d’aujourd’hui, au bout d’un an ou deux d’école ? Cela est possible ; il se peut que l’éducation que nous voulons donner dès la petite classe nuise un peu à ce que j’appelais tout à l’heure la discipline mécanique de l’esprit. Oui, il est possible qu’au bout d’un an ou deux, nos petits enfants soient un peu moins familiers avec certaines difficultés de lecture ; seulement, entre eux et les autres, il y a cette différence : c’est que ceux qui sont plus forts sur le mécanisme ne comprennent rien à ce qu’ils lisent, tandis

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que les nôtres comprennent. Voilà l’esprit de nos réformes » (Discours de Jules Ferry au congrès pédagogique des instituteurs du 19 avril 1881). Dans le même sens, Jules Ferry condamne sans appel l’importance excessive donnée à l’exercice de la dictée et à la grammaire. « Aux anciens procédés qui consument tant de temps en vain, à la vieille méthode grammaticale, à la dictée – à l’abus de la dictée -, il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant, plus substantiel » (Discours de Jules Ferry au congrès pédagogique des inspecteurs primaires du 2 avril 1880). Il en vient même à mettre en cause la prétention excessive de l’orthographe. « Mettre l’orthographe, qui est une des grandes prétentions de la langue française, mais prétention parfois excessive, au premier rang de toutes les connaissances ce n’est pas faire de la bonne pédagogie : il vaut mieux être capable d’écrire une lettre, de rédiger un récit, de faire n’importe quelle composition française, dût-on même la semer de quelques fautes d’orthographe » . Où en est- on à cet égard ? La situation créée depuis deux mois par les projets de nouveaux programmes du primaire est suffisamment préoccupante pour que deux anciens ministres de l’Education nationale (à savoir Jack Lang et Luc Ferry) signent de concert dans le Nouvel Observateur un texte qui les met en cause en termes extrêmement durs : « paresse intellectuelle, vide abyssal, imposture, reniement ». J’ai eu par ailleurs ces derniers jours plusieurs fois au téléphone le recteur Joutard, qui a été la cheville ouvrière des programmes du primaire datant de 2002, et qui a attiré mon attention sur certains points qu’il me semble utile de vous rapporter brièvement. Dans l’enseignement du français, sous prétexte de retour aux fondamentaux pensé comme un retour à un passé mythique, on privilégie la mémorisation mécanique des règles orthographiques et grammaticales au détriment de la compréhension ; on alourdit la grammaire en y ajoutant les temps complexes (le futur antérieur et le passé antérieur, traités jusque là au collège), et cela au risque de minimiser l’importance de la maîtrise de temps plus utiles. En revanche, ce qui fait le cœur d’une maîtrise réussie de la langue française ( à savoir la capacité de rédiger un texte ) devient secondaire dans les projets de nouveaux programmes : 90 lignes pour la grammaire, 5 pour la rédaction…Alors que dans le BO de 2006 sur le socle commun, il est précisé que l’on doit lire des œuvres intégrales notamment classiques - et rendre compte de leur lecture , impasse totale sur le sujet dans les projets de nouveaux programmes. Dans la culture humaniste, le socle commun défini antérieurement prévoyait des références dans divers domaines artistiques : deux d’entre eux sont complètement absents de la pourtant très longue histoire des arts dans les projets de nouveaux programmes : pas une référence théâtrale ni cinématographique ! Enfin on peut noter que rien n’est fait pour préparer la septième compétence sur « l’autonomie et l’initiative ». Et pour cause, car la plupart des auteurs de ces projets de nouveaux programmes sont vigoureusement contre, et ouvertement. Dans ces circonstances indécises mais potentiellement redoutables, je voudrais attirer l’attention sur l’importance de l’Appel de 19 organisations contre les nouveaux programmes qui vient d’être lancé. Il est signé notamment par des dirigeants de syndicats ( SNUipp, SGEN, Se-Unsa ), d’associations professionnelles ( Ageem, Afef ), de mouvements pédagogiques ( Gfen, Crap, Icem, Cemea ), de parents d’élèves ( FCPE ), de la Ligue de l’enseignement. Et je vais lire, en guise de conclusion mobilisatrice, deux courts passages de ce texte. Parce que le premier circonscrit bien les périls. « Ce projet de programme est marqué par l’inadaptation des contenus, par un affaiblissement de leur dimension culturelle et par une conception mécaniste des apprentissages ». Et parce que le second en appelle implicitement au socle commun de connaissance, mais défini et

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SOCLE COMMUN ? - PEUT MIEUX FAIRE ! mis en œuvre correctement : « Ce programme ne favorisera pas la maîtrise de l’ensemble des connaissances et compétences que l’école se doit de faire acquérir à tous les élèves ». Certains en viennent même à penser, si ces projets de programmes restent en l’état, à un recours juridique où seraient invoqués la loi d’orientation et surtout le décret d’application de 2005 sur le socle commun. Nous n’en sommes pas encore là ; et chacun à la possibilité de participer à la mobilisation en signant l’Appel des 19 contre les nouveaux programmes. Car il y va du sens même qui peut être donné à la définition du socle commun de connaissances et de compétences, et à sa mise en œuvre. Pour terminer sur une tonalité moins dramatique et moins lourde, pour finir vraiment sur une note plus légère et plus libre, je voudrais évoquer in fine ce dialogue réconfortant entre le maître Zarathoustra et l’un de ses disciples. « Maître – questionne le disciple – que dois-je faire pour être heureux ? » « Cela – répond le maître Zarathoustra – cela, je ne le sais pas. Mais je te le dis en vérité : sois heureux, et fais alors ce qu’il te plaît ». Bon courage à tous !

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