L'impact des institutions sur la cohésion sociale - OCP Policy Center

7 août 2016 - valeurs de justice sociale, de bonne gouvernance et de démocratie. .... sera mis dans cet article sur les politiques publiques de l'Education, celle ...... est né de la contraction des mots iPod (baladeur développé par la société.
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Cohésion Sociale, institutions et politiques publiques Auteurs : Hamid AIT LEMQEDDEM Abdelkrim AZENFAR Jean Michel CAUDRON Hassan DANANE Aicha EL AIDOUNI Meryeme EL ANBAR Mustapha EL MNASFI Ouafae ESSALHI Mohammed HADDY Abdelmajid KADDOURI Fatima Idrissi KHAOULANI Christophe MESTRE Abdallah SAAF Bouchra SIDI HIDA

Sous la direction de : Abdallah SAAF Senior Fellow, OCP Policy Center

Cohésion Sociale, institutions et politiques publiques Copyright © 2017 par OCP Policy Center. Tous droits réservés. Aucun élément de cet ouvrage ne peut être reproduit, sous quelque forme que ce soit, sans l’autorisation expresse des éditeurs et propriétaires. Les vues exprimées ici sont celles des auteurs et ne doivent pas être attribuées à OCP Policy Center. Edité par : Ihssane Guennoun, OCP Policy Center Couverture image : stocklib.fr/sangoiri Composition Graphique : Youssef Ait El Kadi, OCP Policy Center Contact : OCP Policy Center Ryad Business Center – Aile Sud, 4ème etage Mahaj Erryad - Rabat, Maroc Tél : +212 537 27 08 08 Email : [email protected] Website : www.ocppc.ma

ISBN : 978-9954-9717-0-3 Dépôt Légal : 2017MO2755

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Sommaire Liste des auteurs ..............................................................................................................7 Liste des abréviations ......................................................................................................9 A propos d’OCP Policy Center.........................................................................................11 Avant-Propos...................................................................................................................13 Partie I Enjeux de la cohésion sociale sur les plans économique et social.................17 Chapitre 1 : Les fondements historiques de la cohésion sociale au Maroc..................19 Chapitre 2 : Les politiques sociales au.Maroc, reconnaissance inachevée de l’expertise citoyenne.....................................................................................................27 Chapitre 3 : La cohésion sociale au Maroc et enjeux de la participation citoyenne.....35 Chapitre 4 : L’Entrepreneuriat Social : un levier pour la cohésion sociale.....................55 Chapitre 5 : Pluralisme culturel et cohésion sociale au Maroc :.L’autonomie individuelle comme base de l’émergence d’un nouveau type de lien social.................73 Chapitre 6 : Une lecture de l’intégration du Maroc dans son contexte international et régional...................................................................................................91 Chapitre 7 : Quelle contribution du système coopératif à la cohésion sociale au Maroc ?.....................................................................................................139 Partie II Enjeux de la cohésion sociale sur le plan institutionnel..................................159 Chapitre 1 : L’impact des institutions sur la cohésion sociale : représentation, participation et cohésion sociale au Maroc.............................................161 Chapitre 2 : La promotion de la cohésion sociale au Maroc (2011-2016)....................181 Chapitre 3 : Ville et cohésion sociale, cas de Marrakech............................................209 Chapitre 4 : Les collectivités territoriales, acteurs de premier plan de la cohésion sociale. Quelques leçons du terrain.........................................................233 Chapitre 5 : La cohésion sociale et conflit de lois .......................................................243

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Chapitre 6 : Le Maroc, une 3e voie entre la Famille providence et l’État-providence ?................................................................................261 Chapitre 7 : Appréciation « genrée » du processus de la planification stratégique Communale : Cas du Plan Communal de Développement de la commune rurale de Tamda Noumercete....................................................................277

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Liste des auteurs •

Hamid AIT LEMQEDDEM, Enseignant-chercheur, Ecole Nationale de Commerce et de Gestion, Maroc

• Abdelkrim AZENFAR, Directeur, Office de Developpement de la Coopération (ODCO) •

Jean Michel CAUDRON, Consultant en ingénierie et gérontologie, France



Hassan DANANE, Chercheur en sciences sociales, Maroc



Aicha EL AIDOUNI, Trésorerie Générale du Royaume du Maroc, Maroc



Meryeme EL ANBAR, Chercheure, Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales Rabat - Agdal, Maroc



Mustapha EL MNASFI, Enseignant-chercheur à l’Institut d’Etudes Politiques, Sociales et Juridiques de l’Université Mundiapolis à Casablanca et chercheur associé au Centre Jacques Berque, Maroc



Ouafae ESSALHI, Docteur en droit international prive et droit de la famille de l’Universite Mohamed V Rabat - Agdal, Maroc



Mohammed HADDY, Politologue et professeur de l’enseignement supérieur, Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme à Rabat, Maroc



Abdelmajid KADDOURI, Historien et ancien Doyen de la Faculté des Lettres de Casablanca, Maroc



Fatima Idrissi KHAOULANI, Chercheuse en sciences politiques - Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales Rabat-AGDAL



Christophe MESTRE, Enseignant, Centre International d’Etudes pour le Développement Local de l’Université Catholique de Lyon, France



Abdallah SAAF, Senior Fellow, OCP Policy Center, Maroc



Bouchra SIDI HIDA, Chargée de recherche, Centre d’Etudes et de Recherche en Sciences Sociales, Maroc

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Liste des abréviations ACOTA : ACRI : ADS : AGEBIEF : AIEA : AMO : ANAM : ANOVA : AOC : BAJ1 : CERED : CERSS : CESE : CESE : CGEM : CMR : CNOPS : CNSS : CNUCED : COSEF : CPDH : DAMP : EES : ENPA : ERAC : FAO : FAR : FCDM : GSPC : HCP : HVC : IDH : INDH : IS :

African Contingency Operations Training Assistance African Crisis Response Initiative Agence de Développement Social Agence Béninoise de Gestion Intégrée des Espaces Frontaliers Agence Internationale de l’Energie Atomique Assurance Maladie Obligatoire Agence Nationale de l’Assurance Maladie Analysis of variance Appellation d’Origine Contrôlée Programme de Priorités Sociales Centre d’études et de recherches démographiques Centre d’étude et de recherche en sciences sociales Conseil Economique, Social et Environnemental Conseil social économique et environnemental La Confédération Générale des Entreprises du Maroc Caisse Marocaine de Retraite Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale Caisse Nationale de la Sécurité Sociale Conférence des Nations unies pour le Commerce et le Développement Commission Spéciale Education -Formation Comité Préfectoral de Développement Humain Dépense annuelle des ménages par personne Economie Sociale et Solidaire Enquête nationale sur les personnes âgées Etablissement Régional D’aménagement et de Construction Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture Forces Armées Royales Forum civil démocratique marocain Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat Haut-Commissariat au Plan Hybrid Value Chain ou Chaine de Valeur Hybride Indicateur de Développement Humain Initiative Nationale de Développement Humain Impôt sur les Sociétés COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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MENA : Moyen-Orient et Afrique du Nord MICA : Marrakech Investment Committee for Adaptation MINUSTAH : Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti MONUC : Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo MRE : Marocain Résident à l’Etranger OFPPT : Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail OMC : Organisation Mondiale du Commerce OMD : Objectifs du Millénaires de Développement OMS : Organisation Mondiale de la Santé ONG : Organisation Non Gouvernementale ONU : Organisation des Nations Unies ONUC : Opération des Nations Unies pour le Congo OPEP : Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole Otan : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord PADL : Programme d’Appui au Développement Local PAS : Programme d’Ajustement Structurel PCD : Plans Communaux de Développement PCD : Programme Communal de Développement PIB : Produit Intérieur Brut PMA : Pays les Moins Avancés PNUD : Programme des Nations Unies pour le développement RAMED : Régime d’assistance médicale RATP : Régie Autonome de Transport Publique SDAU : Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme SIF : Social Innovation Fund SMIG : Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti SNDD : Stratégie Nationale de Développement Durable TIC : Technologies de l’Information et de la Communication TVA : Taxe sur la Valeur Ajoutée UA : Union Africaine UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture VSB : Villes sans bidonvilles

A propos d’OCP Policy Center OCP Policy Center est un think tank marocain « policy oriented », qui a pour mission de contribuer à approfondir les connaissances et à enrichir la réflexion autour de questions économiques et de relations internationales revêtant un enjeu majeur pour le développement économique et social du Maroc, et plus largement pour celui du continent africain. Porteur d’une « perspective du Sud », sur les grands débats internationaux ainsi que sur les défis stratégiques auxquels font face les pays émergents et en développement, OCP Policy Center apporte une contribution sur quatre champs thématiques majeurs : agriculture, environnement et sécurité alimentaire; développement économique et social ; économie des matières premières ; et géopolitique et relations internationales. Sur cette base, OCP Policy Center est activement engagé dans l’analyse des politiques publiques et dans la promotion de la coopération internationale favorisant le développement des pays du Sud, via ses travaux de recherche, ses conférences et séminaires et son réseau de jeunes leaders. Conscient que la réalisation de ces objectifs passe essentiellement par le développement du Capital humain, le think tank a pour vocation de participer au renforcement des capacités nationales et continentales en matière d’analyse économique et de gestion à travers sa Policy School récemment créée. www.ocppc.ma

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Avant-Propos Dans le tableau global de la région Maghreb Machrek, plusieurs catégories de situations se dégagent: des pays en situation de guerre interne (on ne sait parfois si l’on doit parler de « guerre civile » ou de « conflits intérieurs » en raison des acteurs transversaux impliqués), des pays en situation de transition avec d’importantes difficultés, une situation d’occupation (la Palestine), des situations de vulnérabilité, enfin la catégorie de ceux que l’on peut considérer comme des pays plus ou moins stables. Par rapport à son environnement, le Maroc offre une stabilité marquée, mais on aurait tort de se centrer seulement sur la stabilité. Celle-ci est sous-tendue d’initiatives réformistes, de nature diverse, accentuées à des degrés variables, dans nombre de domaines. Ce réformisme a précédé le printemps arabe, mais celui-ci l’a redynamisé, et confronté à de nouveaux défis. Au Maroc une liste des menaces pesant sur le pays a été dressée de manière quasi officielle : les tendances contrariant l’unité territoriale du pays, les dangers provenant du voisinage (la situation au Sahel, l’évolution politique des pays voisins : Algérie, Mauritanie, Mali…), le radicalisme religieux, le terrorisme, les diversités religieuses trop en rupture avec la doctrine religieuse dominante, des situations économiques et sociales d’exclusion. Il est certain que ces menaces influent fortement sur l’état de la cohésion sociale. Elle atteste des liens avec les facteurs historiques, démographiques, les lignes ethniques, les inégalités horizontales et verticales, l’existence et l’ouverture de médias… Le pays semble jouir d’une stabilité réalisée notamment par l’initiation de réformes politiques, économiques et sociales qui ont contribué au renforcement de la cohésion sociale. L’ébullition de la région semble avoir renforcé la conviction des élites marocaines que le changement est mieux réalisé à travers une évolution relativement maîtrisée. Le système inclusif de participation politique au Maroc a constamment aidé à canaliser le débat dans le pays où l’institution monarchique joue le rôle de force unificatrice. Le réformisme en question porte aussi de manière déterminante sur les institutions, la configuration politique. Le Maroc a connu un rythme de croissance relativement soutenu au cours des dernières décennies. Les fruits de cette croissance sont inégalement répartis entre le milieu urbain et le milieu rural, entre les régions et entre les différentes catégories de la population. Au cours des dernières années, les inégalités sont devenues préoccupantes sur le plan politique et posent la question de l’inclusion des franges sociales demeurées en marge du processus du développement au Maroc.

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Elles renvoient en premier lieu à la dimension économique (revenus, richesses, dépenses) et peuvent se manifester à différents niveaux plus ou moins interdépendants : inégalités d’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi, aux infrastructures, aux moyens de production. Dans quelle mesure les ménages les moins dotés en revenus peuventils assurer l’éducation et/ou les services de santé à leurs familles ? Les limites dans l’investissement, dans l’éducation et la santé des enfants se répercutent sur l’emploi, les revenus et le bien-être à l’âge adulte. La mobilité sociale restant limitée, plusieurs manifestations d’inégalités paraissent interdépendantes. Les menaces à la cohésion sociale sont au cœur des préoccupations des Etats de par le monde, car au centre de tout ce qui a trait au lien social et du vivre ensemble dans les sociétés modernes. Elle est aujourd’hui moins solide que par le passé en raison de l’impasse où se trouvent nombre de modèles économiques et sociaux mondiaux du fait de l’émergence de nouvelles générations de pauvreté, de chômage et exclusion et d’exclus. La situation s’explique aussi par l’aggravation du mode de financement de l’action sociale et de la solidarité : couverture médicale, retraite, compensation des prix des produits de base, indemnisation du chômage… La quête de plus de cohésion sociale au Maroc doit relever de nombreux défis : celui de l’école, suspectée de ne pas incarner un lieu de production de savoir être, de formation à la citoyenneté, ciments du lien social et du vivre ensemble ; celui de la santé ; une protection sociale non généralisée ; la question de l’emploi avec la persistance, voire l’aggravation du chômage, notamment des jeunes, l’exacerbation des inégalités sociales et régionales ; l’absence d’un revenu minimum garanti pour les couches défavorisées, en attendant une réforme fiscale ; la prolifération continue et l’extension de l’informel, développement de l’économie du crime et de nouvelles générations de violences et enfin ; une gouvernance inappropriée de la politique publique en matière d’action sociale et de solidarité, etc. De grandes interrogations interpellent donc l’analyse : Sur le plan économique et social, quels sont les traits du changement social au Maroc  ? Comment construire une société plus inclusive avec une dynamique de renforcement de la cohésion sociale ? Quels sont les caractères structurels de la société les plus pertinents qui favorisent ou contrarient de telles orientations ? Sur le plan institutionnel, quelles sont les spécificités du changement politique au Maroc en termes de processus et de résultats ? Quelles conditions pour que le processus constitutionnel et parlementaire joue un rôle dans la construction d’une société plus inclusive ? Comment le cadre institutionnel (parlement, conseils et autres institutions…) a-t-il joué un rôle dans la prévention de la dégénérescence des changements politiques ? Quels sont les rôles et capacités des institutions représentatives pertinentes dans des

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processus de gouvernance ouverts et soumis à la reddition des comptes ? Quel est le rôle des organisations internationales ? L’ouvrage collectif se propose d’approfondir certaines de ces interrogations et d’y apporter quelques éclairages nécessaires. Abdallah Saaf Senior Fellow OCP Policy Center - Rabat

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Partie I Enjeux de la cohésion sociale sur les plans économique et social

Chapitre 1 : Les fondements historiques de la cohésion sociale au Maroc Abdelmajid Kaddouri, Historien et ancien Doyen de la Faculté des Lettres de Casablanca

Introduction Le Maroc est connu par sa diversité et son multiculturalisme. Diversité géographique, le pays est constitué de plaines, de montagnes, de franges maritimes et des espaces sahariens. Cette variété dans les espaces s’accompagne de diversité climatique. Le Maroc est méditerranéen, continental, montagnard, semi-aride et aride. Vu sa situation géographique, le pays est soumis à l’influence de trois continents : l’Afrique, l’Europe et l’Asie par le biais de la Méditerranée. Des influences ethniques venant de l’Est sont Phéniciennes, Carthaginoises, Arabes. D’autres mouvements lui sont arrivés du Nord : les Wandales, les Romains, Espagnoles, les Portugais les Français en plus des influences subsahariennes. Ces flux humains divers ont été à l’origine de la diversité marocaine. Les Marocains sont blonds, bruns, noirs et métissés. Ils communiquent entre eux par des parlers divers : l’amazigh par le biais de ses trois composantes : le tachelhit, le tamazight et le Tarifit, l’arabe et autres langues dites étrangères (français, anglais et espagnol) mais le dialecte marocain domine. La cohésion sociale est un processus historique, dans la mesure où la société a une mémoire, des cultures, des mœurs. Sa cohésion se base sur l’ouverture et la volonté de vivre ensemble, chacun des membres qui constituent cette société vit dans sa diversité. Comment la cohésion sociale a été forgée au Maroc à travers son histoire millénaire ? Quels sont les facteurs déterminant de son façonnement ?

I. Le Maroc Pluriel : Evolution Historique La culture marocaine n’est pas un état figé mais un équilibre dynamique, un centre de gravité résultant de mouvements multiples : venant du Nord, de l’Est et du Sud. Cette dynamique et ces mouvements ont été accompagnés par des processus d’adaptation pour garantir une stabilité pérenne. Les principaux critères qui déterminent la configuration de la personnalité historique marocaine sont à chercher dans son substrat COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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amazigh, dans le sédiment arabo-islamique dans le vécu occidental, et dans l’apport subsaharien. Comment expliquer les différentes interactions qui se sont opérées à travers la dynamique de ces critères et qui sont à l’origine de la cohésion sociale marocaine en mouvement ?

1. L’Amazighité de la société Il est fondamental de mettre en relief le substrat amazigh et l’appréhender comme pluralité tonifiante pour cette cohésion sociale au Maroc1. Ce substrat a été à l’origine de polémiques et des questions qui sont devenues mythiques. L’historiographie coloniale a amplifié cette démarche pour des raisons idéologiques. On se demandait : d’où viennent les Amazighs ? Quelle est l’origine de leur langue ? Quelle est l’origine de leur culture ? Notons dès le départ que notre objectif ne va pas dans le sens de ce débat. Ce que nous cherchons ici c’est plutôt la volonté de faire sortir de ce substrat amazigh les éléments qui ont fusionné avec d’autres éléments d’autres cultures pour renforcer la cohésion sociale marocaine. Il est inutile de courir derrière la recherche des origines dans la mesure où cette démarche favorise beaucoup plus la division et moins la cohésion2. Le fond Amazigh a réussi à sauvegarder sa spécificité en dépit de tous les aléas de l’histoire. Il s’est enrichi par le brassage qu’il a effectué avec toutes les cultures qui sont venues aux Maroc d’ailleurs. Il a pu maintenir sa différence sans exclure les enrichissements. Les Marocaines à l’époque préislamique avaient trouvé l’agilité et la volonté de se mouvoir entre différentes cultures et religions : juive, chrétienne et traditions païennes sans renoncer à son originalité. L’avènement de l’Islam n’a pas éliminé totalement cette pluralité dans les croyances. Celles-ci étaient le fruit de flux migratoires à grande échelle et une chance pour construire un peuplement qui sera marqué à vie par la diversité dans sa cohésion

2. L’Islamisation – l’arabisation : rupture ou continuité ? L’avènement de l’Islam dans l’Occident musulman en général et au Maroc en particulier, allait renforcer l’ouverture, et l’enrichissement de la Méditerranée en général et de la société marocaine en particulier3. L’Islam favorisa le processus d’adaptation et 1  Le substrat amazigh a été occulté après l’indépendance du Maroc comme réaction à l’idéologie coloniale. 2  Histoire du Maroc : réactualisation et synthèse, dir. Mohamed kably, Rabat, 2011, p.213. 3  Henri Pirenne l’historien médiéviste belge a soutenu dans les années trente le contraire en avançant l’idée selon laquelle l’avènement de l’Islam au VIIe siècle a été à l’origine d’une fracture dans cet espace. Voir Mahomet et Charlemagne, Paris 1937.

