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Devant le chapiteau de Fekat Circus, le premier d’Afrique de l’Est, les artistes répètent avant le début du festival.

Circus aimerait pouvoir louer le chapiteau pour des mariages et rêve, une fois l’état d’urgence levé, de le monter dans des villages et dans les villes touristiques du pays où Ethiopiens aisés et Occidentaux commencent à affluer. Fekat – « qui s’épanouit » en amharique, la langue la plus parlée dans la capitale – porte bien son nom. Né des acrobaties d’un groupe de jeunes sur les chutes de cuir d’une tannerie en périphérie d’Addis-Abeba, il se donne pour mission d’aider les enfants en difficulté, qu’ils soient de quartiers défavorisés ou hospitalisés. Egalement éthiopien, le cirque de Debre Berhan a intégré des artistes handicapés. « Si tu ne peux pas bouger la jambe gauche, tu te sers de la droite, c’est tout », résume Isaac. Le temps du festival, l’acrobate se fait interprète, certains membres de la troupe étant sourds-muets. « On

Les troupes incarnent le renouveau du cirque africain et donnent naissance à une esthétique teintée de grâce et d’humour pa r C h r i s t e l l e G é r a n d ( à a d d i s -a b e b a )

ne acrobate juchée sur un imposant panier à légumes devenu trône, une pyramide humaine prenant appui sur un mesob, la table à manger éthiopienne en feuille de palmier, des jongleries effectuées avec un dévidoir à coton… A Addis-Abeba, onze troupes de cirque africaines, réunies le temps d’un festival, s’approprient leurs traditions pour inventer une esthétique propre au continent. Fekat Circus, l’organisateur local, propose de faire s’épanouir les talents, et si possible de les inciter à rester en Afrique. Pour cela, la troupe a un défi encore plus grand : redorer l’image d’un art stigmatisé comme étant l’apanage des jeunes défavorisés. « C’est un moment his-to-rique ! » s’exclame Giorgia Giunta, la cofondatrice de Fekat Circus, en ouverture du deuxième Festival africain des arts du cirque. Sur la scène extérieure du Club

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des officiers, l’un des rares espaces verts de la capitale éthiopienne, loué pour l’événement, elle célèbre une double victoire : l’existence de ce rassemblement et la présence d’un imposant chapiteau rouge et blanc. Acheté d’occasion pour 70 000 euros, c’est « le premier de la Corne de l’Afrique ! » affirme-t-elle dans son micro grésillant. Durant trois jours, des artistes de six pays du continent vont y montrer leur talent à un public venu nombreux. Depuis sa création en 2008, Fekat Circus s’est établi à Piazza, le centre historique d’Addis-Abeba. Devenue l’un des emblèmes de ce quartier, la troupe

Fekat Circus se consacre aussi à l’aide des enfants en difficulté

est confrontée au même problème que la communauté avec laquelle elle a tissé des liens forts : les prix galopants de l’immobilier. Au nom du développement, les habitants des bidonvilles alentour sont délogés et priés de déménager dans des lotissements situés en périphérie d’une ville tentaculaire de 500 km2 de superficie. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, les artistes de Fekat Circus se préparent à l’itinérance. La semaine précédant le festival, deux monteurs de chapiteau sont venus bénévolement de France pour leur apprendre à hausser fièrement le symbole de leur indépendance en toute sécurité. Réunir l’argent pour l’achat et le transport du chapiteau grâce à un prêt bancaire, vendre des tee-shirts et engager une campagne de financement participatif a été une gageure pour la troupe, qui espère que cet investissement lui permettra de prospérer. La direction de Fekat

