Les djihadistes n'ont aucun potentiel révolutionnaire

des pires tragédies du conflit: le massacre chimique de la Ghouta, le 21 août 2013 lors duquel 1 466 personnes sont mortes, asphyxiées au gaz sarin.
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Allons à l’essentiel

“Les djihadistes n’ont aucun potentiel révolutionnaire” Ancien militant communiste et prisonnier politique pendant seize ans dans son pays, l’écrivain syrien Yassin al-Haj Saleh vit aujourd’hui dans la clandestinité en Turquie. D’où il livre son analyse sur le conflit syrien. Autant aux djihadistes qu’au régime, vous refusez le statut de terroristes. Pour vous, ce sont des nihilistes. Pourquoi? Le nihilisme, c’est retirer

son sens au monde, considérer qu’il ne va nulle part. Et c’est le fond de ce qu’ils sont, ce qui les motive. Une espèce de table rase. Quand vous voulez changer le monde, il peut y avoir une part de nihilisme dans le processus de reconstruction. Toutes les révolutions ont eu leur lot de nihilistes, comme la Révolution française ou la révolution bolchevique. Mais lorsque ce nihilisme devient systématique et qu’il est axé sur la destruction, il ne s’agit plus de repenser le monde, mais seulement de se dresser contre lui. C’est ce que font les islamistes. L’anthropologue Scott Atran qualifie Daech de ‘côté obscur de la mondialisation’. Vous êtes d’accord? Ils ont beau se dresser contre le

système des États mondialisé, ils n’ont aucun potentiel révolutionnaire. Leur monde est globalement construit à travers les codes du système des États occidentaux. Et dans le même temps, ils accueillent ceux qui se sentent rejetés par ce système, leur objectif final étant de déshumaniser le monde entier. Donc oui, ils sont le côté sombre du système global.

Quels sont les liens entre le régime et les djihadistes? Pour le régime, l’arrivée des

djihadistes a été une bonne nouvelle, c’est sûr. Y a-t-il pour autant des liens secrets? Peut-être. Mais pas dans les états-majors. Il y a néanmoins des coïncidences troublantes, comme la libération de nombreux détenus djihadistes au début de la révolution. Cela me rappelle qu’un jour, à l’été 2013, je marchais dans la rue à Douma, et j’ai vu des graffitis sur un mur datant de l’ère Hafez, qui disaient: ‘al-Assad ou personne’, ou encore ‘al-Assad ou nous brûlons le pays’. Des slogans très communs à l’époque. Mais en y regardant de plus près, je me suis rendu compte que ce n’était pas tout à fait ce qui était écrit. Des djihadistes du groupe Jaysh al-Islam avaient tenté de réécrire par-dessus ‘L’islam ou nous brûlons le pays’. Mais comme ils n’ont pas tout réécrit et juste modifié quelques lettres, ça donnait: ‘Aslam ou nous brûlons le pays’. En arabe, ‘Aslam’ ne veut rien dire. Ils veulent construire leur pensée mais ils le font sur

les vestiges de l’assadisme. Ils ne sont pas vraiment différents. Depuis, je les appelle les ‘aslamistes’. Le régime et Daech partagent aussi une forme d’élitisme… Ils

ont tous les deux une vision très exclusive du monde. Ces deux systèmes sont dans l’espoir de la renaissance d’un âge d’or. Et l’un comme l’autre développent des doctrines qui excluent une grande partie de la population syrienne. Il y a un tiers de la population syrienne qui n’est pas musulmane et qui est d’office exclue par les djihadistes. Parmi les sunnites, il y en a beaucoup qui ne se reconnaissent pas dans les djihadistes, et eux-mêmes sont en conflit ouvert entre eux. Côté régime, les exemples de darwinisme social ne manquent pas non plus. Le philosophe Georges Tarabichi, par exemple, avait proposé pendant les années 2000 que les analphabètes soient interdits de vote. À la télé syrienne, en 2012, j’avais aussi entendu un officiel justifier le sort des plus démunis parce qu’ils se ‘reproduisent comme des lapins’ et qu’ils ‘vivent dans des zones sales qui entachent la réputation de notre beau pays’. Tous les éléments de la pensée fasciste sont là.

“L’impunité des criminels crée du nihilisme”

Au début de la rébellion, vous étiez nombreux à penser que le régime n’en avait plus pour longtemps… Ben Ali n’a tenu qu’un mois,

Moubarak, trois et Kadhafi avait fini par être tué, avec l’appui de l’OTAN, certes. Nous étions confiants quant à l’issue de la lutte. Il m’arrivait même de dire à l’époque qu’il faudrait neuf mois pour voir la Syrie accoucher d’un nouveau bébé. Mais fin 2011, j’ai commencé à m’inquiéter de la santé de la mère et de l’enfant. Au début, la

Syrie a été le théâtre d’une lutte contre le pouvoir fasciste en place. La situation, alors, était claire. Les années suivantes, d’autres entités se sont ajoutées, comme le Front al-Nosra en 2012 et Daech en 2013, et même des miliciens chiites. Aujourd’hui, tout est trouble. En juillet 2013, vous avez fui Douma pour Raqqa, qui n’était pas encore la capitale de l’État islamique. Comment s’est passée votre arrivée? Les deux mois

et demi passés là-bas ont été particulièrement durs. Un jour avant mon arrivée, mon ami, le père jésuite italien Paolo Dall’Oglio a été arrêté. J’ai ensuite dû me claquemurer dans cette ville où j’ai