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LES FONDEMENTS HISTORIQUES DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC

de transformation des nouveaux venus avec la société amazighe. La nouvelle religion allait pousser les Marocaines à embrasser une islamisation féconde celle qui initia des interactions positives entre ce qui est local et qui venait historiquement de loin avec ce que proposait l’Islam d’un côté avec tout le support culturel oriental qui l’accompagnait de l’autre. Ces interactions ont été facilitées par la clarté et la simplicité des dogmes que véhicule l’Islam. Ce que proposait la nouvelle religion arrangeait la mentalité amazighe. Ceci constitua un facteur déterminant dans la conversion et l’abandon par la majorité des Marocaines des croyances païennes locales. Ce qu’il faut relever de cette acceptation c’est le brassage entre les Amazighs et les Arabes4, le processus de l’arabisation du Maroc est l’œuvre des Amazighs eux-mêmes. Ils avaient joué un rôle déterminant dans la propagation et le rayonnement de l’Islam et de l’arabe. La mobilité et les alliances entre les tribus berbères et les tribus arabes allaient faciliter le brassage. Ce processus ininterrompu renforça la cohésion entre les anciens c’est – à – dire les Amazighs et les nouveaux c’est-à-dire les Arabes. L’exemple le plus frappant est incarné par le cas de Tamesna et de chaouia5. Cette évolution de la cohésion positive est attestée par Naciri quand il écrivit «  Ce qui caractérise les Arabes qui se sont installés au Maroc, vu leur mixité et leur brassage c’est qu’ils ne se souviennent plus de leur origine première6. L’Islam du Maroc se distingue de l’Islam d’autres aires culturelles dans la mesure où ce sont les dirigeants amazighs du moyen âge (les Almoravides, XIe-XIIe les Almohades XIIe-XIIIe et les Mérinides XIIIe-XVe) qui ont tout fait pour que l’Islam ne soit pas au Maroc une religion exogène à son environnement socioculturel. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre que les premières traductions du Coran dans les aires islamiques, furent effectuées en amazighe et que les princes berbères recommandaient que ce livre sacré soit expliqué en amazighe7. Cette attitude didactique engagée par les émirs amazighs allait favoriser le rapprochement soutenu entre les différents éléments qui constituent la société marocaine. Il ressort de cette analyse que la cohésion sociale rime avec la diversité et la volonté de vivre ensemble. La prédominance de l’Islam et de la culture arabo-musulmane ne peuvent en aucun cas réduire la marocanité à cette prédominance. La cohésion dans la diversité est trop enracinée dans l’histoire du pays. L’exclusion a été et reste toujours 4  Le mariage entre Kenza de la tribu amazighe Awraba et Moulay Idris premier le fondateur de la première dynastie musulmane au Maroc constitue en lui seul la symbiose arabo-amazighe. Ce mariage allait être à l’origine de la naissance d’un charf al Idrisi. 5  L’arabisation de ces tribus est telle qu’il est difficile de distinguer les amazighs des Arabes. 6  Naciri, al Istiqsa, t.6, 67. 7  L’itinéraire et les écrits en amazigh et en arabe d’al Mahdi ibn Toumart fondateur et idéologue de la dynastie Almohade est l’exemple la plus parlant dans ce cas. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

bannie par la société marocaine. La diversité est une richesse. La personnalité marocaine est multiple. Elle est un cumul culturel venant de loin : païen, juif, chrétien et autres. L’Islam n’a pas pu éliminer ces éléments. Cette multiculturalité montre l’ouverture du Maroc à tout ce qui est nouveau. D’abord à l’Islam ensuite à tout ce qui allait enrichir sa personnalité encore plus en s’ouvrant et en adoptant une attitude positive à l’égard de la culture andalouse en général et morisque en particulier en plus de son ouverture sur tout ce qui occidental à l’époque moderne et contemporaine. Comment comprendre cette ouverture dans la perspective de la cohésion sociale ?

3. Les apports andalous Les échanges entre Al Andalous et le Maroc sont anciens. Ils se sont renforcés et diversifiés durant l’occupation de ce pays par les musulmans au moyen âge. Cette conquête a été favorable pour le Maroc. Elle a enrichi sa personnalité dans la mesure où Al andalous a été une sorte de laboratoire culturel ; les interactions étaient chrétiennes, juives, musulmanes et autres. Ces influences allaient prendre une dimension plus grande pour le Maroc avec la reconquista et l’expulsion des morisques, c’est-à-dire après la prise de Grenade en 1492 et l’édit de l’expulsion des derniers morisques décrété par Philippe II en 1609. Ces expulsés sont arrivés au Maroc chargés de leurs cultures et de leurs savoirs faire. Ils allaient enrichir certes la personnalité marocaine, tout en lui posant des défis à surmonter. Cette immigration massive a posé des problèmes d’adaptation. Elle créa des situations de tensions au début, quoiqu’al Maqri la considère normale8. Ces tensions et les réactions aux flux massifs des andalous et des morisques sont à expliquer nous seulement par les divergences des coutumes des uns par rapport aux autres. Mais elles sont liées aussi à la situation de crise que traversait la Maroc après la mort d’Ahmed al Mansour en 1603. Son décès a ouvert la voie aux ambitions politiques les plus diverses : d’abord entre ses fils puis des prétendants se sont multipliés y compris les morisques qui se sont tranchés dans le Bouregreg pour proclamer leur république9. Situations conflictuelles, chocs de contacts culturels, n’empêchèrent nullement la société marocaine, d’intégrer une partie des mœurs et des coutumes andalouses en général et morisques en particulier. Le Maroc allait profiter de savoir-faire de ces immigrés en adaptant le principe d’ouverture et la volonté d’assimiler et de transformer le nouveau pour l’adapter car les contextes changent et l’adaptation exige l’ouverture à tout ce 8  Al Maqri, Nafh at _ tib, Ti, pp, 228-229. 9  Mohamed ben ali Doukali, al Ithaf al Wajiz, fi tarikh al adwatayn et Mohamed bargach, Une famille au Coeur de l’histoire, Rabat 1988, pp42-43.

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LES FONDEMENTS HISTORIQUES DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC

qu’est nouveau comme fut le cas avec l’Occident.

4. Le vécu à l’Occidental La culture occidentale en général, et française en particulier n’échappe pas, dans leurs relations avec la culture marocaine, à cette caractérisation à savoir : intégrer ce qui est externe pour l’assimiler. Durant l’époque de l’expansion ibérique tout d’abord et le Protectorat français ensuite, la société marocaine est passée durant ces deux périodes, de situations conflictuelles et d’affrontement avec l’occupant à une situation de pause et même à la recherche de nouveaux rapports à trois phases : Subir, digérer, intégrer et s’enrichir. La cohésion sociale nécessite, dans les temps qui courent, la conciliation entre la tradition et la modernité. Le contexte impose à la société marocaine de trouver la voie qui l’aiderait à évoluer dans le monde contemporain. Elle doit s’adapter, tout en tenant compte des rythmes qui s’accélèrent, si elle veut profiter des bienfaits de la mondialisation sans perdre les traditions et les valeurs fondamentales qui constituent sa personnalité. Elle doit évoluer en suivant et en s’inspirant de ce qui l’entoure pour être de son temps et refuser la stagnation et l’isolement. Ce qui ressort de cette analyse c’est que la société marocaine est le produit d’une histoire qui a connu des évolutions, des transformations et des mutations aussi bien individuelles que collectives. Le Maroc est un pays de diversité bien enracinée dans son évolution historique. Sa cohésion sociale se base sur l’ouverture et la volonté de vivre ensemble chacun dans sa diversité. Comment expliquer cette cohésion dans la pluralité de la société marocaine ?

II. Les Fondements de la cohésion sociale marocaine La cohésion est la somme de valeurs et de conduites que se forge l’homme pour accomplir et élaborer des codes qui organisent ses relations avec ses semblables et son environnement naturel proche ou lointain. Quels sont alors les principaux fondements qui expliqueraient cette cohésion ?

1. L’Islam : soudeur par excellence L’islam constitue l’élément dominant dans cette cohésion, son rôle dans celle-ci est une réalité qui se mesure dans le quotidien des Marocaines. L’avènement de cette religion allait insérer le Maroc dans la mouvance arabo–musulmane et l’intégrer dans COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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PARTIE I : ENJEUX DE LA COHÉSION SOCIALE SUR LES PLANS ÉCONOMIQUE ET SOCIAL

une culture neuve10. Les études sur la question montrent que l’accueil des nouveaux arrivés était conflictuel, mais l’acceptation de la nouvelle religion a été facilitée par certaines tribus amazighes11. L’unification religieuse du Maroc fut effective au XIe siècle sous les Almoravides. Ces Sanhajas sont arrivés à éliminer les autres croyances et doctrines (kharédjits, chiites, et paiénnes). Cette unification allait se baser sur la doctrine malékite celle-ci arriva à dominer tous les espaces religieux grâce à la complicité du pouvoir almoravide avec les fouqahas. La cohésion sociale allait se manifester dans les pratiques islamiques au quotidien. L’Islam encourage les croyants à effectuer leurs prières quotidiennes de manière collective. Cela favorise la soudure et la cohésion de la société. La prière de vendredi et le pèlerinage constituent le summum de cette soudure sociale, comme l’a si bien relevé Elias Canetti qui s’est beaucoup arrêté sur les concepts de masse et puissance. Pour lui ces deux rassemblements constituent deux moments symboliques dans lesquels et à travers lesquels, la Umma islamique se manifeste en tant que masse et puissance. Elle montre sa force matérielle par le nombre et spirituelle par la prière. Durant ces moments la cohésion est totale et absolue12. Il est clair que durant les prières quotidiennes, celle de vendredi, pendant les fêtes religieuses et durant le mois de Ramadan, les Marocains se sentent très proches les uns des autres car ils partagent des moments qui renforcent leur cohésion. L’Islam allait être à l’origine de la création d’autres paramètres de renforcement de cette soudure à travers la solidarité qui se manifeste dans le phénomène des Zaouias.

2. Les Zaouias : La solidarité sociale Les Marocains adaptent l’Islam tel qu’il est révélé dans le Coran, à leur quotidien. Il s’agit de l’Islam historique à travers les pratiques sociales et spirituelles qui se font dans les zaouias. Il est difficile de donner une seule définition à la zaouia. Elle est in lieu de réunion des adhérents pour réciter le « dikr ». Elle est aussi un espace d’échanges et d’enseignement. Elle est un lieu de circulation culturelle, un lieu saint de pèlerinage, un espace de solidarité sociale mais elle est aussi un phénomène dynamique pour la société qui se trouve en perpétuel mouvement. La zaouïa se rattache souvent à un saint un Wali Salih qui détient la baraqa. Elle est liée à un thaumaturge mort – vivant, réel ou mythique. L’essentiel c’est que la masse croît en lui et se soude en son nom. Le

10  Histoire du Maroc…, M. Kably, op.cit, p. 246. 11  Il est très significatif de mentionner ici le mythe des Regragas qui prétendent avoir rencontré le Prophète à La Mecque et qu’il a parlé avec eux en amazigh. 12  Elias Canetti, Masse et Puissance, 1966, traduit par Robert Rovini, Paris 1986.

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LES FONDEMENTS HISTORIQUES DE LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC

phénomène de zaouïas a joué un rôle important dans la construction de la cohésion sociale au Maroc. L’essaimage de ces confréries à travers le pays a été déterminant dans le renforcement d’appartenance à la marocanité. La tarîqa Jazoulia a été d’un grand secours pour le Maroc et les Marocains durant une période de crises et de vide politique. Al Imam al Jazouli, l’un des sept patrons de Marrakech, a pu mobiliser les Marocaines pour résister et défier l’élan portugais au XVe13. Les zaouïas avaient joué des rôles déterminants dans les rapprochements des Marocains et à certains égards, elles avaient même stigmatisé l’appartenance à une entité marocaine et de ce fait, elles ont renforcé la cohésion sociale qui se trouve d’autre appris politique.

3. Cohésion sociale et politique Pour assurer la cohésion religieuse et politique du Maroc, les Almoravides avaient fait du malékisme un instrument de base, pour lutter contre les autres doctrines14. Le droit malékite a permis à l’état de se renforcer. Il est arrivé à réaliser cet objectif grâce à la complicité des foukahas. Ce droit dérive d’une source divine, il est le seul à déterminer le juste et l’injuste, le bien du mal, le vrai du faux et le licite de l’illicite15. Ce jeu contribua au renforcement de la légitimité du pouvoir et de la cohésion sociopolitique. Pour plus de légitimité, le pouvoir allait recouvrir au système de contrat. L’allégeance ou la Bayaa est à voir aussi comme un autre élément de soudure entre le pouvoir et la société. C’est un contrat qui se réfère à la période du Prophète16. Il est à la fois religieux et politico-social. Comme tout contrat il préconise des droits et des devoirs aux protagonistes. Cela veut dire le peuple et le sultan. Le premier doit se soumettre et le second doit assurer la sécurité et la paix. Le désordre (la fitna) est la catastrophe. Il vaut mieux être gouverné par un émir cruel et injuste que vivre dans le désordre (Fitna). Laroui considère le système de la Bayaa une originalité marocaine par rapport aux autres aires musulmanes. Les facteurs politiques restent secondaires dans la construction de la cohésion sociale par rapport à l’impact des langages.

13  La mobilisation des Marocains derrière al imam al Jazouli au milieu du XVe siècle au nom de l’Islam a pu sauver le Maroc et les Marocains du sort infligé par les Portugais et les Espagnols aux Amérindiens durant la même période et dans le même contexte. 14  Mustapha ben hamza, al moukawin ad dini dimna raas al maa alla maadi bi al maghrib, 2016,pp.12-13. 15  Histoire du Maroc. M. Kably, op cit, p, 260. 16  L’allégeance faite au Prophète à Saqifa. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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4. Le dialecte marocain à référence amazigho – arabe Le langage marocain de tous les jours est l’un des facteurs les plus édifiants de la cohésion sociale. Ce facteur est loin d’être un simple élément de communication. Il dérive des langues amazighes et de l’arabe. Il résume en lui seul une preuve, si preuve on en a besoin, de cette symbiose et de ce mariage amazigho millénaire (18). Ce dialecte n’est pas figé mais évolutif et ouvert sur d’autres langues. La cohésion sociale lui doit beaucoup, d’autant plus que les langues de référence l’amazighe et l’arabe ne sont pas parlées au quotidien. Pour illustrer cet impact, voici quelques exemples de vie de tous les jours, pris dans le vocabulaire de boire et manger. Lbarad (théière) Lkas (verre) Tafadna (chaudière) Tazarbit (Tapis) Lqandil (Lampe) à côté de ces mots arabo-amazighs nous relevons aussi des mots d’origine andalouse comme Pastilla, Tfaya ou encore Lamrouzia. Ce parler est partagé par tous les Marocaines sans distinctions de leurs origines. Il constitue le facteur déterminant de cette cohésion sociale. On se rend compte quand on voit les Marocains se réunir pour partager un repas autour d’un tagine ou d’un couscous qui ne se mangent qu’en groupe. Le thé ne se boit qu’avec un rituel collectif. Ces coutumes sont l’aboutissement d’une longue évolution. Malgré tous les aléas de l’histoire, elles ont contribué à la construction et au renforcement de cette cohésion qui évolue, s’adapte et se transforme en fonction des contextes et des contraintes pour être ce qu’elle est aujourd’hui plurielle mais unifiée.

Conclusion La cohésion sociale s’inscrit profondément dans la géographie et l’histoire. Elle se traduit par la diversité ethnique, linguistique et culturelle. Les interactions sociales entre ces composantes sont à l’origine d’une dynamique qui allait être l’énergie et la force pour faire des propositions capables d’enrichir l’histoire du Maroc et œuvre pour renforcer sa cohésion sociale pour que celle-ci reste flexible et ouverte. Cette cohésion est une construction qui émane, comme nous l’avons relevé, d’un héritage de traditions, de langues, de croyances, de modes de vie et de valeurs qui constituent son soubassement et sa raison d’être. La cohésion sociale s’enracine dans la mémoire historique qu’elle soit individuelle, collective ou nationale. Elle s’inspire et s’enrichit de son environnement proche ou lointain. Elle tire ses valeurs du passé mais elle demeure ouverte sur le présent et l’avenir. Elle sera solide tant qu’elle se base sur la solidarité, la confiance et le respect mutuel. L’important qu’elle continue à rester mouvement en perpétuelle construction et d’adaptation et en cultivant la diversité dans l’unité. 26

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Chapitre 2 : Les politiques sociales au Maroc, reconnaissance inachevée de l’expertise citoyenne Mustapha El Mnasfi, Enseignant-chercheur à l’Institut d’Etudes Politiques, Sociales et Juridiques de l’Université Mundiapolis à Casablanca et chercheur associé au Centre Jacques Berque

Résumé L’objectif de cet article est de chercher des éléments de réponse à la question suivante : le citoyen concerné par une politique sociale qui la concerne de près estil invité à donner son « avis » avant l’élaboration de celle-ci ? La réponse à cette question semble difficile car « la participation citoyenne » renvoie à plusieurs degrés qui commencent par la « consultation », puis la « concertation » et enfin la « codécision ». Dans le cadre de cet article, il est nécessaire de démontrer dans un premier temps, à travers le cas de l’Initiative nationale pour le développement humain, qu’il y a au Maroc un nouveau contexte qui encourage « la participation citoyenne » dans l’élaboration des politiques sociales ; avant de démontrer, dans un second temps, que cette « participation » reste limitée puisqu’elle vient en aval de l’élaboration de ces politiques.

Introduction Dans un contexte marqué par la constitutionnalisation de la démocratie participative au Maroc, la question de la « participation citoyenne » dans l’élaboration des politiques publiques sociales constitue un enjeu majeur pour les pouvoirs publics, mais aussi pour les acteurs civils, notamment les représentants des associations de la société civile. D’où l’importance d’interroger la problématique du degré de participation ; c’est-à-dire les différents échelons permettant de confirmer ou non l’existence d’une participation citoyenne dans l’élaboration des politiques publiques. L’objectif de cet article est de chercher des éléments de réponse à la question suivante  : le citoyen concerné par une politique sociale qui la concerne de près estil invité à donner son «  avis  » avant l’élaboration de celle-ci  ? La réponse à cette question semble difficile car « la participation citoyenne » renvoie à plusieurs degrés qui COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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commencent par la « consultation », puis la « concertation » et enfin la « codécision ». Dans le cadre de cet article, il est nécessaire de démontrer dans un premier temps, à travers le cas de l’Initiative nationale pour le développement humain, qu’il y a au Maroc un nouveau contexte qui encourage « la participation citoyenne » dans l’élaboration des politiques sociales (I) ; avant de démontrer, dans un second temps, que cette « participation » reste limitée puisqu’elle vient en aval de l’élaboration de ces politiques (II).

