1881- 1989 : mise en perspectives historiques - Education et Devenir

10 mars 2011 - discipline mécanique de l'esprit ». Et Jules Ferry prend pour exemple l'enseignement ''basique'' par excellence, l'apprentissage de la lecture.
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I – LES ORIGINES



1881- 1989 : mise en perspectives historiques Claude LELIEVRE, Professeur émérite – Paris On ne peut éviter de remonter à la création de l’Ecole républicaine, au moment ferryste, au rôle de Jules Ferry et des siens. Et cela d’abord parce qu’il existe en France - depuis la troisième République - un lien historique très fort entre République et pédagogie. Cela surprendra sans doute ceux qui sont au fait de l’opposition entre ‘’républicains’’ et ‘’pédagogues’’ qui a été montée avec beaucoup d’artifice en France ces vingt-cinq dernières années par des ‘’républicains’’ auto-proclamés. Mais c’est une opposition qui repose sur un contresens historique manifeste, voire sur une occultation tenace de l’histoire réelle. Et cela mérite d’être vivement dénoncé et longuement développé en ces temps d’incertitude, voire de doute.

Un lien très fort originel entre République et pédagogie Dans les années qui précèdent et suivent 1880, lorsque les républicains s’emparent du pouvoir de façon durable en France, ils s’empressent de mettre en place une solide Ecole républicaine et laïque qui a pour premier objectif, comme l’on disait alors, de ‘’faire des républicains’’ afin de consolider un régime qui apparaît encore fragile. Les républicains comptent beaucoup sur l’Ecole, et sur une pédagogie adaptée, pour que le régime républicain triomphe de façon durable en France. C’est pourquoi ils refondent et généralisent le système des écoles normales chargées de former les corps enseignants ad hoc. C’est pourquoi aussi ils généralisent les conférences pédagogiques et multiplient les bibliothèques pédagogiques. C’est pourquoi enfin ils n’hésitent pas à réunir des congrès pédagogiques d’instituteurs (ou d’inspecteurs et de directeurs d’écoles normales) dans lesquels le principal maître d’œuvre de l’institution d’une Ecole républicaine et laïque en France (à savoir le ministre de l’Instruction publique Jules Ferry) intervient en personne. C’est ainsi que l’on peut entendre Jules Ferry déclarer en plein congrès pédagogique des instituteurs de France du 19 avril 1881 qu’il s’agit d’abord de changer l’esprit de l’enseignement « contre – dit-il - la discipline mécanique de l’esprit ». Et Jules Ferry prend pour exemple l’enseignement ‘’basique’’ par excellence, l’apprentissage de la lecture. « Les hommes d’ancien régime dans l’enseignement primaire sont un peu surpris de ce que nous entreprenons ; ils sont même un peu choqués […].Il se peut que l’éducation que nous voulons donner dès la petite classe nuise un peu à ce que j’appelais tout à l’heure la discipline mécanique de l’esprit. Oui, il est possible qu’au bout d’un an ou deux, nos petits enfants soient un peu moins familiers avec certaines difficultés de lecture ; seulement, entre eux et les autres, il y a cette différence : c’est que ceux qui sont plus forts sur le mécanisme ne comprennent rien à ce qu’ils lisent, tandis que les nôtres comprennent. Voilà l’esprit de nos réformes » (Tome IV des « Discours et opinions de Jules Ferry » publiés chez Armand Colin en 1896 par Paul Robiquet, p. 250). Contrairement à ce que prétendent les soi-disant ‘’républicains’’ auto-proclamés, les grands républicains fondateurs de l’Ecole de la troisième République ont pris très au sérieux la pédagogie, la réflexion pédagogique et même les pédagogues. Et ils le disent explicitement, à l’instar de Jules Ferry lui-même, au Congrès pédagogique des inspecteurs primaires du 2 avril 1880 : « Nous voulons des éducateurs ! Est-ce là être trop ambitieux ? Non. Et je n’en veux pour preuve que la direction actuelle de la pédagogie, que les méthodes nouvelles qui ont pris tant de développement, ces méthodes qui consistent, non plus à dicter comme un arrêt la règle à l’enfant, mais à la lui faire trouver ; qui se proposent avant tout d’exciter la spontanéité de l’enfant, pour en diriger le développement normal au lieu de l’emprisonner dans des règles toutes faites auxquelles il n’entend rien, au lieu de l’enfermer dans des formules dont il ne retire que de l’ennui, et qui n’aboutissent qu’à jeter dans ces petites têtes des idées vagues et pesantes, et comme une sorte de crépuscule intellectuel .Ces méthodes, qui sont celles de Froebel et de Pestalozzi, ne sont praticables qu’à une condition : à savoir que le maître, le professeur, entre en communication intime et constante avec l’élève . (Tome III, opus cité, p.251). On notera ici non seulement l’invocation à « l’éducateur » et la recommandation d’ « exciter la spontanéité de l’enfant », mais aussi la référence appuyée de Jules Ferry aux deux grands pédagogues de l’époque ( Froebel et Pestalozzi ) qui seront d’ailleurs revendiqués plus tard par les partisans de « l’éducation nouvelle » ( dont se réclame, par exemple, Philippe Meirieu ). Le lieutenant de Jules Ferry, Ferdinand Buisson n’est pas en reste et éclaire le sens de ces partis pris pédagogiques républicains. Dans sa conférence aux instituteurs délégués à l’Exposition universelle de

