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une perception positive des langues de l'autre» (ma traduction). Il faut valoriser le plurilinguisme pour initier la tolérance linguistique et contribuer ainsi à une ...
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Education et Sociétés Plurilingues n°29-décembre 2010

Les compétences plurilingues et pluriculturelles: mise en œuvre pédagogique et questionnement conceptuel Damien LE GAL Partendo dalla presentazione di due insiemi di attività di scoperta e presa di coscienza (l’una per locutori plurilingui, l’altra per locutori monolingui) della diversità del repertorio linguistico, il presente articolo porrà tale processo di consapevolezza come prima tappa necessaria allo sviluppo delle competenze plurilingui e pluriculturali. Le attività di approccio alla varietà linguistica e ai suoi determinismi, tramite la riflessione che inducono nel discente, possono avviare quest'ultimo allo sviluppo delle sue competenze comunicative. In un secondo tempo, saranno affrontate la competenza plurilingue e pluriculturale, e le sue diverse componenti. Sarà infine proposto, attraverso una visione dialogica di lingua e cultura, un allargamento del paradigma del plurilinguismo nel quale le competenze plurilingui e pluriculturali saranno concepite come integranti la gestione non soltanto delle lingue straniere e delle loro varietà, ma anche delle varietà sociali della lingua prima. This article presents two groups of activities – one for plurilingual, the other for monolingual speakers – which allow students to discover and analyze the diversity of speech and discourse. The development of linguistic awareness is a first step towards plurilingual and pluricultural competences. By discovering linguistic diversity and its determining factors, students are encouraged to reflect on them and their reflection leads them to develop their communicative competences in the future. Secondly, plurilingual and pluricultural competence and its constitutive elements are discussed. Finally, an enlargement of the pluringual paradigm is proposed in which plurilingual and pluricultural competences are conceived of as integrating the management not only of foreign languages and their varieties but also of the social varieties that exist in their own languages.

Deux ensembles d’activités de conscientisation linguistique Approche et analyse du plurilinguisme Les contextes plurilingues constituent une ressource pour la découverte par les apprenants de la manière dont les langues sont distribuées et, partant, une base pour le développement de différentes compétences de communication. Le premier ensemble d’activités présenté – réalisable en contexte plurilingue de préférence et notamment en classe de FLE (mais également dans un contexte dit monolingue) – se donne pour but de permettre aux apprenants d’approcher leur propre plurilinguisme en leur faisant découvrir comment leurs langues se distribuent en fonction des situations d’interlocution. Les apprenants issus d’un contexte plurilingue, de par leur confrontation quotidienne avec les alternances codiques, devraient être particulièrement

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réceptifs à un travail sur les formes et les usages linguistiques. Il apparaît fructueux de faire réaliser aux apprenants des activités par lesquelles ceuxci seraient amenés à identifier et à comprendre la distribution de leurs différentes langues. Les apprenants observeraient comment, dans différentes situations, ils pratiquent différentes langues et comment ces situations déterminent leurs choix linguistiques. Je propose que soient réalisées en classe des activités par lesquelles les apprenants observeraient leurs pratiques linguistiques afin de découvrir comment celles-ci sont déterminées par les situations de communication. Usage du Portfolio: Tout d’abord, les apprenants rempliraient leur Portfolio Européen des Langues (1) (Conseil de l’Europe, désormais COE, 2003) dans lequel ils feraient entrer toutes leurs expériences linguistiques, dans toutes les variétés de langues. Cette activité permet aux apprenants de se rendre compte qu’ils ont tous, à des degrés différents, la connaissance de plusieurs langues et/ou de plusieurs variétés et d’adopter une position réflexive par rapport à leur apprentissage des langues en leur faisant évaluer leurs différentes connaissances linguistiques. Le Portfolio (disponible gratuitement en ligne) vise à valoriser le plurilinguisme et à unir «apprentissages scolaires et, plus généralement sociaux» (Conseil de l’Europe 2005a; Little 2003) en décloisonnant les différents types de connaissance. Conscientisation sociolinguistique À la suite de cette activité, il semble intéressant de faire réaliser aux apprenants des activités par lesquelles ils pourront découvrir les façons dont ils utilisent leurs différentes langues selon les situations dans lesquelles ils se trouvent: quels sont les cas où l’apprenant (je prends ici l’exemple algérien) utilise le français, l’arabe, le berbère? Pourquoi dans telle situation parle-t-il telle langue? Ce travail pourrait être initié par des questions posées par l’enseignant(e) à la classe et faire ensuite l’objet d’une mini-enquête par les étudiants qui pourraient par exemple recenser les différentes langues qu’ils ont parlées dans une journée en notant dans quelles situations chaque langue a été utilisée. Est-ce qu’il y a des personnes avec lesquelles ils parlent plusieurs langues? L’enseignant(e) donnera l’exemple d’amis plurilingues qui parlent berbère entre eux s’ils sont dans la famille de l’un et l’arabe dialectal s’ils se trouvent au milieu de leur groupe d’amis qui parlent arabe. Il/elle montre ainsi aux apprenants que le choix de la langue n’est pas seulement conditionné par le ou les interlocuteur(s) mais d’abord par la situation.

