Marseille : relogés dans un habitat indigne ou inadapté

Une cave quoi ! », raconte-t-il. Le propriétaire assure qu'en une semaine de travaux, l'ap- partement sera comme neuf... L'important c'est qu'ils quit- tent l'hôtel.
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La Marseillaise / mercredi 16 janvier 2019

PROVENCE

Marseille : relogés dans un habitat indigne ou inadapté ÉVACUÉS Près de deux mois et demi après le drame de la rue d’Aubagne, la confusion règne sur les relogements. Certains propriétaires proposent des taudis pendant que la Ville oriente les délogés hors du centre-ville.

M

onsieur Belkherraz en tremble encore de rage. Le 22 novembre, il a dû quitter son appartement de la rue Saint-Pierre (5e). « 35 ans que j’y étais », sourit-il. Même du haut de ses 87 ans, ça représente un grand moment de vie. Depuis son évacuation le 22 novembre dernier, il loge avec sa femme à l’hôtel B&B de la Joliette. Il y a quelques jours, leur propriétaire vient les voir. « Il faut quitter l’hôtel, j’en ai assez de payer 800 euros par semaine pour votre chambre », crie-t-il. Il leur propose un appartement, situé dans le 14e arrondissement, derrière Plombières. « Il n’y avait pas de fenêtre, pas de chauffage, c’était humide de partout... Une cave quoi ! », raconte-t-il. Le propriétaire assure qu’en une semaine de travaux, l’appartement sera comme neuf... L’important c’est qu’ils quittent l’hôtel. « Il m’a menacé, il voulait me forcer à signer un nouveau bail, j’ai refusé », se remémore le locataire. « Depuis, j’en veux à tous les proprios. Ils savent ramasser

Pour plusieurs délogés, les relogements proposés sont un moyen d’excentrer les habitants du centre-ville. PHOTO DR

les sous, mais jamais les sortir », lâche-t-il. Comme d’autres délogés, Mohamed Belkherraz est venu « se vider un peu la tête » au Molotov, où s’organise chaque lundi après-midi une permanence pour l’accueil des personnes évacuées. Il y a aussi Stanislav Stamov. Lui a été évacué de son immeuble situé rue Saint-Pierre, après le 5 novembre, mais son arrêté de péril date, lui, du 31 octobre. Pendant des jours et des jours, impossible de mettre la main dessus. Sans arrêté de péril, la mairie refuse de le pren-

dre en charge. Il paye de sa poche 7 nuitées d’hôtel : « 595 euros », précise-t-il. M. Stamov finit par mettre la main sur le précieux document... à la sécurité civile, sous autorité de la mairie. « C’est moi qui l’ai amené en mairie. Ils ont tous fait des photocopies », s’amuse-t-il. Mieux vaut en rire... Son quotidien ne s’y prête pas vraiment pourtant. « Mon propriétaire m’a proposé un appartement à Saint-Loup, fissuré de partout, au 6e, sans ascenseur. Avec mes trois enfants, c’est hors de question », s’exclame-t-il. Rien à attendre du côté de son bailleur.

Il a déposé, sans trop y croire, un dossier à 13 Habitat, l’organisme HLM du Département des Bouches-du-Rhône.

Relogement forcé

Quand ça bloque du côté des propriétaires, ça bloque aussi du côté de la Soliha, l’association chargée, pour le compte de la Ville, du relogement des personnes délogées depuis le 5 novembre. Anissa en a fait l’amère expérience. Évacuée le 22 novembre de son T2 situé rue Sainte-Cécile (5e), elle a demandé un relogement dans le centre. On lui a fait deux pro-

positions de logements temporaires dans le... 10e arrondissement. « Sans permis et sans voiture, c’est juste impossible, j’ai refusé », explique Anissa avant d’ajouter : « Je n’ai jamais rien demandé. J’ai toujours payé mon loyer et maintenant qu’on a besoin d’un peu d’aide, il n’y a personne ». Le cas n’est pas isolé. « Lundi, j’ai discuté avec un couple de petits vieux évacués de la rue Jean Roque. 30 ans qu’ils vivaient là. Et on leur propose d’aller habiter bd Bouge dans le 13e ! », s’étrangle Nassera Ben Marnia, militante infatigable, membre du collectif du 5 novembre. C’est pourquoi plusieurs délogés ont prévus de se rassembler ce matin à 11h30 devant le centre d’accueil. Certains s’y retrouvent tout de même. Un couple évacué de leur immeuble situé bd Dugommier se disent contents de quitter le centre-ville pour la Capelette. Mais pour ceux qui souhaitent rester dans leur quartier ? « Le temps de la com’ est passé. La mairie ne communique plus sur le nombre d’évacués, elle cesse la distribution des tickets RTM, bref ils comptent sur la lassitude de l’opinion publique », juge Nassera Ben Marnia, un brin fataliste. « La mairie refuse de réquisitionner des logements vacants du centre-ville de peur de se voir arriver cette horde de “gens pauvres” », ironise-t-elle. Et de conclure : « Doucement, ils veulent “nettoyer” le centre-ville ». Marius Rivière

Aubagne : ces petits propriétaires dans la panade TAUDIS Des copropriétaires du 16 de la rue Rastègue, aussi déclaré en péril imminent, « n’ont rien pu faire pour l’éviter ». l faut vraiment instaurer un Icopropriétaires droit de louer ! », lance un des du 16 de la rue Rastègue à Aubagne, dont les volets sont clos depuis le 26 novembre, date de l’arrêté de péril imminent qui en interdit l’accès pour cause de risque d’effondrement des planchers, notamment. « On a vraiment essayé de tout faire... », explique-t-il. « Notre appartement était nickel, on a toujours bien loué... c’est ce qui devait nous assurer la retraite...», résume-t-il très amer. Sauf qu’il est parfois difficile de s’entendre avec les autres propriétaires pour financer des travaux in-

dispensables, sans syndic professionnel, jusqu’à il y a quelques mois. « Dès qu’il s’agit de toiture, c’est plusieurs dizaines de milliers d’euros… faut pouvoir les sortir », renchérit un autre. Pas de notable richissime à l’horizon, retraité, salarié, bien en héritage… Si l’accès à l’immeuble est catégoriquement interdit, l’expert a cependant décidé que le commerce, situé en rez-de-chaussée, pouvait ouvrir à condition que « l’état des façades et du plancher » fassent l’objet d’un examen hebdomadaire par un professionnel. La visite est financée à hauteur de 500 euros par semaine, par la copropriété qui, de facto, ne rentre plus aucun loyer. Alors forcément, « ça va être long ». Et le copropriétaire d’insister, « créer un permis de louer, c’est une nécessité, à la fois pour locataires, et pour la sécurité de tous ». Pour éviter d’en arriver là... S.F.

Le syndic du 8 rue Rastègue réagit

Le commerce a été autorisé à ouvrir à condition que les façades et le plancher menaçant soient examinés chaque semaine. PHOTO S.F.

Le 8 de la rue Rastègue (notre édition de ce 15 janvier) « a été mis en sécurité », tient à affirmer Stéphane Bessis, le président du réseau d’agences immobilières La Comtesse, qui gère l’immeuble, faisant l’objet d’un arrêté de péril imminent en date du 3/12. « C’est pourquoi un seul habitant a été évacué. La mise en sécurité a été réalisée, sur factures, transmises à la ville. Nous allons bientôt recevoir le rapport du bureau d’études déterminant l’ensemble des travaux à effectuer, et ils seront menés à terme », assure-t-il. S.F.