Modèle EIAH'2003 - L'équipe Trigone CIREL

évolution en suscitant des fonctionnalités spécifiques telles que liste de tâches, ..... Contribution à l'ingénierie dirigée par les modèles en EIAH: le cas des.
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MODÈLE ARTISANAL DE LA FORMATION A DISTANCE Lien entre l'artefact et la pédagogie Conférence JOCAIR 2010 Pierre-André Caron, Raquel Becerril Ortega et Stéphane Réthoré Laboratoire Cirel Université de Lille1 59655 Villeneuve d’Asq [email protected] [email protected] [email protected] RÉSUMÉ.

Ce travail constitue une première étude exploratoire d'un modèle de formation à distance que nous qualifions d'artisanal. A partir d'une articulation de trois critères : financier, pédagogique et instrumental, nous avons développé notre analyse théorique. Nous présentons ensuite trois études de cas illustrant des postures différentes dans la mise à distance d'un enseignement présentiel. Enfin ce travail ouvre des perspectives de recherche quant à l'instrumentation par les acteurs impliqués. MOTS-CLÉS :

formation distance modèle artisanal plate-forme médiation.

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1. Introduction De nos jours, l'enseignement à distance vit un grand essor dans les projets stratégiques universitaires. Sa mise en œuvre constitue parfois une grande partie du chiffre d'affaires des centres de formation ou instituts associés à l'université. Cet essor implique le développement de nouvelles pratiques d'enseignement qui réinterrogent les aspects pédagogiques et financiers associés. De nombreuses études décrivent ces différents aspects sans pour autant caractériser leur articulation. Notre recherche exploratoire tente d'analyser ces liens, en particulier en explicitant la relation entre l'environnement numérique et son utilisation par des enseignants dans une formation à distance. Dans la première partie, nous présentons un état de l'art décrivant les aspects financiers, pédagogiques et instrumentaux véhiculés traditionnellement par l'enseignement à distance. Ces aspects participent à la définition d'un modèle traditionnel de l'enseignement à distance en rupture avec le modèle artisanal de l'enseignement présentiel. Dans la deuxième partie, nous introduisons ce modèle artisanal de la formation à distance. La présentation de ce modèle s'intéresse aux aspects évoqués précédemment, dans une tentative de questionnement et non pas d'opposition. Dans la troisième partie nous tentons de qualifier le lien entre l'artefact et la pédagogie, nous menons ainsi une analyse critique au regard des théories de l'apprentissage, de l'artefact utilisé pour mettre en œuvre les formations à distance que nous étudions. Nous terminons par une analyse empirique des différents usages de l'artefact, dans son inscription instrumentale effectuée par trois enseignants. Les résultats de notre recherche montrent comment le modèle artisanal de la formation à distance peut reposer sur des aspects financiers et pédagogiques proches de l'enseignement présentiel pour autant qu'il soit associé à un outil adaptable. Cette appropriation prévue par le concepteur permet à chaque enseignant de définir des usages très spécifiques de l'artefact. Cette recherche ouvre des perspectives heuristiques, concernant les rapports artefact - modèle pédagogique et en relation avec la négociation des contenus de formation in situ et en juste à temps, pendant le déroulement de la formation. 2. Le modèle traditionnel de la formation à distance Nous nous intéressons dans cette première partie aux aspects financiers, pédagogiques et intrumentaux articulés autour d'un modèle traditionnel de la formation à distance. Ce modèle est souvent associé à un enseignement de masse, promouvant la division du travail et le tutorat entre pairs. Dans un article consacré aux campus numériques, Julien Deceuninck établit une filiation avec l'enseignement mutuel. "Les formations de niveau Licence, caractérisées par des effectifs nombreux, ont tendance à recourir à des supports standardisés et sont accompagnées d’un tutorat faiblement qualifié comme dans le modèle scolaire de l’enseignement mutuel au début du XIXe siècle" (Deceuninck, 2007).