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L’enseignant(e) essaie ainsi d’amener ses apprenants à identifier la façon dont leurs langues se distribuent en fonction des situations. Par ce travail, les apprenants mettent en évidence leur répertoire «verboculturel» plurilingue (Castellotti 2001: 368, Beacco et Byram 2003: 26, 27, 73, 126). Ils développent leur reconnaissance métalinguistique et approchent leur plurilinguisme pour commencer à le comprendre. Jean-Claude Beacco (2008: 38) parle de cette conscience du plurilinguisme comme un constituant du «“vivre ensemble” démocratique. Si on reconnaît la diversité des langues de son propre registre, de leurs fonctions et de leurs valeurs, la conscience de la diversité dans une seule personne peut favoriser une perception positive des langues de l’autre» (ma traduction). Il faut valoriser le plurilinguisme pour initier la tolérance linguistique et contribuer ainsi à une éducation interculturelle. Comparaison des langues Le contexte plurilingue permet également de réaliser un travail de comparaison entre les différentes langues connues, montrant les différentes manières dont elles fonctionnent. Cette activité semble particulièrement intéressante à réaliser avec des langues de racines différentes, par exemple français/arabe ou berbère/anglais. Le développement de compétences hétérologiques (2) Un deuxième ensemble d’activités – réalisable dans toute situation d’enseignement-apprentissage, celui-là – amène les apprenants à considérer comment leurs propres productions se transforment selon les contextes, comment ils utilisent différentes variétés et variations sociolinguistiques selon les interactions. À la suite (ou sans préalable pour les classes «monolingues») de ce travail d’observation de la distribution des langues par rapport aux situations, il paraît enrichissant de reproduire cette démarche par le même type d’observations, réalisées cette fois par rapport aux différentes variétés sociales, aux discours produits selon les différentes situations de communication. Ces variétés sociales sont les registres: sociolectes, langues de spécialité, jargon, cryptolectes (langue parlée par un groupe pour ne pas être compris des autres personnes)… Un travail d’observation de ces variétés sociales permettrait aux apprenants de considérer l’hétérogénéité des manières de parler des différents locuteurs. Philip Riley distingue, à la suite de Mikhaïl Bakhtine (Todorov 1981: 89): le plurilinguisme («hétéroglossie») et les variations de variétés sociales («hétérologie»). L’hétérologie désigne «la diversité des ‘énoncés’ ou des

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‘discours’ d’une langue, ‘orientés vers des horizons sociaux’ différents» (Riley 2003: 14). Ainsi, Riley sépare la reconnaissance de l’hétérogénéité des variétés présentes au sein d’une «langue» de la reconnaissance des différentes «langues». Si je pense pour ma part, dans une approche sociolinguistique, que les variétés sont aussi des langues différentes, la différenciation en variations internes (hétérologie) et externes (hétéroglossie) me semble néanmoins pertinente. Cette démarche de réflexion sur les variétés sociales des langues pourrait par exemple être initiée en classe par des questions aux apprenants sur leur manière de parler au directeur de l’école et sur celle de s’adresser à leur camarade pour une même tâche communicative, comme saluer par exemple. Comment parlent-ils à leurs congénères (adolescents ou enfants) et comment s’adressent-ils aux adultes? De quelles manières s’adressent-ils à des personnes qu’ils ne connaissent pas par rapport à des personnes qu’ils connaissent? Le but étant de leur faire contraster leurs productions afin qu’ils identifient des variations. Les apprenants pourraient ensuite également réaliser – comme précédemment – une petite enquête où ils recueilleraient leurs différentes productions linguistiques pour un même acte de langage, ou leurs interactions au cours d’une journée. Ils utiliseraient pour cela un enregistreur s’ils peuvent en disposer ou noteront leurs productions par écrit. Un corpus pourrait ainsi être construit à partir de ces données recueillies. Ce corpus serait ensuite analysé en classe avec l’aide de l’enseignant(e) en visant à faire contraster les productions entre elles. L’enseignant(e) fera découvrir aux apprenants comment les discours varient énormément selon les contextes et les personnes. Importance du dispositif pédagogique Dans ces deux activités, il s’agit bien sûr pour le formateur de faire voir, découvrir, comprendre et non d’énoncer, de démontrer. Il est important en effet pour la réussite de ces activités et le développement des compétences plurilingues et pluriculturelles que l’apprenant soit placé en acteur de son apprentissage, par une démarche inductive qu’une maïeutique peut mettre en place. De par la nature des matériaux sociolinguistiques abordés et leur proximité (interactions quotidiennes des apprenants, énoncés provenant de leurs relevés), je crois qu’il est possible de rapidement faire réaliser aux apprenants combien nos discours sont déterminés socialement. Quels publics?