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1878, Ferdinand Buisson met en valeur que la bonne méthode « c’est celle qui dit au maître, il faut vous faire aider dans votre tâche. Par qui ? […]. Par l’élève lui-même. Faites en sorte qu’il ne subisse pas l’instruction, mais qu’il y prenne une part active […]. C’est ce qui distingue l’éducation du dressage : l’une développe des dispositions naturelles, l’autre n’obtient que des résultats apparents à l’aide de procédés mécaniques ». Et cela d’autant plus, ajoute Ferdinand Buisson, que le but de l’éducation républicaine est « le gouvernement de soi », le « pouvoir de se diriger soi-même ». Des années plus tard, dans une lettre adressée en 1887 au directeur de la « Revue de l’enseignement secondaire et supérieur », Jules Ferry persiste et signe en attirant l’attention sur ce qui est à ses yeux essentiel, tout en notant une certaine difficulté de bon nombre d’enseignants de l’enseignement secondaire à mettre en œuvre l’orientation pédagogique préconisée : « La réforme de 1880 [ qui concerne l’enseignement secondaire] subsistera dans ses grandes lignes. Il y faut distinguer deux choses : les programmes et les méthodes. Les programmes des classes ne sont qu’une façade : on a le droit de les trouver surchargés, démesurés, encyclopédiques ; on s’efforce avec raison de les alléger. Mais les programmes ne valent que par la méthode : c’est là la réforme même. Il faut donc se fixer sur la Note dont le Conseil supérieur a fait suivre les programmes de 1880. On pourra modifier les programmes, on ne mordra pas sur les prescriptions si claires de cette Note qui renferment en quatre pages toute la substance des controverses pédagogiques soulevées depuis vingt ans, sur ces instructions, à la fois pratiques et philosophiques, qui marquent si nettement la différence entre l’esprit ancien et l’esprit nouveau […]. Oui, vraiment, tout est là. Car les nouvelles méthodes […] fortifient la classe de tout ce qu’elles enlèvent aux routines, aux analyses à outrance, à tous les exercices mécaniques et surannés. A des méthodes nouvelles, il faut des maîtres nouveaux. Pourquoi ne pas le dire ? C’est la résistance du corps enseignant de l’enseignement secondaire qui a, jusque là, compromis la réforme » (Tome VII, opus cité, p. 540 .La lettre de Jules Ferry a été publiée par la revue, en date du 15 novembre 1887).

