les américains cherchent à pousser les choses le plus loin ...

du public américain que l'évasion fiscale pouvait mener en prison. Les autorités ont donc mis sur pied un programme de décla- ration volontaire. Leur discours ...
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milliards d’euros 3,7 Coût de la nationalisation de la quatrième banque commerciale néerlandaise, SNS Reaal,

«Un changement de culture d’entreprise est nécessaire (...) et les récents événements le confirment.»

en graves difficultés financières.

Jürgen Fitschen, coprésident de la Deutsche Bank, prise dans plusieurs scandales, dont celui du Libor

Jeffrey Neiman

Les Américains cherchent à pousser les choses le plus loin possible Secret bancaire. Un ancien procureur américain, chargé alors du dossier UBS, analyse le différend fiscal toujours en cours entre Berne et Washington. Julie Zaugg New York

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Du point de vue américain, quels sont les principaux succès que l’offensive contre les banques suisses a permis d’engranger?

Jeffrey Neiman

Après avoir étudié la finance et le droit à l’Université de Floride, Jeffrey Neiman a obtenu son inscription au barreau de cet Etat en 2002. Il a ensuite travaillé durant neuf ans pour le Département de la justice américain. Ce jeune homme de loi a acquis une visibilité nationale et internationale en tant que procureur chargé du dossier UBS, à partir de 2008. Il exerce depuis 2011 comme avocat indépendant à Fort Lauderdale, en Floride. dr

assaut mené par les Etats-Unis contre les banques suisses, qui a débuté avec la mise sous enquête d’UBS en 2008, a déjà coûté très cher à la place financière helvétique. Il a pratiquement annihilé le secret bancaire. Berne a dû céder à la volonté américaine à de multiples reprises, abandonnant aux autorités de poursuite les noms de milliers de contribuables américains et d’employés de banque. UBS a été contrainte de débourser 780 millions de dollars, plusieurs de ses employés ont été inculpés ou arrêtés et elle affronte de multiples plaintes d’ex-clients. Wegelin va prochainement disparaître après s’être acquitté d’une amende de 74 millions de dollars. Les Banques cantonales de Zurich et de Bâle, Julius Bär et le Credit Suisse sont également dans le viseur de la justice américaine, tout comme sept autres établissements. Néanmoins, la Confédération espère toujours conclure un accord global avec Washington, qui permettrait de solder l’ensemble des récriminations du passé. Enfin, la Suisse a dû se résoudre à lâcher les derniers pans de secret bancaire avec les Etats-Unis en acceptant d’appliquer le Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca), dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2014. Jeffrey Neiman, qui fut l’un des procureurs du Département de la justice contre UBS et pratique aujourd’hui la fonction d’avocat en Floride, livre son regard sur cette chaîne d’événements.

En février 2009, nous avons assisté à la culmination de l’enquête qui avait débuté en 2008, avec l’accord qui a contraint UBS à verser 780 millions de dollars aux

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Etats-Unis. La banque a aussi dû s’engager à ne plus assister les Américains qui souhaitent évader le fisc. Mais ce qui a rendu cet accord véritablement histoL’Hebdo 7 février 2013

rique, c’est la transmission de noms de détenteurs de comptes non déclarés, complétée en août 2009 par l’obtention de 4450 noms supplémentaires. Il faut imaginer l’effet produit par cette victoire: pour la première fois de son histoire, l’IRS (l’autorité fiscale américaine, ndlr) s’est retrouvée en première page des principaux journaux américains, comme le New York Times ou le Wall Street Journal, décrite comme une héroïne de la lutte contre l’évasion fiscale. Mais ces 780 millions de dollars paraissent minimes au vu des sommes détournées du fisc américain... Cette première victoire contre UBS a ouvert une fenêtre d’opportunité que l’IRS n’a pas manqué d’exploiter. A ce momentlà, il y avait une réelle perception auprès du public américain que l’évasion fiscale pouvait mener en prison. Les autorités ont donc mis sur pied un programme de déclaration volontaire. Leur discours était le suivant: «Si vous vous dénoncez, nous vous prendrons 20 à 25% de votre argent non déclaré, mais vous éviterez de vous retrouver derrière les barreaux.» Cette politique du bâton et de la carotte a attiré des milliers et des milliers d’Américains. Or ces gens n’ont pas seulement permis au gouvernement de récupérer de l’argent, ils se sont aussi avérés être des sources d’informations précieuses et des témoins potentiels en cas de procès. Les autorités les ont fait parler de leurs banquiers et de leurs conseillers fiscaux; elles leur ont demandé de détailler leurs pratiques. Cette masse d’informations a ensuite permis au Département de la justice de mettre la pression sur d’autres banques suisses. Nous en voyons les conséquences aujourd’hui, avec l’inculpation de la banque Wegelin ou des employés de la Banque cantonale de Zurich. Pourquoi avoir ciblé en premier lieu UBS et pourquoi en 2008? Les autorités ont attendu d’avoir de bonnes informations (Bradley Birkenfeld, un ex-employé d’UBS, s’est mis à collaborer avec la justice américaine en 2008, ndlr) et des ressources en personnel suffisantes pour les exploiter. Quant au choix de cibler 7 février 2013 L’Hebdo