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Ces activités me semblent adaptées à tout type de public, elles me paraissent pertinentes pour des enfants à partir de sept ans comme pour des étudiants d’Université. Les finalités des activités Les finalités de ces activités sont multiples et particulièrement intéressantes en ceci qu’elles permettent à l’apprenant de conscientiser la dynamique des productions langagières. Elles amorcent ainsi le développement de la compétence plurilingue et pluriculturelle, répondant à l’appel du Cadre Européen Commun de Référence pour les langues (désormais CECR) pour le développement de cette compétence «qui englobe l’ensemble du répertoire langagier à disposition» (COE 2000: 129). «Compétence» est utilisé ici comme «l’ensemble des connaissances, des habiletés et des dispositions qui permettent d’agir» (COE 2001: 15). Faire naître une réflexion Bien sûr, il ne s’agit pas d’espérer transformer en quelques heures des apprenants en sociolinguistes mais plutôt de chercher à faire naître chez eux ce savoir: que les situations conditionnent nos manières de parler, une connaissance, une compréhension sociolinguistique. Cette réflexion générée, si elle n’a pas «dès l’œuf» de grandes conséquences sur les comportements des apprenants (surtout enfants) me semble néanmoins fondamentale car, telle une graine semée, elle pourra évoluer avec la personne pour porter ses fruits quelques années plus tard. Agir sur les représentations sociales et les stéréotypes Je rappellerai le rôle crucial des représentations sociales dans les comportements. Les deux ensembles d’activités présentées peuvent avoir des conséquences importantes sur les représentations sociales des apprenants et détruire ainsi certains stéréotypes. La découverte et l’observation du plurilinguisme de camarades de classe fera évoluer leurs conceptions des langues comme des variétés et plus largement de toute interaction sociale. Certains enfants (et adultes) pensent ne parler qu’une langue ou qu’une variété. Ils se représentent le plurilinguisme comme étant un don naturel, une capacité de «surdoué». Ils considèrent également qu’être plurilingue amène nécessairement à mélanger les différentes langues et empêche de développer un haut niveau de maîtrise dans l’une d’elles Contribuer à faire de l’apprenant un acteur social pluriculturel Ces activités peuvent contribuer à faire de l’apprenant un acteur social (COE 2005a, Beacco et Byram 2003: 73), pluriculturel (Murphy-Lejeune et

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Zarate 2003: 38). Elizabeth Murphy-Lejeune et Geneviève Zarate définissent celui-ci comme un sujet possédant une expérience interculturelle et conscient de celle-ci, «un capital de relation à l’altérité déjà constitué ou qu’il appréhende comme étant en devenir» et «une conscience réflexive de son expérience de l’altérité linguistique et culturelle». Ce locuteur introduit la pluralité des points de vue identitaires dans l’interprétation des situations de communication plurilingue et pluriculturelle, il a une lecture symbolique de la pluralité linguistique et sociale et se reconnaît comme médiateur (Murphy-Lejeune et Zarate 2003: 38). La décentration: Louis Porcher postule que «la décentration constitue l’acte fondateur de tout pluriculturalisme. Se décentrer ne consiste évidemment pas à «abandonner» sa propre centration (qui nous définit), ce qui, d’ailleurs, serait impossible, mais à s’efforcer de comprendre de l’extérieur la centration de l’autre (ou ses centrations, pour mieux dire: ethnologiques, sociologiques, personnelles), c’est-à-dire, signifie «se mettre à sa place, pour envisager comme lui choses et gens». La décentration permet de devenir «polycentrique», positionnement culturel crucial pour «se nourrir des langues étrangères» et des cultures (Porcher 2003: 94). Une attitude personnelle d’ouverture d’esprit Autre composante de la compétence plurilingue et pluriculturelle, MurphyLejeune et Zarate (2003: 43) définissent cette attitude comme celle par laquelle «on accepte les choses et les gens tels qu’ils sont. […] Être ouvert consiste à accepter une communication entre soi et l’extérieur, à établir des ponts. Cette compétence s’exprime sous deux facettes principales, la ‘flexibilité’ (accepter les circonstances) et la ‘tolérance’ (accepter les autres)». D’un plurilinguisme «passif» à un plurilinguisme «actif» Porcher (2003: 88) distingue le «plurilinguisme ‘passif’» (où chacun maîtrise, en compréhension écrite et orale, plusieurs langues) du plurilinguisme «actif» (où quelqu’un serait capable de s’exprimer en plusieurs langues). Je pense que les deux ensembles d’activités sociolinguistiques d’approche du fonctionnement des langues et de leurs variétés sociales engagent les apprenants vers ce passage d’un plurilinguisme passif à un plurilinguisme actif. L'acquisition de la compétence plurilingue et pluriculturelle correspond à ce passage d'un type de plurilinguisme à l’autre.