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passé toute mon adolescence, cette ville où mes parents sont enterrés. Et dehors, je voyais de jeunes détraqués venus de Tunisie, d’Europe ou d’Arabie saoudite se pavaner comme si la cité leur appartenait. Trois semaines environ après mon arrivée, j’y ai aussi vécu à distance l’une des pires tragédies du conflit: le massacre chimique de la Ghouta, le 21 août 2013 lors duquel 1 466 personnes sont mortes, asphyxiées au gaz sarin. Cela restera un des jours les plus sombres de l’histoire. En Europe, vous n’avez peut-être pas ressenti les choses ainsi. Qu’y avait-il à gagner à commettre ce crime unanimement condamné?

Pour le régime, beaucoup. La réaction internationale quasi inexistante l’a conforté dans ses objectifs de mort. Ne rien faire, c’était comme leur dire: ‘Allez-y, tuez tant que vous voulez.’ Les Américains ont aussi tiré profit de cette tragédie en affirmant avoir évité une guerre en imposant les règles internationales, notamment à propos des armes chimiques. Mais l’enjeu n’est pas d’empêcher un criminel de tuer des civils avec une arme spécifique ; l’enjeu, c’est d’empêcher un criminel de les tuer tout court. Imaginez qu’un homme en abatte un autre. Est-ce que l’on va faire un procès au pistolet? C’est ce qui est arrivé après la Ghouta lors de l’accord d’Obama avec la Russie interdisant seulement les armes chimiques. Le régime a alors commencé à recourir aux bombardements aux barils d’explosifs. Et c’est finalement un énorme cadeau fait à Daech et au Front Al-Nosra. L’impunité des criminels crée du nihilisme.

THe LasT DamIan sHadOw "Jr. goNg" MarLey PupPetS

Vous avez lancé un appel international aux intellectuels occidentaux. Qu’est-ce que vous attendez d’eux? Je l’ai fait quand j’étais à Douma,

La FemMe ShaRon joNes

après la mort de 26 personnes, le même jour. Je suis un écrivain, j’ai donc envoyé un message à mes homologues pour qu’ils utilisent les outils à leur disposition, qu’ils alertent leur gouvernement. Il y a de nombreuses personnalités formidables mais leur influence sur la politique est nulle. En revanche, dès les débuts de la révolution, nous avions demandé à Bernard-Henri Lévy de ne pas intervenir. Nous lui avons dit de nous laisser seuls dans notre combat. Nous ne voulions surtout pas qu’il nous rejoigne car il n’avait rien à y faire. Heureusement, il ne l’a pas fait. Il a quand même organisé une rencontre quelques mois après avec des notables syriens et européens, mais rien chez nous. Ensuite, nous n’avons plus entendu parler de lui pendant un an. Et il est réapparu au festival de Cannes avec une soi-disant opposante syrienne qui, pourtant, à chaque occasion, disait du mal de l’opposition. Il s’est avéré qu’elle était en fait très proche de plusieurs personnalités du régime. Aujourd’hui, nous n’attendons plus grand-chose des puissances de l’Ouest. Je pense que le monde se ‘syrianise’ alors qu’il devrait se démocratiser. En règle générale, le monde démocratique ressemble de plus en plus à la Syrie que l’inverse. Au lieu d’aider les Syriens à aller de l’avant, le monde s’englue aussi.

BreAkbOt

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MasSivE aTtaCk LogIc

MiiKe SnoW

moyen d’inclure les islamistes dans le jeu politique. Ce ne sera pas facile mais on ne peut pas exclure un parti politique si l’on veut tendre vers des bases démocratiques. La démocratie, c’est intégrer toutes les sensibilités et tenter de trouver des solutions, malgré les tensions entre elles. C’est l’histoire de la lutte politique. – ÉTIENNE BREIL /

PHOTO: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY

Lire: La Question syrienne, de Yassin al-Haj Saleh, Actes Sud

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ChvRchEs - ILLUSTRATION : SARA ANDREASSON CRÉATION :

Une République où seraient intégrés les islamistes qui ne prônent pas la lutte armée? Oui, sans aucun doute. Nous devons trouver un

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Les pays occidentaux pourraient-ils encore aider en mettant en place un embargo qui permettrait aux rebelles de gagner la bataille par eux-mêmes?

C’est trop tard. Le régime a déjà beaucoup d’argent en stock avec les schémas économiques qu’il a créés. Et il lui restera toujours la Russie et l’Iran. Il pourrait tuer des dizaines de millions de citoyens syriens pour rester au pouvoir. Je pense que le salut de la Syrie devra se jouer en interne. Nous connaissons notre pays bien mieux que les puissances occidentales. L’enjeu est d’éradiquer les deux extrêmes qui ne veulent qu’imposer leur vision par la force, pour enfin voir naître une vraie République syrienne.

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