Dans les coulisses, la tension monte. s’amuse après c­ ertains spectacles à demander aux gens qui est handicapé, et ils se trompent presque toujours », raconte-t-il en souriant. Personne ne se permettrait de poser cette question sur les enfances cabossées, mais la « magie » du monde circassien, c’est aussi la renaissance d’anciens mendiants, prostituées ou séropositifs. Pourtant cet outil d’émancipation des populations défavorisées qu’est le cirque, massivement encouragé par diverses ONG, n’a pas une très bonne réputation sur le continent. Richard Walusimbi, manageur de la troupe de cirque acrobatique d’Ouganda, le regrette : « Dans mon pays, on pense que les acrobates sont des voleurs qui s’entraînent pour échapper à la police, pour quémander de l’argent ou pour

rejoindre l’armée. » Espérant changer l’image de la discipline, les artistes se produisent quotidiennement dans les grands hôtels et les centres commerciaux de Kampala, et reversent leurs profits à des associations. En Ethiopie, Fekat Circus commence à mener le même combat avec des représentations au prestigieux Théâtre national d’Addis-Abeba. Pour les jeunes filles, le défi est double. Non seulement elles doivent prouver que le cirque est digne d’être respecté, mais qu’elles le sont aussi malgré les réactions suscitées par leurs tenues parfois jugées trop légères

Les artistes présents ne se produisent que très rarement en Afrique ou suggestives. Numéros phares des troupes africaines, les acrobaties collectives ont un aspect tactile qui fait froncer certains sourcils. Conséquence : durant le festival, les jeunes filles sont très minoritaires. Les troupes se rendent également dans les zones délaissées. Ainsi, depuis les violences post-électorales de 20072008 au Kenya, le cirque Sarakasi veille à se produire dans les quartiers les plus divisés, les plus tribaux. « Avec nos pyramides humaines d’acrobates de différentes ethnies, on montre qu’ensemble on peut construire quelque chose. De plus, ces spectacles ne nécessitent aucune installation », explique John Washika, leur manageur. Mi-clownesques, mi-sérieux, certains acrobates font un signe de croix avant les pirouettes les plus difficiles. Zip Zap, la troupe sud-africaine arcen-ciel invitée par Fekat, incarne aussi ce besoin d’unité. Face aux émeutes et aux tensions raciales émaillant le pays, Brent van Rensburg et Laurence Estève, un couple d’acrobates professionnels, installent en 1992 un trapèze dans un township du Cap. Pour participer à l’unification de la nation, ils vont chercher des enfants dans les quartiers blancs, les quartiers noirs et dans la rue. « On leur a appris le cirque, mais on n’a pas eu à leur apprendre à devenir amis », se rappelle Brent.

Au-delà des belles histoires portées par ces troupes aux diverses origines, sociales ou ethniques, de nombreuses ONG ont aussi encouragé des spectacles « à message », qu’il s’agisse de lutter contre l’excision ou d’encourager les populations à se laver les mains, même si cela se fait parfois au détriment de l’aspect artistique. Les troupes choisies par Fekat Circus incarnent le renouveau du cirque africain et donnent naissance à une esthétique teintée de grâce, d’humour et de surprise… De l’art, en résumé. Preuve du changement qui s’opère, le gouvernement éthiopien a décidé de faire passer Fekat de la tutelle du ministère des Sports à celle du ministère de la Culture à la suite du premier Festival africain des arts du cirque. Une reconnaissance bienvenue qui s’accompagne d’une contrainte : les arts sont taxés, à la différence des sports. La première édition du festival, organisée à Addis-Abeba en 2015, avait été financée par l’Unesco. Cette année, c’est l’Union européenne qui a mis la main à la poche, au nom du soutien à la culture, à l’émancipation des jeunes et à la création d’emplois, l’une des priorités de l’organisation. En effet, si les exemples d’artistes locaux partant en tournée en Europe ou aux Etats-Unis et ne revenant jamais malgré l’expiration de leur visa sont légion, ils diminuent à mesure que se développent les opportunités sur le continent. Les troupes, habituées des tournées internationales, ne se produisent que très rarement en Afrique. Ainsi les Guinéens du cirque Tinafan n’étaient jamais venus en Afrique de l’Est avant le festival. Le rassemblement, pourtant réussi, craint pour son avenir. Un tel événement nécessite un budget de 150 000 euros. Giorgia, chargée notamment de récolter les fonds, ne sait pas « à quelle porte frapper la prochaine fois ». Si l’Union des cirques africains (African Circus Alliance), créée lors de la première édition, disposait d’un budget, elle pourrait être un partenaire privilégié. Mais les troupes africaines, qui luttent toutes pour leur survie, peinent à animer ce qui pourrait devenir, au-delà d’un réseau du cirque panafricain, un ambassadeur du continent. n