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Précision Ces composantes – stratégies – sont celles que les apprenants – que tout locuteur – doivent à mon sens développer pour devenir des locuteurs plurilingues et pluriculturels, devenir des acteurs sociaux pluriculturels. Je ne prétends pas que les activités présentées vont faire acquérir aux apprenants ces compétences dont je viens de parler. Ces activités ont surtout valeur d’exemple de ce qu’il est possible de faire pour conscientiser les apprenants, initiant ainsi le développement de ces compétences, elles ouvrent la voie. En effet ces activités amènent les apprenants à réfléchir sur leur plurilinguisme et les différentes variétés. Cette perception métalinguistique est le premier pas, nécessaire, pour développer les compétences plurilingues et pluriculturelles. Un apprenant qui partira du constat du plurilinguisme et surtout des variétés d’une langue mobilisées par tout un chacun peut, par raisonnement logique, développer les compétences abordées ici. Compétence plurilingue et compétence hétérologique: une même capacité? Ces mécanismes de modulation du discours par rapport aux paramètres de la situation fondent à mon sens pour une grande part la compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence de communication. Or, il me semble enrichissant de considérer combien, lors d’interactions avec des personnes de langues-et-cultures différentes comme avec des personnes homoglottes – surtout si celles-ci sont issues de milieux différents – et donc, mais dans une moindre mesure, avec ses parents, amis, ce sont les mêmes stratégies qui doivent être mises en œuvre pour le succès de la communication. J’avance donc que les compétences plurilingues et les compétences hétérologiques relèvent des mêmes processus, des mêmes stratégies abordées: pragmatiques, linguistiques, socio-culturelles, plurilingues et pluriculturelles, socio-relationnelles, plurimodales, savoirs, savoir-être, savoir-faire, savoir apprendre, savoir comprendre, empathie, décentration, ouverture d’esprit, agir social dont j’ai parlé. Ce qu'il semble intéressant de souligner c'est que si «l'exolinguisme» (le fait que les interlocuteurs ne parlent pas la même langue) de la situation est responsable d'un ensemble de difficultés dans la réalisation d'une bonne communication, le facteur social est également extrêmement prégnant. De grandes difficultés de communication naissent de différences sociales entre des locuteurs pourtant de «même langue». Ainsi je pense pouvoir dire qu’une discussion entre deux locuteurs natifs de français d’une même région peut être tout autant voire plus «interculturelle» qu’entre deux