La mise en cause de la formation des enseignants du secondaire. A l’époque (et cela durera jusqu’à la création du CAPES dans les années 1950) la plupart des enseignants du secondaire sont recrutés au niveau de la licence et titularisés après quelques années d’enseignement (à l’instar, au fond, de ce qui a existé plus tard pour les AE, les adjoints d’enseignement). Mais le corps d’élite des lycées, lui, est recruté en principe sur la base de l’agrégation. Dans la ligne des préoccupations de Jules Ferry, l’historien Ernest Lavisse (l’un des autres principaux lieutenants de Jules Ferry) s’en prend aux artifices du recrutement et de la formation pédagogique des agrégés, et en particulier à la soi-disant leçon faite devant un jury d’agrégés et de professeurs de facultés. « Au régiment, on apprend au simple soldat à commander, en le mettant devant un peloton de soldats : j’imagine qu’il commanderait mal un peloton de généraux. La leçon qui sera faite devant le jury d’agrégation pourrait donc être très bonne en elle–même, et détestable si on la transposait devant un auditoire de vrais élèves.. Et si le candidat parlait devant le jury comme il le ferait devant des élèves de quatrième, l’épreuve aurait un caractère de puérilité qui étonnerait fort les juges. L’étudiant prépare donc à la Faculté ses leçons sans aucune préoccupation pédagogique et, quand il se trouve pour la première fois devant de véritables élèves, il n’a jamais réfléchi sur la façon de leur parler » (« Questions d’enseignement national », 1885) Ernest Lavisse souhaite que l’on crée des chaires universitaires de science de l’éducation (il en existe alors deux en France) pour structurer la formation professionnelle qu’il appelle de ses vœux. Il considère que des connaissances spécifiques sont nécessaires aux futurs professeurs dans des domaines très divers, de la psychologie à l’histoire, de la sociologie à la physiologie. Et il s’insurge tout particulièrement contre « l’objection préalable que les qualités essentielles de l’éducateur ne s’enseignent ni ne s’acquièrent ». Mais, finalement, tout cela restera pour l’essentiel lettre morte. La masse du corps des enseignants du secondaire continuera à penser que sa valeur, et surtout sa distinction, réside de façon quasi exclusive dans la culture spécialisée (incorporée dans des disciplines pointues) qu’il peut délivrer et qu’il détient. Et cela d’autant plus que le corps du secondaire va être confronté directement à la concurrence du corps du primaire dans la longue marche vers « l’Ecole unique » qui commence dès l’entre-deux-guerres. Le phénomène de distinction va donc jouer à plein, le corps du secondaire se voyant comme le représentant seul légitime de la culture ( de la haute culture ) face aux ‘’usurpateurs’’ du primaire réduits à être les champions de ‘’la pédagogie’’, considérée comme une ‘’fausse science’’.

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Les années 1880 : une nouvelle ambition pour les écoles normales primaires. Au début des années 1880, les écoles normales d’instituteurs (qui avaient été généralisées par la loi Guizot de 1833) et les écoles normales d’institutrices (qui viennent d’être généralisées par la loi Paul Bert de 1880) se trouvent être le siège d’ambitions nouvelles. Dans la mesure où leur mission est considérée comme vitale pour la République, les instituteurs et les institutrices doivent être mieux formés pour bien réussir. La pédagogie fait partie de la liste des matières fixée par le décret du 29 juillet 1881, et celle-ci fait l’objet d’une attention toute particulière : on va donner aux élèves-maîtres des connaissances sur les principes d’éducation, sur l’histoire de l’école, sur les méthodes et les procédés, sur la législation scolaire. Il ne s’agit plus seulement d’acquérir de bonnes habitudes et quelques techniques ; il s’agit d’apprendre à exercer de façon réfléchie un métier difficile et important.