I. Un nouveau contexte favorable à la « participation citoyenne » dans l’élaboration des politiques sociales Depuis l’indépendance, en 1958, jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, les questions de la pauvreté, de l’exclusion sociale et de la marginalité ont été considérées au Maroc comme un sujet tabou. En effet, au début des années quatre-vingt, plus précisément en 1983, l’État marocain s’est lancé, avec l’appui de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, dans un programme d’ajustement structurel. Avant et au cours de la décennie de ce programme, les préoccupations d’ordre social n’étaient pas la priorité effective des gouvernements, d’où l’absence de stratégie à long terme et de politiques volontaires en la matière. Cependant, à partir de 1992 – l’année de la fin du programme d’ajustement structurel-, le Maroc a commencé à en voir les effets négatifs : montée du chômage, exode rural, émergence des quartiers urbains marginalisés, baisse du pouvoir d’achat, émeutes éclatant de temps en temps dans les grandes villes, etc. Ce n’est qu’au début de cette décennie que le paradigme du développement social s’est affirmé de plus en plus par son ampleur, comme problème prioritaire. Ainsi, le Maroc a mis en place une stratégie sociale axée sur la lutte contre la pauvreté, retenue comme un moyen privilégié de réduire sensiblement les disparités existantes. Au début des années quatre-vingt-dix, le gouvernement marocain a mis en place une stratégie de développement social qui visait à orienter davantage les ressources publiques vers les activités sociales de base bénéficiant particulièrement aux catégories sociales défavorisées. C’est dans ce cadre que de nombreuses actions ont été entreprises comme le Programme de Priorités Sociales (BAJ1) et le Programme de logement social17. 17  Zouiten Mounir, «  La question de la pauvreté urbaine au Maroc  : stratégie et acteurs  », in Abouhani

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Par ailleurs, le Maroc a connu l’émergence de programmes d’action plus spécifiques en faveur de la population pauvre et exclue vivant dans les zones urbaines, comme le programme « Villes sans bidonvilles (VSB) », qui a pour objectif de fournir un logement décent aux 277 000 ménages vivants dans les bidonvilles urbains. Quatre-vingt-deux villes ont alors été visées par le programme et 20  millions de dirhams (soit près de 2  milliards d’euros) y ont été alloués. Ce programme est basé sur le recours à des contrats villes (signés entre le Ministère de l’habitat, les gouverneurs de préfecture et les présidents des communes) précisant les segments des missions des partenaires sur la base d’un diagnostic protégé et objectif. En outre, le tournant historique de l’urbanisation au Maroc est survenu en 1993 quand la population urbaine a atteint 50,6% de la population totale du Royaume18. Cela a occasionné d’importantes transformations urbaines dans le pays, celles-ci prenant la forme de trois grandes mutations : tout d’abord, la prolifération rapide des villes : le nombre des villes marocaines est passé de 172 en 1970 à 352 en 2004 ; ensuite, l’émergence de « villes millionnaires » dont Casablanca, Fès, Marrakech et Salé, alors qu’en 1900 le Maroc ne comptait qu’une seule ville de plus de 100  000 habitants. Enfin, la classification des villes en trois catégories : petite, moyenne et grande, avec la concentration d’environ 67% de la population citadine au niveau des espaces dits « grandes villes », c’est-à-dire des villes abritant un minimum de cent mille habitants19. Cette augmentation de la population urbaine est liée principalement à la sécheresse et aux conditions difficiles dans les campagnes. Cela a encouragé l’exode rural vers les zones urbaines et a en même temps changé la géographie sociale de la ville, à travers l’émergence de quartiers urbains pauvres et exclus. Cependant, bien que l’État ait entrepris de nombreuses actions pour lutter contre l’exclusion sociale dans les quartiers urbains, celles-ci n’ont pas eu des résultats très probants sur le terrain. En effet, leur élaboration et mise en œuvre sont marquées par une très forte centralisation, ainsi que par l’absence de « concertation » avec les populations cibles ou leurs élus20. En 1999 le Maroc a connu l’arrivée d’un nouveau roi, Mohammed VI, marquant par ailleurs la fin d’une époque et le début d’une autre. Dès son arrivée au pouvoir, le monarque a adressé un discours à l’attention des responsables de régions, préfectures, provinces du royaume, cadres de l’administration et représentants des « citoyens », par lequel il a demandé aux hauts cadres de l’État d’associer les «  citoyens  » dans les Abdelghani. (sous dir.), Enjeux et acteurs de la gestion urbaine, Dakar, CODESRIA, 2000, p. 205. 18  Selon les statistiques du Centre d’Etudes et de Recherches Démographiques, Rabat, 2005. 19  El Meskini Essaid, « La gouvernance urbaine : une approche multidisciplinaire », Revue Marocaine des Politiques Publiques, n° 4, printemps 2009, p. 8. 20  Zouiten Mounir, « La question de la pauvreté urbaine au Maroc : stratégie et acteurs », op.cit., p. 206. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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projets qui visent à régler leurs problèmes sociaux et administratifs. «  Nous voudrions à cette occasion expliciter un nouveau concept de l’autorité et de ce qui s’y rapporte, un concept fondé sur la protection des services publics, des affaires locales, des libertés individuelles et collectives, sur la préservation de la sécurité et de la stabilité, la gestion du fait local et le maintien de la paix sociale. Cette responsabilité ne saurait être assumée à l’intérieur des bureaux administratifs qui doivent, au demeurant, rester ouverts aux citoyens, mais exige un contact direct avec eux et un traitement sur le terrain de leurs problèmes, en les associant à la recherche des solutions appropriées. »21. Depuis ce discours, les concepts de «  participation citoyenne  » et de «  bonne gouvernance » sont devenus de plus en plus médiatisés. Par ailleurs, l’administration marocaine essaie de promouvoir cette nouvelle manière d’impliquer les « citoyens » dans la création et la gestion des biens collectifs. Six ans après cela, plus précisément au mois de mai 2005, le monarque a adressé un autre discours par lequel il annonça le lancement de l’« Initiative Nationale pour le Développement Humain ». Parmi les principaux programmes de cette initiative, l’on trouve le « Programme de l’INDH en milieu urbain ». Les actions à mettre en œuvre dans le cadre de ce programme sont classées en trois catégories : la mise à niveau des infrastructures de base et l’amélioration de l’accès aux services socio-éducatifs et de santé  ; la promotion d’activités génératrices de revenus et d’emplois ; et l’accompagnement social des personnes en grande vulnérabilité22. Cette initiative se base, comme l’indiquent les documents qui la détaillent, sur une « approche participative », c’est-à-dire sur la nécessité d’associer les « citoyens cibles » dans les projets entrant dans le cadre de ce programme. Celui-ci vise 250 quartiers urbains défavorisés dont 16 arrondissements à Casablanca (la capitale économique) et 8 à Rabat (la capitale administrative). L’INDH a été lancée dans un contexte marqué par l’arrivée d’un nouveau roi, lequel a évoqué dans son discours, comme nous l’avons souligné, le « nouveau concept de l’autorité ». Celui-ci est basé sur l’écoute et la consultation de la population. Mais cette initiative a aussi été lancée dans des circonstances marquées par la multiplication des revendications de coordinations locales contre la cherté de la vie et pour l’amélioration

21  Discours du 12 octobre 1999 à Casablanca. Pour plus de détails,  voir le site officiel du gouvernement marocain, notamment le lien suivant  : http://www.maroc.ma/NR/exeres/1563520F-92DE-408F-AD8F11CE3ABF3365 (site consulté en 2010). 22  Voir le site officiel de l’« Initiative Nationale pour le Développement Humain » : www.indh.ma

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de la qualité des services publics23. Les dispositifs participatifs de l’INDH pourraient être considérés comme une réponse à cette « philosophie royale », comme le souligne un coordinateur d’une Equipe d’Animation du Quartier de l’INDH. « L’INDH vise à consulter la population, c’est pour que les citoyens aient confiance en les institutions publiques, en les élus, en les représentants des pouvoirs publics, c’est pour que la nouvelle ère soit installée dans la tête de la population. Les citoyens sont contents de ça, ils ont senti une reconnaissance »24. Ce nouveau contexte favorable à la « participation citoyenne » interroge la question de la façon avec laquelle les pouvoirs publics font «  participer  » les citoyens dans l’élaboration des politiques sociales, notamment celle de l’Initiative nationale pour le développement humain.

II. Une « participation citoyenne » en aval Les politiques publiques sociales au Maroc se basent sur une forte verticalité de la relation entre pouvoir central et acteurs de la subsidiarité et, au contraire, sur une faible liaison horizontale entre les différentes initiatives associatives de ces mêmes acteurs locaux25. Lors de la Consultation nationale sur l’efficacité du développement des organisations de la société civile au Maroc26, les associations marocaines œuvrant dans le domaine de la lutte contre la pauvreté ont souligné que les pouvoirs publics marocains les marginalisaient ; elles ont par ailleurs relevé l’absence de coordination entre les institutions gouvernementales et non gouvernementales avant l’élaboration des programmes qui visent à améliorer la qualité de vie des populations cibles ; cela handicape leur action, selon les représentants de ces associations. Ces différents points expliquent que les associations de la société civile ne sont pas sollicitées pour 23  Catusse Myriam et Vairel Frédéric, «  Question sociale et développement  : les territoires de l’action publique et de la contestation au Maroc », Politique africaine, 2010/4, n° 120, p. p. 5-6. 24  Entretien avec un membre d’Equipe d’animation du quartier (EAQ), Rabat, 03 mai 2011. 25  De Miras Claude, « De la gouvernance à la gouvernementalité ? Action publique territoriale au Maroc », Revue Maghreb-Machrek, N° 202, hiver 2009-2010, p. 46. 26  Comme nous l’avons signalé dans l’introduction, nous avons eu l’occasion d’être l’un des rapporteurs de la Consultation Nationale sur l’Efficacité du développement des Organisations de la Société Civile au Maroc, ce qui a nous a permis d’enregistrer des observations. Rabat, les 29, 30 et 31 mai 2010, la Consultation a été organisée par l’Espace Associatif : www.espace-associatf.ma COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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co-décider avec les pouvoirs publics. Dans le cadre de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain, plus de 20 000 projets ont été réalisés, et près de 5 millions de personnes en ont bénéficié, aussi bien en milieu urbain que rural. En revanche, ces acquis sont de faible magnitude sur l’échelle du développement humain ; le Maroc était en effet classé en 2009 à la 130e place sur l’échelle de l’Indicateur de Développement Humain (IDH)27 et à la 129e place sur 179 pays en 201428. En plus de la faible retombée des actions menées dans le cadre de l’INDH sur le développement humain, les projets mis en œuvre par celle-ci ont rencontré différents problèmes. Dans ce sens, l’ancien secrétaire d’État chargé du Développement territorial a déclaré que « plusieurs projets dans le cadre de l’INDH avaient été conçus sans tenir compte de leur pérennité ». Il ajoute « qu’il est temps de mener un débat fructueux sur la pérennité des projets en abordant les différents moyens et outils de l’action sociale dans le but d’anticiper les éventuelles difficultés et de dépasser les approches fragmentaires et conjoncturelles en recommandant des solutions adaptées et globales  »29. Cette déclaration d’un ancien membre du gouvernement montre qu’avant la conception des projets de l’INDH, aucun débat n’a été organisé entre les acteurs concernés de près ou de loin par la problématique de la pauvreté, dont les associations de la société civile. L’État reconnaît, dans le cadre de cette initiative, le rôle de la société civile dans la lutte contre la pauvreté. Mais cette reconnaissance n’est pas reflétée sur le terrain car les associations de la société civile ont un rôle qui se limite à la proposition des projets. Ces associations sont représentées par des leaders associatifs dans les commissions ayant pour rôle de choisir les projets proposés, mais ceux-ci ont un pouvoir limité face à celui des élus et des représentants des services extérieurs de l’État. Dans de brèves discussions avec le président fondateur d’une association qui bénéficie de financements provenant de cette initiative, celui-ci a évoqué son mécontentement envers les pouvoirs publics, car ceux-ci, selon lui, accordent des fonds à des associations qui représentent non pas la population des quartiers cibles mais les programmes des partis politiques. Selon cet acteur associatif, ce programme souffre de problèmes liés notamment à la gestion des fonds ainsi qu’à l’intervention des partis politiques, à travers les associations qu’ils ont introduites dans les quartiers. Celles-ci ont plus de facilités pour bénéficier de financements, en comparaison avec les associations créées par les habitants des quartiers qui ne se réclament d’aucune tendance politique. Cette situation se retrouve 27  Dossier, « INDH : l’échec du relais associatif », L’Hébdo Challenge, n° 277, 27 mars 2010, p. 24. 28  Voir le rapport sur l’Indicateur de Développement Humain des nations Unies, publié au mois de juillet 2014. 29  Dossier, « INDH : l’échec du relais associatif », L’Hébdo Challenge, op. cit. p. 25.

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dans des associations présidées par des personnes qui sont par ailleurs membres dans des partis politiques. Cela leur permet de demander aux élus de leurs partis politiques d’influencer le comité local de l’INDH, présidée par un élu local qui traite les dossiers de propositions de projets ainsi que les demandes de subvention de cette initiative. Cela explique l’aspect de clientélisme de l’INDH et de ses dispositifs participatifs. Par ailleurs, cette politique sociale de l’INDH a donné lieu à l’émergence de ce qu’on peut appeler « les professionnels de la participation ». En effet, afin de montrer que la participation citoyenne est une « chose primordiale », les pouvoirs publics ont fait appel à des experts ayant des compétences dans les approches participatives pour former les agents de développement social et les membres des Equipes d’Animation de Quartier. Les représentants des pouvoirs publics locaux soulignent que la participation citoyenne leur a permis de s’adapter à un acteur qui a été auparavant ignoré  ; ils confirment que la population concernée par un projet doit être consultée avant l’élaboration de celui-ci, car ce dernier doit être construit sur la base de leurs attentes. Il est observé que les fonctionnaires de l’Etat concernés par l’INDH en milieu urbain vivent sous le changement de leur rapport avec le citoyen. Ceux-ci confirment qu’auparavant les décisions étaient prises dans les bureaux sans aucune consultation avec les citoyens. En revanche, suite à la mise en place des dispositifs participatifs dans le cadre de l’INDH, ces fonctionnaires ont confirmé qu’ils sont désormais invités à veiller à ce que les projets élaborés au niveau communal traduisent la volonté de la population. Par ailleurs, il est constaté que suite à la mise en œuvre de l’INDH et de ses dispositifs participatifs, « les hommes » de pouvoir sont devenus de plus en plus « des hommes » de développement humain. Car l’INDH a beaucoup insisté sur l’importance de collaborer entre tous les acteurs y compris le citoyen ordinaire d’une manière générale et plus particulièrement le citoyen associatif. De plus, il est considéré que le citoyen est un nouvel acteur de l’action publique qui a eu l’occasion, grâce à l’INDH, d’apprendre de nouvelles connaissances dans l’espace public. Selon les fonctionnaires chargés de la mise en œuvre de cette politique, le citoyen ne peut jamais être un concurrent ; c’est un acteur qui se complète avec eux, c’est un partenaire avec qui la collaboration devient nécessaire, voire décisive dans l’élaboration des projets. Mais en même temps ces fonctionnaires de l’Etat ne cachent pas que les élus acceptent difficilement le fait de faire participer les citoyens. L’idée qu’ils ont est que l’action territoriale ne doit pas être ouverte face à la participation citoyenne. C’est pourquoi dans certains quartiers un rapport conflictuel s’installe entre les élus et les citoyens associatifs. Cependant, on observe une nouvelle confiance qui est en train de s’installer entre le citoyen et les fonctionnaires représentants des pouvoirs publics centraux au niveau local. Le citoyen fait davantage confiance en l’administration publique, comme le COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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souligne un coordinateur d’une Equipe d’Animation du Quartier à la ville de Rabat. Les dispositifs participatifs mis en place dans le cadre de l’INDH en milieu urbain ont permis aux citoyens ordinaires de participer, de créer des associations et de s’exprimer spontanément devant les représentants des pouvoirs publics.

Conclusion En guise de conclusion, il est constaté que les pouvoirs publics au Maroc reconnaissent l’importance d’« associer » les citoyens dans l’élaboration des politiques sociales. L’exemple de l’INDH confirme cette volonté de faire « participer » la population cible dans des politiques qui les concernent directement. Cette politique sociale ainsi que ses dispositifs participatifs ont été lancés dans un contexte marqué par l’arrivée d’un nouveau monarque. Celui-ci a insisté dans ses discours sur l’importance de considérer le citoyen comme un acteur partie prenante dans l’élaboration des politiques dont il est l’objet. Cependant, cette reconnaissance ne confirme pas que le citoyen participe réellement dans la prise de décision. En effet, il est observé qu’il ne suffit pas de mettre en place des dispositifs participatifs visant à associer les citoyens dans les politiques sociales après leur élaboration, mais plutôt avant. L’adoption en amont d’une réelle participation citoyenne aurait pour conséquences d’augmenter l’efficacité des politiques sociales et donc un impact positif sur la population cible.

Bibliographie • Catusse Myriam et Vairel Frédéric, «  Question sociale et développement  : les territoires de l’action publique et de la contestation au Maroc », Politique africaine, 2010/4, n° 120, P. p. 5-6. • De Miras Claude, « De la gouvernance à la gouvernementalité ? Action publique territoriale au Maroc  », Revue Maghreb-Machrek, N°  202, hiver 2009-2010, p. 46. • Dossier, «  INDH  : l’échec du relais associatif  », L’Hebdo Challenge, n°  277, 27 mars 2010. • El Meskini Essaid, « La gouvernance urbaine : une approche multidisciplinaire », Revue Marocaine des Politiques Publiques, n° 4, printemps 2009, p. 8. • Zouiten Mounir, « La question de la pauvreté urbaine au Maroc : stratégie et acteurs », in Abouhani Abdelghani. (sous dir.), Enjeux et acteurs de la gestion urbaine, Dakar, CODESRIA, 2000, p. 205.

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Chapitre 3 : La cohésion sociale au Maroc et enjeux de la participation citoyenne Meryeme El Anbar, Chercheure, Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales Rabat- Agdal

Résumé La recherche des équilibres sociaux au Maroc est un processus qui a marqué les politiques publiques en matière du social depuis l’indépendance. De nombreuses réformes ou tentatives de réformes ont vu le jour liées au contexte politique et économique de chaque période. Moult initiatives ont été entreprises, tantôt à retombées positives sur l’amélioration du social, mais ont connu parfois un échec global ou partiel allant jusqu’à accentuer les distorsions sociales. La gouvernance de l’Etat, la participation citoyenne et ses enjeux, la tendance à l’institutionnalisation des pratiques participatives, la consécration du rôle de la société civile sont autant d’éléments qui semblent converger dans le sens du redressement de la situation et remédier au cumul des échecs de certaines politiques de tâtonnement. Ces pulsions et cette frénésie pour la participation citoyenne occultent par moments les limites liées aux pratiques participatives qui cachent des enjeux susceptibles d’entacher les prétendues vertus de la participation… Cet article s’arrête sur le contexte économique et social ayant prévalu depuis l’indépendance et qui a généré des problèmes d’équilibre social, en mettant l’accent sur certaines politiques sociales menées notamment dans des secteurs clés tels l’éducation, le logement et la lutte contre la pauvreté. Des questions sont soulevées et interrogent la pertinence de la participation dans un contexte politique et social où les pratiques démocratiques font parfois défaut.