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locuteurs de langues maternelles différentes. Imaginons l’exemple d’un échange entre un cadre d’entreprise et un ouvrier dans lequel la communication est bien plus difficile qu’entre deux étudiants universitaires de nationalités différentes mais possédant différents points communs, à commencer par leur maîtrise de l’anglais. Dans cette perspective on peut considérer que l'interculturel, le plurilinguisme, est présent dans des relations entre personnes de «même langue», de «même culture». Cette conception des choses entre en dissonance avec les idées reçues et appelle à redéfinir langue et culture, ce que je vais tenter de faire dans la prochaine partie. Cela amène également à repenser la compétence plurilingue et pluriculturelle comme une compétence qu'il est souhaitable de mettre en oeuvre dans toute interaction, exolingue comme endolingue, et qui inclut non seulement la gestion de tout le répertoire linguistique, mais aussi les stratégies en langue(s) étrangère(s) comme en langue première. Lors de l’échange entre personnes de classes sociales différentes, chaque interlocuteur devrait mettre en place les mêmes stratégies (linguistiques, pragmatiques, socioculturelles, savoirs, savoir-être, savoir-faire, comprendre, apprendre etc...) que celles décrites précédemment dans l’exemple d’interaction avec un apprenant débutant de français, à savoir: - sur le plan linguistique chaque locuteur devrait choisir son vocabulaire, ne pas utiliser un lexique qui ne serait pas partagé sur tel ou tel sujet - pragmatiquement, les communicants devraient choisir un mode d’expression «médian», le plus commun à leurs deux panels communicatifs: adresses, construction du discours, ... - socioculturellement ils devraient utiliser des références et des codes culturels partagés. On peut ainsi considérer avec Michel Candelier et Véronique Castellotti que la compétence plurilingue «englobe l’ensemble du répertoire langagier à disposition» et que c’est l’ensemble de ce répertoire qui est à mettre en œuvre lors d’une interaction. Nous voyons ainsi qu’il semble pertinent d’intégrer les stratégies de gestion des variétés sociales à la compétence plurilingue et pluriculturelle. Or différents écrits de la littérature distinguent la gestion par les locuteurs des différentes langues qu’ils maîtrisent («hétéroglossie» chez Bakhtine) de la gestion des variétés sociales de ces langues, par le terme d’«hétérologie» (Bakhtine).

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Michael Byram et Jean-Claude Beacco intègrent au «répertoire linguistique ordinaire d’un adulte européen, ayant reçu une éducation secondaire [...]: [la] variété écrite de la langue première (maîtrise de discours écrits, d’acquisition scolaire puis professionnelle); [la] variété générationnelle et/ou régionale de la variété première (en particulier, lexique, ou accent) [...]; [la] reconnaissance et compréhension partielles d’autres variétés sociales, générationnelles, régionales ou étrangères» (Beacco et Byram, 2003: 74). Ils posent que les individus «sont fondamentalement et non exceptionnellement plurilingues» et intègrent ainsi la gestion des variétés sociales à la compétence plurilingue. À la question de savoir si l’on peut «fonder l’hétéroglossie et l’hétérologie au sein du paradigme du plurilinguisme» Philip Riley (2003) répond par la négative, avançant l’argument de la clarté et propose le paradigme de l’«hétérolinguisme» correspondant à la gestion des variétés langagières, sociales, en contraste avec le plurilinguisme. Il semble pertinent au contraire de «fusionner» les compétences relatives aux variétés sociales et celles relatives aux langues à l’intérieur du même domaine de compétences, du même paradigme. Cette approche a à mon sens pour qualité d’être en adéquation avec une conception dialogique (3) de la langue et de la culture. Conclusion À partir de deux activités de classe sur le plurilinguisme et l’hétérologie, une proposition de conscientisation linguistique accompagnant le développement de la compétence plurilingue et pluriculturelle a été formulée. Nous avons ensuite interrogé la pertinence d'une compétence plurilingue qui englobe la compétence hétérologique, capacité de gestion des variétés sociales, et montré comment cette classe d’activités langagières engage les mêmes stratégies, les mêmes compétences que la communication communément appelée «interculturelle». Une conception dialogique de la langue et de la culture vient donner à cette perspective sa cohérence, construisant un nouveau paradigme du plurilinguisme, élargi, dont je crois qu’il vient servir les desseins d’une éducation interculturelle. Les compétences socioculturelles mises en avant devraient entrer dans les cursus scolaires des différents cycles, amenant l’école à endosser son rôle d’ouverture à l’altérité, au respect de l’autre et à doter les apprenants des outils conceptuels et pragmatiques leur permettant de mener dans le dialogue leurs interactions avec des personnes de langues, de cultures différentes comme au quotidien avec leurs concitoyens.

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L’acquisition des savoirs, savoir-faire et savoir-être de la compétence plurilingue et pluriculturelle me semble cruciale à notre époque de mondialisation où, malgré les dits «progrès civilisationnels», les tensions culturelles entre les groupes humains demeurent on ne peut plus vivaces. L'acquisition de la compétence socioculturelle permet de former des citoyens d’une société nationale pluriculturelle globale, et qui par l’amélioration de leur capacité à communiquer avec tout un chacun contribuent à construire de meilleures relations entre les hommes. Notes (1) Le Portfolio Européen des Langues (PEL) est un petit cahier dans lequel l’apprenant consigne ses connaissances linguistiques et ses expériences culturelles afin de réfléchir sur ses apprentissages. (2) L’hétérologie est la reconnaissance de différentes variétés d’une langue. (3) Signifie au sens d’Edgar Morin que «deux ou plusieurs logiques, principes, sont unis sans que la dualité se perde dans cette unité» (1990: 176).

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