Les bonnes feuilles du thé à la russe

4 déc. 2014 - A l'image de leur logo au graphisme épuré les magasins sont conçus dans un esprit minimaliste, contemporain. « Pourquoi toujours entourer ...
298KB taille 15 téléchargements 130 vues
04/10 DEC 14 Hebdomadaire OJD : 229211 33 RUE VIVIENNE 75002 PARIS - 01 44 76 92 31

Surface approx. (cm²) : 640

Visualiser l'article Page 1/2

Affaires privées/Pour le plaisir La saga Kousmichoff

Les bonnes feuilles du thé à la russe Sa recette a connu les tsars, la prospérité et l'oubli. Avant qu'un coup de génie ne la ressuscite en petites boîtes aux arabesques colorées, baptisées Kusmi Tea. La boutique Kusmi Tea des Champs-Elysées. A chaque mélange de thé, son écrin de métal décliné sur tous les tons. A la devanture du magasin amiral Kusmi Tea, inauguré l'an dernier sur les Champs-Elysées, des pyramides de boîtes colorées montent la garde. Elles déclinent tous les tons imaginables: on dirait un nuancier Pantone! Chez Kusmi Tea, la couleur est un parti pris revendiqué. Elle enflamme les boîtes rondes qui emprisonnent le thé en vrac, et même les murs et les sols! Un rouge franc et vif, qui embrase le plancher des 35 magasins Kusmi Tea en France. Même chose à l'étranger: de New York à Berlin et de Milan à Oslo, les treize boutiques de l'enseigne se distinguent par leur sol uniformément carminé. Pour décorer leurs comptoirs de vente, les grandes maisons de thé cultivent volontiers la tradition coloniale - boiseries patinées, gravures rehaussées d'or et lumières tamisées. Au contraire, Kusmi Tea épouse son époque avec enthousiasme. A l'image de leur logo au graphisme épuré les magasins sont conçus dans un esprit minimaliste, contemporain. « Pourquoi toujours entourer le thé d'une atmosphère désuète? s'exclame Sylvain Orebi l'homme à l'origine du renouveau de la marque. Depuis longtemps, cette boisson n'est plus réservée aux vieilles filles anglaises! » Issu d'une famille de négociants en café il acquiert avec son frère Claude, la société havraise Olivier-Langlois, importateur et torréfacteur de café de longue date (1878). Nous sommes en 2001. Bonne surprise: dans la corbeille de la mariée se cache un distributeur de thé en vrac, dont l'activité remonte aux années 1930. Cela tombe bien: Sylvain Orebi est buveur de thé. Il s'amuse à refaire la carte des thés, puis se prend au jeu et s'enhardit à créer des mélanges. Et, très vite, il fournit nombre d'hôtels et de restaurants, séduits par sa démarche. Pour diffuser ses thés directement auprès du public, il lui manque la visibilité d'une marque. C'est justement l'époque où le thé suscite un nouvel engouement, particulièrement en France. On commence même à parler de « thé à la française ». Sylvain Orebi ronge son frein, jusqu'à ce qu'il apprenne qu'une maison essoufflée cherche un repreneur. Il saute sur l'occasion: en 2003, Kousmichoff tombe dans l'escarcelle du groupe Orientis, qu'il a créé deux ans plus tôt avec son frère. Plus facile à prononcer, le nom est aussitôt abrégé en « Kusmi », surnom familier aux fidèles clients de la marque.

1935, Viatcheslav et Constantin Kousmichoff (à gauche), dans l'atelier de l'avenue Miel, à Paris. Sylvain Orebi, patron de Kusmi Tea, a racheté ce local caché dans une cour d'immeuble.