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De même (Krauss & Serra, 2004) rapprochent l'enseignement sur une plateforme de formation aux pratiques de l'enseignement mutuel. Cet enseignement, inventé par Lancaster et Bell, permettait de mobiliser au sein d'une même classe près de 1000 élèves. Il reposait sur la définition d'un nouveau rôle : celui de tuteur, nommé parfois également instructeur ou répétiteur (Laborde [comte de], 1818, p. 36). Il instaurait ainsi une formation novatrice peu onéreuse pour tous les exclus de l'enseignement : "étendre les bienfaits de l'éducation, en abréger les difficultés, en diminuer les dépenses" (Laborde [comte de], 1818, p. 21). Sur ce modèle se sont bâties la majorité des formations à distance (Moeglin, 1998). En France, en partenariat avec le CNED, ce modèle est perpétué par les campus FORSE. Pédagogiquement il repose sur la médiatisation par des enseignants chercheurs des séquences pédagogiques et sur l'animation de ces mêmes séquences par des tuteurs. " Les étudiants de licence poursuivent leur cursus selon le modèle classique d'EAD du CNED : j'apprends les cours, je fais les exercices d'entraînement, je révise, je me présente aux examens " (Béziat & Wallet, 2007, p. 66). Le modèle financier repose quant à lui sur "l’association entre des effectifs importants en Licence, générateurs de financements importants et des effectifs plus faibles en Master en partie compensés par des tarifs plus élevés." (Deceuninck, 2005, p. 10). Deceunink remarque que "les coûts liés à la médiation à distance sont peut-être plus importants que les coûts de médiatisation” et propose que ”L’étape ultime en terme de diminution des coûts pour l’institution serait alors, dans la mesure où l’encadrement de mémoire à distance est lui aussi coûteux, à proposer aux étudiants du travail collaboratif avec un encadrement le plus limité possible.” (Deceuninck, 2005, p.41). Différentes expérimentations ont été menées dans ce sens, elles proposent d'insérer au modèle des activités de type collaborative (Béziat, Godinet, & Wallet, 2005; Siméone, Eneau, & Rinck, 2007). Ce modèle traditionnel de l'enseignement à distance exige la mise en place d'une infrastructure complexe au sein de l'institution universitaire. Il implique une ingénierie et une division du travail enseignant : le concepteur du cours, l'animateur du cours, le correcteur du cours, l'animateur de la plate-forme. Ce modèle est associé à des plates-formes qui supportent bien l'organisation pédagogique proposée, en distinguant les activités de l'enseignant, du tuteur et des correcteurs. Ces plates-formes, telles que WebCT, Moodle, Claroline, Dokéos, mettent en scène cette division en séparant par exemple les documents, les activités et le rendu des travaux. Ces plates-formes sont souvent associées à une pédagogie de type socio-constructiviste (Paquette, Rosca, Teja, Léonard, & Lundgren-Cayrol, 2001), (Dougiamas & Taylor, 2002), (Allert, 2004), (Nodenot, 2006), parce qu'elles offrent des services de communication comme des forums ou messageries instantanées, nous évoquerons dans la partie suivante la faiblesse de cette association. Le modèle traditionnel de l'enseignement à distance présente des caractéristiques principales liées entre elles : une rentabilité financière reposant sur un enseignement pour le plus grand nombre qui impose une division du travail séparant enseignant concepteur du tuteur de l'activité. Le tout est supporté par une plate-forme qui consacre cette division et qui est fréquemment associé aux théories socio-constructivistes de l'apprentissage.