UBS, il est dû à la gigantesque exposition de la banque aux Etats-Unis. Ses employés effectuaient plus de 3000 voyages par an pour rencontrer des clients américains. Cela leur a conféré énormément de visibilité. Je ne suis pas sûr que nous serions en train d’avoir cette conversation aujourd’hui si les employés d’UBS étaient restés sur sol suisse. Le chiffre de 13 banques suisses sous investigation a été évoqué. Est-il correct? Ce chiffre a été diffusé par erreur par le Département de la justice sur son site internet, qui l’en a immédiatement retiré. Il me paraît juste. N’oublions pas que lorsque UBS a été mise sous enquête par les Etats-Unis, beaucoup de fonds ont été transférés vers d’autres banques suisses, plus petites, qui pensaient être à l’abri de poursuites américaines. La majeure partie de l’argent est resté sur sol helvétique, même après 2008.

«Les États-Unis ont sous-estimé le caractère sacré du secret bancaire en Suisse.» Les autorités américaines s’intéressentelles aussi aux banques d’autres pays? Assurément. Ce n’est qu’une question de temps avant que le Département de la justice ne l’annonce publiquement. Une bonne partie des contribuables qui se sont dénoncés dans le cadre du programme de déclaration volontaire n’avaient pas que des comptes en Suisse, mais aussi en Israël, à Singapour, à Hong Kong ou dans les Caraïbes. Ils ont fourni beaucoup d’informations sur leurs banques dans ces juridictions... Quelle est la logique derrière la demande d’entraide américaine, déposée en septembre 2011, pour obtenir les noms de milliers de collaborateurs d’établissements suisses? Le Département de la justice espère pouvoir se servir de ces noms pour en inculper certains s’ils apparaissent dans le cadre du programme de déclaration volontaire.

Mais au-delà de ces intentions, je ne vois pas vraiment ce qu’il pourrait en faire. J’ai l’impression que les banques suisses se sont dépêchées de dénoncer leurs employés afin d’éviter d’être inculpées en tant qu’institutions. Tout cela a été effectué dans la précipitation. Quelles sont les prochaines étapes? Nous nous trouvons à un moment critique: les Suisses résistent comme ils le peuvent et les Américains cherchent à pousser les choses le plus loin possible. L’issue de ce bras de fer reste incertaine. Mais ce qui me frappe le plus dans cette histoire c’est à quel point les Etats-Unis ont sous-estimé le caractère sacré du secret bancaire en Suisse. Vous avez même failli vous prononcer par référendum à ce sujet! Cela dit, il est dans l’intérêt des deux parties de trouver un accord global. Personne n’a envie que ce dossier s’éternise. Mais le diable se cache dans les détails. Combien de noms seront transmis dans le cadre de cet accord? Seront-ils fournis par le biais d’un canal formalisé ou par une procédure d’urgence? Quels seront les effets sur l’évasion fiscale du Foreign Account Tax Compliance Act, adopté par le Parlement américain en 2010 et paraphé en décembre dernier par Berne et Washington? Cette loi va complètement changer la donne en exigeant que tous les comptes de contribuables américains – même ceux domiciliés à l’étranger – soient communiqués aux Etats-Unis. Elle va mettre tant de pression sur les banques que la plupart risquent de se détourner de la clientèle américaine. On peut se demander si elle ne va pas un peu trop loin. Le devoir de compliance est désormais si étendu qu’il est devenu extrêmement facile pour un contribuable ou une banque d’oublier d’annoncer quelque chose – même innocemment. On en est arrivé au point où il faut avertir le gouvernement à chaque fois qu’on prend une respiration. De nombreux Américains, qui ne vivent plus aux EtatsUnis depuis beaucoup d’années, ou qui ont quitté le pays très jeunes, risquent de se faire prendre dans les mailles du filet. C’est injuste.√

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