1927, bottes de thé Kusmi, Berlin. Les dessins ont été conserves, avec un logo modernisé. Les saveurs ont été remises au goût du jour. Avec des fleurs, des épices, des arômes de chocolat... D'emblée, les boîtes ornées d'arabesques colorées ont séduit l'entrepreneur. Il décide donc de conserver leur dessin originel, tout en peaufinant le logotype d'un pinceau trempé dans la modernité. Sylvain Orebi est loin d'être insensible à l'histoire de Kousmichoff, faite d'une étonnante succession de rebondissements, mais il lui importe d'abord de replacer la marque dans la lumière. Il s'y attelle avec autant d'efficacité que de passion. Il dépoussière les recettes des mélanges. Y introduit des fleurs des épices et même des arômes de chocolat! Et puis, c'est le coup de génie: en 2006 il lance une gamme « bienêtre » élaborée à partir de mélanges de thé vert de maté et de rooibos. Les puristes crient au sacrilège. La presse féminine, elle, s'enthousiasme. Baptisés Detox, Boost ou Bée Cool, ces nouveaux breuvages sont conditionnés dans les mêmes jolies boîtes colorées que les thés classiques, hormis les arabesques de leur décor habituel. Le public ne tarde pas à être au rendez-vous. En osant bousculer la tradition, Kusmi Tea gagne une nouvelle clientèle (plus jeune et moins conventionnelle), sans entamer son noyau dur. C'est alors que Sylvain Orebi juge le moment venu de cultiver le passé en renouant avec les racines de la marque. A l'été 2013 il inaugure un café à l'enseigne de Kousmichoff au premier étage du flagship des Champs-Elysées. C'est la première fois depuis dix ans que le patronyme du fondateur de la maison de thé réapparaît au grand jour. Aménage dans un esprit contemporain par l'agence Saguez & Partners le lieu associe le blanc et le rouge: les couleurs traditionnelles des magasins Kusmi Tea. Un bleu vif s'invite à la fête. Sur les murs il souligne des figures qui rappellent Malevitch et le suprématisme russe. A la carte, des spécialités russes, comme le koulibiac ou les pirojki, volent la vedette aux quiches et aux tartes salées. Dans le décor, on repère des suspensions en forme de coupoles 797165915440280EA23247245302A5753513587B413941BC2466DFE

SAGUEZ 4049722400503/GBM/OTO/2

Tous droits réservés à l'éditeur

04/10 DEC 14 Hebdomadaire OJD : 229211 33 RUE VIVIENNE 75002 PARIS - 01 44 76 92 31

Surface approx. (cm²) : 640

Visualiser l'article Page 2/2

d'église orthodoxe. Elles ont été dessinées par l'Italien Enrico Zanolla, Baptisées « Ruski », elles sont un clin d'oeil aux bulbes qui illustrent le logo des boîtes de thé Kusmi. Les initiés, parmi lesquels Olivier Saguez et son agence de design, savent qu'il s'agit du profil de la cathédrale SaintTsaac de Saint-Pétersbourg. Tomes ces réminiscences ne sont pas gratuites. La maison de thé Kousmichoff a vu le jour dans la capitale impériale russe. Si la mention ne figure plus sur les boîtes de thé, la date, 1867, est toujours inscrite sur leur couvercle. Elle se réfère au règne d'Alexandre II. Pavel Kousmichoff a 14 ans quand il entre comme simple livreur chez un marchand de thé de Saint-Pétersbourg. Impressionné par sa vivacité d'esprit son patron ne tarde pas à l'initier au secret des mélanges des feuilles fermentées importés de Chine. Pour adoucir leur amertume il distille de subtils parfums d'agrumes: le fameux « goût russe » si prisé de la clientèle. En 1867, Pavel se marie, et, avec l'aide de son ancien employeur, il s'établit à son compte. C'est l'acte de naissance de la maison Kousmichoff. Elle ne tardera pas à se distinguer. C'est que Pavel imagine sans cesse de nouvelles recettes pour aromatiser ses mélanges. En 1888, à l'occasion des 900 ans du baptême de la Russie par saint Vladimir, il crée un thé parfumé à la vanille et légèrement épicé. Cardamome? Poivre? Cannelle? La recette, pieusement conservée par ses héritiers, est toujours proposée, conditionnée dans une boîte bleu azur. Elle porte le nom de Prince Wladimir, et figure parmi les best-sellers de la maison. Le magasin de la rue Sadovai'a, à Saint-Pétersbourg, ne désemplit pas, d'autant que l'entreprise Kousmichoff & Fils fournit maintenant la cour impériale. Le mélange baptisé « Bouquets de Fleurs n° 108 » passe pour le préféré du tsar Nicolas 11 . Il est composé de thés noirs d'Inde, de Chine et de Ceylan délicatement saupoudrés d'essences de bergamote, de citron et de fleurs. Des succursales ouvrent à Moscou et à Kiev. En 1907, Pavel envoie son fils aîné, Viatcheslav, se former à Londres, l'autre capitale européenne du thé. Rentré à Saint-Pétersbourg, ce dernier prend les rênes de la maison. Pressentant la tourmente, il transfère une partie des avoirs au Royaume-Uni. Il s'en fallait de peu: la révolution d'Octobre éclate! Après un long périple via Constantinople et Berlin, Viatcheslav s'installe à Paris avec sa famille. Au fond de la cour d'un immeuble de l'avenue Niel, il loue d'anciennes écuries pour y aménager ses ateliers. C'est là qu'il va recomposer patiemment les mélanges qui ont signé le succès de la maison à SaintPétersbourg. Heureux de retrouver les parfums d'un passé envolé, les Russes émigrés à Paris prennent le chemin du comptoir de vente qui jouxte les ateliers. Kousmichoff & Fils établit bientôt un réseau de magasins à travers l'Europe, à Prague, à Berlin, à Zagreb, bref, dans toutes les villes où la révolution de 1917 a éparpillé des Russes blancs. La période de rentre-deux-guerres sera synonyme de prospérité.