La difficile articulation ‘’théorie’’- ‘’pratique’’ Un problème essentiel - particulièrement délicat à résoudre - émerge alors : comment penser (et instituer) une relation correcte entre la « théorie » et la « pratique », l’école normale et les « écoles d’application » ou « écoles annexes » ? Les réponses varient. La réforme de 1905 qui promeut de façon décisive le rôle de la formation professionnelle dans le dispositif des écoles normales primaires précise que « la fonction essentielle des écoles normales consiste moins à préparer des brevetés qu’à former par une culture spéciale les futurs éducateurs de la démocratie » (décret du 4 août 1905). Désormais les élèves-maîtres sont appelés à passer le brevet supérieur au terme de leur seconde année d’école normale et un « examen de fin d’études normales » au terme de leur troisième année. Les programmes de première et seconde année se trouvent réduits et remaniés. Ceux de troisième année sont, quant à eux, longuement développés autour de deux grands axes : « les programmes et directions pédagogiques » (explicitant pour chaque discipline les modalités spécifiques de leur application pratique) ; « l’éducation professionnelle des élèvesmaîtres » (se préoccupant largement de l’enseignement dispensé dans les écoles annexes ou les écoles d’application). Mais, en 1920, on revient à la formule de 1881. Afin de « rendre aux écoles normales le sentiment net de leur rôle spécial » (arrêté du 18 août 1920), on réintroduit la formation professionnelle dès la première année (en répartissant les stages des élèves-maîtres sur les trois années de la scolarité) et le brevet supérieur comme unique sanction terminale. Les études portent en première année sur la pédagogie générale, en seconde année sur la pédagogie spéciale (celle des différentes « matières » ou « disciplines »), et en troisième année sur la morale professionnelle et l’administration scolaire.

L’intermède du régime de Vichy : la suppression des Ecoles normales primaires C’est l’intermède du régime de Vichy qui va paradoxalement précipiter certaines décisions et installer les écoles normales primaires dans un « entre-deux » qui aboutira à l’effacement du « régime d’école normale », puis à leur disparition pure et simple. Les tenants du régime de Vichy accusent les instituteurs d’avoir déserté, de s’être mal battus, d’avoir prêché le pacifisme et l’antimilitarisme, d’être les principaux artisans de la déroute de 1940. La matrice de leur formation - les écoles normales - doit être détruite. Le 18 septembre 1940, Pétain signe une loi qui décrète la suppression des écoles normales. Le 28 novembre, une autre loi organise les études des futurs instituteurs : ils seront désormais scolarisés, après avoir été recrutés par concours, dans un lycée où ils prépareront le baccalauréat. Le décret du 15 août 1941 crée les « instituts de formation professionnelle » (un par académie), où les élèves-maîtres apprendront leur métier. Mais, à la Libération, les ordonnances du 9 août 1944 et du 31 mars 1945 annulent la législation de la période pétainiste : les instituts disparaissent et les écoles normales sont rétablies.

La Libération Les écoles normales sont rétablies, certes, mais avec des changements importants qui vont peser lourd à terme. Il y a une secondarisation de fait de la formation des instituteurs. Le décret du 6 juin 1946 stipule qu’ils doivent désormais préparer et obtenir le baccalauréat (au lieu du brevet supérieur) ; et leurs professeurs, en principe, sont désormais des enseignants que rien ne distingue plus de leurs collègues des

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lycées, puisqu’ils doivent être recrutés au sein du corps des professeurs du secondaire (ils ne sont donc plus issus du primaire supérieur, via les écoles normales primaires supérieures de Saint-Cloud et Fontenay comme auparavant). C’est la fin de l’auto-reproduction du primaire en circuit fermé. Mais l’internat en école normale demeure une règle fondamentale, dans la ligne - assouplie - de la conception séminériale traditionnelle. Par ailleurs, le rapport de la Commission Langevin-Wallon de juin 1947 (qui sera la référence plus ou moins mythique de toutes les réformes envisagées par la suite), inspiré par le projet d’école unique, se prononce en toute cohérence pour un corps unique d’enseignants formés dans une structure unique. Il est proposé que des « maîtres de matières communes » enseignent dans le primaire et le premier cycle du secondaire, que des « maîtres de spécialités » professent dans le premier et le second cycle du secondaire, et que les uns et les autres suivent le même type de cursus dans les mêmes centres de formation. Pour tous il s’agit de deux ans de scolarité en école normale (après le baccalauréat) où ils doivent recevoir une formation professionnelle essentiellement pratique et être préparés à « propédeutique » (un nouvel examen universitaire sanctionnant une année d’étude avant la licence, qui se passe alors en deux ans). Tous doivent ensuite obtenir une licence à l’issue de deux années d’études à l’Université (pour les « maîtres de spécialités », dans les disciplines universitaires spécialisées ; pour « les maîtres de matières communes », un approfondissement théorique universitaire - essentiellement psychopédagogique). Le ‘’Plan’’ ne verra pas le jour.