Introduction La question sociale au Maroc durant le siècle dernier et jusqu’aux années quatrevingt a été souvent assimilée à la solidarité. Selon des études sociologiques, la tribu et la religion auraient constitué des cadres d’appartenance et de socialisation où l’individu

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puisait ses repères de sociabilité30. A partir des années quatre-vingt, la question sociale a connu une évolution qui peut être rattachée d’une part au contexte politique et économique mais également aux profondes mutations socioculturelles et à celles des valeurs qu’a connues le pays31. Certains facteurs ont contribué significativement à accentuer les déséquilibres sociétaux. L’exode rural, la forte urbanisation et le chômage ont généré des torsions sociales et ont été à l’origine d’une prise de conscience par l’Etat de la problématique de la cohésion sociale devenue un axe important des politiques publiques. Parallèlement à l’action de l’Etat dans ce sens, les organisations de la société civile qui ont connu un foisonnement important depuis ces dernières décennies se sont également saisies de la question à travers leurs actions d’une part, et d’autre part par leur participation à la coproduction de politiques publiques. Les pratiques participatives au sein de la société civile ont existé depuis une longue date, mais elles s’exerçaient souvent dans un cadre non institutionnalisé ; elles étaient peu visibles. L’institutionnalisation récente de la participation répond, certes à une volonté de démocratisation des affaires publiques mais également vise l’instauration d’une action collective de plus en plus organisée. La participation est devenue un fait marquant. Elle est associée, de facto, à la consolidation des droits de l’homme, des valeurs de justice sociale, de bonne gouvernance et de démocratie. Les mouvements sociaux de 2011 ont permis d’accélérer la cadence des réformes dans le sens de l’institutionnalisation de la participation et ont élargi le champ de son application32. Parallèlement à ces avancées démocratiques, une multitude d’événements sociaux observés au quotidien, ou fréquemment relayés par les médias (manifestations, actes de violence urbaine actes de violence dans les universités, dénonciations et revendications à travers les réseaux sociaux…) interpellent l’ensemble des acteurs sur le futur de la cohésion sociale au Maroc et suscitent de nombreuses interrogations : Ces phénomènes de digression sociale sont-ils liés à l’échec du système éducatif, au dépérissement du politique, aux fractures sociales ou encore à d’autres facteurs qui minent la société à tous les niveaux dont l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques ? Ce malaise social serait-il le résultat d’un cumul d’échecs de politiques publiques de tâtonnements, de problèmes économiques, d’obscurantisme religieux ou d’un modernisme qui s’est délesté du patrimoine culturel et identitaire ? Dans cet article, il est question d’examiner dans un premier lieu le contexte socio30  Bourqia, Rahma. “Valeurs et changement social au Maroc.” Quaderns de la Mediterrània 13 (2010): 105115. 31  Bourquia Rahma op cit 32  Bouabid A,. Lahbib K,. Tamim T, La démocratie participative au secours de la démocratie représentative, Fondation Abderrahim Bouabid, collection « les cahiers bleus » n°16, Rabat, 2011

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LA COHÉSION SOCIALE AU MAROC ET ENJEUX DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

économique qui a prévalu depuis l’indépendance du Maroc en s’arrêtant sur les conjonctures liées au contexte national et international à l’origine des déséquilibres sociaux. L’évaluation de certaines politiques publiques menées pour faire face à ces déséquilibres fera l’objet d’un deuxième axe et fera ressortir la contribution de la participation publique à la modification des modes de gouvernance et ses rapports à son environnement social. Enfin sera abordée, l’institutionnalisation de la participation comme volonté d’impliquer le citoyen dans la gestion de son quotidien à travers les organisations de la société civile ou à travers le dialogue social, ce qui mène au dessaisissement de l’Etat de la question sociale et accentue les distorsions au niveau de la société.

I. Tendances de l’évolution économique et mutations sociales au Maroc Dans les politiques sociales, solidarité et cohésion sociale sont sans doute utilisées pour désigner le même sens. Deux notions qui renvoient au même objectif qui est celui d’assurer les équilibres nécessaires au vivre ensemble des différentes composantes de la société dans une certaine harmonie33. Les orientations des politiques économiques ont un impact inéluctable sur le social et sont déterminantes pour la variation des indices de développement (taux de pauvreté, de chômage, d’émigration…). Examiner les tendances de la croissance économique au Maroc liée au contexte national et international permet de comprendre les causes ayant accentué les distorsions sociales et a limité le développement de politiques sociales à même de rétablir l’équilibre nécessaire à un vivre ensemble.

1. Les tendances de la croissance économique au Maroc Les politiques économiques et sociales au Maroc depuis son indépendance, aspiraient à la réalisation d’une croissance économique suffisante et soutenue en vue d’améliorer le niveau de vie de la population34. Les plans de développement économique et social établis depuis 1960 attestent que le Maroc a mené, depuis cette période, des programmes visant à généraliser la scolarisation, à lutter contre l’analphabétisme et à contribuer au développement du monde rural. Néanmoins, la croissance économique depuis l’indépendance a été caractérisée par 33  Vulbeau, Alain. “Contrepoint-Cohésion sociale et politique sociale.”Informations sociales 1 (2010): p17. 34  JAWAD EZZRARI thèse de doctorat « la pauvreté au Maroc : approches, déterminants, dynamique et stratégies de réduction » 2011 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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son instabilité du fait qu’elle s’est basée pour une grande part sur l’agriculture et par conséquent est restée tributaire des aléas climatiques. En effet, si la croissance réelle du PIB s’est située à 3,8 % depuis 1960, elle n’est que de 2,8 % durant la période 1994 et 200435. Les résultats réalisés en matière de croissance économique n’étaient pas suffisamment performants pour pouvoir améliorer qualitativement et quantitativement le niveau de vie de l’ensemble de la population. Ils n’ont pas pu réduire les écarts dans la répartition de la richesse nationale. De plus, la redistribution des revenus créés par l’activité économique et leur répartition constituent une dimension importante du développement humain dans un pays. Au Maroc, cette redistribution est encore fortement marquée par les inégalités et par la persistance de grandes poches de pauvreté. La situation économique ayant prévalu pendant les années soixante-dix a été marquée par l’endettement et de grands déséquilibres macroéconomiques qui ont obligé le pays de s’engager dans un programme d’Ajustement structurel (PAS) ayant mené à une série de réformes économiques institutionnelles et juridiques pour mettre à niveau le fonctionnement des entreprises.36 Cela a contribué à un désengagement progressif de l’Etat et le renforcement du secteur privé. Ces réformes se sont traduites par l’intégration du pays dans l’économie mondiale à travers la libéralisation de l’économie nationale et les accords de libre-échange, ce qui a aidé le pays à profiter de la délocalisation de quelques industries installées dans la région du nord destinées au marché national comme à l’exportation. Grâce à la relance du secteur privé, à la compétitivité, et à l’engagement de l’Etat dans des programmes de lutte contre la précarité et la pauvreté, on a pu assister à une redistribution de l’emploi et des revenus et par conséquent de réduire quelque peu les déséquilibres régionaux. En somme, malgré les efforts déployés, le Maroc, connaît de fortes inégalités socioéconomiques, créant des ruptures entre la ville et la campagne, et entre le centre et la périphérie du pays, des régions et des villes. Ceci a pour conséquences de créer une différenciation notable dans le cadre de vie des populations et favorise les migrations spatiales37.

35  Etudes réalisées par la Banque Mondiale dans plusieurs pays en développement à partir des données des enquêtes sur les niveaux de vie des ménages. 36  Catusse, Myriam. “L’entrée en politique des entrepreneurs au Maroc: libéralisation économique et réforme de l’ordre politique.” PhD diss., Aix-Marseille 3, 1999. 37  Rachid EL ANSARI «  Dynamique régionale et développement inégal au Maroc  » thèse de doctorat soutenue en 2008 à l’université Paris XII

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2. Niveaux de vie des ménages et disparités sociales Certains indices dénotent une amélioration par période du niveau de vie des ménages. Le niveau de la dépense annuelle moyenne par personne a atteint 11 233 DH en 2007, soit une moyenne de 936 DH par mois et par personne38. Comparé au niveau enregistré en 2001 qui était de 8280 DH par personne, cet indicateur s’est accru annuellement de 5,2 % en dirhams courants et de 3,2 % en termes réels si l’on tient compte l’évolution de l’indice du coût de la vie entre ces deux périodes. Ces résultats témoignent d’une nette amélioration du niveau de vie de la population marocaine durant cette période en comparaison avec l’accroissement annuel de la DAMP enregistré entre 1998 et 2001 (2,1 % en dirhams courants et 1 % en termes réels). Ces évolutions ont profité aussi bien aux villes qu’aux campagnes. Le montant annuel moyen de la dépense par personne est passé respectivement de 10624 DH et 5288 DH en 2001 à 13 894 DH et 7777 DH en 2007, soit des taux d’accroissement annuels respectifs de 4,5 % et 6,6 %. Il est à noter que près de 62,7 % des ménages marocains vivent avec une dépense annuelle moyenne par tête inférieure à la moyenne nationale. Par milieu de résidence, cette proportion est de 63,5 % pour les citadins et 56,6 % pour les ruraux. L’analyse de l’évolution de la dépense annuelle moyenne par personne selon le milieu de résidence laisse donc apparaître des disparités spatiales. Toutefois, l’écart entre les deux milieux, urbain et rural, s’est relativement réduit à 1,8 fois en 2007 après une stabilité à 2 fois de 1990 à 2001. Récemment et selon une étude menée par les experts de la Banque mondiale, la part moyenne du marocain dans le produit intérieur brut (PIB) a suivi une tendance baissière durant les cinq dernières années.39 Le revenu moyen des Marocains a commencé à diminuer à partir de 2011 pour atteindre 2871 dollars en 2015, alors qu’il se situait à 3190 dollars jusqu’en 2014, soit une perte de 319 dollars. La même étude présente des données intéressantes sur le revenu des Marocains qui se situait en 1960 à 164 dollars. La période allant de 2002 à 2008 peut être considérée comme la meilleure. En effet, sous les gouvernements d’El Youssoufi et de Jettou, le revenu a grimpé progressivement de 1413 à 2906 dollars.

38  Enquête nationale sur les revenus et les niveaux de vie des ménages 2006-2007 (rapport de synthèse) (HCP). 39  Article paru sur le site info « Les marocain sont de plus en plus pauvre » par Touchkine publié le 7 Aout 2016 à 14H25 consulté le 10 aout 2016 à 11h in http://www.lesiteinfo.com/les-marocains-sont-de-plus-en-pluspauvres-rapport/ COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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II. La Gouvernance de l’Etat en matière de social Malgré les progrès en matière de social, les diagnostics portés sur cette question restent alarmistes sur l’échelle de l’indice du développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en particulier, les scores relatifs à l’éducation40. Selon l’indice multidimensionnel de pauvreté utilisé par le PNUD, 28,5 % des marocains seraient pauvres en 200841, L’analyse des chiffres et les statistiques disponibles sur la pauvreté au Maroc indiquent que la pauvreté n’est pas simplement imputable aux conséquences à court terme du programme d’ajustement structurel au cours des années 2000, elle n’est pas un problème lié à une conjoncture mais devient un problème public. De même, la question de l’emploi, avec notamment le chômage des jeunes et la participation des femmes, demeure l’un des principaux défis de cohésion sociale et interpelle les politiques publiques en matière d’enrichissement du contenu en emplois de la croissance et concernant l’employabilité, particulièrement celle des jeunes et des femmes. Selon Nourredine El Aoufi les taux de chômage restent élevés42, et nivellent de très fortes disparités entre villes et campagnes, entre régions, entre jeunes et adultes et, enfin, entre hommes et femmes. Ces indicateurs ne rendent pas compte des situations de sous-emploi, d’emploi informel et des formes non salariales de l’emploi. Dans des tentatives de redresser la situation, le Maroc a mené depuis les années quatre-vingt-dix des politiques sociales et des réformes sur plusieurs axes (emploi, code de travail, dialogue social, régionalisation, gouvernance de l’administration…). L’accent sera mis dans cet article sur les politiques publiques de l’Education, celle du Logement et de la lutte contre la pauvreté. Leur évaluation peut apporter des explications aux entraves pour atteindre les objectifs assignés.

1. Les politiques sociales dans le secteur de l’Education L’action publique dans le domaine de l’éducation se décline sous forme de réformes. Un regard rétrospectif sur les cinquante-cinq années du Maroc indépendant permet

40  Le Maroc est classé parmi les derniers pays du monde en ce qui concerne l’indice du niveau d’éducation dans les campagnes  : malgré une amélioration de la situation, en  2009, 32  % de la population âgée de plus de 15 ans étaient encore répertoriés comme analphabètes. 41  Catusse, Myriam, and Frédéric Vairel. “Question sociale et développement: les territoires de l’action publique et de la contestation au Maroc.” Politique africaine 4 (2010): 5-23. 42  El Aoufi, Noureddine, and Mohammed Bensaïd. “Chômage et employabilité des jeunes au Maroc.” Cahiers de la stratégie de l’emploi 6 (2005).

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de dénombrer pas moins de onze réformes ou « tentatives de réformes éducatives »43. En 1999, un consensus se dégage autour de la question de l’éducation. L’éducation est érigée au rang de deuxième priorité nationale après celle de l’intégrité territoriale. La décennie 2000-2009 est proclamée «  Décennie de l’Education-Formation  ». Cette décennie est marquée par l’adoption de la Charte nationale d’éducation et de formation élaborée par la COSEF44. Cette Charte représente la référence de base des actions à mener en matière d’éducation et de formation durant la décennie 2000-2009 et articule une nouvelle vision à l’horizon 2020. Sur les questions d’alphabétisation et de la scolarisation, la Charte considère la lutte contre l’analphabétisme « comme une obligation sociale de l’Etat  ». Elle établit «  comme objectif de réduire le taux global d’analphabétisme à moins de 20 % à l’horizon 2010, pour parvenir à une éradication quasi totale de ce fléau à l’horizon 2015 »45. En ce qui concerne la scolarisation, elle fait assumer à l’Etat l’engagement «  d’assurer la scolarisation à tous les enfants marocains jusqu’à l’âge légal de travail »46 et fixe comme objectif la généralisation de l’enseignement fondamental suivant un échéancier précis : • Généraliser, à partir de 2002, la scolarisation pour tous les enfants âgés de six ans révolus. • Généraliser, à l’horizon de 2004, l’inscription en préscolaire. Ce processus de réformes est consolidé par la mise en place du Conseil supérieur de l’enseignement, institution constitutionnelle prévue par l’article 32 de la Constitution de 199647, confirmée par la Constitution de 201148 sous l’appellation « Conseil supérieur pour l’éducation la formation et la recherche scientifique ». Ce conseil est chargé de poursuivre l’action menée par la COSEF et d’impulser une nouvelle dynamique à sa mise en œuvre. Il dispose de compétences purement consultatives. Il est ainsi « consulté sur les projets de réforme concernant l’éducation et la formation. Il donne son avis sur toutes les questions concernant les secteurs de l’enseignement et de la formation, procède à des évaluations globales du système national de l’éducation et de la formation aux plans institutionnel, pédagogique et de gestion des ressources et veille à l’adéquation 43  Voir Rapport thématique, Systèmes éducatifs, savoir, technologies et innovation, 50 ans de développement humain et perspectives 2025, p. 52, http://www.rdh50.ma/Fr/pdf/rapport_thematique/systeme/ rt4systemeoa4104pages.pdf. 44  Commission spéciale éducation-formation désignée en mars 1999 par le roi Hassan II. 45  Voir texte de la Charte nationale d’éducation et de formation à l’adresse suivante : http://www.takween. com/charte-part2.html#levier2. 46  Idem. 47  Voir Discours du trône du 30 juillet 2004. 48  Dahir n° 1-11-91 du 27 chaabane 1432 (29 juillet 2011) portant promulgation du texte de la Constitution. B.O. n° 5964 du 30-07-2011. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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de ce système à l’environnement économique, social et culturel »49. Certes, des progrès substantiels ont été réalisés, en particulier dans l’élargissement de l’accès à l’enseignement obligatoire. Cependant, les taux élevés de déperditions et de redoublements à tous les niveaux, les faibles niveaux des acquis des apprentissages de base, ou encore l’inadéquation entre le profil des sortants du système et les besoins du marché du travail constituent des sources d’inquiétude et les indicateurs d’une crise sérieuse du secteur de l’éducation. C’est en réponse à cette crise que s’est mis en place, en septembre 2008, un programme dénommé « Plan d’urgence 2009-2012 »50. Ce programme a été organisé autour des espaces d’intervention identifiés comme prioritaires par le « Rapport sur l’état et les perspectives du système d’éducation et de formation » au titre de l’année 2008, élaboré par le Conseil supérieur de l’enseignement51. Il vise « à consolider ce qui a été réalisé, et procéder aux réajustements qui se posent, en veillant à une application optimale des orientations de la Charte nationale d’éducation et de formation ». En réponse à la conjoncture actuelle, le projet de réforme «  vision stratégique 2015-2030 », semblerait apporter de nombreuses réformes (enseignement préscolaire obligatoire, une discrimination positive en vue d’élargir l’offre scolaire, combattre la déperdition et l’abandon scolaire…). Mais ce projet est-il à même de remédier aux inégalités produites par un l’enseignement privé et celui qu’offre l’école publique ? Les deux secteurs semblent aller à deux vitesses différentes et produisent par conséquent des inégalités de chances pour les lauréats. Force est de constater que les réformes jusque-là entreprises dans le secteur de l’éducation n’ont pas pu relever les multiples défis qui entravent le fonctionnement optimal du secteur éducatif. En dépit, et parfois à cause, d’une série de réformes, parfois improvisées et le plus souvent inachevées, le système éducatif est devenu une lourde machine peu rentable, productrice de diplômés mal préparés aux changements et aux exigences de l’économie et de la société moderne. Le système a fini par produire une école, dont les performances se dégradent au fur et à mesure que l’on s’éloigne des centres des grandes agglomérations urbaines52.

49  Voir site du Conseil supérieur de l’enseignement à l’adresse suivante : http://www.cse.ma. 50  Voir rapport résumé du « Programme d’urgence » à l’adresse suivante : http://www.men.gov.ma/sites/fr/ PU-space/bib_doc/RESUME_Fr.pdf. 51  Le rapport est publié sur le site du Conseil supérieur de l’enseignement à l’adresse suivante : http://www. cse.ma/admin_files/vol%202Analytique%20VF1.pdf. 52  Voir Rapport thématique, Accès aux Services de Base et Considérations Spatiale, 50 ans de développement humain et perspectives 2025, http://www.rdh50.ma.

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2. Politiques sociales en matière de logement Depuis l’indépendance, et parallèlement aux objectifs urbanistiques et esthétiques réalisés dans les villes à travers des politiques d’aménagement urbain, le Maroc a mené des politiques d’habitat social à même de remédier au dysfonctionnement du secteur et de résoudre les problèmes de logement53 accentués par l’exode rural et la prolifération d’habitats anarchiques et de bidonvilles. Bien avant l’indépendance et après la seconde guerre mondiale, le Maroc a adopté en matière d’habitat, des programmes de logement en grand nombre, tendance qui s’est maintenue au cours des décennies qui se sont suivies. Ces programmes ont concerné des populations en situations diverses, mais réunies par un même objectif public : la résolution des problèmes d’habitat par l’accès à la propriété54. Ce dernier est devenu un « modèle national » auquel les plus démunis continuent à se référer comme seule solution de logement possible. En ce qui concerne la question des bidonvilles, le plus vieil outil utilisé consistait aux déguerpissements partiels, déplacements « provisoires » ou évictions massives. L’histoire des 50 dernières années55 semble être marquée par un tâtonnement à la recherche de la solution radicale. Dès les années soixante-dix, cependant, la question de l’inadéquation entre les politiques d’habitat social en général et les tenants et aboutissants de la question des bidonvilles est devenue très visible et a fait l’objet de débats critiques. Cette pensée critique nationale a toutefois conduit à l’idée de remplacer les éradications et les « recasements » par des restructurations in situ. Mise en œuvre dès la fin des années soixante-dix, cette approche fera toutefois l’objet de nombreuses critiques pour être assez rapidement abandonnée, du fait de la convergence de deux positions nourries de références et d’objectifs complètement différents  : celles des architectes et urbanistes, du secteur public comme du privé, relayés par un nombre « d’élites », qui considèrent que la restructuration conduit à une «  bidonvillisation  » en dur, à une ville sans qualité et à des effets négatifs durables sur l’avenir des villes  : celles des autorités et de la sécurité nationale qui déplorent les difficultés de quadrillage et de contrôle du tissu urbain en cas de problèmes voire d’insurrection. La volonté d’un retour à une politique d’éradication, socialement justifiée par un « recasement » distributeur de « lots » va d’abord se déployer dans les villes moyennes 53  Programme de recherche « PRUD », Rapport de synthèse, « L’entre-deux, Des politiques institutionnelles et des dynamiques sociales : Liban, Maroc, Algérie, Mauritanie », CNRS, CITERES, Equipe EMAM (Ex- Laboratoire URBAMA), Tours, Février 2004. 54  Voir programme « PRUD » cité ci-dessus 55  Voir Rapport cité ci-dessus. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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avec un certain succès. Par contre, pour les grandes villes, bien que les acteurs publics affichent haut et fort la volonté de faire disparaître de manière définitive ce phénomène que sont les bidonvilles, en totale dissonance avec l’image du développement urbain voulu, les opérations de «  recasement  » rencontrent de nombreux obstacles dont notamment le refus de déplacements par les habitants. Le bilan des politiques gouvernementales relatives à l’habitat social menées jusqu’à présent soulève des questionnements sur leur impact dans la promotion du secteur et dans la résolution des problèmes de logement qui s’accentuent avec la pression démographique en milieu urbain. Les politiques menées au cours des 50 dernières années n’ont pas, ou peu, accordé d’intérêt aux mécanismes sociaux, économiques et politiques impliqués tant dans la formation des quartiers que dans les tentatives de leur résorption De même, l’information, la concertation ou l’accompagnement social des populations relogés n’avaient pas fait l’objet d’une réelle réflexion qui tient en compte les réalités socio-économiques.