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3. Le modèle artisanal de la formation à distance Nous avons souhaité, dans le cadre de notre recherche, étudier un modèle de la formation à distance bâti sur le modèle de l'enseignement présentiel que nous qualifierons d'artisanal . Afin de le décrire nous avons choisi de mobiliser, comme dans la première partie, les mêmes aspects financiers, pédagogiques, et instrumentaux. Ces aspects structurent notre étude qui se veut exploratoire. Une des spécificités de l'enseignement présentiel est le processus de création pédagogique, dans la mesure où l'enseignant est créateur et utilisateur de son œuvre. Indépendamment de l’usage d’un artefact numérique et de la mise en œuvre d'un enseignement distant, un enseignant participe au processus de création des contenus et d'une séquence pédagogique, de façon ordinaire et artisanale. Ce recours à l’artisanat constitue pour lui une économie de moyens. L’artisanat est adapté aux conditions particulières d’un enseignement où l’enseignant est responsable des modalités et des contenus enseignés. Plus généralement, la capacité de l’artisan à adapter la production à des besoins de petite échelle en tenant compte des conditions spécifiques et changeantes, participe de cette économie de moyen. « Sur le plan technique, l'artisanat est évidemment déterminé par les limites de la capacité de production propres à l'individu-artisan. Autrement dit, ne seront concernés que les techniques et les objets maîtrisables par un seul homme dans le cadre de son propre procès de travail. Si le recours à la division du travail est indispensable pour un produit ou un service déterminé, la production échappe à la dimension artisanale. Cela délimite donc un champ technique de l'artisanat en même temps qu'une organisation particulière du travail » (Barthelemy, 1986). L’artisanat est adapté en tant que mode de production à l’économie spécifique d’intervention des enseignants. Cette économie repose cependant sur la maîtrise par ceux-ci de la production d’objets pédagogiques. Cette maîtrise est effective dans le cadre d’un enseignement traditionnel, mais est plus difficile à acquérir en enseignement à distance, car elle nécessite des compétences impliquant différents savoirs instrumentaux. Cette difficulté est ainsi à l’origine des tentatives de rationalisation du processus de production pédagogique qui ont mené au modèle traditionnel de la formation à distance décrit précédemment. Ces tentatives de rationalisation supposent des enseignants utilisant et réutilisant des productions pédagogiques conçues par d’autres. Or, dans le domaine de la création enseignante, de nombreux auteurs ont stigmatisé l'individualisme des enseignants et leur tendance à réinventer de façon artisanale ce que d'autres ont probablement déjà expérimenté par ailleurs. Ainsi lorsque Michael Huberman parle de savoir enseignant, il utilise le terme « savoir artisan » (Huberman, 1980). François Perrenoud souligne lui aussi cette attitude peu ingénieriste :"Ce serait très mal comprendre la logique de la pratique enseignante que de combattre de front cette tendance (…), la réinvention d'activités et du matériel correspondant est un élément important dans l'enrichissement et l'appropriation personnelle du rôle professionnel." (Perrenoud, 1983). Ces réflexions nous ont amené à essayer de conceptualiser et de mettre en œuvre un modèle artisanal de la formation à distance dont nous allons détailler les différents aspects.

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La rentabilité financière de ce modèle artisanal s'inspire d'une économie de type longue traine (Anderson, 2006). Elle ne repose pas sur un enseignement au plus grand nombre mais sur une plus grande offre d'enseignement. Chaque offre, très spécialisée, est ouverte à un petit nombre d'étudiants recrutés dans le monde entier. L'organisation du travail est proche de l'enseignement présentiel. Elle distingue deux rôles principaux, le responsable de dispositif rémunéré à l'Université par une partie de la prime pédagogique, l'enseignant auteur et animateur de son cours payé sur la base des heures qu'il ferait en présentiel. Un dernier rôle, celui de directeur des études, est actuellement formalisé pédagogiquement et administrativement par notre institut. L'application Web ACCEL que nous utilisons est conçue comme un service de médiation ouvert : •

médiation entre enseignants et apprenants, le service mêle dans un même lieu virtuel tous les apprenants, tous les enseignants ;



médiation entre activité et ressource, toute activité menée ouvre un forum de discussion ;



médiation entre services, de nombreuses applications de type web 2.0 utilisent ACCEL comme conteneur.

Outre les nombreuses autres caractéristiques que nous décrirons dans la suite de cet article, il s'agit d'une application Web capable de reproduire les interactions d'une classe en présentiel en privilégiant la communication contextualisée (George, 2005). La pédagogie mise en oeuvre sur ACCEL oscille entre un enseignement assez transmissif, au contenu très médiatisé, et un enseignement très collaboratif, au contenu co-construit. Une des caractéristiques de ces enseignements (qu'ils soient transmissif ou collaboratif) est de générer un très grand nombre de messages, en moyenne 8000 par promotion de 25 étudiants (statistique depuis 2004). 4. La place de l'artefact: entre la théorie instrumentale de Rabardel et la théorie de l'apprentissage socio-constructiviste Les modèles traditionnel et artisanal sont bâtis sur des logiques de formation différentes et ils entraînent des logiques de fonctionnement différentes. Dans cette partie, nous présentons plus explicitement, l'artefact ACCEL qui soutient notre modèle artisanal, puis nous présentons une analyse critique de celui-ci au regard des théories de l'apprentissage. L'histoire d'ACCEL s'inscrit dans la recherche d'un artefact adapté aux échanges. Après avoir testé plusieurs plates-formes en vraie grandeur (PCDAI, 2007), et suite à la constatation de leur inadéquation à mettre en scène les échanges d'une classe présentielle, l'institut CUEEP de l'université de Lille1, porteur de nos formations, a choisi sa propre application Web. Celle-ci a été conçu dans le but de favoriser et d’organiser les échanges au sein d’un groupe.