Deux versions du CAPES (1950 et 1952) Mais au début des années 1950 vont se succéder deux versions du CAPES (qui n’existait pas jusqu’alors, puisque les enseignants du secondaire étaient recrutés soit via l’agrégation, soit embauchés sur la base d’une licence puis titularisés sur leur poste à l’instar, en quelque sorte, des ‘’adjoints d’enseignement’’). Le décret du 1er avril 1950 institue un certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement public du second degré (CAPES) qui comprend deux parties : « Premièrement, une partie pratique dont les épreuves ne peuvent être subies qu’au cours de la seconde année d’un stage d’au moins deux années dans un collège ou un lycée ; deuxièmement, une partie théorique ». D’abord, donc, un stage pratique et son évaluation ; ensuite un examen écrit, qui ne doit pas être livresque mais étroitement professionnel : « Le stagiaire pourvu de conseillers pédagogiques apprend son métier ; c’est la preuve de son apprentissage qu’on lui demandera au terme de son stage. Le succès au stage sera suivi d’un examen écrit dont les épreuves, à caractère très étroitement professionnel, devront confirmer l’adaptation du candidat aux différentes tâches qu’il a à remplir comme professeur. Le succès dépendra donc beaucoup moins d’une préparation intensive et livresque que de l’application au travail quotidien et de la réflexion personnelle sur ses conditions ». Mais des craintes se font jour quant à la préparation au concours de l’agrégation, au rétrécissement de son aire de recrutement. Dès 1952, les partisans de la défense et illustration de l’agrégation ont gain de cause. Une deuxième mouture du CAPES est mise en place, qui durera. Le décret du 22 janvier 1952 stipule : « Le concours pour l’obtention du CAPES comprend deux parties indépendantes : premièrement une partie théorique qui comporte des épreuves écrites et une épreuve orale ; deuxièmement une partie pratique soutenue un an après le succès à la partie théorique ». Dans le Journal Officiel du ministère de l’Education nationale, l’inspecteur général Campan commente la réponse profonde de ce nouveau dispositif, de cette inversion : « une caractéristique essentielle du nouveau système, c’est sa liaison avec le concours d l’agrégation ». Il s’agit d’assurer avant tout – directement et indirectement – un recrutement élargi et de qualité pour l’agrégation, qui est ainsi consolidée.

La réforme envisagée par Alain Peyrefitte et le colloque d’Amiens (mars 1968) Une profonde réforme éducative était bel et bien prévue et déjà quasi engagée. Et Alain Peyrefitte y tenait tellement (et durablement) qu’il en a donné de nombreux détails significatifs dans le tome III de « C’était de Gaulle », paru chez Fayard en 2000. Alain Peyrefitte partait d’un diagnostic qui nous taraude encore : « La réforme de l’enseignement engagée depuis 1959 a profondément modifié les cadres de l’organisation scolaire, le contenant. Pour donner tout son sens à cette œuvre, il faut s’occuper du contenu. Les méthodes pédagogiques n’ont guère évolué depuis le siècle dernier, ni même depuis le XVII° siècle. Or rien n’est plus difficile que de faire changer l’esprit et les méthodes. La démocratisation amène dans l’enseignement secondaire des enfants