3. Politiques de lutte contre la pauvreté Amartya Sen conçoit le développement comme liberté56. Les libertés substantielles doivent mettre en œuvre diverses combinaisons de fonctionnement de sorte qu’un ensemble de capacités permettent à l’homme la liberté d’accomplir ses choix, ainsi, on pourra appréhender le développement en l’évaluant par les capacités qu’il a pu créer. En d’autres termes l’homme doit être capable de choisir. L’approche par les capacités, élaborée par Sen, envisage de donner à chaque composante de la qualité de vie son poids dans l’évaluation et qu’au final, elle doit être soumise au débat public. La pauvreté pour Amartya Sen est définie comme une privation des capacités et non seulement un manque de revenus. Sen atteste que la relation entre les faibles revenus et la privation des capacités est une relation intrinsèquement liée. Partant, les politiques sociales au Maroc en matière de lutte contre la pauvreté ont – elles été pensées dans le sens de doter et développer les capacités chez les catégories démunies ? L’Initiative Nationale du Développement Humain (INDH) est un axe important à examiner dans les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. La persistance des inégalités et des conditions de vie précaires a conduit au lancement de cette initiative dont l’objectif est de lutter de manière ciblée contre l’exclusion et la pauvreté dans les milieux urbain et rural à travers des programmes ciblant les services 56  De Munck, Jean, and Bénédicte Zimmermann. “La liberté au prisme des capacités: Amartya Sen au-delà du libéralisme.” (2008).

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de base : équipement en eau, électricité, habitat, écoles mais aussi à des actions de proximité. L’importance de ces programmes réside entre autres dans l’implication du tissu associatif au niveau local. Notons qu’avant cette initiative et aux fins de prendre en charge le volet relatif à la lutte contre la pauvreté, la marginalisation et l’exclusion sociale, le Maroc a créé en 1999, l’Agence de développement social (ADS) avec pour principal rôle l’atténuation des déficits sociaux57. Outre les efforts pour mesurer la pauvreté et comprendre les changements de la pauvreté au Maroc, une série d’études basées sur les données des enquêtes nationales sur le niveau de vie et de la consommation des ménages ont été réalisées pour mieux comprendre les déterminants du bien-être des ménages au Maroc. Ces études ont pu décrire les caractéristiques des populations dont celles pauvres, analyser différents types de comportement des ménages et évaluer leur impact sur le bien-être. Et face aux besoins récurrents de formulation de stratégies locales de réduction de la pauvreté, le Maroc a élaboré trois cartes de pauvreté58 (1994, 2004 et 2007) qui consistent à avoir des indicateurs de pauvreté et d’inégalités à des niveaux géographiques plus fins, à savoir la commune et voire le quartier. Ces cartes ont permis, entre autres, aux décideurs et aux hommes politiques, de cibler leurs stratégies d’intervention. Un autre axe de la politique de lutte contre la pauvreté est celui de la création de fondations dont notamment la Fondation Mohammed VI pour la solidarité créée en juillet 1999 et le Fonds Hassan II pour le développement économique et social, financées par des canaux exceptionnels : plus exactement, elles renvoient à un mode de gestion privatif de fonds souvent d’origine publique. C’est notamment le cas du Fonds Hassan II qui a bénéficié d’une part importante des recettes publiques de la concession de la deuxième licence de téléphonie GSM en 200159. Depuis leur création, ces deux structures présentées comme des “instances de crise” créées au nom de la solidarité nationale pour faire face à l’insécurité sociale croissante, ont agi en régularisant et contractualisant leur partenariat avec des associations de la “société civile”60. Les associations d’aide au microcrédit y tiennent le haut du pavé pour le premier, les opérations dans le domaine 57  Établissement public jouissant de l’autonomie financière, elle se trouve sous la tutelle du ministère de l’Emploi, des Affaires Sociales et de la Solidarité 58  « Carte de la pauvreté communale : RGPH 1994 – ENNVM 1998-99 », juin 2004 « Pauvreté, développement humain et développement social au Maroc : Données cartographiques et statistiques RGPH 2004 », décembre 2005. « Carte de la pauvreté 2007, HCP », janvier 2010. 59  Le « Fonds Hassan II pour le développement économique et social », a été créé par le décret n° 2-00-129 du 16 mars 2000, sous forme de compte d’affectation spéciale du Budget général des recettes additionnelles dégagées au titre de la concession de la deuxième licence GSM. 60  Catusse, Myriam. “Les réinventions du social dans le Maroc “ajusté”.” Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 105-106 (2005): 175-198. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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de l’habitat pour le second. Il s’y ajoute que ces associations ont également bénéficié de partenariats de longue durée avec des bailleurs de fonds internationaux, quand bien même leurs structures de financement sont généralement extrêmement diversifiées. Chaque année depuis 1998, la Fondation Mohammed V organise sous la “présence effective du Roi”, une campagne nationale de solidarité. Malgré ces initiatives et selon le rapport annuel (2012) du Conseil Economique, Social et Environnemental61, les retombées de la croissance économique et des politiques de développement social sur le plan de la réduction des disparités sociales et spatiales restent en deçà des attentes, notamment en ce qui concerne les femmes et les jeunes, et en particulier ceux résidant en milieu rural. Il en résulte une reproduction sociale de la pauvreté et un élargissement des inégalités en raison de l’accès inéquitable aux services de base, notamment à l’éducation, et du fait de l’absence d’une approche globale de l’action publique en direction de ces deux catégories. Dans le rapport du même conseil (2013), le taux de chômage a atteint 36 % pour les jeunes âgés de 15 à 24 ans, 18,2 % pour les titulaires de diplômes et 9,6 % chez les femmes. En 2014 sur le plan social, les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixés pour 2015, ont été a atteint l’objectif concernant la réduction de la pauvreté en particulier au niveau de l’accès des populations à l’eau potable, à l’électricité et au logement. Cependant, l’ensemble des OMD ne seront pas réalisés à l’échéance fixée, notamment ceux relatifs à l’éducation et à la santé, à la promotion de l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes.

III. Enjeux de la participation citoyenne Les fondements sociologiques et philosophiques du sens du « vivre ensemble », du lien social, de la cohésion sociale et de la citoyenneté est un sujet récurent dans les débats publics et surtout politiques62. Cette notion présente une ambigüité certaine par le fait qu’elle se base sur l’analyse de données de la situation ce qui lui confère une légitimité d’une méthode scientifique mais d’autre part elle reste empreinte d’approximation et d’indétermination qui la rend adaptable au choix de politiques publiques63. 61  Le Conseil Economique, Social et Environnemental est une institution constitutionnelle indépendante. Mis en place par Sa Majesté le Roi le 21 février 2011, il assure des missions consultatives auprès du Gouvernement et des deux Chambres du Parlement. Il donne son avis sur les orientations générales de l’économie nationale et du développement durable. 62  Helly, Denise. “Une injonction: appartenir, participer. Le retour de la cohésion sociale et du bon citoyen.” Lien social et Politiques 41 (1999): 35-46. 63  Bernard, Paul. “La cohésion sociale: critique dialectique d’un quasi-concept.”Lien social et Politiques 41 (1999): 47-59.

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Actuellement, les associations œuvrant dans le domaine de développement économique et social sont appelées à jouer un rôle crucial non seulement sur le terrain, mais aussi au niveau de la production de la décision publique. La consécration constitutionnelle de la démocratie participative permet aux associations intéressées à la chose publique de contribuer à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des décisions des projets des institutions élues et des pouvoirs publics. Ces derniers, affirme l’article 12 de la constitution veillent à l’organisation de cette contribution conformément aux conditions fixées par la loi. Faire participer la société civile est devenu une démarche stratégique pour une cohésion sociale qui ne peut se construire que sur des valeurs partagées, sur la réduction des inégalités et surtout avoir le sentiment d’appartenance à une collectivité. L’implication et la représentation des différents groupes d’acteurs à travers la participation semblent devenir une voie incontournable pour toute prise de décision et choix de projets sociétaux. Le contexte d’institutionnalisation progressive de la participation, témoigne certes d’une nouvelle dynamique traversant le champ de l’action publique et impulse une modernité dans les modalités de l’action publique et intègre de nouvelles pratiques64, mais cette dynamique participative telle qu’appliquée serait-elle à même de remplacer l’Etat dans des secteurs cruciaux qui représentent le noyau dur des équilibres sociétaux ?

1. Evolution de la participation La notion de la participation s’oriente davantage vers l’institutionnalisation et adopte des pratiques managériales. La participation est une notion qui ces derniers temps a été introduite dans modes traditionnels de l’action publique65. L’institutionnalisation progressive des pratiques participatives occupe désormais le centre d’intérêt de l’action publique, qui permet aujourd’hui une interaction à la fois complexe et pragmatique entre l’ordre institutionnel et la dynamique du groupe. Dans le contexte marocain la participation publique a connu des avancées notoires et prend plusieurs formes. Son côté managérial est manifeste sur plusieurs axes telle la charte communale (2008, révisée en 2009), invitant les communes à mettre en œuvre des Plans communaux de développement (PCD) selon une démarche participative. Elle est également très présente dans les politiques sociales dont l’illustration phare est celle de l’INDH. 64  SAIHI, Mouna, Doctorante en Sociologie, and Paris CERAL. “Les pratiques participatives entre institutionnalisation et fermeture du jeu local.” 65  SAIHI, Mouna op cit COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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L’approche participative est devenue un principe de la mise en œuvre des politiques sectorielles. Au niveau local, les Conseils Provinciaux de Développement Humains (CPDH)66 mis en place à cet effet se sont vus conférer un rôle d’accompagnement et de suivi de la programmation des projets au niveau provincial. En concertation avec les instances locales et la société civile, il leur incombe la responsabilité de veiller à ce que ces projets soient mis en œuvre selon une démarche participative. D’un autre côté, la volonté d’ériger la participation à un rang élevé se manifeste également par le recours à d’autres formes de collaboration et en particulier la contribution des think thanks dans l’élaboration des études «  Exemple de l’étude cinquantenaires de développement au Maroc en 2007 ». Ils sont parties prenantes dans des commissions et conseils (La commission sur la révision de la constitution 2011, la mise en place du Conseil économique et social (CES) en 2011…). Ces groupes de travail ont fait participer des catégories d’acteurs non institutionnels hétérogènes (universitaires, experts, techniciens, acteurs associatifs, représentants de syndicats…). Cette nouvelle approche participative semblerait avoir pour vision d’élargir l’espace de débat public et de concertation, et d’instaurer une nouvelle façon de faire en rapport avec l’ingénierie publique. La diversité des participants peut avoir « du moins en apparence » des effets de légitimation, de démocratisation sur la prise de décision publique, des effets autogestionnaires, ou encore des effets de transparence et d’augmentation de la visibilité des institutions qui la mette en œuvre.

2. Participation et dépolitisation de la question sociale Si le recours aux modalités de participation pour la coproduction de politiques publiques tend vers une pratique institutionnalisée, la question est celle d’évaluer cette participation en termes d’apport et d’efficacité et mesurer son impact sur les prises de décisions notamment en ce qui concerne les politiques sociales. Le développement du mouvement associatif ces dernières décennies est-il un fait de consécration démocratique ou est-il simplement une politique d’instrumentalisation de la société civile en vue de colmater les fissures sociales qui déstabiliseraient la société  ? Le rôle de l’Etat serait  – il réduit à un État délégant, organisant, arbitrant et orientant “techniquement” ces initiatives et dispositifs collectifs non publics ? En d’autres termes, l’Etat est – il sur la voie d’un désengagement total de l’action sociale ? Le discours de la cohésion sociale est bien présent dans différentes manifestations politiques culturelles et serait devenu une stratégie étatique pour expliquer les inégalités et antagonismes sociaux. Les clivages sociaux, les politiques sociales seraient devenus 66 

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Instance de gouvernance au niveau provinciale chargée de la validation des projets INDH COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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une matière qui alimente les discours de la classe politique à diverses occasions, mais les programmes adoptés sont-ils d’envergure à même de résorber les déficits sociaux invoqués ? La réponse à la crise sociale, n’est certainement pas la dépolitisation des enjeux sociaux et le remplacement de la volonté du pouvoir par des actions67 quelle que soit leur dimension menée sous le label de la « participation citoyenne ». Le rôle actif de l’Etat comme agent de régulation des rapports sociaux est essentiel. Ce rôle incombe à l’Etat en tant que producteur des conditions de vivre ensemble ou de la cohésion sociale au sens le plus large incluant la régulation des relations de travail autant que l’organisation de l’Education, de la santé de la protection sociale ou encore les mesures fiscales de compensation des inégalités de revenus de soutien de revenu ou les programmes de lutte contre la pauvreté68. Il est clair à ce niveau que les formes de solidarité institutionnalisées « associations caritatives, de développement… » ou celles dites « spontanées » ne peuvent à elles seules redresser les problèmes sociaux. L’éducation, le logement, la santé, l’emploi et la lutte contre la pauvreté sont des secteurs clés qui interpellent une vision claire et un financement important qui dépasse les actions ponctuelles et initiatives associatives. Ces secteurs qui sont la locomotive du développement nécessitent des décisions politiques et techniques69 engageant l’Etat en tant que responsable et garant de l’intérêt général et de la cohésion sociale.

3. Rôle du dialogue social dans le maintien de la cohésion sociale Le dialogue social inclut tous types de négociations, de consultation ou d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun70. Les processus de dialogue social peuvent être informels, institutionnalisés ou associés. L’objectif principal du dialogue social en tant que tel est d’encourager la formation d’un consensus entre les principaux acteurs du monde du travail ainsi que leur participation démocratique. Les structures et les processus d’un dialogue social fécond sont susceptibles de résoudre des questions 67  Bec, Colette. “Assistance et république.” Nous 254 (1994): 120. 68  Lesemann, Frédéric. “De l’État-providence à l’État partenaire.” G. Giroux (2001) L’État, la société civile et l’économie, Presses de l’Université Laval (2001): 13-46. 69  Helly, Denise. La légitimité en panne?. Immigration, sécurité, cohésion sociale, nativisme. No. 74. Centre d’études sur les conflits, 2009. 70  Dialogue social tel que définit par l’Organisation Internationale du Travail COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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économiques et sociales importantes, de promouvoir la bonne gouvernance, de favoriser la paix et la stabilité sociale et de stimuler l’économie. Partant de cette définition et dans le contexte marocain, plusieurs instances nationales chargées de concertation et de participation professionnelle ont été créées dès l’indépendance pour traiter les problèmes liés au travail et des relations professionnelles. Ces organes assurent le rôle de représentativité de groupes auprès de l’Etat afin de contribuer à travers la négociation, au processus d’élaboration des politiques publiques. Parmi ces instances, on peut citer les institutions ci-après : Chambres professionnelles (de commerce, d’industrie et des services et celles agricoles et de pêches maritimes), Conseil de la négociation collective pour l’emploi71 Conseil Supérieur de la Fonction publique, le conseil d’administration de la caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS). Si le dialogue social depuis le gouvernement d’alternance jusqu’à 2011 a constitué une plateforme de négociations et de participation ayant abouti à certaines réformes et acquis sur le plan social, ces dernières années le dialogue se trouve dans une impasse et peu d’avancées ont été enregistrées. En 2011 et malgré la crise économique mondiale ayant touché plusieurs pays, le dialogue social qui s’est déroulé au Maroc, a pu dépasser cette conjoncture économique critique pour concrétiser des résultats, estimés satisfaisants72. Les événements survenus dans le monde arabe au cours de cette année « printemps arabe », avaient eu inéluctablement un impact considérable sur le bilan de ce dialogue. Il a porté sur l’amélioration du rendement, l’extension et le renforcement de la protection sociale, la promotion des relations interprofessionnelles et les négociations collectives, l’amélioration des conditions de travail, de la santé et de la sécurité professionnelles, ainsi que sur le renforcement de la législation du travail et le respect des libertés syndicales. Dans ce cadre, l’Etat et ses partenaires sociaux ont procédé à l’adoption d’un ensemble  de mesures qui ont touché, essentiellement la situation financière des salariés  et des fonctionnaires exerçant dans le secteur public73. Ces engagements portent aussi sur l’élaboration d’une loi concernant l’organisation des œuvres sociales, le renforcement de la protection sociale à travers la révision du système juridique relatif aux accidents du travail, aux maladies professionnelles, aux allocations d’invalidité, 71  crée en vertu de l’article 101 du code du travail 72  Magazine d’informations de la CGEM, n° 7 - mai 2011. 73  augmentation de 600 DH net des salaires à compter du 1er mai 2011 et du relèvement de la pension minimale de retraite de 600 à 1000 DH et du quota de promotion interne à 33% en deux étapes (de 28%à 30% à partir de janvier 2011 et de 30% à 33% à partir de janvier2012

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et le traitement des problématiques liées à la santé et sécurité professionnelles, la médecine du travail, la prévention des risques professionnels, le renforcement de l’accès des fonctionnaires aux autres services sociaux, tels l’habitat, le transport, l’animation et autres, ainsi que la révision globale des statuts de la fonction publique. Dans le secteur privé, ce round du dialogue social a abouti principalement à la revalorisation du SMIG74. Ces engagements ont concerné aussi l’unification progressive du salaire minimum dans les secteurs industriels, commercial, agricole et forestier, le relèvement de la pension minimale de retraite versée par la Caisse Nationale de Garantie Sociale, de 600 à 1.000 DH, et la mise en place d’un programme d’habitat social au profit des salariés du secteur privé à revenu limité. Il a été également décidé de revoir la loi de sécurité sociale au profit des assurés ne disposant pas de 3.240 jours déclarés, ainsi que l’élaboration du projet du régime d’indemnité sur la perte d’emploi, en vue de permettre, dans une première étape, aux professionnels du transport titulaires de la carte professionnelle et aux salariés de la pêche côtière artisanale de bénéficier des services de la sécurité sociale. Il a été convenu également d’accélérer l’harmonisation des législations nationales relatives aux droits et libertés syndicaux avec les conventions internationales y afférentes, avec l’engagement du gouvernement de mettre en place un agenda d’examen et de traitement des litiges sociaux en suspens et de trouver des solutions aux dossiers sectoriels en commun accord avec les centrales syndicales.. Les dialogues sociaux qui ont succédé à celui de 2011 n’ont pas été fructueux malgré quelques avancées mentionnées dans les rapports du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE). Selon le CESE, les avancées enregistrées au niveau du dialogue entre les partenaires sociaux au cours de l’année 2012, ont consisté principalement à l’établissement d’un accord-cadre régissant la médiation sociale en matière de contentieux du travail. Ces accords ont également permis à la CGEM et aux organisations syndicales de progresser sur trois autres axes : le dialogue social et la promotion du champ conventionnel, la conformité sociale des relations et des conditions de travail et la promotion de l’emploi et de la compétitivité. Ces accords devaient être un préambule en vue d’instaurer de manière durable les conditions pour la conclusion de grands contrats sociaux favorisant le développement économique et social. Ces derniers devraient viser l’instauration de la paix sociale sur la base du respect 74  Augmentation progressive de 15% du salaire minimum dans les secteurs industriel, commercial, agricole, forestier et des services, répartie sur deux étapes (10% à partir de juillet2011 et 5% à compter de juillet2012), en tenant compte de la préservation de la compétitivité du secteur de textile et habillement COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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de la loi en matière de travail et de protection sociale et à travers l’effectivité des droits individuels et promouvoir la négociation collective et le dialogue social comme méthodes pour concilier la compétitivité de l’appareil de production et le développement du travail décent. Il s’agit de proposer un cadre institutionnel au gouvernement, aux organisations syndicales et patronales pour favoriser la convergence nationale sur de grandes réformes liées à quatre dimensions essentielles : la préservation du pouvoir d’achat des citoyens, la compétitivité des entreprises, la protection sociale, la prévention et à la résolution pacifique des conflits collectifs du travail choses qui n’ont pas été concrétisées lors des années qui ont suivi. L’évolution du dialogue social en 2013, et toujours selon le rapport du CESE, n’a pas contribué à l’émergence de consensus sur les grandes réformes structurelles et à la relance de la croissance économique. Les accords-cadres, conclus en 2012 entre la CGEM et certains syndicats, régissant la médiation sociale en matière de contentieux du travail n’ont pas été opérationnalisés. Pour ce qui est du dialogue social relatif à l’année 2014, il a été caractérisé par l’organisation de rencontres entre les partenaires sociaux et le Gouvernement. Néanmoins, ces rencontres n’ont pas abouti à la conclusion d’engagements clairs entre les différentes parties. A ce propos le CESE revient sur la nécessité d’institutionnaliser le dialogue social et à œuvrer pour la conclusion de grands contrats sociaux visant à instaurer les conditions d’une amélioration de la performance économique dans un contexte de cohésion sociale renforcée75.