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Aujourd'hui, à l'université, l'application ACCEL est utilisée dans les formations à distance impliquant de faibles effectifs, les formations proposant du présentiel enrichi pour un enseignement de masse, sont plutôt portées par Moodle. Dans la suite de cet article nous évoquons l'usage d'ACCEL dans un contexte bien précis une petite promotion, 25 étudiants, de Master deuxième année Science de l'Education option Ingénierie Pédagogique et Multimédia, la formation dure 18 mois comportant 13 mois de cours suivis par 5 mois de stage en entreprise. ACCEL a permis de recréer le groupe Master sans déperdition d'énergie: le secrétariat, l'équipe pédagogique et les étudiants partagent le même espace. Toutes les contributions sauf volonté de la part de l'enseignant sont donc accessibles à tous. On constate qu'un groupe de Master génère en moyenne 8000 contributions et plus de 2 Go de documents attachés. ACCEL est organisée en ateliers. La contribution est l’objet de base, elle peut également être appelée commentaire ou à propos en fonction de son contexte. Une contribution appartient à une liste, qui appartient à un atelier, qui appartient à un sous-groupe ou au groupe ACCEL. Le contenu d'une contribution peut être mis en forme avec un éditeur simple ou un éditeur wysiwyg suivant les caractéristiques de la liste. Elle peut avoir un document attaché. Les listes possèdent de nombreuses propriétés, et les contributions héritent des propriétés de la liste auxquelles elles appartiennent. Dans notre usage, chaque groupe correspond à une promotion et un atelier correspond à une unité d'enseignement. Quatre rôles sont définis par l'artefact, ils sont instrumentés ainsi : l'étudiant : il peut contribuer dans les listes; l'observateur : il peut lire toutes les contributions, et s'abonner à tous les ateliers; l'enseignant : il peut créer les ateliers, les listes, les contributions, il compose les sous-groupes et accorde les droits; le responsable : il crée le groupe pour une promotion, il reçoit tous les messages de la plateforme. Il est très fréquent qu'au sein d'un sous-groupe les étudiants se voient attribuer des droits d'enseignant. Les différents rôles, et les fonctions attachées à ces rôles sont donc dynamiques, ils permettent l'appropriation pédagogique de la plate-forme. Les contributions sont ordonnées pédagogiquement par atelier et par liste, un enseignant peut déplacer une contribution. Différents accès sont également proposés : par notification, par numéro, par auteur, par moteur de recherche plein texte et par date. Pour les concepteurs d'ACCEL, il s'agissait au départ d'imaginer un outil de médiation qui n'aurait ni les inconvénients des groupes de news, ni la pauvreté des forum et permettrait de reproduire toutes les formes d'échanges : de la conversation au tour de table, en passant par la conférence, la table ronde et le débat. L'application Web prévue initialement comme service de médiation est utilisable en formation. De son origine comme service de médiation retenons que les dénominations de ses fonctionnalités n'induisent pas d'activité pédagogique précise. Un atelier peu héberger un cours, ou une simple séquence, une liste peut avoir plusieurs formes : trombinoscope, dépôt de document, discussion, tour de table, prise de place, etc... De plus, ACCEL ne propose pas les séparations strictes souvent instituées par les plates-formes de formation actuelles, séparation entre contenu savant et contenu co-construit, séparation entre enseignant et apprenant. Son usage, dans un contexte d'enseignement, a par ailleurs contribué à son évolution en suscitant des fonctionnalités spécifiques telles que liste de tâches, casier de rendu, évaluation et suivi. Historiquement ACCEL n'est donc pas une