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culturellement défavorisés ; ils ne sont pas justiciables des méthodes qui réussissent auprès des enfants culturellement favorisés. La concurrence de la vie – cinéma, télévision, bandes dessinées – soumet le pédagogue à rude épreuve. Il y a tout un phénomène de rejet de la vie scolaire telle qu’elle est aujourd’hui » (Alain Peyrefitte au Conseil des ministres du 28 février 1968 ). Dès son arrivée en mai 1967 au ministère de l’Education nationale, Alain Peyrefitte avait réuni chaque semaine une groupe de travail qui avait élaboré peu à peu un plan de réforme en vingt-sept points (donnés en annexe du tome III de C’était de Gaulle, pp 629-642 ). Lorsqu’il démissionne de son ministère en raison des événements de Mai 68, quatre d’entre eux « faisaient l’objet de textes en préparation » et huit autres étaient à l’étude. Deux des points considérés comme acquis concernaient la formation des maîtres. Les écoles normales devaient être remplacées par « des instituts universitaires de pédagogie, situés au chef lieu d’académie près de l’université, ouverts par concours ou sur dossier à tous les bacheliers, et comportant deux années de préparation professionnelle et d’enseignement de la pédagogie ». On attend toujours – et plus que jamais - ces deux années…

Du colloque d’Amiens à la loi d’orientation (juillet 1989) et aux IUFM En mars 1968, le colloque d’Amiens - centré sur les méthodes pédagogiques et la formation des maîtres, et qui rassemble nombre de hauts fonctionnaires réformateurs et d’innovateurs pédagogiques – émet lui aussi un corps d’idées en matière de formation des enseignants très novateur : une formation universitaire pour tous, deux années de formation professionnelle pour tous avec un stage en responsabilité, une formation continue obligatoire et statutaire pour tous, et enfin la création dans chaque académie d’un Centre universitaire de formation et de recherche en éducation. Il propose aussi et surtout de substituer aux écoles normales primaires et aux lieux de formation des autres enseignants (du secondaire ou du technique) des centres interuniversitaires de formation et de recherche en enseignement. Les « événements de mai 68 » et ses suites sonnent le glas définitif du style de formation « séminériale » en école normale. Une série de mesures sont décidées dès 1969. Les élèves-maîtres sont désormais autorisés à être externes sans restriction aucune, et la suppression des classes préparant au baccalauréat est prévue (les classes de seconde et première sont supprimées en 1972 et 1973, puis celles de terminale). Le concours d’entrée à la fin de la troisième disparaît en 1977. Désormais, on ne rentre plus en Ecole normale qu’après l’obtention du baccalauréat. Un processus d’universitarisation du cursus et de la formation des futurs enseignants du primaire s’enclenche. Dès 1979, un « diplôme d’études générales universitaires » (DEUG) doit être délivré par l’université aux futurs instituteurs. En 1982, on décide qu’un concours d’entrée dans les écoles normales sera ouvert aux étudiants déjà titulaires d’un DEUG (le concours pour bacheliers existant toujours par ailleurs). En 1984, la loi sur les universités précise que les écoles normales font désormais partie de l’enseignement supérieur. Dès son arrivée au ministère de l’Education nationale, Lionel Jospin charge le recteur Bancel de préparer une commission qui rend son rapport le 10 octobre 1989 : « Créer une nouvelle dynamique de la formation des maîtres ». La formation des enseignants est clairement définie en termes de professionnalisation. La loi d’orientation sur l’éducation promulguée le 14 juillet 1989 annonce la création de principe des IUFM. Deux caractéristiques sont affirmées sans appel : l’unicité des centres de formation et le caractère universitaire de la formation des enseignants de toutes catégories. La longue histoire des institutions spécifiques de formation des maîtres du primaire est terminée, et les écoles normales ont vécu. On entre dans une autre histoire de la formation des enseignants dont l’histoire précise reste à faire, et qui n’est pas terminée…

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