Conclusion L’analyse de la question sociale au Maroc est complexe et ambivalente. Le politique, l’économique, le religieux et les valeurs ont façonné son évolution. Les données et informations sur la question malgré leur disponibilité restent éparses et parfois contradictoires. Les données statistiques à elles seules ne peuvent refléter la réalité sociale prévalant dans le pays. La cohésion sociale et le bien être des individus se réfèrent à de nombreux paramètres et restent tributaires d’un ensemble de facteurs. Les politiques publiques sociales constituent assurément l’une des démarches des pouvoirs publiques. Toutefois la prise de décision concernant les citoyens sans prendre en considération leurs points de vue peut porter atteinte à leurs intérêts et renverser l’objectif initial desdites politiques. Dans ce cas la participation pour la coproduction de politiques publiques est incontournable mais pose également de nombreux problèmes. L’engagement d’un 75 

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Rapport du Conseil Economique Social et Environnemental de 2014 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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processus de négociations qui constitue un cadre propice au dialogue et d’interaction pour dégager des compromis et des décisions communes entre tous les acteurs, peut avoir des limites dont la multiplicité des acteurs et la non-convergence des intérêts. La participation est souvent présentée comme la solution aux déséquilibres sociétaux en s’appuyant sur les prétendues vertus de la société civile par l’intégration de la population dans les programmes de développement. La dimension politique et les enjeux qu’elle sous-tend ne sont pas sans influencer le phénomène participatif qui devient tributaire de divers paramètres. Le degré et le mode de participation peuvent même entacher les processus de légitimation politique et avoir pour conséquences l’apparition de nouveaux clivages sociaux76. C’est donc le cadre dans lequel interagissent les acteurs qui peut définir la pertinence de la participation citoyenne. Une réelle démocratie semble être le cadre idéal pour que la participation citoyenne ait une plus-value certaine et permette de saisir les problèmes sociaux qui doivent être ciblés par les politiques publiques. En somme et avant de miser sur la participation de la société civile pour impulser une dynamique sociale, il s’agit d’abord de faire émerger une réelle volonté politique et une mise à niveau des acteurs pour que la participation ait un rôle dans le sens d’un développement harmonieux des populations répondant à leurs besoins réels.

Bibliographie • Bernard, Paul. “La cohésion sociale : critique dialectique d’un quasi-concept.”Lien social et Politique 41 (1999). • Bono, Irène. Le « phénomène participatif » au Maroc à travers ses styles d’action et ses normes. Centre d’études et de recherches internationales, 2010 • Bouabid A., Lahbib K., Tamim T, La démocratie participative au secours de la démocratie représentative, Fondation Abderrahim Bouabid, collection «  les cahiers bleus » n° 16, Rabat, 2011 • Bourqia, Rahma. “Valeurs et changement social au Maroc.”  Quaderns de la Mediterrània 13 (2010) • Catusse, Myriam. “L’entrée en politique des entrepreneurs au Maroc  : libéralisation économique et réforme de l’ordre politique.” PhD diss., Aix Marseille 3, 1999. • Catusse, Myriam. “Les réinventions du social dans le Maroc “ajusté”.” Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 105-106 (2005) 76  Bono, Irene. Le” phénomène participatif” au Maroc à travers ses styles d’action et ses normes. Centre d’études et de recherches internationales, 2010. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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• Catusse, Myriam, and Frédéric Vairel. “Question sociale et développement  : les territoires de l’action publique et de la contestation au Maroc.” Politique africaine 4 (2010) • Enquête nationale sur les revenus et les niveaux de vie des ménages 2006-2007 (rapport de synthèse) • Ezzrari Jawad thèse de doctorat «  la pauvreté au Maroc  : approches, déterminants, dynamique et stratégies de réduction » 2011 • Helly, Denise. “Une injonction : appartenir, participer. Le retour de la cohésion sociale et du bon citoyen.” Lien social et Politiques 41 (1999) • Helly, Denise. La légitimité en panne ? Immigration, sécurité, cohésion sociale, nativisme. No. 74. Centre d’études sur les conflits, 2009. • Lesemann, Frédéric. “De l’État-providence à l’État partenaire.” G. Giroux (2001) L’État, la société civile et l’économie, Presses de l’Université Laval (2001) • Rapport du Conseil Economique Social et Environnemental de 2011, 2012, 2013, et 2014 • Rachid El Ansari « Dynamique régionale et développement inégal au Maroc » thèse de doctorat soutenue en 2008 à l’université Paris XII • Saihi, Mouna, Doctorante en Sociologie, and Paris CERAL. “Les pratiques participatives entre institutionnalisation et fermeture du jeu local.” • Vulbeau, Alain. “Contrepoint-Cohésion sociale et politique sociale.”Informations sociales 1 (2010)

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Chapitre 4 : L’Entrepreneuriat Social : un levier pour la cohésion sociale Hamid Ait Lemqeddem, Eenseignant-chercheur, Ecole Nationale de Commerce et de Gestion ; Kenitra

Problématique En quoi les entrepreneurs sociaux participent à la cohésion sociale ?

Résumé L’entrepreneuriat social peut être défini comme toute création d’activité à finalité sociale et durable, à but lucratif ou non lucratif grâce à l’investissement social et la gouvernance participative. L’objectif principal étant de privilégier la création de valeur sociale et collective plutôt que la valeur financière et l’enrichissement des individus. L’entrepreneuriat social, sous de multiples formes institutionnelles (entreprise, association, mutuelle, coopérative, etc.), est une force de changement et de cohésion sociale. Notre contribution a donc comme objectif d’identifier la participation de l’entrepreneur social dans la cohésion sociale. Nous présenterons ainsi en première partie une revue de littérature sur l’entrepreneuriat social afin de bien définir le cadre et l’étendue de son fonctionnement. En deuxième partie, nous essayons d’identifier la corrélation entre l’entrepreneuriat social et la cohésion sociale. Quel est le rôle des institutions sociales, quelle qu’en soit la nature, dans la production de la richesse ? Lesquelles débouchent sur des innovations sociales qui contribuent à l’amélioration du bien-être social. Mots-Clés : Entrepreneuriat, cohésion, social

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Introduction La récente crise mondiale a avivé, dans l’opinion publique, l’intérêt pour l’entrepreneuriat, et pour l’entrepreneuriat social en particulier, considéré comme un moteur essentiel de la reprise économique et de la croissance de l’emploi. Dans un récent sondage réalisé par Opinion Way pour Convergences 2015, une large majorité de citoyens (plus de 70 %) reconnaît l’utilité de l’entrepreneuriat social pour répondre aux problèmes sociaux et environnementaux, aux carences des services publics et pour élever le niveau d’éthique du monde de l’entreprise77. Répondre aux besoins sociaux non satisfaits revêt une exigence particulière au moment où nos modèles économiques et sociaux sont mis à mal par les secousses de la crise. Il existe une formidable inventivité de la part des citoyens, des acteurs de la société civile et des entreprises qui ne demande qu’un peu de terreau favorable pour grandir, se développer et apporter des réponses significatives aux principaux enjeux sociétaux : paupérisation accrue de la population, limitation des ressources en énergie, suppression des services publics en milieu rural, vieillissement de population, isolement des personnes âgées, demande accrue pour une alimentation bio… Ces enjeux se traduisent par des besoins de solutions innovantes en matière d’énergie, d’hébergement, de mobilité… Sur tous ces sujets et bien d’autres, l’imagination collective est indispensable pour faire émerger de nouvelles réponses dans un contexte de raréfaction des financements publics. Le bénéfice attendu du dynamisme entrepreneurial apparaît également comme un moyen pour les chômeurs de créer leur propre emploi. L’entrepreneuriat social en est un chantier à explorer.

I. Approche de l’entrepreneuriat social Il n’existe pas de définition établie de l’entrepreneuriat social, bien que de plus en plus de recherches s’intéressent au sujet. Des définitions existantes, on peut extraire plusieurs caractéristiques communes : • la prise en compte d’un besoin social ; • l’innovation des solutions proposées ; en lien avec la démarche entrepreneuriale, qui consiste à innover et à apporter « de nouvelles combinaisons dans le processus de production » ; 77  L’entrepreneuriat social, Volet 1, Mythes et réalités en comparaison internationale, Centre d’Analyse Stratégique, Note d’Analyse n° 296, octobre 2012

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• l’objectif du développement social qui l’emporte sur le développement économique. L’entrepreneuriat social est une notion jeune qui a émergé dans les années quatre-vingt dans les pays anglo-saxons dans un contexte de transformation de l’Etat Providence. Il est réellement apparu dans les années quatre-vingt-dix des deux côtés de l’Atlantique : Aux Etats-Unis, avec notamment la « Social Enterprise Initiative », programme de recherche et d’enseignement lancé en 1993 par la Harvard Business School. Cette pionnière a ensuite été suivie par d’autres grandes universités (Columbia, Yale…) et plusieurs fondations qui mettent sur pied des programmes de formation et de soutien aux entrepreneurs sociaux. En Europe, l’entrepreneuriat social fait son apparition au début des années 1990 au cœur même de l’économie sociale sous une impulsion italienne. En 1991, l’Italie créé en effet un statut spécifique « d’entreprise sociale » qui se développe fortement pour répondre à des besoins non ou mal satisfaits par les services publics. De nouvelles dynamiques entrepreneuriales à finalité sociale ont émergé à partir de cette période dans d’autres pays européens (Espagne, Belgique, Royaume Uni, certains pays d’Europe Centrale, Finlande, France…)  : dans onze pays, un cadrage, voire des statuts juridiques ont été institués pour reconnaître la possibilité de déployer une activité économique tout en poursuivant une finalité sociale78. Cette notion connaît également un vrai succès, symbolisé par le Prix Nobel de la paix 2006 attribué à Mohamed Yunus, inventeur et fondateur de la Grameen Bank au Bangladesh, utilisant le microcrédit pour la création d’activités économiques comme un moyen efficace pour combattre la pauvreté. Des entreprises sociales se développent aussi en Amérique Latine, au Mexique soutenu par des politiques et des financements publics. Une revue de littérature permettra de bien démystifier le concept « Entrepreneuriat social ».

1. Revue de littérature sur l’entrepreneuriat social Johnson (2000), estime que l’entrepreneuriat social fait éclater les frontières traditionnelles entre le secteur public, le privé et le non-lucratif et met en avant des modèles hybrides d’activités lucratives et non lucratives. Defourny (2004) évoque même la notion de nouvel entrepreneuriat social. Plus récemment, Townsend et Hart (2008) déclarent que l’entrepreneuriat émerge comme une approche commune visant à répondre aux besoins sociaux. Toutefois les créateurs 78  - Approche européennes et américaines de l’entreprise sociale : une perspective comparative, DEFOURNY, NYSSENS Marthe, in RECMA, page 21 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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s’organisent tout aussi bien sous une forme lucrative ou non lucrative afin de s’engager vers des activités relativement similaires. De son côté, Boutillier (2009), en définissant l’entrepreneur, déclare que les mobiles humains ne sont jamais strictement individuels, mais s’inscrivent toujours dans une réalité sociale et historique. En d’autres termes, l’entrepreneur investit dans tel ou tel secteur d’activité parce que l’état de l’économie, de la société, des sciences et des techniques le lui permet, en apportant ainsi des solutions aux problèmes posés. Dans ces conditions, créer par exemple une association pour défendre une cause environnementale est une décision qui s’inscrit dans une société pour qui la protection de l’environnement est devenue un sujet de première importance, via la mise en place depuis plusieurs années des mesures de politiques publiques relatives au développement durable. L’auteur se réfère aux travaux de Shane (2003)  ; celui-ci développe une analyse combinatoire entre les travaux de Schumpeter (1935, 1939, 1974) sur le rôle de l’entrepreneur en matière d’innovation et ceux de Kirzner sur la capacité de l’entrepreneur à saisir les opportunités d’investissement. L’entrepreneur ne s’inscrit pas dans un vide social, il répond à un ensemble de questions qui relèvent du contexte social et économique dans lequel il est inséré. Dans ces conditions, tout entrepreneur devient social à partir du moment où les innovations dont il est l’auteur s’inscrivent dans un contexte social donné, parce qu’il répond à un besoin social et produit de l’utilité sociale. Pour Dees79, l’entrepreneuriat social constitue une réponse à l’échec des pouvoirs publics et des organisations charitables dans la prise en charge des problèmes sociaux : « les institutions majeures du secteur social sont souvent considérées comme inefficaces, incompétentes et sclérosées. Des entrepreneurs sociaux sont nécessaires pour développer de nouveaux modèles pour un nouveau siècle » (2001, p. 1). L’entrepreneuriat social a alors pour but de modifier la manière de fonctionner dans le secteur social. Ceci passe par une appréhension différente des problèmes sociaux de façon à imaginer des solutions nouvelles. Ainsi pour Dees les entrepreneurs sociaux « s’attaquent aux causes sous-jacentes des problèmes plutôt de simplement traiter les symptômes. Ils réduisent souvent les besoins plutôt que juste les satisfaire. Ils cherchent à créer des changements systémiques et des améliorations durables » (2001, p. 4). De plus, l’innovation doit être permanente, au sens où l’entrepreneur social doit constamment être en veille pour saisir les éventuelles opportunités qui lui permettraient d’améliorer encore l’efficacité 79  -Dees J.G. (2001), “The Meaning of social entrepreneurship” (1ère version 1998). Disponible sur : http:// www.caseatduke.org/documents/dees_sedef.pdf. Consulté le 09 /12/ 2016 à 22 Heures.

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de son action. Dees souligne ainsi «  qu’il ne s’agit pas de faire preuve de créativité une fois pour toutes. C’est un processus continu d’exploration, d’apprentissage et d’amélioration » (2001, p. 4) pour assurer à l’entrepreneuriat social la place qu’il mérite.

2. La place de l’entrepreneuriat social L’entrepreneuriat social constitue un véritable mouvement de fond, appelé à durer et à s’amplifier. Ce mouvement connaît d’importantes évolutions.

a. La décentralisation des politiques publiques Ce phénomène marque une redistribution des pouvoirs entre l’Etat et les collectivités locales avec comme objectifs une meilleure efficacité de l’action publique et le développement d’une démocratie de proximité. L’action sociale et le développement économique local sont des axes forts de la décentralisation qui constitue un facteur de développement de l’entrepreneuriat social, souvent issu d’initiatives citoyennes spontanées et enracinées localement.

b. De nouvelles attentes de consommation Le consommateur s’affirme consom’acteur par le choix de produits plus respectueux de l’homme, de sa dignité, de sa santé et de son environnement. Les alternatives qui en découlent depuis l’agriculture biologique jusqu’au commerce équitable en passant par l’insertion, progressent rapidement et bénéficient d’une réelle notoriété auprès du grand public. L’enjeu de la consommation responsable intéresse également les pouvoirs publics et les entreprises privées. Par le biais de leurs achats, ces deux acteurs jouent un rôle économique moteur de tout premier ordre. On peut citer en exemple l’initiative « Territoires de commerce équitable » qui récompense les territoires montrant leur engagement dans une véritable démarche de progrès pour stimuler le développement de l’offre de produits équitables mais aussi favoriser leur accessibilité.

c. Une envie de travailler autrement en donnant « plus de sens au travail » Jeunes diplômés, cadres de grands groupes, entrepreneurs du secteur marchand, militants… autant d’actifs en quête d’une forme d’entrepreneuriat visant à agir pour changer concrètement les choses, à faire bouger les lignes  : un entrepreneuriat qui « n’étouffe pas sous un carcan hiérarchique, mais favorise l’autonomie et fait participer COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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ses salariés à la gouvernance ; qui ne se résume pas à un simple job alimentaire, mais à un projet ayant du sens et porteur de valeurs »80. L’entrepreneuriat social maintien des relations étroites avec les institutions.

3. Relations entre l’entrepreneuriat social et les institutions L’entrepreneuriat social par sa finalité et les valeurs qu’il défend, peut entretenir des relations privilégiées avec les pouvoirs publics. Cependant, une dérive est pointée du doigt par des observateurs : le désengagement de l’Etat au profit des entrepreneurs sociaux. En cause  : la baisse du nombre de fonctionnaires et une situation de crise, qui donne l’image d’un Etat impuissant à régler les problèmes sociaux. On constate un brouillage des frontières entre secteur privé et public. Pourtant, l’intervention des entreprises sociales dans des missions de service public n’est pas à diaboliser. Il faut considérer ce que les entreprises sociales peuvent apporter à la collectivité, notamment au niveau des réductions des dépenses publiques. Une étude du cabinet Mc Kinsey, qui a analysé dix entreprises sociales françaises, a chiffré à plus de 5 milliards d’euros par an les volumes d’économies générées pour la collectivité81. De plus, la forte intégration territoriale des entreprises sociales en outre d’assurer leur stabilité fait d’elles des acteurs de terrain plus à même de répondre aux problématiques sociales d’une population donnée. Une collaboration étroite entre les collectivités locales et les entreprises sociales paraît nécessaire pour mener une action efficace. Il n’existe pas encore de statistiques sur l’entrepreneuriat social. Cette absence s’explique notamment par la difficulté d’aboutir à une définition de l’entreprise sociale partagée par l’ensemble des acteurs concernés et par l’inadéquation du système statistique en vigueur. Les seules données qui sont aujourd’hui disponibles sont celles de l’économie sociale et solidaire (ESS) produites par l’Observatoire national de l’ESS. Ces statistiques révèlent l’importance croissante de cette « autre économie ». En France, l’économie sociale représente entre 7 % et 8 % du PIB et emploie un salarié sur dix82. Le secteur est composé d’un ensemble diversifié d’entreprises, de l’entreprise émergente au très grand groupe et des PME de taille souvent plus importante que dans l’économie classique. Compte tenu des caractéristiques moyennes 80  - Baromètre (2011) de l’entrepreneuriat social, Ashoka, 1ère édition, interview de Nicolas Hazard, Comptoir de l’Innovation, Groupe SOS 81  - MATHIEU Marika. Les clés pour mesurer l’impact social d’une entreprise [en ligne]. L ’ E x p r e s s , 15/11/2012. 3 pages. Disponible sur : http://www.lexpress.fr/emploicarriere/emploi/les-cles-pour-mesurer-limpact-social_1187642.html (consulté le 04/06/2016). 82  - Rapport sur l’économie sociale et solidaire, Francis Vercamer, 2010

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de l’ESS (les secteurs d’activité couverts, les métiers occupés, le pourcentage d’emplois à temps partiel), les associations tiennent une place particulière dans l’ESS. L’INSEE souligne « qu’avec 1,7 million de salariés, les associations sont le principal employeur de ce secteur ». Les trois quarts des salariés de l’économie sociale travaillent au sein d’associations, pour un total de 7,6 % de l’emploi salarié total (privé et public). Nous allons maintenant démystifier le concept « la cohésion sociale » pour ensuite analyser l’utilité et le défi de l’entrepreneuriat social pour cette cohésion sociale.