2013, le Café Kousmichoff sur les Champs-Elysées. Le nom du fondateur réapparaît après dix ans d'absence. Identité tricolore, lampes-bulbes et spécialités russes... KUSMI TEA BRANCHE

Proposés en vrac (boîtes de 125 et 250 grammes) et en sachets (boîtes de 20 sachets): Detox Mélange de maté, thé vert et citronnelle, 15,20 euros (boîte de 125 grammes). Anastasia Thé noir, bergamote, citron et fleur d'oranger, 13,10 euros. Prince Wladimir Thé noir, agrumes, vanille et épices, 13,10 euros. Be Cool Mélange de plantes, réglisse et menthe poivrée, 15,20 euros. Sweet Love Thé noir, racines de réglisse, épices, guarana et poivre rose, 15,20 euros. Après 1945, la maison renaît une seconde fois de ses cendres. Toujours avenue Niel, au fond de la cour. Le thé en vrac y est pesé sur une antique balance à plateaux, parmi des rangées de boîtes multicolores. Viatcheslav disparu, c'est son fils Constantin qui a pris la relève. L'émigration russe reste fidèle au rendez-vous, mais en rangs de plus en plus clairsemés... Constantin a hérité des qualités de son père pour inventer des mélanges de thés inédits. Hélas, il n'a aucun talent pour la gestion. En 1972, la famille est contrainte de céder l'affaire. Tombée en d'autres mains, la marque continue de vivoter. Quand Sylvain Orebi la rachète, en 2003, elle est exsangue. En dix ans d'initiatives et d'innovations heureuses, elle retrouvera sa dimension internationale. Une prouesse unanimement saluée par le monde des affaires. En 2017, elle fêtera son 150e anniversaire. La date coïncide avec ses cent ans de présence en France. Bonne nouvelle: Sylvain Orebi est parvenu à acquérir les ateliers cachés dans la cour de l'immeuble du 75, avenue Niel. Us sont aujourd'hui en travaux. On y rêve déjà à de nouvelles aventures. Massalovltch Sophie

Sylvain Orebi En 2003, le PDG du groupe Oriente acquiert une maison de thé en quête d'un repreneur. La marque est abrégée en « Kusmi ». 797165915440280EA23247245302A5753513587B413941BC2466DFE SAGUEZ 4049722400503/GBM/OTO/2

Tous droits réservés à l'éditeur