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plate-forme de formation à laquelle on aurait agrégée des fonctionnalités de médiation, c'est un service de médiation enrichi par des fonctionnalités d'enseignement. ACCEL repose sur un service de médiation riche, pour autant nous ne souhaitons pas associer les activités hébergées par celui-ci, à la théorie de l'apprentissage socio-constructiviste. Nous désirons d’ailleurs, dans la suite de cette partie, critiquer dans un cadre plus général l'affirmation selon laquelle les fonctionnalités d'un artefact pourrait induire systématiquement des usages apparentés à une théorie de l'apprentissage, par exemple ici le socioconstructivisme. Notre critique s'organise autour de deux points. Dans le premier point nous pointons la distinction entre conception et usage : une théorie de l'apprentissage peut inspirer la conception d'une plate-forme sans que celle-ci ne soit le théâtre de l'usage pédagogique attendu. Une dérive technocentriste consiste à attribuer aux artefacts les capacités des instruments. Nous transposons la théorie instrumentale de Rabardel à la compréhension des phénomènes liés à la conception et l'usage des instruments numériques pour la formation. Rabardel affirme qu'un artefact "désigne en anthropologie toute chose ayant subi une transformation d'origine humaine, même minime" (Rabardel, 1995). Un instrument, c'est selon lui "l'artefact inscrit en situation dans un usage comme moyen d'action d'un utilisateur" (Rabardel, 1999, pp. 10,11). L’artefact constitue seulement une partie de l’instrument, sa partie neutre ou universelle. Il est possible de détourner, compléter, dépasser les usages prévus par les concepteurs. Rien ne nous assure donc qu'une plate-forme de formation prévue pour une pédagogie de type socio-constructiviste sera utilisée comme telle. Nous pointons ainsi l'importance de l'activité du sujet en situation, qu'il soit enseignant ou apprenant, dans une approche interactionniste (Brousseau, 2003). Les concepteurs d'un artefact peuvent implémenter des fonctionnalités d'échange synchrone ou asynchrone dans une plate-forme, rien ne garanti leur utilisation par l'enseignant ; l'enseignant peut induire l'usage de ces fonctionnalités dans son enseignement, rien ne garanti leur appropriation par les apprenants. Dans le deuxième point nous pointons l'association faite entre échanges verbaux et construction socio-contructiviste de la connaissance. Une plate-forme de formation comporte souvent des fonctionnalités qui accueillent des échanges verbaux. Pour autant ces fonctionnalités ne recouvrent pas toutes les formes de la connaissance construite. Dans ces échanges verbaux on ne peut voir que la partie prédicative de la connaissance, la partie que l'on peut énoncer. Or l'acquisition des connaissances ne se limite pas a une forme prédicative mais comporte également une forme opératoire, celle qui permet de faire et de réussir (Vergnaud 2001). Un apprenant ayant des connaissances opératoires peut utiliser une plate-forme sans y tenir des échanges verbaux, au travers de ses ressources, et de l'expression de la connaissances des autres. Les activités hébergées par une plate-forme de formation peuvent susciter des conflits socio-cognitifs, ceux ci ne sont pas toujours associés aux fonctionnalité de communication. Le lien souvent présenté comme nécessaire et suffisant entre médiation et socio-constructivisme, n'est ni nécessaire : "le conflit ne doit forcement pas être verbalement formulé ou exprimé au travers d'un malentendu."(Zittoun, Perret-Clermont, & Carugati, 1997, p. 29), ni suffisant "le conflit sociocognitif est plus qu'un simple conflit de points de vue."(Zittoun et al., 1997, p. 29).

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5. Illustration de la place de l'instrument dans le modèle artisanal ACCEL existe depuis une dizaine d'années, et plusieurs témoignages nous confortent sur la pérennité de son projet. Nous cherchons à identifier la diversité des usages de ce service. Son caractère adaptable permet en effet aux enseignants, qui élaborent et animent leurs cours, de se référer a leur pratique du présentiel. Nous souhaitons analyser cette spécificité en explorant trois situations singulières mais exemplaires proposées aux apprenants, elles illustrent une grande variabilité dans l'utilisation de l'artefact. La méthodologie que nous avons choisie est qualitative. A partir de notre réflexion sur les aspects financiers, pédagogiques et instrumentaux, nous dégageons deux critères d'analyses : les fonctionnalités des listes choisies et les stratégies de communication qui leurs sont associées. Nous cherchons au travers de ces critères des illustrations des différents usages de l'artefact instrumentalisé par les enseignants. L'activité de ceux ci a lieu dans le cadre du modèle artisanal de notre formation : l'enseignant crée ses ateliers à partir de l'outillage que l'application ACCEL propose. Se faisant il associe à l'artefact des schèmes d'usage propre à l'activité "créer un cours". Nous décrivons dans la suite trois exemples d'une telle création. 5.0. Premier exemple : séquences et co-construction

Figure 1 : organisation séquentielle de l'atelier Le premier exemple concerne l'enseignement du module "Services pour le elearning" (20 heures en présentiel). La figure n°1 représente une copie d'écran de l'atelier et des différentes listes qui le composent. L'enseignant a choisi une