II. Cohésion sociale, quels défis pour l’entrepreneur social ? Bien que la notion de la cohésion sociale semble rarement définie et quelque peu imprécise, il n’en demeure pas moins que cette notion est de plus en plus évoquée et se trouve au centre du débat. Nous examinons, pour l’instant, la définition de la cohésion sociale retenue par Judith Maxwell83, la dimension sociétale de l’analyse en ressort clairement (1996, p. 13) : La cohésion sociale se construit sur les valeurs partagées et un discours commun, la réduction des écarts de richesse et de revenu. De façon générale, les gens doivent avoir l’impression qu’ils participent à une entreprise commune, qu’ils ont les mêmes défis à relever et qu’ils font partie de la même collectivité. L’expression “cohésion sociale” désigne l’état d’une société, d’un groupe ou d’une organisation où la solidarité est forte et les liens sociaux intenses. L’expression “cohésion sociale” a été utilisée pour la première fois en 1893 par le sociologue Emile Durkheim (1858-1917) dans son ouvrage “De la division du travail social” pour décrire le bon fonctionnement d’une société où se manifestent la solidarité entre individus et la conscience collective : “Nous sommes ainsi conduits à reconnaître une nouvelle raison qui fait de la division du travail une source de cohésion sociale. Elle ne rend pas seulement les individus solidaires, comme nous l’avons dit jusqu’ici, parce qu’elle limite l’activité de chacun, mais encore parce qu’elle l’augmente. Elle accroît l’unité de l’organisme, par cela seul qu’elle en accroît la vie ; du moins, à l’état normal, elle ne produit pas un de ces effets sans l’autre.” La cohésion sociale favorise l’intégration des individus, leur attachement au groupe et leur participation à la vie sociale. Les membres partagent un même ensemble de

83  - Maxwell, Judith (1996), Social Dimensions of Economic Growth, Conférences commémoratives Eric John Hanson, volume VIII, Université de l’Alberta. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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valeurs et des règles de vie qui sont acceptées par chacun. L’expression “cohésion sociale” est souvent employée pour mettre en avant le volet social d’une politique sans qu’il y ait la volonté de lutter contre les inégalités. L’action politique, lorsqu’elle s’inscrit dans le conservatisme ou le réformisme, conduit alors à un refus du changement social au profit de la pacification et du contrôle social. Elle s’oppose en cela à la conception marxiste de la lutte des classes. Pour le Conseil de l’Europe : “La cohésion sociale est la capacité d’une société à assurer le bien-être de tous ses membres, en réduisant les disparités et en évitant la marginalisation.” Néanmoins, il existe une corrélation entre l’emploi du concept de cohésion sociale et la notion selon laquelle le moment actuel de l’histoire en est un de défis suscités par des changements technologiques, économiques et sociaux (Patrimoine canadien, 1995). Une gamme de tendances récentes, a pour effet de transformer les économies et les sociétés de nombreux pays, notamment celles des démocraties libérales économiquement avancées, cette ambition embrasse bien l’étendue des enjeux de la cohésion sociale, qui, outre la problématique des inégalités de revenus, interpelle également sur la question de l’accès aux droits sociaux. Ces aspects sont clairement identifiés par l’UE dans les conditions qu’elle donne à la cohésion sociale : 1) l’accès équitable aux ressources disponibles ; 2) le respect de la dignité dans la diversité ; 3) l’autonomie personnelle et collective et ; 4) la participation responsable des individus. Parce qu’ils posent des questions d’accès aux ressources, d’autonomie et de participation, les enjeux de santé sont au cœur de ces problématiques. La cohésion sociale est menacée par la forme nouvelle du capitalisme financier qui, depuis 30 ans, montre la face brillante d’innovations exceptionnelles dans les technologies de l’information, mais aussi la face sombre de la poursuite de profits extravagants à court terme, de rémunérations abusives, de creusement des inégalités entre personnes et entre territoires. Tout poison suscite son antidote. L’antidote du spéculateur est l’entrepreneur social. Celui-ci contribue à la sauvegarde de la cohésion sociale de deux façons : En premier lieu, il conjugue les valeurs de l’entrepreneuriat et celles de l’humanisme. C’est un vrai entrepreneur qui doit innover, investir à long terme, recruter et motiver son personnel pour se faire une place sur des marchés sans pitié. C’est un homme ou une femme de caractère et d’intelligence, pétri de prudence et d’audace, qui doit prendre tous les jours des décisions lourdes qui engagent l’avenir de l’entreprise collective. C’est aussi un humaniste, qui 62

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ne considère pas les salariés comme des numéros ou comme des charges qu’il faut à tout prix alléger, mais comme des talents à faire fructifier. Surtout si ces personnes embauchées sont victimes de handicaps. L’humanisme consiste aussi à se tourner vers des clients moins solvables que dédaignent les entreprises à but exclusivement lucratif, et à se lancer dans des activités risquées de recyclage, de protection de l’environnement ou à anticiper la transition énergétique. Deuxième terrain privilégié par les entrepreneurs sociaux : les territoires en difficulté, zones manufacturières en déshérence, zones périurbaines en tensions, zones rurales en désertification. La logique du système économique et géographique dominant est de concentrer la population et les fonctions de direction et de recherche dans les métropoles et de laisser s’appauvrir les petites villes et les campagnes. Des entrepreneurs sociaux, individuels ou collectifs, recréent de l’activité non délocalisable dans «  l’économie territoriale », qui retrouve ainsi un second souffle aux côtés de l’« économie mondiale  » des grandes firmes, dont les sièges sociaux et les laboratoires sont concentrés dans les métropoles. Les entrepreneurs sociaux sont donc les éclaireurs du développement durable, économique, social et écologique, ainsi que du rééquilibre territorial. Leur nombre est malheureusement insuffisant, même s’il est croissant. Qui peut agir pour en multiplier les effectifs ? En France, mais aussi en Europe et au Québec, les initiatives sont déjà vigoureuses mais pourraient être plus amples. Posons trois défis : • Régions, départements et métropoles multiplient les programmes d’appui aux entrepreneurs sociaux, parce qu’ils sont des créateurs d’emplois non délocalisables et parce qu’ils ciblent des zones ou des populations sensibles ; • Les collectivités doivent contribuer à l’accompagnement et le financement des entrepreneurs sociaux ; • Bien évidemment, l’entrepreneuriat social va gagner plus de place dans la sphère économique pour assurer la coordination entre la société civile, les pouvoirs publics, et marché et enfin de compte renforcer la cohésion sociale des citoyens et de lui servir de levier de croissance.

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III. L’entrepreneuriat social, levier de la cohésion sociale L’entrepreneuriat social a pour principale vocation, outre la création d’entreprise, la réponse à des besoins sociaux, non encore satisfaits par l’Etat et/ou par le secteur marchand (Thompson, 2002  ; Alvord et al, 2004). A l’encontre d’une économie marchande et capitaliste qui plaide pour la réalisation d’objectifs strictement financiers, l’entrepreneuriat social s’inscrit dans une logique solidaire, se donnant pour priorité la cohésion sociale.

1. La multi-dimensionnalité de l’entrepreneuriat social Mort et al (2002) avancent que l’entrepreneuriat social est un construit multidimensionnel qui comprend l’expression d’un comportement entrepreneurial afin d’accomplir une mission sociale. Il désigne, en outre, l’aptitude à reconnaitre la valeur sociale via la création d’opportunités et la détention de caractéristiques clés de prise de décision axées sur l’innovation, la proactivité et la prise de risque. Selon Martin et Osberg (2007), l’entrepreneuriat social comprend trois éléments fondamentaux : • l’identification d’un équilibre stable mais injuste qui exclut, marginalise ou cause de la souffrance à un groupe qui n’a pas les moyens de transformer l’équilibre ; • l’identification d’une opportunité et le développement d’une valeur sociale nouvelle proposée afin de défier l’équilibre ; • le développement d’un nouvel équilibre stable afin d’alléger la souffrance du groupe visé à travers l’imitation et la création d’un écosystème stable autour du nouvel équilibre afin d’assurer un meilleur futur pour le groupe et la société. Ayant présenté cette multi-dimensionnalité de l’entrepreneuriat social, nous pouvons donc mettre en avant que ce concept renvoie à l’existence de deux éléments fondamentaux : • la découverte et l’exploitation d’opportunités d’affaires, via la recension de problèmes nouveaux, non encore explorés ou comblés par les organisations traditionnelles ; • la création de valeur sociale aux individus en difficulté. Plaidant pour un développement durable, respectueux des droits de l’Homme et soucieux d’un usage raisonné des ressources, l’entrepreneuriat social renvoie au traitement des problèmes sociaux de nature complexe. Le chômage, les crimes, les problèmes d’accoutumance à la drogue, la pauvreté, l’exclusion sociale… sont autant 64

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d’externalités négatives causées par des activités commercialement légitimes ou illégitimes et appelant donc, à la mise au point de solutions et mécanismes innovateurs (Johnson, 2000). L’entrepreneuriat social, visant à catalyser un changement social en pourvoyant aux besoins humains basiques d’une manière durable, pourrait de ce fait constituer un levier fondamental à la cohésion sociale. Il faut donc dépasser les logiques de dons, de l’assistanat et de la charité, en créant des fondations­entreprises gérées comme des start­up, ce qui permettra sûrement de créer de la richesse et d’intégrer les sans-emplois dans le monde du travail toute en établissant une synergie entre la société civile ; les pouvoirs publics et le marché.

2. L’entrepreneuriat social entre société civile, pouvoirs publics, et marché L’entrepreneuriat social peut être vu comme le fruit d’un engagement citoyen, il peut également être à l’origine d’un élargissement du rayonnement de l’implication citoyenne84  : créatrices de capital social, les entreprises sociales contribuent au renforcement de la cohésion sociale et encouragent le développement des participations citoyennes, notamment par la promotion de la solidarité dans une logique de proximité. Toujours dans l’optique de montrer que l’entrepreneuriat social est supporté par la société civile, on constate également que des groupes organisés se sont peu à peu mis en place en son sein pour accompagner et renforcer les démarches des entrepreneurs sociaux, ainsi que pour promouvoir l’entrepreneuriat social. Par ailleurs, l’intérêt grandissant pour l’entrepreneuriat social est également perceptible dans la sphère académique : des universités et grandes écoles développent des programmes destinés à former les entrepreneurs sociaux de demain, et les recherches universitaires effectuées dans ce domaine se multiplient depuis les années 200085. On peut considérer que l’entrepreneuriat social est également supporté avec ferveur par les pouvoirs publics, ces derniers percevant le potentiel du secteur, qui plus est en ces temps de crises. Les entreprises sociales s’intègrent par leur contribution au développement économique local et à la création d’emplois très peu délocalisables ; elles sont aussi perçues comme relayant efficacement l’Etat dans la prise en charge des besoins sociaux 84  - Site web du centre d’économie sociale de l’université de Liège, Entreprise sociale et capital social : http://www.ces.ulg.ac.be/fr_FR/services/cles/notes-de-synthese/le-capital-social/entreprise-sociale-et-capitalsocial. Consulté le 08/12/ 2016 à 10 Heure. 85  - L. HULGARD, Discourses of social entrepreneurship – Variations of the same theme? EMES, WP no. 10/01, 2010 COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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qui émergent et se renforcent. Créatrices de valeurs économiques, sociale, culturelle, leur capacité à innover est très valorisée car elle pourra servir de base de réflexion et contribuer à influencer l’environnement institutionnel (politiques publiques, institutions). Les pouvoirs publics s’attacheront donc à encourager le développement de ces entreprises sociales : on note ainsi plusieurs mesures phares soutenant l’entrepreneuriat social dans différents pays : aux Etats-Unis, le Social Innovation Fund (SIF) voit le jour en 2009 ; le Royaume-Uni lance le Coalition for Social Entreprise en 2002, puis l’initiative Big Society en 2010, pour encourager le développement des entreprises sociales, par des avantages fiscaux ou la création d’institutions financières. Dans le reste de l’Europe, l’Initiative pour l’Entrepreneuriat Social lancée par la Commission Européenne en 2011 traduit l’importance accrue que la Communauté accorde au phénomène. Au sens large, l’idée de l’entrepreneuriat social, c’est l’idée de créer de la richesse et de placer l’efficacité économique au service de l’intérêt général. Dans un contexte où nos concitoyens ont un regard désabusé et critique sur l’économie capitaliste qui, selon eux, serait synonyme de lucre, de spéculation, l’entrepreneuriat social représente un espace de respiration pour un public non solvable et pauvre et propose des alternatives dans lesquelles les vertus du partage des gains et de pouvoir sont mises à l’honneur. Au Maroc, les entreprises sociales restent amplement sous-développées. Elles prennent souvent la forme d’une ONG. Si ces organisations ont le vent en poupe, la plupart d’entre elles affichent des moyens limités ; leurs revenus proviennent de la générosité qui s’exprime particulièrement par les dons. Quand les méthodes traditionnelles ne permettent pas de faire face aux problèmes sociétaux, on invente alors un nouveau dispositif tel que l’Entrepreneuriat Social (ES) qui est à la pointe de l’innovation sociale. Ainsi, des efforts pour lutter contre les facteurs multidimensionnels de l’exclusion ont été faits, tels que l’adoption de l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH), les stratégies sectorielles (Tourisme 2020, Artisanat 2020, Maroc vert, etc.), et les programmes d’auto­emploi à l’instar de Moukawalati. Un financement hybride, caractérisé par la nature composite des ressources de l’entreprise sociale, constituerait le moyen de résister aux tendances contemporaines des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) à dériver dans l’isomorphisme institutionnel, phénomène qui les amènerait à se défaire de leur finalité sociale et à perdre leur mode d’organisation spécifique. Il conviendrait alors d’articuler ressources marchandes (ventes de biens et de services), non-marchandes (établissement de conventions avec les collectivités publiques), et volontaires (bénévolat, etc.). Dans cette idée, la « chaîne de valeur hybride » (« Hybrid Value Chain », HVC) permettrait de faciliter les collaborations entre entrepreneurs sociaux, entreprises et pouvoirs publics pour promouvoir l’innovation sociale.

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3. L’entrepreneuriat social, une conception spécifique de l’innovation sociale Bien qu’il n’existe pas de définition officielle ayant fait consensus, on pourrait décrire l’innovation sociale à la fois comme un processus et un résultat86, aboutissant à la mise en place de nouvelles approches, de nouvelles pratiques ou de nouveaux produits, dans l’optique de prévenir, d’améliorer ou de résoudre un problème social non ou mal satisfait87. À cet effet, l’innovation sociale est originale dans son intentionnalité, dans le sens où elle vise à provoquer un changement social ; mais elle l’est aussi dans ses modalités, du fait qu’elle découle de nouveaux arrangements et modes de participation, fruits de collaborations ou de coopérations entre acteurs de la société. Ainsi, l’innovation sociale s’inscrit généralement dans une logique de proximité particulière, à savoir une proximité territoriale, mais également de dialogue et de valeurs. L’innovation sociale à travers l’entrepreneuriat social émane donc de la société civile, qui par ce biais renforce son inscription dans la société et participe à l’orientation du développement au niveau local. Cette approche reconnaît l’innovation sociale comme un «  système territorialisé, inclusif et participatif » ; si c’est celle-ci que nous retiendrons ici, on pourra cependant énoncer deux autres conceptions de l’innovation sociale. D’une part, elle peut être vue comme un outil de modernisation des politiques publiques, où l’expérimentation sociale sera valorisée par les pouvoirs publics, qui partiront de cette base pour identifier et diffuser les « bonnes pratiques ». D’autre part, elle peut aussi faire référence à l’individu entrepreneur producteur d’innovations sociales et acteur du changement. L’innovation sociale peut être un des leviers clés pour développer la création d’activité, l’emploi, la cohésion sociale et répondre aux nouveaux besoins sociaux. Elle peut aussi être un levier pour faire changer d’échelle les politiques d’économie sociale et solidaire. Les politiques publiques ont un rôle essentiel à jouer pour créer un écosystème favorable à l’émergence d’innovations sociales, par des mesures législatives, budgétaires, fiscales. Plusieurs raisons de soutenir l’innovation sociale apparaissent dans le contexte actuel. L’insistance sur l’innovation sociale comme caractéristique essentielle de l’entrepreneuriat social provient de l’article pionnier de Dees (2001)88 Sa définition met en effet l’accent sur le fait qu’il s’agit d’impulser une dynamique de changement. 86  - L’Économie sociale de A à Z, Alternatives Economiques Poche n°38, mars 2009 87  - M. J. BOUCHARD, L’innovation sociale en économie sociales, Cahier de la Chaire de recherche du Canada en économie sociale, no R-2006-01, février 2006 88  - DEES J.G. (2001), “The Meaning of social entrepreneurship” (1ère version 1998). Disponible sur : http:// www.caseatduke.org/documents/dees_sedef.pdf. Le 09 /12/ 2016 à 22 Heures. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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«  Les entrepreneurs sociaux jouent le rôle de vecteurs du changement dans le secteur social : en adoptant une mission pour créer une valeur sociale (pas seulement une valeur privée) ; en repérant et poursuivant inlassablement de nouvelles opportunités pour servir cette mission ; en s’engageant dans un processus continu d’innovation, d’adaptation et d’apprentissage ; en agissant résolument sans être limité par les ressources disponibles dans l’immédiat et en affichant un niveau de responsabilité élevée envers les parties intéressées quant aux résultats obtenus » (2001, p. 4). L’entrepreneuriat social a alors pour but de modifier la manière de fonctionner dans le secteur social. Ceci passe par une appréhension différente des problèmes sociaux de façon à imaginer des solutions nouvelles. Ainsi pour Dees les entrepreneurs sociaux « s’attaquent aux causes sous-jacentes des problèmes plutôt de simplement traiter les symptômes. Ils réduisent souvent les besoins plutôt que juste les satisfaire. Ils cherchent à créer des changements systémiques et des améliorations durables  » (2001,  p.  4). De plus, l’innovation doit être permanente, au sens où l’entrepreneur social doit constamment être en veille pour saisir les éventuelles opportunités qui lui permettraient d’améliorer encore l’efficacité de son action. Dees souligne ainsi que « Il ne s’agit pas de faire preuve de créativité une fois pour toutes. C’est un processus continu d’exploration, d’apprentissage et d’amélioration » (2001, p. 4). L’innovation sociale prend alors deux voies complémentaires. La première voie consiste à rationaliser le fonctionnement du secteur social, ce qui passe concrètement par l’adoption dans le secteur sans but lucratif des méthodes issues du secteur à but lucratif. La deuxième voie consiste à s’appuyer sur le fonctionnement du marché pour résoudre divers problèmes sociaux. Comme le notent Defourny ET Nyssens89, « dans le contexte américain, ce sont les acteurs privés et pratiquement eux seuls qui semblent dessiner le paysage des entreprises sociales et de l’entrepreneuriat social. Cela va sans doute de pair avec une croyance largement partagée dans le monde des affaires que les forces du marché ont la capacité de résoudre une part croissante des problèmes sociaux » (2011, p. 32).

89  - Defourny, Nyssens, La percée de l’entrepreneuriat social : clarifications conceptuelles, Juris Associations, n° 436, Dalloz, 2011, Lyon.

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Conclusion Au terme de cette réflexion, on peut constater la pluralité des enjeux que soulève l’entrepreneuriat social. Ce dernier, apparaît également comme un thème d’actualité, qui trouve sa place au sein de dynamiques socio-économiques, politiques, et idéologiques. Le phénomène ne soulève pas les mêmes questions au sein de la société civile, des pouvoirs publics ou du marché, ces trois sphères affichant des attentes et des intérêts différents quant à sa mise en place et à son développement. Ces divergences dans les acceptions s’accompagnent d’un travail d’élaboration de discours sur le phénomène, qui revêt une importance particulière à ne pas négliger  : c’est en effet la base des différentes lectures du concept, et donc de sa compréhension et de sa lisibilité. Avec la crise de l’emploi salarié et les mutations du marché du travail, l’auto-emploi se développe de manière importante, c’est-à-dire la création de son propre emploi par la mise en œuvre d’une activité économique. La crise de l’Etat-providence et les changements structurels de la société et des modèles économiques amènent également de nombreux porteurs de projet à concevoir des activités visant à répondre aux grands défis de la société. L’ensemble de ces facteurs participent au développement de l’entrepreneuriat social et justifient le lancement d’un ensemble de mesures par l’Etat afin de soutenir ce mouvement de fond. Lever une génération d’entrepreneurs sociaux c’est également affirmer la diversité des projets potentiels, des profils des porteurs, des trajectoires qui mènent à la concrétisation. Qu’il soit perçu comme un moyen d’amender les services publics, ou de combler le recul du rôle de l’Etat, l’entrepreneuriat social plaide pour le bien-être social et s’inscrit dans une stratégie multidimensionnelle durable par la voie des modèles d’affaires sociaux. L’entrepreneuriat social apporte des réponses innovantes à plusieurs défis importants  : systèmes alimentaires industriels, partages des ressources, énergies propres (coopératives éoliennes citoyenne), finance solidaire. Il faut se positionner sur les secteurs d’intérêt général afin de répondre aux besoins fondamentaux des populations : bien se nourrir, bien se loger, bien se soigner, lutter contre les exclusions et la protection de l’environnement. La promotion et le développement de l’entrepreneuriat social au Maroc sont nécessaires et doivent s’inscrire dans un processus de renforcement des capacités des ONG ; versement de subsides aux entreprises sociales ; facilité d’accès aux services financiers pour les entreprises sociales et leur accorder un régime préférentiel pour la fourniture de certaines prestations sociales. Les entreprises sociales peuvent devenir un moteur de la croissance économique. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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Si ce modèle entrepreneurial a fait ses preuves ailleurs, il reste encore très marginal au Maroc. Certes, ce dernier compte actuellement plus de 12  000 coopératives qui rassemblent 450 000 membres, mais leur impact social n’est pas immense et reste en dessous des attentes. En plus, la majorité de ces coopératives sont décriées pour leur fonctionnement et leur inefficacité. Cela est dû au fait que leur création, qui s’inscrit dans un dispositif global ayant pour but de générer une réponse aux problèmes de précarité et d’exclusion, a été formulée dans l’urgence. La collaboration avec les entreprises commerciales permet également de bénéficier de leurs compétences techniques et de leurs infrastructures pour diversifier les activités de travail proposées. Enfin la proximité avec les entreprises commerciales offre la possibilité de peser sur leur fonctionnement interne en matière de gestion des ressources humaines et donc d’agir sur la source des processus d’exclusion. L’enjeu de l’entrepreneuriat social est donc de parvenir à tirer parti des collaborations avec le capitalisme sans que celles-ci n’altèrent la mission poursuivie. Pour autant, force est de constater la prédominance d’une conception technologique de l’innovation, primordiale certes, mais insuffisante. D’autres dimensions de l’innovation, comme l’innovation sociale, constituent des leviers complémentaires essentiels pour identifier des réponses nouvelles aux grands enjeux sociétaux, notamment en période de crise. Il existe à travers le secteur de l’économie sociale et solidaire, une longue pratique d’innovation sociale. Les innovations sociales, à la manière de bougies d’allumage, engendrent des actions collectives qui proposent des solutions différentes de celles des pratiques dominantes en mettant l’économie au service des personnes et de la société. Or la simple multiplication des innovations sociales ne peut générer la transformation sociale à elle seule. La mise en relation des mouvements sociaux et de leur visée émancipatoire est nécessaire pour façonner de nouvelles normes et règles et mettre en place de nouveaux sentiers institutionnels.

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org/spip.php?article2171 (Consulté Le 8 novembre 2016 à 16 Heure). • MOUVES., L’entrepreneuriat social, une chance pour l’économie sociale, 2010. Disponible sur :http://www.recma.org/sites/default/files/L_entrepreneuriat_ socia_une chance_.pdf,(2010)(Consulté le 3 octobre 2016 à 16 Heure).

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Chapitre 5 : Pluralisme culturel et cohésion sociale au Maroc : L’autonomie individuelle comme base de l’émergence d’un nouveau type de lien social Hassan Danane, Chercheur en sciences sociales

Résumé Dans le contexte d’une société marquée par le poids de la tradition et de la religion, telle le Maroc, peut-on parler de l’émergence d’un individualisme de type Durkheimien, un individualisme en tant que capacité d’autonomie et de réflexivité qui amène l’individu à imaginer un nouveau type de lien social ? Comment dès lors la valorisation de la construction d’identités personnelles originales ne risque-t-elle de conduire à un individualisme égoïste et à une indifférence aux appartenances et solidarités collectives ? Peut-on dès lors, parlé d’un effondrement du capital social, d’une perte de cohésion social, voire d’une disparition du sentiment d’appartenance à la société dans le milieu des personnes sensibles aux valeurs autonomes ? Y-a-t-il une montée de la confiance réciproque et de la sociabilité associative, comme on le dit souvent, chez les personnes qui adhèrent aux valeurs hétéronomes ? Comment s’articule la position sur l’indice d’autonomie individuelle avec les valeurs humanistes ? C’est à ces questionnements et à bien d’autres, que le présent article essaie à répondre empiriquement. Ce travail qui a porté sur un échantillon représentatif de 1295 enquêtés, a été mené dans le cadre d’une approche quantitative qui a été appliquée à la partie empirique. A ce propos, on a utilisé la technique du questionnaire avec les personnes instruites et l’interview par questionnaire avec les enquêtés analphabètes, soit personnellement, soit en faisant recours aux informateurs-clés pour obtenir des informations quantitatives. L‘originalité de l’enquête tient à sa dimension comparative entre deux zones très différentes l’une de l’autre. Ainsi, on a inclus dans le plan d’analyse la variable de l’appartenance géographique sur la base de la distinction entre les zones côtières et les zones intérieures (Rabat-Salé-Boulemane). Mots-clés : Cohésion social, lien social, capital social, autonomie individuelle, hétéronomie, individualisme, collectivisme, sociabilité associative, confiance interpersonnelle, humanisme COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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Introduction Le concept de l’individualisme a donné lieu à une volumineuse littérature philosophique, politologique et sociologique. Déjà en 1984, Alexis de Tocqueville distinguait l’égoïsme comme : « un amour passionné et exagéré de soi-même qui renferme la personne en elle-même et est aussi vieux que le monde  »90, de l’individualisme, définit comme : « un sentiment réfléchi et paisible, une faute qui porte l’individu à se replier dans la vie privée, dans le cercle amical et familial, à délaisser l’espace public, et qui ainsi, tarit la source des vertus publiques  »91. Émile Durkheim (1898) était en fait beaucoup moins alarmiste que Tocqueville. Ainsi, il distinguait en fait deux formes d’individualisme. Le premier dit « individualisme égoïste » où chacun ne défendrait que ces intérêts personnels, selon les théories utilitaristes de Spencer et des économistes, est condamnable puisque, selon lui, toute vie commune est impossible s’il n’existe pas d’intérêts supérieurs aux intérêts personnels. A cet égard il souligne que : « Pour faire plus facilement le procès de l’individualisme, on le confond avec l’utilitarisme étroit et l’égoïsme utilitaire de Spencer et des économistes. C’est se faire la partie belle. On a beau jeu, en effet, à dénoncer comme un idéal sans grandeur ce commercialisme mesquin qui réduit la société à n’être qu’un vaste appareil de production et d’échange, et il est clair que toute vie commune est impossible s’il n’existe pas d’intérêts supérieurs aux intérêts individuels. […] Mais ce qui est inadmissible, c’est qu’on résonne comme si cet individualisme était le seul qui existât ou même qui fût possible. Tout au contraire, il devient de plus en plus une rareté et une exception »92. Mais il existe, selon le même sociologue, un autre individualisme qui commence à se développer depuis le XVIIIe siècle avec Kant, Rousseau et les penseurs des lumières et qui consiste à reconnaître et même à sacraliser les droits de l’individu. Comme l’écrit Durkheim  : «  en définitive, l’individualisme ainsi entendu, c’est la glorification, non du moi, mais de l’individu en général. Il a pour ressort, non l’égoïsme, mais la sympathie pour tout ce qui est Homme, une pitié plus large pour toutes les douleurs, pour toutes les misères humaines, un plus ardent besoin de les combattre et de les adoucir, une plus grande soif de justice »93. L’individualisme appelé à se développer ici est, selon les propos de Pierre Bréchon : « un solidarisme : chacun est autonome, pense librement, sans dépendance à des autorités supérieures, mais est invité à se préoccuper d’autrui  »94. Le lien social ne peut plus 90  Amiel, A. (2002) : le vocabulaire de Tocqueville, Ellipses Edition Marketing S.A., Paris, p.36 91  Ibid, p. 36 92  Durkheim, E. (1898) : « l’individualisme et les intellectuels », Revue bleue, 4e série, T.X, p.p. 1-17. 93  Ibid, p.p. 1-17. 94  Bréchon, P. et Galland, O. (2010) : « Individualisme et individualisation », in Bréchon, P. et Galland, O. (dir), L’individualisation des valeurs, Paris, Armand Colin, pp. 13 – 30.

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reposer sur les formes traditionnelles d’autorité. Durkheim fait donc preuve d’un bel optimisme ; l’individu, libre de ses choix, reste un individu moral qui se préoccupe des autres et défend l’humain. Les débats sur l’individualisme et les craintes pour la cohésion sociale, qui faisaient déjà débat au XVIIIe siècle, ont repris à partir des années 1960. A cet égard, on peut citer François De Singly dans son ouvrage intitulé : « L’individualisme est un humanisme », qui voit l’individualisme contemporain comme une base solide et certaine du lien social dans les sociétés modernes95. L’individualisme est aussi, selon de nombreux sociologues, une tendance psychologique et socioculturelle à l’autonomie et à l’indépendance 96 qui amène l’individu contemporain à imaginer un nouveau type de lien social. Dans le contexte d’une société marquée par le poids de la tradition et de la religion, telle le Maroc, peut-on parler de l’émergence d’un individualisme de type Durkheimien, un individualisme en tant que capacité d’autonomie et de réflexivité qui amène l’individu à imaginer un nouveau type de lien social ? Comment dès lors la valorisation de la construction d’identités personnelles originales ne risque-t-elle de conduire à un individualisme égoïste et à une indifférence aux appartenances et solidarités collectives ? Peut-on dès lors, parlé d’un effondrement du capital social, d’une perte de cohésion social, voire d’une disparition du sentiment d’appartenance à la société dans le milieu des personnes sensibles aux valeurs autonomes ? Y-a-t-il montée de la confiance réciproque et de la sociabilité associative, comme on le dit souvent, chez les personnes qui adhèrent aux valeurs hétéronomes ? Comment s’articule la position sur l’indice d’autonomie individuelle avec les valeurs humanistes ?

I. Autonomie individuelle, lien social et capital social dans la société marocaine Afin d’identifier empiriquement les différences entre les enquêtés porteurs de valeurs autonomes et ceux sensibles aux valeurs hétéronomes dans le contexte marocain, on a procédé à la construction de l’indice d’autonomie individuelle sur la base d’une question qui demande aux enquêtés de citer à partir d’une liste de qualités que les parents cherchent à encourager chez leurs enfants, cinq qualités qu’ils considèrent particulièrement comme importantes pour eux. Le graphique 1 montre la distribution des enquêtés sur l’indice d’autonomie individuelle.

95  De singly, F. (2005) : l’individualisme est un humanisme, Paris, Ed. de L’Aube. 96  Kagiticibasi, C. (2005): « Autonomy and relatedness in cultural context: Implications for self and family », Journal of Cross-Cultural Psychology, n°36, p.p. 403-422. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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Graphique 1 : La distribution des enquêtés sur l’indice d’autonomie individuelle

L’histogramme présente une forme asymétrique. Il laisse percevoir que la majorité des enquêtés se situe au niveau des valeurs hétéronomes. L’on a recensé à peu près le taux de 55,03  % qui sont sensibles aux valeurs collectivistes. Le pourcentage d’enquêtés ayant des valeurs mixtes est de l’ordre de 27,32 %. Par contre, les sujets les plus autonomes se font de plus en plus rares (17,62 %).

1. Capital social et position sur le facteur autonome hétéronome Le concept de capital social a fait l’objet de nombreuses études sociologiques et anthropologiques ces dernières années. Il désigne un actif qui naît de la prédominance de la confiance dans une société ou dans certaines parties de celle-ci. Il peut s’incarner dans la famille, le groupe social le plus petit et le plus fondamental, aussi bien que dans le plus grand de tous, la nation, comme dans tous les autres corps intermédiaires97. Avoir du capital social favoriserait fortement l’insertion dans la société. La question du capital social et de la confiance à autrui a fait depuis longtemps l’objet de nombreux débats. Edward Banfield expliquait, à la fin des années 1950, dans « the moral basis of a Backward Society », que le Mozzogiorna 98 n’arrivera à sortir de son sous-développement que s’il change son éthos qu’il qualifie de «  familialisme amoral  » et résume en un précepte  : «  maximiser l’avantage matériel à court terme de la famille nucléaire et 97  Fukuyama, F. (1995) : La confiance et la puissance : vertus sociales et prospérité économique, Plon, p. 36. 98  Les Mozzogiornos sont les habitants d’un village situé au sud de l’Italie et qui avait fait l’objet d’étude effectuée par Edward Banfield.

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croire que tous les autres agissent de même »99. Ce précepte interdit toute entreprise collective, toute association, tout intérêt pour le bien public. Au début des années soixante, Almond et Verba, expliquent aussi que la confiance mutuelle permet de tisser des liens sociaux entre individus et que cela favorise l’émergence des systèmes démocratiques bien régulés100. Renald Inglehart et Jacques-Rabier (1990) montrent aussi l’importance de la confiance mutuelle et de la confiance aux autres peuples dans les relations internationales. Ils mettent en évidence, à l’instar de Banfield, le faible niveau de confiance observable pour les pays du sud de l’Europe. Selon ces deux auteurs, cette méfiance pourrait être expliquée par les structures traditionnelles de ces sociétés101. Au Maroc, il y a déjà moins de 50 ans que Clifford Geertz concluait dans son ouvrage intitulé : « Le Souk de Sefrou, sur l’économie du Bazzar » et qui était l’aboutissement d’une enquête empirique (1968-1969) de type monographique, dans laquelle il approche le souk comme une partie évocatrice de la totalité, que : « Les marocains sont obsédés par la malignité de la même façon que l’étaient les Grecs par l’hybris et les calvinistes par l’indolence »102. Dans des sociétés où les individus s’affirment de plus en plus comme collectivistes, telle la société marocaine, observerait-on un renforcement des références collectives, de la solidarité voire un développement de nouvelles formes de lien social ? Comment l’individualisme, expression du choix personnel libre, affecte-t-il les liens de solidarité ou le capital social ? Ce dernier recouvre plusieurs aspects, dont la compassion pour autrui103. Dans ce qui suit, on va se baser sur deux indicateurs les plus communément utilités du capital social, la confiance à autrui et la sociabilité associative104.

2. La montée de la confiance à autrui dans le milieu des personnes autonomes La confiance interpersonnelle est une composante incontournable du capital social. 99  Cité dans Mendras, H. (2001) : « le lien social en Amérique et en Europe », Revue de L’O.C.E., n° 76. 100  Cité dans Inglehart, R (1990): Culture shift in advanced Industrial society, Princeton University Press, New Jersey, p.p. 25-26. 101  Inglehart, R. et Rabier, J.-R. (1984) : « la confiance entre les peuples : déterminants et conséquences », Revus française de science politique, n° 1, pp. 5-47. 102  Rachik, H. (2012) : le proche et le lointain, un siècle d’anthropologie au Maroc, Editions Parenthèses, Marseilles, pp. 208-209. 103  BOZONNET, J.-P. (2010) : « l’écocentrisme, un grand récit protestataire, mais faiblement engagé », in Bréchon, P. et Galland, O., l’individualisation des valeurs, Paris, Armand colin, pp. 119-140. 104  Bréchon, P.  (2010)  : «  sociabilité, confiance à autrui et sens de l’autre  : quels effets politiques  ? In Bréchon, P. et Galland, O., l’individualisation des valeurs, Paris, Armand Colin, pp. 31-46. COHÉSION SOCIALE, INSTITUTIONS ET POLITIQUES PUBLIQUES

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En contribuant à régir les rapports sociaux, elle permet de renseigner sur l’état des liens sociaux à un moment donné des évolutions des sociétés. Elle est mesurée à partir d’une question dichotomique, déjà utilisée dans plusieurs enquêtes nationales et mondiales, qui oppose la confiance spontanée faite aux autres à une attitude de prudence dans les relations aux autres et figurant sous l’intitulé suivant : « d’une manière générale diriez-vous qu’on peut faire confiance à la plupart des gens ou qu’on est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres ». Le graphique 2 suivant montre la distribution des enquêtes sur l’indice de confiance interpersonnelle. Graphique 2  : La distribution des enquêtes sur l’indice de confiance interpersonnelle

La majorité écrasante des enquêtés soit 84,36  % sont mentalement prédisposés à se méfier des autres contre seulement 15,64  % qui font confiance aux autres. En comparant ces résultats avec ceux de l’enquête mondiale sur les valeurs (W.V.S.) menée en l’an 2001 et ceux d’une enquête nationale entreprise en 2005 dans le cadre du rapport du cinquantenaire au Maroc nommée « Enquête nationale sur les valeurs »105, on peut constater une stabilité impressionnante aux trois enquêtes susmentionnées ; moins d’un quart des enquêtés estimant qu’on peut faire confiance à la plupart des gens alors que plus de trois quarts jugent, au contraire, qu’on doit toujours se méfier des autres. Ce faible niveau du capital social peut être interprété sous l’angle de ce que Edward Banfield qualifie de « familialisme amoral » qui se traduit par une absence totale de confiance ou de sens de l’obligation morale vis-à-vis de qui conque n’appartient pas 105  Rachik, H.  (rapporteur) (2005)  : Enquête Nationale sur les Valeurs, Rapport de Synthèse, 50 ans de développement humain, http : //http://50.ma/FR/uis/Loadpdf reports.asp ? id=25.

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au cercle familial106. Ceci étant dit, il reste à examiner comment varie la position sur le facteur autonome hétéronome selon l’intensité de la confiance à l’égard des autres ? Pour répondre à cette question, on a utilisé la technique d’analyse de la variance à un facteur pour mesurer le degré et les formes de la confiance à autrui sur l’indice d’autonomie individuelle. L’Analysis of Variance (ANOVA) montre l’existence de différences de moyennes statistiquement significatives entre les deux variables susmentionnées (F  =  5,79, p =  0,000