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répartition par séquences pédagogiques, il a mobilisé 5 types de listes différentes : les liens, les contributions, les documents, les tâches et des casiers de rendu. Dans cet exemple les pratiques de l'enseignement présentiel sont reproduites dans l'enseignement distant. Chaque séquence correspond à une séance présentielle de quatre heures. A distance, cette séquence dure deux semaines. L'outillage mobilisé correspond à une transposition de l'enseignement présentiel adaptée à une communication basée sur l'oral asynchrone. L'enseignant fournit aux étudiants une liste de documents, par séquence, qu'il initie avec une ou deux contributions présentant ses propres ressources et qui peuvent être complétées par les étudiants. Il donne des tâches obligatoires ou facultatives (liste de tâches) et il crée un casier de rendu pour les constructions des apprenants. Ce qu'il faut comprendre c'est que chaque activité (dépôt de documents, tâche, casier) donne lieu a de multiples messages entre enseignants et étudiants, entre étudiants, ces messages sont directement attachés aux activités pédagogiques. Ce type d'organisation qui promeut les interactions verbales et la co-construction des ressources se retrouve de manière récurrente dans nos formations. 5.1. Deuxième exemple : gestion de la communication

Figure 2 : gestion de la communication de l'atelier Le deuxième exemple présente une autre organisation de la communication et par conséquence de l'enseignement. Il concerne l'Unité "Outils de conception et d’intégration multimédia" durant 50 heures en présentiel. L'atelier présente 6 listes différentes. Les listes concernées sont : une liste de tâches qui présente le planning du cours, une liste qui présente les documents théoriques de cours, une liste concernant les exercices pratiques, une liste permettant de poser des questions, une liste contenant les liens et enfin un casier pour rendre les travaux. Une particularité de cet atelier est que l'enseignant a limité les contributions des étudiants à la liste "Question-réponses...". Les ressources de la liste documents de cours sont médiatisées, seul l'enseignant peut y contribuer. 5.2. Troisième exemple : Le cercle de littérature Le troisième exemple concerne une partie de l'UE "Economie Digitale" (30 heures en présentiel), l'enseignant initie l'activité par les consignes suivantes : "Chacun d'entre vous jouera le rôle de rapporteur pour un des huit chapitres du livre: 'Le One to One : valorisez votre capital client' de Peppers, et il jouera le rôle de commentateur pour les sept autres. Le rôle de rapporteur consiste à

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produire des contributions en ligne : Une contribution (résumé de moins de 200 mots), plusieurs contributions (développement de l'analyse), une contribution (point de vue personnel / compléments à apporter) une contribution (conséquences sur la création de sites e-commerce)." L'enseignant a créé une liste de contribution chaque semaine pendant les deux mois que dure l'activité, l'ensemble des contributions produites pendant cette activité a donné lieu à un document final de 18 pages. Ce scénario est rendu possible car l'enseignant a pu préciser dans les propriétés des listes, les contributeurs et les commentateurs pour chaque liste. Cette activité s'inspire d'un scénario habituellement pratiqué en présentiel qui est le cercle littéraire. 5.3. Analyse Ces trois exemples illustrent trois transpositions différentes d'un enseignement présentiel. Dans le premier exemple l'enseignant reproduit l'enseignement présentiel séquence pour séance. A chaque séquence à distance, correspond une séance en présentiel. Dans le deuxième exemple l'enseignant propose une organisation une séquence pour toutes séances, cette organisation est valide pour toute l'unité d'enseignement et regroupe l'ensemble des connaissances. Dans le troisième exemple la progression des séquences est rythmée par la lecture et l'analyse du livre, le document final co-construit tient lieu de synthèse du cours. Dans les trois cas, les enseignants distinguent les ressources théoriques et les activités pratiques proposées aux apprenants, ce qui soutient la dichotomie classique en enseignement entre théorie et pratique. Dans le premier cas, les listes théoriques et pratiques sont ouvertes aux contributions des apprenants, une veille scientifique et technologique est ainsi menée, elle associe l'enseignant et les étudiants à la co-construction des ressources. Dans le deuxième cas, l'enseignant a fermé les listes aux contributions des étudiants à l'exception de la liste consacrée aux questions. Il se situe ainsi comme étant le savant, seul capable d'apporter les contenus théoriques d'enseignement. Le troisième cas illustre pour l'enseignant et les apprenants impliqués un exemple de co-construction d'un savoir à enseigner, l'enseignant se plaçant dans un rôle de critique et de guide menant les étudiants vers la rédaction d'un document de synthèse. Nous avons analysé trois exemples différents, animés par trois enseignants, au sein de la même institution. Ces exemples soulignent l'importance de la transmission des savoirs à enseigner que ces savoirs soient attachés à des échanges, verrouillés dans une liste, ou co construits par les différents acteurs. Dans notre modèle artisanal, les enseignants accompagnent cette mise en texte des savoirs tout au long de la formation, ils mobilisent, parfois en improvisant, les fonctionnalités du service de médiation de manières différentes. Les exemples illustrent la variabilité permise par l'artefact et décrivent le rôle qu'il tient dans la mise à distance artisanale d'un cours présentiel. Nous nous sommes limités à l'analyse de l'outillage de communication mobilisé. La forme des trois ateliers restitue l'enseignement classique du présentiel, notamment concernant la distinction entre théorie et pratique. Les mêmes types de listes sont mobilisés par les enseignants, mais l'analyse des propriétés assignées à ces listes met en lumière des pratiques enseignantes très différentes.

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6. CONCLUSION ET PERSPECTIVES Cette contribution constitue une première étude exploratoire du modèle artisanal de la formation à distance. L'articulation de trois critères d'analyse théorique : les aspects financiers, pédagogiques et instrumentaux, ont permis de décrire ce modèle artisanal. Cette articulation constitue ainsi un exemple d'analyse interactionnelle de la chose "distante" en formation. La troisième partie propose une analyse critique de l'artefact au regard de la théorie de l'apprentissage socioconstructiviste, afin de repositionner le débat, qui consiste à attribuer aux artefacts une théorie des apprentissages dans une dérive que nous qualifierons de technocentriste et que nous ne partageons pas. L'analyse des usages de l'artefact permet d'identifier son caractère adaptable : l'artefact permet et rend possible. Si des traces d'instrumentation sont identifiées, elles s'inscrivent dans des pratiques spécifiques qui ne relèvent pas de l'essence de l'artefact et dépassent parfois les usages prévus par les concepteurs. Les différents exemples que nous relatons illustrent le caractère adaptable d'ACCEL. Cette étude exploratoire ouvre de nombreuses perspectives. Cette première analyse des usages que nous y menons s'est concentrée sur la création de trois cours par trois enseignants différents. Notre réflexion s'est ainsi limitée à l'analyse de la tâche prescrite par l'enseignant. Une première perspective de recherche consistera à analyser le processus d'instrumentalisation vécu par les enseignants. Une autre perspective de recherche consiste à poursuivre l'analyse de cette coactivité, au sens de l'interaction. En effet, dans cette approche, les apprenants interagissent avec la situation créée. Or nous avons accès à une partie de leur activité constructive, en particulier celle qui concerne la forme prédicative de la connaissance. Dans le cadre de l'étude de cette co-activité entre l'enseignant et les apprenants, nous formulons l'hypothèse, que nous prenons pour base pour des travaux ultérieurs, qu'il existe dans ces interactions une co-construction de ressources et peut être des savoirs. 7. Bibliographie Allert, H. (2004). Coherent Social Systems for Learning: An Approach for Contextualized and Community-Centred Metadata. Journal of Interactive Media in Education, 2004(2). Anderson, C. (Ed.). (2006). The Long Tail: Why the Future of Business is selling Less of More: Hyperion (July 11, 2006). Barthelemy, G. (1986). Artisanat et développement (Vol. 8). Paris: Gret. Béziat, J., Godinet, H., & Wallet, J. (2005). Le cyber-étudiant, un modèle en évolution ? Dans L’industrialisation de la formation. Paper presented at the Colloque SIF. from http://sif2005.mshparisnord.org/pdf/Wallet.pdf. Béziat, J., & Wallet, J. (2007). L’étudiant et la distance. Dispositif de formation et pratiques sociales. In J. Wallet (Ed.), Le campus numérique FORSE: analyses et témoignages (pp. 65-76). Rouen: Publications des Universités de Rouen et du Havre. Brousseau, G. (2003). Théories des situations didactiques. Leçon donnée à l’université de Montréal. from http://dipmat.math.unipa.it/~grim/brousseau_montreal_03.pdf

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